Sommaire

Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann

Secrétaires :

Mme Françoise Gatel, M. Guy-Dominique Kennel.

1. Procès-verbal

2. Demande d’avis sur un projet de nomination

3. Candidature à une commission

4. Modifications de l’ordre du jour

5. Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. – Discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois

M. Pierre-Yves Collombat

Mme Anne-Catherine Loisier

M. Jacques Bigot

M. Alain Marc

Mme Maryse Carrère

M. Arnaud de Belenet

Mme Muriel Jourda

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux

Clôture de la discussion générale.

Articles 1er et 2 (nouveau) – Adoption.

Article additionnel après l'article 2

Amendement n° 26 rectifié de M. Arnaud de Belenet. – Retrait.

Article 3 (nouveau) – Adoption.

Articles additionnels après l'article 3

Amendement n° 7 rectifié de Mme Colette Mélot. – Retrait.

Amendement n° 27 de M. Arnaud de Belenet. – Retrait.

Article 4 (nouveau)

Amendement n° 13 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 14 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 5 (nouveau)

Amendement n° 4 rectifié bis de Mme Colette Mélot. – Retrait.

Amendement n° 16 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 8 rectifié bis de Mme Colette Mélot. – Retrait.

Amendements identiques nos 1 de M. Pierre-Yves Collombat et 15 du Gouvernement. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l’article.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

6. Questions d'actualité au Gouvernement

expulsion des clandestins

Mme Brigitte Lherbier ; Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur.

prise en charge des mineurs étrangers non accompagnés

Mme Élisabeth Doineau ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.

états généraux de la politique de la ville

M. Frédéric Marchand ; M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires.

assises de l'outre-mer

M. Stéphane Artano ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer ; M. Stéphane Artano.

logement social

M. Pascal Savoldelli ; M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires ; M. Pascal Savoldelli.

lutte contre la pauvreté

M. Yannick Vaugrenard ; M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement.

déserts médicaux

M. Daniel Chasseing ; M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires ; M. Daniel Chasseing.

notre-dame-des-landes

M. Christophe Priou ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Christophe Priou.

finances locales ultramarines

M. Georges Patient ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.

états généraux de l’alimentation

M. Pierre Cuypers ; M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Pierre Cuypers.

harcèlement

Mme Angèle Préville ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

7. Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Article 6 (nouveau)

Amendement n° 28 de M. Arnaud de Belenet. – Retrait.

Amendement n° 17 du Gouvernement. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 7 (nouveau)

Amendement n° 10 rectifié de Mme Colette Mélot. – Retrait.

Amendement n° 9 rectifié de Mme Colette Mélot. – Retrait.

Amendement n° 29 rectifié de M. Arnaud de Belenet. – Retrait.

Amendement n° 11 rectifié bis de Mme Colette Mélot. – Retrait.

Amendement n° 5 rectifié bis de Mme Colette Mélot. – Retrait.

Amendement n° 18 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article additionnel après l'article 7

Amendement n° 30 rectifié de M. Arnaud de Belenet. – Rejet.

Article 8 (nouveau)

Amendement n° 31 de M. Arnaud de Belenet. – Retrait.

Amendement n° 12 rectifié bis de Mme Colette Mélot. – Retrait.

Amendements identiques nos 2 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat et 19 du Gouvernement. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 32 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 9 (nouveau)

Amendement n° 6 rectifié bis de Mme Colette Mélot. – Retrait.

Amendement n° 20 du Gouvernement. – Rejet.

Amendements identiques nos 3 de M. Pierre-Yves Collombat et 21 du Gouvernement. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l’article.

Article 10 (nouveau)

Amendement n° 22 du Gouvernement. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 11 (nouveau)

Amendement n° 23 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 12 (nouveau) – Adoption.

Article 13 (nouveau)

Mme Anne-Catherine Loisier

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux

Amendement n° 24 du Gouvernement. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 14 (nouveau) – Adoption.

Article 15 (nouveau)

Amendement n° 25 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux

Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.

8. Ordre du jour

Nomination d’un membre d’une commission

compte rendu intégral

Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Françoise Gatel,

M. Guy-Dominique Kennel.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 11 octobre 2017 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Demande d’avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. Conformément aux articles 56 et 13 de la Constitution, M. le président du Sénat a saisi la commission des lois pour qu’elle procède à l’audition et émette un avis sur la nomination de Mme Dominique Lottin, qu’il envisage de nommer aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel, en remplacement de Mme Nicole Belloubet.

Acte est donné de cette communication.

3

Candidature à une commission

Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

Modifications de l’ordre du jour

Mme la présidente. Par lettre en date du 12 octobre 2017, M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste, a demandé l’inscription dans son espace réservé du jeudi 26 octobre d’un débat sur le thème : « Logement social : sur quels territoires, comment et pour qui demain ? ».

Ce débat sera inscrit, au sein de cet espace réservé, avant l’examen de la proposition de loi tendant à simplifier certaines obligations applicables aux collectivités territoriales dans le domaine du service public d’eau potable.

Le président du groupe Union Centriste a également demandé que la durée de la discussion générale sur cette proposition de loi soit réduite d’une heure à trente minutes.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

Par lettre en date de ce jour, M. Claude Malhuret, président du groupe République et Territoires/Les Indépendants, a demandé l’inscription de deux débats dans l’espace réservé à son groupe du mercredi 25 octobre, sur les thèmes suivants :

- L’intelligence artificielle, enjeux économiques et cadres légaux ;

- La participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives.

Les débats inscrits dans ces espaces réservés pourraient être organisés sous la forme de questions-réponses, selon le principe retenu par la conférence des présidents réunie le 5 octobre dernier.

L’organisation proposée par la conférence des présidents pourrait faire l’objet d’un ajustement. Le nombre de questions passerait de 17 à 21, avec la répartition suivante :

Les Républicains : 6 questions ;

Socialiste et républicain : 4 questions ;

Union Centriste : 3 questions ;

La République En Marche : 2 questions ;

Rassemblement Démocratique et Social Européen : 2 questions ;

Communiste républicain citoyen et écologiste : 2 questions ;

République et Territoires/Les Indépendants : 1 question ;

Non-inscrits : 1 question.

Si les non-inscrits n’utilisaient pas leur question, elle serait attribuée au groupe Les Républicains.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

Enfin, le Sénat ne siégerait pas le soir du mardi 31 octobre.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

En conséquence, l’ordre du jour des mercredi 25, jeudi 26 et mardi 31 octobre 2017 s’établit comme suit :

Mercredi 25 octobre 2017

De 14 h 30 à 18 h 30

(Ordre du jour réservé au groupe République et Territoires / Les Indépendants)

- Débat : « Intelligence artificielle, enjeux économiques et cadres légaux »

• Temps attribué au groupe République et Territoires / Les Indépendants : 10 minutes (y compris la réplique), puis réponse du Gouvernement

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 21 questions-réponses : 2 minutes maximum par orateur (y compris la réplique) avec possibilité d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 24 octobre à 15 heures

- Débat : « Participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives »

• Temps attribué au groupe République et Territoires/Les Indépendants : 10 minutes (y compris la réplique), puis réponse du Gouvernement

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 21 questions-réponses : 2 minutes maximum par orateur (y compris la réplique) avec possibilité d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 24 octobre à 15 heures

À 18 h 35

- Débat : « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité » (demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable)

• Temps attribué à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable : 10 minutes (y compris la réplique), puis réponse du Gouvernement

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 21 questions-réponses : 2 minutes maximum par orateur (y compris la réplique) avec possibilité d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 24 octobre à 15 heures

Jeudi 26 octobre 2017

À 15 heures

- Questions d'actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l'inscription des auteurs de questions : jeudi 26 octobre à 11 heures

De 16 h 15 à 20 h 15

(Ordre du jour réservé au groupe Union Centriste)

- Débat : « Logement social : sur quels territoires, comment et pour qui demain ? »

• Temps attribué au groupe Union Centriste : 10 minutes (y compris la réplique), puis réponse du Gouvernement

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 21 questions-réponses : 2 minutes maximum par orateur (y compris la réplique) avec possibilité d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 25 octobre à 15 heures

- Proposition de loi tendant à simplifier certaines obligations applicables aux collectivités territoriales dans le domaine du service public d'eau potable, présentée par MM. Bernard Delcros et René Vandierendonck et plusieurs de leurs collègues (n° 703, 2016-2017)

Ce texte a été envoyé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 18 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 23 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 25 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 30 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 25 octobre à 15 heures

Mardi 31 octobre 2017

À 14 h 30

- Éventuellement, suite de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice (n° 641, 2016-2017) et de la proposition de loi organique pour le redressement de la justice (n° 640, 2016-2017), présentées par M. Philippe Bas (demandes de la commission des lois et du groupe Les Républicains)

- Proposition de loi tendant à soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans leur mission d'accueil des gens du voyage, présentée par M. Jean-Claude Carle et plusieurs de ses collègues (n° 557, 2016-2017), en examen conjoint avec la proposition de loi visant à renforcer et rendre plus effectives les sanctions en cas d'installations illégales en réunion sur un terrain public ou privé, présentée par M. Loïc Hervé et plusieurs de ses collègues (n° 680, 2016-2017) (demande du groupe Les Républicains) (rapport commun)

Ces textes ont été envoyés à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 23 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 25 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 30 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 31 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 30 octobre à 15 heures

À 16 h 45

- Questions d'actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l'inscription des auteurs de questions : mardi 31 octobre à 12 h 30

À 17 h 45

- Suite de la proposition de loi tendant à soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans leur mission d'accueil des gens du voyage, présentée par M. Jean-Claude Carle et plusieurs de ses collègues (n° 557, 2016-2017) (demande du groupe Les Républicains), en examen conjoint avec la proposition de loi visant à renforcer et rendre plus effectives les sanctions en cas d'installations illégales en réunion sur un terrain public ou privé, présentée par M. Loïc Hervé et plusieurs de ses collègues (n° 680, 2016-2017)

5

 
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Discussion générale (suite)

Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (projet n° 578 [2016-2017], texte de la commission n° 23, rapport n° 22).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec grand plaisir que je viens devant vous pour évoquer l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, qui a permis à la France de se doter enfin d’un droit des obligations modernisé, accessible et attractif. Le Gouvernement vous propose de ratifier explicitement ce texte, comme l’engagement en avait été pris en 2015, alors même que votre assemblée avait exprimé clairement et fermement son opposition au principe de l’habilitation.

Je ne reviendrai pas sur ce débat, qui est maintenant derrière nous. Je crois en effet que, au-delà des questions de méthode, nous pouvons nous accorder pour affirmer que cette réforme historique, entrée en vigueur depuis un an maintenant, était devenue urgente et indispensable. En effet, alors que des pans entiers de notre code civil avaient été rénovés au cours des décennies précédentes, notamment dans le domaine du droit de la famille, que des pays qui s’étaient pourtant autrefois inspirés du code Napoléon s’étaient depuis affranchis de ce modèle, jugé trop ancien pour demeurer source d’inspiration, et n’avaient pas attendu pour réformer leur propre droit des obligations, le droit français des obligations était, lui, toujours régi par des dispositions inchangées depuis 1804.

Depuis ce constat, formulé à l’occasion du bicentenaire du code civil, en 2004, ni le principe ni l’urgence de la réforme n’avaient été remis en cause. Pourtant, rien n’avait été fait ; aucun processus législatif n’avait été enclenché. L’habilitation accordée au Gouvernement en 2015 a permis de mener cette réforme dans des conditions de publicité tout à fait exemplaires, que je veux rappeler aujourd'hui devant vous.

L’avant-projet d’ordonnance a été transmis aux présidents de la commission des lois de chaque assemblée au moment du débat de 2015. Ce texte s’appuyait sur des travaux menés sous l’égide des professeurs Catala et Terré, qui avaient étudié ces sujets pendant plus de cinq ans, entre 2005 et 2011. Ces projets doctrinaux s’étaient par ailleurs enrichis des apports des professionnels du droit et des acteurs économiques.

Dès le vote de l’habilitation acquis – en 2015 –, la Chancellerie a rendu public un projet d’ordonnance, qui a alors été soumis à une très vaste consultation publique, d’une part, sur le site internet du ministère et, d’autre part, adressée directement aux administrations concernées, aux représentants des professions du droit, des milieux économiques ainsi qu’aux universitaires. Cette large consultation, qui a été ouverte pendant plus de deux mois, a permis de recueillir près de 300 contributions, représentant plus de 3 200 pages, émanant d’universitaires, de praticiens, de représentants des entreprises. Chacune de ces pages a été lue et analysée par la direction des affaires civiles et du sceau, que je remercie du travail qu’elle a effectué. De très nombreuses réunions de travail ont été organisées avec l’ensemble des parties intéressées, afin de leur soumettre les modifications envisagées à la suite de cette consultation publique.

L’ordonnance, qui a été publiée le 10 février 2016, n’est donc pas une œuvre élaborée dans le secret d’un bureau ministériel, ce qui n’aurait pas été acceptable. Elle est bien le résultat d’un dialogue fructueux et d’une collaboration importante.

Le seul examen comparé de l’avant-projet d’ordonnance et de l’ordonnance qui a finalement été publiée révèle l’attention portée par le Gouvernement aux critiques et aux propositions formulées dans le cadre de cette consultation. De nombreuses améliorations ont en effet été apportées au texte à la suite de celle-ci : certaines d’ordre technique, d’autres en réponse à des inquiétudes légitimes, manifestées notamment par les acteurs économiques. C’est ainsi que le champ d’application de la prohibition des clauses abusives a été restreint aux contrats d’adhésion, qu’un critère tenant à l’avantage manifestement excessif a été ajouté à la définition de l’abus de dépendance ou encore que le mécanisme de la subrogation conventionnelle a été réintroduit.

La publication de l’ordonnance sur le droit des contrats a par ailleurs été accompagnée de la publication d’un rapport de présentation au Président de la République particulièrement substantiel, de plus de 50 pages. Ce rapport constitue un remarquable outil pour éclairer le juge comme la doctrine sur les intentions du Gouvernement lors de l’élaboration de l’ordonnance et forme, depuis l’entrée en vigueur de ce texte, un guide précieux pour les praticiens.

Il aura ainsi fallu attendre près de douze années entre le lancement des travaux à l’occasion des cérémonies du bicentenaire du code civil et la publication de l’ordonnance du 10 février 2016. Comme je viens de le rappeler, ces douze années ont été particulièrement riches de contributions académiques, de réflexions, d’échanges nourris avec les acteurs économiques et les professionnels du droit. Cette méthode a entraîné l’organisation de multiples consultations et débats.

L’ordonnance, qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2016, ne constitue donc pas une révolution. Elle est le fruit né progressivement et collectivement d’un travail incessant de collaboration avec les praticiens, qui ont tous eu, à tous les stades de l’élaboration du texte, l’oreille attentive de la Chancellerie.

Cette méthode de concertation, qui a été saluée par tous, a permis de mener à bien cette réforme dans le respect du double objectif fixé par la loi d’habilitation : satisfaire à l’objectif constitutionnel d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ainsi que rendre le droit plus efficace et plus attractif, sans sacrifier l’intérêt des parties les plus faibles.

L’ordonnance consiste avant tout, et c’est le premier objectif, en une œuvre de codification de la jurisprudence. Cette jurisprudence, remarquable et abondante, s’était développée depuis deux siècles pour combler les silences du code civil ou adapter un texte devenu trop ancien aux exigences de notre société contemporaine. Par essence fluctuantes, et donc source d’insécurité juridique, ces solutions jurisprudentielles largement admises ont été inscrites dans le code civil par le texte de l’ordonnance, pour plus de prévisibilité.

L’accessibilité du droit civil a également été renforcée par l’adoption d’un plan plus clair, par un vocabulaire rénové et par des formulations plus simples, sans sacrifier à la tradition très française de concision et de clarté du code civil, indispensables à sa pérennité.

Le second objectif était le renforcement de l’efficacité et de l’attractivité du droit français. De fait, ce droit des contrats rénové réaffirmera – du moins est-il permis de l’espérer – la capacité de la France à servir de modèle en la matière. Les parties aux contrats internationaux, qui peuvent choisir la loi applicable à leurs relations, pourront désormais s’en saisir pleinement.

Dans cette perspective, au-delà de l’abandon formel de la notion de « cause », incomprise de nos partenaires européens notamment, l’ordonnance consacre dans la loi certains mécanismes issus de la pratique, tels que la cession de contrat ou la cession de dette.

L’ordonnance simplifie également d’autres dispositifs, afin d’en rendre l’utilisation plus aisée. Ainsi en est-il des formalités nécessaires à l’opposabilité de la cession de créance, assouplies en réponse aux besoins nés de la pratique.

Dans le souci de limiter le contentieux, l’ordonnance développe les remèdes unilatéraux à la disposition du créancier dans le cas d’une obligation inexécutée, pour lui permettre de réagir rapidement en cas d’inexécution. Ces remèdes lui permettent, sans avoir à attendre l’issue d’un procès, d’éviter une perte de temps et d’argent qui peut être préjudiciable à la poursuite de son activité économique.

Des solutions innovantes sont par ailleurs proposées à celui qui s’apprête à conclure un contrat ou à celui qui l’a déjà conclu, à l’image des actions interrogatoires qui lui permettent de mettre fin à une situation d’incertitude juridique, telle qu’un risque de nullité, en mettant en demeure un tiers ou son cocontractant de prendre position sur cette situation dans un certain délai.

Renforcer l’attractivité de notre droit n’impliquait pas pour autant de renoncer à nos valeurs traditionnelles et humanistes. Le texte propose à cet égard des instruments garants de la justice contractuelle, protecteurs de la partie faible, tout en étant efficaces et adaptés aux exigences de l’économie de marché.

Au-delà de la consécration générale du principe de bonne foi, l’ordonnance sanctionne ainsi l’exploitation abusive d’une situation de dépendance par un contractant ou les clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, comme cela existe déjà dans les contrats de consommation notamment. Enfin est introduite la révision du contrat pour imprévision, qui permet l’adaptation du contrat dont l’exécution est rendue excessivement difficile pour l’une des parties du fait d’un changement de circonstances indépendant de la volonté des parties.

L’ordonnance, qui a intégré notre régime juridique depuis le 1er octobre 2016 et qui a nécessité un très important effort d’adaptation de la part des praticiens, est aujourd’hui soumise pour ratification à votre assemblée. Si son entrée en vigueur est encore trop récente – elle date d’à peine un an – pour permettre d’en apprécier, en pratique, l’incidence sur le contentieux, l’équilibre semble aujourd'hui atteint entre la modernisation nécessaire et le maintien des grands principes fondateurs de notre droit des contrats.

Ainsi que la garde des sceaux d’alors s’y était engagée devant la Haute Assemblée, un projet de loi de ratification autonome a été déposé par le Gouvernement. Ce texte est inscrit à l’ordre du jour des travaux du Sénat d’aujourd'hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette ratification s’impose. Elle s’impose en raison de la confiance accordée par le Parlement pour mener à bien cette réforme substantielle et historique – je crois que le mot n’est pas trop fort même si l’objet du texte est juridique –, qui porte sur plus de 300 articles de notre code civil, socle des échanges économiques pour le simple particulier comme pour la grande entreprise ou encore pour la très petite entreprise qui ne dispose pas de service juridique. Mais cette ratification est aussi un exercice qui suppose un « grand esprit de responsabilité », comme l’a affirmé très justement votre rapporteur, M. François Pillet.

Le texte est en vigueur depuis le 1er octobre 2016 et s’applique aux seuls contrats conclus depuis cette date. Cette réforme a rendu nécessaire un important travail de mise en œuvre, en particulier de la part des professions du droit et des entreprises, qui ont dû adapter leurs pratiques. C’est pour prendre en compte ces considérations que le Gouvernement avait d’ailleurs prévu une entrée en vigueur des nouvelles dispositions différée au 1er octobre 2016.

Nous sommes donc aujourd’hui face à un enjeu puissant en termes de stabilité de notre droit.

Par des modifications substantielles du texte de l’ordonnance, nous prendrions un risque, celui de créer un nouveau droit transitoire, ce qui s’avérerait néfaste sur le plan de la lisibilité et de la sécurité juridique. En renvoyant une image d’instabilité, l’attractivité du droit français, qui est pourtant un objectif de la réforme, se trouverait gravement compromise.

Je souhaite, à cet égard, rendre hommage à l’état d’esprit qui a présidé au travail de votre commission des lois et de son rapporteur. En effet, le texte dont nous allons discuter démontre, si besoin était, que nous avons en partage, monsieur le rapporteur, l’impérieuse nécessité de préserver cette sécurité juridique. Sur certains points qui ne modifient ni le sens ni même l’esprit des textes, la commission a effectué des choix. Le Gouvernement proposera de revenir sur certains d’entre eux, dans un seul but, celui de préserver l’ordre juridique établi depuis un an maintenant et de ne pas créer, je me répète, un nouveau droit transitoire.

La majeure partie des observations formulées par les commentateurs, extrêmement nombreux, qui ont écrit depuis la publication de l’ordonnance relèvent souvent de l’interprétation des textes. À cet égard, je forme le vœu que les débats qui s’ouvrent maintenant sur cette réforme permettent au Gouvernement d’éclairer son intention et contribuent à résoudre les difficultés d’interprétation éventuelles, sans qu’il soit pour autant nécessaire de modifier substantiellement le texte.

Pour conclure, je nous convie collectivement à la prudence et à la prévoyance de Portalis, qui, dans son discours de présentation du code civil, nous mettait en garde : « Il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux ; qu’en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers de la correction même ; qu’il serait absurde de se livrer à des idées absolues de perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles que d’une bonté relative ; qu’au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer ».

M. Marc-Philippe Daubresse. Je ne vous le fais pas dire…

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est une étape historique dans l’adaptation de notre droit aux réalités du monde contemporain. Quand bien même elle n’atteindrait pas, aux yeux des plus sévères d’entre nous, un idéal de perfection, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, par les débats qui vont s’ouvrir, à lui donner la valeur politique et symbolique que seule sa ratification peut lui conférer. Vous la ferez ainsi mieux connaître et, qui sait, peut-être même mieux aimer de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi de ratification que nous examinons cet après-midi concerne une ordonnance qui a réformé en profondeur le droit des contrats, le régime général des obligations et le régime de la preuve des obligations.

Le Sénat s’était opposé à ce qu’il soit procédé par ordonnance, certainement par principe, mais aussi beaucoup, en l’espèce, parce que, comme l’avait souligné notre collègue Thani Mohamed Soilihi dans son rapport, s’agissant de « l’équilibre à retenir entre l’impératif de justice dans le contrat, qui peut justifier une plus grande intervention du juge, ou une modification des termes du contrat, et celui qui s’attache à l’autonomie contractuelle et à la sécurité juridique du contrat, qui peut justifier qu’une partie reste tenue par ces engagements même s’ils lui deviennent défavorables […], la réforme du droit des obligations pose des questions politiques majeures, qu’il revient au seul Parlement de trancher ».

Nous le pensons encore, et notre attitude restera la même face à la pratique des lois d’habilitation, même si, madame la garde des sceaux, dans le cas présent, le travail est indéniablement de qualité.

Le régime de l’imprévision ou la sanction des clauses abusives, le renforcement de l’unilatéralisme ou l’accroissement du rôle du juge sont bien des choix politiques, dont le Parlement a été privé, au prétexte que cette réforme était essentiellement technique, ce qui est faux. J’ajoute que le régime de l’imprévision va au-delà, me semble-t-il, de ce qui figurait dans l’habilitation. Mais passons…

Nous nous accordions tous à penser que cette réforme était absolument nécessaire. Il a fallu une décennie de réflexion française, aiguillonnée par des tentatives inabouties d’harmonisation européenne, deux piliers doctrinaux – l’avant-projet Catala et l’avant-projet Terré –, de multiples interprétations et constructions jurisprudentielles, un avant-projet de réforme publié par le ministère de la justice en 2008, puis en 2011, une consultation publique, en 2015, plus de 300 contributions adressées à la Chancellerie et, récemment, outre une gamme très large d’auditions, une consultation par la commission des lois de l’ensemble des professions, juridictions, universitaires et organismes intéressés, pour restaurer un droit défraîchi et corriger une situation où « le droit n’était plus dans le code ».

Sous quelques réserves tenant, en quelque sorte, aux « droits acquis » en raison de l’application aux contrats antérieurs des dispositions du code civil antérieures à l’ordonnance et à sa ratification, le Conseil constitutionnel nous laisse la possibilité d’exercer l’intégralité de nos pouvoirs de législateur.

Parce que c’est une réforme attendue globalement et largement approuvée, le Sénat ratifiera l’ordonnance. Parce que nous sommes en présence d’une ordonnance entrée en application et qu’il serait irresponsable, dans l’histoire de l’évolution de nos règles juridiques, de créer, pour une période d’un peu plus de douze mois, un granule de droit mort-né, le Sénat ne proposera pas une réforme de la réforme. Nous avons accepté de respecter les grands choix opérés par l’ordonnance, par exemple la suppression de la cause.

Le Sénat ratifiera donc l’ordonnance en faisant siens les deux objectifs du Gouvernement : renforcer, d’une part, la sécurité juridique du droit des contrats, en améliorant la lisibilité et l’accessibilité de celui-ci, et, d’autre part, l’attractivité du droit français, du point de vue strictement économique – à l’égard des entreprises –, mais également en termes d’influence du système juridique français à l’étranger. Le premier de ces objectifs est essentiel à nos yeux, l’atteinte du second étant impossible à vérifier tant l’attractivité du droit ne semble pas dépendre de facteurs étroitement juridiques, une entreprise choisissant rarement un droit en fonction uniquement de sa qualité intrinsèque.

Restent certaines incertitudes sur l’interprétation qui pourrait être faite de dispositions qui, sur le fond, ne suscitent pas de critiques fortes ni dirimantes.

Restent également des doutes sur la portée de règles contenues dans la réforme.

Restent, enfin, des corrections nécessaires pour une plus parfaite cohésion de nos qualifications juridiques et des pouvoirs dévolus au juge dans notre droit des obligations et des contrats.

