M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Dans une décision du 21 octobre 2016, le Conseil constitutionnel a censuré le principe de l’« exception hertzienne », en vertu duquel la surveillance des communications empruntant la voie hertzienne était exclue de tout encadrement juridique et de tout système d’autorisation préalable.
La censure de cette mesure sera effective le 31 décembre 2017. Il est donc essentiel de prendre position pour éviter tout vide juridique. C’est l’objet de cet article 8, qui vise à créer un nouveau cadre législatif pour la surveillance des communications hertziennes. Ce nouveau régime reprend toutes les prescriptions du Conseil constitutionnel et permet de renforcer le contrôle sur la surveillance des communications hertziennes, ce qui paraît aller dans le bon sens.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État. Même analyse et même avis que le rapporteur, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 61 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Barbier, Bertrand et Collombat et Mme Jouve, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Après la référence :
L. 811-3,
insérer les mots :
à l’exception de la prévention de la délinquance organisée
La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Cet amendement vise à réduire le champ de la collecte de renseignements, en supprimant de la liste le définissant « la prévention de la délinquance organisée ».
La version actuelle de l’article 8 offre la possibilité de recourir à des interceptions de correspondances échangées par voie hertzienne pour lutter contre l’ensemble des infractions mentionnées à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.
Cet article renvoie à toutes les infractions suivantes : l'indépendance nationale, l'intégrité du territoire et la défense nationale ; les intérêts majeurs de la politique étrangère, l'exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d'ingérence étrangère ; les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ; la prévention du terrorisme ; la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous en application de l'article L. 212-1, des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ; la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ; la prévention de la prolifération des armes de destruction massive.
Les auteurs de cet amendement considèrent que l’autorisation d’interceptions de ce type recouvre un champ trop vaste et proposent de le réduire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Les auteurs de cet amendement entendent limiter le champ d’utilisation des interceptions de communications empruntant la voie hertzienne en excluant le 3° et la prévention de la délinquance organisée. La prévention du terrorisme ne ferait plus partie du champ des observations qui pourraient être faites par un système hertzien.
La restriction proposée par cet amendement est beaucoup trop sévère. L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État. Je voudrais rappeler que le régime hertzien allégé résiduel résultant des articles 8 et 9 du projet de loi concerne les communications diffusées sur les ondes, comme le sont les émissions de radio ou de télévision, que n’importe qui peut capter pourvu qu’il possède l’antenne idoine.
En raisonnant par analogie avec la technique de captation des paroles, le régime hertzien ouvert correspondrait à ce titre au cas où une personne communiquerait publiquement. Il est donc clair que le fait de l’écouter n’attente en rien à ses droits et libertés.
Or l’amendement n° 61 rectifié porte sur le régime du hertzien ouvert. Il vise à limiter le champ des finalités pour lesquelles ce régime peut être utilisé par les services de renseignement, alors que cette restriction ne serait pas applicable au hertzien privatif, qui constitue, lui, un régime intrusif.
Par ailleurs, les communications hertziennes ouvertes, du fait de leur facilité d’utilisation et de la préservation de l’anonymat qu’elles permettent, sont assez prisées dans des activités de lutte contre les réseaux de délinquance organisée, mais aussi, comme le souligne le rapporteur, de lutte contre le terrorisme.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour explication de vote.
Mme Mireille Jouve. Je tiens à souligner que cet amendement ne concerne pas du tout la prévention du terrorisme. Il s’agit seulement de supprimer de la liste la prévention de la délinquance organisée.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je crois utile d’appeler l’attention des collègues qui ont déposé cet amendement sur le fait que, dans certaines régions du monde, la criminalité organisée représente un risque pour notre sécurité nationale de même nature que les risques souverains.
Ainsi, la piraterie et l’industrie de l’enlèvement sont deux facteurs de vulnérabilité de notre pays particulièrement aigus dans des zones en crise.
Il y a donc des raisons majeures de sécurité nationale de mentionner la criminalité organisée.
M. le président. L'amendement n° 75, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 14 et 15
Rédiger ainsi ces alinéas :
« À ce titre, elle est informée du champ et de la nature des mesures prises en application de l’article L. 854-9-1 et peut, à sa demande, se faire présenter sur place les capacités d’interception mises en œuvre sur le fondement de cet article.
