M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, l’ensemble du Sénat a conclu, pour ainsi dire, un accord collectif, ou un accord de branche, pour vous rendre hommage ; je m’y associe volontiers ! (Sourires.)
Je tiens à préciser que je souscris totalement aux propos de M. Martial Bourquin. Néanmoins, je ne voterai pas ces amendements de suppression de l’article 1er, parce que je souhaite que nous débattions de l’ensemble des alinéas et des propositions de cet article, afin de pouvoir dire tout ce que j’en pense.
Je dois également vous avouer, madame la ministre, que j’admire beaucoup votre subtilité. Vous avez résumé l’article 1er à la différenciation entre l’accord collectif et l’accord de branche, et vous avez détaillé le travail que vous allez mener, mais il n’y a pas que cela dans cet article.
On y trouve ainsi la possibilité pour le patron d’engager le référendum d’entreprise, qui ne figurait pas dans la loi El Khomri. Malgré toute l’influence que le patron peut exercer, voire la crainte qu’il peut engendrer chez les salariés, on nous dit qu’il faut lui faire confiance. Vous viendrait-il à l’esprit de ne plus limiter la vitesse et de faire confiance aux automobilistes, ou encore de ne plus prélever l’impôt et de faire confiance aux contribuables pour le déclarer et le payer eux-mêmes ? Non ! La négociation suppose qu’il y ait un équilibre, que chacun soit dans une position qui lui permet, sans crainte et en toute sérénité, de négocier. Or cela ne sera pas le cas si le référendum est d’origine patronale.
Vous indiquez également que l’accord collectif bénéficiera d’une présomption de légalité, ce qui signifie que le juge n’ira pas chercher ce qui, à l’intérieur de l’accord, peut être éventuellement illégal ; il faudra que le salarié apporte lui-même cette preuve, ce qu’il n’aura pas forcément la possibilité de faire.
On nous a dit que ces changements n’affecteront pas les salaires, parce qu’ils ne relèveront pas de l’accord collectif. C’est exact ; seulement, un revenu de salarié comprend non seulement un salaire, mais aussi certaines prestations annexes, parfois en numéraire. Or l’accord collectif peut mener à la suppression de ces prestations.
Cet article comprend donc un certain nombre d’éléments toxiques dont j’estime qu’il faut discuter. Je m’abstiendrai donc sur ces amendements, pour pouvoir ensuite intervenir sur certains points où je suis en désaccord complet avec le texte.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, je tiens moi aussi, tout d’abord, à vous rendre sincèrement hommage, comme cela a été fait par bon nombre de collègues avant moi. Je salue votre mission au service de la Haute Assemblée et du Parlement tout entier, mission que vous avez remplie avec beaucoup de cœur et de passion.
Bien que je respecte naturellement l’engagement de leurs signataires, je dois dire qu’il est toujours délicat de porter une appréciation sur les amendements de suppression d’un article, parce qu’ils tendent forcément à limiter la discussion, le dialogue. Or on est là au cœur de notre sujet : le dialogue social. Cet article aborde des sujets particulièrement complexes qui concernent beaucoup d’entreprises, qu’elles soient petites, moyennes ou grandes. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage aux membres de la commission des affaires sociales, qui se sont investis sur ce dossier.
J’ai aussi écouté avec beaucoup d’intérêt votre point de vue, madame la ministre, concernant le mot « confiance ». Je crois en effet que la confiance s’applique dans beaucoup de domaines et qu’il faut aussi, à un moment donné, poser les bonnes questions. Nous ne devons pas non plus oublier l’activité économique : défendre nos entreprises est aussi une large priorité.
Je suivrai donc tout naturellement l’avis de notre rapporteur et de la commission des affaires sociales, à laquelle j’ai appartenu voici quelque temps.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. J’appelle à voter la suppression de l’article 1er. Je ne reprendrai pas notre argumentaire sur l’inversion de la hiérarchie des normes, que j’ai notamment détaillé dans ma défense de la question préalable.
