M. Michel Magras. L’article 19, dans sa rédaction initiale, visait à instituer à titre expérimental un Small Business Act ultramarin, autrement dit une stratégie du bon achat, mesure phare du volet économique du présent projet de loi issue d’une idée consensuelle qui a émergé des réflexions sur l’avenir de nos outre-mer.
Face à la crainte de non-conformité d’une telle initiative au principe constitutionnel de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, cet amendement constitue d’abord un rappel : cette expérimentation, conduite dans des territoires où le principe d’adaptation des normes est fondamental, a pour but de faire émerger de nouveaux opérateurs locaux susceptibles d’exercer pleinement, à moyen terme, leur libre accès à la commande publique.
Cet argument justifierait l’assouplissement d’une conception trop formelle et instantanée de notre principe de libre accès à la commande publique. Inversement, le statu quo favoriserait les opérateurs exerçant d’ores et déjà leur domination économique de fait.
Le présent amendement vise également à compléter le dispositif adopté par les députés. Il s’agit, en s’inspirant d’un des piliers de la législation des États-Unis, de prévoir, à titre expérimental, que les appels d’offres d’une valeur de plus de 500 000 euros remportés par une grande entreprise doivent comporter un « plan de sous-traitance » garantissant la participation des PME locales.
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher, pour présenter l’amendement n° 101.
M. Serge Larcher. L’article 19 visait à créer un Small Business Act ultramarin, en permettant, à titre expérimental, aux départements, régions et collectivités d’outre-mer de réserver une partie de leurs marchés aux PME installées sur leur territoire.
La commission des lois a supprimé cet article, considérant que cette expérimentation soulevait un problème « au regard des principes généraux du droit de la commande publique ».
Or l’article 19, dans sa rédaction issue de la commission des affaires économiques tend à mettre en place une expérimentation limitée dans le temps et très encadrée. Pour chaque secteur économique concerné, le montant total des marchés réservés aux PME ne pourra pas excéder 15 % du montant annuel moyen des marchés au cours des trois années précédentes.
Compte tenu de ces précautions, les principes de la commande publique, et notamment la liberté d’accès et l’égalité de traitement des candidats, semblent respectés.
Il est donc proposé de rétablir l’article 19 tel qu’il a été adopté lors de son examen en commission des affaires économiques, pour permettre aux acteurs publics des territoires d’outre-mer de passer une partie de leurs marchés avec des opérateurs locaux.
M. le président. Les amendements nos 70 et 191 sont identiques.
L'amendement n° 70 est présenté par Mme Hoarau, MM. Bosino, Le Scouarnec, Vera et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 191 est présenté par M. D. Robert.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
À titre expérimental, dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution autres que la Polynésie française et les îles Wallis et Futuna, pour une période de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, les pouvoirs adjudicateurs, les entités adjudicatrices et les acheteurs publics peuvent réserver jusqu'à un tiers de leurs marchés aux petites et moyennes entreprises locales, au sens de l'article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie. Il en va de même en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna pour ce qui concerne les marchés passés par les services et les établissements publics de l'État.
Le montant total des marchés conclus en application du premier alinéa au cours d'une année ne peut excéder 15 % du montant annuel moyen des marchés du secteur économique concerné conclus par le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice concernés au cours des trois années précédentes.
La parole est à Mme Gélita Hoarau, pour présenter l’amendement n° 70.
Mme Gélita Hoarau. Par cet amendement, il s’agit de desserrer l’étau qui enserre les entreprises des outre-mer, essentiellement les PME et TPE, dans un contexte économique difficile.
Ainsi, à La Réunion, la commande publique représente 90 % du chiffre d’affaires du BTP. Ce pourcentage est similaire dans les autres régions d’outre-mer. Or ce secteur a enregistré une baisse de 15 % des consultations en 2014. Pour 2015, le chiffre d’affaires est seulement de 944 millions d’euros. Le secteur de la commande publique continue donc de s’étioler. Les premiers à payer le prix fort d’une telle situation sont les TPE, entreprises les plus nombreuses outre-mer.
Ainsi, à La Réunion, les TPE représentent près de 90 % du tissu économique et constituent un vivier important pour ce qui concerne l’emploi. Par ailleurs, près de 100 000 entreprises ultramarines n’ont pas de salariés. Une question essentielle se pose à elles : à quelle part des marchés publics peuvent-elles prétendre ? Plus exactement, quelle est la part du marché public qui leur est attribuée ? Pas grand-chose !
