Sommaire
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
Secrétaires :
Mmes Valérie Létard, Catherine Tasca.
2. Communication d’un avis sur un projet de nomination
3. Modification de l’ordre du jour
4. Salut en séance aux auditeurs de l’Institut du Sénat
6. Communications du Conseil constitutionnel
7. Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes
Mme Stéphanie Riocreux, rapporteur de la commission des affaires sociales
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des lois
Mme Laurence Rossignol, ministre
Clôture de la discussion générale.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Amendement n° 2 rectifié bis de Mme Françoise Gatel. – Rejet par scrutin public.
Amendement n° 3 de Mme Chantal Jouanno. – Retrait.
Amendement n° 1 de Mme Françoise Laborde. – Retrait.
Adoption, par scrutin public, de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
8. Généralisation des contrats de ressources. – Rejet d'une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Hervé Poher, auteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Rejet, par scrutin public, de la proposition de résolution.
9. Saisine du Conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
10. Mise au point au sujet de votes
11. Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique. – Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication
Mme Corinne Bouchoux, rapporteur de la commission de la culture
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Patrick Abate. – Rejet.
Adoption de l’article.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 2 de M. Patrick Abate. – Devenu sans objet.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture
Adoption définitive, par scrutin public, de la proposition de loi dans le texte de la commission.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
Mme Valérie Létard,
Mme Catherine Tasca.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires sociales a émis un vote favorable – trente voix pour, aucune voix contre et deux bulletins blancs – à la nomination de M. Jean-François Delfraissy aux fonctions de président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.
3
Modification de l’ordre du jour
M. le président. La séance de questions orales prévue initialement le mardi 6 décembre 2016 n’ayant pas pu se tenir en raison de la démission du Gouvernement, nous pourrions inscrire cinq questions orales à l’ordre du jour du jeudi 8 décembre 2016 à dix heures trente et reporter à onze heures, le même jour, le débat sur le thème : « Le Massif central, un enjeu de développement territorial », demandé par le groupe du RDSE, initialement prévu à dix heures trente.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, l’ordre du jour de la séance du jeudi 8 décembre 2016 s’établit comme suit :
À dix heures trente : questions orales.
À onze heures : débat sur le thème « Le Massif central, un enjeu de développement territorial ».
À quinze heures : débat sur la situation et l’avenir de La Poste.
4
Salut en séance aux auditeurs de l’Institut du Sénat
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer la présence dans nos tribunes des auditrices et des auditeurs de la deuxième promotion de l’Institut du Sénat. (Mme la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Le bureau du Sénat a décidé l’année dernière, sur l’initiative du questeur Jean-Léonce Dupont, de mettre en œuvre un programme de formation inspiré de l’Institut des hautes études de défense nationale en vue d’immerger des personnalités représentatives des différents secteurs d’activité au cœur de la vie parlementaire.
Les vingt et un auditeurs de cette deuxième promotion, qui a commencé ses travaux hier, viennent de treize départements et sont d’horizons sociaux professionnels divers : ils sont élus territoriaux, fonctionnaires, responsables syndicaux, dirigeants d’entreprise ou d’association, avocats, médecins, ou encore journalistes.
Tout au long de leur formation, les auditeurs rencontreront certains de nos collègues sénateurs et des fonctionnaires du Sénat dans le cadre d’ateliers organisés à leur intention. Ils se familiariseront ainsi avec l’exercice des missions d’une assemblée parlementaire dans l’élaboration et le vote de la loi, le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.
En votre nom à tous, je leur souhaite une excellente session au Sénat et je forme le vœu que, à l’issue de leur séjour parmi nous, ils fassent connaître la place essentielle du bicamérisme dans l’équilibre des institutions de la Ve République, ainsi que la qualité du travail sénatorial. (Applaudissements.)
5
Dépôt de documents
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de Mme la première vice-présidente de l’Assemblée de la Polynésie française, par lettre en date du 8 novembre 2016, un rapport et un avis sur deux projets d’articles du projet de loi de finances pour 2017.
Acte est donné de cette communication.
6
Communications du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 7 décembre 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État lui a adressé une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions combinées du 2° du 7 de l’article 158 du code général des impôts en tant qu’elles portent sur les revenus distribués sur le fondement du c de l’article 111 du même code, et du c) du I de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale (Majoration de la base d’imposition des contributions sociales sur les revenus de capitaux mobiliers – Résultats distribués résultant d’une rectification des résultats) (2016-610 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
Le Conseil constitutionnel a également informé le Sénat, le 7 décembre 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation lui a adressé un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 421-2-5-2 du code pénal (Délit de consultation habituelle de sites terroristes) (2016-611 QPC).
Le texte de cet arrêt de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
7
extension du Délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (proposition n° 174, texte de la commission n° 184, rapport n° 183, avis n° 195).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes. « L’avortement ne représente plus un enjeu politique en France […] la loi est acceptée par une large majorité ». Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, qui peut encore contester cette évidence, que Simone Veil rappelait vingt ans après l’adoption de la loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse ?
