Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Nous suivrons l’avis du rapporteur.
Nous avons besoin de sécurité juridique. Il est important pour l’auteur de l’offre de bénéficier d’une telle sécurité dans ses rapports avec son cocontractant. Au moment où le destinataire de votre offre décède, vous ne savez pas forcément qui sont ses héritiers et à quel moment vous aurez connaissance de leur identité.
Il me paraît donc plus sain de suivre la modification proposée par notre rapporteur.
Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il s’agit de supprimer l’alinéa 3 de l’article 1123 du code civil. Cet article envisage l’hypothèse où un tiers qui s’apprête à conclure un contrat a un doute sur l’existence d’un pacte de préférence que l’autre partie aurait consenti et qu’il serait donc susceptible de violer. En effet, si l’autre partie avait déjà promis de proposer prioritairement le contrat à quelqu’un d’autre, la transaction risquerait d’être remise en cause.
Le texte prévoit donc, pour sécuriser la transaction dont il est question, que ce tiers puisse mettre en demeure le bénéficiaire présumé du pacte de préférence de confirmer ou non l’existence d’un tel pacte et d’indiquer s’il entend s’en prévaloir. S’il répond négativement, ou à défaut de réponse dans le délai accordé par le tiers, le bénéficiaire ne pourra plus ensuite agir en nullité du contrat. Ce dispositif est donc porteur de sécurité juridique.
Le tiers doit fixer, dans sa mise en demeure, un délai de réponse qui doit être raisonnable. Imposer dans la loi, comme le souhaite la commission, que ce délai soit de deux mois, ne permet pas, selon le Gouvernement, d’adapter la durée du délai aux circonstances. Or, selon la complexité du contrat projeté, le bénéficiaire peut avoir besoin d’un temps plus ou moins long pour évaluer s’il a intérêt à se prévaloir du pacte.
Que l’on songe, par exemple, au franchiseur avec qui le franchisé s’est engagé à contracter en priorité s’il vend son entreprise : s’il est interpellé par un tiers auquel le franchisé a proposé son entreprise, le franchiseur doit pouvoir examiner l’opportunité du rachat, sur un plan juridique, financier, opérationnel, et les conditions mêmes de ce rachat. Un délai de deux mois pourrait alors paraître inadapté, car insuffisamment long. À l’inverse, dans certaines situations où la transaction doit se faire rapidement et ne présente pas de difficulté, le délai de deux mois pourra être trop long.
Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à bien vouloir revenir au texte initial, lequel, je vous le rappelle, exige simplement que le tiers fixe un délai de réponse au bénéficiaire présumé du pacte. L’exigence du caractère raisonnable de ce délai permet, en cas de contentieux, que le juge s’assure que le délai fixé était bien adapté aux circonstances.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission des lois s’est évidemment montrée favorable à l’introduction dans la loi des nouvelles procédures d’action interrogatoire, qui visent à faciliter la vie du contrat.
Quid, malgré tout, du « délai raisonnable » ? Certains « délais raisonnables » ont conduit la Cour de cassation à rendre une jurisprudence constante au bout de dix ans, dans un délai qui, raisonnable, l’était donc beaucoup moins ! (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cela lui a d’ailleurs valu une condamnation de la part de la Cour de justice de l’Union européenne !
M. François Pillet, rapporteur. Concernant l’action interrogatoire exercée par un tiers dans le cadre du pacte de préférence qui fait l’objet du présent amendement, la commission des lois a souhaité préciser, sur ma proposition, le délai dans lequel le bénéficiaire doit confirmer l’existence du pacte et son intention de s’en prévaloir. Je précise d’ailleurs qu’aux yeux de certains membres de la commission ce délai de deux mois était peut-être encore trop long.
Ce délai nous semble suffisant pour confirmer l’existence d’un pacte de préférence et accomplir les diligences nécessaires préalables à la décision de s’en prévaloir. Pourquoi la commission a-t-elle fixé ce délai ? Pour éviter des contentieux.
J’attirerai votre attention, avec peut-être une certaine malice, mes chers collègues, sur le fait que, devant la cour d’appel, lorsque l’appelant conclut, il ne peut certes pas faire de demande nouvelle, mais il peut évoquer des moyens nouveaux. Or celui qui répond doit le faire dans un délai qui est bel et bien fixé – il est de deux mois, et, en tout cas, il n’est possible de l’allonger que dans certaines limites restrictives –, alors même qu’il doit parfois répondre à des questions techniques extrêmement précises. Je ne vois donc pas pourquoi, dans le genre de situations visées par le présent texte, la personne interrogée ne pourrait pas, elle, répondre dans le délai de deux mois.