Mon intervention porte simplement sur les propos qu’a tenus à l’instant Mme la ministre : je ne peux pas la laisser dire, dans cette enceinte parlementaire, que les organisations représentatives des salariés seraient assez favorables au contenu de ce qui nous est proposé ici. Ce n’est pas à un ministre de parler ici à la place des organisations représentatives de salariés. Je m’en tiens, pour ma part, aux auditions qui ont eu lieu sous l’autorité du président de la commission des affaires sociales, où nous avons entendu ces organisations.
En effet, madame la ministre, pour le reste, vous avez fait le choix de discussions bilatérales, ce qui fait qu’un syndicat ne sait pas ce qui s’est dit avec l’autre.
Mme Nicole Bricq. Ils se téléphonent ! Ils se voient !
M. Dominique Watrin. Il me paraît donc quelque peu déraisonnable de rendre ainsi public tel ou tel accord partiel. Pour ma part, pour avoir écouté les représentants des organisations syndicales, je n’ai pas du tout entendu le même son de cloche. J’ai entendu la CFE-CGC dire son désaccord avec la logique d’ensemble du texte ; j’ai entendu la CFDT dire qu’elle n’avait pas demandé ce texte ; j’ai entendu FO dire qu’il y avait des lignes rouges à ne pas dépasser ; enfin, j’ai entendu la CGT appeler à la mobilisation et dire son désaccord total avec le texte. Cela fait quand même beaucoup !
Permettez-moi donc de douter quelque peu de la satisfaction, même relative, des organisations syndicales de salariés sur le contenu de cet article ! (Mme Laurence Cohen applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Madame la ministre, tout comme M. Watrin, votre argumentaire m’a laissé interrogatif. En revanche, il ne m’a pas surpris, puisque Mme El Khomri a développé le même voici quelques mois.
Vous faites le pari de la confiance envers les employeurs. Mais dans quel monde vivez-vous ? Nous sommes dans une société capitaliste. Qu’est-ce que cela signifie ? Il y a compétition entre les entreprises pour vendre le moins cher leurs produits, non seulement à l’échelle française, mais aussi à l’échelle internationale. Ce n’est pas un système de coopération où l’on se répartit les tâches ; au contraire, on veut vendre plus d’objets et de services au moindre prix et conquérir ainsi le marché.
Si cette compétition n’existait pas, les agriculteurs seraient-ils dans leur situation actuelle, complètement exploités par les distributeurs ? N’existe-t-il pas des patrons voyous qui rachètent des entreprises et les revendent rapidement et font du capital en chassant les travailleurs ? Tous les profits sont-ils réinvestis dans l’entreprise ? Bien sûr que non : ils vont dans des paradis fiscaux !
Vivons-nous dans le même monde, madame la ministre ? Connaissez-vous cette situation ? Comment se traduit-elle ? Des gens sont sur le carreau, et on dit qu’on va les sauver. Des territoires sont délaissés. Bien des emplois ne peuvent être conservés, parce qu’on produit désormais à l’étranger. Telle est, aujourd’hui, la situation des salariés français. Et votre réponse consiste à aggraver encore cette situation : il faut qu’il n’y ait plus de garde-fous, mais que, au contraire, l’entreprise s’adapte à cette compétition. Sachez pourtant que, lorsqu’une entreprise baisse les salaires et dégrade les conditions de travail, elle oblige par le mécanisme du capitalisme les autres à faire de même !
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, j’étais jeune sénateur de la Corrèze, quoique déjà vieux, quand j’ai eu le grand bonheur de vous rencontrer. J’ai toujours trouvé en vous un homme très chaleureux, mais, à vrai dire, je vous connaissais déjà, parce que Mme Chirac m’avait beaucoup parlé de vous… (Ah ! et sourires sur de nombreuses travées.)
M. le président. Les hôpitaux de Marseille ont reçu beaucoup de pièces jaunes !
M. Daniel Chasseing. Votre humanisme et votre générosité m’étaient donc déjà bien connus.
J’en viens à l’article 1er. Il me paraît important de souligner, à la suite d’Alain Milon, que la branche n’est absolument pas supprimée : elle est même confortée et reste incontournable.