Le droit reconnu aux femmes grâce à cette loi fait aujourd’hui largement consensus, ce qui ne signifie pas pour autant unanimité. Il a été clairement réaffirmé lors de l’adoption à une large majorité d’une résolution, soutenue sur tous les bancs de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, le 26 novembre 2014, quarante ans jour pour jour après le discours historique de la ministre, qui ouvrait courageusement la voie à la reconnaissance pleine et entière de la liberté des femmes à disposer de leur corps.
Au travers de cette résolution, vos collègues députés de la majorité et de l’opposition ont réaffirmé l’importance du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse – l’IVG – pour toutes les femmes en France, en Europe et dans le monde. Ils ont rappelé que « le droit universel des femmes à disposer librement de leur corps est une condition indispensable pour la construction de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et d’une société de progrès » et affirmé « la nécessité de garantir l’accès des femmes à une information de qualité, à une contraception adaptée et à l’avortement sûr et légal ».
La proposition de loi qui est en discussion ce jour n’a pas d’autre objet que de donner une traduction concrète à ces principes. Ses auteurs n’ont pas d’autre ambition que de rendre effectif l’engagement de notre pays à garantir à toutes les femmes le droit fondamental de choisir librement le moment de leur maternité.
Ce n’est donc pas le débat sur l’IVG que nous vous incitons à rouvrir. En vous proposant d’adopter ce texte visant à étendre le délit d’entrave institué par la loi de 1993, nous cherchons simplement à lever une contradiction. Il n’est en effet pas concevable de défendre le droit à l’avortement sans s’attacher à faire disparaître tout ce qui peut faire obstacle à son libre exercice.
Permettez-moi d’ajouter qu’il n’est pas davantage question en l’espèce de remettre en cause la liberté d’opinion, la liberté d’expression ou la liberté d’information. Le présent texte n’y porte nullement atteinte et n’entend aucunement les restreindre.
Les opposantes et opposants à l’avortement ont l’entière liberté d’affirmer leurs convictions anti-IVG, quel que soit le support de leur expression, à condition de le faire en toute honnêteté. En effet, la liberté d’expression ne peut se confondre avec la manipulation des esprits. La liberté d’opinion n’est pas un droit au mensonge.
Ce qui est visé en l’occurrence, ce sont les fausses informations diffusées sur les plateformes numériques et par le biais de numéros verts administrés par des lobbies anti-IVG. Derrière l’anonymat garanti par le monde virtuel, ces groupuscules sont bien les héritiers des commandos qui, dans les années quatre-vingt, s’attachaient aux grilles des centres d’orthogénie ou aux tables d’opération pour empêcher les femmes d’y accéder. Malgré un arsenal juridique continuellement renforcé pour prévenir et sanctionner toute forme d’entrave à l’IVG, les adversaires du contrôle des naissances n’ont jamais cessé de livrer bataille pour restreindre l’accès à ce droit fondamental.
Trente ans après, la bataille a simplement changé de terrain et de méthode. Les militants anti-choix la mènent aujourd’hui largement sur internet, lequel constitue souvent la première source d’information et d’orientation pour les femmes confrontées à une grossesse non désirée.
Vous le savez, la Toile est aujourd’hui la première source d’information en matière de santé pour les jeunes âgés de quinze à trente ans. Dans son rapport relatif à l’accès à l’IVG paru en 2013, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes rappelait ces chiffres issus du baromètre santé de 2010 : dans cette tranche d’âge, 40 % des hommes et 57 % des femmes utilisent internet pour s’informer sur leur santé ; un tiers de ces personnes reconnaissent que la consultation des sites spécialisés a modifié leur manière de se soigner et 80 % des plus jeunes estiment crédibles les renseignements qu’ils y recueillent.
Dès lors, la fiabilité et la qualité des informations que ces sites dispensent constituent un enjeu majeur de santé publique. Il n’est donc ni acceptable ni tolérable que les groupuscules anti-IVG se livrent impunément à une nouvelle forme de propagande sur internet, sans dire clairement qui ils sont et ce qu’ils font !
Chacun est évidemment libre d’exprimer son hostilité à l’avortement, je tiens à le répéter. En revanche, copier l’apparence neutre des sites institutionnels, adapter les contenus et les visuels au public visé, orienter le choix des femmes ne relève pas de la liberté d’expression !
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Laurence Rossignol, ministre. En réalité, ces militants cherchent à induire les femmes en erreur pour instiller le doute, et à les empêcher de prendre une décision de manière éclairée et en toute sérénité. Tout est pensé pour détourner les femmes des sites officiels sur lesquels elles peuvent pourtant trouver les informations dont elles ont réellement besoin, comme des renseignements sur les structures auxquelles elles doivent s’adresser, sur les délais dans lesquels l’intervention doit être réalisée, ou encore sur les méthodes entre lesquelles chacune doit pouvoir choisir ou s’adapter selon les délais.
L’opération de testing à laquelle s’est récemment livrée une élue Les Républicains a parfaitement mis au jour les ressorts de cette mécanique perverse et la véritable intention qui anime les « écoutants-militants » des numéros verts relayés sur les plateformes : tromper les femmes, les culpabiliser et les décourager d’avoir recours à l’avortement.