Voilà quelques jours, un entrepreneur réunionnais demandait aux décideurs politiques d’avoir le courage de prendre le risque d’attribuer des marchés aux petites entreprises et, surtout, d’arrêter de prendre les TPE ou les PME pour des sous-traitants. Elles subissent alors encore plus fortement les errements liés à la question du financement de la commande publique.
C’est la raison pour laquelle cet amendement vise à réintroduire l’article 19, supprimé par la commission des lois, pour donner un coup de pouce aux TPE d’outre-mer, en leur permettant de candidater aux marchés publics.
M. le président. La parole est à M. Didier Robert, pour présenter l’amendement n° 191.
M. Didier Robert. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 214 rectifié, présenté par MM. Arnell, Mézard, Amiel, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
À titre expérimental, en Martinique, à Mayotte, en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et à Saint-Martin, pour une période de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, les pouvoirs adjudicateurs, les entités adjudicatrices et les acheteurs publics peuvent réserver jusqu’à un tiers de leurs marchés aux petites et moyennes entreprises locales, au sens de l’article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. Il en va de même en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna pour ce qui concerne les marchés passés par les services et les établissements publics de l’État.
Le montant total des marchés conclus en application du premier alinéa au cours d’une année ne peut excéder 15 % du montant annuel moyen des marchés du secteur économique concerné conclus par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice concernés au cours des trois années précédentes.
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Cet amendement tend à rétablir un article introduit à l’Assemblée nationale en commission, puis maintenu en séance publique.
Il vise à donner la faculté aux pouvoirs adjudicateurs, aux entités adjudicatrices et aux acheteurs publics, de réserver une partie de leurs marchés aux PME locales, à titre expérimental. Il s’agit plus précisément de leur attribuer un tiers des marchés, dont le montant total ne pourrait dépasser 15 % du montant annuel moyen des marchés du secteur économique concerné.
Nous proposons, pour simplifier le débat, de restreindre cette mesure aux collectivités françaises constituant les régions ultrapériphériques au sens des traités européens.
Les principes généraux du droit de la commande publique ne justifient pas à eux seuls de se priver d’une telle expérimentation, puisqu’ils ont une simple valeur infralégislative.
En revanche, les directives européennes du 26 février 2014 n’ont pas prévu de dispositions dérogatoires pour les régions ultrapériphériques, malgré la spécificité de leur environnement économique.
Contrairement aux PME du continent européen, les entreprises de travaux publics ultramarines subissent en effet une concurrence asymétrique. D’un côté, l’application des règles de passation des marchés publics les prive de contrats ; d’un autre côté, leur isolement géographique ou les normes protectionnistes des États voisins ne leur permettent pas de bénéficier des mêmes débouchés que les PME continentales.
L’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet justement au Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, de prendre des mesures spécifiques pour les régions ultrapériphériques, en raison de leur éloignement et de leur dépendance économique. Il est donc urgent de proposer l’adoption de telles mesures pour enrayer l’affaiblissement de la filière BTP en outre-mer, constaté par l’IEDOM, l’Institut d’émission des départements d’outre-mer.
M. le président. L'amendement n° 216, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
À titre expérimental, dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution autres que la Polynésie française et les îles Wallis et Futuna, pour une période de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, les marchés publics passés par les acheteurs peuvent être attribués, à égalité de prix ou à équivalence d’offres, de préférence aux petites et moyennes entreprises locales, au sens de l’article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. Il en va de même en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna pour ce qui concerne les marchés passés par les services et les établissements publics de l’État.
Le montant total des marchés publics conclus en application du premier alinéa au cours d’une année ne peut excéder 15 % du montant annuel moyen des marchés publics du secteur économique concerné conclus par l’acheteur au cours des trois années précédentes.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Ericka Bareigts, ministre. Cet amendement vise à rétablir l’article 19 adopté en première lecture par l’Assemblée nationale tout en le modifiant pour le sécuriser juridiquement par rapport non seulement au droit européen, mais aussi au droit des marchés publics.
Le Gouvernement soutient fortement les dispositions proposées, car elles assureront aux TPE et PME d’outre-mer, qui sont très fragiles – nombre d’entre elles disparaissent rapidement – une part des marchés publics, ce qui contribuera à les fortifier et répondra à une réelle attente.