Pour les premières, hors quelques affinements rédactionnels qui ne posent pas de difficulté, la commission des lois propose au Sénat d’expliciter clairement et expressément l’interprétation qui doit être donnée de textes qui pourraient éventuellement susciter des hésitations jurisprudentielles et d’incontournables lois interprétatives. Le Sénat invite ainsi, dans ces hypothèses particulières, à attacher un respect scrupuleux à ses travaux préparatoires, qui sont source de droit. La commission des lois a validé toutes les interprétations qui figurent dans mon rapport : j’invite les praticiens et les juges à s’y référer. Par exemple, nous affirmons clairement que l’article 1171 du code civil sur les clauses abusives ne peut pas s’appliquer dans les champs déjà couverts par le droit de la consommation ou le droit des pratiques commerciales restrictives.

Pour les deuxièmes, concernant, par exemple, la capacité des personnes physiques ou morales ou l’application de la loi dans le temps, les amendements retenus par la commission des lois qui ont été incorporés dans le texte soumis ce jour à nos débats apportent des précisions nécessaires sans bouleverser l’objectif du texte ou son architecture.

Pour les dernières, je veux bien admettre que la discussion puisse être un peu plus ample, car il s’agit, par exemple, de définir avec précision le contrat de gré à gré et le contrat d’adhésion, afin d’éviter les incertitudes, voire les contradictions qui ont été quasi unanimement soulevées lors des auditions auxquelles j’ai procédé. Il s’agit, par exemple, d’encadrer les pouvoirs du juge face à des relations contractuelles bouleversées par un événement imprévisible, lequel, avant octobre 2016, n’aurait pas été un moyen pour échapper aux obligations contractuelles ayant dicté la loi des parties. Nous entendrons tout à l'heure les débats que suscitent ces différents points, au cours de l’examen des amendements.

Madame la garde des sceaux, nos débats restent très ouverts puisqu’ils portent finalement sur peu de questions – dix – au regard des 300 articles concernés par la réforme. Mais il s’agit de points sur lesquels les critiques de la part des juristes professionnels, des juges, de la doctrine sont quasi unanimes. La commission des lois en a tenu compte pour parfaire une réforme dont je répète qu’elle a été bien menée. Nous pouvons sans difficulté la parachever ensemble.

Notons, en conclusion, pour nous en souvenir, que cette tâche aurait été définitivement plus aisée s’il avait été définitivement renoncé à la mise en application d’ordonnances avant leur ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe République et Territoires/Les Indépendants et du groupe La République En Marche.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je ne saurais commencer mon propos sans saluer non seulement le travail approfondi, mais aussi l’effort de synthèse particulièrement éclairant réalisés par notre rapporteur ; sans rappeler non plus que nous continuons à penser que réformer le code civil doit d’abord être l’affaire du Parlement, avant d’être celle des fonctionnaires du ministère de la justice, aussi brillants et consciencieux soient-ils.

Cela dit, ce n’est pas principalement la procédure des ordonnances qui est critiquable en soi – tous les correctifs sont en effet possibles au moment de leur ratification –, c’est leur mise en application avant ratification, qui crée un droit spécifique à cette période de transition et bride d’autant la liberté de manœuvre du législateur. Législateur qui, pour éviter – avec raison – cette complication supplémentaire, en tient compte au moment de la ratification. Il ne faudrait pas, cependant, que ces retards dans la ratification des ordonnances deviennent un moyen de pression sur le Parlement. Comment dit-on déjà ?... Ah oui, « Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes » !

Mme Nathalie Goulet. Nemo auditur

M. Pierre-Yves Collombat. Cela rappelé, notre groupe considère que ce texte atteint au moins deux de ses objectifs.

Le premier : rendre le droit des obligations plus lisible et plus accessible, en y intégrant une foisonnante jurisprudence.

Le deuxième : renforcer la protection de la partie faible en introduisant la notion de bonne foi à toutes les étapes de la conclusion du contrat et celle de vice du consentement pour tenir compte de la violence de la vie économique ; en corrigeant les éventuels déséquilibres entre les parties ; et en consacrant le devoir général d’information.

Notre groupe ne voit donc aucune raison de s’opposer à cette révision.

Quant au troisième objectif – rendre notre droit plus attractif en adaptant le code civil aux besoins de l’activité économique, affichage désormais obligatoire de la France start-up –, il me laisse rêveur. D’abord, parce qu’un droit qui chercherait à être « attractif » pour l’une des parties le serait forcément, me semble-t-il, au détriment de l’autre. Ce serait contraire au but de la réforme. Ensuite, parce que tout le monde, y compris des chefs d’entreprise anglo-saxons, ne partage pas ce dédain pour notre droit. Il m’est arrivé de lire des témoignages de chefs d’entreprise anglo-saxons vantant la prévisibilité des jugements dans notre pays, par opposition au caractère plus aléatoire qu’ils peuvent revêtir dans le leur.

Nous approuvons aussi la plupart des modifications apportées par notre rapporteur au texte initial, à l’exception de quelques-unes.

Nous sommes principalement en désaccord avec la suppression du pouvoir de révision du contrat par le juge dans le cadre du nouveau régime de l’imprévision prévu à l’article 1195 du code civil, au motif qu’ainsi le juge deviendrait quasiment une troisième partie au contrat. Cela nous semble un jugement pour le moins excessif et surtout en contradiction avec l’esprit général de la révision, qui est d’éviter les déséquilibres entre les parties. On peut penser, en l’espèce, au déséquilibre créé par un changement imprévisible de la situation, lequel pénalise une des parties seulement.

Il ne nous paraît pas non plus opportun de modifier la rédaction du premier alinéa de l’article 1223. La rédaction actuelle, qui dispose que « le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix », nous paraît plus souple et tout aussi équitable que celle proposée par notre rapporteur.

Enfin, restreindre la notion de dépendance en la qualifiant d’« économique » ne nous paraît pas non plus un choix judicieux.

Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des amendements que ces observations ont suscités.

Réviser intelligemment le code civil n’est cependant qu’un préalable. Reste à appliquer cette révision, qui suscitera inévitablement une période de flottement, et donc probablement un surcroît de contentieux, et qui demandera que les juges civilistes dégagent suffisamment de temps pour s’approprier toutes ces nouveautés.

Je ne ferai, pour terminer, que reprendre les observations de l’Union syndicale des magistrats en conclusion de la note qu’elle consacre au présent projet de réforme, attirant une fois encore « l’attention de la Chancellerie sur le nombre inégalé de vacances de postes de magistrats, sur la surcharge généralisée des collègues, sur l’impossibilité d’absorber à moyens constants des nouvelles tâches et sur l’absolue nécessité d’inclure dans le calcul des ETP les temps consacrés à l’étude des modifications législatives ». Comment ne pas s’associer à ces propos ? Je donne donc rendez-vous au Gouvernement au projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Alain Richard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à la suite des inquiétudes exprimées par certains chefs d’entreprise, la délégation aux entreprises du Sénat avait souhaité, dès septembre 2016, être associée aux travaux de la commission des lois sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance de février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. J’ai été chargée, par la délégation, d’examiner l’impact de cette ordonnance sur les entreprises.

Si je m’exprime au nom du groupe Union Centriste, mes propos s’appuieront donc largement sur les auditions auxquelles j’ai pu participer avec le rapporteur de la commission des lois, François Pillet, que je remercie pour son accueil et pour le grand intérêt, et même l’enrichissement, que j’ai trouvé à ces entretiens.

Je voudrais avant toutes choses rappeler, à mon tour, quelques points de contexte.

Cette réforme était largement attendue par l’ensemble des acteurs du droit, mais aussi du monde économique. Dès 2006, la chambre de commerce et d’industrie de Paris souhaitait cette modernisation, « à l’heure où le droit constitue non seulement un outil de régulation des échanges, mais aussi un facteur de compétitivité économique ». En 2008, elle indiquait à nouveau : « L’enjeu [de la] modernisation [du droit des contrats] ne se situe pas seulement sur un plan strictement juridique, mais s’appréhende également en termes de compétitivité de notre système juridique et d’attractivité de notre territoire. » Elle concluait : « L’impact et les retombées économiques attendus d’une telle réforme sont loin d’être négligeables. » Le rapport accompagnant l’ordonnance souligne fortement la notion d’efficacité économique du droit.

Je voudrais également évoquer la marge « limitée » des pouvoirs du législateur pour modifier une ordonnance déjà entrée en vigueur. L’exercice n’était pas simple pour notre rapporteur, puisqu’il s’agissait d’éviter une nouvelle source d’insécurité juridique, un troisième droit transitoire, tant redouté des entreprises françaises, qui ne cessent de réclamer une plus grande stabilité du droit.

Lors de ces auditions, l’ensemble des intervenants ont largement salué cette réforme. Le MEDEF a souligné l’intérêt de renforcer la sécurité juridique et de tendre à un plus juste équilibre entre la modernisation du droit français et le maintien de ses principes fondamentaux que sont la liberté contractuelle, la force obligatoire du contrat et son effet relatif.

Le Haut Comité juridique de la place financière de Paris a rendu le 10 mai dernier un rapport, rédigé sous la présidence de Guy Canivet, soulignant la contribution de cette réforme à l’attractivité du droit français.

Les auditions ont toutefois montré que le texte de cette ordonnance était entaché d’imperfections incontestables et manifestes, que notre rapporteur a mises en évidence et dont la plupart ont été reconnues par la Chancellerie.

Le groupe Union Centriste partage les propositions d’interprétation des dispositions du code civil issues de l’ordonnance, tout comme les amendements adoptés en commission. Ces propositions permettront véritablement de clarifier le sens de la loi.

Certains commentaires faisaient craindre un pouvoir exorbitant d’interprétation accordé au juge. Pour ma part, paradoxalement, j’ai été frappée par l’appel incessant des universitaires, mais également des magistrats, à préciser lors de nos débats ces notions et dispositions floues, afin d’éclairer leurs interprétations et d’éviter d’éventuels préjudices aux entreprises.

L’approche retenue par M. le rapporteur clarifie l’articulation entre droit commun et droit spécial, notamment en matière de clauses abusives. Ainsi, l’article 1171 du code civil ne doit pas, selon nous, s’appliquer dans les champs déjà couverts par des articles du code du commerce ou du code de la consommation. Elle précise les modalités de l’application de la loi dans le temps, notamment pour les contrats renouvelés et les contrats prorogés. L’amendement tendant à modifier l’article 9 complète cette précision, en affirmant l’impératif de survie de la loi ancienne, pour les contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.

L’article 1195 du code civil a également été modifié. En privant le juge de son nouveau pouvoir de révision du contrat, la commission des lois met fin à une incertitude préjudiciable tant à la vie des entreprises qu’au droit français, lequel risquait d’être écarté en raison de l’aléa économique qu’entraînait cette disposition. Ainsi, les parties pourront toujours demander d’un commun accord au juge d’adapter le contrat. À défaut d’accord, ce dernier pourra y mettre fin.

Un mot sur la modification de l’article 1343-3, qui limite le paiement en devises internationales aux seuls cas prévus par des contrats internationaux ou des jugements étrangers. La modification opérée par la commission des lois répond aux interrogations des acteurs économiques. J’interviendrai au cours de l’examen des amendements pour évoquer le risque que représente aujourd’hui l’extraterritorialité du droit américain, par exemple.

Vous le comprenez, mes chers collègues, l’objectif de sécurité juridique pour nos entreprises a requis de trouver un subtil équilibre : il a fallu préserver la stabilité d’un texte déjà en vigueur et procéder aux nécessaires clarifications attendues par les professionnels du droit. Le texte de la commission des lois, produit grâce aux travaux de François Pillet, permet de réaliser cette sage synthèse.

Je voudrais, pour terminer, revenir sur l’efficience de notre action, madame la garde des sceaux, qu’elle soit gouvernementale ou parlementaire, et sur la procédure choisie par le Gouvernement. Il n’est pas acceptable que le Parlement soit saisi d’un projet de loi de ratification d’une ordonnance un an après son entrée en vigueur. On le voit bien, dans l’intérêt des entreprises et des acteurs du droit, ce débat aurait dû se tenir en amont. Nous comptons donc sur le Gouvernement pour bâtir, à l’avenir, une stratégie plus constructive et respectueuse des missions confiées à chacun par les Français. Contourner le Parlement, on le voit dans ce cas précis, c’est créer une situation d’insécurité et donc de fragilité juridiques.

Dans sa sagesse, le Sénat, propose une ratification qui va dans le sens des intérêts des entreprises et du droit français. Nous espérons toutefois que cette méthode du « passage en force » ne se renouvellera pas et que nous pourrons engager, notamment sur le dossier du régime de la responsabilité contractuelle, un travail législatif sérieux et partagé.

Le groupe Union Centriste demeure attentif aux réalités et aux besoins des acteurs économiques de notre pays, notamment des petites et moyennes entreprises, les moins adaptées face aux bouleversements juridiques induits par cette réforme du droit des contrats. Nous serons vigilants aux retours émanant du terrain, aux effets collatéraux, voire aux bugs législatifs que cette réforme pourrait révéler dans les prochains mois. Nous suivrons les effets internationaux de cette réforme, au regard des objectifs affichés d’attractivité et de compétitivité du droit français, mais également ses conséquences sur la perméabilité de notre droit, dans un contexte où l’extraterritorialité du droit américain pose problème. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Alain Richard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Madame la garde des sceaux, finalement, le Sénat va se montrer bon enfant à l’égard du Gouvernement, alors qu’il n’était pas favorable au transfert de ses compétences par une loi d’habilitation prévue par la loi du 16 février 2015. Même si un travail considérable a été fait sur ce texte par les juristes, les membres du cabinet de votre prédécesseur, ainsi que par différentes directions de la Chancellerie, notamment la direction des affaires civiles, que je salue, le Sénat aurait très bien pu décider de modifier de très nombreuses dispositions. Dans sa grande sagesse, sous le regard de Portalis, le rapporteur n’a pas choisi cette voie.

Il faut dire que, depuis lors, vous l’aurez noté, des choses ont changé. Le rapporteur de l’époque, M. Thani Mohamed Soilihi, alors totalement opposé au projet de loi d’habilitation, est entre-temps devenu Marcheur. Il a estimé que l’habilitation à légiférer par ordonnances en matière de droit du travail était possible... Même au sein de l’hémicycle, des positions ont évolué. Ceci explique sans doute cela.

Pourtant, à regarder l’histoire du code civil, on mesure à quel point il a considérablement bougé, grâce à des lois spécifiques. Le texte de 1804 n’est plus celui qui régit le droit du travail, alors qu’il le régissait encore à la fin du XIXsiècle, dans les conditions que l’on connaît. Il ne régit plus les locations d’habitation ou les baux commerciaux. Il a bien fallu que le législateur intervienne pour offrir plus de protections.

Nous ne devons certes pas bouleverser l’équilibre du texte qui est soumis à ratification aujourd’hui. Les commentateurs juridiques se l’étant déjà approprié, ils comprendraient mal que nous décidions de le trop modifier ; ils pourraient même critiquer l’attitude du Sénat.

Le travail fait sur ce texte mérite d’ailleurs d’être salué. Il est le fruit de dix années de réflexion des techniciens, des spécialistes, des juristes, mais aussi des professionnels concernés : chambres de commerce, MEDEF et autres, qui ont été interrogés. Il fait la compilation de ce que la jurisprudence a construit depuis de nombreuses années. Cette clarification était attendue. Le gouvernement qui a précédé celui auquel vous appartenez, madame la garde des sceaux, a eu le courage de lancer ce chantier et de le mener à bien. On peut lui reprocher de ne pas être venu devant le Sénat avant, mais c’était probablement pour vous laisser l’occasion de le faire. (Sourires.)

L’évolution proposée par le présent texte repose aussi sur l’abandon de certains concepts. Pour les civilistes, la distinction subtile entre l’objet et la cause du contrat était devenue à peu près impraticable et difficilement explicable à nos étudiants en cours de droit. L’abandonner est une bonne chose, même si certains éprouveront peut-être une forme de nostalgie à son endroit.

En revanche, les principes affirmés dans le texte restent nécessaires et fondamentaux.

Je pense à la notion de liberté contractuelle, ce qu’on appelait jadis l’autonomie de la volonté, qui doit rester, dans le domaine du droit des contrats, l’action principale.

Je pense aussi à la sécurité contractuelle, qui est très attendue par le monde économique : les dispositions écrites doivent être pérennes et trouver à s’appliquer.

Je pense enfin à un principe non négligeable, qui pourrait paraître aux yeux de certains un peu désuet, alors qu’on le retrouve dans d’autres droits européens : la bonne foi, autrement dit la loyauté contractuelle. Rappeler le principe de la bonne foi, le décliner dans différents textes sur l’exécution du contrat et parvenir à ce que les juges amenés à trancher des contentieux vérifient qu’il est respecté par les parties est important.

Il est regrettable que le Parlement n’ait pas plus travaillé sur le contenu de ce texte. Nous parlons beaucoup, ici, des enjeux économiques. Or le droit des obligations est fondamental dans le monde économique, qui a besoin de sécurité, d’efficacité – afin d’éviter les contentieux et les interprétations complexes –, mais aussi d’équité.

L’équité, en effet, ne concerne pas que la relation du faible au fort. Portalis en parlait déjà : l’équité suppose de s’intéresser à la manière dont un contrat est construit. Avec ce texte, apparaît enfin dans le code civil la notion de contrat d’adhésion, construite par la jurisprudence, mais avec une énorme frilosité. Il suffit de regarder les résolutions du Conseil de l’Europe de 1976 sur les clauses abusives pour se rendre compte du chemin qui reste à parcourir en la matière. Même les directives européennes ne nous ont pas aidés pour engager une lutte véritablement satisfaisante contre ces clauses.

Fort heureusement, l’introduction des contrats d’adhésion dans le code civil concernera aussi les petites entreprises, souvent confrontées à ces situations. Désormais, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. Pour celui qui rédige le contrat d’adhésion, cela entraîne une incertitude sur la fiabilité de son contrat. S’il veut que le contrat soit sûr, il a donc intérêt à ce qu’il soit équilibré.

Dans ce même domaine, l’ordonnance ouvre un champ nouveau en matière d’imprévisibilité. En cas d’événement mettant une des parties au contrat en difficulté par sa simple exécution, ou rendant l’exécution même du contrat difficile, quel doit être le rôle du juge ? Doit-il seulement, comme le propose notre rapporteur, constater qu’il n’y a pas d’accord entre les parties et prononcer la résolution du contrat ? Ou peut-il aller jusqu’à sa révision ? Il faut sans doute permettre d’aller jusqu’à la révision, parce que l’intérêt des parties est de réussir.

Si nous revenons aux dispositions prévues dans l’ordonnance, le juge, même si ce n’est pas simple, pourra jouer son rôle de conciliation. Il écoutera les parties et élaborera une solution. Permettre à l’une des parties de saisir le juge pour qu’il révise le contrat me paraît utile : il n’est pas forcément de l’intérêt des parties qu’il le résilie.

Vous l’aurez compris, madame la garde des sceaux, notre groupe, comme la majorité du Sénat, tout en regrettant l’habilitation de fait du présent texte depuis un an, respectera le travail fourni pour élaborer ce texte en l’approuvant pour l’essentiel. Notre ambition est d’éviter l’insécurité juridique pour les parties aux contrats soumis aux dispositions de cette ordonnance depuis le 1er octobre 2016.

Il faut savoir, néanmoins, que rien n’est terminé : les parlementaires auront fait leur travail, certes sous contrainte, mais la jurisprudence continuera à faire évoluer le droit, car les textes sont toujours sujets à interprétation. Les commentateurs auront encore du travail, et peut-être que le Sénat aussi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais, en préambule, reprendre une citation bien connue : « Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon code civil. » En formulant ces vœux d’éternité, Napoléon ne croyait pas si bien dire puisque, plus de deux cents ans après, l’héritage de son code civil est toujours là.

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a toutefois procédé à une refonte d’ampleur du code civil en consolidant, modernisant et clarifiant un droit défraîchi, sans pour autant le bouleverser ni constituer une rupture.

En 2015, le Sénat tout entier s’était opposé à ce que le Gouvernement procédât par ordonnance à la réforme la plus ambitieuse du code civil depuis 1804.

Il y a un an, le 1er octobre 2016, l’ordonnance est entrée en vigueur. Lors des travaux en commission, il est apparu particulièrement important de ne pas créer un droit intermédiaire, qui ne s’appliquerait qu’aux contrats passés entre octobre 2016 et la promulgation de la loi de ratification, afin d’éviter de faire coexister trois régimes juridiques simultanément. C’est pourquoi le rapporteur François Pillet a estimé qu’il fallait ratifier l’ordonnance sans modifications majeures. À l’avenir, il serait souhaitable que les ordonnances soient soumises à ratification avant leur entrée en vigueur. Il y va de la stabilité du droit.

Cette réforme de grande ampleur du droit des contrats et des obligations effectuée par ordonnance sera suivie d’une tout aussi grande réforme du droit de la responsabilité civile, qui fera, quant à elle, l’objet d’un projet de loi, ce dont on peut tous se féliciter.

Globalement, cette réforme du code civil affecte le droit des contrats sur deux points : elle codifie les acquis de la jurisprudence ; elle réorganise les dispositions du code en intégrant certaines innovations et en supprimant certaines notions.

Les consécrations et changements ainsi opérés par la réforme du droit des contrats sont particulièrement importants. On peut relever la disparition formelle de la cause, la sanction des clauses abusives dans les contrats d’adhésion, la violence par abus d’un état de dépendance, les demandes faites sous forme interrogatoire, le maintien du contrat comme sanction de sa mauvaise formation, l’intégration de la théorie de l’imprévision, l’exception pour inexécution à venir, la paralysie de l’exécution forcée en cas de disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier, la faculté de remplacement sans autorisation du juge, ou encore la modification de la hiérarchie des différents mécanismes de résolution pour inexécution.

Après avoir examiné le rapport de François Pillet sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016, la commission des lois a adopté quatorze amendements de clarification, de précision ou de mise en cohérence.

Ainsi, la commission a précisé la définition du contrat d’adhésion et le champ de la sanction des clauses abusives dans ces contrats, ainsi que les critères autorisant le paiement en devises sur le territoire français. Elle a mieux articulé les règles en matière de capacité et de représentation avec le droit des sociétés. Elle a supprimé le pouvoir de révision du contrat par le juge en cas de changement imprévisible de circonstances. Enfin, elle a affirmé clairement que cette loi nouvelle ne doit pas s’appliquer aux contrats conclus antérieurement.

Par ailleurs, la commission des lois a apporté un certain nombre de clarifications concernant notamment la distinction entre règles impératives et supplétives et l’articulation entre droit commun et droit spécial.

Avant de conclure, je souhaite remercier à cette tribune le rapporteur de ce texte. Le travail qu’il a accompli sur un texte aussi volumineux est colossal.

Cette réforme du code civil apparaissant nécessaire et la commission ayant apporté au texte les corrections de nature à répondre aux critiques les plus fondées et légitimes, le groupe République et Territoires/Les Indépendants votera en faveur de la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. (Applaudissements sur les travées du groupe République et Territoires/Les Indépendants. – M. Alain Richard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, lors de la publication de l’ordonnance du 10 février 2016, beaucoup ont rappelé le défi particulier de porter des modifications au code civil, un texte sanctuarisé en raison de la fierté qu’en tirait Napoléon, l’éminence de ses prestigieux auteurs et le poids des années écoulées. Pendant des siècles en effet le syndrome de la « main tremblante », moqué par Montesquieu, a tenu le livre III du code hors de portée du législateur. Il s’agit donc de féliciter ceux qui, à la suite du professeur Catala, se sont attelés à cette tâche fastidieuse et exigeante.

Une actualisation était nécessaire : l’évolution parallèle des droits de la consommation et de la concurrence, d’une part, et de la jurisprudence en matière civile, d’autre part, a généré un autre défaut dénoncé par l’auteur des Lettres persanes : « Quelques-uns ont affecté de se servir d’une autre langue que la vulgaire : chose absurde pour un faiseur de lois. Comment peut-on les observer, si elles ne sont pas connues ? »

De même, le maintien de règles éparses ou contestables, comme le sont les constructions jurisprudentielles, faisait obstacle à une application sereine du droit.

Cependant, si nous nous contentions de ratifier des ordonnances au seul motif qu’elles codifient à droit constant, sans analyser les règles dégagées par la jurisprudence ainsi érigées en loi ni se laisser la possibilité d’en débattre, nous manquerions à notre devoir de législateur.

Lors de notre examen du texte au sein du groupe du RDSE, nous avons veillé à ce que les modifications introduites ne s’éloignent pas de l’esprit de 1804, tel que résumé par Portalis lors de son discours préliminaire au premier projet de code civil : « Un homme qui traite avec un autre homme doit être attentif et sage ; il doit veiller à son intérêt, prendre les informations convenables, et ne pas négliger ce qui est utile. L’office de la loi est de nous protéger contre la fraude d’autrui, mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison. »

C’est pourquoi nous voyons d’un bon œil toute évolution tendant à situer l’individu contractant dans le champ de la rationalité plutôt que de la moralité, par essence évolutive. La promotion du principe de la liberté contractuelle et la suppression de la notion de bonnes mœurs comme limite à ce principe sont des évolutions essentielles. La liberté contractuelle en sort renforcée : seul s’impose à elle le respect de l’ordre public et des droits et libertés fondamentaux, réputés immuables.

L’effort d’actualisation est incontestable. Il se manifeste par la suppression des anachronismes, telles les notions de bonnes mœurs, que j’évoquais à l’instant, ou encore de gestion « en bon père de famille », leur utilité juridique n’étant plus évidente.

De la même façon sont insérés dans le livre III de nouveaux concepts adaptés à la transformation de la pratique contractuelle, tels les contrats d’adhésion ou les contrats conclus par voie électronique. Ils couvrent aujourd’hui une part substantielle des échanges économiques sur notre territoire : leur inscription au sein du code permet plusieurs clarifications, qui nous semblent aller dans le bon sens.

Il en est ainsi de la protection contre les clauses abusives d’un contrat d’adhésion, qui ne s’applique plus seulement aux consommateurs, mais à tous les souscripteurs de ce type de contrats, et des dispositions visant à insérer les règles relatives au contrat électronique dans le droit commun, plus de quinze ans après la directive européenne sur le commerce électronique.

