Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, avec l’humilité qu’induit la jeunesse de mon mandat, je salue l’aboutissement, avec la proposition de ratification hautement responsable par notre assemblée, de cette réforme majeure et attendue du long processus de refonte du droit des contrats.
Ce texte, marqué par la ténacité de la Chancellerie et le travail considérable effectué ici, singulièrement par notre rapporteur François Pillet et notre collègue Thani Mohamed Soilihi, affirme notre tradition civiliste et répond aux questions de sécurité juridique – l’imprévisibilité, l’accessibilité, l’efficience –, de cohérence européenne et d’équilibre du droit des contrats. Je pense aussi à l’attractivité du droit français, du point de vue strictement économique des entreprises, mais aussi de l’influence du système juridique français à l’étranger. Toutefois, compte tenu d’une application encore récente, on tirerait vanité, à ce stade, à parler sans mesure d’une meilleure attractivité de notre droit des contrats.
Nonobstant cette incertitude, cette réforme est largement approuvée par les universitaires et les praticiens du droit. La nouvelle organisation des dispositions qui suivent la vie du contrat répond à un souci de lisibilité nécessaire. Une rédaction plus contemporaine améliore sans conteste la compréhension. La consécration de la liberté contractuelle, de la force obligatoire du contrat, du respect de l’ordre public et de la bonne foi garantit un cadre cohérent et clair.
Au-delà de la codification de la jurisprudence, le texte innove par plusieurs aspects, à commencer par la suppression de la cause du contrat. Il adapte notre droit à la réalité de l’expansion du numérique et apporte des précisions ou des consécrations utiles pour les acteurs économiques, notamment le champ de la capacité des personnes morales, ainsi que l’acquisition de contrats ou de cessions de dettes pour les entreprises.
Le travail mené au Sénat confirme la formule de Guy Carcassonne : « Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. » Sur le sujet particulièrement ardu et peu prospère politiquement qu’est le droit des contrats, la commission des lois a ainsi adopté plusieurs modifications d’une grande technicité et précision, visant à introduire des clarifications substantielles, voire essentielles. Je pense notamment à la clarification et à la bilatéralisation des définitions respectives du contrat de gré à gré et du contrat d’adhésion, à l’exclusion de la perte de chance des préjudices réparables, à la détermination du fameux délai raisonnable susceptible d’interprétations – nous sommes attachés aux deux mois en question –, à une plus grande cohérence du régime de la réticence dolosive et de celui de l’obligation d’information précontractuelle, et à la saisine du juge en cas de prix abusif, non seulement pour obtenir des dommages et intérêts venant indirectement réduire le montant du prix, mais aussi la résolution du contrat, pour couvrir l’hypothèse où l’exécution de celui-ci n’est pas achevée. Il s’est aussi agi de réduire l’aléa judiciaire introduit par l’ordonnance sur le contentieux de la réduction du prix.
Permettez-moi d’évoquer également le travail mené par le Sénat sur l’autorisation du paiement en monnaie étrangère d’une obligation de somme d’argent payée en France et l’application dans le temps de la loi, qui constitue une question essentielle.
Je note enfin l’affirmation par notre rapporteur d’un certain nombre de points, qui permettront au juge de ne pas laisser prospérer une jurisprudence controversée et multiple. Je pense en particulier à la définition de la confidentialité de l’information.
En conséquence, au regard de l’intégration des travaux conduits par notre assemblée, nous appellerons à la ratification responsable de cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe République et Territoires/Les Indépendants. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis ici pour débattre d’un projet ambitieux de réforme de notre droit civil, un projet nécessaire, qui est l’aboutissement d’une longue réflexion relative à l’adaptation de notre droit aux enjeux économiques contemporains.