Là encore, il s’agit de discussions qu’il est toujours possible de laisser s’éterniser ; la commission des lois a simplement tenté de trouver un système intermédiaire pour éviter des contentieux.
Son avis est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Merci de ce débat en séance, madame la ministre, monsieur le rapporteur.
En commission, j’avais moi-même souligné que le délai de deux mois me semblait un peu court. En définitive, madame la ministre, je pense que vous avez raison.
Dans la situation que nous avons en vue, le tiers interroge celui qui est présumé bénéficier du pacte de préférence, l’enjoignant à se prononcer. Il doit lui donner un délai. Si le délai est considéré par celui qui doit se prononcer comme déraisonnable, il invoquera en justice, ultérieurement, ce caractère déraisonnable.
Cette liberté laissée aux parties me semble donc suffisante : si le délai de deux mois risque d’être parfois trop long, il sera rarement trop court ; mieux vaut, quoi qu’il en soit, bénéficier d’une telle souplesse. Celle-ci pourrait certes être source de contentieux ; néanmoins, et en définitive, celui qui interroge le tiers bénéficiaire du pacte a lui aussi tout intérêt à ne pas rester trop longtemps dans l’incertitude, donc à convenir avec lui du délai raisonnable nécessaire pour répondre.
Cette souplesse me paraît, en pratique, préférable. J’invite donc mon groupe à voter l’amendement de Mme la ministre.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Nous suivrons notre rapporteur sur ce point : tout ce qui donne de la précision, tout ce qui évite aux justiciables d’aller devant le juge pour préciser de simples délais, nous paraît souhaitable. En la matière, les avantages d’une telle précision nous paraissent l’emporter sur les inconvénients potentiels.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5 (nouveau)
Le paragraphe 2 de la sous-section 1 de la section 2 du chapitre II du sous-titre Ier du titre III du livre III du code civil est ainsi modifié :
1° À la fin du second alinéa de l’article 1137, les mots : « dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie » sont remplacés par les mots : « qu’il devait fournir à l’autre partie conformément à la loi » ;
2° À l’article 1143, après le mot : « dépendance », il est inséré le mot : « économique ».
Mme la présidente. L'amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À l’article 1132 du code civil, les mots : « de droit ou » sont supprimés ;
La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Le nouvel article 1132 du code civil introduit dans le droit français l’erreur de droit, qui y était jusqu’à présent inconnue.
En consacrant l’erreur de droit, ce nouvel article du code civil porte atteinte à la règle selon laquelle nul n’est censé ignorer la loi. Le risque est que le justiciable puisse faire échec à l’application de dispositions supplétives ou impératives de droit objectif normalement applicables au contrat en invoquant une erreur de droit, et porte ainsi atteinte à la force obligatoire des contrats.
En outre, l’erreur de droit n’est pas définie : il pourrait tout aussi bien s’agir d’une erreur sur la signification d’une règle de droit positif que d’une erreur sur la portée ou les conséquences des stipulations contractuelles elles-mêmes.
Il convient dès lors de supprimer toute référence à l’erreur de droit au sein de l’article 1132 nouveau du code civil.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Lors des auditions, j’ai été alerté par certains intervenants sur le caractère inopportun d’une telle consécration de l’erreur de droit sur le même plan que l’erreur de fait.
Pour autant, rien de dramatique là-dedans ! L’ordonnance ne fait qu’entériner la jurisprudence sur ce point, et l’article 1132 du code civil est clair : l’erreur inexcusable, qu’elle porte sur une qualité essentielle de la prestation ou de la personne, n’emporte pas nullité du contrat.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois a précisé l’interprétation qu’il convenait de faire de cet article, sans pour autant le modifier, dans les conditions et selon la méthode que j’ai expliquées.
Il n’est en effet nullement question d’élargir l’admission de l’erreur de droit en permettant à un contractant de prétendre qu’il s’est mépris sur la portée d’un texte légal, d’une jurisprudence ou même de son engagement contractuel.
Si la jurisprudence admet l’erreur de droit – c’est à ce titre qu’elle est légalement consacrée –, elle en a toujours fait une application mesurée, en la refusant lorsqu’elle portait, par exemple, sur une décision judiciaire rendue pour d’autres parties ou sur les effets que le contrat doit produire.