Il faut à ce propos saluer le renforcement de la protection de la « partie faible », qui entérine et parfois même dépasse les équilibres jurisprudentiels existants. Nous considérons ainsi que l’introduction de la théorie de l’imprévision au sein du code civil permettra d’apaiser les relations contractuelles, en garantissant mieux l’équilibre financier du contrat.

La création d’un « devoir général d’information » procède de la même logique. Elle est conforme à l’esprit de 1804 que j’évoquais à l’instant. Protéger, c’est sanctionner la fraude, mais également la prévenir.

Bien entendu, on ne réécrit pas près de 300 articles sans créer quelques incertitudes, et certains ajustements seront peut-être nécessaires par la suite, en fonction de la portée donnée à telle ou telle disposition. Je pense notamment à la définition de la dépendance économique.

Dans l’ensemble, nous sommes très favorables à la ratification de cette ordonnance, qui modernise notre droit des contrats et des obligations, tout en intégrant dans le code civil une partie de l’acquis des droits des consommateurs.

À l’approche des débats budgétaires, nos inquiétudes sont ailleurs. Comme ceux qui l’ont précédé, ce gouvernement semble faire le pari que le renforcement de la sécurité juridique permettra à lui seul de réduire les recours au juge et de désengorger les tribunaux. La situation budgétaire de l’autorité judiciaire est pourtant devenue si critique qu’elle surgit en toute occasion et qu’elle est désormais présentée comme un obstacle à la mise en place de chaque réforme. Nous considérons qu’à l’avenir des moyens supplémentaires devraient être réservés pour accompagner l’adaptation des magistrats à de telles évolutions législatives, dans un souci de bonne administration de la justice.

Une fois exprimée cette réserve, les membres du groupe du RDSE voteront en faveur de la ratification de cette ordonnance. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, avec l’humilité qu’induit la jeunesse de mon mandat, je salue l’aboutissement, avec la proposition de ratification hautement responsable par notre assemblée, de cette réforme majeure et attendue du long processus de refonte du droit des contrats.

Ce texte, marqué par la ténacité de la Chancellerie et le travail considérable effectué ici, singulièrement par notre rapporteur François Pillet et notre collègue Thani Mohamed Soilihi, affirme notre tradition civiliste et répond aux questions de sécurité juridique – l’imprévisibilité, l’accessibilité, l’efficience –, de cohérence européenne et d’équilibre du droit des contrats. Je pense aussi à l’attractivité du droit français, du point de vue strictement économique des entreprises, mais aussi de l’influence du système juridique français à l’étranger. Toutefois, compte tenu d’une application encore récente, on tirerait vanité, à ce stade, à parler sans mesure d’une meilleure attractivité de notre droit des contrats.

Nonobstant cette incertitude, cette réforme est largement approuvée par les universitaires et les praticiens du droit. La nouvelle organisation des dispositions qui suivent la vie du contrat répond à un souci de lisibilité nécessaire. Une rédaction plus contemporaine améliore sans conteste la compréhension. La consécration de la liberté contractuelle, de la force obligatoire du contrat, du respect de l’ordre public et de la bonne foi garantit un cadre cohérent et clair.

Au-delà de la codification de la jurisprudence, le texte innove par plusieurs aspects, à commencer par la suppression de la cause du contrat. Il adapte notre droit à la réalité de l’expansion du numérique et apporte des précisions ou des consécrations utiles pour les acteurs économiques, notamment le champ de la capacité des personnes morales, ainsi que l’acquisition de contrats ou de cessions de dettes pour les entreprises.

Le travail mené au Sénat confirme la formule de Guy Carcassonne : « Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. » Sur le sujet particulièrement ardu et peu prospère politiquement qu’est le droit des contrats, la commission des lois a ainsi adopté plusieurs modifications d’une grande technicité et précision, visant à introduire des clarifications substantielles, voire essentielles. Je pense notamment à la clarification et à la bilatéralisation des définitions respectives du contrat de gré à gré et du contrat d’adhésion, à l’exclusion de la perte de chance des préjudices réparables, à la détermination du fameux délai raisonnable susceptible d’interprétations – nous sommes attachés aux deux mois en question –, à une plus grande cohérence du régime de la réticence dolosive et de celui de l’obligation d’information précontractuelle, et à la saisine du juge en cas de prix abusif, non seulement pour obtenir des dommages et intérêts venant indirectement réduire le montant du prix, mais aussi la résolution du contrat, pour couvrir l’hypothèse où l’exécution de celui-ci n’est pas achevée. Il s’est aussi agi de réduire l’aléa judiciaire introduit par l’ordonnance sur le contentieux de la réduction du prix.

Permettez-moi d’évoquer également le travail mené par le Sénat sur l’autorisation du paiement en monnaie étrangère d’une obligation de somme d’argent payée en France et l’application dans le temps de la loi, qui constitue une question essentielle.

Je note enfin l’affirmation par notre rapporteur d’un certain nombre de points, qui permettront au juge de ne pas laisser prospérer une jurisprudence controversée et multiple. Je pense en particulier à la définition de la confidentialité de l’information.

En conséquence, au regard de l’intégration des travaux conduits par notre assemblée, nous appellerons à la ratification responsable de cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe République et Territoires/Les Indépendants. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis ici pour débattre d’un projet ambitieux de réforme de notre droit civil, un projet nécessaire, qui est l’aboutissement d’une longue réflexion relative à l’adaptation de notre droit aux enjeux économiques contemporains.

Comme vous le savez, le droit des obligations que nous connaissons aujourd’hui est issu de la lettre du code civil, mais aussi d’une jurisprudence abondante, qui a fait grandement évoluer notre droit depuis 1804. Le droit des obligations repose en partie sur un vaste corpus de jurisprudence, alors même que notre droit est issu d’une tradition civiliste, aux règles écrites et codifiées. Cette particularité, source de grands travaux intellectuels et doctrinaux, rend délicates la lisibilité et la prévisibilité de notre droit, pourtant essentielles aux acteurs économiques. Une réforme était donc nécessaire.

Pour ce faire, la Chancellerie a publié en février 2015 un avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Soumis à contribution publique, il a suscité de très importantes réflexions. Il prend sa source dans les travaux de la doctrine en France et les projets d’harmonisation européenne du droit des contrats. L’objectif premier de ce projet de réforme, tel que présenté dans le rapport adressé au Président de la République, est de renforcer la sécurité juridique du droit des contrats.

Comme l’a indiqué notre rapporteur, cet objectif est primordial. Il est en grande partie atteint. En effet, la nouvelle rédaction ayant vocation à intégrer le code civil est plus claire et l’organisation du code plus didactique, ce qui renforce grandement sa lisibilité. Ainsi, un nouveau chapitre introductif rappelle clairement les principes directeurs du droit des contrats. Par ailleurs, la réforme vise à renforcer la cohérence de notre droit des contrats : en codifiant la jurisprudence de la Cour de cassation, les auteurs de cette réforme ont permis, en réalité, à l’intégralité du droit positif de rejoindre le code civil.

La réforme marque aussi une évolution majeure, en introduisant dans le code civil des innovations juridiques à la portée non négligeable. Je pense notamment à la théorie de l’imprévision, soit la possibilité pour le juge d’intervenir dans un contrat en cours, dans certaines conditions. Il s’agit aussi de la violence économique, nouveau vice du consentement, ou encore des nouvelles actions dites « interrogatoires », comme en matière de pacte de préférence ou d’action en nullité, qui permettent une meilleure information des parties.

La commission des lois du Sénat a choisi de ratifier cette ordonnance, laquelle a fait l’objet d’un bon accueil pour ce qui concerne la doctrine et les praticiens.

Toutefois, en dépit de la qualité générale de la rédaction, nous devons rappeler que ce processus de réforme du droit des obligations, tel qu’il s’achève aujourd’hui, est marqué par un certain mépris – je n’ose dire un mépris certain – du rôle du législateur. En effet, il faut rappeler l’opposition ferme du Sénat à la méthode des ordonnances, s’agissant en particulier de cette réforme. Lors de l’examen de l’habilitation demandée par le Gouvernement, le Sénat avait souligné l’importance d’un débat public sur une réforme de cette ampleur. Le choix de recourir à la méthode des ordonnances avait de fait grandement limité les possibilités de débat au sujet d’une réforme aux innombrables conséquences pour la vie économique du pays. On rappellera en outre qu’elle ne se borne pas à aborder des questions d’une grande technicité. Le droit des obligations soulève des interrogations d’ordre politique, telles que la tension entre un impératif de justice dans le contrat et le respect de l’autonomie des parties et, plus généralement, de la sécurité juridique des conventions.

Enfin, que dire du manque de cohérence s’agissant de la volonté du Gouvernement de disjoindre la réforme du droit des contrats de celle du droit de la responsabilité civile, pourtant inextricablement liées ?

Le choix de recourir à cette méthode dessert de toute évidence les objectifs de la réforme. La marge de manœuvre du Sénat pour modifier les dispositions issues de l’ordonnance est plus que limitée. Comment remettre en cause les fondements d’un texte auquel les praticiens se sont préparés et, désormais, adaptés ? Notre assemblée ne peut transformer les dispositions issues de l’ordonnance en droit transitoire, sauf à créer encore plus d’insécurité juridique, au détriment des objectifs du texte.

Pour autant, la commission des lois a choisi de ratifier l’ordonnance, tout en apportant de nécessaires ajustements de clarification. Ces correctifs permettent notamment d’évacuer plusieurs ambiguïtés importantes et de préciser les modalités d’application de la nouvelle loi aux contrats en cours.

Pour l’ensemble de ces raisons, tout en déplorant la méthode choisie par le Gouvernement, le groupe Les Républicains votera en faveur du texte de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je formulerai quelques observations rapides, en guise de réponse aux différentes interventions.

L’un d’entre vous a dit que le Sénat allait se montrer bon enfant. Je ne reprendrai pas à mon compte cette expression, que je trouve un peu familière ; j’ai plus de respect pour le Sénat. J’estime au contraire que votre assemblée a fait preuve de responsabilité, en ayant habilité le Gouvernement à travailler sur ce sujet. J’ai dit à quel point la concertation conduite, le travail extrêmement sérieux mené avec de nombreux experts ont permis d’aboutir au texte qui vous est proposé. En le soumettant à votre ratification, le Gouvernement témoigne de son respect, tout à fait naturel, pour le Sénat.

Face aux critiques formulées par nombre d’entre vous sur le recours aux ordonnances de l’article 38, je rappelle qu’il s’agit d’une pratique constitutionnelle, expressément prévue par notre texte fondateur. À partir du moment où le Gouvernement fait le choix de revenir devant vous avec un texte autonome, on peut considérer qu’il s’agit d’une méthode non seulement performante et conforme à notre Constitution, mais également respectueuse de votre assemblée. Selon moi, une telle procédure ne mérite pas l’opprobre dont vous l’accablez.

Sur le fond, je relèverai quelques points.

Monsieur Collombat, je vous remercie de votre soutien à ce texte. Je tiens à vous le dire, le Gouvernement sera en phase avec plusieurs de vos amendements.

Bien qu’il s’agisse d’une question sans lien direct avec le texte, j’ai pris bonne note de vos observations concernant le budget de la justice. Je comprends vos préoccupations ; j’aurai d’ailleurs l’occasion de revenir devant vous pour présenter le budget de la justice pour 2018, qui augmentera de près de 4 %. Il en sera de même pour les années 2019 et 2020. J’espère que nous pourrons ainsi pallier progressivement les difficultés que rencontre le ministère. Cela témoigne des efforts consentis par le Gouvernement en faveur de la justice.

Madame Loisier, vous avez eu raison de le souligner, il y avait urgence à adopter cette réforme. Je vous remercie de votre soutien et de celui de votre groupe. Ce texte témoigne effectivement d’un équilibre entre modernité et respect de nos principes constitutionnels. Selon moi, il peut jouer un rôle dans l’attractivité de notre droit. J’ai souvent été alertée par les rapports Doing Business publiés chaque année : ils montrent la place de la France dans le monde des affaires. Si la progression est réelle, elle est encore insuffisante. Même si je nourris une certaine méfiance envers ces rapports publiés par la Banque mondiale, ils sont toutefois très significatifs. Ainsi, pour être attractifs, nous avions tout intérêt à revoir, comme nous l’avons fait, le droit des contrats. J’espère que d’autres mesures, comme l’instauration de la juridiction du brevet ou la possibilité pour certaines de nos juridictions de traduire leurs actes en anglais, contribueront puissamment à l’attractivité de la place de Paris.

Vous avez également souligné l’importance du délai ayant précédé la demande de ratification de l’ordonnance. Il faut bien entendu tenir compte de la période électorale, qui n’a pas permis de présenter plus tôt ce texte au Parlement. Je vous le rappelle, c’est le premier texte que le ministère de la justice défend devant vous, au cours de la première session ordinaire après les élections intervenues au printemps.

Monsieur Bigot, vous êtes revenu sur la méthode et avez souligné le courage nécessaire pour s’attaquer à l’immense question du droit des contrats et des obligations. Je vous remercie de vos propos, notamment pour ce qui concerne l’imprévision et le rôle du juge, qui constituent une novation tout à fait importante. Vous avez également eu raison de le dire, l’histoire ne s’arrête pas là. L’interprétation de certaines dispositions par le juge et la manière dont les entreprises et les acteurs s’empareront de ce texte construiront l’histoire et feront vivre une nouvelle étape de notre code civil.

Monsieur Marc, je vous remercie de vos observations, en saluant votre sens de la mesure et votre soutien au texte, ainsi que celui du groupe que vous représentez.

Madame Carrère, comme vous, je pense que la rationalité doit l’emporter face aux émotions. Tel est le cas avec ce texte. Vous avez également évoqué la question du budget de la justice, et je ne reprendrai pas ce que je viens de répondre à M. Collombat. Vous avez aussi souligné l’intérêt d’accompagner cette réforme. Plusieurs éléments le permettent : le rapport au Président de la République, extrêmement épais, qui constitue une sorte de vade-mecum, les fiches techniques qui seront mises à disposition des magistrats, les formations qui seront dispensées au sein de l’École nationale de la magistrature et les diverses présentations de la réforme aux juridictions.

Monsieur de Belenet, j’ai été particulièrement sensible à l’hommage que vous avez rendu à mon collègue Guy Carcassonne. Je vous remercie du soutien du groupe La République En Marche.

Enfin, madame Jourda, vous avez eu raison de le souligner, cette réforme a globalement été très bien accueillie par la doctrine, même si des inflexions et des commentaires ont été apportés, ce qui est tout à fait naturel. Nous tenterons, dans une certaine mesure, de répondre à certains d’entre eux.

J’ai évoqué tout à l’heure le terme de « mépris » que vous avez employé. Il n’y a aucun mépris du Gouvernement à l’égard du Parlement, je vous l’affirme. Le fait que je sois là aujourd'hui pour travailler avec vous sur ce texte me semble refléter non pas du mépris, mais le souci du respect de vos compétences.

Nous aurons effectivement à retravailler ensemble sur la responsabilité civile, qui constitue le dernier chantier à entreprendre pour ce qui concerne le code civil. Nous aurons l’occasion de repenser avec vous les modalités et le contenu de ce texte.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 2 (nouveau)

Article 1er

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est ratifiée.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article additionnel après l'article 2

Article 2 (nouveau)

L’article 1110 du code civil est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « négociées » est remplacé par le mot : « négociables » ;

2° Au second alinéa, les mots : « dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont » sont remplacés par les mots : « qui comporte des clauses non négociables, unilatéralement ». – (Adopté.)

Article 2 (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 3 (nouveau)

Article additionnel après l'article 2

Mme la présidente. L'amendement n° 26 rectifié, présenté par MM. de Belenet et Richard, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le second alinéa de l’article 1111-1 du code civil est complété par les mots : « ou en une prestation unique qui, par nature, ne peut s’exécuter que dans la durée. »

La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Cet amendement tend à préciser la notion de contrat à exécution successive, afin de prendre en compte un certain nombre de prestations, lesquelles ne peuvent s’exécuter que dans la durée, comme les contrats de travail ou de location d’un bien.

Cela étant, je le retire.

Mme la présidente. L’amendement n° 26 rectifié est retiré.

Article additionnel après l'article 2
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Articles additionnels après l'article 3

Article 3 (nouveau)

Le second alinéa de l’article 1112 du code civil est ainsi modifié :

1° Après le mot : « compenser », il est inséré le mot : « ni » ;

2° Sont ajoutés les mots : « , ni la perte de chance d’obtenir ces avantages ». – (Adopté.)

Article 3 (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 4 (nouveau)

Articles additionnels après l'article 3

Mme la présidente. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 1112-1 du code civil est ainsi modifié :

1° Au début, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Chaque contractant est tenu de se renseigner sur les éléments du contrat qui sont déterminants de son consentement. » ;

2° Au premier alinéa, les mots : « ou fait confiance à son cocontractant » sont supprimés.

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Afin de restaurer l’attractivité du droit français des contrats et de le rendre plus efficient pour nos entreprises, en particulier nos PME, je présenterai neuf amendements. L’amendement n° 7 rectifié est le premier d’entre eux.

Le nouvel article 1112-1 du code civil tend à introduire un devoir général d’information, d’ordre public. Ce devoir d’information est subordonné à plusieurs conditions : l’importance déterminante de l’information pour le consentement de l’autre partie, la connaissance de l’information par le créancier, l’ignorance de l’information par l’autre partie, cette ignorance devant être légitime et pouvant tenir aux relations de confiance entre les cocontractants.

Le droit comparé nous apprend que de nombreux autres systèmes juridiques imposent une obligation de se renseigner. Toutefois, ce devoir ne saurait annihiler l’obligation d’information : il reviendra au juge de trouver le juste équilibre entre ces deux obligations. Aussi le devoir de se renseigner visé par le présent amendement a-t-il pour objet non pas de supprimer l’obligation d’information, mais d’inciter le juge à tenir compte de la situation particulière des parties.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Lors des auditions que j’ai menées, la question du devoir de s’informer, en tant que corollaire de la nouvelle obligation d’information précontractuelle, a bien été soulevée, et j’en ai tenu compte dans mon rapport.

À l’occasion de l’examen de cet amendement, je souhaite insister sur un point important. Dans le cadre de la ratification de cette ordonnance, j’ai proposé à la commission de modifier le texte lorsque c’était indispensable, sinon de délivrer une interprétation claire et incontestable. La semaine dernière, la commission a validé ces interprétations au titre des travaux préparatoires, lesquels, je le répète, sont source de droit, ce qui évitera de nombreuses modifications du texte de l’ordonnance, liées à des questions d’interprétation sur lesquelles nous étions d’ailleurs quasiment tous d’accord.

La commission des lois a ainsi précisé l’interprétation qu’il convenait de faire de cet article, sans pour autant le modifier.

Pour faire naître l’obligation d’information, celle-ci doit être « déterminante pour le consentement » de l’autre partie, mais cette dernière doit aussi en ignorer légitimement l’existence, ou faire confiance à son cocontractant.

Il faut déduire du critère de l’ignorance légitime de l’information par le cocontractant que le texte consacre bien un devoir de s’informer, ce que confirme le rapport au Président de la République, lequel indique bien que « le devoir de s’informer fixe la limite de l’obligation précontractuelle d’information ».

Aussi, d’un côté, lorsque l’information est accessible par le cocontractant, son ignorance ne sera plus légitime et, de l’autre côté, lorsqu’un lien de « confiance » particulier existe, voire préexiste entre les deux parties, une telle situation peut à l’inverse justifier une obligation d’information particulière.

L’objet de cet amendement m’apparaît donc satisfait par l’article tel qu’il est rédigé et au regard de l’interprétation que je vous propose expressément de lui donner. Je vous demande donc, ma chère collègue, de bien vouloir le retirer. À défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je partage l’avis exprimé par M. le rapporteur. L’une des innovations de l’ordonnance est l’introduction dans le code civil d’un devoir général précontractuel d’information, déjà consacré pour une large part par la jurisprudence.

Madame Mélot, je tiens à vous rassurer, ce devoir d’information trouve bien sa limite dans le devoir de s’informer de l’autre partie. S’il n’est pas expressément inscrit dans le texte, il s’en déduit toutefois. La définition du devoir d’information telle qu’elle résulte de l’ordonnance prend déjà en considération l’obligation pour l’autre partie de se renseigner. En effet, le manquement au devoir d’information ne peut être sanctionné que si l’ignorance de celui qui s’en prévaut est légitime. À cet égard, ne sera donc légitime à ignorer une information essentielle que celui qui serait dans l’incapacité d’y accéder seul. L’ordonnance n’a pas pour objet de déresponsabiliser les cocontractants, bien au contraire.

Les relations qui unissent les parties à leur cocontractant peuvent également, dans certaines circonstances, justifier qu’elles lui fassent une confiance particulière. Par exemple, si je suis associée dans une société dont l’autre partie est dirigeant social, je peux légitimement penser qu’elle m’a communiqué les informations sur la situation financière de la société. Le devoir de se renseigner sera ainsi modulé selon la nature de l’information et la qualité respective des parties.

C’est la raison pour laquelle, comme M. le rapporteur, je vous demande, madame Mélot, de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, je me verrai contrainte d’émettre un avis défavorable.

Mme la présidente. Madame Mélot, l’amendement n° 7 rectifié est-il maintenu ?

Mme Colette Mélot. Madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, je vous remercie des précisions que vous venez d’apporter. Je retire donc cet amendement.

Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié est retiré.

L'amendement n° 27, présenté par M. de Belenet, est ainsi libellé :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 1112-2 du code civil est abrogé.

La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, je retire cet amendement. Vous savez à quel point les délais d’examen des amendements de séance sont contraints… Je vous informe que je retire également mes autres amendements à venir, à l’exception de l’amendement n° 30 rectifié.

Mme la présidente. L'amendement n° 27 est retiré.

Articles additionnels après l'article 3
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 5 (nouveau) (début)

Article 4 (nouveau)

La section 1 du chapitre II du sous-titre Ier du titre III du livre III du code civil est ainsi modifiée :

1° Le second alinéa de l’article 1117 est complété par les mots : « , ou de décès de son destinataire » ;

2° Au troisième alinéa de l’article 1123, les mots : « qu’il fixe et qui doit être raisonnable, » sont remplacés par les mots : « de deux mois ».

Mme la présidente. L'amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’article 1117 du code civil prévoit que l’offre de contracter devient caduque en cas d’incapacité ou de décès de son auteur avant son acceptation.

La commission des lois a souhaité étendre cette solution en cas de décès du destinataire de l’offre, proposition qui ne me semble pas opportune.

Le lien inextricable entre l’offre de contracter et son auteur justifie en effet que celle-ci n’engage pas les héritiers de ce dernier ; en revanche, rien ne justifie qu’une offre de contracter prenne systématiquement fin au décès de son destinataire. La jurisprudence a pu sembler aller en ce sens, mais une telle solution a été critiquée, à juste titre, par la doctrine.

Une telle caducité de l’offre peut se comprendre lorsque le contrat projeté est un contrat intuitu personae, c’est-à-dire lorsque la personne du cocontractant est déterminante. Par exemple, si j’ai adressé une offre de prestation à un professionnel pour la qualité de son travail, il est logique que son décès rende mon offre caduque.

En revanche, dans d’autres types de contrats, la personne du cocontractant n’est absolument pas déterminante, et l’offre de contrat doit pouvoir être transmise aux héritiers. Ainsi, l’offre de vente qui est faite au propriétaire d’un appartement mitoyen pourrait être acceptée par son héritier si ledit propriétaire décédait avant de l’avoir acceptée.

C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à revenir au texte initial pour laisser la jurisprudence apprécier quelle solution est la plus opportune selon le type de contrat proposé.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. La commission des lois a émis, ce matin, un avis défavorable sur cet amendement. Je m’en explique.

Le texte de la commission prévoit la caducité de l’offre en cas de décès du destinataire, eu égard à une jurisprudence constante – vous venez de la citer, madame la ministre – selon laquelle l’offre ne se transmet pas aux héritiers.

Certes, comme vous l’avez dit, certains auteurs avancent que l’offre ne deviendrait effectivement caduque que si le contrat projeté était intuitu personae, c’est-à-dire passé en considération d’une personne.

Toutefois, la doctrine n’est pas tout à fait unanime sur ce point.

Surtout, le silence de la loi constitue une source d’incertitude juridique pour les héritiers se trouvant dans cette situation : ces derniers sont obligés de s’en remettre aux tribunaux après le décès d’un proche, ce qui ne me semble pas satisfaisant. Vous évoquez d’ailleurs ce recours aux tribunaux dans l’exposé des motifs de votre amendement, madame la ministre.

Telles sont les raisons très techniques pour lesquelles la commission a souhaité clarifier explicitement ce point dans l’article 1117 du code civil, afin de garantir un régime de l’offre protecteur et stable pour les parties, c’est-à-dire d’assurer la sécurité juridique par un texte très précis.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Nous suivrons l’avis du rapporteur.

Nous avons besoin de sécurité juridique. Il est important pour l’auteur de l’offre de bénéficier d’une telle sécurité dans ses rapports avec son cocontractant. Au moment où le destinataire de votre offre décède, vous ne savez pas forcément qui sont ses héritiers et à quel moment vous aurez connaissance de leur identité.

Il me paraît donc plus sain de suivre la modification proposée par notre rapporteur.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il s’agit de supprimer l’alinéa 3 de l’article 1123 du code civil. Cet article envisage l’hypothèse où un tiers qui s’apprête à conclure un contrat a un doute sur l’existence d’un pacte de préférence que l’autre partie aurait consenti et qu’il serait donc susceptible de violer. En effet, si l’autre partie avait déjà promis de proposer prioritairement le contrat à quelqu’un d’autre, la transaction risquerait d’être remise en cause.

Le texte prévoit donc, pour sécuriser la transaction dont il est question, que ce tiers puisse mettre en demeure le bénéficiaire présumé du pacte de préférence de confirmer ou non l’existence d’un tel pacte et d’indiquer s’il entend s’en prévaloir. S’il répond négativement, ou à défaut de réponse dans le délai accordé par le tiers, le bénéficiaire ne pourra plus ensuite agir en nullité du contrat. Ce dispositif est donc porteur de sécurité juridique.