M. le président. Le sous-amendement n° 231, présenté par M. Darnaud, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Amendement n° 216, alinéa 2, première phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
À titre expérimental, dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution autres que la Polynésie française et les îles Wallis et Futuna, pour une période de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, lorsque plusieurs offres sont équivalentes au regard des critères d’attribution d’un marché public, une préférence est accordée aux petites et moyennes entreprises locales, au sens de l’article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. Les offres sont considérées comme équivalentes si l’écart entre leur prix respectif n’excède pas 3 %.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Ce sous-amendement vise à reprendre les termes de l’article 61 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, actuellement en vigueur, pour que la définition de la préférence et les critères d’appréciation des « offres équivalentes » soient les mêmes dans l’ensemble des règles applicables aux marchés publics.
M. le président. Le sous-amendement n° 218, présenté par M. Magras, est ainsi libellé :
Compléter cet amendement par un paragraphe ainsi rédigé :
II. – Dans des conditions définies par décret, pour les marchés dont le montant estimé est égal ou supérieur aux seuils européens mentionnés à l’article 42 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, les soumissionnaires doivent présenter un plan de sous-traitance prévoyant le montant et les modalités de participation des petites et moyennes entreprises locales.
La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. Il s’agit bien évidemment d’une position de repli, au cas où l’amendement n° 24 ne serait pas adopté.
L’amendement présenté par le Gouvernement vise à instituer, à titre expérimental, un Small Business Act ultramarin, dans une version très atténuée : il prévoit non plus de réserver un tiers des marchés publics aux PME locales, mais d’instituer un droit de préférence à égalité de prix ou à équivalence d’offres.
La commission des affaires économique estime nécessaire de faire preuve d’une plus grande audace. Il s’agit en effet d’une mesure phare du volet économique du présent projet de loi, qui fait consensus dans le cadre des réflexions menées sur l’avenir de nos outre-mer.
Le présent amendement vise à compléter le dispositif proposé par le Gouvernement. Il s’agit, en s’inspirant d’un des piliers de la législation des États-Unis, de prévoir, également à titre expérimental, que les appels d’offres remportés par une grande entreprise doivent comporter un « plan de sous-traitance » garantissant la participation des PME locales.
Je tiens à le préciser, la rédaction de ce sous-amendement est beaucoup plus souple que celle de l’amendement n° 24, ce afin de respecter l’esprit ayant présidé à l’élaboration de l’amendement n°216.
Toutefois, je tiens à le préciser, la rédaction retenue dans ce sous-amendement est beaucoup plus souple que celle que j’avais proposée dans mon amendement tendant à rétablir l’article. J’ai voulu respecter l’esprit de l’amendement de Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. J’insiste sur le caractère expérimental du Small Business Act.
Initialement, la commission s’était prononcée en défaveur des amendements nos 24, 101, 70, 191 et 214 rectifié, et elle avait émis un avis favorable sur l’amendement n° 216 sous réserve de l’adoption des sous-amendements nos 231 et 218.
Néanmoins, compte tenu des arguments exposés par notre collègue Michel Magras, et au vu de la pertinence et de l’aspect expérimental du dispositif envisagé, j’émets à titre personnel un avis favorable sur les amendements identiques nos 24 et 101.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ericka Bareigts, ministre. Le Gouvernement, qui souhaite l’adoption de son propre amendement, émet un avis défavorable sur les amendements nos 24, 101, 70, 191 et 214 rectifié.
Par ailleurs, l’avis est favorable sur le sous-amendement n° 218 et défavorable sur le sous-amendement n° 231.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Je retire le sous-amendement n° 231.
M. le président. Le sous-amendement n° 231 est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 24 et 101.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 19 est rétabli dans cette rédaction, et les amendements nos 70, 191, 214 rectifié, 216, ainsi que le sous-amendement n° 218 n’ont plus d’objet.
Article additionnel après l’article 19
M. le président. L'amendement n° 237, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À compter du 1er janvier 2018, au second alinéa de l’article L. 5522-21 du code du travail, le mot : « participe » est remplacé par les mots : « , la collectivité d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin ou de Saint-Pierre-et-Miquelon participent ».
La parole est à Mme la ministre.
Mme Ericka Bareigts, ministre. Le III de l’article 7 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, a transféré de l’État à la région la compétence relative à l’accompagnement avant la création ou reprise d’entreprise et pendant les trois années suivantes.