Au regard de cette interprétation expresse sur laquelle nous attirons l’attention des magistrats et des juristes qui auront à appliquer l’article 1132, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, qu’il vous est toujours loisible, ma chère collègue, de retirer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Mélot, l'amendement n° 4 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Colette Mélot. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 4 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 16, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
1° L’article 1137 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. » ;
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Forte de mes succès sur les deux précédents amendements, je continue… (Sourires.)
Cet amendement vise à rétablir la définition initiale de la réticence dolosive et à en exclure l’estimation de la valeur de la prestation.
La réticence dolosive consiste à retenir sciemment une information dont on sait le caractère déterminant pour l’autre partie et qui, si elle avait été connue de cette dernière, l’aurait amenée à ne pas contracter ou à contracter à des conditions substantiellement différentes. Un tel comportement contraire au devoir de bonne foi contractuelle est sanctionné par la nullité du contrat.
La rédaction adoptée par la commission des lois subordonne cette sanction à la violation préalable d’un devoir légal d’information. Or il nous semble que le devoir précontractuel d’information instauré à l’article 1112-1 du code civil, est strictement encadré. Il n’est dû que si l’ignorance de l’autre partie était légitime, ou si celle-ci pouvait, en raison des circonstances, faire une confiance particulière à son cocontractant.
La réticence dolosive, qui implique une intention de tromper, ne doit pas être assujettie aux mêmes limites : ce n’est pas la même chose. La mauvaise foi implique en effet que le dol doit être sanctionné de façon plus large et plus sévère que ne l’est la simple négligence dans la délivrance d’informations. C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite au rétablissement du texte initial.
En revanche, afin de ne pas pénaliser le commerce, je vous propose que le silence, même intentionnel, sur l’estimation de la valeur de la prestation soit exclu de l’objet de la réticence dolosive, comme il est exclu du devoir d’information.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement proposé par le Gouvernement vise à exclure l’estimation de la valeur de la prestation du champ d’application de la réticence dolosive, afin de consacrer la jurisprudence dite jurisprudence Baldus, bien connue, au moins des professionnels.
Si je suis favorable à la consécration de cette jurisprudence, j’estime que cet amendement ne résout pas toutes les difficultés soulevées par l’incohérence des champs d’application respectifs des articles 1112-1 et 1137 du code civil, que la commission des lois a entendu résoudre.
Ces difficultés ont d’ailleurs été évoquées par la quasi-unanimité des personnes que j’ai entendues lors des auditions.
Or, avec la rédaction telle que proposée par le présent amendement, des incohérences, à mon sens, subsisteraient : certaines informations qui ne sont pas visées par l’obligation d’information de l’article 1112-1 du code civil, car elles ne sont pas déterminantes au sens de cet article – elles n’ont pas de lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties –, pourraient en revanche être considérées comme déterminantes au sens de l’article 1137 du même code, et justifier une sanction pour réticence dolosive – la réflexion de la commission s’est appliquée aux deux textes, l’objectif étant de les rendre plus homogènes.
De surcroît, le dol implique une dissimulation intentionnelle ; or il semble que la dissimulation d’une information est par nature intentionnelle dès lors qu’elle n’entre pas dans le champ d’une obligation d’information.
Telles sont les raisons pour lesquelles je souhaite le maintien de la rédaction de la commission des lois, qui permet de subordonner la nullité pour réticence dolosive aux hypothèses dans lesquelles une obligation d’information préalable existe.
Je précise en outre, ce qui n’est nullement anodin, que la rédaction de la commission des lois reprend exactement celle qui était proposée dans l’avant-projet d’ordonnance publié par la Chancellerie en 2015 et soumis à la consultation publique.
M. François Pillet, rapporteur. Je pense donc, en quelque sorte, que le travail initial de la Chancellerie aurait mérité de ne pas être modifié par la consultation publique.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Ce débat technique prouve bien qu’une discussion complète aurait dû être organisée sur ce texte.
Par cet amendement, l’objectif du Gouvernement est aussi, ne l’oublions pas, de supprimer la modification que vous proposez d’introduire, monsieur le rapporteur, s’agissant de la notion de réticence dolosive. Votre rédaction de l’article 5 limite le champ de l’obligation à l’information « que le cocontractant doit fournir à l’autre partie conformément à la loi ».