Cet article donne la possibilité d’aménager et de faciliter des accords au plus près des besoins par un accord d’entreprise. C’est valable autant pour les salariés que pour l’employeur. D’ailleurs, contrairement à ce qui a été soutenu, c’est ce que souhaitent non pas les entreprises du CAC 40, mais bien les petites entreprises. Il ne faut pas voir les petits patrons comme des dominateurs et les employés comme des gens asservis. Pas du tout ! Dans les petites entreprises, le dialogue a lieu tous les jours.
Ce texte propose de renforcer le dialogue social, et j’y suis favorable. Cela passe par la prise en compte des petites entreprises, en précisant les domaines où l’accord de branche n’est pas adapté et, par conséquent, pas applicable.
La loi accordera une place centrale à la négociation. N’est-ce pas un progrès social, monsieur Desessard ? Si ce texte apporte de l’emploi pour notre pays, en faisant en sorte que les employeurs ne soient pas angoissés à l’idée de développer leur entreprise, notre pays sortira peut-être du chômage de masse. C’est cela qu’il faut considérer dans un premier temps. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Une fois de plus, certains de nos collègues montrent à quel point les modèles de société qu’ils défendent sont à contre-courant de l’histoire. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
Je respecte vos convictions, mes chers collègues. L’ennui, c’est que le monde change : notre économie ne fonctionne plus comme au siècle dernier. (M. Alain Néri s’exclame.) Les échanges sont nombreux, rapides, internationaux ; les métiers évoluent, les marchés aussi.
Pour affronter ces changements et se positionner dans la compétition, employeurs et salariés doivent pouvoir choisir entre eux les règles propres à leur organisation. C’est la raison pour laquelle je voterai contre ces amendements de suppression.
Mme Annie David. Ah !
M. Olivier Cadic. Madame la ministre, vous avez parlé des règles concernant le handicap et la discrimination. Il faut savoir que, dans certains pays, la loi n’est pas aussi prolixe sur ce sujet. En revanche, on sait faire respecter l’égalité. Si l’entreprise n’est pas accessible aux personnes à mobilité réduite, elle ne peut plus recruter, car si elle le fait, on peut facilement prouver qu’elle discrimine les personnes handicapées.
Sortons ces dispositions du code du travail : sur cette matière, il est inutile. Faisons respecter le code pénal et la loi, et vous verrez que, tout à coup, comme par hasard, cette discrimination disparaîtra.
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.
M. Alain Néri. Ce sujet nous a déjà occupés voilà quelques mois, lors de la discussion de la loi El Khomri. Bis repetita placent : nous allons être obligés de vous répéter, madame la ministre, ce que nous avions dit à Mme El Khomri et qu’elle n’a pas voulu entendre, à tort d'ailleurs, puisque les faits semblent nous avoir donné raison.
Si nous vivions dans le monde des Bisounours, où tout est parfait, où tout le monde s’entend bien, nous n’aurions pas besoin de loi. En effet, la loi est le garde-fou qui permet de faire respecter le droit des uns et des autres, en particulier des plus modestes.
Il est vrai que, dans certaines grandes entreprises comme dans certaines petites, le dialogue social se passe bien, tout va bien. Malheureusement, des exceptions existent, et la loi vise à protéger les intérêts des plus modestes, c’est-à-dire des travailleurs les plus faibles, contre les excès de certains patrons qui n’ont pas encore compris le sens du dialogue social, celui de la solidarité et celui de la devise républicaine – liberté, égalité, fraternité. La fraternité est parfois oubliée, la solidarité l’est souvent !
Dans ces conditions, madame la ministre, il faut une loi qui protège les salariés. Or, tel qu’il est rédigé, ce projet de loi m’inquiète beaucoup. Le dialogue social a eu lieu, mais je n’ai pas l’impression que ce texte reflète l’avis de toutes les organisations syndicales !
Certes, vous avez parlé, madame la ministre, mais un endroit est prévu pour cela ! Je ne suis qu’un modeste instituteur : lorsque je faisais des leçons de vocabulaire, je m’attachais à la racine des mots. L’endroit où l’on doit parler, c’est le Parlement, et ceux qui doivent parler, ce sont les parlementaires !