Comme vous le savez, le droit des obligations que nous connaissons aujourd’hui est issu de la lettre du code civil, mais aussi d’une jurisprudence abondante, qui a fait grandement évoluer notre droit depuis 1804. Le droit des obligations repose en partie sur un vaste corpus de jurisprudence, alors même que notre droit est issu d’une tradition civiliste, aux règles écrites et codifiées. Cette particularité, source de grands travaux intellectuels et doctrinaux, rend délicates la lisibilité et la prévisibilité de notre droit, pourtant essentielles aux acteurs économiques. Une réforme était donc nécessaire.
Pour ce faire, la Chancellerie a publié en février 2015 un avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Soumis à contribution publique, il a suscité de très importantes réflexions. Il prend sa source dans les travaux de la doctrine en France et les projets d’harmonisation européenne du droit des contrats. L’objectif premier de ce projet de réforme, tel que présenté dans le rapport adressé au Président de la République, est de renforcer la sécurité juridique du droit des contrats.
Comme l’a indiqué notre rapporteur, cet objectif est primordial. Il est en grande partie atteint. En effet, la nouvelle rédaction ayant vocation à intégrer le code civil est plus claire et l’organisation du code plus didactique, ce qui renforce grandement sa lisibilité. Ainsi, un nouveau chapitre introductif rappelle clairement les principes directeurs du droit des contrats. Par ailleurs, la réforme vise à renforcer la cohérence de notre droit des contrats : en codifiant la jurisprudence de la Cour de cassation, les auteurs de cette réforme ont permis, en réalité, à l’intégralité du droit positif de rejoindre le code civil.
La réforme marque aussi une évolution majeure, en introduisant dans le code civil des innovations juridiques à la portée non négligeable. Je pense notamment à la théorie de l’imprévision, soit la possibilité pour le juge d’intervenir dans un contrat en cours, dans certaines conditions. Il s’agit aussi de la violence économique, nouveau vice du consentement, ou encore des nouvelles actions dites « interrogatoires », comme en matière de pacte de préférence ou d’action en nullité, qui permettent une meilleure information des parties.
La commission des lois du Sénat a choisi de ratifier cette ordonnance, laquelle a fait l’objet d’un bon accueil pour ce qui concerne la doctrine et les praticiens.
Toutefois, en dépit de la qualité générale de la rédaction, nous devons rappeler que ce processus de réforme du droit des obligations, tel qu’il s’achève aujourd’hui, est marqué par un certain mépris – je n’ose dire un mépris certain – du rôle du législateur. En effet, il faut rappeler l’opposition ferme du Sénat à la méthode des ordonnances, s’agissant en particulier de cette réforme. Lors de l’examen de l’habilitation demandée par le Gouvernement, le Sénat avait souligné l’importance d’un débat public sur une réforme de cette ampleur. Le choix de recourir à la méthode des ordonnances avait de fait grandement limité les possibilités de débat au sujet d’une réforme aux innombrables conséquences pour la vie économique du pays. On rappellera en outre qu’elle ne se borne pas à aborder des questions d’une grande technicité. Le droit des obligations soulève des interrogations d’ordre politique, telles que la tension entre un impératif de justice dans le contrat et le respect de l’autonomie des parties et, plus généralement, de la sécurité juridique des conventions.
Enfin, que dire du manque de cohérence s’agissant de la volonté du Gouvernement de disjoindre la réforme du droit des contrats de celle du droit de la responsabilité civile, pourtant inextricablement liées ?
Le choix de recourir à cette méthode dessert de toute évidence les objectifs de la réforme. La marge de manœuvre du Sénat pour modifier les dispositions issues de l’ordonnance est plus que limitée. Comment remettre en cause les fondements d’un texte auquel les praticiens se sont préparés et, désormais, adaptés ? Notre assemblée ne peut transformer les dispositions issues de l’ordonnance en droit transitoire, sauf à créer encore plus d’insécurité juridique, au détriment des objectifs du texte.
Pour autant, la commission des lois a choisi de ratifier l’ordonnance, tout en apportant de nécessaires ajustements de clarification. Ces correctifs permettent notamment d’évacuer plusieurs ambiguïtés importantes et de préciser les modalités d’application de la nouvelle loi aux contrats en cours.