Or, et c’est ce qui importe, dès lors que l’une des parties sait que l’information est déterminante pour le consentement de l’autre, elle doit la fournir. J’en réfère à ce que je disais lors de mon intervention liminaire : c’est la notion de bonne foi qui doit primer. Cette notion remonte à Portalis et à d’autres. Dans votre rédaction, monsieur le rapporteur, cette bonne foi disparaît au profit d’une simple conformité à la loi ; or la loi, en matière d’information, ne prévoit pas tout, tant s’en faut.
La rédaction du Gouvernement me paraît donc meilleure. Ce n’est pas par hasard si la mouture définitive de l’ordonnance n’est pas dans la même veine que la version initiale : il y a eu amélioration entre les deux textes, et je préfère le second, donc le rétablissement du texte du Gouvernement, assorti de la précision proposée par Mme la ministre.
J’invite donc mon groupe à voter l’amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Une précision à l’intention de mon collègue Jacques Bigot : de toute façon, la bonne foi couvre tout le domaine du texte et de la réforme. En toute hypothèse, la bonne foi n’est donc pas exclue de l’application et de l’interprétation de ce texte.
Mme la présidente. L'amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° L’article 1139 est ainsi rédigé :
« Art. 1139. – L’erreur qui résulte de manœuvres ou de mensonges constitutifs d’un dol est toujours excusable. L’erreur qui résulte de la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie n’est excusable qu’à condition que cette dernière ignore légitimement ladite information.
« L’erreur qui résulte d’un dol est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat. » ;
La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Le nouvel article 1139 du code civil précise que l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable.
Cet article ne prend pas en compte les spécificités de l’erreur résultant de la dissimulation intentionnelle, par l’un des cocontractants, d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie, autrement dit la réticence dolosive. Une telle omission donne la possibilité à la partie qui se prétend victime d’une réticence dolosive d’obtenir la nullité d’un contrat alors même qu’elle aurait failli à son devoir de se renseigner.
L’excuse automatique de l’erreur provoquée par une réticence dolosive risquant d’exonérer le cocontractant de tout devoir de se renseigner, il convient que l’article 1139 nouveau du code civil précise que l’erreur résultant d’une réticence dolosive n’est excusable que si la victime ignore légitimement l’information qui lui a été dissimulée intentionnellement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’introduction dans le code civil de ce nouvel article 1139 a pour objet de tirer les conséquences du dol tel qu’il est défini à l’article 1137 du même code, en prenant en compte la réticence dolosive.
Dans la mesure où la rédaction qui vient d’être adoptée à l’article 1137 subordonne la nullité pour réticence dolosive aux hypothèses dans lesquelles une obligation légale d’information existe, il n’est aucunement besoin de modifier l’article 1139 du code civil afin de transposer un devoir d’information, alors que ce dernier est déjà prévu à l’article 1112-1 du même code.
L’objet de votre amendement me paraît donc déjà satisfait avec beaucoup de précision, ma chère collègue. Je vous suggère de le retirer ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Mélot, l'amendement n° 8 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Colette Mélot. Non, je le retire, madame la présidente, en remerciant M. le rapporteur de ses explications.
Mme la présidente. L'amendement n° 8 rectifié bis est retiré.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par M. Collombat, Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L'amendement n° 15 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Pierre-Yves Collombat. Notre rapporteur et notre commission ont cru bon de limiter la notion de dépendance à la dépendance économique. Nous pensons, quant à nous, qu’il vaut mieux conserver le terme dans sa généralité, et ainsi couvrir la totalité des situations de dépendance.
On m’objecte que c’est chose déjà faite quelque part, dans tel ou tel autre code. Je répondrai que nous sommes en train de réformer le code civil ; c’est donc le lieu, me semble-t-il, de donner une interprétation générale ! Je ne vois pas ce que la précision « économique » ajoute ; au contraire, je trouve qu’elle ne va pas dans le bon sens.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 15.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je suis évidemment favorable à l’amendement de M. Collombat, qui reprend celui du Gouvernement,…
M. Pierre-Yves Collombat. Non ! Il lui est identique !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … pardon, qui lui est identique.
L’article 1143 du code civil constitue l’une des innovations essentielles de l’ordonnance du 10 février. Il assimile à une violence l’abus de la situation de dépendance dans laquelle se trouve le cocontractant, ce que la jurisprudence de la Cour de cassation a admis dans plusieurs arrêts récents, et que la doctrine et les praticiens qualifient de violence économique.
