compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
Mme Valérie Létard,
Mme Catherine Tasca.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires sociales a émis un vote favorable – trente voix pour, aucune voix contre et deux bulletins blancs – à la nomination de M. Jean-François Delfraissy aux fonctions de président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.
3
Modification de l’ordre du jour
M. le président. La séance de questions orales prévue initialement le mardi 6 décembre 2016 n’ayant pas pu se tenir en raison de la démission du Gouvernement, nous pourrions inscrire cinq questions orales à l’ordre du jour du jeudi 8 décembre 2016 à dix heures trente et reporter à onze heures, le même jour, le débat sur le thème : « Le Massif central, un enjeu de développement territorial », demandé par le groupe du RDSE, initialement prévu à dix heures trente.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, l’ordre du jour de la séance du jeudi 8 décembre 2016 s’établit comme suit :
À dix heures trente : questions orales.
À onze heures : débat sur le thème « Le Massif central, un enjeu de développement territorial ».
À quinze heures : débat sur la situation et l’avenir de La Poste.
4
Salut en séance aux auditeurs de l’Institut du Sénat
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer la présence dans nos tribunes des auditrices et des auditeurs de la deuxième promotion de l’Institut du Sénat. (Mme la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Le bureau du Sénat a décidé l’année dernière, sur l’initiative du questeur Jean-Léonce Dupont, de mettre en œuvre un programme de formation inspiré de l’Institut des hautes études de défense nationale en vue d’immerger des personnalités représentatives des différents secteurs d’activité au cœur de la vie parlementaire.
Les vingt et un auditeurs de cette deuxième promotion, qui a commencé ses travaux hier, viennent de treize départements et sont d’horizons sociaux professionnels divers : ils sont élus territoriaux, fonctionnaires, responsables syndicaux, dirigeants d’entreprise ou d’association, avocats, médecins, ou encore journalistes.
Tout au long de leur formation, les auditeurs rencontreront certains de nos collègues sénateurs et des fonctionnaires du Sénat dans le cadre d’ateliers organisés à leur intention. Ils se familiariseront ainsi avec l’exercice des missions d’une assemblée parlementaire dans l’élaboration et le vote de la loi, le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.
En votre nom à tous, je leur souhaite une excellente session au Sénat et je forme le vœu que, à l’issue de leur séjour parmi nous, ils fassent connaître la place essentielle du bicamérisme dans l’équilibre des institutions de la Ve République, ainsi que la qualité du travail sénatorial. (Applaudissements.)
5
Dépôt de documents
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de Mme la première vice-présidente de l’Assemblée de la Polynésie française, par lettre en date du 8 novembre 2016, un rapport et un avis sur deux projets d’articles du projet de loi de finances pour 2017.
Acte est donné de cette communication.
6
Communications du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 7 décembre 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État lui a adressé une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions combinées du 2° du 7 de l’article 158 du code général des impôts en tant qu’elles portent sur les revenus distribués sur le fondement du c de l’article 111 du même code, et du c) du I de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale (Majoration de la base d’imposition des contributions sociales sur les revenus de capitaux mobiliers – Résultats distribués résultant d’une rectification des résultats) (2016-610 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
Le Conseil constitutionnel a également informé le Sénat, le 7 décembre 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation lui a adressé un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 421-2-5-2 du code pénal (Délit de consultation habituelle de sites terroristes) (2016-611 QPC).
Le texte de cet arrêt de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
7
extension du Délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (proposition n° 174, texte de la commission n° 184, rapport n° 183, avis n° 195).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes. « L’avortement ne représente plus un enjeu politique en France […] la loi est acceptée par une large majorité ». Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, qui peut encore contester cette évidence, que Simone Veil rappelait vingt ans après l’adoption de la loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse ?
Le droit reconnu aux femmes grâce à cette loi fait aujourd’hui largement consensus, ce qui ne signifie pas pour autant unanimité. Il a été clairement réaffirmé lors de l’adoption à une large majorité d’une résolution, soutenue sur tous les bancs de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, le 26 novembre 2014, quarante ans jour pour jour après le discours historique de la ministre, qui ouvrait courageusement la voie à la reconnaissance pleine et entière de la liberté des femmes à disposer de leur corps.