À partir du moment où vous nous proposez de régler un problème aussi important que celui du code du travail, c’est-à-dire le droit des salariés à la dignité dans leur travail et à leur épanouissement grâce au travail, vous n’avez pas le droit de vouloir légiférer par ordonnances, car vous privez le Parlement de son droit essentiel et les parlementaires de leur droit de base, à savoir parler et discuter de ce sujet.
C’est pourquoi, madame la ministre, je ne voterai pas cet article et voterai les amendements de suppression. Je veux défendre les droits des travailleurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Alain Néri vient de le souligner : on ne peut pas dessaisir le Parlement de questions aussi importantes, qui concernent des millions de personnes. Cela fait trente ans que l’on flexibilise – multiplication des contrats flexibles, intérim, temps partiel, CDD… –, et cela ne règle pas le chômage de masse. D’autres raisons expliquent ce phénomène : on a délaissé notre industrie, on a abandonné des pans entiers de notre économie ; la cause se trouve sûrement là.
Mes chers collègues, savez-vous que, selon le ministère du travail, un tiers des CDI sont rompus dès la première année ?
Savez-vous que 30 000 ruptures conventionnelles sont conclues chaque mois, toujours selon le ministère du travail ?
Mme Nicole Bricq. Oui, 400 000 par an !
M. Martial Bourquin. Jusqu’à 2,4 millions de ruptures conventionnelles ont déjà été signées. Il y a moins de plans sociaux.
Comparons notre droit du travail et celui de l’Allemagne. Sur les CDI, l’Allemagne est bien plus protectrice que la France ; en revanche, sur les CDD, elle l’est moins. En matière de plans sociaux, la réglementation en France est moins contraignante que celle qui est en vigueur dans d’autres pays européens.
Contre le chômage, la dérégulation n’a pas marché. C’est pour cela qu’il ne faut pas poursuivre dans cette direction.
Pourquoi ces amendements de suppression ? Primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail et sur la question des branches, extension du contrat de chantier à d’autres secteurs que le BTP, niveau plancher et plafond des indemnités en cas de licenciement abusif, pouvoir de négociation de l’instance unique de représentation du personnel dans les entreprises de plus de cinquante salariés, modification du périmètre de l’appréciation du licenciement économique, réduction du délai de contestation du licenciement devant les prud’hommes…
Comment légiférer par ordonnances sur des questions aussi importantes ? C’est impensable ! (Mme Catherine Deroche s’exclame.) Pourtant, Emmanuel Macron nous le propose. (Mme Gisèle Jourda et M. Alain Néri applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Le groupe La République en marche ne votera bien évidemment pas ces amendements de suppression. Je tiens à faire remarquer, ainsi que l’a très bien dit Yves Daudigny, que cet article règle un problème qui n’a pas été résolu dans la loi El Khomri, celui de l’articulation de l’accord de branche avec l’accord d’entreprise. À l’époque, tous ceux qui s’opposaient à cette loi affirmaient que l’accord de branche devait être supérieur à l’accord d’entreprise – sans étayer cette argumentation, du reste. Cet article apporte la solution.
Lorsque la commission d’affaires sociales a auditionné les partenaires sociaux, notamment les organisations syndicales, s’il y a un point sur lequel ils ont donné acte de la volonté du Gouvernement de régler ce problème, c’est bien l’article 1er. (M. Dominique Watrin s’exclame.) C’est pourquoi il ne faut absolument pas le supprimer.
Par ailleurs, je reconnais la fonction tribunitienne du parlementaire, surtout chez les membres de l’opposition ; ce n’est pas moi qui la contesterai. Il faut toutefois faire attention aux arguments que l’on avance, notamment sur ce sujet, et se garder de faire des raccourcis, à l’instar de Marie-Noëlle Lienemann, qui tout à l’heure a affirmé que l’on organisait le dumping social et qui a lié cette question à l’augmentation du travail détaché illégal.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je n’ai jamais dit cela !