Cette duplicité constitue clairement une entrave au droit de chaque femme de disposer d’éléments objectifs et fiables pour faire un choix en conscience, conformément à une réglementation qui a été continuellement précisée pour garantir à toutes les femmes un égal accès à la contraception et à l’avortement.
Aujourd’hui, c’est donc à cette supercherie que nous avons la responsabilité de nous attaquer. Naturellement, les lobbies anti-IVG ne réclament plus l’abrogation de la loi Veil : ils savent bien que les Françaises et les Français y sont favorables dans leur immense majorité, et même légitimement attachés. Non, les tenants de cette idéologie rétrograde instrumentalisent la vulnérabilité des femmes confrontées à une grossesse non désirée pour les convaincre de renoncer elles-mêmes à mettre fin à celle-ci.
Ce militantisme de la Toile est d’autant plus toxique qu’il repose sur une parfaite maîtrise des codes de la communication numérique et sur une puissante mobilisation des activistes et de moyens. La stratégie de référencement des plateformes anti-choix sur les moteurs de recherche montre bien leur force de frappe. Malgré la vigilance du Gouvernement, le site ivg.net figure parmi les premiers résultats obtenus lorsque l’on entre les termes clés « IVG » ou « avortement », grâce à des campagnes régulières de référencement naturel et payant.
Bien sûr, le Gouvernement lutte avec constance et détermination contre cette nouvelle forme d’entrave, bien moins spectaculaire qu’il y a trente ans, mais d’autant plus dangereuse qu’elle ne dit pas son nom.
Toutes les mesures que nous avons prises depuis quatre ans s’inscrivent d’ailleurs dans la longue histoire des dispositions qui ont progressivement renforcé notre arsenal législatif, afin de garantir à toutes les femmes un égal accès à l’IVG, quels que soient leur situation, leur âge ou leur lieu de résidence.
En 1979, les dispositions de la loi de 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse ont été pérennisées et l’avortement a été dépénalisé. En 1982, les frais médicaux liés à l’IVG ont été remboursés. En 1993, un délit d’entrave a été créé. En 2001, le délai légal de grossesse a été allongé de dix à douze semaines et les conditions d’accès à la contraception et à l’avortement pour les mineures ont été assouplies.
Depuis 2012, le Gouvernement s’est encore davantage attaché à faciliter les démarches des femmes et à simplifier le parcours IVG – il est aujourd’hui pris en charge à 100 % – en supprimant la notion de détresse et le délai de réflexion d’une semaine préalable à l’intervention.
Le Gouvernement a par ailleurs largement accru l’offre de proximité, en donnant aux sages-femmes la possibilité de pratiquer des IVG médicamenteuses. De votre côté, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez discuté de la possibilité offerte aux centres de santé de pratiquer des IVG instrumentales.
Enfin, la loi du 4 août 2014 a élargi le champ d’application des dispositions prévues par la loi de 1993, en créant un délit d’entrave à l’accès à l’information sur l’IVG.
Pour consolider ce dispositif et améliorer l’accès des femmes à l’information, conformément aux recommandations formulées par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, le Gouvernement a aussi créé de nouveaux outils.
À l’automne 2013, il a tout d’abord mis en ligne un site internet officiel ivg.gouv.fr. Ce site est régulièrement enrichi de nouveaux contenus pour que les femmes puissent disposer de l’information la plus complète et la plus précise possible. Nous veillons évidemment à ce qu’il soit directement et très facilement accessible sur les moteurs de recherche à partir des différents mots clés régulièrement utilisés.
Depuis un peu plus d’un an, les jeunes filles et les femmes qui souhaitent s’informer sur l’IVG peuvent aussi appeler le 0800 08 11 11. Ce numéro national, anonyme, gratuit et accessible six jours sur sept reçoit environ 2 000 appels par mois.
Et, pour la première fois, le Gouvernement a été à l’initiative d’une grande campagne d’information sur l’avortement, intitulée IVG, mon corps, mon choix, mon droit, qui a été largement relayée cette année.
Toutes ces mesures ont incontestablement contribué à consolider l’arsenal législatif, qui, depuis la loi Veil, garantit aux femmes le droit de mettre un terme à une grossesse non désirée.
C’est la même exigence que nous défendons aujourd’hui en vous proposant d’adapter le délit d’entrave à l’IVG à la réalité numérique.
Chacun le sait dans cette enceinte : un droit qui n’est plus contesté dans son principe peut toujours être menacé dans son effectivité. Un droit qui ne peut être librement exercé, un droit qui est donc purement formel, un droit abstrait, n’est pas réellement un droit.
Face à l’offensive numérique des militants anti-choix, dont l’audience continue de progresser sur internet – même si c’est exclusivement sur internet, reconnaissons-le –, il est par conséquent nécessaire de renforcer encore davantage notre législation. Il convient de préserver les femmes de cette désinformation parfaitement orchestrée pour dissimuler une véritable intention de les dissuader.