Pour l’ensemble de ces raisons, tout en déplorant la méthode choisie par le Gouvernement, le groupe Les Républicains votera en faveur du texte de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je formulerai quelques observations rapides, en guise de réponse aux différentes interventions.
L’un d’entre vous a dit que le Sénat allait se montrer bon enfant. Je ne reprendrai pas à mon compte cette expression, que je trouve un peu familière ; j’ai plus de respect pour le Sénat. J’estime au contraire que votre assemblée a fait preuve de responsabilité, en ayant habilité le Gouvernement à travailler sur ce sujet. J’ai dit à quel point la concertation conduite, le travail extrêmement sérieux mené avec de nombreux experts ont permis d’aboutir au texte qui vous est proposé. En le soumettant à votre ratification, le Gouvernement témoigne de son respect, tout à fait naturel, pour le Sénat.
Face aux critiques formulées par nombre d’entre vous sur le recours aux ordonnances de l’article 38, je rappelle qu’il s’agit d’une pratique constitutionnelle, expressément prévue par notre texte fondateur. À partir du moment où le Gouvernement fait le choix de revenir devant vous avec un texte autonome, on peut considérer qu’il s’agit d’une méthode non seulement performante et conforme à notre Constitution, mais également respectueuse de votre assemblée. Selon moi, une telle procédure ne mérite pas l’opprobre dont vous l’accablez.
Sur le fond, je relèverai quelques points.
Monsieur Collombat, je vous remercie de votre soutien à ce texte. Je tiens à vous le dire, le Gouvernement sera en phase avec plusieurs de vos amendements.
Bien qu’il s’agisse d’une question sans lien direct avec le texte, j’ai pris bonne note de vos observations concernant le budget de la justice. Je comprends vos préoccupations ; j’aurai d’ailleurs l’occasion de revenir devant vous pour présenter le budget de la justice pour 2018, qui augmentera de près de 4 %. Il en sera de même pour les années 2019 et 2020. J’espère que nous pourrons ainsi pallier progressivement les difficultés que rencontre le ministère. Cela témoigne des efforts consentis par le Gouvernement en faveur de la justice.
Madame Loisier, vous avez eu raison de le souligner, il y avait urgence à adopter cette réforme. Je vous remercie de votre soutien et de celui de votre groupe. Ce texte témoigne effectivement d’un équilibre entre modernité et respect de nos principes constitutionnels. Selon moi, il peut jouer un rôle dans l’attractivité de notre droit. J’ai souvent été alertée par les rapports Doing Business publiés chaque année : ils montrent la place de la France dans le monde des affaires. Si la progression est réelle, elle est encore insuffisante. Même si je nourris une certaine méfiance envers ces rapports publiés par la Banque mondiale, ils sont toutefois très significatifs. Ainsi, pour être attractifs, nous avions tout intérêt à revoir, comme nous l’avons fait, le droit des contrats. J’espère que d’autres mesures, comme l’instauration de la juridiction du brevet ou la possibilité pour certaines de nos juridictions de traduire leurs actes en anglais, contribueront puissamment à l’attractivité de la place de Paris.
Vous avez également souligné l’importance du délai ayant précédé la demande de ratification de l’ordonnance. Il faut bien entendu tenir compte de la période électorale, qui n’a pas permis de présenter plus tôt ce texte au Parlement. Je vous le rappelle, c’est le premier texte que le ministère de la justice défend devant vous, au cours de la première session ordinaire après les élections intervenues au printemps.
Monsieur Bigot, vous êtes revenu sur la méthode et avez souligné le courage nécessaire pour s’attaquer à l’immense question du droit des contrats et des obligations. Je vous remercie de vos propos, notamment pour ce qui concerne l’imprévision et le rôle du juge, qui constituent une novation tout à fait importante. Vous avez également eu raison de le dire, l’histoire ne s’arrête pas là. L’interprétation de certaines dispositions par le juge et la manière dont les entreprises et les acteurs s’empareront de ce texte construiront l’histoire et feront vivre une nouvelle étape de notre code civil.