Mme Nicole Bricq. Or c’est justement grâce à la branche « bâtiment » que nous avons pu réglementer efficacement l’accès du travail détaché, notamment par la carte professionnelle qui a été mise en œuvre au 1er janvier dernier.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quel rapport ?
Mme Nicole Bricq. On ne peut pas établir un lien, comme vous le faites, avec le texte dont on discute.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je n’ai pas fait de lien !
Mme Nicole Bricq. Le rôle des branches, c’est justement d’apporter de la régulation et de lutter contre le dumping social. Elles savent le faire et le feront d’autant mieux que vous voterez l’articulation que prévoit cette disposition. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Chers collègues du groupe CRC, je ne parle pas de vous, vos positions sont cohérentes avec celles que vous avez toujours défendues. Je fais allusion au raccourci qui a été fait tout à l’heure. Il ne faut pas raconter n’importe quoi ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)
M. Alain Néri. Nous ne racontons pas n’importe quoi !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. À mon tour, monsieur le président, je tiens à vous dire un mot d’amitié. Beaucoup ont rendu hommage à votre bonhomie, à votre accent, à votre attachement à Marseille.
Toutefois, si l’on veut être complet, il faut souligner que, à côté de la bonhomie, il y a certainement une âpreté au combat, qui vous a permis de tenir cinquante ans à Marseille, comme élu et comme maire. Ce qui m’a surpris, c’est ce mélange : il est très rare de rester courtois et respectueux et de défendre de façon aussi dure son parti et ses opinions.
M. Jean Desessard. Et c’est un Parisien qui le dit ! (Sourires.)
M. David Assouline. Il doit en rester quelques traces à Marseille.
J’en viens à l'article 1er. D’aucuns considèrent que certains seraient dans un autre siècle. Mes chers collègues, je vous invite à relire les débats qui se sont tenus dans cet hémicycle, depuis deux siècles, à chaque fois que l’on a touché à ces questions : la droite et le patronat soutenaient exactement les mêmes arguments.
M. Jean Desessard. Déjà au XVe siècle ! (Sourires.)
M. Bruno Retailleau. Et même avant ! (Nouveaux sourires.)
M. David Assouline. Il en est ainsi depuis que le Parlement existe : « Il faut faire confiance au patron. Il veut le bien-être de tout le monde et, s’il réussit à faire prospérer son entreprise, cela profitera aux salariés. Le patron est d’ailleurs tellement gentil qu’il pourra augmenter les salaires, voire construire à ses salariés une petite maison à côté de l’entreprise. En revanche, si l’entreprise sombre, des milliers de salariés seront sur le carreau. Il faut donc le laisser faire tranquillement ce qu’il veut. »
Cela fait deux siècles que de tels propos sont rabâchés ! Et cela ne fonctionne pas. Depuis trente ans que des lois visant à plus de flexibilité sont votées, avez-vous vu l’emploi et le bien-être des travailleurs augmenter ?
Soyons fiers ! C’est parce que la France a ce code du travail, ce rapport de force entre salariés et patronat que l’on n’y dénombre pas 20 % de travailleurs pauvres comme en Allemagne. Il y a la question du chômage, certes, mais il y a aussi celle de la dignité au travail. La pauvreté et la précarité sont des invariants, des cancers qui minent le lien social aujourd’hui.
La priorité devrait être de rechercher toutes les zones d’ombre du code du travail et de renforcer les protections pour les plus précaires, notamment pour le nouveau salariat. Or on fait l’inverse ! On ajoute de la fragilité là où elle est déjà présente.
Indépendamment du fait que l’on règle mieux cette articulation entre accord de branche et accord d’entreprise que dans la loi El Khomri,…
Mme Nicole Bricq. Ce n’était pas réglé !
M. David Assouline. … l'article 1er contient bien d’autres dispositions. Nous y reviendrons après le vote de ces amendements de suppression.
Selon vous, madame la ministre, les syndicats de salariés seraient d’accord avec ce qui est proposé. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) Pourtant, seul le patronat a demandé ce qui se trouve dans ce projet de loi ! Je n’ai pas entendu une organisation syndicale pendant la campagne électorale réclamer un tel texte ou plus de flexibilité. Bien sûr, maintenant, les syndicats négocient ; ils tentent d’obtenir que les curseurs soient placés d’une manière qui soit plus favorable. Toutefois, ce texte répond à une demande de M. Gattaz, lequel est content.