Au travers de cette résolution, vos collègues députés de la majorité et de l’opposition ont réaffirmé l’importance du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse – l’IVG – pour toutes les femmes en France, en Europe et dans le monde. Ils ont rappelé que « le droit universel des femmes à disposer librement de leur corps est une condition indispensable pour la construction de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et d’une société de progrès » et affirmé « la nécessité de garantir l’accès des femmes à une information de qualité, à une contraception adaptée et à l’avortement sûr et légal ».
La proposition de loi qui est en discussion ce jour n’a pas d’autre objet que de donner une traduction concrète à ces principes. Ses auteurs n’ont pas d’autre ambition que de rendre effectif l’engagement de notre pays à garantir à toutes les femmes le droit fondamental de choisir librement le moment de leur maternité.
Ce n’est donc pas le débat sur l’IVG que nous vous incitons à rouvrir. En vous proposant d’adopter ce texte visant à étendre le délit d’entrave institué par la loi de 1993, nous cherchons simplement à lever une contradiction. Il n’est en effet pas concevable de défendre le droit à l’avortement sans s’attacher à faire disparaître tout ce qui peut faire obstacle à son libre exercice.
Permettez-moi d’ajouter qu’il n’est pas davantage question en l’espèce de remettre en cause la liberté d’opinion, la liberté d’expression ou la liberté d’information. Le présent texte n’y porte nullement atteinte et n’entend aucunement les restreindre.
Les opposantes et opposants à l’avortement ont l’entière liberté d’affirmer leurs convictions anti-IVG, quel que soit le support de leur expression, à condition de le faire en toute honnêteté. En effet, la liberté d’expression ne peut se confondre avec la manipulation des esprits. La liberté d’opinion n’est pas un droit au mensonge.
Ce qui est visé en l’occurrence, ce sont les fausses informations diffusées sur les plateformes numériques et par le biais de numéros verts administrés par des lobbies anti-IVG. Derrière l’anonymat garanti par le monde virtuel, ces groupuscules sont bien les héritiers des commandos qui, dans les années quatre-vingt, s’attachaient aux grilles des centres d’orthogénie ou aux tables d’opération pour empêcher les femmes d’y accéder. Malgré un arsenal juridique continuellement renforcé pour prévenir et sanctionner toute forme d’entrave à l’IVG, les adversaires du contrôle des naissances n’ont jamais cessé de livrer bataille pour restreindre l’accès à ce droit fondamental.
Trente ans après, la bataille a simplement changé de terrain et de méthode. Les militants anti-choix la mènent aujourd’hui largement sur internet, lequel constitue souvent la première source d’information et d’orientation pour les femmes confrontées à une grossesse non désirée.
Vous le savez, la Toile est aujourd’hui la première source d’information en matière de santé pour les jeunes âgés de quinze à trente ans. Dans son rapport relatif à l’accès à l’IVG paru en 2013, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes rappelait ces chiffres issus du baromètre santé de 2010 : dans cette tranche d’âge, 40 % des hommes et 57 % des femmes utilisent internet pour s’informer sur leur santé ; un tiers de ces personnes reconnaissent que la consultation des sites spécialisés a modifié leur manière de se soigner et 80 % des plus jeunes estiment crédibles les renseignements qu’ils y recueillent.
Dès lors, la fiabilité et la qualité des informations que ces sites dispensent constituent un enjeu majeur de santé publique. Il n’est donc ni acceptable ni tolérable que les groupuscules anti-IVG se livrent impunément à une nouvelle forme de propagande sur internet, sans dire clairement qui ils sont et ce qu’ils font !
Chacun est évidemment libre d’exprimer son hostilité à l’avortement, je tiens à le répéter. En revanche, copier l’apparence neutre des sites institutionnels, adapter les contenus et les visuels au public visé, orienter le choix des femmes ne relève pas de la liberté d’expression !
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Laurence Rossignol, ministre. En réalité, ces militants cherchent à induire les femmes en erreur pour instiller le doute, et à les empêcher de prendre une décision de manière éclairée et en toute sérénité. Tout est pensé pour détourner les femmes des sites officiels sur lesquels elles peuvent pourtant trouver les informations dont elles ont réellement besoin, comme des renseignements sur les structures auxquelles elles doivent s’adresser, sur les délais dans lesquels l’intervention doit être réalisée, ou encore sur les méthodes entre lesquelles chacune doit pouvoir choisir ou s’adapter selon les délais.