« La commission peut également solliciter du Premier ministre tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa mission, y compris, à seule fin de s’assurer du respect des champs d’application mentionnés au premier alinéa, la communication des renseignements collectés et les transcriptions et extractions réalisées, et adresser à tout moment au Premier ministre, ainsi qu’à la délégation parlementaire au renseignement, les recommandations et les observations qu’elle juge nécessaires au titre du contrôle qu’elle exerce sur l’application du présent chapitre. » ;
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Gérard Collomb, ministre d'État. Cet amendement tend à rétablir, à l’article 8, les dispositions du projet de loi initial qui définissent les modalités du contrôle assuré par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sur les mesures de surveillance des communications hertziennes ouvertes mises en œuvre par les services de renseignement.
Pour tirer les conséquences de la censure, le 21 octobre 2016, par le Conseil constitutionnel des dispositions instituant une « exception hertzienne », le Gouvernement a conçu un dispositif à deux composantes : d’une part, un régime de surveillance des communications hertziennes « privatives », c'est-à-dire assimilables à des communications échangées à titre confidentiel ou privé, qui constituera une nouvelle technique de recueil de renseignements et qui sera assorti de toutes les garanties prévues par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement en termes d’encadrement légal, notamment de prérogatives de contrôle reconnues à la CNCTR ; d’autre part, un régime hertzien allégé, résiduel, pour la surveillance des communications hertziennes ouvertes, c’est-à-dire des communications échangées sur un espace public et pouvant être interceptées par toute antenne placée sur leur « chemin », la CB, ou citizen band, par exemple.
Il est essentiel que la différence entre ces deux régimes hertziens soit bien marquée, y compris en termes de contrôle par la CNCTR, dès lors que seule la surveillance des communications hertziennes privatives est susceptible de porter atteinte à la vie privée et au secret des correspondances. À ce titre, pour le hertzien privatif, la CNCTR doit disposer de toutes les prérogatives de droit commun applicables aux techniques de renseignement.
En revanche, pour le hertzien ouvert accessible aux services de renseignement, il faut qu’elle puisse s’assurer que ce nouveau régime ne sert pas à empiéter sur le champ des techniques de renseignement.
Pour l’exercice de cette mission, il lui suffit d’avoir accès aux capacités d’interception, car elles sont spécifiques aux communications hertziennes ouvertes et permettent donc de vérifier qu’elles ne peuvent servir à d’autres utilisations. Le Gouvernement a cependant admis que la commission puisse aussi ponctuellement demander au Premier ministre un accès aux renseignements collectés et aux transcriptions et extractions pour s’assurer de cette absence de dévoiement.
Il est donc proposé sur ce point d’en revenir à la rédaction du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Les explications du ministre d’État sont extrêmement intéressantes, mais la commission des lois s’est placée d’un autre point de vue et a, la semaine dernière, simplifié la procédure permettant à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de recueillir les informations nécessaires à la conduite de sa mission de contrôle en supprimant la sollicitation préalable du Premier ministre.
Bien que les surveillances mises en place au titre de l’« exception hertzienne » échappent à ce contrôle préalable, il lui est en effet apparu souhaitable de conférer à la CNCTR des pouvoirs de contrôle a posteriori de même nature que dans le droit commun.
C'est la raison pour laquelle l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre d’État, les propos que vous venez de tenir à l’appui de votre amendement tendant à rétablir le texte initial du projet de loi font totalement abstraction de la formulation élaborée par la commission des lois.
De quoi s’agit-il techniquement ? Lorsque l’on évoque l’exception hertzienne, le spectre hertzien, il s’agit de l’ensemble des fréquences, des plus longues aux plus courtes. La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 21 octobre 2016 ne fait nullement état d’un saucissonnage du spectre hertzien. Celui-ci est pris dans son intégralité.
Ainsi, la rédaction de la commission des lois va tout à fait dans le sens de la décision du Conseil constitutionnel, en conformité avec les trois attributions de la CNCTR.