Le tiers doit fixer, dans sa mise en demeure, un délai de réponse qui doit être raisonnable. Imposer dans la loi, comme le souhaite la commission, que ce délai soit de deux mois, ne permet pas, selon le Gouvernement, d’adapter la durée du délai aux circonstances. Or, selon la complexité du contrat projeté, le bénéficiaire peut avoir besoin d’un temps plus ou moins long pour évaluer s’il a intérêt à se prévaloir du pacte.

Que l’on songe, par exemple, au franchiseur avec qui le franchisé s’est engagé à contracter en priorité s’il vend son entreprise : s’il est interpellé par un tiers auquel le franchisé a proposé son entreprise, le franchiseur doit pouvoir examiner l’opportunité du rachat, sur un plan juridique, financier, opérationnel, et les conditions mêmes de ce rachat. Un délai de deux mois pourrait alors paraître inadapté, car insuffisamment long. À l’inverse, dans certaines situations où la transaction doit se faire rapidement et ne présente pas de difficulté, le délai de deux mois pourra être trop long.

Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à bien vouloir revenir au texte initial, lequel, je vous le rappelle, exige simplement que le tiers fixe un délai de réponse au bénéficiaire présumé du pacte. L’exigence du caractère raisonnable de ce délai permet, en cas de contentieux, que le juge s’assure que le délai fixé était bien adapté aux circonstances.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. La commission des lois s’est évidemment montrée favorable à l’introduction dans la loi des nouvelles procédures d’action interrogatoire, qui visent à faciliter la vie du contrat.

Quid, malgré tout, du « délai raisonnable » ? Certains « délais raisonnables » ont conduit la Cour de cassation à rendre une jurisprudence constante au bout de dix ans, dans un délai qui, raisonnable, l’était donc beaucoup moins ! (Sourires.)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cela lui a d’ailleurs valu une condamnation de la part de la Cour de justice de l’Union européenne !

M. François Pillet, rapporteur. Concernant l’action interrogatoire exercée par un tiers dans le cadre du pacte de préférence qui fait l’objet du présent amendement, la commission des lois a souhaité préciser, sur ma proposition, le délai dans lequel le bénéficiaire doit confirmer l’existence du pacte et son intention de s’en prévaloir. Je précise d’ailleurs qu’aux yeux de certains membres de la commission ce délai de deux mois était peut-être encore trop long.

Ce délai nous semble suffisant pour confirmer l’existence d’un pacte de préférence et accomplir les diligences nécessaires préalables à la décision de s’en prévaloir. Pourquoi la commission a-t-elle fixé ce délai ? Pour éviter des contentieux.

J’attirerai votre attention, avec peut-être une certaine malice, mes chers collègues, sur le fait que, devant la cour d’appel, lorsque l’appelant conclut, il ne peut certes pas faire de demande nouvelle, mais il peut évoquer des moyens nouveaux. Or celui qui répond doit le faire dans un délai qui est bel et bien fixé – il est de deux mois, et, en tout cas, il n’est possible de l’allonger que dans certaines limites restrictives –, alors même qu’il doit parfois répondre à des questions techniques extrêmement précises. Je ne vois donc pas pourquoi, dans le genre de situations visées par le présent texte, la personne interrogée ne pourrait pas, elle, répondre dans le délai de deux mois.

Là encore, il s’agit de discussions qu’il est toujours possible de laisser s’éterniser ; la commission des lois a simplement tenté de trouver un système intermédiaire pour éviter des contentieux.

Son avis est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Merci de ce débat en séance, madame la ministre, monsieur le rapporteur.

En commission, j’avais moi-même souligné que le délai de deux mois me semblait un peu court. En définitive, madame la ministre, je pense que vous avez raison.

Dans la situation que nous avons en vue, le tiers interroge celui qui est présumé bénéficier du pacte de préférence, l’enjoignant à se prononcer. Il doit lui donner un délai. Si le délai est considéré par celui qui doit se prononcer comme déraisonnable, il invoquera en justice, ultérieurement, ce caractère déraisonnable.

Cette liberté laissée aux parties me semble donc suffisante : si le délai de deux mois risque d’être parfois trop long, il sera rarement trop court ; mieux vaut, quoi qu’il en soit, bénéficier d’une telle souplesse. Celle-ci pourrait certes être source de contentieux ; néanmoins, et en définitive, celui qui interroge le tiers bénéficiaire du pacte a lui aussi tout intérêt à ne pas rester trop longtemps dans l’incertitude, donc à convenir avec lui du délai raisonnable nécessaire pour répondre.

Cette souplesse me paraît, en pratique, préférable. J’invite donc mon groupe à voter l’amendement de Mme la ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Nous suivrons notre rapporteur sur ce point : tout ce qui donne de la précision, tout ce qui évite aux justiciables d’aller devant le juge pour préciser de simples délais, nous paraît souhaitable. En la matière, les avantages d’une telle précision nous paraissent l’emporter sur les inconvénients potentiels.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

Article 4 (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 5 (nouveau) (interruption de la discussion)

Article 5 (nouveau)

Le paragraphe 2 de la sous-section 1 de la section 2 du chapitre II du sous-titre Ier du titre III du livre III du code civil est ainsi modifié :

1° À la fin du second alinéa de l’article 1137, les mots : « dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie » sont remplacés par les mots : « qu’il devait fournir à l’autre partie conformément à la loi » ;

2° À l’article 1143, après le mot : « dépendance », il est inséré le mot : « économique ».

Mme la présidente. L'amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° À l’article 1132 du code civil, les mots : « de droit ou » sont supprimés ;

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Le nouvel article 1132 du code civil introduit dans le droit français l’erreur de droit, qui y était jusqu’à présent inconnue.

En consacrant l’erreur de droit, ce nouvel article du code civil porte atteinte à la règle selon laquelle nul n’est censé ignorer la loi. Le risque est que le justiciable puisse faire échec à l’application de dispositions supplétives ou impératives de droit objectif normalement applicables au contrat en invoquant une erreur de droit, et porte ainsi atteinte à la force obligatoire des contrats.

En outre, l’erreur de droit n’est pas définie : il pourrait tout aussi bien s’agir d’une erreur sur la signification d’une règle de droit positif que d’une erreur sur la portée ou les conséquences des stipulations contractuelles elles-mêmes.

Il convient dès lors de supprimer toute référence à l’erreur de droit au sein de l’article 1132 nouveau du code civil.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Lors des auditions, j’ai été alerté par certains intervenants sur le caractère inopportun d’une telle consécration de l’erreur de droit sur le même plan que l’erreur de fait.

Pour autant, rien de dramatique là-dedans ! L’ordonnance ne fait qu’entériner la jurisprudence sur ce point, et l’article 1132 du code civil est clair : l’erreur inexcusable, qu’elle porte sur une qualité essentielle de la prestation ou de la personne, n’emporte pas nullité du contrat.

C’est la raison pour laquelle la commission des lois a précisé l’interprétation qu’il convenait de faire de cet article, sans pour autant le modifier, dans les conditions et selon la méthode que j’ai expliquées.

Il n’est en effet nullement question d’élargir l’admission de l’erreur de droit en permettant à un contractant de prétendre qu’il s’est mépris sur la portée d’un texte légal, d’une jurisprudence ou même de son engagement contractuel.

Si la jurisprudence admet l’erreur de droit – c’est à ce titre qu’elle est légalement consacrée –, elle en a toujours fait une application mesurée, en la refusant lorsqu’elle portait, par exemple, sur une décision judiciaire rendue pour d’autres parties ou sur les effets que le contrat doit produire.

Au regard de cette interprétation expresse sur laquelle nous attirons l’attention des magistrats et des juristes qui auront à appliquer l’article 1132, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, qu’il vous est toujours loisible, ma chère collègue, de retirer.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis.

Mme la présidente. Madame Mélot, l'amendement n° 4 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Colette Mélot. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 4 rectifié bis est retiré.

L'amendement n° 16, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

1° L’article 1137 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. » ;

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Forte de mes succès sur les deux précédents amendements, je continue… (Sourires.)

Cet amendement vise à rétablir la définition initiale de la réticence dolosive et à en exclure l’estimation de la valeur de la prestation.

La réticence dolosive consiste à retenir sciemment une information dont on sait le caractère déterminant pour l’autre partie et qui, si elle avait été connue de cette dernière, l’aurait amenée à ne pas contracter ou à contracter à des conditions substantiellement différentes. Un tel comportement contraire au devoir de bonne foi contractuelle est sanctionné par la nullité du contrat.

La rédaction adoptée par la commission des lois subordonne cette sanction à la violation préalable d’un devoir légal d’information. Or il nous semble que le devoir précontractuel d’information instauré à l’article 1112-1 du code civil, est strictement encadré. Il n’est dû que si l’ignorance de l’autre partie était légitime, ou si celle-ci pouvait, en raison des circonstances, faire une confiance particulière à son cocontractant.

La réticence dolosive, qui implique une intention de tromper, ne doit pas être assujettie aux mêmes limites : ce n’est pas la même chose. La mauvaise foi implique en effet que le dol doit être sanctionné de façon plus large et plus sévère que ne l’est la simple négligence dans la délivrance d’informations. C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite au rétablissement du texte initial.

En revanche, afin de ne pas pénaliser le commerce, je vous propose que le silence, même intentionnel, sur l’estimation de la valeur de la prestation soit exclu de l’objet de la réticence dolosive, comme il est exclu du devoir d’information.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. L’amendement proposé par le Gouvernement vise à exclure l’estimation de la valeur de la prestation du champ d’application de la réticence dolosive, afin de consacrer la jurisprudence dite jurisprudence Baldus, bien connue, au moins des professionnels.

Si je suis favorable à la consécration de cette jurisprudence, j’estime que cet amendement ne résout pas toutes les difficultés soulevées par l’incohérence des champs d’application respectifs des articles 1112-1 et 1137 du code civil, que la commission des lois a entendu résoudre.

Ces difficultés ont d’ailleurs été évoquées par la quasi-unanimité des personnes que j’ai entendues lors des auditions.

Or, avec la rédaction telle que proposée par le présent amendement, des incohérences, à mon sens, subsisteraient : certaines informations qui ne sont pas visées par l’obligation d’information de l’article 1112-1 du code civil, car elles ne sont pas déterminantes au sens de cet article – elles n’ont pas de lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties –, pourraient en revanche être considérées comme déterminantes au sens de l’article 1137 du même code, et justifier une sanction pour réticence dolosive – la réflexion de la commission s’est appliquée aux deux textes, l’objectif étant de les rendre plus homogènes.

De surcroît, le dol implique une dissimulation intentionnelle ; or il semble que la dissimulation d’une information est par nature intentionnelle dès lors qu’elle n’entre pas dans le champ d’une obligation d’information.

Telles sont les raisons pour lesquelles je souhaite le maintien de la rédaction de la commission des lois, qui permet de subordonner la nullité pour réticence dolosive aux hypothèses dans lesquelles une obligation d’information préalable existe.

Je précise en outre, ce qui n’est nullement anodin, que la rédaction de la commission des lois reprend exactement celle qui était proposée dans l’avant-projet d’ordonnance publié par la Chancellerie en 2015 et soumis à la consultation publique.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Justement !

M. François Pillet, rapporteur. Je pense donc, en quelque sorte, que le travail initial de la Chancellerie aurait mérité de ne pas être modifié par la consultation publique.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Ce débat technique prouve bien qu’une discussion complète aurait dû être organisée sur ce texte.

Par cet amendement, l’objectif du Gouvernement est aussi, ne l’oublions pas, de supprimer la modification que vous proposez d’introduire, monsieur le rapporteur, s’agissant de la notion de réticence dolosive. Votre rédaction de l’article 5 limite le champ de l’obligation à l’information « que le cocontractant doit fournir à l’autre partie conformément à la loi ».

Or, et c’est ce qui importe, dès lors que l’une des parties sait que l’information est déterminante pour le consentement de l’autre, elle doit la fournir. J’en réfère à ce que je disais lors de mon intervention liminaire : c’est la notion de bonne foi qui doit primer. Cette notion remonte à Portalis et à d’autres. Dans votre rédaction, monsieur le rapporteur, cette bonne foi disparaît au profit d’une simple conformité à la loi ; or la loi, en matière d’information, ne prévoit pas tout, tant s’en faut.

La rédaction du Gouvernement me paraît donc meilleure. Ce n’est pas par hasard si la mouture définitive de l’ordonnance n’est pas dans la même veine que la version initiale : il y a eu amélioration entre les deux textes, et je préfère le second, donc le rétablissement du texte du Gouvernement, assorti de la précision proposée par Mme la ministre.

J’invite donc mon groupe à voter l’amendement du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur. Une précision à l’intention de mon collègue Jacques Bigot : de toute façon, la bonne foi couvre tout le domaine du texte et de la réforme. En toute hypothèse, la bonne foi n’est donc pas exclue de l’application et de l’interprétation de ce texte.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 16.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° L’article 1139 est ainsi rédigé :

« Art. 1139. – L’erreur qui résulte de manœuvres ou de mensonges constitutifs d’un dol est toujours excusable. L’erreur qui résulte de la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie n’est excusable qu’à condition que cette dernière ignore légitimement ladite information.

« L’erreur qui résulte d’un dol est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat. » ;

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Le nouvel article 1139 du code civil précise que l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable.

Cet article ne prend pas en compte les spécificités de l’erreur résultant de la dissimulation intentionnelle, par l’un des cocontractants, d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie, autrement dit la réticence dolosive. Une telle omission donne la possibilité à la partie qui se prétend victime d’une réticence dolosive d’obtenir la nullité d’un contrat alors même qu’elle aurait failli à son devoir de se renseigner.

L’excuse automatique de l’erreur provoquée par une réticence dolosive risquant d’exonérer le cocontractant de tout devoir de se renseigner, il convient que l’article 1139 nouveau du code civil précise que l’erreur résultant d’une réticence dolosive n’est excusable que si la victime ignore légitimement l’information qui lui a été dissimulée intentionnellement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. L’introduction dans le code civil de ce nouvel article 1139 a pour objet de tirer les conséquences du dol tel qu’il est défini à l’article 1137 du même code, en prenant en compte la réticence dolosive.

Dans la mesure où la rédaction qui vient d’être adoptée à l’article 1137 subordonne la nullité pour réticence dolosive aux hypothèses dans lesquelles une obligation légale d’information existe, il n’est aucunement besoin de modifier l’article 1139 du code civil afin de transposer un devoir d’information, alors que ce dernier est déjà prévu à l’article 1112-1 du même code.

L’objet de votre amendement me paraît donc déjà satisfait avec beaucoup de précision, ma chère collègue. Je vous suggère de le retirer ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis.

Mme la présidente. Madame Mélot, l'amendement n° 8 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Colette Mélot. Non, je le retire, madame la présidente, en remerciant M. le rapporteur de ses explications.

Mme la présidente. L'amendement n° 8 rectifié bis est retiré.

Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 1 est présenté par M. Collombat, Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L'amendement n° 15 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour présenter l’amendement n° 1.

M. Pierre-Yves Collombat. Notre rapporteur et notre commission ont cru bon de limiter la notion de dépendance à la dépendance économique. Nous pensons, quant à nous, qu’il vaut mieux conserver le terme dans sa généralité, et ainsi couvrir la totalité des situations de dépendance.

On m’objecte que c’est chose déjà faite quelque part, dans tel ou tel autre code. Je répondrai que nous sommes en train de réformer le code civil ; c’est donc le lieu, me semble-t-il, de donner une interprétation générale ! Je ne vois pas ce que la précision « économique » ajoute ; au contraire, je trouve qu’elle ne va pas dans le bon sens.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 15.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je suis évidemment favorable à l’amendement de M. Collombat, qui reprend celui du Gouvernement,…

M. Pierre-Yves Collombat. Non ! Il lui est identique !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … pardon, qui lui est identique.

L’article 1143 du code civil constitue l’une des innovations essentielles de l’ordonnance du 10 février. Il assimile à une violence l’abus de la situation de dépendance dans laquelle se trouve le cocontractant, ce que la jurisprudence de la Cour de cassation a admis dans plusieurs arrêts récents, et que la doctrine et les praticiens qualifient de violence économique.

Le texte adopté par le Gouvernement se veut néanmoins délibérément plus large, puisqu’il n’est pas circonscrit à la seule dépendance économique. Toutes les hypothèses de dépendance sont visées, ce qui permet une protection des personnes vulnérables, et non pas simplement des entreprises dans leurs rapports entre elles.

Ce choix est d’ailleurs conforme aux termes de l’habilitation qui a été accordée par le Parlement au Gouvernement, puisque cette habilitation autorisait le Gouvernement à introduire des dispositions « permettant de sanctionner le comportement d’une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l’autre ».

Il pourrait donc s’agir d’une situation de dépendance sociale ou psychologique, ce qui pourrait permettre de sanctionner un abus commis, par exemple, à l’encontre de personnes âgées dépendantes d’un point de vue affectif ou psychologique.

À ce titre, les dispositions qui sanctionnent l’abus de faiblesse dans le code de la consommation ou dans le code pénal ne sont pas comparables à celles de l’article 1143 : elles édictent des sanctions pénales sans prévoir l’annulation du contrat conclu et diffèrent, tant dans leur champ d’application que dans leurs conditions de mise en œuvre, de celles du nouvel article.

En effet, la faiblesse et l’ignorance visées dans le code de la consommation ne sont pas synonymes de dépendance, et ces dispositions ne s’appliquent que dans les relations entre professionnels et consommateurs. Quant aux dispositions pénales, elles ne concernent que les abus à l’encontre des mineurs ou de personnes d’une particulière vulnérabilité en raison de leur âge, de leur maladie ou encore d’une infirmité.

Si j’entends, bien entendu, les inquiétudes légitimes exprimées sur l’appréhension des notions d’abus et de dépendance, il me semble que le texte de l’ordonnance prend le soin de poser des conditions objectives tenant, d’une part, à l’existence d’un avantage manifestement excessif et, d’autre part, à ce que la dépendance est une notion elle-même objective, qui ne tient pas uniquement aux qualités de la victime de l’abus, comme dans les textes du code de la consommation et du code pénal, mais également aux circonstances de la conclusion du contrat en cause.

Il me semble indispensable de doter notre droit des contrats d’un outil de contrôle des abus des situations de faiblesse en dehors des seuls régimes pénaux spéciaux. Je vous demande en conséquence, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir rétablir le texte de l’ordonnance dans son intégrité.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Madame la ministre, monsieur le sénateur Collombat, je pourrais très bien, a priori, partager vos inquiétudes au regard de la motivation de vos amendements.

Pourquoi n’est-ce pas le cas ? Parce que les exemples que vous prenez sont déjà traités par la loi.

Ainsi, le régime de protection légale des incapables permet de garantir une protection juridique pour les personnes concernées en état de faiblesse.

De même, le code de la consommation prévoit la sanction de l’abus de faiblesse ou d’ignorance.

Enfin, pour les abus commis à l’égard de personnes âgées en situation de dépendance, illettrées ou sous l’emprise d’une secte, qui sont évoqués dans l’objet de votre amendement, madame la ministre, l’article 223-15-2 du code pénal réprime déjà « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse » d’un mineur ou d’une personne d’une vulnérabilité particulière, qui conduit ce mineur ou cette personne « à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».

Ces textes apportent déjà la protection attendue. Imaginons qu’une sanction pénale soit prononcée. Comment peut-on imaginer que le juge pénal ne prononce pas la nullité ou la résolution du contrat alors qu’a été caractérisé soit un vice du consentement soit une fraude ? Je pense que sur ce point, madame la ministre, monsieur le sénateur, vous pouvez être rassurés.

En revanche, si nous conservons le terme de « dépendance » sans précision, donc si nous nous gardons de qualifier l’état de dépendance, nous introduisons dans la loi une notion très imprécise et incertaine, qui me semble poser problème.

Pourquoi « dépendance économique » ? D’une part, il s’agit d’une notion déjà parfaitement encadrée par la jurisprudence. D’autre part, je pense, très honnêtement – mais je suis prêt à ce que l’on en discute encore au cours de la navette –, que toutes les hypothèses que vous pouvez imaginer s’agissant de l’état de dépendance sont déjà couvertes par les autres domaines du droit, et qu’il n’y a pas lieu, dans ce domaine très général, d’introduire une notion qui serait à mon sens imprécise.

Madame la ministre, mes chers collègues, c’est sous bénéfice de ces observations que vous considérerez, je pense, comme très mesurées, que j’émets un avis défavorable sur ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Le texte du code civil, ne l’oublions pas, était d’inspiration libérale ; les parties étaient censées être parfaitement autonomes dans leur volonté et capables.

Néanmoins, le législateur s’est peu à peu rendu compte – il lui a tout de même fallu deux siècles – qu’une partie pouvait être dominée par l’autre et qu’il fallait trouver des moyens d’annuler un contrat pour vice du consentement quand celui-ci avait été obtenu par la violence ou de manière abusive.

Toute une série de combats ont été menés pour obtenir ces avancées. Il a fallu du temps pour conceptualiser l’abus de faiblesse sur personne vulnérable et âgée et, pour qu’un acte signé par une personne incapable puisse être remis en cause, il a fallu inventer la sauvegarde de justice. Ce n’est donc pas si simple.

La loi prévoit l’état de dépendance dans lequel se trouve un contractant et grâce auquel est obtenu un engagement auquel il n’aurait pas souscrit en l’absence de contrainte et alors que cet engagement procure un avantage manifestement excessif à celui qui l’obtient. Il s’agit donc de protéger les personnes vulnérables. Or le fait de qualifier d’économique la dépendance tend à réduire la portée du texte, alors que l’intention du Gouvernement était au contraire de l’élargir.

Mes chers collègues, je vous rappelle que l’ordonnance date de février 2016, soit d’une époque où le gouvernement était franchement à gauche, alors qu’aujourd’hui on sent bien qu’un courant libéral, de droite et plutôt restrictif est à l’œuvre… Nous allons donc suivre M. Collombat et le Gouvernement, car, madame la ministre, pour une fois, vous proposez un amendement qui est plutôt de gauche que de droite ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. François Pillet, rapporteur. Vous voilà rassuré : il reste une gauche !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Je ne comprends pas la position de notre rapporteur.

L’important et minutieux travail qui a été réalisé visait à apporter davantage de clarté et de précision, et à rééquilibrer le poids des parties en cas de déséquilibre manifeste.

Qu’entend-on par dépendance économique ? Une personne avec pas mal d’argent, mais trop âgée pour pouvoir véritablement être considérée comme autonome, se trouve-t-elle dans une telle situation ? À mon sens, non ; elle n’a tout simplement pas les moyens de prendre la bonne décision. On nous dit que la solution existe dans tel code ou tel code. Mais l’objectif de ce texte est de réviser le code civil, et l’on traite ici des contrats. On va là à l’encontre du travail de la commission et des propositions généralement avancées par notre rapporteur, dont je trouve le blocage sur ce point étonnant !

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il s’agit effectivement d’une divergence de portée un peu plus politique que technique. Le texte, dans son écriture initiale, traduisait une volonté de protection assez large, et je tiens personnellement, pour les raisons énoncées par MM. Collombat et Bigot, à ce que nous y revenions.

De surcroît, monsieur le rapporteur, dans les exemples que vous avez évoqués, le juge pénal n’a pas exactement, comme je l’ai souligné, les mêmes pouvoirs, car il n’est pas en capacité de prononcer l’annulation du contrat. Il y a réellement là des dimensions différentes et, pour ma part, je le répète, je souhaiterais que nous revenions à l’écriture initiale.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur. Rassurez-vous, mes chers collègues, j’ai parfaitement vu le problème ! Il ne s’agit certes pas d’introduire dans ce texte une notion à fragmentation politique, même légère, mais nous avons déjà des éléments légaux pour assurer la protection des personnes en état de dépendance. Puis, avec les vices du consentement, nous disposons d’une autre notion qui ouvre toute une kyrielle de possibilités. C'est pourquoi il ne m’a pas semblé que je me montrerais particulièrement oublieux des personnes dépendantes en limitant le texte à la dépendance économique, qui est une notion jurisprudentielle.

Cependant, dans la mesure où le Sénat est responsable et qu’il est ouvert au débat, nous pourrions envisager de préciser cette réaction dans le cours de la navette de telle sorte qu’elle reçoive l’approbation de tous.

En tout état de cause, je maintiens mon avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 15.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 est adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Article 5 (nouveau) (début)
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Discussion générale

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Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.

J’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à la fois au respect du temps – j’y insiste, pour éviter d’avoir à passer à des mesures coercitives (Sourires.) – et au respect mutuel !

expulsion des clandestins

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Brigitte Lherbier. Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Sur le site internet de votre ministère, on peut lire : « L’étranger qui souhaite venir en France doit y être autorisé. Présent sur le territoire national sans titre, l’étranger est alors en situation irrégulière. »

Il s’agit d’un rappel de la loi française votée par le Parlement. Force est de constater que la loi, comme c’est malheureusement trop souvent le cas, n’est pas ou est peu appliquée.

Concernant la terrible affaire de Marseille, où deux jeunes filles ont été sauvagement tuées, l’assassin était un clandestin et avait commis des délits à répétition.

On estime à plusieurs centaines de milliers le nombre d’étrangers qui séjournent illégalement dans notre pays.

Lors de son intervention télévisée, dimanche soir, le Président de la République a tenu des propos fermes contre l’immigration illégale. Il a promis l’expulsion de tous les étrangers en situation irrégulière ayant commis un délit, quel qu’il soit.

Sa proposition mérite des éclaircissements. S’agit-il pour le Président de la République de limiter les expulsions aux clandestins qui auraient commis un délit ?

La langue du Président de la République a-t-elle fourché ? A-t-il cultivé une savante ambiguïté ou avait-il bien à l’esprit une vision restrictive des reconduites à la frontière ?

Si tel est le cas, j’attire votre attention sur le fait que la loi française prévoit l’expulsion de tous les clandestins qu’ils aient commis ou non un délit, et que limiter l’expulsion à ceux qui auraient commis un délit reviendrait à donner un droit de séjour en France aux étrangers illégaux.