Pour notre part, nous sommes plutôt du côté du plus grand nombre et des travailleurs, comme nous l’avons toujours été au parti socialiste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes avant la mise aux voix des amendements de suppression.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié quater, 54, 156 et 182 rectifié ter.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains et du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 128 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 36 |
Contre | 299 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. Alain Néri. Il a eu tort !
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, chaque fois que vous avez présidé, en particulier lors des séances de questions orales du mardi matin, vous avez fait montre d’une grande mansuétude à l’égard des orateurs qui se succédaient à la tribune ou au micro. J’avoue en avoir bénéficié quelquefois et je vous en remercie.
Mme Annie David. Vous le dites quand cela vous arrange !
Mme Nicole Bricq. Je ne fais pas de procès à ceux qui ne respectent pas aujourd’hui le temps de parole qui leur est imparti, mais j’espère qu’ils seront présents dans la nuit de jeudi et manifesteront alors le même engouement pour ce texte. Je crains que ce ne soit pas le cas de tous… (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)
M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.
Cela me fait penser à l’ancienne présidente du groupe CRC, Mme Hélène Luc, qui ne respectait jamais son temps de parole ! (Sourires.)
M. le président. Toujours sur l’article 1er, je suis saisi de neuf amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 162 rectifié, présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 4
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean Desessard. Mon cher collègue, dissipez vos alarmes et annoncez-nous un destin plein de charmes ! (Exclamations amusées. – Applaudissements.)
M. Jean Desessard. La messe est dite, et il ne me reste plus grand-chose à ajouter ! Quelques mots cependant… (Sourires.)
Monsieur le rapporteur, vous avez raison : il vaut mieux faire les réformes en début de mandat qu’à la fin de celui-ci, surtout quand elles vont contre son électorat. Je vous reconnais là un esprit d’analyse que les socialistes partagent certainement depuis l’élection présidentielle et les élections législatives…
Pour autant, pourquoi une telle précipitation ? Ce texte aurait pu être présenté dans l’année ; or le Gouvernement demande à légiférer par ordonnances et pendant les vacances. Il nous fait même travailler alors que M. Gaudin préside nos travaux pour la dernière fois !
Pourquoi ne pas avoir laissé la négociation avec les partenaires sociaux s’achever, en dresser le bilan et le présenter devant le Parlement ? Cela demandait six mois. On a du mal à comprendre cette précipitation, sauf si vous pensez que le code du travail est l’élément bloquant de l’économie et qu’il faut complètement le débloquer pour retrouver une économie compétitive.
C’est là que nous avons d’importantes divergences. Certains pensent qu’une coopération internationale est nécessaire – les communistes parleront de « solidarité internationale », pour notre part, nous évoquerons une « coopération écologiste internationale » –, c'est-à-dire que des normes doivent être établies à l’échelon européen ou mondial. Pour votre part, madame la ministre, vous considérez que les normes et la régulation du travail doivent se décider non plus au niveau de l’État ou même des branches, mais au sein de l’entreprise !
Cela signifie qu’il appartient aux salariés, au sein des entreprises, de trouver la meilleure solution pour s’adapter au système compétitif international. Cela peut paraître intéressant au premier abord, mais nous avons démontré, lors des débats sur la loi El Khomri, que le rapport de forces était aujourd'hui disproportionné. Il est en faveur des employeurs. Les salariés n’auront pas le choix : pour permettre à l’entreprise de conserver des parts de marché et d’exporter, ils devront adapter leurs horaires et leurs conditions de travail.
Pour notre part, nous nous inscrivons dans une logique de coopération internationale. Nous pensons que les normes doivent être édictées à l’échelon européen. Nous ne sommes pas favorables à une compétitivité à l’échelle des travailleurs et des entreprises.
Nous avons deux logiques différentes. Nous continuerons de défendre la nôtre au cours de ce débat, même tard dans la nuit.