Tout d’abord, la CNCTR rend a priori un avis sur les demandes de placement sous surveillance d’une personne et transmet celui-ci à Matignon pour autorisation. Ensuite, elle contrôle a posteriori l’utilisation des moyens de surveillance - nous sommes dans ce cas précis. Enfin, elle est également chargée du contentieux de la légalité des autorisations de recours aux techniques de renseignement.
Qu’il s’agisse de la décision du Conseil constitutionnel du 21 octobre 2016 faisant suite à une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par des avocats et un certain nombre d’associations ou de ses attributions, rien n’interdit à la CNCTR de se livrer à ces contrôles sans être obligé de passer par Matignon.
Pour cette raison, je ne soutiendrai pas l’amendement présenté par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je voudrais, d’un mot, appeler l’attention de mes collègues sur le sujet dont nous discutons, puisqu’il s’agit de l’outil principal du contre-espionnage français.
Nous avons une longue expérience, en tout cas sur ce que nous avons le droit de savoir, du rôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui est évidemment honorable et bien gérée. Très sincèrement, revient-il à cette commission, qui a pour mission de s’assurer de l’absence d’abus dans l’utilisation des techniques de renseignement à l’encontre des citoyens ou des intérêts français, de jouer un rôle de moniteur du contre-espionnage français ? Le souhaite-t-elle seulement ?
Il me semble, et mes propos diffèrent sur ce point de ceux de M. Boutant, que nos services ont une mission de défense de nos intérêts nationaux, de prévention des risques pour notre souveraineté nationale et que l’exécutif de ce pays, Matignon, avec une longue tradition de responsabilité d’État, est en mesure de s’assurer que les services agissent de façon respectable, honorable.
Je constate que le Conseil constitutionnel n’a pas émis d’autre exigence que celle d’un cadre légal minimal de ces interceptions. Le texte du Gouvernement y répond. Aller au-delà ne me semble pas servir les intérêts de notre pays.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Si nous en sommes là, c’est parce qu’il y a eu une question prioritaire de constitutionnalité et que nous avons besoin d’encadrer mieux !
Si l’acceptabilité des techniques de renseignement passe par la crédibilité et le développement des moyens de la CNCTR, si nous souhaitons que les écoutes soient acceptées et comprises, elles doivent être contrôlées. C’est bien le rôle de cette commission, qui a été dotée, en 2015, de pouvoirs de conseil auprès du Premier ministre, mais aussi de saisie du Conseil d’État lorsqu’elle l’estimait nécessaire.
La CNCTR est composée de gens responsables, connaissant la situation de l’État, qui ne feront pas n’importe quoi. Il est logique de leur donner les moyens de s’assurer, par eux-mêmes, de ce qu’ils doivent garantir. Le texte de la commission assure cette possibilité et mérite, me semble-t-il, de rester en l’état.
M. Alain Richard. Bravo, le sens de l’État !
M. le président. L'amendement n° 63 rectifié, présenté par MM. Guérini, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et M. Vall, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 15
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la commission constate une atteinte grave et répétée aux champs d’application lors des interceptions opérées, elle peut ordonner la suspension de la collecte de renseignements par cette voie. » ;
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Cet amendement de repli se situe dans la même logique que l’amendement n° 62 rectifié. Comme l’a expliqué mon collègue Arnell, il s’agit de donner à la Commission de contrôle des techniques de renseignement la possibilité de suspendre les opérations de recueil de renseignements par voie hertzienne encadrées par l’article 8.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission émet le même avis que sur l'amendement n° 62 rectifié. La CNCTR ne disposant que d’un pouvoir de recommandation, j’invite notre collègue à retirer le présent amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Laborde, l'amendement n° 63 rectifié est-il maintenu ?
Mme Françoise Laborde. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 63 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 8.
(L'article 8 est adopté.)
Article additionnel après l'article 8
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Boutant, au nom de la commission des affaires étrangères, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 5° du I de l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les observations que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement lui adresse en application de l’article L. 854-9-3 du même code. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. Il s’agit d’un simple amendement de coordination.
À l’article 8 du projet de loi, il est prévu la transmission à la délégation parlementaire au renseignement des recommandations et observations que la CNCTR juge nécessaire au titre du contrôle qu’elle exerce sur l’application du chapitre V du code de la sécurité intérieure intitulé « Des mesures de surveillance de certaines communications hertziennes ».