Je demande donc au ministre de l’intérieur de bien vouloir nous éclairer sur les intentions précises du Président de la République, et en même temps de lever toute ambiguïté sur ses propos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, en effet, les services de l’État doivent être pleinement mobilisés pour éloigner les étrangers en situation irrégulière qui présentent une menace pour l’ordre public. Vous l’avez rappelé, le Président de la République a confirmé cette orientation prioritaire.

Par ailleurs, M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, a envoyé dès le 10 octobre dernier une circulaire aux préfets pour leur rappeler que l’ordre public devait être respecté et que les sortants de prison devaient faire l’objet d’une attention prioritaire.

Notre droit nous permet de les éloigner – vous avez raison – en prononçant à leur encontre une obligation de quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, mais aussi de les placer en rétention s’ils présentent un risque de fuite.

Pour les sortants de prison, une meilleure articulation doit être recherchée avec les établissements pénitentiaires pour mieux anticiper les éloignements durant la phase d’incarcération. C’est absolument certain !

Par ailleurs, pour faciliter l’identification des personnes interpellées, un système biométrique relié au fichier de gestion des dossiers des étrangers sera déployé dans les prochains mois. Il permettra la consultation du fichier à partir des empreintes digitales de la personne.

Dans le même objectif, les forces de l’ordre seront dotées en 2018 d’équipements permettant de prendre les empreintes digitales sur place et de consulter les fichiers de façon mobile.

Madame la sénatrice, comme vous le constatez, la politique du Gouvernement est ferme à cet égard (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), ce qui ne nous empêche pas, bien sûr, d’accueillir,…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. … comme c’est de tradition dans notre pays, les demandeurs d’asile qui sont menacés dans leur propre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Yves Daudigny et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

prise en charge des mineurs étrangers non accompagnés

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour le groupe Union Centriste.

Mme Élisabeth Doineau. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, mais elle pourrait s’adresser aussi au Premier ministre, au ministre de l’intérieur, au ministre des affaires étrangères ou encore au ministre des affaires sociales, car elle est très large.

Le 5 septembre dernier, le Président de la République a demandé au Gouvernement des propositions pour revoir l’accueil et l’accompagnement des mineurs non accompagnés. Il précisait que la réponse actuelle n’était pas satisfaisante et qu’elle représentait une charge croissante pour les départements.

Le rapport d’information que j’ai présenté dernièrement avec mon ancien collègue Jean-Pierre Godefroy annonçait une explosion du nombre des prises en charge. Il passera de 13 000 à la fin du mois de décembre 2016 à 25 000 à la fin de cette année ! Tous les départements sont touchés, avec des records jamais atteints. Les agents des départements sont dépassés, voire en burn-out professionnel, parce que nous ne sommes plus dans le champ de nos compétences. Cela va jusqu’à mettre en danger notre mission historique de protection de l’enfance…

Premier problème, l’hébergement. Nous observons une embolie de toutes nos structures d’accueil, malgré leur diversité et leur nombre.

Deuxième problème, l’évaluation de la minorité. Nos services sont totalement accaparés et découragés : difficulté d’authentifier les documents administratifs quand il y en a, avec des appréciations variables selon les préfectures ; difficulté de bénéficier des services des interprètes, car ils sont trop rares ; difficulté d’analyser les parcours migratoires chaotiques de ces jeunes qui mériteraient l’appréciation des services de la police aux frontières.

Troisième problème, l’accompagnement. Que leur proposer comme formation sinon l’apprentissage ? Mais là encore, c’est de nouveau le parcours du combattant !

Je pourrais continuer ainsi longtemps, parce qu’il faudrait aussi parler des multitraumatismes ressentis par ces jeunes. Il faudrait évoquer les liens avec les parquets et les cours de justice, qui sont également dépassés par le nombre, ou encore des recours portés par les avocats ou par associations.

M. le président. Veuillez poser votre question !

Mme Élisabeth Doineau. C’est une question qui relève des flux migratoires, et c’est à l’État de prendre ses responsabilités dans ce domaine. Les conseils départementaux sont dans l’attente de mesures concrètes. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, vous avez raison de souligner l’importance et l’urgence de ce problème.

Vous avez cité des chiffres qui témoignent de l’urgence de la situation, dont nous sommes pleinement conscients. Avec ma collègue Agnès Buzyn, nous avons tenu le 15 septembre dernier un comité de pilotage sur la question des mineurs non accompagnés.

Nous y avons, d’une part, réaffirmé les engagements financiers de l’État avec l’abondement à hauteur de 6,5 millions d’euros du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, destiné à prendre en charge l’évaluation et à compenser la mise à l’abri assumée par les départements.

M. Alain Fouché. Ce sont les départements qui paient !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Nous y avons, d’autre part, également réaffirmé que l’État tiendrait ses engagements en remboursant aux départements 30 % du coût correspondant à la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance des mineurs non accompagnés supplémentaires pour l’année passée.

Vous l’avez rappelé à juste titre, il y a de grandes difficultés, notamment concernant la phase d’évaluation et de mise à l’abri. Nous savons pertinemment que des jeunes déclarés majeurs dans un département se représentent dans d’autres pour tenter de faire connaître leur minorité. Il importe de mettre en place des outils pour éviter un tel phénomène. Nous devons harmoniser les procédures d’évaluation pour qu’il n’y ait pas de difficulté avec les parquets. Ensuite, bien entendu, nous prendrons en charge ces jeunes, lorsque leur minorité aura été reconnue.

M. le Premier ministre, qui se rendra vendredi à l’Assemblée des départements de France, aura l’occasion de vous y annoncer un plan d’action très concret. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

états généraux de la politique de la ville

M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour le groupe La République En Marche.

M. Frédéric Marchand. Ma question s’adresse à M. le ministre de la cohésion des territoires.

Monsieur le ministre, la politique de la ville est née il y a quarante ans avec les premières opérations « Habitat et vie sociale », prémices de la politique de la ville et de sa méthode.

Malgré l’engagement des acteurs sur le terrain et les progrès réalisés en matière de cohésion sociale, de cadre de vie, de renouvellement urbain et d’emploi, le regard porté sur les quartiers populaires reste encore trop souvent négatif et stéréotypé.

Vous le savez, les habitants de ces quartiers ne veulent pas être assignés à résidence ! Bien au contraire, ils revendiquent de la dignité, de la considération et, bien évidemment, du travail.

Maire, pour encore quelques jours, d’une commune dans la métropole lilloise dont deux quartiers sont inscrits en politique de la ville depuis le 1er janvier 2015, je suis, comme tous les élus, conscient de la nécessité d’engager une nouvelle étape pour tenir cette belle promesse républicaine qui nous est chère : l’égalité des territoires.

Monsieur le ministre, au-delà des premières décisions prises sur cette grande cause nationale, je pense notamment aux classes dédoublées de CP en REP+, dont chacun salue en cette rentrée scolaire la pertinence, pouvez-vous nous indiquer les mesures qui seront mises en œuvre dans les prochains mois pour conforter les territoires urbains en souffrance dans des domaines aussi essentiels du quotidien que sont le logement, l’emploi, l’éducation ou bien encore la sécurité ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Marchand, j’entends le message des élus locaux et des maires sur la politique de la ville.

Nous connaissons la fragilité de nombre de ces quartiers. Comme vous l’avez souligné, cette politique de la ville a été lancée voilà quarante ans, avec des hauts et des bas. Si la réussite avait été totale, elle n’existerait plus aujourd’hui.

Nous sommes face à des situations très diverses. Nos concitoyens, habitants et élus de ces quartiers, veulent simplement disposer des mêmes droits, des mêmes chances que les autres. C’est ce que l’on appelle le droit commun.

Je voudrais d’abord apporter des précisions sur les questions budgétaires : la première étape de notre engagement, autour du Premier ministre, a été de reconduire le budget de la politique de la ville en 2018 – 430 millions d’euros – et pour les années suivantes.

Nous avons également augmenté la DPV, la dotation politique de la ville, pour la porter à 150 millions d’euros et accru le montant de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, la DSU, de 90 millions d’euros. Voilà quelle est la réalité financière budgétaire.

Je voudrais ensuite souligner, comme vous, qu’il est nécessaire de mener une politique forte en matière d’éducation, où beaucoup reste à faire.

La mise en place de 2 500 classes dédoublées dans ces quartiers – les réseaux d’éducation prioritaire « plus », ou REP+, ont été visés en priorité – témoigne du caractère extrêmement volontariste de cette politique. Nous allons également bientôt mettre en place des emplois francs dans ces mêmes quartiers.

Vous avez enfin évoqué la sécurité, essentielle dans ces quartiers. Nous devons mettre en place une police de proximité. Des efforts considérables doivent être réalisés pour lutter, tous ensemble, contre le communautarisme. Si la République recule dans ces quartiers, d’autres, qui sont déjà à l’œuvre, viendront prendre sa place. (Des noms ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il s’agit d’un enjeu tout à fait fondamental et prioritaire.

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. Jacques Mézard, ministre. J’entends que nous menions une politique interministérielle très forte sur tous ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

assises de l'outre-mer

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Stéphane Artano. Ma question s'adresse à Mme la ministre des outre-mer.

Madame la ministre, vous lancerez jeudi, à Saint-Pierre-et-Miquelon, les assises de l’outre-mer voulues par la Président de la République. J’espère qu’elles ne connaîtront pas le triste succès des états généraux des outre-mer. Je formule le vœu sincère qu’elles soient un véritable succès pour la République.

Depuis huit ans, sur mon territoire, les élus du conseil territorial réconcilient la société civile avec la politique par une démocratie participative permanente et renforcée. Je me félicite donc de votre initiative ambitieuse.

Toutefois, en posant comme postulat que les assises permettront de réinventer les outre-mer, certains pensent déjà que les élus ultramarins n’ont rien fait. Nos territoires sont pourtant en mouvement : à Saint-Pierre et Miquelon, en 2009, nous avons adopté, au travers d’une démarche de territoire innovante, un schéma de développement économique sur vingt ans qui a reçu le soutien de l’Union européenne.

Nous avons adopté avec l’État, en 2015, trente-huit mesures concrètes qui vont occuper le territoire pour les cinq prochaines années.

En mars 2017, cette démarche innovante nous a permis de convaincre 70 % de la population du bien-fondé de ce plan de développement économique.

Madame la ministre, vous avez indiqué que ces assises constitueront la feuille de route des politiques publiques de ce quinquennat en outre-mer. Il ne faut pas vendre du rêve à nos concitoyens, qui attendent des projets concrets.

L’État respectera-t-il la légitimité électorale des programmes de développement économique en cours ? Comment ne pas craindre une cacophonie, voire un mélange des genres, entre tenue des assises, élaboration concomitante des projets État-collectivités et plan de convergence du projet de loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique ? Il s’agit de trois documents différents avec des vocations différentes. Comment organiserez-vous leur articulation ?

Enfin, l’État est-il prêt à assumer budgétairement cette ambition présidentielle ou présentera-t-il la facture aux collectivités déjà mises à mal ces derniers temps ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Comme vous l’avez rappelé, le Président de la République a souhaité, lors de sa campagne électorale, que les assises des outre-mer soient organisées dès le début de ce quinquennat.

Ces assises ont bien évidemment pour objectif de construire des politiques innovantes, de réinventer de nouveaux outils, tout en évaluant ceux qui existent, pour construire notre parcours commun tout au long de ce quinquennat.

Tous les sujets peuvent être abordés et chaque territoire est libre de ses choix. Mayotte, par exemple, a choisi d’aborder la question de la sécurité, ce qui se comprend aisément eu égard à la situation de ce territoire ; la Nouvelle-Calédonie, quant à elle, a souhaité évoquer la question de la jeunesse ; Saint-Pierre-et-Miquelon – il est important de le souligner – a choisi ses priorités en concertation avec les élus locaux et la société civile.

La mise en place d’une plateforme numérique permettra à l’ensemble de nos citoyens d’outre-mer de s’exprimer. Nous voulons renouer ce lien avec ceux qui n’ont que rarement la parole.

Vous vous interrogez, monsieur le sénateur, sur l’issue des assises et leur traduction législative, ou encore sur leur lien avec les autres exercices démocratiques en cours sur les territoires. Soyez rassuré : l’idée n’est pas de tout oublier, mais bien de remettre en perspective un certain nombre de projets de territoires et de leur apporter des réponses précises, notamment en matière d’outils. Nous voulons créer un véritable écosystème économique pour aider au développement des territoires et accompagner l’ensemble des projets sociaux.

Prenons tous notre avenir en main et participons à ces assises, à tous les niveaux. C’est par la coconstruction, méthode qui m’est chère, que nous pourrons apporter une réponse efficace aux défis que doivent relever les territoires d’outre-mer.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour la réplique

M. Stéphane Artano. N’oubliez pas que les initiatives viennent des territoires. L’innovation est déjà présente, les programmes existent. Il suffit que le Gouvernement les respecte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

logement social

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pascal Savoldelli. En l’absence du ministre du logement, ma question s'adresse à M. le ministre de la cohésion des territoires.

Les déclarations du Président de la République, dimanche dernier, ont suscité une profonde indignation.

Il a ainsi déclaré : « Dans le monde HLM, il y a des réserves, on le sait, depuis des décennies, il y a des acteurs qui ont beaucoup d’argent », avant de poursuivre : « Dans le monde HLM, il y a des organismes qui ont de l’argent et qui ne le dépensent plus, qui ont construit une forme de rente ».

Monsieur le ministre, quel est le montant de cette rente ? Avez-vous des chiffres à avancer après ces graves accusations ? Rappelons que les moyens des offices, comme l’exige la loi, sont réinvestis dans l’économie réelle au service des locataires – construction, réhabilitation… – et ne sont jamais distribués sous forme de dividendes.

Après la manifestation de samedi dernier pour le maintien des aides personnalisées au logement, ou APL, plusieurs rassemblements se tiennent aujourd’hui pour la défense de l’habitat social, des locataires et des personnels des bailleurs sociaux.

J’entends souvent certains ministres dire que « la rue ne fait pas la loi ». Mais la rue, monsieur le ministre, c’est aussi la République sociale inscrite dans notre Constitution. Vous vous devez donc de répondre aux questions posées : à quoi vont servir les 3,2 milliards d’euros pris sur deux ans au logement social et aux bailleurs ? Est-ce là que vous allez chercher le financement des nouveaux cadeaux faits aux plus riches et qui coûteront la bagatelle de 4 milliards d’euros ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, l’État consacre plus de 40 milliards d’euros au logement et notre pays compte encore plus de 4 millions de mal-logés. Il y a là une responsabilité collective qui ne date pas d’aujourd’hui.

J’entends et peux comprendre votre question. Je respecte les sensibilités diverses et l’expression de la rue. Je me suis d’ailleurs rendu au congrès de l’Union sociale pour l’habitat, l’USH, où – la vie démocratique est ainsi faite – j’ai passé un bon moment… (Sourires.)

Encore une fois, nous portons une responsabilité collective sur ces questions. Le Sénat apporte sa contribution depuis des années en menant de nombreux travaux sur le logement dont nous tiendrons le plus grand compte.

Je ne vais pas m’abriter derrière les rapports de la Cour des comptes, je sais ce que d’aucuns ici peuvent en penser, y compris au sein de votre groupe, monsieur Savoldelli, mais tout de même… J’ai souvent entendu parler ici des « dodus dormants ». Cela ne veut pas dire que toutes les structures HLM sont en difficulté, mais, très simplement, qu’il y a une grande diversité. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de restructurer et de mutualiser ces organismes.

M. Pierre Ouzoulias. Plus de 4 milliards pour les riches !

M. Gilbert Roger. Où est la rente ?

M. Jacques Mézard, ministre. Ma porte, comme celle du secrétaire d’État, est toujours ouverte pour dialoguer avec les bailleurs sociaux et elle le restera ! M. le Premier ministre a fait des propositions de compensation qui ne sont pas neutres. Je vais poursuivre ce dialogue avec l’ensemble du Gouvernement. Je suis certain que nous trouverons, c’est le cas de le dire, des solutions constructives. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. Mes chers collègues, vous apprécierez la réponse à ma question…

Je vous rappelle, monsieur le ministre, que la dette de l’État envers les organismes HLM s’élève à 2 milliards d’euros. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Vous faites ces économies pour financer votre réforme de l’ISF : c’est une politique de classe.

Pour reprendre les mots de Jules Renard, « si on doit fêter votre politique du logement, la plus grande pièce sera la salle d’attente ! » (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

lutte contre la pauvreté

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Yannick Vaugrenard. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Nous célébrons aujourd’hui, mardi 17 octobre, la Journée mondiale du refus de la misère.

La France, classée parmi les pays dits « riches », n’échappe cependant pas à la pauvreté, qui touche près de 9 millions de nos concitoyens.

Ce sont fréquemment les mêmes qui ont à supporter la double peine : être pauvres et stigmatisés. Trop souvent, la méfiance, voire la défiance, l’emporte sur la confiance. Trop souvent, il est question d’assistés, alors que nous devrions parler d’ayants droit de notre démocratie. Trop souvent, l’isolement est le compagnon de la misère. Trop souvent, enfin, les complexités administratives sont les causes du non-recours, estimé à près de 10 milliards d’euros par an.

Dans notre France des droits de l’homme, un enfant sur cinq est pauvre, et même un sur deux dans nos zones urbaines sensibles. Oui, ceci est condamnable ; oui, ceci est intolérable.

Quelques avancées nécessaires ont eu lieu, mais elles restent très insuffisantes face à l’ampleur du fléau. C’est d’un véritable plan de lutte pour l’éradication de la pauvreté dont notre société a besoin. C’est cela qu’il faut mettre en œuvre, en liaison étroite avec les associations caritatives et humanitaires.

Jamais la lutte contre la pauvreté ne doit servir de variable d’ajustement budgétaire.

Monsieur le Premier ministre, quelle est votre ambition sur cette question majeure, à la fois sociale et sociétale ? Quelles mesures comptez-vous prendre ?

Mes chers collègues, un de nos illustres prédécesseurs, Victor Hugo, écrivait : « L’homme est fait, non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes ». S’attaquer sans relâche à ce drame de la misère, c’est aussi ouvrir un peu plus les ailes de notre démocratie. Alors, faisons-le ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Gouvernement… Pardon, avec le Parlement – le Gouvernement, il s’en débrouille ! (Sourires.) –, porte-parole du Gouvernement.

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement. Voilà un accueil chaleureux, monsieur le président ! (Nouveaux sourires.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Vaugrenard, quelle que soit notre place dans cet hémicycle, la lutte permanente contre la pauvreté nous rassemble tous.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, le constat est dramatique : 3 millions d’enfants, soit un enfant sur cinq, sont en situation de grande pauvreté ; 36 % des familles monoparentales sont touchées par la pauvreté – ce chiffre monte à 70 % dans le cas des mères isolées sans travail. Telle est la réalité dans notre pays.

En ce 17 octobre, nous célébrons un triste anniversaire, celui de la trentième journée internationale de lutte contre la pauvreté.

Vous avez raison, monsieur le sénateur : nous devons agir à tous les niveaux. C’est ce que le Gouvernement fait, en matière d’éducation, quand il décide d’investir massivement dans les quartiers les plus difficiles de notre République en dédoublant les classes dans les REP+.

Le Gouvernement agit aussi en matière de logement, à travers le programme « logement d’abord », qui s’adresse à celles et ceux qui, exclus du logement, sont notamment obligés de séjourner à l’hôtel. Nous sommes mobilisés pour ces personnes. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. Roland Courteau. Et vous supprimez l’ISF !

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État. Le Gouvernement agit aussi dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018… (Exclamations redoublées sur les mêmes travées.)

Puisque vous évoquez l’ISF, je citerai à mon tour Victor Hugo en disant qu’« il faut savoir limiter la pauvreté sans limiter la richesse ». (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Il y a celles et ceux qui considèrent que l’on peut dépenser ce que l’on n’a pas produit et il y a ceux qui pensent qu’il faut produire pour pouvoir dépenser, protéger et aider les femmes et les hommes dans cette grande difficulté.

C’est tout le sens de l’action que nous portons dans le projet de loi de finances, dont je ne doute pas que vous votiez les mesures de revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés ou de minima sociaux qui, mesdames, messieurs les sénateurs, n’ont pas été augmentés depuis cinq ans. Voilà la réalité du projet de loi de finances !

Mais le Président de la République veut aller plus loin : il a réuni ce matin l’ensemble des acteurs de la lutte contre la grande pauvreté pour définir avec eux, et avec ceux qui sont concernés, un plan d’action qui doit tous nous mobiliser. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

déserts médicaux

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe République et Territoires/Les Indépendants.

M. Daniel Chasseing. Ma question s'adressait à Mme la ministre des solidarités et de la santé ; elle porte sur les déserts médicaux.

L’absence de médecins condamne les territoires à la désertification : pas de retour des retraités ; pas d’implantation de jeunes ; pas de tourisme, pas d’économie ; établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et pharmacies en grande difficulté…

Les progrès technologiques, comme la télémédecine, constituent un plus pour le médecin, mais ne sauraient le remplacer.

Vous avez proposé un plan qui va dans le bon sens entre incitations financières, développement des maisons de santé et mise en place d’actions nouvelles telles que collaboration entre secteur public et privé, cumul emploi-retraite, libération du temps médical, consultations avancées, rémunération des maîtres de stage…

Permettez-moi d’émettre quelques propositions complémentaires : augmenter le numerus clausus, sachant que 20 % des diplômés ne s’installent pas et ne remplacent personne ; instaurer un internat par faculté, en fonction des besoins du territoire ; renforcer les stages du deuxième cycle chez le médecin généraliste ; instaurer un internat de six mois chez le praticien, l’interne épaulant le médecin ; installer, comme de nombreux jeunes le souhaitent, des médecins salariés à même d’intervenir dans les maisons de santé pluridisciplinaires, embauchés par une association hôpital-mairie ou hôpital-département ou par un groupement hospitalier de territoire qui évoluerait juridiquement ; étudier des solutions plus contraignantes telles que le non-conventionnement des praticiens s’installant en zone hyperdense ou l’engagement de l’État pour qu’aucune maison de santé ne reste sans médecin – interne sous la responsabilité d’un médecin référent hospitalier ou intervention d’un jeune diplômé, éventuellement salarié, sur une période à définir.

La République doit garantir l’accès aux soins de premier recours par la présence d’un médecin dans les maisons de santé du territoire.

Je vous remercie, monsieur le ministre de la cohésion des territoires, de votre réponse, très attendue, notamment dans les zones rurales. (Applaudissements sur toutes les travées.)

M. Philippe Dallier. Quel succès !

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires. (Encore ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur Chasseing, vous représentez le département de la Corrèze, département béni des Présidents de la République (Sourires.), où il y a manifestement un manque de médecins.

Je connais bien cette problématique qui concerne nombre de territoires ruraux, mais aussi les quartiers fragiles dont nous parlions voilà quelques instants.

Vos propositions vont dans le bon sens. Le plan présenté par la ministre des solidarités et de la santé, dont je vous prie de bien vouloir excuser l’absence, correspond parfaitement aux mesures que vous souhaitez. Nous prendrons en considération les nouvelles mesures que vous venez de proposer, mais sachez que ce plan prévoit la création de 300 postes d’assistants partagés, salariés par l’hôpital, qui pourront exercer à la fois dans une structure hospitalière et dans des structures ambulatoires dans les zones sous-denses.

Le plan prévoit également le doublement du nombre des maisons de santé – 1 000 sur le quinquennat – grâce aux 400 millions d’euros dédiés dans le plan d’investissement et le renforcement des aides à l’installation avec un budget de 200 millions d’euros.

Le plan permet aux généralistes retraités, et nous connaissons l’importance de cette mesure dans nos territoires, d’avoir une activité à temps partiel. Il s’agit d’un bon signal.

Enfin, vous avez évoqué le contrat d’adjoint dans les zones sous-denses qui permet à un étudiant en médecine d’exercer en même temps qu’un autre médecin, installé en soutien.

Cet ensemble de mesures, auquel peuvent s’ajouter d’autres dispositions, va dans le sens que vous souhaitez.

Nous réfléchissons à l’ouverture du numerus clausus, monsieur Chasseing, mais une telle mesure, dont les effets ne se feraient pas sentir avant dix ans, ne permettrait pas de résoudre les problèmes à court terme.

Ces quelques éléments de réponse vont donc dans le sens de votre excellente question, docteur Chasseing. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le ministre, avec Mme la ministre des solidarités et de la santé, soyez pour la santé ce que Jules Ferry a été pour l’école, en permettant l’accès à un médecin pour les soins de premier recours dans toutes les maisons de santé du territoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe République et Territoires/Les Indépendants, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

notre-dame-des-landes

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe Priou. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et concerne le projet d’aéroport du Grand Ouest. (Ah ! et marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)

De nombreux élus locaux se trouvent confrontés à des citoyens, qui, s’inspirant de la non-application du droit sur la zone de Notre-Dame-des-Landes, s’affranchissent eux aussi de la réglementation, notamment en matière d’urbanisme.

Comment comptez-vous rétablir l’état de droit, alors même que les élus locaux font face à un phénomène contagieux de désobéissance civile en raison de l’inertie de l’État ?

Par ailleurs, les médiateurs dits « indépendants » n’ont pas trouvé le temps d’auditionner les collectivités membres du syndicat mixte de l’aéroport. L’unique contact établi consistant en un bref appel téléphonique au maire de Saint-Nazaire, à 15 heures, pour un rendez-vous à 17 heures à Nantes.

Expliquez-nous, monsieur le Premier ministre, comment ont été choisis ces médiateurs dits « indépendants ». Dans le même temps, pouvez-vous nous faire part du résultat des études complémentaires et nous expliquer comment ont été sélectionnés et mandatés les cabinets d’études ?

Le devoir de vérité et de clarté s’impose pour répondre à une population, et à ses élus, qui se sentent floués et abusés après un référendum dont le résultat, en faveur de la réalisation de cet aéroport, est pourtant incontestable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je tiens tout d’abord à saluer le travail considérable d’ores et déjà réalisé par la mission de médiation sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes.

La mission a auditionné plus de 150 personnes selon une méthode qui a permis de nouer le dialogue à la fois avec les partisans du transfert et les opposants.