Je tiens à vous assurer que la présente proposition de loi ne vise pas d’autre objectif. En vous proposant d’adapter nos outils juridiques aux évolutions de la communication sur internet et les réseaux sociaux, nous ne poursuivons qu’une seule ambition : garantir à chaque femme la possibilité d’être informée au mieux pour exercer un droit inscrit dans nos lois.
Je ne doute pas que vous partagiez cette exigence et que vous soyez toutes et tous convaincus que le progrès technologique ne doit pas servir à mettre en danger ou à faire reculer les droits des femmes. C’est pourquoi je me félicite que nous puissions débattre aujourd’hui sereinement de la nécessité d’établir et de sanctionner ce délit d’entrave à l’IVG dans l’espace numérique, après l’occasion manquée qu’a représentée la discussion du projet de loi Égalité et citoyenneté.
Je suis même certaine, dans l’hypothèse où la Haute Assemblée s’accorderait à reconnaître la dimension toxique et délétère de cette nouvelle forme de propagande 2.0, que nous saurons trouver ensemble, à l’issue de l’examen de ce texte, le meilleur moyen de combattre celle-ci. Mesdames, messieurs les sénateurs, les femmes comptent sur vous, sur le Parlement, aujourd’hui sur le Sénat ! Soyons collectivement à la hauteur de cette attente ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Stéphanie Riocreux, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales, qui s’est réunie hier pour examiner la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, vous propose de l’adopter dans une nouvelle rédaction.
Je souhaite tout d’abord rappeler que le périmètre du texte dont nous allons débattre est limité : ce texte ne comporte qu’un seul article, dont l’objet est de compléter, pour l’adapter à l’évolution de notre société, la disposition relative au délit d’entrave à l’IVG, délit créé par la loi du 27 janvier 1993.
Je rappelle également d’emblée que l’entrave par pressions psychologiques existe déjà. Elle a été introduite dans notre droit par la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Ce type d’entrave est donc pris en compte depuis plus de quinze ans.
Ce que réprime le code de la santé publique, c’est bien le fait d’empêcher les femmes d’accéder à ce qui est reconnu par la loi comme un droit. Je me dois de rappeler qu’il s’agit d’un droit particulièrement encadré. Le texte soumis à notre examen a pas pour objet non pas d’assouplir cet encadrement, mais de garantir que l’accès à ce droit est respecté.
Évidemment, dans notre démocratie, chacun est libre d’exprimer son opinion sur l’IVG. Avec ce texte, il est donc question non pas de priver quiconque de ce droit, mais de trouver un point d’équilibre pour que la liberté de s’opposer à l’IVG n’entrave pas la liberté d’y recourir.
Compte tenu de l’évolution des moyens utilisés pour faire pression sur les femmes, ce débat doit nous amener à examiner un point juridique précis et à adopter une mesure législative. Il s’agit non pas d’envoyer un signal, mais bien, encore une fois, de garantir par la loi la possibilité d’accéder sans entrave à un droit.
Plusieurs collègues ont souligné le fait que, en pratique, d’autres sujets de santé publique pouvaient également être au centre de campagnes de désinformation, comme le recours à la vaccination. J’en conviens, mais, en matière d’IVG, un délit spécifique d’entrave a été créé voilà plus de vingt ans, et il est légitime de l’adapter à l’évolution de la société.
En effet, les tentatives de dissuasion, qui s’apparentent parfois à du harcèlement, occasionnent une perte de temps et, par suite, une perte de chance – au sens médical du terme – pour les femmes de recourir à l’IVG, étant donné les délais stricts dans lesquels celle-ci est autorisée.
Malgré la concision du texte, la rédaction initiale de la proposition de loi a soulevé deux problèmes, celui du respect de la liberté d’expression et celui du respect du principe de la légalité des délits et des peines. En effet, la caractérisation du délit d’entrave n’était pas suffisamment précise en la matière.
Nos collègues députés ont apporté plusieurs modifications et proposé une nouvelle rédaction du texte, afin d’éviter notamment tout problème de constitutionnalité ou de conventionnalité. Je salue le travail réalisé sur l’initiative de la rapporteur de l’Assemblée nationale, second signataire de la proposition de loi, notre collègue députée Catherine Coutelle.
En poursuivant le travail parlementaire sur le texte, il nous est apparu que cette rédaction pouvait encore présenter un problème d’intelligibilité. En effet, l’Assemblée nationale, dans un esprit de clarification, a finalement intégré dans une même phrase l’intention des auteurs du délit et les moyens qui conduisent à ce délit. Or les exigences rédactionnelles en matière de droit pénal voudraient que ces deux éléments soient bien distingués.
De plus, le texte adopté par l’Assemblée nationale ne permettait pas d’atteindre totalement l’objectif visé, même s’il précisait les moyens d’y parvenir dans son exposé des motifs. Il ne prenait en compte que les pressions exercées sur les femmes s’informant dans les centres pratiquant des IVG. Cette rédaction revenait en outre à considérer que les pressions psychologiques pouvaient constituer une entrave physique, ce qui peut nuire à la clarté de la disposition.