L’opération de testing à laquelle s’est récemment livrée une élue Les Républicains a parfaitement mis au jour les ressorts de cette mécanique perverse et la véritable intention qui anime les « écoutants-militants » des numéros verts relayés sur les plateformes : tromper les femmes, les culpabiliser et les décourager d’avoir recours à l’avortement.
Cette duplicité constitue clairement une entrave au droit de chaque femme de disposer d’éléments objectifs et fiables pour faire un choix en conscience, conformément à une réglementation qui a été continuellement précisée pour garantir à toutes les femmes un égal accès à la contraception et à l’avortement.
Aujourd’hui, c’est donc à cette supercherie que nous avons la responsabilité de nous attaquer. Naturellement, les lobbies anti-IVG ne réclament plus l’abrogation de la loi Veil : ils savent bien que les Françaises et les Français y sont favorables dans leur immense majorité, et même légitimement attachés. Non, les tenants de cette idéologie rétrograde instrumentalisent la vulnérabilité des femmes confrontées à une grossesse non désirée pour les convaincre de renoncer elles-mêmes à mettre fin à celle-ci.
Ce militantisme de la Toile est d’autant plus toxique qu’il repose sur une parfaite maîtrise des codes de la communication numérique et sur une puissante mobilisation des activistes et de moyens. La stratégie de référencement des plateformes anti-choix sur les moteurs de recherche montre bien leur force de frappe. Malgré la vigilance du Gouvernement, le site ivg.net figure parmi les premiers résultats obtenus lorsque l’on entre les termes clés « IVG » ou « avortement », grâce à des campagnes régulières de référencement naturel et payant.
Bien sûr, le Gouvernement lutte avec constance et détermination contre cette nouvelle forme d’entrave, bien moins spectaculaire qu’il y a trente ans, mais d’autant plus dangereuse qu’elle ne dit pas son nom.
Toutes les mesures que nous avons prises depuis quatre ans s’inscrivent d’ailleurs dans la longue histoire des dispositions qui ont progressivement renforcé notre arsenal législatif, afin de garantir à toutes les femmes un égal accès à l’IVG, quels que soient leur situation, leur âge ou leur lieu de résidence.
En 1979, les dispositions de la loi de 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse ont été pérennisées et l’avortement a été dépénalisé. En 1982, les frais médicaux liés à l’IVG ont été remboursés. En 1993, un délit d’entrave a été créé. En 2001, le délai légal de grossesse a été allongé de dix à douze semaines et les conditions d’accès à la contraception et à l’avortement pour les mineures ont été assouplies.
Depuis 2012, le Gouvernement s’est encore davantage attaché à faciliter les démarches des femmes et à simplifier le parcours IVG – il est aujourd’hui pris en charge à 100 % – en supprimant la notion de détresse et le délai de réflexion d’une semaine préalable à l’intervention.
Le Gouvernement a par ailleurs largement accru l’offre de proximité, en donnant aux sages-femmes la possibilité de pratiquer des IVG médicamenteuses. De votre côté, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez discuté de la possibilité offerte aux centres de santé de pratiquer des IVG instrumentales.
Enfin, la loi du 4 août 2014 a élargi le champ d’application des dispositions prévues par la loi de 1993, en créant un délit d’entrave à l’accès à l’information sur l’IVG.
Pour consolider ce dispositif et améliorer l’accès des femmes à l’information, conformément aux recommandations formulées par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, le Gouvernement a aussi créé de nouveaux outils.
À l’automne 2013, il a tout d’abord mis en ligne un site internet officiel ivg.gouv.fr. Ce site est régulièrement enrichi de nouveaux contenus pour que les femmes puissent disposer de l’information la plus complète et la plus précise possible. Nous veillons évidemment à ce qu’il soit directement et très facilement accessible sur les moteurs de recherche à partir des différents mots clés régulièrement utilisés.
Depuis un peu plus d’un an, les jeunes filles et les femmes qui souhaitent s’informer sur l’IVG peuvent aussi appeler le 0800 08 11 11. Ce numéro national, anonyme, gratuit et accessible six jours sur sept reçoit environ 2 000 appels par mois.