Par coordination, nous proposons de retranscrire cette disposition dans l’article 6 nonies de l’ordonnance du 17 novembre 1958, qui regroupe l’ensemble des dispositions législatives concernant cet organe parlementaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État. Je veux remercier M. Boutant pour la correction qu’il a apportée. Le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 8.
Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, il sera bientôt minuit ; je vous propose de prolonger notre séance pour achever l’examen du projet de loi.
Il n’y a pas d’opposition ? …
Il en est ainsi décidé.
Article 9
Le chapitre unique du titre VII du livre III de la deuxième partie du code de la défense est ainsi modifié :
1° L’article L. 2371-1 est ainsi rétabli :
« Art. L. 2371-1. – Les militaires des unités des armées chargées des missions de défense militaire prévues au livre IV de la première partie et d’action de l’État en mer prévue au livre V de la même première partie sont autorisés, pour le seul exercice de ces missions, à mettre en œuvre les mesures prévues à l’article L. 854-9-1 du code de la sécurité intérieure, dans les conditions prévues aux articles L. 854-9-1 et L. 854-9-2 du même code.
« La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est informée du champ et de la nature des mesures de surveillance mises en œuvre sur le fondement du présent article. » ;
2° Il est ajouté un article L. 2371-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 2371-2. – Le service chargé de la qualification des appareils ou des dispositifs techniques mentionnés au 1° de l’article 226-3 du code pénal au profit des armées et des services du ministère de la défense est autorisé à mettre en œuvre les mesures d’interception prévues à l’article L. 854-9-1 du code de la sécurité intérieure, à la seule fin d’effectuer des essais de ces appareils et dispositifs et à l’exclusion de toute mesure d’exploitation des renseignements recueillis. »
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Évelyne Rivollier.
Mme Évelyne Rivollier. L’amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Boutant, au nom de la commission des affaires étrangères, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
mises en œuvre sur le fondement du présent article
par les mots et une phrase ainsi rédigée :
prises en application du présent article. Elle peut également se faire présenter sur place les capacités d’interception mises en œuvre et, à la seule fin de s’assurer du respect du champ d’application mentionné au premier alinéa, les renseignements collectés et les transcriptions et extractions réalisées.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. Cet amendement présente des analogies avec la modification apportée par la commission des lois à l’alinéa 15 de l’article 8.
La CNCTR doit veiller au respect des champs d’application des différents régimes juridiques, mais encore faut-il qu’elle en ait les moyens ! Or, s’agissant des services de renseignement, la rédaction actuelle de l’article 9 ne prévoit pas, contrairement à ce qui est maintenant inscrit à l’article 8, que la CNCTR puisse se faire présenter sur place, par les armées, les capacités d’interception ou se faire communiquer les renseignements collectés, ainsi que les transcriptions et extractions réalisées.
Autant dire qu’une CNCTR, qui ne serait qu’informée, comme cela est prévu à l’alinéa 3 de l’article 9, ne serait guère en mesure d’exercer son contrôle.
Cet amendement étend donc les moyens de contrôle de la CNCTR sur les unités militaires opérant la surveillance de cette catégorie de communications. De cette manière, ce que l’on nomme aujourd’hui l’« exception hertzienne » ne serait plus de mise et la totalité du spectre hertzien ferait l’objet d’un contrôle.
J’ai entendu ce qu’a indiqué Alain Richard à propos d’un autre amendement et je voudrais préciser qu’en adoptant celui-ci, la France ne serait pas dans une situation exceptionnelle par rapport à d’autres pays. Ainsi, j’ai pu organiser un certain nombre de déplacements à l’étranger, qui m’ont permis de vérifier qu’il existe bien un organe de contrôle dans plusieurs pays : l’Intelligence and Security Committee au Royaume-Uni, le G 10-Kommission en Allemagne ou encore le Select Committee on Intelligence au Sénat américain. Dans ces pays, rien n’échappe donc au contrôle parlementaire.
Au Sénat, nous défendons les libertés individuelles – cela a régulièrement été dit durant ce débat – et je ne vois pas au nom de quoi cet amendement, qui supprime l’exception hertzienne, pourrait être refusé. Il permet d’ailleurs de répondre en totalité à la décision du Conseil constitutionnel, qui nous demande une mise en conformité de notre droit avant le 31 décembre prochain.