La commission des affaires sociales du Sénat est partie du constat que l’objectif visé par le texte ne nécessitait en fait que peu de changements par rapport aux dispositions législatives en vigueur en matière de délit d’entrave. Tout le monde a admis l’idée que la question du délit d’entrave se posait bien et qu’il convenait de lui apporter une réponse juridique.
Le texte de la commission ne change pas la définition du délit en ce qui concerne l’objectif que les auteurs de l’infraction cherchent à atteindre, c’est-à-dire « empêcher ou […] tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption de grossesse ». En revanche, il précise les moyens par lesquels peuvent s’exercer les pressions morales et psychologiques, afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le fait que la communication par voie électronique en fait partie.
De plus, le texte précise que toute personne cherchant à s’informer sur l’IVG, notamment sur internet, peut être reconnue victime de ces pressions. Il n’est donc pas uniquement question des femmes venant s’informer dans les centres.
Le texte de la commission ne change pas les termes dans lesquels la liberté d’expression se concilie aujourd’hui avec l’infraction. Il s’en tient aux termes juridiquement nécessaires pour caractériser le délit.
En tout état de cause, il va de soi que le dispositif proposé s’inscrit dans une politique de santé plus globale favorisant l’égal accès des femmes à l’IVG et l’information de toute personne sur celle-ci.
À cet égard, des progrès ont incontestablement été accomplis au cours des dernières années. Les recommandations faites par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport sur l’accès à l’IVG sur le territoire qu’il avait remis en 2013 à la secrétaire d’État aux droits des femmes ont été pour la plupart d’entre elles mises en œuvre par le Gouvernement, dont je tiens à saluer la politique en la matière. Je connais la volonté de Mme la ministre de poursuivre l’amélioration du référencement des sites officiels sur les moteurs de recherche, ainsi que les efforts de communication réalisés auprès du grand public.
Nos débats en commission ont permis d’aborder ces questions. Je suis heureuse qu’ils se soient déroulés dans un climat serein. Plusieurs collègues ont exprimé leurs doutes sur le calendrier et l’organisation de nos travaux, sur l’opportunité d’examiner un tel texte et sur les solutions susceptibles d’être trouvées. Comme cela a été dit en commission, même si le calendrier parlementaire est serré, ce sujet préoccupe un grand nombre d’entre nous depuis fort longtemps. Il n’est qu’à se référer au travail conduit par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en 2013.
En adoptant ce texte, la commission des affaires sociales a cherché à atteindre le même objectif que celui que vise le Gouvernement, à savoir faire progresser notre droit sur une question bien identifiée depuis maintenant plus de trois ans.
Dans le prolongement de nos discussions en commission, je suis certaine que nos débats en séance permettront de mettre en évidence les points sur lesquels nous nous accordons, s’agissant de la nécessité de légiférer et de trouver le meilleur moyen de faire avancer les travaux parlementaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi de 1975 a créé un droit : la liberté pour les femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse si elles le souhaitent. Aujourd’hui, aucun d’entre nous ne remet en cause ce droit.
La commission des affaires sociales a joué son rôle en travaillant sur le texte que nous examinons. La commission des lois, quant à elle, a tenté d’émettre un avis fondé en droit.
Une fois le droit à l’IVG reconnu par la loi de 1975, c’est la question de son effectivité qui s’est bien sûr posée assez rapidement. En 1993, un délit d’entrave a pour la première fois été introduit dans notre droit pour lutter contre les actions visant à empêcher le recours à l’IVG pour les femmes qui avaient fait ce choix. Ce délit a été étendu en 2001, puis une nouvelle fois en 2014. Aujourd’hui, il fait l’objet d’un ensemble de dispositions juridiques.
Ce délit d’entrave présente une caractéristique, madame la ministre : les actions répréhensibles ainsi visées se déroulent toutes dans l’enceinte des établissements pratiquant des IVG. La raison en est que ce délit a été instauré en 1993 sur le modèle, faute de mieux, de celui qui est prévu dans le code du travail. Ce qu’on nous propose aujourd’hui, c’est bien autre chose : c’est de créer un délit général d’entrave à l’IVG, non plus seulement au sein des établissements qui pratiquent cette dernière.
La commission des lois a essentiellement travaillé sur le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, modifié hier soir par la commission des affaires sociales, version sur laquelle nous devons également nous exprimer. Le texte voté par nos collègues députés encourt deux critiques essentielles : il est à la fois inconstitutionnel et inconventionnel, ce qu’a d’ailleurs reconnu hier Mme la rapporteur devant la commission des affaires sociales, parlant d’un texte « inintelligible », pour reprendre le mot même qu’elle a employé. Je suis bien d’accord avec vous, ma chère collègue.
Ce texte est inconstitutionnel pour deux raisons : non seulement il contrevient aux principes généraux du droit pénal – principe de clarté et d’intelligibilité de la loi, principe de proportionnalité de la peine –, mais encore il porte gravement atteinte au droit d’expression.