Et, pour la première fois, le Gouvernement a été à l’initiative d’une grande campagne d’information sur l’avortement, intitulée IVG, mon corps, mon choix, mon droit, qui a été largement relayée cette année.
Toutes ces mesures ont incontestablement contribué à consolider l’arsenal législatif, qui, depuis la loi Veil, garantit aux femmes le droit de mettre un terme à une grossesse non désirée.
C’est la même exigence que nous défendons aujourd’hui en vous proposant d’adapter le délit d’entrave à l’IVG à la réalité numérique.
Chacun le sait dans cette enceinte : un droit qui n’est plus contesté dans son principe peut toujours être menacé dans son effectivité. Un droit qui ne peut être librement exercé, un droit qui est donc purement formel, un droit abstrait, n’est pas réellement un droit.
Face à l’offensive numérique des militants anti-choix, dont l’audience continue de progresser sur internet – même si c’est exclusivement sur internet, reconnaissons-le –, il est par conséquent nécessaire de renforcer encore davantage notre législation. Il convient de préserver les femmes de cette désinformation parfaitement orchestrée pour dissimuler une véritable intention de les dissuader.
Je tiens à vous assurer que la présente proposition de loi ne vise pas d’autre objectif. En vous proposant d’adapter nos outils juridiques aux évolutions de la communication sur internet et les réseaux sociaux, nous ne poursuivons qu’une seule ambition : garantir à chaque femme la possibilité d’être informée au mieux pour exercer un droit inscrit dans nos lois.
Je ne doute pas que vous partagiez cette exigence et que vous soyez toutes et tous convaincus que le progrès technologique ne doit pas servir à mettre en danger ou à faire reculer les droits des femmes. C’est pourquoi je me félicite que nous puissions débattre aujourd’hui sereinement de la nécessité d’établir et de sanctionner ce délit d’entrave à l’IVG dans l’espace numérique, après l’occasion manquée qu’a représentée la discussion du projet de loi Égalité et citoyenneté.
Je suis même certaine, dans l’hypothèse où la Haute Assemblée s’accorderait à reconnaître la dimension toxique et délétère de cette nouvelle forme de propagande 2.0, que nous saurons trouver ensemble, à l’issue de l’examen de ce texte, le meilleur moyen de combattre celle-ci. Mesdames, messieurs les sénateurs, les femmes comptent sur vous, sur le Parlement, aujourd’hui sur le Sénat ! Soyons collectivement à la hauteur de cette attente ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Stéphanie Riocreux, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales, qui s’est réunie hier pour examiner la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, vous propose de l’adopter dans une nouvelle rédaction.
Je souhaite tout d’abord rappeler que le périmètre du texte dont nous allons débattre est limité : ce texte ne comporte qu’un seul article, dont l’objet est de compléter, pour l’adapter à l’évolution de notre société, la disposition relative au délit d’entrave à l’IVG, délit créé par la loi du 27 janvier 1993.
Je rappelle également d’emblée que l’entrave par pressions psychologiques existe déjà. Elle a été introduite dans notre droit par la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Ce type d’entrave est donc pris en compte depuis plus de quinze ans.
Ce que réprime le code de la santé publique, c’est bien le fait d’empêcher les femmes d’accéder à ce qui est reconnu par la loi comme un droit. Je me dois de rappeler qu’il s’agit d’un droit particulièrement encadré. Le texte soumis à notre examen a pas pour objet non pas d’assouplir cet encadrement, mais de garantir que l’accès à ce droit est respecté.
Évidemment, dans notre démocratie, chacun est libre d’exprimer son opinion sur l’IVG. Avec ce texte, il est donc question non pas de priver quiconque de ce droit, mais de trouver un point d’équilibre pour que la liberté de s’opposer à l’IVG n’entrave pas la liberté d’y recourir.
Compte tenu de l’évolution des moyens utilisés pour faire pression sur les femmes, ce débat doit nous amener à examiner un point juridique précis et à adopter une mesure législative. Il s’agit non pas d’envoyer un signal, mais bien, encore une fois, de garantir par la loi la possibilité d’accéder sans entrave à un droit.
Plusieurs collègues ont souligné le fait que, en pratique, d’autres sujets de santé publique pouvaient également être au centre de campagnes de désinformation, comme le recours à la vaccination. J’en conviens, mais, en matière d’IVG, un délit spécifique d’entrave a été créé voilà plus de vingt ans, et il est légitime de l’adapter à l’évolution de la société.