Mme Élisabeth Borne, ministre. Chacun peut avoir accès à la mission, mais j’ai bien noté les cas particuliers que vous avez évoqués et que je signalerai moi-même.

La mission mène un travail d’analyse technique qui doit mettre en lumière, de manière factuelle et impartiale, les avantages et les inconvénients de chacune des options.

Dans ce cadre, la lettre de mission prévoyait bien qu’elle recoure à des expertises, menées sur la base d’un protocole strict et dans le respect des règles de la commande publique. Ces expertises seront rendues publiques et chacun pourra comparer et analyser les résultats et les méthodes de ces travaux.

Je sais que ces derniers sont suivis avec une attention et une vigilance toutes particulières, tant par les partisans que par les opposants à ce transfert. J’entends les impatiences, mais le moment est à l’analyse et à l’écoute. Chacun, dans un esprit de responsabilité, doit permettre à la mission de mener son travail sereinement.

Vous pouvez noter que le Gouvernement a fait preuve à la fois de diligence et de transparence sur la méthode dès son arrivée. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je rappelle que la mission a été lancée le 1er juin, soit moins de quinze jours après l’installation du Gouvernement. Ce rapport sera remis en décembre prochain pour éclairer les choix du Gouvernement sur les options en présence. Nous prendrons alors nos responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche – M. Ronan Dantec applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour la réplique.

M. Christophe Priou. Madame la ministre, vous ne nous avez pas convaincus sur l’indépendance des experts.

Ils auraient pu être rejoints par d’autres experts aussi indépendants que Mme Duflot ou M. Mamère… Je force à peine le trait, puisque deux des trois experts étaient notoirement opposés au projet actuel avant leur nomination.

Les déclarations médiatiques du ministre d’État en charge de la transition écologique et solidaire, qui met sa démission dans la balance, ne sont pas de nature à nous rassurer.

Je ne peux que l’inviter à méditer l’adage de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre et ancien sénateur, sur le temps du silence et la parole ministérielle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

finances locales ultramarines

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour le groupe La République En Marche.

M. Georges Patient. Ma question s'adresse à Mme la ministre des outre-mer.

Dans une Guyane qui ne s’est toujours pas apaisée depuis les événements de mars et avril derniers, deux sujets très brûlants exaspèrent les habitants.

Le premier concerne l’immigration clandestine, qui se poursuit à un rythme effréné : plus de 11 000 demandes d’asile, soit autant qu’en France hexagonale, recensées dans un territoire de 250 000 habitants, à tel point que certains n’hésitent pas à parler de « génocide par substitution ».

Le second sujet de crispation porte sur le respect des accords de Guyane et leur absence de visibilité dans les documents budgétaires et dans le grand plan d’investissement.

Je veux espérer que le Président de la République, qui se rend en Guyane en fin de semaine prochaine, apportera à la population les réponses attendues sur ces deux questions incontournables.

Je voudrais cependant surtout évoquer devant vous le dernier rapport de la Cour des comptes, d’une violence inédite à l’égard des élus d’outre-mer. Dans la foulée de cette charge, le président de la chambre régionale des Antilles-Guyane, sortant de son rôle, car s’y sentant autorisé, appelle la population à sanctionner les élus ! En outre-mer tout paraît permis…

Une telle posture de la Cour des comptes est d’autant plus désolante que ce rapport est parsemé d’erreurs grossières. En effet, pour étayer sa démonstration, qui consiste à dire que les collectivités d’outre-mer sont très riches et que leurs difficultés financières découlent uniquement d’une mauvaise gestion, la Cour n’hésite pas à faire des comparaisons qui n’ont pas lieu d’être.

Pourquoi une telle charge, alors que nous savons tous que les collectivités d’outre-mer se trouvent dans une impasse budgétaire structurelle ? Est-ce pour masquer les graves manquements dont elles pâtissent en matière de péréquation ?

La Cour finit tout de même par reconnaître cette situation dans son rapport, pour la première fois. Les représentants des villes capitales des outre-mer et moi-même ne cessons pourtant de le clamer haut et fort depuis dix ans. Il s’agit toutefois d’une avancée majeure…

M. le président. Veuillez poser votre question !

M. Bruno Sido. Il n’en a pas ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Georges Patient. J’en ai deux, et ce sont les suivantes. (Nouveaux sourires.) Quel train de vie peuvent mener les communes des DOM dans un tel contexte de pénurie financière ? Quelles mesures comptez-vous prendre, madame la ministre, pour permettre aux communes des DOM de bénéficier, dès 2018, d’une péréquation juste et équitable ? (M. Alain Bertrand applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, la Cour des comptes a mis en lumière, dans son dernier rapport, la situation financière des collectivités locales d’outre-mer, plus dégradée que celles de métropole. En cela, elle est dans son rôle, et je ne ferai aucun commentaire sur ses conclusions.

Toutefois, comme vous, je veux affirmer ici que les collectivités d’outre-mer sont confrontées à des défis propres que ne peut occulter le débat sur leur situation financière. C’est vrai de la Guyane, où l’explosion démographique et la taille des communes constituent des enjeux majeurs. Ces collectivités, les seules en France à être confrontées à ce type de défis, sont insuffisamment armées pour y faire face.

Les accords de Guyane ont traduit l’engagement et la solidarité du Gouvernement en 2017, avec 89 millions d’euros supplémentaires fléchés vers la collectivité territoriale et les communes. Ces dernières bénéficieront également d’un surcroît de recettes lié à l’octroi de mer qui s’élèvera, à terme, à 27 millions d’euros.

Plus généralement, l’ensemble des territoires d’outre-mer vit au quotidien l’éloignement, l’insularité ou l’enclavement et connaît des taux moyens de pauvreté et de chômage sans équivalent dans l’Hexagone. Là aussi, monsieur le sénateur, je vous rejoins.

La Conférence nationale des territoires, mise en place par le Gouvernement, a lancé une mission chargée de proposer un contrat de mandature aux collectivités. Dans ce cadre, je veille à ce que les particularités des outre-mer soient bien prises en compte.

J’ai moi-même demandé, afin d’alimenter ces débats avec des données spécifiques, à ce qu’un rapport soit rendu, au 1er semestre 2018, sur les structures des charges et des recettes des collectivités ultramarines.

Monsieur le sénateur, je le dis souvent : il n’y a pas pour moi de sujet tabou, et la transparence est au cœur de ma méthode ; nous continuerons à œuvrer dans cet esprit. L’enjeu est clairement posé, les termes du débat doivent être équilibrés, les chiffres précis. Nous débattrons de tous ces sujets. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

états généraux de l’alimentation

M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Cuypers. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, la Mutualité sociale agricole dénonce le fait qu’en 2016 un tiers des agriculteurs français ont gagné moins de 350 euros par mois.

M. Bruno Sido. C’est un scandale !

M. Pierre Cuypers. L’urgence est donc déclarée.

Dans le contexte actuel des états généraux de l’alimentation, le Président de la République a formulé un certain nombre de propositions : « redonner du pouvoir d’achat à nos agriculteurs en leur donnant la possibilité de proposer eux-mêmes un contrat aux groupes agroalimentaires avec une prise en compte des prix de production et avec la mention obligatoire des coûts de revient inscrite dans les contrats » et « soutenir […] le relèvement du seuil de revente à perte ».

Prendre de telles dispositions sera selon lui possible si les agriculteurs se structurent en filières et en interprofessions fortes, portant chacune un projet de transformation : permettez-nous d’en douter pour le moment !

La nature et le calendrier de mise en œuvre de ces engagements sont très approximatifs et restent bien évidemment à définir.

Changer de modèles productifs, peut-être, mais arrêter certaines productions ne s’inscrivant pas dans la concurrence internationale, comme évoqué par le Président de la République, serait catastrophique et fatal. Il faut veiller à donner à notre agriculture les moyens de sa compétitivité.

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de me préciser comment le Gouvernement entend donner suite à ces propositions et de présenter un calendrier. Renvoyer la définition des modalités d’application aux années à venir serait adresser un mauvais signal. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Cuypers, vous avez certainement été, comme moi, attentif au discours du Président de la République, qui redonne du souffle à notre agriculture (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) afin que les agriculteurs puissent demain vivre dignement des revenus de leur activité.

Dans cette perspective, notre action repose sur plusieurs volets.

Il convient d’abord d’inverser la construction des prix, en partant des prix de revient des producteurs pour remonter aux transformateurs et aux distributeurs, afin que chacun des acteurs puisse être justement rémunéré.

Ensuite, le Président de la République a souhaité que les agriculteurs puissent se regrouper en organisations de producteurs pour avoir plus de force, afin que le triptyque transformateurs-distributeurs-producteurs soit triplement gagnant.

Enfin, d’ici à la fin de l’année, nous présenterons au Président de la République, en nous appuyant sur le travail des filières, un plan de restructuration de celles-ci visant à mieux les armer pour répondre demain à la concurrence européenne et mondiale, à les doter d’une vision d’avenir, à leur donner la capacité d’investir et d’innover. Tel est le visage de l’agriculture de notre pays, de la « ferme France », que nous souhaitons pour demain.

Nous avons déjà bouclé le premier chantier, portant sur la création et la répartition de la valeur. Nous souhaitons, au travers du deuxième chantier que nous avons lancé ces derniers jours, permettre aux consommateurs de notre pays de bénéficier d’une alimentation saine, durable et accessible à tous. Cela signifie miser sur la qualité, faire monter nos aliments en gamme vers une qualité « premium », tout en faisant en sorte que le budget moyen du consommateur ne soit pas altéré. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.

M. Stéphane Travert, ministre. Dans cette perspective, nous disposons d’un certain nombre d’outils. Dès le premier semestre prochain, nous présenterons un projet de loi visant à faire en sorte que la « ferme France » soit demain en mesure de faire face aux défis et aux enjeux qui l’attendent. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour la réplique.

M. Pierre Cuypers. Monsieur le ministre, nous n’avons pas entendu ou lu la même chose !

L’enjeu primordial est de permettre à tous les agriculteurs de vivre de leur travail et de mettre en place des politiques propres à les accompagner, à les soutenir, au lieu de les entraver. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

harcèlement

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Angèle Préville. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Longtemps, les femmes se sont tues, parce que le moyen de survie en milieu hostile est d’être comme étranger à soi-même. Les femmes en phase de dissociation après une agression ne parlent pas. Mais la parole des femmes vient de se libérer, au travers de dizaines de milliers de tweets. Devant cette clameur qui s’élève, que comptez-vous faire, madame la secrétaire d’État ? Ce cri qui s’étouffait dans nos gorges, le voilà enfin audible par le truchement des réseaux sociaux. Sa portée est considérable, et il doit être non seulement entendu, mais vraiment pris en compte. Des mesures concrètes, d’application rapide, doivent être prises pour venir au secours des femmes qui ont osé s’exprimer.

Mais agir ne doit pas seulement consister à panser les plaies ; il faut s’attaquer aux racines du mal.

Peut-on envisager la tenue d’un débat de moralisation générale qui permettrait de mettre en question la pornographie accessible à tous, notamment à nos enfants, la publicité qui entretient l’idée que nous, les femmes, sommes des objets ? Sans oublier l’éducation des garçons, peut-on envisager la mise en œuvre d’un volet pédagogique d’information des filles, absolument nécessaire et aujourd’hui cruellement absent, sur les dangers d’être une femme dans notre société ? Qu’envisagez-vous concernant ces hommes de pouvoir ayant abusé de leur position dominante pour contraindre des femmes à ce qu’elles ne voulaient pas ? Je me prends à rêver –c’est un rêve subversif ! – que, dans les entreprises ou les administrations, les présidents, les directeurs, les chefs d’équipe ayant fauté soient systématiquement remplacés par des femmes.

Enfin, je pense aux femmes qui ne peuvent s’exprimer, celles qui sont victimes de violences dites pudiquement « conjugales ». C’est un crime de masse qui est passé sous silence et qui concerne environ 130 femmes par an. Que proposez-vous de concret pour réduire le nombre de ces victimes ? Peut-on envisager une médiatisation à la fois nationale, par une information claire dans les journaux, et locale,…

M. le président. Veuillez conclure.

Mme Angèle Préville. … comme cela se pratique en Espagne, où l’on installe à l’entrée des villes ou sur les places des silhouettes figurant les victimes, avec mention de leur nom et de la date du décès ?

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Angèle Préville. Ce scandale enfin révélé vous interpelle et vous oblige, madame la secrétaire d’État. J’attends votre réponse ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, vous avez extrêmement bien posé le problème et je vous remercie de votre engagement. Que pouvons-nous faire ? C’est une vraie question. Les femmes parlent, mais cela ne suffit pas, car encore faut-il que la société les entende et que les pouvoirs publics leur répondent.

C’est pour leur répondre que le Président de la République a décidé que l’égalité entre les femmes et les hommes serait la grande cause nationale de son quinquennat. C’est pour leur répondre que nous augmentons le budget des droits des femmes pour 2018 et que nous le sanctuarisons pour l’ensemble du quinquennat. C’est pour leur répondre que le Premier ministre a lancé, le 4 octobre dernier, le Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes. Les ateliers et les consultations conduits dans le cadre de ce dernier m’amèneront à présenter en 2018, avec la garde des sceaux, Nicole Belloubet, une première grande loi citoyenne dont la préparation associera les parlementaires, les territoires, les experts, les victimes, les femmes, les associations. Elle nous permettra d’assurer une juste condamnation sociétale et judiciaire des violences sexistes et sexuelles.

Si je partage pleinement, madame la sénatrice, votre engagement sur le fond, je me permettrai d’émettre une petite réserve sur la forme : je pense qu’il s’agit ici non pas de morale, mais de droit. « Il n’y a pas de phénomènes moraux, rien qu’une interprétation morale des phénomènes » disait Nietzsche. C’est pourquoi nous devons faire évoluer notre droit. Je compte sur les sénatrices et les sénateurs pour cela ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement. Je remercie M. le Premier ministre et l’ensemble des ministres.

Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le jeudi 26 octobre 2017 et seront retransmises sur France 3, Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

Article 5 (nouveau) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 6 (nouveau)

Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l’article 6.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 7 (nouveau)

Article 6 (nouveau)

La sous-section 2 de la section 2 du chapitre II du sous-titre Ier du titre III du livre III du code civil est ainsi modifiée :

1° Au second alinéa de l’article 1145, les mots : « aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, » sont supprimés ;

2° Au premier alinéa de l’article 1158, les mots : « qu’il fixe et qui doit être raisonnable » sont remplacés par les mots : « de deux mois » ;

3° Au début du premier alinéa de l’article 1161, les mots : « Un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat » sont remplacés par les mots : « En matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ».

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 28, présenté par M. de Belenet, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Au premier alinéa de l’article 1145, le mot : « physique » est supprimé ;

II. – Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

…° Le second alinéa de l’article 1145 est supprimé ;

Cet amendement a été précédemment retiré.

L’amendement n° 17, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° Au second alinéa de l’article 1145, les mots : « aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, dans le respect des » sont remplacés par les mots : « par les » ;

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Nous partageons la position de la commission sur la nécessité de préciser la définition de la capacité des personnes morales. Le Gouvernement n’avait aucunement souhaité, en consacrant la capacité des personnes morales dans le code civil, modifier le droit positif. La référence aux actes utiles à la réalisation de l’objet statutaire ne visait nullement à exiger une appréciation en opportunité de l’acte au regard de l’intérêt social. De la même manière, le Gouvernement n’entendait pas, par ce texte, remettre en cause les solutions propres à chaque forme de personne morale.

J’ai entendu toutefois les craintes émises par les praticiens sur la portée qui pourrait être donnée à ce texte. Le récrire pour poser le principe de capacité limitée des personnes morales et renvoyer aux textes propres à chaque personne morale me semble donc opportun.

Je vous soumets donc un amendement de nature purement rédactionnelle visant à préciser le renvoi opéré aux règles spéciales en prévoyant que « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Le Gouvernement reconnaît au travers de cet amendement, au moins implicitement, que la rédaction de l’ordonnance posait de graves difficultés. C’est la raison pour laquelle j’avais proposé à la commission, après un échange avec les services de la Chancellerie, de la corriger.

Dans ces conditions, je dois avouer que je ne comprends pas bien pourquoi notre rédaction ne convient pas ou plus, d’autant que celle qui est proposée par le Gouvernement me paraît quelque peu restrictive.

Dire que « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles » suppose qu’il existe bien des règles claires, écrites, ce qui n’est pas évident en droit des sociétés, contrairement au droit des associations.

La formulation retenue par la commission – « dans le respect des règles applicables à chacune d’entre elles » – me semble plus large, plus adaptée à la diversité des droits spéciaux. Selon moi, elle est un peu plus ciselée !

Pour autant, madame la garde des sceaux, il ne m’apparaît pas que votre proposition soit de nature à constituer une écharde dans nos relations ! (Sourires.) Pour cette raison, j’émettrai un avis de sagesse positive.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié.

(L’article 6 est adopté.)

Article 6 (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article additionnel après l'article 7

Article 7 (nouveau)

La sous-section 3 de la section 2 du chapitre II du sous-titre Ier du titre III du livre III du code civil est ainsi modifiée :

1° L’article 1165 est ainsi modifié :

a) La seconde phrase est supprimée ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. » ;

2° À l’article 1166, les mots : « aux attentes légitimes des parties » sont remplacés par les mots : « à ce que pouvait raisonnablement attendre le créancier » ;

3° Au premier alinéa de l’article 1171, après le mot : « clause », sont insérés les mots : « non négociable, unilatéralement déterminée à l’avance par l’une des parties, ».

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 10 rectifié, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :

I. – Au début

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

... – L’article 1128 du code civil est ainsi modifié :

1° Le 3° est ainsi rédigé :

« 3° Un objet certain qui forme la matière de l’engagement ; »

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« …° Une cause licite dans l’obligation. »

II. – Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° À l’article 1162, les mots : « ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties » sont remplacés par les mots : « ni par son objet, ni par sa cause, que celle-ci ait été connue ou non de toutes les parties » ;

III. – Après l’alinéa 6

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° Après l’article 1167, il est inséré un article 1167-… ainsi rédigé :

« Art. 1167-… – Toute obligation doit avoir une cause et la cause du contrat elle-même doit être licite. La cause de l’obligation réside dans la contre-prestation, dans l’intérêt recherché ou dans le mobile déterminant entré dans le champ contractuel. Tous les autres mobiles relèvent de la cause du contrat. » ;

IV. – Alinéa 7

Rédiger ainsi cet alinéa :

3° L’article 1171 est abrogé.

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Le nouvel article 1128 du code civil supprime la référence à la cause et à l’objet du contrat, remplacés par la notion de « contenu du contrat ». Les nouveaux articles 1162 à 1171 du code civil déclinent cette notion, en reprenant une partie des différentes fonctions que la jurisprudence avait assignées à la cause et à l’objet.

Il s’agit de concepts précis, définis par une abondante jurisprudence, mais également de notions suffisamment flexibles pour permettre au juge de prendre en compte l’apparition de nouveaux risques contractuels et de nouvelles situations.

Or l’ordonnance remplace ces concepts tout à la fois précis et souples par une notion floue et incertaine, celle de « contenu du contrat », qui ne manquera pas d’engendrer un abondant contentieux.

Il convient par ailleurs de souligner que la référence à la cause a été supprimée sous le faux prétexte que son maintien aurait nui à l’attractivité du droit français. Or aucune entreprise étrangère ni aucune entreprise française dans ses rapports avec des partenaires étrangers n’a jamais refusé l’application du droit français afin d’échapper à la cause.

Il convient dès lors de rétablir les notions d’objet et de cause à la place de celle de contenu du contrat. Le nouvel article 1162 du code civil doit également être modifié pour faire référence à l’objet et à la cause du contrat.

M. le président. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Rédiger ainsi cet alinéa :

3° L’article 1171 est abrogé.

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Cet amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 29 rectifié, présenté par MM. de Belenet et Richard, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

…° L’article 1171 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Cet article n’est pas applicable aux relations entre professionnels et consommateurs, ni aux relations avec un partenaire commercial au sens du code de commerce. »

Cet amendement a été précédemment retiré.

Quel est l’avis de la commission sur les amendements restant en discussion ?

M. François Pillet, rapporteur. L’amendement n° 10 rectifié, qui vise à rétablir la notion de cause dans le droit des contrats, relève en quelque sorte d’une « séquence nostalgie »… (Sourires.) Certes, d’aucuns peuvent regretter la disparition de cette notion, en particulier les juristes de ma génération, même si je serais prêt à confesser que, au bout d’une dizaine d’années d’études, ses contours ne m’étaient toujours pas complètement clairs ! (Nouveaux sourires.)

Les représentants de certains systèmes juridiques étrangers très inspirés par notre code civil, notamment en Amérique latine ou au Liban, déplorent eux aussi cette suppression.

Toutefois, la doctrine a, majoritairement me semble-t-il, validé cette évolution, que certains qualifieront de modernisation.

Surtout, si la notion de cause a disparu, il me semble que les éléments constitutifs en sont toujours présents. L’article 1128 du code civil prévoit ainsi que le contrat doit avoir un contenu licite et certain pour être valide et, aux termes de l’article 1162 du même code, il ne peut pas déroger à l’ordre public par son but. Le contenu et le but renvoient aux fonctions de la cause, de sorte que la jurisprudence ne se trouvera pas bouleversée. Pour reprendre l’image, peut-être un peu légère, que j’ai utilisée ce matin en commission, si la cause est sortie côté jardin, elle est rentrée côté cour ! Cela ne mérite peut-être pas que l’on modifie l’ordonnance sur ce point.

Je rappelle la ligne générale de la commission : si le Sénat était hostile à la mise en œuvre par ordonnance d’une aussi importante réforme de notre droit civil, nous devons faire preuve de responsabilité maintenant que cette réforme est en vigueur depuis plus d’un an et ne pas en remettre en cause les grandes options, en l’espèce la suppression de la notion de cause. Les praticiens ne le comprendraient pas.

J’espère, madame Mélot, vous avoir au moins rassurée sur le fait que, dans l’ombre, la cause existe encore, et je vous invite en conséquence à retirer l’amendement n° 10 rectifié.

En ce qui concerne l’amendement n° 9 rectifié, on peut comprendre la critique émise par ses auteurs, d’autant que le mécanisme n’a pas vocation à s’appliquer dans les champs déjà couverts par des dispositifs comparables en droit de la consommation et en droit des relations commerciales. L’exemple du droit allemand peut légitimement nourrir cette critique. On peut aussi critiquer ce dispositif au motif que le droit commun des contrats postule l’égalité entre les parties, les déséquilibres structurels étant traités par les droits spéciaux.

Toutefois, là encore, par esprit de responsabilité, la commission n’a pas remis en cause le choix du Gouvernement, qui semble admis – certes sans grand enthousiasme – par les milieux économiques dans le périmètre circonscrit des contrats d’adhésion, dont la commission a revu la définition à l’article 1111.

Je vous suggère de retirer cet amendement, madame Mélot, tout en reconnaissant la réalité et le sérieux de sa motivation.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis sur les deux amendements.

M. le président. Madame Mélot, les amendements nos 10 rectifié et 9 rectifié sont-ils maintenus ?

Mme Colette Mélot. Non, monsieur le président. Je remercie M. le rapporteur pour toutes les précisions qu’il a apportées. N’étant pas membre de la commission des lois, je n’avais pas eu l’occasion d’entendre ces arguments.

Je retire les deux amendements.

M. le président. Les amendements nos 10 rectifié et 9 rectifié sont retirés.

L'amendement n° 11 rectifié bis, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Guerriau, Fouché, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Au premier alinéa de l’article 1164, les mots : « l’une des parties » sont remplacés par les mots : « le fournisseur de biens ou le prestataire de services » ;

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Afin d’éviter toute ambiguïté relative à l’identité du cocontractant qui peut se voir octroyer une prérogative de fixation unilatérale du prix, il convient de préciser que, dans les contrats-cadres, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par le fournisseur de biens ou le prestataire de services.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. La logique de l’article 1164 du code civil est bien que ce soit le débiteur de l’obligation qui puisse fixer unilatéralement le prix. L’inverse est sans doute un cas d’école, une hypothèse assez rare. Cet amendement donne l’occasion de clarifier cette interprétation, sans modifier le texte.

En outre, l’article 1164 précise que les parties peuvent en disposer ainsi, c’est-à-dire qu’elles peuvent en disposer autrement. C’est une disposition supplétive de volonté. En d’autres termes, laissons les parties décider librement qui peut fixer le prix dans un contrat-cadre, que ce soit le débiteur ou, exceptionnellement, le créancier.

Je sollicite également le retrait de cet amendement, madame Mélot.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. Madame Mélot, l’amendement n° 11 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Colette Mélot. Non, monsieur le président. À la suite de la clarification apportée par M. le rapporteur, je le retire.

M. le président. L’amendement n° 11 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…) À la première phrase, le mot : « créancier » est remplacé par les mots : « prestataire de services » ;

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Je persiste et signe ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. La logique de l’article 1165 du code civil veut que ce soit le créancier du prix qui puisse, si les parties en ont disposé ainsi, fixer unilatéralement le prix. L’inverse n’aurait pas de sens, comme je l’indique très clairement à la page 56 de mon rapport.

Cet amendement donne l’occasion de clarifier l’interprétation à faire de cette disposition : dont acte. Il n’y a pas lieu, dès lors, de modifier le texte.

Je demande le retrait de l’amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement demande également le retrait de l’amendement.

M. le président. Madame Mélot, l’amendement n° 5 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Colette Mélot. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 5 rectifié bis est retiré.

L'amendement n° 18, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet de revenir à la rédaction initiale de l’article 1166 du code civil, telle qu’issue de l’ordonnance du 10 février 2016. Ce texte permet de fixer le degré de qualité de la prestation attendue dans un contrat lorsqu’aucune clause ne la détermine ni ne permet de la déterminer. L’ordonnance s’inspire d’ailleurs sur ce point des projets européens d’harmonisation du droit, qui renvoient aux attentes légitimes des parties, c’est-à-dire de toutes les parties au contrat.

En effet, la qualité de la prestation doit être appréciée au regard non seulement de ce que le créancier pouvait espérer recevoir, mais également de ce que le débiteur s’attendait de son côté à devoir fournir.