À cet égard, l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen garantit la liberté d’expression, qui constitue l’une des libertés les plus protégées dans notre système juridique. Pareillement, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté d’opinion et d’expression, et rappelle que toute opinion peut être exprimée même si elle choque et même si elle peut troubler. C’est là une liberté fondamentale, mère de toutes les autres libertés.
Par conséquent, le texte transmis par l’Assemblée nationale ne peut faire que l’objet d’un avis négatif de la part de la commission des lois pour les raisons que je viens d’indiquer, même si je reconnais que la commission des affaires sociales s’est astucieusement efforcée de trouver des solutions.
Madame la ministre, au cours des longs débats que nous avons eus ce matin en commission des lois, nous avons tous rappelé notre attachement à la loi de 1975. Nous sommes également convenus qu’il y avait sûrement un problème à régler, un problème grave et sérieux, mais qu’il fallait pour ce faire disposer d’un petit peu de temps. Aussi, nous ne pouvons que regretter les conditions dans lesquelles vous nous invitez à délibérer. (Mme la ministre s’étonne.) C’est vous qui avez engagé la procédure accélérée !
Nous avons pris connaissance de la position de la commission des affaires sociales ce matin, et la commission des lois a dû délibérer pour treize heures trente, ce qui est peut-être un peu rapide s’agissant d’une question aussi sérieuse, aussi profonde, sur laquelle beaucoup d’entre nous étaient probablement prêts à travailler pour trouver des solutions. De fait, nous n’avons pas pu aboutir.
Le texte adopté par la commission des affaires sociales, en maintenant ce délit d’entrave, porte nécessairement atteinte à la liberté d’expression ; c’est pourquoi la commission des lois a émis un avis défavorable. (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC et sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes. (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes avait vraiment à cœur de pouvoir exprimer son avis sur cette proposition de loi, parce que celle-ci touche à un sujet qui nous est cher, à savoir la défense de ce que l’on appelle les droits sexuels et reproductifs, dont l’interruption volontaire de grossesse fait partie.
C’est une question de fond, car la défense de ce droit est en réalité un prérequis de l’égalité. Contester le libre droit des femmes à disposer de leur corps, c’est fondamentalement contester le principe d’égalité entre les femmes et les hommes.
Nous avons d’ailleurs eu l’occasion, à de multiples reprises malheureusement, de réaffirmer notre attachement à ce droit face à la montée de contestations non seulement en France, mais surtout en Europe et au-delà. D’ailleurs, dans un rapport sur la laïcité adopté au mois de novembre dernier, nous appelions le Gouvernement à faire preuve de la plus grande vigilance dans les instances diplomatiques face à la remise en question de ce droit au nom du relativisme culturel.
Ce n’est donc pas un sujet mineur en droit et ce n’est pas un sujet mineur dans les faits. Je citerai juste un chiffre : dans un rapport publié en 2004, l’INED, l’Institut national d’études démographiques, indiquait que 40 % des femmes – 40 % ! – ont eu recours à une IVG au cours de leur vie. C’est par conséquent une question qui, potentiellement, concerne énormément de femmes dans notre pays.
Nous avions à cœur d’être saisis, parce que la volonté de lutter contre les sites visés a fait l’unanimité, non pas parce qu’ils expriment une opinion divergente, mais parce qu’ils reprennent tous les codes des sites officiels : un bandeau bleu-blanc-rouge, le renvoi vers un numéro vert. Sous couvert de donner une information neutre, ils délivrent en réalité une information orientée.
D’ailleurs, ce n’est pas un problème nouveau puisque le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dès 2013, avait rédigé un rapport très complet sur ce sujet – nous aurions donc pu en débattre bien plus tôt –, dans lequel il dénonçait l’existence de ces sites.
La délégation a estimé à l’unanimité qu’il fallait agir, prendre des dispositions législatives pour permettre au Gouvernement de lutter contre ces sites et, surtout, faire en sorte que les sites officiels retrouvent leur première place dans les moteurs de recherche.
Certains mettent en avant la liberté d’expression, mais ce n’est pas l’objet du débat puisque ce dont il est question en l’espèce, c’est le caractère volontairement trompeur de ces sites.
Par ailleurs, je voudrais rappeler cet arrêt rendu par la Cour de cassation en 1996 – nous l’avons mentionné dans notre rapport –, dans lequel la Cour indique que la liberté d’opinion et la liberté de manifester ses convictions peuvent « être restreintes par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d’autrui ». Il existe donc bien des limitations possibles à cette liberté d’expression.
En revanche, la délégation a regretté les délais forts contraints d’examen de ce texte et a émis quelques doutes, même si elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments, sur les outils juridiques mis en œuvre dans la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Nous n’avons pas pu nous exprimer très clairement sur ce sujet.
Nous avons donc formulé deux recommandations à l’attention du Gouvernement : d’une part, faire en sorte que les sites d’information sur l’IVG affichent clairement leurs intentions, par exemple qu’ils indiquent très clairement qu’ils ont pour finalité de proposer aux femmes une autre solution que celle de mettre fin à leur grossesse ; d’autre part, poursuivre les efforts entrepris pour que les sites officiels soient mieux référencés sur les moteurs de recherche.
