5
Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire
M. le président. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées, et je proclame M. Jérôme Bignon membre du conseil de surveillance, et M. Jacques Legendre et Mme Nelly Tocqueville membres du comité stratégique de la société du canal Seine-Nord Europe.
6
Droit à l'eau potable et à l'assainissement
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe écologiste, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement (proposition n° 685 [2015-2016], texte de la commission n° 416, rapport n° 415).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’eau comme source de vie, l’eau comme bien collectif, l’eau comme droit individuel, l’eau comme objet économique, nécessitant des dispositions singulières : telles sont les bases de la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui.
Je tiens tout d’abord, au nom du Gouvernement, à saluer la démarche de coconstruction de la proposition de loi examinée cet après-midi.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. La coconstruction s’est d’abord faite avec de nombreuses associations et organisations non gouvernementales humanitaires, caritatives et environnementales regroupées autour d’une plateforme coordonnée par la fondation France Libertés et la Coalition Eau.
C’est la preuve que nos institutions peuvent pleinement fonctionner en lien avec la société et ses forces vives, et c’est la richesse de notre procédure parlementaire que de permettre à des démarches citoyennes de cette nature de nourrir la discussion dans les hémicycles et d’être examinées par la représentation nationale.
Cette coconstruction a également été transpartisane, ce qui n’a rien d’un hasard, car ce texte satisfait un besoin réel de la société française et répond aux difficultés concrètes que connaissent nos concitoyens les plus fragiles et les plus modestes en matière d’accès à l’eau.
Introduire dans la loi un droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement peut sembler superfétatoire, tant celui-ci relève de l’évidence pour l’immense majorité de nos concitoyens. Toutefois, c’est oublier la réalité que vivent des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants qui, aujourd’hui encore, sont privés de ces droits qui semblent acquis au plus grand nombre, parce que leur mode de vie n’est pas sédentaire, parce qu’ils vivent éloignés des réseaux, disposent de ressources trop contraintes ou ont perdu leur toit.
Ce droit garanti, les conditions de sa mise en œuvre et de son financement seront au cœur de la discussion parlementaire. Le Gouvernement sera présent pour accompagner vos réflexions et vos orientations, dans le respect de l’initiative parlementaire qui caractérise le texte. Celui-ci prévoit la mise à disposition par les collectivités locales d’équipements sanitaires et d’accès à l’eau potable pour les personnes non raccordées.
La décentralisation, c’est la liberté des territoires de déterminer les conditions les plus adaptées à la réalité de chacun d’entre eux pour garantir l’égal exercice des droits. Cette proposition de loi s’inscrit dans cette exigence. Bains douches municipaux, équipements spécifiques dans les centres sociaux : chaque collectivité doit avoir le choix des solutions, pourvu que le droit des plus démunis à accéder facilement et sans excès de démarches à l’eau potable et à des équipements sanitaires indispensables à leur dignité leur soit garanti.
Inscrire cette exigence dans la loi permet également d’aider les élus locaux qui se heurteraient à des oppositions à la réalisation de tels équipements. Nous savons tous qu’il est difficile de développer des projets de ce type, car ils suscitent d’abord bien souvent – trop souvent – des réticences de voisinage et alimentent parfois des fantasmes. En faire une disposition législative permet aussi d’aider les maires.
Le Gouvernement s’est engagé sur ce point à faire adopter une nouvelle tarification progressive de l’eau, de l’électricité et du gaz, afin de garantir l’accès de tous à ces biens essentiels et d’inciter à une consommation responsable.
En matière d’énergie, cet engagement est tenu. Plusieurs dispositions de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, présentée par Ségolène Royal, ont mis en place la traduction concrète de ces principes, notamment au moyen du chèque énergie.
En ce qui concerne l’accès à l’eau et sa tarification sociale, la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, dite « loi Brottes », que vous avez adoptée en 2013, a ouvert aux collectivités locales la possibilité d’expérimenter pendant cinq ans de nouvelles tarifications de l’eau et/ou de l’assainissement, ainsi que des systèmes d’aides au paiement de la facture d’eau, afin de garantir un meilleur accès de tous à ces services.
Les dispositifs d’aide aux ménages ayant des difficultés à payer leurs factures d’eau sont ainsi complétés par un volet préventif, car cette expérimentation prévoyait une tarification sociale progressive prenant en compte la situation concrète des ménages, c’est-à-dire leurs revenus et le nombre de personnes composant le foyer.
Je salue ici les cinquante collectivités locales qui se sont engagées dans cette expérimentation, laquelle doit permettre de tirer les enseignements des différents dispositifs d’aide, de leur coût de gestion, de leur appropriation par les personnes auxquelles ils sont destinés. Comme les collectivités expérimentatrices elles-mêmes en ont exprimé le souhait, des amendements visent à faire en sorte que cette expérimentation soit prolongée, afin de tester la robustesse dans le temps des dispositifs d’aide, notamment au regard des mises à jour de fichiers. Le Gouvernement aura, sur ces questions, une approche pragmatique.
Cette proposition de loi tend à définir non seulement un cadre universel ne reposant pas sur la seule volonté des collectivités, mais aussi une démarche répondant plus vite et de façon générale à la question. Cela suppose de préciser les conditions de la création de l’aide forfaitaire préventive pour l’eau prévue dans la présente proposition de loi. La mise en place de cette allocation forfaitaire nécessite de définir avec les acteurs concernés des modalités de mise en œuvre pour s’assurer de son caractère opérationnel et juste, ainsi que pour préciser son financement.
Je précise que le Gouvernement a retiré les deux amendements qu’il avait initialement déposés.
M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Très bien !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Le Gouvernement souhaite que les débats se poursuivent. Vous le trouverez, au cours de ce débat, attentif, partenaire de cette démarche et disposé à trouver avec vous les meilleures solutions pour garantir la solidarité avec les ménages les plus modestes en matière d’accès à l’eau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un élément vital, indissociable de la dignité humaine.
Je voudrais tout d’abord rappeler que vivre dans une société où l’accès à l’eau n’est pas permis au plus grand nombre est très difficile, et qu’il s’agit toujours d’un enjeu majeur de développement pour les pays dont une partie de la population est privée d’un accès à une eau salubre et à des installations sanitaires. Il suffit de rappeler ce chiffre alarmant : près de 700 000 enfants de moins de cinq ans meurent chaque année du fait de maladies liées à la consommation d’une eau contaminée.
En France, le droit à l’eau potable et à l’assainissement est une réalité pour la grande majorité de la population. C’est une chance. En effet, près de 99 % des personnes sont aujourd’hui raccordées à un réseau de distribution d’eau.
Pourtant, certaines catégories de population n’ont toujours pas, dans notre pays, au XXIe siècle, d’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans des conditions satisfaisantes. Il s’agit, d’une part, des personnes qui n’ont pas d’accès physique à l’eau, notamment les sans-abri, et, d’autre part, de personnes en difficulté qui ont du mal à régler leurs factures d’eau et font face à des impayés, voire à des coupures d’eau.
L’objet de cette proposition de loi sur laquelle, M. le secrétaire d’État l’a dit, nous avons longuement travaillé, est de remédier à ces deux situations.
J’ai entendu plusieurs de nos collègues exprimer en commission des craintes quant à son contenu, notamment s’agissant des dispositions qui ont trait aux collectivités territoriales.
Ces craintes, je le dis avec force, sont totalement infondées si l’on regarde en détail les mesures que ce texte contient, au-delà de tout fantasme et de toute posture.
M. Roland Courteau. Exact !
M. Ronan Dantec, rapporteur. Que prévoit-il ?
Premièrement, il inscrit dans la loi la reconnaissance d’un droit à l’eau potable et à l’assainissement. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de créer un droit opposable, puisque la proposition de loi ne définit pas de voies de recours juridictionnelles pour contraindre la puissance publique à agir.
Il s’agit simplement d’inscrire dans l’ordre juridique interne un droit qui a été reconnu au niveau international, notamment par la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 28 juillet 2010, dont l’adoption a été soutenue par la France. Je suis d’ailleurs quelque peu surpris que certains amendements tendent à remettre en cause cet engagement pris sous la présidence de Nicolas Sarkozy… Le respect des engagements internationaux de la France devrait pourtant faire l’objet d’un consensus assez large.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Ronan Dantec, rapporteur. Deuxièmement, ce texte prévoit que les collectivités compétentes en matière d’eau et d’assainissement installent et entretiennent des équipements de distribution gratuite d’eau potable. Il prévoit également la mise à disposition gratuite de toilettes publiques dans les collectivités de plus de 3 500 habitants et de douches publiques dans les collectivités de plus de 15 000 habitants, afin, notamment, que les personnes sans-abri puissent satisfaire leurs besoins élémentaires d’alimentation et d’hygiène.
Cette mesure est bien loin d’être aussi contraignante qu’il y paraît ou qu’on le dit. Le texte indique clairement que, pour se conformer à ces obligations, les collectivités pourront utiliser des équipements sanitaires existants dans des bâtiments publics, par exemple les vestiaires des centres sportifs, ou dans des bâtiments appartenant à des associations qu’elles subventionnent.
Pouvez-vous me citer une commune en France qui ne dispose pas aujourd’hui d’un point d’eau pouvant être mis à disposition des personnes démunies ? Cela n’existe pas ! Je crois même que la bonne gestion de la qualité de l’espace public – j’en parle d’expérience, puisque je suis élu local –conduit de plus en plus de communes à reconstruire des points d’eau et des sanitaires afin d’améliorer le vivre ensemble dans l’espace public.
Cette mesure n’occasionnera donc aucune dépense de construction d’installations sanitaires nouvelles pour les collectivités. Par ailleurs, je le répète, il ne s’agit pas d’un droit opposable.
En revanche, comme l’a très bien dit M. le secrétaire d’État, les collectivités qui le souhaitent pourront s’appuyer sur cette disposition pour développer leur offre. C’est donc une loi d’incitation. Nous n’échapperons pas cet après-midi, je le sais, à un discours convenu et systématique sur l’inflation des normes. J’alerte simplement ceux qui le tiendront sur le fait que rien dans la proposition de loi ne relève de la norme.
M. Rémy Pointereau. Si !
M. Ronan Dantec, rapporteur. J’ignore comment on a pu lire le contraire dans le texte.
Il eût été légitime d’avoir un débat sur l’opportunité d’aller plus loin et de créer un droit opposable, mais tel n’est pas l’objet de la proposition de loi.
Le cœur de cette proposition de loi est la création d’une aide préventive pour l’accès à l’eau, versée sous condition de ressources aux personnes qui ont des difficultés à régler leurs factures d’eau. Cette aide serait attribuée aux personnes dont les revenus sont compris entre le montant du RSA socle et le plafond de ressources de la CMU-C, en intégrant les écarts de prix de l’eau suivant les territoires – c’est une donnée importante.
J’insiste sur un autre point : cette somme sera uniquement dédiée au paiement des factures d’eau et ne sera pas intégrée dans le budget global du ménage.
Il s’agit ainsi de créer un chèque eau, sur le modèle du chèque énergie, en cours d’expérimentation, et qui sera généralisé au 1er janvier 2018. On ne crée donc pas d’usine à gaz, puisque l’on utilise un dispositif en cours de mise en place.
Une autre objection m’a été faite : pourquoi créer une telle aide alors que les centres communaux d’action sociale, les CCAS, et les fonds de solidarité pour le logement, les FSL, gérés par les départements, accordent déjà des aides aux ménages en difficulté pour régler leurs factures d’eau.
Il s’agit justement de sortir d’un système où l’on aide, au cas par cas, les personnes à faire face à leurs impayés d’eau, comme le font actuellement les CCAS et les FSL, et de verser une aide en amont, afin, justement, d’éviter que les personnes ne se retrouvent dans l’impossibilité de payer leurs factures. Il est donc question de mettre en place une aide « préventive », lorsque le système actuel n’est que « curatif ». Dans notre société, c’est en effet l’État qui doit mettre en place et financer les dispositifs visant à satisfaire les besoins essentiels.
La création d’une telle aide préventive permettra de réduire le nombre d’impayés d’eau et, par conséquent, le nombre de dossiers gérés par les CCAS et les FSL.
Nous sommes très nombreux ici à nous alarmer de l’incapacité des départements à assumer la totalité de leurs compétences d’action sociale. Pour une fois, l’État est prêt à reprendre cette responsabilité. Cela devrait tous nous rendre enthousiastes, car c’est autant d’argent que les départements n’auront pas à dépenser demain.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Ronan Dantec, rapporteur. Il s’agit surtout d’une mesure de simplification, qui fera faire aux communes et aux départements des économies plus importantes en termes de gestion de dossiers, rapportées aux 60 millions d’euros que coûte le traitement social de l’eau.
Je suis très surpris qu’il n’y ait pas de consensus entre nous sur ce point, cette mesure permettant aux collectivités territoriales de réaliser des économies très conséquentes. Nous sommes pourtant nombreux à considérer que l’État met à leur charge une partie des politiques publiques !
La mesure est également bénéfique pour les entreprises de distribution d’eau, qui seront moins confrontées aux impayés de leurs clients et aux problèmes que cela pose en termes de récupération des sommes dues et de contentieux en cas de coupure d’eau.
J’en viens maintenant à la question du financement de cette aide. Le Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, a estimé le coût d’une telle aide entre 50 et 60 millions d’euros, à comparer avec le chèque énergie, dont le coût est de l’ordre de 600 millions d’euros.
Dans sa version initiale, la proposition de loi prévoyait la création d’une taxe additionnelle à la taxe existante sur l’eau en bouteille de 0,5 centime d’euro par litre. Cela représentait globalement 1 euro par an et par consommateur d’eau en bouteille, ce qui n’était pas une somme considérable ! Cette surtaxe a été supprimée par l’Assemblée nationale, sur l’initiative du Gouvernement et de plusieurs députés.
Désormais, il est prévu que cette aide soit financée par la taxe existante sur l’eau embouteillée, qui est affectée au Fonds national d’aide au logement, le FNAL, et sans que celle-ci soit augmentée. On ne crée donc pas de taxe supplémentaire. Je précise également que les fabricants d’eau en bouteille, avec lesquels j’ai eu l’occasion d’échanger, ne s’opposent pas à cette mouture du texte ; c’est le compromis trouvé à l’Assemblée nationale.
Enfin, la proposition de loi prévoit de mobiliser les collectivités sur le suivi de la mise en œuvre du droit à l’eau potable et à l’assainissement par l’organisation d’un débat sur les actions prévues ou menées en la matière dans les trois ans suivant les élections municipales.
Vous le voyez, mes chers collègues, cette proposition de loi répond à l’enjeu majeur de l’accès à l’eau en mettant en place un dispositif simple et peu coûteux d’aide sociale. Voilà des années que la question du droit à l’eau et de la création d’une aide préventive est débattue. Ce texte s’inscrit dans le cadre des nombreux travaux qui ont été conduits sur cette question par des juristes, des associations, ou encore par le Comité national de l’eau et le Conseil d’État. Il est désormais temps d’aboutir et de faire du droit à l’eau potable et à l’assainissement une réalité partagée par tous.
Telle est l’ambition de cette proposition de loi. Elle a été signée et votée par des députés de quatre groupes politiques différents, pas seulement de gauche, à l’Assemblée nationale. J’espère que le Sénat, dans un même esprit constructif et transpartisan, votera en faveur de ce texte. Je remercie d’ores et déjà le Gouvernement d’avoir retiré ses amendements. En effet, en cette fin de session, nous l’avons bien compris, c’est le vote conforme qu’il nous faut rechercher. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le présent texte aborde une question fondamentale, celle du droit à l’eau. Toutefois, comme l’a très bien dit notre rapporteur, Ronan Dantec, dont je salue au passage l’excellence du travail et la force de conviction, il ne fait pas que proclamer ce droit. Il lui donne corps par deux mesures concrètes.
La première est l’obligation pour les collectivités locales, singulièrement les communes et les EPCI, de fournir à toute personne qui en serait dépourvue un point d’accès à l’eau pour ses besoins élémentaires.
La seconde mesure de concrétisation du droit à l’eau est la création d’une allocation forfaitaire permettant aux ménages les plus nécessiteux de s’acquitter de leur facture d’eau.
Néanmoins, sur qui va peser la mise en œuvre du droit à l’eau ? Sur les collectivités locales ! C’est bien là que le bât blesse. Pas du tout, nous rétorque Ronan Dantec, aucune charge nouvelle ne pèsera sur les collectivités. Au contraire, elles en bénéficieront.
Premier argument : ne craignez rien, il ne s’agit pas d’un droit opposable.
Deuxième argument : l’obligation de garantir un accès à l’eau potable, à des toilettes, des douches et des laveries ne pèsera pas sur les collectivités parce qu’elle est déjà satisfaite. Toutes les communes visées par le texte disposeraient déjà des infrastructures concernées. Le droit à l’accès à l’eau serait donc effectif.
Troisième argument : les collectivités bénéficieraient de l’instauration de l’allocation forfaitaire d’eau.
Si l’on examine les choses d’un point de vue financier, c’est sur les collectivités que pèsent aujourd’hui les aides curatives destinées à régler les impayés d’eau des ménages les plus modestes : soit sur le département, via son fonds de solidarité pour le logement, le FSL, lorsque la consommation d’eau est facturée dans les charges du logement, soit sur la commune, via le centre communal d’action sociale, ou CCAS, lorsque la facture d’eau est individualisée.
Or, en créant une aide préventive, le présent texte en assure le financement par l’État. L’allocation forfaitaire d’eau sera en effet financée par la taxe sur les eaux en bouteille. Aujourd’hui, cette taxe est intégrée dans le budget général de l’État. Elle serait désormais fléchée vers le Fonds national d’aide au logement, qui la distribuerait aux FSL, lesquels auraient l’obligation de créer un fonds « eau » en leur sein. Le produit de cette taxe est de 50 à 60 millions d’euros. Les besoins estimés de l’allocation forfaitaire d’eau sont du même montant. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes !
L’idée sous-jacente est que l’instauration de l’allocation forfaitaire préventive assèche les besoins d’aides curatives. Par conséquent, le gain pour les collectivités de la création de l’allocation forfaitaire d’eau ne serait pas seulement financier : ce serait aussi un gain de gestion.
Malheureusement, ces arguments ne sont pas convaincants. Celui de la non-opposabilité du droit à l’eau est bien curieux pour qui prétend concrétiser un véritable droit. Cela revient à dire que, si le droit à l’eau emporte des obligations de la part de la collectivité, elles ne seront pas sanctionnées. En quoi ce droit n’est-il pas alors simplement déclaratif ?
De plus, pourquoi le droit nouveau ne serait-il pas opposable ? À partir du moment où il sera inscrit dans la loi, rien n’interdira d’intenter des recours sur son fondement.
L’argument selon lequel ce texte ne modifiera rien pour les collectivités parce qu’elles fournissent déjà un service d’accès à l’eau interroge sur l’utilité du texte. Qu’apporte-t-il s’il ne change rien ? Il faut être cohérent : puisque ce texte apporte un changement, il créera des charges nouvelles pour les collectivités. Dire le contraire n’est pas vraiment crédible.
D’ailleurs, aucun élément chiffré n’est produit à l’appui de cette affirmation. Les communes de plus de 3 500 habitants disposent-elles toutes de toilettes publiques et de points d’eau potable accessibles à tous ? Celles de plus de 15 000 habitants proposent-elles toutes des douches et des laveries gratuites ? Nous n’en savons rien, puisque le présent texte est une proposition de loi et que, par conséquent, il n’est pas accompagné d’une étude d’impact. Si le droit à l’eau est si fondamental, pourquoi ne pas avoir présenté un projet de loi associé à une étude d’impact ?
Le texte lui-même contredit l’idée que toutes les installations existeraient déjà, puisque son article 2 prévoit que les collectivités de plus de 15 000 habitants « installent » des douches gratuites, ce qui indique bien qu’elles n’en disposent probablement pas toutes.
Surtout, disposer des infrastructures et les mettre à disposition sont deux choses bien différentes ! En effet, même si les infrastructures existent, cela coûte de les rendre accessibles, en termes d’exigences de sécurité et, encore plus sûrement, d’entretien. Les représentants des collectivités que nous sommes ne peuvent qu’être sensibles à ces charges sans cesse accrues et jamais compensées. Il est du devoir de la Haute Assemblée de dire : « Stop ! ».
Quant à l’argument invoqué à l’appui de la création de l’allocation forfaitaire d’eau, il n’est pas non plus totalement convaincant, pour au moins deux raisons.
La première, c’est que rien ne garantit qu’elle « siphonne » effectivement les besoins actuels en aide curative.
La seconde est que la gestion du dispositif continuera d’incomber aux collectivités. Le texte ne prévoit pas autre chose. Il y est même écrit le contraire à l’article 4, qui prévoit un rapport relatif à « l’opportunité de rapprocher le dispositif de l’allocation forfaitaire d’eau du dispositif du chèque énergie ». En attendant, ce seront bien toujours aux collectivités d’instruire et de gérer les dossiers.
Par ailleurs, il y a deux points importants sur lesquels le texte demeure totalement muet.
Le premier est celui de son application outre-mer. Aucune modalité d’application différenciée n’est prévue, alors qu’elle s’imposerait à l’évidence.
Le second point clef ignoré par la proposition de loi est celui de l’éducation à l’usage de l’eau. La concrétisation du droit à l’eau emporte en effet le risque de faire passer l’eau pour quelque chose de gratuit, donc sans valeur, que l’on pourrait gaspiller.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Jean-François Longeot. On ne peut mettre en place de tels mécanismes sans accompagner ses bénéficiaires, pour qu’ils aient bien toujours conscience que l’eau est une ressource collective, vitale et rare.
Pour conclure, si le présent texte aborde une question fondamentale et y apporte un début de réponse, il comporte encore de trop importantes zones d’ombre concrètes et techniques. D’un point de vue strictement législatif, dans sa mouture actuelle, il n’est pas abouti, ne serait-ce que parce que les charges qu’il crée pour les collectivités ne sont pas assumées, ni financièrement ni politiquement.
Notre vote sera conditionné à l’adoption ou non d’un certain nombre d’amendements, car cette proposition de loi doit être complétée et clarifiée. Les dispositions de certains des amendements que nous allons examiner nous permettront d’aller en ce sens, notamment s’agissant de l’application du texte outre-mer. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.
M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a excellemment souligné notre rapporteur Ronan Dantec, que je remercie chaleureusement, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi est l’aboutissement d’un long travail de réflexion et de négociation avec de nombreuses ONG, parmi lesquelles la fondation France Libertés a joué un rôle essentiel.
Nous sommes fiers que ce texte, de portée universelle et relatif à la défense des droits humains et des biens communs, ait pu enfin être inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Je le rappelle, cette proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale par Michel Lesage et six autres députés issus de groupes politiques différents – Jean Glavany, Marie-George Buffet, Jean-Paul Chanteguet, François-Michel Lambert, Bertrand Pancher, Stéphane Saint-André –, et adoptée à l’unanimité le 14 juin dernier.
Cette proposition de loi a pour objectif d’inscrire ce droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans le droit français, suivant ainsi la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, qui avait affirmé, le 28 juillet 2010, ce droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement.
N’oublions pas que ce combat pour la reconnaissance du droit à l’eau et à l’accès à l’eau potable a été mené inlassablement par celle qui fut la présidente de la fondation France Libertés, Danielle Mitterrand. Elle a toujours été à l’avant-garde pour démontrer la contradiction entre le statut naturel de l’eau et son exploitation économique, en sensibilisant les citoyens aux dangers de la privatisation de ce bien commun.
Comme l’air que l’on respire, l’eau est un bien commun qui ne peut être considéré comme une marchandise. Ce principe est inscrit dans le premier article de la charte des porteurs d’eau – un mouvement international –, qui fait de chaque citoyen « porteur d’eau » un militant pour une gouvernance mondiale de l’eau, pour que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement soit un droit inaliénable pour tous.
En juin 2010, nous avions d’ailleurs signé officiellement cette charte des porteurs d’eau à Bordeaux avec la présidente de la fondation France Libertés et le conseil départemental que je présidais.
Élément indispensable de la dignité humaine, dénominateur commun à toute forme de vie sur terre, l’eau est devenue un enjeu géopolitique, à l’origine de migrations et de guerres au XXIe siècle. Enjeu de solidarité territoriale et de coopération internationale, l’eau se trouve au cœur du changement climatique et de la transition écologique. L’eau est une source de vie, mais, lorsqu’elle vient à manquer, par exemple lors des catastrophes naturelles – on l’a vu récemment lors des tragiques séismes en Haïti ou au Népal en 2015, ou encore à Mayotte –, elle devient la cause de terribles épidémies et de mort.
Il est important de rappeler des données chiffrées : 34 000 personnes meurent chaque jour dans le monde par manque d’accès à l’eau potable, dont 5 000 enfants ; quelque 1,5 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 2,6 milliards à l’assainissement.
Ces données relatives à la situation dans le monde ne doivent pas faire oublier qu’en France, la cinquième puissance économique mondiale, des milliers de personnes ne disposent pas de branchement à l’eau potable ou n’ont pas les ressources suffisantes pour payer cet accès à l’eau. C’est ainsi que notre pays est loin de respecter les recommandations des Nations unies, qui prévoient un minimum indispensable de 20 litres d’eau par personne et par jour.
L’un des objectifs de cette proposition de loi est de contraindre les collectivités locales à installer et entretenir des équipements de distribution gratuite d’eau potable, ainsi que la mise à disposition de toilettes publiques dans les communes de plus de 3 500 habitants et des douches publiques dans celles de plus de 15 000. Une telle mesure doit permettre aux sans-abri de satisfaire leurs besoins élémentaires d’hygiène et d’alimentation. En outre, de telles installations existent déjà ; l’effort des communes devra porter uniquement sur la visibilité et l’accès à ces équipements.
À ce propos, vous me permettrez de souligner le travail qui est actuellement réalisé dans la métropole bordelaise pour raccorder à l’eau potable une cinquantaine de squats. Ces actions, qui concernent environ 1 000 personnes, favorisent la scolarisation des plus jeunes, évitent le risque de maladies à potentiel épidémique, ainsi que la dégradation des biens publics et privés.
Une autre mesure symbolique contenue dans ce texte est la création d’une allocation forfaitaire d’eau, qui permettrait de venir en aide aux familles ne pouvant pas payer leurs factures. Cette aide s’adresserait aux personnes dont les dépenses d’eau excèdent 3 % de leurs revenus disponibles et concernerait environ 2 millions de personnes en France. Compte tenu des différences du prix de l’eau sur l’ensemble de notre territoire, cette « allocation solidarité eau » ne serait attribuée qu’aux seules personnes payant l’eau à un prix supérieur au prix fixé par décret. Le coût de cette aide est estimé entre 50 et 60 millions d’euros.
Ces mesures, qui tendent à rendre leur dignité à toutes ces populations privées d’eau, sont faciles à mettre en œuvre, et la plupart d’entre elles viennent compléter les dispositifs déjà existants comme la loi Brottes du 15 avril 2013, qui a permis l’interdiction des coupures d’eau ; les nombreuses et récentes décisions de justice condamnant les entreprises industrielles de l’eau vont d’ailleurs faire jurisprudence.
L’obligation qui est faite d’organiser des débats autour de l’eau dans les assemblées délibératives des communes montre que le terrain de l’eau ouvre les portes d’une éducation citoyenne responsable des pratiques démocratiques ; la tenue de tels débats aura l’avantage de rendre les enjeux de l’eau plus lisibles, avec la prise en compte de la dimension du rôle des usagers.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’avez bien compris, ce combat mené pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est le symbole emblématique de tout un engagement pour un monde plus juste et plus solidaire ! Après la COP21 et le vote de la loi sur la biodiversité, la France doit montrer l’exemple, en s’engageant encore davantage pour un modèle respectueux de l’environnement, de la ressource en eau, de la promotion des droits humains. Au niveau tant local qu’international, l’eau est un enjeu de gouvernance et la gestion de ce bien commun doit plus que jamais être au service des communautés et de l’intérêt général.
Mes chers collègues, l’adoption de ce texte constituerait une première étape, un fondement dans la reconnaissance de la dignité humaine : le droit à l’eau pour tous.
« L’eau, c’est la vie ! », répétait inlassablement Danielle Mitterrand. L’eau, c’est un droit, un droit inaliénable à inscrire dans la Constitution. Avec ce texte, la France serait pionnière, un modèle pour les autres pays, suivant l’exemple de la Slovénie en Europe, et bien après le Burkina Faso, la Tunisie, l’Afrique du Sud, l’Uruguay, le Venezuela… Ne croyez-vous pas qu’il est temps de le faire chez nous, en France ?
Transcendant les clivages politiques, la Haute Assemblée s’honorerait en adoptant, comme l’a demandé Ronan Dantec, cette proposition de loi par un vote conforme avec l’Assemblée nationale. Cela constituerait une petite pierre fraternelle sur le chemin de l’humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)