Monsieur Marc, je vous remercie de vos observations, en saluant votre sens de la mesure et votre soutien au texte, ainsi que celui du groupe que vous représentez.
Madame Carrère, comme vous, je pense que la rationalité doit l’emporter face aux émotions. Tel est le cas avec ce texte. Vous avez également évoqué la question du budget de la justice, et je ne reprendrai pas ce que je viens de répondre à M. Collombat. Vous avez aussi souligné l’intérêt d’accompagner cette réforme. Plusieurs éléments le permettent : le rapport au Président de la République, extrêmement épais, qui constitue une sorte de vade-mecum, les fiches techniques qui seront mises à disposition des magistrats, les formations qui seront dispensées au sein de l’École nationale de la magistrature et les diverses présentations de la réforme aux juridictions.
Monsieur de Belenet, j’ai été particulièrement sensible à l’hommage que vous avez rendu à mon collègue Guy Carcassonne. Je vous remercie du soutien du groupe La République En Marche.
Enfin, madame Jourda, vous avez eu raison de le souligner, cette réforme a globalement été très bien accueillie par la doctrine, même si des inflexions et des commentaires ont été apportés, ce qui est tout à fait naturel. Nous tenterons, dans une certaine mesure, de répondre à certains d’entre eux.
J’ai évoqué tout à l’heure le terme de « mépris » que vous avez employé. Il n’y a aucun mépris du Gouvernement à l’égard du Parlement, je vous l’affirme. Le fait que je sois là aujourd'hui pour travailler avec vous sur ce texte me semble refléter non pas du mépris, mais le souci du respect de vos compétences.
Nous aurons effectivement à retravailler ensemble sur la responsabilité civile, qui constitue le dernier chantier à entreprendre pour ce qui concerne le code civil. Nous aurons l’occasion de repenser avec vous les modalités et le contenu de ce texte.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 1er
L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est ratifiée.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
L’article 1110 du code civil est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le mot : « négociées » est remplacé par le mot : « négociables » ;
2° Au second alinéa, les mots : « dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont » sont remplacés par les mots : « qui comporte des clauses non négociables, unilatéralement ». – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 2
Mme la présidente. L'amendement n° 26 rectifié, présenté par MM. de Belenet et Richard, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le second alinéa de l’article 1111-1 du code civil est complété par les mots : « ou en une prestation unique qui, par nature, ne peut s’exécuter que dans la durée. »
La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Cet amendement tend à préciser la notion de contrat à exécution successive, afin de prendre en compte un certain nombre de prestations, lesquelles ne peuvent s’exécuter que dans la durée, comme les contrats de travail ou de location d’un bien.
Cela étant, je le retire.
Mme la présidente. L’amendement n° 26 rectifié est retiré.
Article 3 (nouveau)
Le second alinéa de l’article 1112 du code civil est ainsi modifié :
1° Après le mot : « compenser », il est inséré le mot : « ni » ;
2° Sont ajoutés les mots : « , ni la perte de chance d’obtenir ces avantages ». – (Adopté.)
Articles additionnels après l'article 3
Mme la présidente. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 1112-1 du code civil est ainsi modifié :
1° Au début, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Chaque contractant est tenu de se renseigner sur les éléments du contrat qui sont déterminants de son consentement. » ;
2° Au premier alinéa, les mots : « ou fait confiance à son cocontractant » sont supprimés.
La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Afin de restaurer l’attractivité du droit français des contrats et de le rendre plus efficient pour nos entreprises, en particulier nos PME, je présenterai neuf amendements. L’amendement n° 7 rectifié est le premier d’entre eux.