Pour conclure, et en m’exprimant davantage à titre personnel, je remercie la rapporteur, Mme Riocreux, qui a tenté de trouver une solution répondant aux différentes interrogations exprimées, solution qui, je l’espère, recueillera l’assentiment de notre assemblée. Nous ne devons faire preuve d’aucune naïveté face à l’émergence de ces opinions qui se font de plus en plus entendre dans certaines associations, dans certains partis politiques et même dans certains débats, opinions selon lesquelles, au nom de la liberté de croyance, il faudrait parvenir à des compromis avec des droits que nous considérons comme des droits fondamentaux.
Dans tous les cas, les arguments qui sont opposés, au nom de la liberté d’expression, au nom de l’inefficacité des lois, tendent finalement à minimiser ces droits et donnent à penser que l’égalité pourrait être relative.
Si, au sein de cette assemblée, nous voulons être les dignes héritiers de Simone Veil, nous devons être à la hauteur du débat. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, instaurer un délit d’entrave à l’IVG ne va pas sans soulever de nombreuses interrogations.
Je pense que, dans cet hémicycle, nul ne peut me taxer de conservatisme.
Mmes Catherine Deroche et Isabelle Debré. C’est vrai !
M. Alain Milon. Au contraire, mes positions me valent parfois quelques discussions animées avec les collègues de ma famille politique et des attaques beaucoup plus virulentes de partis extrémistes…
Mes convictions personnelles et ma pratique médicale me conduisent à défendre tout ce que les progrès de la science apportent à la liberté individuelle.
Défendre une liberté, promouvoir un droit sans pour autant porter atteinte de façon insidieuse à un autre droit ou à une liberté : tel est le point d’équilibre que nous devons trouver en tant que législateur, équilibre essentiel au bon fonctionnement de nos sociétés démocratiques, à la fois si fragile et si indispensable. Ce point d’équilibre qui repose sur le besoin de se sentir respecté dans ses convictions et dans l’exercice de sa liberté ; ce point sur lequel repose notre contrat social, notre cohésion.
C’est bien là, madame la ministre, mes chers collègues, que repose toute la difficulté du texte proposé.
En effet, j’ai le sentiment que vous faites l’amalgame entre le fait d’empêcher la pratique de l’IVG et celui de diffuser des informations défavorables à l’IVG. Or il ne s’agit pas d’actes de même nature.
Par cette confusion, vous laissez entendre que s’opposer au délit d’entrave reviendrait à remettre en cause le droit à l’avortement. Si nous ne sommes pas là en face d’une manipulation et d’une désinformation… Cette manipulation-là relève-t-elle du délit d’entrave ?…
Mme Isabelle Debré. Très bien !
M. Alain Milon. Eh oui, madame la ministre, nous sommes bien face à une manipulation ou, pour le moins, face à une instrumentalisation de cette question essentielle pour le droit des femmes, à des fins peut-être politiciennes.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Alain Milon. En effet, pouvez-vous nous indiquer les raisons d’une telle urgence à légiférer ? Pouvez-vous évaluer l’incidence des réseaux en cause sur la liberté de choix des femmes ? Pouvez-vous nous exposer si l’influence de ceux-ci a augmenté dans de telles proportions qu’elle ait entraîné une diminution significative et corrélative du nombre d’IVG ces dernières années ?
M. Alain Vasselle. Excellente question !
M. Alain Milon. Pourquoi limiter ce délit d’entrave à l’IVG ? Est-ce le seul domaine où il peut y avoir de la désinformation et, si je vous suis, une pression psychologique telle qu’elle enfreint la liberté d’agir ? Pourquoi avoir rejeté les amendements que mon groupe avait proposés lors de l’examen du projet de loi pour une République numérique ? Pourquoi ce besoin, cette volonté de fragmenter plutôt que d’aborder la question dans sa globalité (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.), apportant ainsi des réponses à des situations différentes, mais issues de la même origine, en l’espèce la numérisation de nos sociétés, la multiplicité des sources d’information, la diversité des canaux d’information ?
Ce texte, objectivement, ne résoudra rien ; il ne sert une fois de plus qu’à rouvrir les plaies. Vous voulez sanctuariser par la loi des sanctions contre des agissements minoritaires et, ce faisant, une partie de notre société se sent stigmatisée.
Par ce comportement, vous cristallisez les tensions, vous les alimentez pour une satisfaction aussi immédiate qu’éphémère, une vision à très court terme. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
En effet, comment apporter la preuve irréfutable que la consultation des sites en question est l’élément déclencheur du renoncement au recours à l’IVG ? Au mieux, elle ne peut constituer qu’un élément supplémentaire dans une action en justice, mais je doute que cela n’aboutisse, ou alors nous entrerons dans une dimension très inquiétante de restriction dangereuse de la liberté d’expression.
D’ailleurs, n’existe-t-il pas déjà des instruments juridiques pour réprimer l’abus de faiblesse ou de situation d’ignorance ?