La présentation qui a été faite par le rapport au Président de la République était destinée à illustrer l’intérêt de ce texte. Elle ne doit donc pas être interprétée comme limitative lorsqu’elle ne renvoie qu’à la qualité attendue par le créancier.

Les attentes du créancier ne constituent pas le seul élément d’appréciation de la qualité de la prestation, qui doit être effectivement recherchée dans la commune intention des parties au regard du type de contrat en cause, selon les circonstances de sa conclusion et les usages.

C’est à une mise en balance des attentes respectives des parties qu’invite à procéder le texte. D’ailleurs, en visant « les attentes légitimes des parties », l’article 1166 entendait se démarquer de l’ancien article 1246 du code civil, qui ne renvoyait, lui, qu’à la seule situation du débiteur.

En outre, le recours à la notion d’attentes légitimes des parties permet d’objectiver l’appréciation de la qualité de la prestation en l’absence de stipulations contractuelles sur ce point. Le contenu de cette notion d’attentes légitimes des parties sera notamment déterminé en considération de la nature de la prestation en cause, des usages dans le domaine considéré et de la contrepartie, c’est-à-dire, le plus souvent, du prix.

Il nous semble donc préférable, dans un souci d’équilibre, de ne pas s’attacher aux seules attentes du créancier.

Au bénéfice de ces explications, je vous demanderai, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir rétablir le texte initial de l’ordonnance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. J’ai un peu de mal à suivre le raisonnement du Gouvernement et à comprendre pourquoi il veut revenir à la rédaction initiale de l’ordonnance sur ce point…

Aux termes de l’ordonnance, lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en fonction du contrat, le débiteur de l’obligation doit fournir « une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties ». Je ne comprends pas quelle peut être l’attente légitime du débiteur de l’obligation en termes de qualité de prestation : il est le mieux placé pour savoir ce qu’il peut attendre de lui-même… C’est bien le créancier de l’obligation qui peut légitimement attendre un certain niveau de qualité, un certain type de prestation, tempéré par la nature de la prestation, les usages de la profession et le prix, trois critères d’objectivation mentionnés par le code civil qui guideront le juge si besoin est.

Devant la commission des lois, j’ai pris un exemple qui vaut ce qu’il vaut. Lorsque l’on commande son portrait à un peintre, il peut être plus ou moins ressemblant, et il est difficile de déterminer précisément la prestation dans le contrat : l’attente légitime est celle de celui qui commande le portrait, pas celle du peintre…

Je ne comprends donc pas la signification de la référence aux attentes légitimes des deux parties. Sur ma proposition, la commission a retenu une rédaction plus claire, me semble-t-il, sans recourir à la notion inusitée d’attentes légitimes et en se calant d’ailleurs au plus près de l’objectif énoncé sans ambiguïté dans le rapport au Président de la République, qui précise que la qualité de la prestation, laquelle ne peut être déterminée à l’avance, doit correspondre à « la qualité que le créancier pouvait raisonnablement espérer ».

C’est la raison pour laquelle je sollicite le retrait de cet amendement, madame la garde des sceaux. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 18.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

Article 7 (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 8 (nouveau)

Article additionnel après l'article 7

M. le président. L'amendement n° 30 rectifié, présenté par MM. de Belenet et Richard, est ainsi libellé :

Après l'article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La seconde phrase du premier alinéa de l’article 1183 du code civil est supprimée.

La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. L’adoption de cet amendement ne bouleverserait que de façon très relative l’économie générale du texte…

L’amendement vise simplement à supprimer les mots « la cause de la nullité doit avoir cessé », cette mention étant superfétatoire. S’il s’agit d’une nullité subjective, c’est une évidence car sinon elle vicierait la confirmation – je pense à un vice du consentement tel que l’erreur, le dol ou la violence. S’il s’agit d’une nullité objective, l’acte est sans doute atteint et, en pratique, au regard de la jurisprudence, la confirmation de ce dernier se trouve interdite.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Je dois dire que je me suis posé la même question que vous sur cette disposition, mon cher collègue. J’en ai fait part au Gouvernement, puis, après réflexion, j’ai renoncé à modifier le texte.

Le code prévoit ce que l’on appelle une action interpellative dans l’hypothèse où un contrat est entaché d’une cause de nullité. Une partie peut demander à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois. Ce dispositif a pour but de purger le débat sur la nullité, pour sécuriser le contrat ou, le cas échéant, pour en demander l’annulation.

Pourquoi est-il logique de prévoir que la cause de nullité doit avoir cessé pour que cette action interpellative puisse être mise en œuvre ? Je précise que cela ne vaut que pour les cas de nullité relative, car on ne peut pas confirmer un contrat entaché d’une nullité absolue. L’objectif est de protéger la partie qui pourrait se prévaloir de la nullité pour faire annuler le contrat, pour éviter qu’elle ne soit atteinte par la forclusion de l’action en nullité, dans les six mois de l’interpellation, si l’autre partie, à l’origine de la nullité, l’interroge.

Par exemple, en cas de vice du consentement du fait de violences ou d’un dol qui demeure caché, si le contractant peut interroger le cocontractant toujours soumis à une situation de violence ou toujours ignorant du dol dont il est victime – c'est-à-dire dans une hypothèse où la cause de la nullité n’a pas cessé –, celui-ci pourrait être contraint de confirmer le contrat sans plus être en mesure de se prévaloir de sa nullité ultérieurement.

Voilà pourquoi, après avoir beaucoup réfléchi à cette question, j’ai renoncé à modifier le texte. J’en reste là, avec l’accord de la commission, et je demande le retrait de l’amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Pour une fois, je ne partage pas l’avis de M. le rapporteur et je me rallierai assez volontiers à la proposition du sénateur de Belenet.

L’article 1183 du code civil permet à une partie qui a connaissance d’une cause de nullité affectant le contrat et dont pourrait se prévaloir un jour l’autre partie de lui demander de prendre position afin de régler, sans attendre, le sort du contrat.

Ce texte permet de sécuriser la transaction : l’autre partie disposera en effet d’un délai de six mois soit pour confirmer le contrat, c’est-à-dire renoncer à l’action en nullité, soit pour agir en nullité. L’exigence selon laquelle la cause de nullité doit avoir cessé visait à empêcher que le contractant toujours sous l’emprise de la violence ou qui n’aurait pas connaissance de son erreur puisse se voir imposer la confirmation du contrat.

Comme le relève M. de Belenet, cette condition peut toutefois être mal comprise pour certaines causes de nullité, telles que le non-respect d’un formalisme protecteur ou le caractère dérisoire de la prestation de l’autre partie. Elle doit, en réalité, être lue à la lumière de l’article 1182 du code civil, qui définit ce qu’est la confirmation : celle-ci n’est admise que si celui qui pourrait se prévaloir de la nullité agit en connaissance de la cause de nullité et, en cas de violence, si celle-ci a cessé.

Il va de soi que le texte n’exige pas que le contrat soit régularisé, mais seulement que le contractant que la loi vise à protéger ait eu pleinement connaissance de la cause de nullité affectant le contrat.

L’adoption de l’amendement déposé par M. de Belenet, en supprimant cette condition, permettrait de lever toute ambiguïté sur la portée du texte. En application de l’article 1182, la confirmation n’est de toute façon possible que si la cause de nullité est connue et, en cas de violence, si celle-ci a cessé.

J’invite donc le Sénat à adopter cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 30 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel après l'article 7
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 9 (nouveau)

Article 8 (nouveau)

I. – La seconde phrase du second alinéa de l’article 1195 du code civil est ainsi modifiée :

1° Les mots : « réviser le contrat ou y » sont supprimés ;

2° Après les mots : « mettre fin », sont insérés les mots : « au contrat ».

II. – Le paragraphe 3 de la section 4 du chapitre Ier du titre Ier du livre II du code monétaire et financier est complété par un article L. 211-40-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 211-40-1. – Nul ne peut, pour se soustraire aux obligations qui résultent des I à III de l’article L. 211-1 du présent code, se prévaloir de l’article 1195 du code civil, alors même que ces opérations se résoudraient par le paiement d’une simple différence. »

M. le président. L'amendement n° 31, présenté par M. de Belenet, est ainsi libellé :

I. – Au début

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… – Au début de la première phrase du premier alinéa de l’article 1195 du code civil, sont insérés les mots : « sauf clause contraire ».

II. – Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Après les mots : « partie, », sont insérés les mots : « prononcer la réalisation du contrat sans indemnité, » ;

Cet amendement a été précédemment retiré.

L'amendement n° 12 rectifié bis, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :

Au début

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… - La première phrase du premier alinéa de l’article 1195 du code civil est ainsi modifiée :

1° Les mots : « rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie » sont remplacés par les mots « prive de cause l’engagement d’une des parties » ;

2° Après les mots : « le risque », sont insérés les mots : « , de sorte que cette partie n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes si elle avait prévu ce changement de circonstances ».

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Le nouvel article 1195 du code civil introduit en droit positif la théorie de l’imprévision, qui permet de réviser les conditions convenues, en particulier le prix, en cas de changement de circonstances imprévisible.

La proposition de la commission des lois de supprimer le pouvoir de révision du juge en cas d’imprévision va dans le bon sens. Cependant, la commission des lois n’a pas proposé de modifier les conditions de l’imprévision pour les encadrer davantage. Or la consécration de la théorie de l’imprévision a pour effet d’affaiblir la portée de l’accord des parties et la sécurité juridique qui y est attachée. L’utilité pratique de cette disposition apparaît discutable, dans la mesure où les contrats entre professionnels prévoient quasi systématiquement que l’une des parties assume le risque d’un changement de circonstances imprévisible et où les contrats de consommation sont assortis d’un droit de résiliation unilatérale d’ordre public en faveur du consommateur. Il convient dès lors d’encadrer strictement la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement vise implicitement, voire expressément, à rétablir la notion de cause, sur laquelle nous nous sommes exprimés tout à l’heure. Les mêmes causes produisant les mêmes effets (Sourires.), je vous demanderai, ma chère collègue, de bien vouloir procéder au retrait de votre amendement, non sans vous avoir au préalable remerciée d’avoir déjà accédé à plusieurs reprises à de telles demandes, ce qui est souvent un signe d’esprit de responsabilité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. Madame Mélot, l'amendement n° 12 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Colette Mélot. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 12 rectifié bis est retiré.

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 2 rectifié est présenté par M. Collombat, Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L'amendement n° 19 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéas 1 à 3

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié.

M. Pierre-Yves Collombat. J’ai peur que nous ne soyons taxés d’irresponsabilité, puisque nous ne retirerons pas nos amendements ! (Sourires.)

Le présent amendement vise à revenir sur la suppression, décidée par la commission, du régime de l’imprévision, qui constitue l’une des nouveautés du texte.

L’une des idées fondamentales ayant guidé cette réforme est de rétablir une équité de situation entre les contractants. En l’espèce, le déséquilibre tient à la survenue, pour des raisons tout à fait imprévisibles, d’événements extérieurs qui changent les conditions dans lesquelles le contrat avait été conclu.

Nous pensons qu’il y a tout intérêt, pour les situations d’imprévision, à rétablir la rédaction initiale de l’ordonnance pour l’article 1195. Il nous paraît pour le moins excessif de prétendre qu’elle fait du juge une troisième partie au contrat.

J’ajoute que l’amendement du rapporteur visant à modifier le texte de l’ordonnance prévoyait aussi l’exclusion du régime de l’imprévision des contrats relatifs aux instruments financiers. Je m’en étais d’abord ému, ne voyant pas pourquoi ces contrats devraient faire l’objet d’une telle exclusion. Toutefois, à la réflexion, il m’est apparu que le rapporteur avait raison : il s’agit là de contrats tout à fait particuliers, dans la mesure où les spéculateurs jouent sur l’imprévisibilité pour obtenir un certain bénéfice.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 19.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à rétablir la rédaction initiale de l’ordonnance pour l’article 1195 du code civil, qui introduit effectivement la révision pour imprévision dans le droit français des contrats. C’est sans doute l’une des dispositions les plus emblématiques de l’ordonnance du 10 février 2016.

La France était en effet l’un des derniers pays européens à ne pas admettre la théorie de l’imprévision, qui était d’ailleurs déjà mise en œuvre par le juge administratif.

L’objectif de cette innovation est de permettre le rétablissement de l’économie générale du contrat telle que voulue par les parties, en cas de bouleversement de celle-ci, en cours d’exécution du contrat, par des circonstances exceptionnelles.

Il n’est en effet pas équitable de maintenir, au nom de la force obligatoire du contrat, les parties dans une situation contractuelle déséquilibrée – en raison d’un changement de circonstances indépendant de leur volonté et qu’elles n’avaient donc pu prévoir – par rapport à leur volonté exprimée lors de la conclusion du contrat.

La possibilité de révision du contrat en cas d’imprévision est toutefois très encadrée, et elle ne constitue qu’une dérogation exceptionnelle au principe de l’intangibilité du contrat.

Tout d’abord, le changement de circonstances devait être imprévisible lors de la conclusion du contrat.

Ensuite, l’exécution du contrat doit devenir excessivement onéreuse pour la partie lésée par le déséquilibre, ce qui exclut l’hypothèse du seul surcoût.

Enfin, la partie lésée ne doit pas avoir accepté contractuellement d’assumer le risque d’un tel changement de circonstances.

Des inquiétudes nées du pouvoir ainsi conféré au juge saisi par une seule partie ont sans doute motivé le dépôt de l’amendement de la commission, sur l’adoption duquel je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de revenir.

Il faut en effet relativiser l’atteinte portée à la force obligatoire du contrat et à la liberté contractuelle.

D’une part, l’article 1195 est supplétif de volonté : les parties sont libres d’en écarter l’application, totalement ou partiellement, et de prévoir qu’elles assumeront tout ou partie des conséquences des changements de circonstances modifiant l’équilibre du contrat.

D’autre part, les pouvoirs du juge sont strictement encadrés par les principes de procédure civile. Le juge ne pourra d’office procéder à la révision du contrat et il sera, au surplus, lié par les demandes des parties quant à l’objet de la demande et aux modalités de révision du contrat.

Enfin, conditionner la révision du contrat par le juge à une demande en ce sens de toutes les parties au contrat réduirait considérablement l’effectivité du texte. Il est en effet très peu probable que des parties qui ne se sont pas entendues sur les termes de la renégociation de leur contrat, voire sur la nécessité même de le renégocier, s’accordent finalement pour en confier la révision au juge. Seule la résolution judiciaire du contrat serait alors possible, tandis que sa révision aurait pourtant permis sa survie, ce qui, bien entendu, présenterait assurément plus d’intérêt économique.

D’ailleurs, le pouvoir de révision judiciaire accentue l’aspect préventif du texte, le risque de révision du contrat, en plus de celui de son anéantissement, devant inciter les parties à renégocier, et donc à maintenir le contrat.

Je vous demande de revenir à la rédaction initialement prévue pour l’article 1195 et de restaurer la possibilité, pour une seule partie au contrat, d’en solliciter la révision par le juge.

En revanche, le Gouvernement ne s’opposera pas à l’exclusion, proposée par la commission au II de l’article 8, de l’application du régime de l’imprévision aux contrats sur instruments financiers. En effet, les risques induits par une telle option paraissent plus forts que les gains espérés. Les opérations sur titres financiers et sur contrats financiers ont par nature pour objectif d’intégrer le risque dans leur valorisation et dans les caractéristiques retenues pour l’opération.

C’est pourquoi le Gouvernement n’est pas opposé à la rédaction adoptée par la commission sur ce point, dans le triple objectif de clarifier l’application du régime de l’imprévision aux instruments financiers en excluant explicitement les titres et les contrats financiers, de sécuriser les transactions futures sur ces contrats et de contribuer, par ces deux actions, au renforcement de l’attractivité juridique de la place de Paris.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Monsieur le président, les deux amendements sur lesquels je dois me prononcer sont certes identiques, mais puis-je considérer que je dispose de quatre minutes de temps de parole ? (Sourires.)

Que l’on me permette tout d’abord de saluer la lucidité dont fait preuve notre collègue Pierre-Yves Collombat lorsqu’il estime que, quelquefois, le rapporteur peut avoir raison ! (Nouveaux sourires.)

Sur le fond, mon argumentation s’articulera en quatre points.

Premièrement, il me semble que le Gouvernement a excédé le champ de l’habilitation législative consentie par le Parlement sur ce point, puisque la loi d’habilitation prévoyait la possibilité pour les parties, et non pour une seule d’entre elles, d’adapter le contrat en cas de changement imprévisible de circonstances.

Deuxièmement, si j’ai suggéré à la commission, qui m’a suivi, de ne pas approuver la modification du rôle du juge prévue par le texte initial de l’ordonnance, c’est parce qu’il s’agissait là d’une évolution radicale.

Le juge a pour rôle d’interpréter un contrat au regard des lois et règles existantes, d’analyser comment il doit être exécuté et de trancher un litige qui, souvent, est né dans le passé. Le travail du juge ne consiste pas à refaire le contrat. Sinon, le juge devient économiste, sociologue, fiscaliste au besoin, et il entre alors dans un champ d’activité qui n’est pas le sien.

Je vais prendre un exemple tiré du droit administratif pour faire sentir ce que pourrait être la responsabilité du juge. Pendant très longtemps, sous l’influence de différents commissaires du Gouvernement, il a toujours été indiqué que les juges administratifs devaient se montrer très prudents pour décider qu’il y avait acte anormal de gestion, parce que ce faisant ils s’immisçaient dans l’exploitation et les décisions de l’entreprise et endossaient une responsabilité qui n’était pas la leur. C’est pourquoi je pense pour ma part qu’il ne faut pas confier ce rôle très nouveau au juge.

Troisièmement, si elles sont adoptées, ces dispositions nuiront gravement à l’attractivité du droit français. L’imprévision n’est franchement pas une théorie que les Anglo-Saxons adorent ! Quand ils apprendront que, de surcroît, l’imprévision pourra être évoquée devant la justice, qu’un juge pourra refaire le contrat, soyez certains que le droit suisse l’emportera sur le droit français… Le dispositif initial de l’ordonnance va donc à l’encontre de l’objectif de renforcer l’attractivité de notre droit.

Quatrièmement, si nous adoptons les dispositions sur l’imprévision prévues par le texte initial de l’ordonnance, je vous garantis que tous les contrats rédigés par des professionnels du droit écarteront que les parties puissent y recourir, puisqu’elles sont supplétives. Votre texte, madame la garde des sceaux, se trouvera donc vidé de toute portée.

Voilà les quatre raisons pour lesquelles nous ne devons pas, à mon avis, modifier le rôle joué par le juge dans notre système judiciaire.

Madame la garde des sceaux, vous avez bien noté que nous n’avons pas voulu faire la réforme de la réforme. Nous n’avons adopté que très peu d’amendements et, même si nous avons été amenés à refuser la plupart des vôtres, je souhaiterais ouvrir une piste de réflexion : si le juge devait être autorisé à modifier le contrat, cela ne pourrait se concevoir, selon moi, qu’avec l’accord des deux parties. En effet, si la révision du contrat n’est demandée que par l’une d’elles, le désaccord sera d’emblée tel que la décision rendue par le juge ne sera pas suivie d’effet…

Ce sont donc des raisons de pure pratique et de cohérence juridiques qui m’amènent à maintenir la position de la commission, tout en reconnaissant qu’il y a peut-être une réflexion à mener, à condition de partir du principe que le juge ne pourra être saisi qu’à la demande des deux parties.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Il faut savoir ce que l’on veut ! Voulons-nous introduire la notion d’imprévision et en tenir compte, ou pas ? Je pense que ce serait plutôt utile dans la mesure où cela permettrait de rétablir l’équité entre les parties quand un changement de circonstances imprévisible est survenu. Sinon, c’est la loi du plus fort qui prévaudra.

Je ne vois donc pas ce que notre proposition peut avoir de scandaleux. Le juge ne fera pas n’importe quoi, monsieur le rapporteur ! Je pense au contraire qu’il veillera à bien caractériser l’imprévisibilité, en écartant les changements de circonstances mineurs.

En conclusion, il me semble souhaitable de confier ce rôle au juge. Quant à recueillir le consentement des deux parties, il ne faut tout de même pas s’attendre à ce que celle qui gagne au changement intervenu soit favorable à une révision du contrat…

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il me semble que la version initiale du texte est assez équilibrée. Je ne partage pas votre sentiment, monsieur le rapporteur, selon lequel cette rédaction paralysera finalement l’application du texte et le videra de son effectivité. Il me semble au contraire que c’est requérir l’accord des deux parties pour la révision du contrat, comme vous le proposez, qui aboutirait à ce résultat. Qu’une seule des parties au contrat puisse demander au juge d’intervenir constituera un puissant levier pour la négociation, que ce soit d’ailleurs au moment de la conclusion du contrat ou en cas d’inexécution liée à l’imprévision. Il s’agira là d’une riposte graduée. Si ce mécanisme était aussi inefficace que vous le suggérez, monsieur le rapporteur, un pays comme l’Allemagne ne l’aurait sans doute pas adopté…

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je soutiens la position du rapporteur, non seulement par nostalgie du droit des contrats tel que je l’ai appris, sous l’égide de Philippe Malaurie et de Philippe Malinvaud, mais surtout parce qu’on ne voit pas très bien comment le juge pourrait intervenir dans ces matières. Compte-t-on combler définitivement le canal de Craponne au moyen de ce dispositif ? (Sourires.)

Je pense que la position du rapporteur est tout à fait fondée, surtout au regard de la surcharge des tribunaux et de la difficulté pour le juge d’arbitrer dans ce type de dossiers.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur. Madame la ministre, le texte de la commission constitue déjà un très grand progrès au regard de la situation actuelle, où l’imprévision ne peut être évoquée. Le juge pourra prononcer la résolution et allouer des dommages et intérêts, ce qu’il n’aurait jamais pu faire auparavant.

Ce que je conteste, c’est que l’on attribue au juge le pouvoir d’intervenir – avec les responsabilités afférentes – sans l’accord d’une des parties au contrat. C’est pourquoi je me suis déclaré ouvert à l’engagement d’une réflexion sur un tel élargissement du rôle du juge à la condition que l’on parte du principe que l’accord des deux parties sera requis. Le juge ressemblerait alors fortement à un arbitre.

En l’état, je maintiens donc ma position, même si certains peuvent penser qu’elle est boiteuse, ce que pour ma part je ne crois pas ! (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 rectifié et 19.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 32, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer le mot :

des

par les mots :

d’opérations sur les titres et contrats financiers mentionnés aux

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur. C’est un amendement purement rédactionnel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Avis favorable, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 32.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 8, modifié.

(L’article 8 est adopté.)

Article 8 (nouveau)
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Article 10 (nouveau)

Article 9 (nouveau)

La section 5 du chapitre II du titre III du livre III du code civil est ainsi modifiée :

1° Au début du quatrième alinéa de l’article 1217, le mot : « solliciter » est remplacé par le mot : « obtenir » ;

2° À l’article 1221, après le mot : « débiteur », sont insérés les mots : « de bonne foi » ;

3° Le premier alinéa de l’article 1223 est ainsi rédigé :

« En cas d’exécution imparfaite du contrat, le créancier de l’obligation peut, après mise en demeure du débiteur, décider une réduction proportionnelle du prix. »

M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Mélot et MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° À l’article 1221, après les mots : « disproportion manifeste », sont insérés les mots : « et déraisonnable » ;

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Dans sa rédaction issue de l’ordonnance, l’article 1221 nouveau du code civil consacre le droit à l’exécution forcée en nature d’une obligation. Ce droit est cependant limité en cas d’impossibilité d’exécution ou de disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier.

La proposition de la commission des lois de limiter la condition de disproportion manifeste au cas où le débiteur est de bonne foi va dans le bon sens.

Cette notion de « disproportion manifeste » devrait cependant être encore plus strictement encadrée. C’est pourquoi nous proposons d’ajouter le qualificatif « déraisonnable ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. L’ajout d’un tel adjectif me paraît affaiblir le dispositif, en introduisant une redondance. Peut-être n’est-il pas utile que nous nous opposions sur un tel détail d’écriture ? Je demande le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis, monsieur le président.

M. le président. Madame Mélot, l’amendement n° 6 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Colette Mélot. Non, monsieur le président. Je souhaite souligner que toutes les propositions que j’ai formulées visaient à soutenir l’attractivité du droit français et de la place de Paris dans un contexte de concurrence internationale. Je remercie M. le rapporteur pour les réponses argumentées qu’il a apportées sur les différents amendements que j’ai présentés.

Je retire le présent amendement.

M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 20, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame Mélot, je voudrais quant à moi vous remercier du travail que vous avez réalisé. Même si nous n’avons pas suivi vos propositions, il n’en reste pas moins qu’il est tout à fait essentiel de développer l’attractivité de notre droit. Le Gouvernement partage cet objectif avec vous.

L’amendement n° 20 a pour objet de rétablir l’article 1221 du code civil dans la rédaction initiale de l’ordonnance. Ce texte introduit en effet une modification importante du droit positif par rapport à l’ancien article 1142 du code civil, qui posait le principe selon lequel l’inexécution des obligations de faire se résout en dommages et intérêts. L’article 1221, dans la rédaction issue de l’ordonnance, consacre le principe inverse du droit à l’exécution forcée en nature du créancier d’une obligation.

Toutefois, comme tout droit dont l’exercice est susceptible de dégénérer en abus, le droit à exécution forcée doit connaître des limites. Outre l’impossibilité d’exécuter, l’article 1221 prévoit donc une exception au droit du créancier à l’exécution forcée en nature et détaille les conditions dans lesquelles l’exercice de ce droit serait constitutif d’un abus.

Ainsi, ne peuvent donner lieu à exécution forcée en nature les cas dans lesquels il existe une disproportion manifeste entre le coût de cette exécution forcée pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. Cette exception vise à mettre fin aux hypothèses d’abus qui ont pu être observées dans la jurisprudence. La Cour de cassation a, par exemple, eu à connaître de la construction d’une maison d’une hauteur inférieure de 33 centimètres en pignon à ce qui avait été convenu ou de celle d’une piscine dont l’escalier d’accès comptait une marche de moins que prévu : elle a ordonné l’exécution forcée en nature, sans intérêt pour le créancier mais impliquant la destruction totale de l’ouvrage, puis sa reconstruction, à la charge du débiteur.