Mes chers collègues, j’en appelle à votre sens des responsabilités et de la défense des libertés individuelles, qui vous a déjà guidés au moment de la loi relative au renseignement. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à étendre les pouvoirs de contrôle de la CNCTR sur les forces armées. Il est donc tout sauf anodin.
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. Absolument !
M. Michel Mercier, rapporteur. Son adoption permettrait à la CNCTR de contrôler les renseignements collectés par les forces armées, ce qui affecterait directement les fondements de l’État. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a souhaité, avant de prendre position, connaître l’avis du Gouvernement. Ce sont les intérêts essentiels de l’État qui sont ici en jeu.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État. Alain Richard vient d’attirer notre attention sur les difficultés du contrôle effectué par la CNCTR. Cet amendement touche, quant à lui, à un sujet essentiel : la capacité de garder le secret-défense.
Au fond, de quoi s’agit ? Nous parlons de la capacité d’écouter les transmissions radio entre deux avions qui approcheraient de notre espace aérien ou encore de surveiller des communications émanant d’embarcations qui seraient voisines du point de sortie d’un de nos sous-marins.
On peut penser, me semble-t-il, que ce type d’opérations appartient fondamentalement à nos forces armées et qu’on ne doit pas avertir en temps réel la CNCTR. Celle-ci pourrait éventuellement effectuer des contrôles a posteriori, par exemple sur le champ d’application d’une opération, mais pas en temps réel, car procéder ainsi entraînerait la suppression d’un aspect essentiel de nos forces de défense.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait donné initialement un avis favorable sur cet amendement - peut-être dans l’émotion qui suivait l’élection de son nouveau président… (Sourires sur plusieurs travées.) Les explications données à l’instant par le Gouvernement nous permettent dorénavant de rejoindre la position de la commission des lois.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. J’ai tenté l’impossible ! Je remarque que la commission des affaires étrangères et de la défense a changé d’avis, alors même qu’elle avait adopté cet amendement à une très large majorité. J’ai tout de même un peu de mal à comprendre ce changement de pied.
Mme Nathalie Goulet. C’est tout l’intérêt du débat !
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. Surtout, les contrôles dont il est question ne s’effectuent pas en temps réel, mais bien a posteriori. Je rappelle qu’il n’existe pas d’obligation de conservation des documents, il ne peut donc pas être question de « voir ce qui a été écouté »… La CNCTR, garante des libertés individuelles, doit cependant s’assurer qu’il n’y a pas eu la tentation d’écouter autre chose que ce qui est autorisé par la loi.
Je rappelle que cet article, qui vise à mettre fin à l’exception hertzienne, a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité – avec le résultat que l’on connaît… – et on peut imaginer qu’un nouveau recours sera engagé s’il reste un tant soit peu de cette exception dans notre droit. Dans ce cas, on peut aussi penser que le Conseil constitutionnel affirmera sa constance, tant et si bien que nous serons à nouveau amenés à légiférer sur cette question.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je souhaite apporter un éclaircissement supplémentaire, qui peut intéresser Michel Boutant.
Certes, il existe des instances parlementaires au Royaume-Uni et aux États-Unis,…
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. … et en Allemagne !
M. Alain Richard. … qui ont une mission d’observation a posteriori de l’activité des services. Je pense qu’il serait audacieux de prétendre que ces organismes se livrent à une vérification ponctuelle sur les interventions des services. Leur mission ne me semble pas du tout être celle-là. Il s’agit plutôt de dialoguer de manière globale avec les directeurs des services concernés. Je crois qu’on peut dire qu’ils s’en tiennent là.
Quant au risque d’un nouveau contrôle constitutionnel, nous sommes plusieurs à avoir regardé de près les conditions fixées par le Conseil. Certes, il est vraisemblable qu’un nouveau recours sera formé – dorénavant, cet exercice relève quasiment de l’émulation pour les professionnels du droit et ils trouvent parfois une oreille compréhensive dans les juridictions suprêmes… Toutefois, il serait, à mon sens, tout à fait surprenant que le Conseil constitutionnel prive l’État de ses prérogatives de souveraineté nationale.