Le nouvel article 1112-1 du code civil tend à introduire un devoir général d’information, d’ordre public. Ce devoir d’information est subordonné à plusieurs conditions : l’importance déterminante de l’information pour le consentement de l’autre partie, la connaissance de l’information par le créancier, l’ignorance de l’information par l’autre partie, cette ignorance devant être légitime et pouvant tenir aux relations de confiance entre les cocontractants.
Le droit comparé nous apprend que de nombreux autres systèmes juridiques imposent une obligation de se renseigner. Toutefois, ce devoir ne saurait annihiler l’obligation d’information : il reviendra au juge de trouver le juste équilibre entre ces deux obligations. Aussi le devoir de se renseigner visé par le présent amendement a-t-il pour objet non pas de supprimer l’obligation d’information, mais d’inciter le juge à tenir compte de la situation particulière des parties.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Lors des auditions que j’ai menées, la question du devoir de s’informer, en tant que corollaire de la nouvelle obligation d’information précontractuelle, a bien été soulevée, et j’en ai tenu compte dans mon rapport.
À l’occasion de l’examen de cet amendement, je souhaite insister sur un point important. Dans le cadre de la ratification de cette ordonnance, j’ai proposé à la commission de modifier le texte lorsque c’était indispensable, sinon de délivrer une interprétation claire et incontestable. La semaine dernière, la commission a validé ces interprétations au titre des travaux préparatoires, lesquels, je le répète, sont source de droit, ce qui évitera de nombreuses modifications du texte de l’ordonnance, liées à des questions d’interprétation sur lesquelles nous étions d’ailleurs quasiment tous d’accord.
La commission des lois a ainsi précisé l’interprétation qu’il convenait de faire de cet article, sans pour autant le modifier.
Pour faire naître l’obligation d’information, celle-ci doit être « déterminante pour le consentement » de l’autre partie, mais cette dernière doit aussi en ignorer légitimement l’existence, ou faire confiance à son cocontractant.
Il faut déduire du critère de l’ignorance légitime de l’information par le cocontractant que le texte consacre bien un devoir de s’informer, ce que confirme le rapport au Président de la République, lequel indique bien que « le devoir de s’informer fixe la limite de l’obligation précontractuelle d’information ».
Aussi, d’un côté, lorsque l’information est accessible par le cocontractant, son ignorance ne sera plus légitime et, de l’autre côté, lorsqu’un lien de « confiance » particulier existe, voire préexiste entre les deux parties, une telle situation peut à l’inverse justifier une obligation d’information particulière.
L’objet de cet amendement m’apparaît donc satisfait par l’article tel qu’il est rédigé et au regard de l’interprétation que je vous propose expressément de lui donner. Je vous demande donc, ma chère collègue, de bien vouloir le retirer. À défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je partage l’avis exprimé par M. le rapporteur. L’une des innovations de l’ordonnance est l’introduction dans le code civil d’un devoir général précontractuel d’information, déjà consacré pour une large part par la jurisprudence.
Madame Mélot, je tiens à vous rassurer, ce devoir d’information trouve bien sa limite dans le devoir de s’informer de l’autre partie. S’il n’est pas expressément inscrit dans le texte, il s’en déduit toutefois. La définition du devoir d’information telle qu’elle résulte de l’ordonnance prend déjà en considération l’obligation pour l’autre partie de se renseigner. En effet, le manquement au devoir d’information ne peut être sanctionné que si l’ignorance de celui qui s’en prévaut est légitime. À cet égard, ne sera donc légitime à ignorer une information essentielle que celui qui serait dans l’incapacité d’y accéder seul. L’ordonnance n’a pas pour objet de déresponsabiliser les cocontractants, bien au contraire.
Les relations qui unissent les parties à leur cocontractant peuvent également, dans certaines circonstances, justifier qu’elles lui fassent une confiance particulière. Par exemple, si je suis associée dans une société dont l’autre partie est dirigeant social, je peux légitimement penser qu’elle m’a communiqué les informations sur la situation financière de la société. Le devoir de se renseigner sera ainsi modulé selon la nature de l’information et la qualité respective des parties.