L’objectif est donc de mettre fin à de telles situations. Il s’agit d’une déclinaison de l’abus de droit, formulé de façon plus précise pour encadrer l’appréciation du juge et offrir une sécurité juridique accrue.

La commission a proposé d’ajouter que l’application de ce texte serait soumise à la bonne foi du débiteur. Cette précision ne nous apparaît pas nécessairement utile, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la bonne foi est déjà prévue, à titre général, à l’article 1104. Elle est un devoir des parties durant toute la vie du contrat et fonde, tant techniquement que philosophiquement, l’ensemble de l’ordonnance.

De plus, la mauvaise foi éventuelle du débiteur est déjà sanctionnée, puisqu’il engage sa responsabilité au-delà du dommage prévisible – normalement seul réparable en matière contractuelle –, conformément à l’article 1231-3.

En outre, l’exigence de bonne foi s’applique tant au débiteur qu’au créancier, particulièrement dans l’usage que celui-ci fait des sanctions de l’inexécution prévues à l’article 1217.

La précision proposée par la commission devrait donc être apportée dans tous les textes relatifs aux parties aux contrats, tant pour le débiteur que pour le créancier, et cela impliquerait de distinguer les textes pour l’application desquels la mauvaise foi de la partie concernée serait indifférente, à l’instar de l’article 1218 relatif à la force majeure. Cela ne nous semble pas souhaitable. Je demande donc au Sénat de bien vouloir rétablir le texte initial de l’ordonnance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Madame la garde des sceaux, la philosophie générale de l’article 1221 du code civil, telle que vous l’avez résumée, ne pose à nos yeux aucune difficulté.

Si la commission a souhaité préciser que l’exception à l’exécution forcée en nature liée à la disproportion entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ne jouerait qu’en faveur du débiteur de bonne foi, c’est afin d’éviter que cette exception ne constitue une incitation, pour le débiteur, à exercer son obligation de manière imparfaite toutes les fois où le gain attendu de cette inexécution serait supérieur aux dommages et intérêts qu’il pourrait être amené à verser. Cette précision vise donc à empêcher le débiteur de mauvaise foi de profiter de ce qui a été appelé, pendant les auditions, une « faute lucrative ».

Voilà la raison pour laquelle nous avons ajouté les termes « de bonne foi ». Cela dit, je ne suis pas insensible à vos arguments, en particulier à celui que j’évoquais moi-même tout à l’heure, à savoir que la bonne foi est un élément quasiment supérieur, comme une auréole posée au-dessus du texte…

À ce stade, je m’en tiendrai au mandat que m’a confié la commission en émettant un avis défavorable sur cet amendement. Pour autant, la discussion reste ouverte pour la suite de la navette.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 20.

(L’amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 3 est présenté par M. Collombat, Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 21 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéas 4 et 5

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour présenter l’amendement n° 3.

M. Pierre-Yves Collombat. Il s’agit ici d’une disposition de l’ordonnance permettant à un créancier d’accepter une exécution non conforme en contrepartie d’une réduction de prix.

Cet amendement a trait aux conditions de mise en œuvre de cette mesure. La commission en est arrivée à la conclusion que c’était au créancier de décider de cette tractation. Il nous semble que la rédaction initiale de l’ordonnance était plus adaptée et plus équilibrée. C’est pourquoi nous proposons de revenir à celle-ci.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 21.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur Collombat, je me plais à souligner cette nouvelle convergence de vues entre nous…

M. François Pillet, rapporteur. C’est inquiétant…

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’article 1223 introduit dans le code civil une nouvelle sanction à disposition du créancier d’une obligation mal exécutée. Ce dernier peut en effet, dans certaines circonstances, se satisfaire d’une exécution même imparfaite de la prestation si le prix en est proportionnellement réduit. Le client pourra ainsi accepter la livraison de marchandises d’une marque différente de celle qu’il avait commandée ou le promoteur se satisfaire de travaux réalisés avec des matériaux différents de ceux qui avaient été promis par l’entreprise, si le prix est réduit.

Néanmoins, en pratique, si le créancier a déjà payé, il devra demander au débiteur remboursement d’une partie du prix et, si ce dernier refuse, il n’aura d’autre choix que de saisir le juge, qui pourra prononcer la réduction judiciaire du prix. Ce n’est que si le créancier n’a pas encore payé qu’il pourra unilatéralement décider d’une réduction du prix ; il n’effectuera alors qu’un paiement partiel, que le débiteur pourra toujours contester en justice, bien entendu, s’il estime que cette réduction du prix est injustifiée.

La rédaction adoptée par la commission ne permet pas, selon moi, de comprendre ce mécanisme. En indiquant au premier alinéa que le créancier « décide » une réduction du prix, le texte est trompeur, car le créancier, s’il a déjà payé, doit s’adresser à son débiteur et, en cas d’échec, au juge. Ce n’est que dans l’hypothèse où il n’a pas encore payé que la réduction du prix pourra véritablement être unilatéralement décidée. C’est ce que prévoit le deuxième alinéa du texte initial de l’ordonnance, et j’invite donc le Sénat à rétablir celle-ci, afin de ne pas susciter d’ambiguïté sur le sens du texte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Les amendements nos 3 et 21 visent donc à rétablir, dans sa rédaction antérieure aux travaux de la commission des lois, l’article 1223 du code civil relatif au pouvoir unilatéral du créancier d’une obligation de réduire le prix qu’il doit.

Or, prévoir que le créancier de l’obligation « accepte » son exécution imparfaite, alors même qu’il n’a reçu aucune offre du débiteur en ce sens, ne me semble pas vraiment logique.

De plus, à partir du moment où le créancier de l’obligation décide la réduction du prix, voire s’il la « sollicite » – pour reprendre le terme initial de l’ordonnance –, on peut tout à fait considérer qu’il a, de fait, accepté l’exécution imparfaite de l’obligation.

En ce qui concerne le terme « solliciter », que le créancier de l’obligation sollicite la réduction du prix ou la décide, cela ne change absolument rien aux effets de la démarche, puisque nous sommes dans une hypothèse où le créancier a déjà acquitté le prix.

Je m’explique. Avec la rédaction qui résulterait de l’adoption de ces amendements, le créancier pourrait solliciter du débiteur de l’obligation imparfaitement exécutée une réduction du prix. Si le débiteur refusait, le créancier serait contraint de saisir le juge. Avec le texte adopté par la commission, le créancier pourrait décider de réduire le prix de manière unilatérale, mais, puisqu’il a déjà payé le prix, si le débiteur de l’obligation refusait de rembourser la partie indûment perçue, le créancier serait, comme dans la première hypothèse, contraint de saisir le juge.

En revanche, la formulation choisie par la commission a, me semble-t-il, le mérite de la clarté. Elle permet d’éviter que la rédaction diffère complètement selon que le créancier a payé ou non le prix de l’obligation : s’il a déjà payé, il ne peut que solliciter la réduction, alors que, s’il n’a pas encore payé, il peut l’imposer.

Il n’y a aucune justification à établir une différence dans le pouvoir de réduire le prix à partir d’un critère, prix déjà payé ou non. Remplacer le mot « solliciter » par « décider » dans la première hypothèse ne change absolument rien aux effets de la procédure.

Enfin, alors même que le créancier subit une mauvaise exécution de l’obligation par le débiteur, il devrait le « solliciter » pour qu’il accepte de bien vouloir réduire le prix. Il y a là un véritable déséquilibre en faveur de la partie au contrat qui n’exécute pas correctement son obligation. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 21.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 9.

(L’article 9 est adopté.)

Article 9 (nouveau)
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Article 11 (nouveau)

Article 10 (nouveau)

Le chapitre Ier du titre IV du livre III du code civil est ainsi modifié :

1° À la fin de l’article 1304-4, le mot : « accomplie » est remplacé par le mot : « défaillie » ;

2° L’article 1305-5 est complété par les mots : « , et à ses cautions ».

M. le président. L’amendement n° 22, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° L’article 1304-4 est complété par les mots : « ou n’a pas défailli » ;

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais solliciter vos suffrages sur cet amendement, mais il vous revient bien sûr de décider… (Sourires.)

L’article 1304-4 consacre la règle selon laquelle la partie dans l’intérêt de laquelle une condition a été stipulée au contrat peut y renoncer tant que cette condition n’est pas réalisée. Il est par exemple possible pour l’acquéreur d’un immeuble de renoncer à la condition suspensive d’obtention du prêt tant qu’il n’a pas obtenu celui-ci. La vente devient alors pure et simple. A contrario, il n’est plus possible de renoncer après l’accomplissement de la condition ou la défaillance de celle-ci. Cette solution est logique : en cas de refus de prêt, par exemple, le contrat est automatiquement anéanti ; il ne peut donc renaître sans un nouvel accord des parties.

Cette lecture est confortée par les termes du rapport au Président de la République. Force est de constater, toutefois, que l’interprétation du texte a été discutée par les praticiens. Je partage donc le souhait de la commission d’expliciter le sens du texte.

Pour autant, la rédaction adoptée par la commission me semble incomplète et ne reprend pas la règle selon laquelle la renonciation est possible avant l’accomplissement de la condition. Je propose donc de rendre le texte plus clair, en visant tant l’hypothèse de la réalisation de la condition – par exemple, j’obtiens mon prêt – que l’hypothèse de sa défaillance – la banque me refuse le prêt. La renonciation à la condition peut intervenir avant ces événements, mais pas après.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement vise à modifier la rédaction de l’article 1304-4 du code civil pour prévoir que le bénéficiaire d’une condition suspensive ne peut plus y renoncer dès lors que cette condition est accomplie ou défaillie.

La précision selon laquelle le bénéficiaire d’une condition suspensive peut y renoncer une fois que la condition est accomplie n’a pas d’intérêt. En effet, dans ce cas, que le bénéficiaire y renonce ou pas, l’effet est le même : l’obligation est pure et simple.

En revanche, le bénéficiaire doit pouvoir renoncer à la condition suspensive avant son accomplissement, ce qui est tout à fait possible avec la rédaction issue des travaux de la commission des lois : le bénéficiaire peut y renoncer tant qu’elle n’est pas défaillie, ce qui veut dire, a contrario, que le bénéficiaire peut renoncer à la condition tant qu’elle n’est pas accomplie, voire après son accomplissement, bien que cela soit sans effet, comme je viens de l’expliquer.

La précision proposée au travers de cet amendement m’apparaît donc inutile, mais comme son adoption n’entraînera pas non plus un bouleversement ou une interprétation radicalement différente par rapport à ce que je viens de dire, la commission ne s’y opposera pas, si le Gouvernement y tient vraiment.

La commission donne donc un avis de sagesse, avec beaucoup de réserves, qui ne m’empêcheront cependant pas de voter l’amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 22.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 10, modifié.

(L’article 10 est adopté.)

Article 10 (nouveau)
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Article 12 (nouveau)

Article 11 (nouveau)

L’article 1327 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité. »

M. le président. L’amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il s’agit ici de supprimer l’exigence d’écrit à peine de nullité pour la cession de dettes. Vous le savez, la cession de dette permet à un débiteur de se libérer d’une dette en donnant à son créancier un autre débiteur. Par exemple, l’acquéreur d’un immeuble peut avoir intérêt à prendre en charge la dette d’emprunt de son vendeur ; il se peut également, dans des relations d’affaires, qu’une entreprise cède sa dette envers un fournisseur à une entreprise cliente débitrice à son égard.

L’ordonnance a consacré et organisé la cession de dettes pour répondre aux besoins des praticiens. Exiger qu’une telle cession se fasse nécessairement par écrit, à peine de nullité de l’acte, est-il nécessaire ? Il me semble que non.

Le droit français obéit en effet au principe du consensualisme : les praticiens ne sollicitent pas cet écrit, la sécurité juridique ne l’exige pas et les règles du droit de la preuve s’appliqueront, le cas échéant, en cas de contentieux. Les instruments concurrents tels que la délégation ne sont d’ailleurs pas soumis à écrit à peine de nullité.

Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à supprimer cette exigence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Sur ce sujet, je ne pourrai pas faire les mêmes efforts que précédemment…

En effet, alors même qu’un écrit est imposé par les dispositions du code civil dans leur rédaction issue de l’ordonnance pour la cession de créances ou de contrat, il n’était pas exigé pour la cession de dettes. La commission des lois a tout simplement souhaité harmoniser le formalisme qui s’attache à ces trois types de cession, estimant qu’il n’existait aucune justification à exiger un écrit pour les deux premiers et pas pour le troisième.

Pour cette raison, la commission est défavorable à cet amendement, qui vise à supprimer l’exigence d’un écrit pour les cessions de dettes.

Il me semble d’ailleurs que, durant nos auditions, les praticiens qui se sont exprimés sur l’article 11 du projet de loi ont souhaité, en règle générale, qu’un écrit ne soit requis dans aucun des trois types de cession… En tout cas, aucun n’a accepté qu’une différence soit faite entre eux en la matière. C’est donc uniquement dans le cadre de l’harmonisation du droit que la commission a ajouté ce point. L’avis est défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 23.

(L’amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 11.

(L’article 11 est adopté.)

Article 11 (nouveau)
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Article 13 (nouveau)

Article 12 (nouveau)

Le titre IV du livre III du code civil est ainsi modifié :

1° À l’article 1327-1, la première occurrence du mot : « ou » est remplacée par le mot : « et » ;

2° À l’article 1352-4, les deux premières occurrences du mot : « à » sont remplacées par le mot : « par » et le mot : « proportion » est remplacé par le mot : « hauteur ». – (Adopté.)

Article 12 (nouveau)
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Article 14 (nouveau)

Article 13 (nouveau)

La seconde phrase de l’article 1343-3 du code civil est ainsi rédigée : « Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie s’il s’agit de procéder à une opération à caractère international ou si l’obligation ainsi libellée procède d’un jugement étranger. »

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, sur l'article.

Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la garde des sceaux, je voudrais vous interroger sur une évolution récente des conséquences juridiques de l’article 1343-3 du code civil. Cet article prévoit que le paiement d’un contrat entre deux entreprises, éventuellement françaises, peut s’effectuer dans une monnaie autre que l’euro s’il s’agit d’une opération à caractère international ou de l’exécution d’un jugement étranger.

Or, si le paiement se fait en dollars, un risque juridique majeur, que je voudrais souligner, s’ouvre pour nos entreprises. En effet, une transaction effectuée par des entités économiques non américaines et en dehors du territoire des États-Unis, dès lors qu’elle est réalisée en dollars, peut fonder la compétence extraterritoriale du droit américain.

Un rapport de l’Assemblée nationale sur l’extraterritorialité du droit américain, publié l’année dernière, révèle qu’il suffit que ces opérations impliquent des ordres de paiement par le système international SWIFT, c’est-à-dire utilisent des chambres de compensation américaines, pour assujettir aux lois américaines les transactions qui ont donné lieu à cette compensation.

Cette projection extraterritoriale du droit américain est motivée par la défense d’intérêts politiques et économiques. Aujourd'hui, forts d’un pouvoir déterminant sur le fonctionnement des réseaux financiers, commerciaux et technologiques à l’ère de la mondialisation, les États-Unis considèrent visiblement comme universels leurs critères et leurs normes. Sur ce fondement, plusieurs entreprises européennes, notamment bancaires, se sont vu infliger dernièrement des amendes colossales.

Madame la ministre, je voudrais donc savoir comment vous appréhendez ces pratiques extraterritoriales du droit américain, qui viennent, notamment dans le cadre du droit des contrats, s’imposer aux entreprises et au droit français.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Si vous me le permettez, madame la sénatrice, je vous répondrai en fin de débat, ce qui me donnera le temps de réfléchir... (Sourires.) En tout cas, je vous remercie d’avoir posé cette question.

M. le président. L'amendement n° 24, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Supprimer les mots :

s'il s'agit de procéder à une opération à caractère international ou

II. – Après le mot :

procède

insérer les mots :

d’une opération à caractère international ou

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à préciser le texte sur le paiement en monnaie étrangère. Il n’est donc pas sans lien avec la question qui vient d’être posée.

L’article 1343-3 a pour objet de codifier l’état du droit positif sur la faculté de payer une obligation en monnaie étrangère. Aujourd’hui, les règles applicables étant uniquement jurisprudentielles, je souscris au souhait de M. le rapporteur de préciser le texte, afin de ne pas laisser penser que nous avons entendu restreindre les possibilités de payer un contrat en monnaie étrangère.

À cet égard, l’expression « opération à caractère international » est plus proche de la jurisprudence que la référence à un contrat international, qui peut être entendue de manière plus restrictive.

L’amendement proposé ici par le Gouvernement est donc purement rédactionnel. En effet, indiquer que le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie, s’il s’agit de procéder à une opération à caractère international, viendrait restreindre la possibilité de la réception sur le sol national d’un paiement en une autre monnaie résultant d’une opération internationale.

Le Gouvernement propose donc d’aligner la formulation sur celle qui figure à l’article 1343-3 du code civil dans sa version actuelle, en précisant que le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’une opération à caractère international ou d’un jugement étranger.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement vise à préciser les conditions dans lesquelles une obligation de somme d’argent peut être payée en monnaie étrangère. Lors de l’établissement de son texte, la commission des lois avait ajusté sa rédaction pour tenir compte des observations du ministère de l’économie et des finances, dont nous avons auditionné des représentants.

Le Gouvernement souhaitant manifestement apporter une amélioration à la rédaction qu’il a lui-même inspirée, l’avis de la commission est bien sûr favorable.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Cette disposition est extrêmement importante pour les contrats internationaux.

Mes chers collègues, vous connaissez, et ma collègue Anne-Catherine Loisier vient de le rappeler, le problème que nous avons avec le dollar, même s’il s’agit évidemment d’un élément de souplesse pour les transactions internationales.

Je le répète, c’est une disposition très importante, et je souhaiterais, madame la garde des sceaux, que l’on puisse l’évaluer dans un délai raisonnable, c’est-à-dire connaître le nombre de transactions faites en monnaie étrangère sur le sol français, sachant que se posent aussi des problèmes d’adaptabilité et de conversion. Je pense qu’un certain nombre de pays, avec lesquels les transactions ne sont pas faciles, utiliseraient cette possibilité de stipuler des contrats en monnaie étrangère.

À mon sens, c’est le prototype même de l’excellente disposition qui nécessite une évaluation assez rapide. Comme nous avons toujours des difficultés d’évaluation des dispositifs que nous mettons en place, je souhaiterais que, avec M. le ministre de l’économie et des finances, nous puissions, dans un délai allant de dix-huit mois à deux ans, évaluer l’impact de cette mesure. Je suis pour ma part persuadée qu’elle facilitera énormément les transactions et améliorera l’attractivité de la place de Paris.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 24.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 13, modifié.

(L’article 13 est adopté.)

Article 13 (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 15 (nouveau) (début)

Article 14 (nouveau)

L’article 1347-6 du code civil est ainsi rédigé :

« Art. 1347-6. – La caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal.

« Le codébiteur solidaire peut se prévaloir de la compensation de ce que le créancier doit à l’un de ses coobligés pour faire déduire la part divise de celui-ci du total de la dette. » – (Adopté.)

Article 14 (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 15 (nouveau) (fin)

Article 15 (nouveau)

I. – Le deuxième alinéa de l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est complété par les mots : « , y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ».

II. – Le I est applicable à compter du 1er octobre 2016.

M. le président. L'amendement n° 25, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il s’agit ici de rétablir à l’identique le texte régissant l’application dans le temps de l’ordonnance.

Je comprends le souhait de la commission d’éviter que l’ordonnance ne s’applique à des contrats ou à des actes passés avant le 1er octobre 2016, date de son entrée en vigueur. Le Gouvernement, attaché à la sécurité des transactions, partage d’ailleurs ce souhait. C’est pourquoi l’article 9 de l’ordonnance prévoit expressément que ces dispositions ne s’appliquent qu’aux contrats conclus à compter de cette date.

Pour les actes juridiques antérieurs, c’est le principe de survie de la loi ancienne qui s’impose. L’ordonnance ne prévoit que trois exceptions, pour les trois actions dites « interrogatoires » permettant de purger certaines situations juridiques incertaines. Aucune autre exception n’est prévue.

Le texte est donc sans ambiguïté : aucune autre disposition, même d’ordre public, ne s’applique aux contrats antérieurs.

La précision que la commission souhaite adopter nous semble donc inutile, d’autant plus qu’elle ne répondra pas, me semble-t-il, à la préoccupation que vous exprimez, monsieur le rapporteur. En effet, les décisions jurisprudentielles qui sont citées dans le rapport ne font pas application d’articles de l’ordonnance non encore entrés en vigueur au motif qu’ils seraient d’ordre public ou qu’ils régiraient les effets légaux du contrat. En réalité, dans ces décisions, la Cour de cassation interprète certaines règles anciennes non écrites à la lumière du droit nouveau issu de l’ordonnance, sans pour autant appliquer directement celui-ci.

Je vous propose donc d’en rester aux règles simples fixées par les dispositions transitoires de l’ordonnance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Madame la garde des sceaux, nous sommes entièrement d’accord sur la portée que doit avoir l’article 9, mais nous pensons que cette portée pourrait donner lieu à certaines discussions jurisprudentielles. C’est pourquoi la commission a voulu conforter l’interprétation que nous partageons avec vous.

La question de l’application de l’ordonnance aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur est particulièrement débattue. La position la plus simple, la plus largement partagée et qui est aussi celle qui a été retenue par la commission est de protéger l’intention des parties au moment où elles ont conclu le contrat.

En d’autres termes, nous sommes d’accord pour dire que la loi ancienne dans toute son intégrité doit continuer à régir les contrats anciens, au nom de la liberté contractuelle, de la sécurité juridique, de la loyauté et de la prévisibilité du droit ; au nom également de la protection constitutionnelle des contrats légalement conclus, qui ne peuvent être remis en cause, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que pour des motifs d’intérêt général, motifs que l’on ne distingue pas ici.

Plusieurs arrêts de la Cour de cassation laissent penser que celle-ci voudrait bien appliquer de larges pans de la loi nouvelle aux contrats anciens, ce qui serait, pour moi comme pour vous, une dénaturation de l’intention du législateur, par ailleurs très discutable d’un point de vue constitutionnel. Vous pensez que la rédaction du Gouvernement nous évite ce risque ; je ne le crois pas.

D’une part, dans un arrêt du 17 novembre 2016, la Cour de cassation a écarté un article, rédigé de façon parfaitement similaire, à l’article 9 de l’ordonnance, prévoyant le maintien de la loi ancienne, sauf exceptions expressément et limitativement énumérées, dans une affaire de bail d’habitation. C’est la preuve que la rédaction du Gouvernement ne suffit pas.

D’autre part, dans deux arrêts beaucoup plus récents, des 24 février et 21 septembre 2017, qui font donc application de l’ordonnance, la Cour interprète les règles anciennes du code civil en matière de contrat au regard de la loi nouvelle en changeant en réalité leur portée, ce qui n’est pas satisfaisant.

La rédaction de la commission n’est sans doute pas parfaite, mais elle indique clairement l’intention du législateur : les contrats anciens doivent toujours être régis par la loi ancienne, conformément à l’intention des parties, qui, sinon, n’auraient peut-être pas conclu. Nos travaux préparatoires ont une valeur, qui doit complètement éclairer les magistrats.

Madame la ministre, j’y insiste, nous visons exactement le même objectif, mais nous ne sommes pas tout à fait d’accord sur la rédaction du texte. Vous pensez que le texte suffit ; pour ma part, je pense qu’il faut ajouter une garantie.

Dans le même esprit que celui que j’ai manifesté depuis le début des débats qui s’achèvent ce soir avec cet amendement, il me semble que le Gouvernement, estimant que la protection supplémentaire apportée par la commission va tout à fait dans le sens de ses propres préoccupations, pourrait retirer cet amendement. S’il ne le faisait pas, j’émettrais un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 15.

(L’article 15 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je souhaite répondre brièvement à la question que m’a posée Mme Loisier.

Madame la sénatrice, je comprends pleinement votre préoccupation. C’est vrai, les juridictions américaines retiennent largement leur compétence en cas d’opération impliquant un paiement en dollars.

Il me semble cependant que le droit des contrats dont nous parlons ici n’a pas vraiment vocation à régler une telle difficulté. La réforme dont nous discutons, je crois, rendra plus intéressant le fait de soumettre au juge français des contrats internationaux. C’est d’ailleurs ce qui ressortait du rapport Canivet, dont l’un d’entre vous a fait mention tout à l’heure, sur la question de l’attractivité de la place de Paris. Néanmoins, vous avez raison sur ce point, et je crois qu’il s’agit d’une question générale sur laquelle il convient de travailler.

Enfin, madame Goulet, je suis bien sûr ouverte à une évaluation de la portée des dispositions de l’article 1343-3 du code civil. Peut-être cette évaluation serait-elle pertinente à échéance de dix-huit mois ou de deux ans, pour bien mesurer l’impact de la mesure.

Je ne voudrais pas terminer mon propos sans remercier la commission des lois, notamment son rapporteur. Monsieur Pillet, vous avez compris le souci du Gouvernement de stabiliser la situation juridique, telle qu’elle est née de l’ordonnance du 10 février 2016. J’ai bien conscience que vos amendements étaient tous écrits dans un esprit constructif, que je tiens ici à saluer.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

(Le projet de loi est adopté.)

Article 15 (nouveau) (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
 

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 18 octobre 2017, à quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :

Scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de la justice de la République.

Désignation :

- des 18 sénateurs membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;

- des 36 membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ;

- des 36 membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ;

- des 36 membres de la délégation sénatoriale à la prospective ;

- des 21 membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer autres que les 21 sénateurs d’outre-mer, membres de droit ;

- et des 42 membres de la délégation sénatoriale aux entreprises.

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (n° 17, 2017-2018) ;

Rapport de M. Philippe Bas (n° 16, 2017-2018).

Prestation de serment des juges élus à la Cour de justice de la République.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)

 

 

nomination d’un membre d’une commission

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.

Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Pierre Cuypers est proclamé membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean-Pierre Vial.

 

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD