M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes invités par nos collègues écologistes à discuter d’une proposition de loi, adoptée à l’Assemblée nationale, qui vise à mettre en œuvre le droit à l’eau potable et à l’assainissement.
M. Jean Desessard. Exactement !
M. Rémy Pointereau. Ce texte a un objectif louable. Malheureusement, je regrette qu’il ne soit pas accompagné des outils nécessaires pour l’atteindre. Pis encore, il contient des dispositions aux portées normatives pour le moins discutables, dont il est impossible de chiffrer les coûts en l’absence d’étude d’impact.
Cela commence dès le premier article. Celui-ci comprend le droit pour chaque personne physique de disposer d’une quantité suffisante d’eau potable – difficile de s’y opposer, je vous l’accorde ! Malheureusement, cette mesure pourrait bouleverser l’équilibre qui résulte des dispositions du code général des collectivités territoriales, le CGCT, sur le service public de l’eau et de l’assainissement.
En effet, le CGCT précise que les communes arrêtent un schéma de distribution d’eau potable déterminant les zones desservies par le réseau de distribution. Néanmoins, si une construction ne figure pas dans une zone desservie par le réseau de distribution, la commune n’a pas d’obligation de raccordement. Par conséquent, le droit à l’eau potable et à l’assainissement, tel qu’il est prévu dans la proposition de loi, ne pourrait pas s’appliquer.
L’article 2 vise à exiger des collectivités territoriales qu’elles financent de nouvelles obligations, qui représentent des coûts d’investissement et de fonctionnement supplémentaires : l’installation d’équipements de distribution gratuite d’eau potable, l’installation des toilettes publiques gratuites dans les collectivités de plus de 3 500 habitants et des douches publiques gratuites pour les collectivités de plus de 15 000 habitants. Pouvons-nous réellement nous permettre de solliciter de nouvelles dépenses à la charge des collectivités territoriales, déjà étranglées par les récentes décisions financières ?
M. Christian Cambon. Elles n’en peuvent plus !
M. Rémy Pointereau. Néanmoins, je sais ce que les défenseurs du texte – MM. Dantec et Desessard – vont me répondre : les collectivités territoriales pourraient bénéficier d’aides des agences de l’eau. C’est ce qui est mentionné dans le texte de loi, mais dois-je rappeler la situation dans laquelle se trouvent ces agences ? Depuis 2014, l’État a prélevé, au profit de son budget, environ 500 millions d’euros sur le fonds de roulement des agences de l’eau.
M. Christian Cambon. Eh oui !
M. Rémy Pointereau. À côté de cela, chers collègues de la majorité gouvernementale, vous avez élargi leurs prérogatives, puisque, depuis la loi pour la reconquête de la biodiversité, les agences de l’eau ont à leur charge la gestion de la biodiversité terrestre. En somme, vous demandez aux agences de l’eau de faire plus avec moins : cela n’est pas possible !
Quant aux articles 3 et 4, ils visent l’introduction de deux mécanismes d’aide préventive : l’aide préventive pour l’eau, à l’article 3, et la création d’une allocation forfaitaire d’eau pour les ménages les plus pauvres, à l’article 4. Ces dispositions vont déresponsabiliser nos concitoyens.
Cela se fera d’abord sur le plan économique : il s’agira d’anticiper des situations d’impayés consécutives, soit du fait d’un prix de l’eau trop important, comme le prévoit le mécanisme d’allocation forfaitaire d’eau prévu à l’article 4, soit du fait de dépenses d’eau trop importantes au regard des ressources des ménages, comme le prévoit l’aide préventive pour l’eau à l’article 3.
Ensuite, cela va aussi déresponsabiliser nos concitoyens sur le plan écologique, puisque de tels mécanismes ne peuvent que décourager les comportements vertueux en termes de consommation raisonnée d’eau potable. Enfin, l’absence d’étude d’impact concernant les articles 3 et 4 ne nous permet pas, en tant que législateur, d’appréhender les conséquences économiques et sociales.
Vous comprendrez que, étant attaché à la simplification des normes, je ne puisse m’associer à des mesures qui pourraient se traduire par la naissance de nouvelles normes.
Quant à l’article 6, on nous explique que le produit de la contribution sur les eaux et boissons embouteillées, dont les sommes perçues par la douane sont mises à la disposition de chaque commune concernée, sera fléché vers l’allocation de logement social, qui est une composante du Fonds national d’aide au logement, le FNAL. Néanmoins, cette allocation n’a rien à voir avec l’allocation forfaitaire d’eau, puisque celle-ci est une autre composante du FNAL…
Ainsi, l’article 6 ne permet pas d’apporter de nouvelles sources de financement en faveur de l’aide préventive pour l’eau de l’article 3, ni pour l’allocation forfaitaire d’eau prévue à l’article 4. De surcroît, il n’est nullement mentionné que ces fonds accompagneront les collectivités territoriales dans le financement des nouvelles obligations prévues par l’article 2.
Enfin, et peut-être ne l’avez-vous pas vu, monsieur le rapporteur, les dispositions de l’article 6 affecteront négativement le régime vieillesse des non-salariés agricoles. En êtes-vous conscient ?
M. Charles Revet. En plus !
M. Rémy Pointereau. Nous avons bien compris qu’il s’agissait d’une loi d’affichage et de communication, à soixante jours de l’élection présidentielle. (Protestations sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Il existe selon moi d’autres priorités en matière d’infrastructures d’alimentation en eau – le renouvellement des canalisations se fait tous les deux cents ans ! –, avant de réaliser des installations dont on ignore si elles seront utilisées.
Mes chers collègues, vous l’aurez donc compris, même si l’objectif ici est louable, le groupe Les Républicains, dans sa grande majorité, ne votera pas cette proposition de loi, que je considère pour ma part – pardonnez la franchise de mes propos ! – comme un puits sans fond. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’effectivité du droit à l’eau est un sujet récurrent dans notre hémicycle. En effet, si la loi sur l’eau et les milieux aquatiques a défini un droit à l’eau à son article 1er, aujourd’hui encore aucun instrument légal ne permet réellement de le garantir. Cette absence est contradictoire avec les engagements internationaux pris par la France, notamment dans le cadre de l’ONU.
Il convient donc que le législateur donne corps à ce droit fondamental par l’adoption de dispositifs efficaces, ce qui est l’objectif de ce texte.
Je rappelle que notre groupe avait déposé, dès 2009, une proposition de loi sur ce sujet. Nous avions d’ailleurs tenté d’insérer ces dispositions lors de la discussion sur les aides versées aux ménages pour faire face aux impayés, une proposition de notre collègue Christian Cambon abordant le volet curatif du droit à l’eau.
M. Christian Cambon. Absolument !
M. Bernard Vera. Nous abordons aujourd’hui l’autre versant de ce droit, le volet préventif, afin de consacrer le droit à l’eau et à l’assainissement comme un droit réel et tangible.
Ce long travail de conviction a été mené avec des associations, le Comité national de l’eau, la Coordination eau. Il est maintenant assumé par la fondation France Libertés.
Le constat est clair et partagé par tous les acteurs : si l’eau est un bien commun, rare et précieux, son accès doit être garanti à tous dans sa dimension eau potable, par une « allocation eau », ainsi que par un accès à l’assainissement.
Cela passe d’abord par de nouvelles obligations incombant aux collectivités en matière sanitaire, par des douches, des toilettes et des points d’eau obligatoires. Un tel dispositif, s’il fait peser des obligations sur les collectivités, apparaît comme nécessaire et justifié au regard de l’importance de cet accès pour la dignité de chacun. Nous y sommes favorables.
Concernant l’accès à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables, le programme national des Nations unies indique que l’accès à l’eau ne doit pas dépasser 3 % des ressources d’un ménage. Par cette proposition de loi, il s’agit donc d’organiser une véritable garantie légale d’accès à l’eau. C’est la même recherche qui avait guidé le dépôt de la proposition de loi par notre groupe en 2009.
Pour autant, il faut souligner que le contenu était légèrement différent. Nous proposions à l’époque la distribution d’une allocation eau, sur le modèle des APL, une allocation dispensée par les CAF et financée par les distributeurs d’eau taxés à hauteur de 1 % de leur chiffre d’affaires.
S’il reste dans cette loi le principe d’une allocation eau, les modalités de versement et les seuils sont laissés à l’appréciation du pouvoir réglementaire.
Par ailleurs, la proposition de loi déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale a évolué vers un financement de ce dispositif par une taxation additionnelle sur les eaux embouteillées.
Depuis des années, ce volet préventif du droit à l’eau achoppe principalement sur la question du financement, et cette nouvelle proposition voulait faire consensus. Pourtant, l’Assemblée nationale, par l’adoption d’un amendement du Gouvernement et du groupe Les Républicains, a supprimé purement et simplement le financement prévu, fléchant simplement l’actuel produit de la taxe sur les eaux embouteillées vers le financement de l’allocation.
Pour ce qui nous concerne, nous n’étions pas opposés par principe à ce type de financement par une taxe additionnelle. Pour autant, le discours selon lequel les consommateurs de bouteilles d’eau peuvent financer ce surplus met totalement de côté le fait même qu’en tout point du territoire la qualité de l’eau n’est pas la même et que certains de nos compatriotes n’ont pas le choix. Une récente étude de l’UFC-Que Choisir ? a d’ailleurs souligné ce point.
Par ailleurs, cette source de financement met, encore une fois, les seuls consommateurs à contribution, puisque – nous le savons – cette taxe serait directement répercutée sur le prix de l’eau embouteillée. Quand allons-nous enfin faire contribuer les majors de l’eau, et non les consommateurs ?
Sur le fond, il faut être clair. Ce dispositif d’accompagnement social pour l’accès à un droit fondamental n’est pas, dans notre esprit, un aboutissement, mais un premier pas vers un service public de l’eau. En effet, s’il est important de pallier une inégalité manifeste, il reste fondamental de rappeler que l’eau est un bien commun auquel tout le monde a droit, un bien vital qu’il faut sortir des logiques marchandes. D’ailleurs, de nombreuses collectivités, et non des moindres, ont fait le choix d’un retour en régie publique.
Nous craignons malheureusement que les réformes territoriales ne menacent directement les régies existantes par la marche forcée vers des intercommunalités géantes qui ne tiennent pas compte de la géographie et des bassins versants. Nous sommes une fois de plus face à une vision gestionnaire qui tient peu compte de la réalité.
Au-delà de la création de cette allocation eau, il convient parallèlement d’aider les collectivités à faire baisser la facture pour l’ensemble des usagers, en posant la question du prix de l’eau, donc celle de la rémunération des gestionnaires des délégations de service public. En effet, les profits dans le secteur de l’eau sont très confortables, ce qui n’est plus acceptable, pas plus d’ailleurs que les poursuites engagées par Veolia contre les dirigeants de France Libertés pour diffamation.
Un procès se tiendra le 9 mars prochain et nous espérons que la justice protégera ces personnes, dont le seul tort est de dénoncer la poursuite des coupures d’eau et d’appeler à la vigilance sur les méthodes commerciales agressives de cette société en matière d’avenants aux contrats de délégations. Nous soutenons donc fermement le combat de ces associations.
Au-delà de ces considérations, il n’en demeure pas moins que, aujourd’hui, nous avons le choix : celui de marquer ou non un pas vers un droit à l’eau dans des conditions juridiquement garanties et économiquement acceptables. Il serait regrettable que le Sénat balaye d’un revers de main un travail aussi long et minutieux que celui qui a été réalisé par les auteurs de la proposition de loi et par les associations.
Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons évidemment ce texte, sans proposer de modification, afin qu’il soit adopté de manière conforme, donc définitive, par les deux assemblées.
Mes chers collègues, cette proposition de loi apporte une aide concrète et juste à nos concitoyens dans l’exercice d’un droit essentiel reconnu par la loi : le droit à l’eau. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec 600 millions de personnes privées d’eau salubre et plus de 2,5 milliards d’individus ne disposant pas d’un accès à des installations sanitaires, le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un enjeu majeur de développement. Face à cette situation, comme cela a été rappelé, ce droit a été inscrit dans différents traités internationaux et il a été reconnu comme fondamental par les Nations unies le 28 juillet 2010.
Si cette question concerne bien entendu avant tout les pays en développement, il se trouve encore en France des catégories de population qui n’ont pas facilement accès à l’eau et à l’assainissement : les sans-abri et les personnes pour lesquelles cette charge économique est difficilement supportable.
En proposant la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement, le texte s’adresse à ces catégories. Son objectif est louable. Comment, en effet, ne pas souscrire au principe de la reconnaissance du droit à l’eau potable et à l’assainissement, comme le prévoit l’article 1er ? L’eau est un bien vital, qui doit être garanti pour tous.
Bien entendu, nous ne partons pas de rien. S’il faut reconnaître que la disparition des fontaines publiques et des bains-douches complique la vie des sans-abri, les ménages en difficulté peuvent, en revanche, bénéficier d’un certain nombre de mesures leur permettant de faire face aux impayés ou aux coupures d’eau.
Ces aides, comme vous le savez, mes chers collègues, sont mises en œuvre par les centres communaux d’action sociale ou les fonds de solidarité pour le logement. Les FSL distribueraient ainsi un peu plus de 300 millions d’euros par an, au bénéfice d’environ 600 000 ménages.
Citons aussi la loi Brottes, qui prévoit l’interdiction des coupures d’eau en cas d’impayé, une interdiction qui s’exerce tout au long de l’année, ainsi que la possibilité d’expérimenter la tarification sociale.
Il est certain que ces dispositifs pourraient être améliorés pour mieux identifier et accompagner les particuliers. Je pense notamment aux FSL, dont un quart ne comporterait pas de volet « eau ».
On peut aussi regretter, le rapporteur l’a souligné, que la logique suivie soit plutôt curative que préventive. L’instauration d’un chèque eau, sur le modèle du chèque énergie, irait en effet dans le sens de la prévention. Le texte propose, à son article 3, une allocation forfaitaire d’eau – pourquoi pas ? –, mais le financement de celle-ci, estimé à plus de 50 millions d’euros, n’est pas consensuel.
Par ailleurs, sans nier la nécessité de favoriser l’accès à l’eau et à l’assainissement dans l’espace public, doit-on faire encore une fois peser l’essentiel de l’effort sur les collectivités locales, comme si elles n’en faisaient pas déjà assez ?
Il n’est pas non plus souhaitable d’imposer, comme le prévoit l’article 2, de nouvelles obligations aux collectivités territoriales et aux EPCI – installation et entretien de toilettes gratuites dans les collectivités de plus de 3 500 habitants et de douches publiques gratuites dans les collectivités de plus de 15 000 habitants –, d’autant que les collectivités territoriales doivent se débattre avec des budgets contraints et des baisses constantes de dotation. N’en rajoutons donc pas, cela pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase…
M. Jean Desessard. Ah !
M. Christian Cambon. Excellent !
M. Jean-Claude Requier. Les collectivités locales ont la compétence « eau ». Beaucoup d’entre elles assument leurs responsabilités et mettent en œuvre des actions de solidarité dans le domaine de l’eau, en particulier en milieu rural, où les besoins sont facilement identifiés. Certes, dans certains territoires, on peut mieux faire, en particulier dans les grandes villes, qui sont les plus concernées par la question des sans-abri. Un effort substantiel d’équipement pour atteindre un ratio suffisant de toilettes publiques par habitant y est donc nécessaire.
Si chaque citoyen doit effectivement disposer des moyens suffisants pour assurer son hygiène, préserver sa santé et conserver sa dignité, faisons néanmoins confiance, en attendant que l’État trouve une solution plus pertinente, à l’implication des élus locaux, qui sont animés par les valeurs d’humanisme et de solidarité et mettent en œuvre des politiques de proximité pour tenter de garantir les droits les plus fondamentaux de leurs administrés. C’est la raison pour laquelle le groupe du RDSE ne votera pas en faveur de cette proposition de loi trop contraignante pour les collectivités territoriales, en particulier dans le contexte actuel. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Très bien !
M. René Danesi. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour son dernier espace réservé, le groupe écologiste a pensé utile de reprendre une proposition de loi transpartisane déposée et adoptée à l’Assemblée nationale, défendue par M. le député Michel Lesage et ayant pour thématique l’eau pour tous.
Notre débat porte sur la mise en œuvre du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement. L’effectivité de ce droit est nécessaire pour permettre un égal accès à une ressource vitale à la survie de l’espèce humaine, cela a été suffisamment dit. D’un point de vue tant sanitaire que social, il est urgent et de l’intérêt de tous de permettre cette égalité.
Monsieur Pointereau, vous avez affirmé que débattre de l’eau à deux mois de l’élection présidentielle constituait une manœuvre électorale, ou publicitaire, je ne sais plus.
M. Rémy Pointereau. D’affichage !
M. Jean Desessard. Vous ne manquez pas de souffle, parce que, si débattre de l’eau à deux mois de la présidentielle, c’est de l’affichage, alors le fait que vous nous ayez présenté hier une proposition de résolution sur l’eau et que vous nous présentiez une proposition de loi sur le même sujet demain, c’est un double affichage ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Dans ce texte, il est proposé de reconnaître en droit français le droit à l’eau potable et à l’assainissement, reconnaissance qui existe déjà à l’échelon international puisque deux résolutions de l’ONU, de 2010 et de 2013, qualifient ce droit de « fondamental ». Il s’agit aussi de garantir un accès physique à l’eau potable et à des équipements sanitaires, de créer une aide préventive d’accès à l’eau et à l’assainissement pour les bénéficiaires du RSA socle et d’organiser un débat sur la mise en œuvre de ce droit.
Si le groupe écologiste est convaincu de la nécessité de cette proposition de loi, au point d’avoir demandé son inscription à l’ordre du jour, c’est parce que la France est, elle aussi, concernée par cette question. Même s’il y a eu beaucoup d’avancées sur le problème de l’eau, M. le secrétaire d'État et M. le rapporteur l’ont souligné, pourquoi certaines personnes n’ont-elles toujours pas accès à l’eau et à l’assainissement ? Comment expliquer que, au XXIe siècle, le pays des droits de l’homme laisse sans eau les personnes les plus fragiles ou vivant dans un habitat précaire ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
M. Jean Desessard. S’il y a peu à faire, justement, pourquoi ne pas le faire maintenant ?
M. Christian Cambon. C’est au Gouvernement de s’en charger !
M. Jean Desessard. Dans beaucoup d’endroits, il y a des sans-abri.
M. Jacques Genest. Des noms !
M. Rémy Pointereau. Paris, par exemple !
M. Jean Desessard. Il y a aussi des personnes vivant dans une situation précaire, et vous en connaissez.
La devise de notre République pose le principe d’égalité ; nous devons l’appliquer à la question du droit à l’eau. Or quelle a été votre réponse, monsieur Pointereau ? Vous avez indiqué que c’était trop cher.
M. Rémy Pointereau. En effet !
M. Jean Desessard. Face au principe fondamental d’égalité, on ne peut pas avoir comme seule réponse « C’est trop cher, attendons demain que nous soyons plus riches » ! Ce n’est pas possible !
Au-delà des enjeux sociaux et de santé publique, la mise en place d’équipements sanitaires ou de distribution d’eau participe également à la valorisation de nos territoires. Comment expliquer que la cinquième puissance économique mondiale…
M. Rémy Pointereau. La sixième !
M. Jean Desessard. … ne soit pas en mesure de proposer des installations en nombre suffisant ? Nous avons dans nos territoires des touristes ou des promeneurs, mais également des SDF ; je ne sais pas ce qu’il en est dans votre ville, monsieur Pointereau, mais, sans vouloir vous faire un dessin, il n’est tout de même pas agréable de voir certaines personnes faire leurs besoins sur la voie publique ! Cela ne valorise pas les territoires ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Ce n’est pas un argument !
M. Roland Courteau. C’est la vérité !
M. Jean Desessard. Cela se passe dans beaucoup d’endroits, y compris à Paris ! Comment peut-on laisser faire ça ? Croyez-vous que cela valorise les territoires ? Non ! Et je ne parlerai pas des déficits de toilettes publiques, comme à Montpellier, ville qualifiée de « surdouée », où il n’y a que cinq toilettes publiques pour 257 000 habitants…
L’effectivité du droit à l’eau est également mise à mal par les difficultés que rencontrent certains ménages à payer leur eau. Un consensus existe pour considérer que le coût est excessif lorsque la facture dépasse 3 % des revenus. Or le constat est édifiant : environ un million de ménages sont confrontés à une facture excessive et ne seraient donc pas en mesure de la payer. Ce phénomène entraîne des impayés, eux-mêmes à l’origine de coupures d’eau, qui privent des familles de l’accès à cette ressource vitale. Cette situation est inacceptable !
Face à cette réalité, l’association France Libertés et d’autres ont proposé au législateur un certain nombre de modifications du droit afin de prévenir ces difficultés. Tel est l’objet du texte discuté aujourd’hui, qui propose de mettre en place une aide préventive d’accès à l’eau et à l’assainissement.
Cette nouvelle aide ne pèsera pas sur les collectivités territoriales. En effet, la présente proposition de loi prévoit l’affectation du produit de l’actuelle contribution sur les eaux embouteillées au financement de cette aide, contrairement à ce que vous disiez, monsieur Pointereau.
M. Jean-François Husson. Ça suffit ! Ce n’est pas un dialogue avec M. Pointereau !
M. Jean Desessard. À terme, cette aide permettra même de diminuer le coût des aides curatives. En effet, les fonds de solidarité pour le logement et les centres communaux d’action sociale auront de moins en moins de coûts de gestion liés aux dossiers d’impayés puisque ces derniers diminueront grâce à l’application de cette loi.
La proposition de loi examinée aujourd’hui présente un double avantage : elle reconnaît un droit effectif à l’eau potable et à l’assainissement tout en offrant un cadre juridique souple aux collectivités territoriales, ne vous en déplaise, monsieur Pointereau.
M. Jean-François Husson. Oh ! Encore ?
M. Jean Desessard. Cette position de compromis ne résulte pas du hasard. Ce texte, porté, je le rappelle, par des députés de quatre groupes politiques différents, a été construit en partenariat avec des associations comme France Libertés et certaines institutions. Soutenu par les embouteilleurs et les services de gestion des eaux, il a évolué pour tenir compte de la position du Gouvernement lors de sa lecture à l’Assemblée nationale.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Desessard !
M. Jean Desessard. C’est pourquoi j’en appelle au bon sens – je n’ose pas dire, monsieur Pointereau, des Républicains – de toutes les couleurs politiques pour adopter ce texte conforme et ainsi poursuivre cet esprit constructif au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Dis-moi ce que tu fais de ton eau, je te dirai qui tu es », écrit Erik Orsenna. Voilà qui résume parfaitement, en quelques mots, mon propos.
Comme le disait le député Michel Lesage, cosignataire de cette proposition de loi particulièrement opportune, « l’eau est bien le reflet de nos communautés humaines. Elle est un marqueur de l’état de notre société et symbolise tous les défis que nous devons relever : la gestion de nos ressources naturelles, le développement, la dignité humaine, l’accès à la santé et à la sécurité alimentaire ».
Selon la résolution de l’ONU, le droit à l’eau potable et à l’assainissement est bien « un droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Il faut dire que l’eau constitue indéniablement l’un des défis les plus importants de notre siècle ; cette ressource devient rare dans certaines zones de notre planète et représente un enjeu majeur de santé publique.
Si les sujets en lien avec le réchauffement climatique traitent à juste titre des énergies lors des conférences internationales, la place de l’eau y est paradoxalement moins présente, reconnaissons-le, y compris dans le compromis final de la COP21. Pourtant, chaque être humain devrait pouvoir satisfaire ses besoins essentiels en eau, ce qui est loin d’être le cas. Sur la planète, près de 1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et plus de 2 milliards ne bénéficient pas d’un assainissement de base. Chaque année, plus de 2 millions de personnes meurent dans le monde de maladies liées à l’absence ou à la mauvaise qualité de l’eau.
En France, grâce notamment à l’existence d’une politique volontaire, l’accès à l’eau et à l’assainissement est garanti au plus grand nombre, mais seulement au plus grand nombre, car, hélas, tous ne bénéficient pas de ce droit fondamental. Entre 100 000 et 150 000 personnes, parmi les plus vulnérables et les plus démunis, en sont écartées, et l’on estime à près de 1 million les ménages ayant, certes, accès à l’eau, mais à un coût dont le niveau est jugé inabordable.
Dès lors, comment ne pas saluer l’initiative des sept députés à l’origine de ce texte et l’important travail de réflexion engagé par les lanceurs d’alerte que sont les associations et ONG regroupées au sein de la plateforme coordonnée par la fondation France Libertés et la Coalition Eau ? Je crois savoir que ce fut là le dernier, mais le plus beau des combats de Danielle Mitterrand.
Force est de constater que ce droit à l’eau n’était pas encore formellement reconnu en France comme un véritable droit, bien qu’il bénéficiât d’une reconnaissance de principe dans plusieurs textes. Il y avait donc urgence sociale à faire de l’accès à l’eau un droit effectif pour tous.
Dans cet objectif, la proposition de loi prévoit plusieurs mesures, dont la création et le financement d’une aide forfaitaire préventive pour l’eau en faveur des personnes en situation de précarité. C’est effectivement là, monsieur le rapporteur, qu’est le cœur du texte. En effet, les réponses apportées jusqu’à présent portaient, pour l’essentiel, sur le curatif, via les CCAS ou les fonds de solidarité pour le logement, avec les limites que comportent de tels outils : procédures inégalitaires selon les départements et souvent considérées comme humiliantes ou stigmatisantes pour les ayants droit.
De fait, il était difficile d’assurer une mise en œuvre complète et équitable de ce droit. D’où la nécessité de ce volet préventif dans le présent texte, pour que le droit à l’eau soit un droit pour chacun, quel que soit son territoire de vie. Bref, il s’agit d’un dispositif de solidarité, qui devait être national, préventif et simple pour les bénéficiaires du RSA socle ou de la CMU complémentaire.
Il était par ailleurs important de mobiliser les collectivités locales sur cette question éminemment sociale. Plusieurs dispositions complètent ainsi le code de la santé publique, afin d’obliger les collectivités territoriales et les EPCI à prendre les mesures nécessaires pour satisfaire, dans un délai de cinq ans, les besoins élémentaires en eau potable et en assainissement, en installant des équipements de distribution gratuite d’eau ainsi que, dans les communes les plus peuplées, des toilettes publiques et des douches gratuites.
Il s’agit là, mes chers collègues, d’un enjeu de salubrité, d’hygiène et, surtout, de respect de la dignité humaine ; ce respect justifie que le droit à l’accès de tous à l’eau soit enfin une réalité. Franchement, comment peut-on oser s’opposer à un tel texte et à ce premier grand pas ? Je m’interroge… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)