En effet, les tentatives de dissuasion, qui s’apparentent parfois à du harcèlement, occasionnent une perte de temps et, par suite, une perte de chance – au sens médical du terme – pour les femmes de recourir à l’IVG, étant donné les délais stricts dans lesquels celle-ci est autorisée.
Malgré la concision du texte, la rédaction initiale de la proposition de loi a soulevé deux problèmes, celui du respect de la liberté d’expression et celui du respect du principe de la légalité des délits et des peines. En effet, la caractérisation du délit d’entrave n’était pas suffisamment précise en la matière.
Nos collègues députés ont apporté plusieurs modifications et proposé une nouvelle rédaction du texte, afin d’éviter notamment tout problème de constitutionnalité ou de conventionnalité. Je salue le travail réalisé sur l’initiative de la rapporteur de l’Assemblée nationale, second signataire de la proposition de loi, notre collègue députée Catherine Coutelle.
En poursuivant le travail parlementaire sur le texte, il nous est apparu que cette rédaction pouvait encore présenter un problème d’intelligibilité. En effet, l’Assemblée nationale, dans un esprit de clarification, a finalement intégré dans une même phrase l’intention des auteurs du délit et les moyens qui conduisent à ce délit. Or les exigences rédactionnelles en matière de droit pénal voudraient que ces deux éléments soient bien distingués.
De plus, le texte adopté par l’Assemblée nationale ne permettait pas d’atteindre totalement l’objectif visé, même s’il précisait les moyens d’y parvenir dans son exposé des motifs. Il ne prenait en compte que les pressions exercées sur les femmes s’informant dans les centres pratiquant des IVG. Cette rédaction revenait en outre à considérer que les pressions psychologiques pouvaient constituer une entrave physique, ce qui peut nuire à la clarté de la disposition.
La commission des affaires sociales du Sénat est partie du constat que l’objectif visé par le texte ne nécessitait en fait que peu de changements par rapport aux dispositions législatives en vigueur en matière de délit d’entrave. Tout le monde a admis l’idée que la question du délit d’entrave se posait bien et qu’il convenait de lui apporter une réponse juridique.
Le texte de la commission ne change pas la définition du délit en ce qui concerne l’objectif que les auteurs de l’infraction cherchent à atteindre, c’est-à-dire « empêcher ou […] tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption de grossesse ». En revanche, il précise les moyens par lesquels peuvent s’exercer les pressions morales et psychologiques, afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le fait que la communication par voie électronique en fait partie.
De plus, le texte précise que toute personne cherchant à s’informer sur l’IVG, notamment sur internet, peut être reconnue victime de ces pressions. Il n’est donc pas uniquement question des femmes venant s’informer dans les centres.
Le texte de la commission ne change pas les termes dans lesquels la liberté d’expression se concilie aujourd’hui avec l’infraction. Il s’en tient aux termes juridiquement nécessaires pour caractériser le délit.
En tout état de cause, il va de soi que le dispositif proposé s’inscrit dans une politique de santé plus globale favorisant l’égal accès des femmes à l’IVG et l’information de toute personne sur celle-ci.
À cet égard, des progrès ont incontestablement été accomplis au cours des dernières années. Les recommandations faites par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport sur l’accès à l’IVG sur le territoire qu’il avait remis en 2013 à la secrétaire d’État aux droits des femmes ont été pour la plupart d’entre elles mises en œuvre par le Gouvernement, dont je tiens à saluer la politique en la matière. Je connais la volonté de Mme la ministre de poursuivre l’amélioration du référencement des sites officiels sur les moteurs de recherche, ainsi que les efforts de communication réalisés auprès du grand public.
Nos débats en commission ont permis d’aborder ces questions. Je suis heureuse qu’ils se soient déroulés dans un climat serein. Plusieurs collègues ont exprimé leurs doutes sur le calendrier et l’organisation de nos travaux, sur l’opportunité d’examiner un tel texte et sur les solutions susceptibles d’être trouvées. Comme cela a été dit en commission, même si le calendrier parlementaire est serré, ce sujet préoccupe un grand nombre d’entre nous depuis fort longtemps. Il n’est qu’à se référer au travail conduit par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en 2013.