C’est la raison pour laquelle, comme M. le rapporteur, je vous demande, madame Mélot, de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, je me verrai contrainte d’émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame Mélot, l’amendement n° 7 rectifié est-il maintenu ?
Mme Colette Mélot. Madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, je vous remercie des précisions que vous venez d’apporter. Je retire donc cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié est retiré.
L'amendement n° 27, présenté par M. de Belenet, est ainsi libellé :
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 1112-2 du code civil est abrogé.
La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, je retire cet amendement. Vous savez à quel point les délais d’examen des amendements de séance sont contraints… Je vous informe que je retire également mes autres amendements à venir, à l’exception de l’amendement n° 30 rectifié.
Mme la présidente. L'amendement n° 27 est retiré.
Article 4 (nouveau)
La section 1 du chapitre II du sous-titre Ier du titre III du livre III du code civil est ainsi modifiée :
1° Le second alinéa de l’article 1117 est complété par les mots : « , ou de décès de son destinataire » ;
2° Au troisième alinéa de l’article 1123, les mots : « qu’il fixe et qui doit être raisonnable, » sont remplacés par les mots : « de deux mois ».
Mme la présidente. L'amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’article 1117 du code civil prévoit que l’offre de contracter devient caduque en cas d’incapacité ou de décès de son auteur avant son acceptation.
La commission des lois a souhaité étendre cette solution en cas de décès du destinataire de l’offre, proposition qui ne me semble pas opportune.
Le lien inextricable entre l’offre de contracter et son auteur justifie en effet que celle-ci n’engage pas les héritiers de ce dernier ; en revanche, rien ne justifie qu’une offre de contracter prenne systématiquement fin au décès de son destinataire. La jurisprudence a pu sembler aller en ce sens, mais une telle solution a été critiquée, à juste titre, par la doctrine.
Une telle caducité de l’offre peut se comprendre lorsque le contrat projeté est un contrat intuitu personae, c’est-à-dire lorsque la personne du cocontractant est déterminante. Par exemple, si j’ai adressé une offre de prestation à un professionnel pour la qualité de son travail, il est logique que son décès rende mon offre caduque.
En revanche, dans d’autres types de contrats, la personne du cocontractant n’est absolument pas déterminante, et l’offre de contrat doit pouvoir être transmise aux héritiers. Ainsi, l’offre de vente qui est faite au propriétaire d’un appartement mitoyen pourrait être acceptée par son héritier si ledit propriétaire décédait avant de l’avoir acceptée.
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à revenir au texte initial pour laisser la jurisprudence apprécier quelle solution est la plus opportune selon le type de contrat proposé.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission des lois a émis, ce matin, un avis défavorable sur cet amendement. Je m’en explique.
Le texte de la commission prévoit la caducité de l’offre en cas de décès du destinataire, eu égard à une jurisprudence constante – vous venez de la citer, madame la ministre – selon laquelle l’offre ne se transmet pas aux héritiers.
Certes, comme vous l’avez dit, certains auteurs avancent que l’offre ne deviendrait effectivement caduque que si le contrat projeté était intuitu personae, c’est-à-dire passé en considération d’une personne.
Toutefois, la doctrine n’est pas tout à fait unanime sur ce point.
Surtout, le silence de la loi constitue une source d’incertitude juridique pour les héritiers se trouvant dans cette situation : ces derniers sont obligés de s’en remettre aux tribunaux après le décès d’un proche, ce qui ne me semble pas satisfaisant. Vous évoquez d’ailleurs ce recours aux tribunaux dans l’exposé des motifs de votre amendement, madame la ministre.
Telles sont les raisons très techniques pour lesquelles la commission a souhaité clarifier explicitement ce point dans l’article 1117 du code civil, afin de garantir un régime de l’offre protecteur et stable pour les parties, c’est-à-dire d’assurer la sécurité juridique par un texte très précis.