Le texte adopté par le Gouvernement se veut néanmoins délibérément plus large, puisqu’il n’est pas circonscrit à la seule dépendance économique. Toutes les hypothèses de dépendance sont visées, ce qui permet une protection des personnes vulnérables, et non pas simplement des entreprises dans leurs rapports entre elles.
Ce choix est d’ailleurs conforme aux termes de l’habilitation qui a été accordée par le Parlement au Gouvernement, puisque cette habilitation autorisait le Gouvernement à introduire des dispositions « permettant de sanctionner le comportement d’une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l’autre ».
Il pourrait donc s’agir d’une situation de dépendance sociale ou psychologique, ce qui pourrait permettre de sanctionner un abus commis, par exemple, à l’encontre de personnes âgées dépendantes d’un point de vue affectif ou psychologique.
À ce titre, les dispositions qui sanctionnent l’abus de faiblesse dans le code de la consommation ou dans le code pénal ne sont pas comparables à celles de l’article 1143 : elles édictent des sanctions pénales sans prévoir l’annulation du contrat conclu et diffèrent, tant dans leur champ d’application que dans leurs conditions de mise en œuvre, de celles du nouvel article.
En effet, la faiblesse et l’ignorance visées dans le code de la consommation ne sont pas synonymes de dépendance, et ces dispositions ne s’appliquent que dans les relations entre professionnels et consommateurs. Quant aux dispositions pénales, elles ne concernent que les abus à l’encontre des mineurs ou de personnes d’une particulière vulnérabilité en raison de leur âge, de leur maladie ou encore d’une infirmité.
Si j’entends, bien entendu, les inquiétudes légitimes exprimées sur l’appréhension des notions d’abus et de dépendance, il me semble que le texte de l’ordonnance prend le soin de poser des conditions objectives tenant, d’une part, à l’existence d’un avantage manifestement excessif et, d’autre part, à ce que la dépendance est une notion elle-même objective, qui ne tient pas uniquement aux qualités de la victime de l’abus, comme dans les textes du code de la consommation et du code pénal, mais également aux circonstances de la conclusion du contrat en cause.
Il me semble indispensable de doter notre droit des contrats d’un outil de contrôle des abus des situations de faiblesse en dehors des seuls régimes pénaux spéciaux. Je vous demande en conséquence, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir rétablir le texte de l’ordonnance dans son intégrité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Madame la ministre, monsieur le sénateur Collombat, je pourrais très bien, a priori, partager vos inquiétudes au regard de la motivation de vos amendements.
Pourquoi n’est-ce pas le cas ? Parce que les exemples que vous prenez sont déjà traités par la loi.
Ainsi, le régime de protection légale des incapables permet de garantir une protection juridique pour les personnes concernées en état de faiblesse.
De même, le code de la consommation prévoit la sanction de l’abus de faiblesse ou d’ignorance.
Enfin, pour les abus commis à l’égard de personnes âgées en situation de dépendance, illettrées ou sous l’emprise d’une secte, qui sont évoqués dans l’objet de votre amendement, madame la ministre, l’article 223-15-2 du code pénal réprime déjà « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse » d’un mineur ou d’une personne d’une vulnérabilité particulière, qui conduit ce mineur ou cette personne « à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
Ces textes apportent déjà la protection attendue. Imaginons qu’une sanction pénale soit prononcée. Comment peut-on imaginer que le juge pénal ne prononce pas la nullité ou la résolution du contrat alors qu’a été caractérisé soit un vice du consentement soit une fraude ? Je pense que sur ce point, madame la ministre, monsieur le sénateur, vous pouvez être rassurés.
En revanche, si nous conservons le terme de « dépendance » sans précision, donc si nous nous gardons de qualifier l’état de dépendance, nous introduisons dans la loi une notion très imprécise et incertaine, qui me semble poser problème.
Pourquoi « dépendance économique » ? D’une part, il s’agit d’une notion déjà parfaitement encadrée par la jurisprudence. D’autre part, je pense, très honnêtement – mais je suis prêt à ce que l’on en discute encore au cours de la navette –, que toutes les hypothèses que vous pouvez imaginer s’agissant de l’état de dépendance sont déjà couvertes par les autres domaines du droit, et qu’il n’y a pas lieu, dans ce domaine très général, d’introduire une notion qui serait à mon sens imprécise.
Madame la ministre, mes chers collègues, c’est sous bénéfice de ces observations que vous considérerez, je pense, comme très mesurées, que j’émets un avis défavorable sur ces amendements.