Cependant, la rédaction actuelle du 2° du III de l’article 7 de la loi NOTRe n’intègre pas les collectivités territoriales de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le présent amendement tend à corriger ce manque.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Comme cela vient d’être précisé, il est proposé de transférer la compétence relative à l’accompagnement avant la création ou la reprise d’entreprise aux collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
D’abord, cet amendement a été déposé relativement tard. Ensuite, les compétences d’une collectivité relevant de l’article 74 sont énumérées par une loi organique et doivent faire l’objet d’une négociation avec les collectivités considérées. J’ignore si cela a été le cas en l’espèce. Enfin, ces collectivités sont compétentes en matière économique.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 19.
Titre VII
DISPOSITIONS RELATIVES À LA CULTURE
Article 20 A
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les amendements nos 18 rectifié et 157 rectifié sont identiques.
L'amendement n° 18 rectifié est présenté par MM. S. Larcher, Antiste, Cornano, J. Gillot, Karam, Patient et Lorgeoux, Mmes Yonnet et Lienemann, MM. Cabanel et Chiron, Mmes Émery-Dumas et Bataille et MM. Courteau et Lalande.
L'amendement n° 157 rectifié est présenté par MM. Arnell, Mézard, Amiel, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La loi n° 83-550 du 30 juin 1983 relative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage est ainsi modifiée :
1° L’intitulé est complété par les mots : « et en hommage aux victimes de l’esclavage colonial » ;
2° L’article unique est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le mot : « départements » est remplacé par les mots : « collectivités » et les mots : « et de La Réunion ainsi que dans la collectivité territoriale » sont remplacés par les mots : « , de La Réunion et » ;
b) Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« La République française institue la journée du 10 mai comme journée nationale de commémoration de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions et celle du 23 mai comme journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial. »
La parole est à M. Serge Larcher, pour présenter l'amendement n° 18 rectifié.
M. Serge Larcher. La politique mémorielle de l’esclavage colonial repose aujourd’hui sur un imbroglio juridique qu’il convient de clarifier.
Le présent amendement tend à modifier la circulaire du 29 avril 2008 pour que les dates du 10 mai et du 23 mai soient distinctement reconnues.
Actuellement, il y a une mémoire de l’abolition de l’esclavage, de Champagney en 1789 à la Révolution de 1848, consacrée par la journée du 10 mai.
Nous proposons ici d’honorer les victimes de l’esclavage en date du 23 mai. La date choisie pour cet hommage fait référence à la marche silencieuse du 23 mai 1998, qui contribua de manière significative au débat national aboutissant au vote de la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, dite loi Taubira.
Cette mémoire est intrinsèque aux populations qui ont été les protagonistes de la lutte contre l’esclavage et vise à combattre la honte ou le ressentiment qui perdurent chez les descendants d’esclaves. Longtemps douloureuse, cette mémoire de l’esclavage a été portée à partir de la fin des années soixante par les mouvements nationalistes antillais. Aujourd’hui, on assiste à l’émergence d’une mémoire qui se veut apaisée et qui se base avant tout sur l’hommage aux victimes de l’esclavage.
Cette politique mémorielle est conduite par des associations d’entrepreneurs de mémoire, comme le CM 98, qui est une association nationale, Lanmou ba yo – « l’amour pour eux » – en Guadeloupe, l’Association martiniquaise de recherche sur l’histoire des familles.
La loi du 21 mai 2001 reconnaît l’esclavage colonial comme un crime contre l’humanité. La République serait donc fidèle à ses principes et à ses pratiques en matière de commémorations des crimes contre l’humanité si elle rendait un hommage solennel et national aux victimes de ce crime, dont des descendants sont aujourd’hui nos concitoyens de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique, de Mayotte et de La Réunion, mais aussi de l’hexagone.
La politique mémorielle de la République française vis-à-vis de la mémoire de l’esclavage permettra de faire émerger une nouvelle citoyenneté, un nouveau contrat entre les outre-mer et la République.
Cette histoire est encore méconnue des citoyens français, car il n’y a pas eu d’esclavage colonial sur le sol hexagonal.
La République doit se positionner clairement sur la ligne mémorielle qu’elle entend soutenir. Cela participe à cette construction identitaire. Ne pas le faire maintiendrait ces débats dans un prisme communautaire.
Cet amendement constitue à la fois une base juridique et un symbole. Aussi, mes chers collègues, je vous appelle à revenir à la rédaction que l’Assemblée nationale avait proposée.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l'amendement n° 157 rectifié.