En adoptant ce texte, la commission des affaires sociales a cherché à atteindre le même objectif que celui que vise le Gouvernement, à savoir faire progresser notre droit sur une question bien identifiée depuis maintenant plus de trois ans.
Dans le prolongement de nos discussions en commission, je suis certaine que nos débats en séance permettront de mettre en évidence les points sur lesquels nous nous accordons, s’agissant de la nécessité de légiférer et de trouver le meilleur moyen de faire avancer les travaux parlementaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi de 1975 a créé un droit : la liberté pour les femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse si elles le souhaitent. Aujourd’hui, aucun d’entre nous ne remet en cause ce droit.
La commission des affaires sociales a joué son rôle en travaillant sur le texte que nous examinons. La commission des lois, quant à elle, a tenté d’émettre un avis fondé en droit.
Une fois le droit à l’IVG reconnu par la loi de 1975, c’est la question de son effectivité qui s’est bien sûr posée assez rapidement. En 1993, un délit d’entrave a pour la première fois été introduit dans notre droit pour lutter contre les actions visant à empêcher le recours à l’IVG pour les femmes qui avaient fait ce choix. Ce délit a été étendu en 2001, puis une nouvelle fois en 2014. Aujourd’hui, il fait l’objet d’un ensemble de dispositions juridiques.
Ce délit d’entrave présente une caractéristique, madame la ministre : les actions répréhensibles ainsi visées se déroulent toutes dans l’enceinte des établissements pratiquant des IVG. La raison en est que ce délit a été instauré en 1993 sur le modèle, faute de mieux, de celui qui est prévu dans le code du travail. Ce qu’on nous propose aujourd’hui, c’est bien autre chose : c’est de créer un délit général d’entrave à l’IVG, non plus seulement au sein des établissements qui pratiquent cette dernière.
La commission des lois a essentiellement travaillé sur le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, modifié hier soir par la commission des affaires sociales, version sur laquelle nous devons également nous exprimer. Le texte voté par nos collègues députés encourt deux critiques essentielles : il est à la fois inconstitutionnel et inconventionnel, ce qu’a d’ailleurs reconnu hier Mme la rapporteur devant la commission des affaires sociales, parlant d’un texte « inintelligible », pour reprendre le mot même qu’elle a employé. Je suis bien d’accord avec vous, ma chère collègue.
Ce texte est inconstitutionnel pour deux raisons : non seulement il contrevient aux principes généraux du droit pénal – principe de clarté et d’intelligibilité de la loi, principe de proportionnalité de la peine –, mais encore il porte gravement atteinte au droit d’expression.
À cet égard, l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen garantit la liberté d’expression, qui constitue l’une des libertés les plus protégées dans notre système juridique. Pareillement, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté d’opinion et d’expression, et rappelle que toute opinion peut être exprimée même si elle choque et même si elle peut troubler. C’est là une liberté fondamentale, mère de toutes les autres libertés.
Par conséquent, le texte transmis par l’Assemblée nationale ne peut faire que l’objet d’un avis négatif de la part de la commission des lois pour les raisons que je viens d’indiquer, même si je reconnais que la commission des affaires sociales s’est astucieusement efforcée de trouver des solutions.
Madame la ministre, au cours des longs débats que nous avons eus ce matin en commission des lois, nous avons tous rappelé notre attachement à la loi de 1975. Nous sommes également convenus qu’il y avait sûrement un problème à régler, un problème grave et sérieux, mais qu’il fallait pour ce faire disposer d’un petit peu de temps. Aussi, nous ne pouvons que regretter les conditions dans lesquelles vous nous invitez à délibérer. (Mme la ministre s’étonne.) C’est vous qui avez engagé la procédure accélérée !
Nous avons pris connaissance de la position de la commission des affaires sociales ce matin, et la commission des lois a dû délibérer pour treize heures trente, ce qui est peut-être un peu rapide s’agissant d’une question aussi sérieuse, aussi profonde, sur laquelle beaucoup d’entre nous étaient probablement prêts à travailler pour trouver des solutions. De fait, nous n’avons pas pu aboutir.
Le texte adopté par la commission des affaires sociales, en maintenant ce délit d’entrave, porte nécessairement atteinte à la liberté d’expression ; c’est pourquoi la commission des lois a émis un avis défavorable. (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC et sur les travées du groupe Les Républicains.)