M. Guillaume Arnell. Cet amendement a pour objet de nous permettre de discuter en séance publique du rétablissement d’une disposition adoptée à l’Assemblée nationale visant à consacrer dans la loi l’institution de journées de commémoration de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, d’une part, et d’hommage aux victimes de l’esclavage colonial, d’autre part, comme c’est le cas pour d’autres victimes.
Il me semble que cette disposition, supprimée lors de l’examen du projet de loi en commission, mérite de faire l’objet d’un débat en séance publique.
Il s’agit notamment de rappeler l’engagement de la France en faveur de la lutte contre la traite des êtres humains, qui concernerait sensiblement 12 000 personnes en France selon l’organisation non gouvernementale Walk Free. La Commission nationale consultative des droits de l’homme dresse le même constat.
J’estime que le point de vue de tout un chacun est respectable et doit être respecté. Il est possible que l’article soit réintroduit à l’Assemblée nationale quel que soit le vote du Sénat.
J’ai donc eu du mal à comprendre le sens d’une grève de la faim qui, à mon sens, n’aurait dû intervenir qu’à la suite de décisions beaucoup plus fortes, et une fois toutes les autres voies de recours épuisées.
Cette forme de pression exercée sur les parlementaires risque de se prêter à beaucoup d’interprétations en cas de vote favorable de la représentation nationale. Et ce serait d’autant plus regrettable que nous comprenons tous le sens de la démarche.
M. le président. L'amendement n° 80, présenté par Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La loi n° 83-550 du 30 juin 1983 relative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage est ainsi modifiée :
1° L’intitulé est complété par les mots : « et en hommage aux victimes de l’esclavage colonial » ;
2° Les deuxième et troisième alinéas de l’article unique sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« La République française institue la journée du 10 mai comme journée nationale de commémoration de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions et celle du 23 mai comme journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial. »
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Cet amendement vise également à rétablir l’article 20 A, qui a été supprimé par le Sénat en commission.
Cet article est hautement symbolique pour nous. Il institue, d’une part, la « journée nationale de commémoration de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions » le 10 mai et, d’autre part, la « journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial » le 23 mai.
Le devoir de mémoire sur ce sujet nous paraît fondamental. La distinction entre les deux journées est demandée de longue date par de nombreuses associations et descendants de victimes.
Nous espérons vraiment que le Sénat s’honorera de satisfaire cette revendication.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. D’abord, je reprendrai les propos de M. Arnell s’agissant, d’une part, du contexte, d’autre part, de notre climat de travail.
Je crois que nous avons démontré, depuis le début de l’examen de ce texte, que nous pouvions largement échanger, nous expliquer sur nos points de divergence, parfois converger et même accepter des demandes de rapport, lorsque nous avons estimé que l’importance et la résonance du sujet le justifiaient. Chaque fois que nous avons sollicité le retrait d’amendements, nous avons précisé que nous le faisions à titre conservatoire, les mesures suggérées nécessitant une réflexion plus approfondie.
Je trouve donc excessifs les commentaires au vitriol qui m’ont été adressés, par exemple à propos de la question de l’orpaillage, lorsque je me suis prononcé sur les choix de nos collègues députés, au regard des explications que j’ai apportées et, surtout, des dispositions qui figureront in fine dans le texte.
J’en viens à la question dont nous sommes saisis à présent.
Dans un premier temps, nous avons estimé – c’est le sens de la décision prise en commission – que la position défendue par notre collègue Félix Desplan permettait d’envoyer un message fort et de renforcer la portée et la lisibilité des commémorations, en retenant la seule date du 10 mai.
Nous avons, me semble-t-il, fait œuvre utile en auditionnant, au sein de la commission des lois, mais pas seulement, l’ensemble des acteurs qui ont nourri le débat de leurs réflexions. Nos travaux me semblent avoir été marqués par un grand respect de ces diverses contributions et par la volonté d’aborder la question telle qu’elle se pose.
Au demeurant, puisque le Président de la République a souhaité lancer une fondation pour la mémoire de l’esclavage, de la traite et des abolitions le 10 mai dernier, il nous a semblé intéressant que celle-ci puisse avoir un regard sur le sujet.
Voilà quel a été notre cheminement et, dans l’esprit de ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale, je m’en remets à la sagesse de notre assemblée sur les amendements dont nous sommes saisis.