Évidemment, en contrepoint de cette proposition se dresse la liberté d’expression, inscrite à l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Madame la ministre, mes chers collègues, lors du vote de la loi Veil, le député catholique Eugène Claudius-Petit, qui ne fit jamais mystère de ses convictions, vota la loi en affirmant, entre autres : « Je lutterai contre tout ce qui conduit à l’avortement, mais je voterai la loi. »
Cette position justifierait-elle aujourd’hui, madame la ministre, la qualification de délit d’entrave ? Nous le constatons bien, à trop vouloir répondre aux questions de société, par définition complexes et transversales, au moyen de mesures spécifiques et parcellaires, on ne résout rien, on ne régule rien, on ne pacifie rien. Or l’une des missions de la loi et du droit est bien justement de réguler et de pacifier les relations sociales. Mais votre texte ne s’inscrit malheureusement pas dans cet objectif.
L’atteinte insidieuse que vous portez à cette liberté publique fondamentale ne risque-t-elle pas d’être le prélude à d’autres coups de boutoir ? Les bons sentiments ne suffisent pas à définir une politique.
Pour l’ensemble de ces raisons, qui tiennent tant au fond qu’à la forme, au degré d’imprécision, source d’insécurité juridique à venir, à la précipitation, qui fait de ce texte un texte de circonstance non abouti, et malgré les efforts louables de Mme la rapporteur, le groupe Les Républicains votera majoritairement contre cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, malgré les conditions d’examen peu propices à une analyse approfondie de cette proposition de loi, je veux souligner le respect qui a présidé à nos échanges au sein de la commission des affaires sociales. Je tiens donc à remercier le président de celle-ci, Alain Milon, la rapporteur, Stéphanie Riocreux, le rapporteur pour avis, Michel Mercier, et Chantal Jouanno, qui y ont chacune et chacun contribué.
Cela étant, de nombreuses évolutions ont eu lieu depuis la loi Veil du 17 janvier 1975 reconnaissant le droit à l’avortement, loi votée à la suite d’une forte mobilisation de femmes, de féministes et grâce à l’audace d’une femme politique.
Pour les membres de mon groupe, comme pour d’autres, ce droit est un droit inaliénable des femmes. Pourtant, il reste fragile et a dû, au cours des années, être renforcé, protégé, notamment à la suite des actions de commandos anti-IVG.
C’est ainsi qu’a été créé le délit spécifique d’entrave à l’IVG, par la loi du 27 janvier 1993, qui sanctionne le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une IVG en perturbant l’accès aux établissements de soins concernés ou en exerçant des menaces sur le personnel ou sur les femmes elles-mêmes. Ce délit est désormais puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Nous savons toutes et tous que la violence peut s’exercer physiquement, mais aussi moralement. La loi du 4 juillet 2001 a donc renforcé ce délit d’entrave à l’IVG non seulement en ajoutant la notion de pressions morales et psychologiques pour sanctionner les menaces et les actes d’intimidation, mais également en alourdissant les peines prévues.
Notre pays n’est pas le seul où l’interruption volontaire de grossesse est un droit régulièrement attaqué : je pense à l’Espagne et, plus récemment, à la Pologne, pour ne citer que des pays européens. Aussi est-il très important de faire évoluer la loi pour garantir plus et mieux ce droit pour les femmes.
C’est la raison pour laquelle nous avons soutenu, lors du vote de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, que soit encore élargi le champ du délit d’entrave en sanctionnant les actions qui viseraient à empêcher l’accès à l’information au sein des structures pratiquant des IVG.
De même, nous avons soutenu la suppression du délai de réflexion dans la loi de modernisation de la santé, véritable avancée pour les droits des femmes.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui prend en compte les nouveaux moyens de communication, en l’occurrence internet, pour étendre le délit d’entrave au domaine numérique, eu égard à l’existence de sites qui, en réalité, n’ont d’autre but que de dissuader des femmes enceintes de recourir à une IVG.
Ces sites internet, sous couvert d’aspects officiels, prétendent apporter une information neutre sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse alors que, en fait, ils font tout pour décourager les femmes de pratiquer un avortement.
Il est intéressant, par exemple, de constater que jamais ils ne donnent l’adresse de centres d’IVG. Le témoignage test de l’élue Les Républicains, Aurore Bergé, est en ce sens très éloquent.
En réalité, on est face à une entreprise de désinformation qui instrumentalise le désarroi de femmes, souvent jeunes, qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité. Car aucune femme ne prend la décision d’avorter le cœur léger !
Ce procédé particulièrement malhonnête peut avoir des conséquences très graves, les femmes perdant un temps précieux, pouvant se trouver ainsi hors délai.
De surcroît, les femmes qui se tournent vers internet, outre pour la rapidité de la réponse et la facilité de l’accès, le font aussi, car c’est une façon de préserver leur anonymat. Il s’agit, de la part de ces sites, d’un abus de confiance. Je le répète, ils avancent masqués, donnant à croire que les informations qu’ils délivrent sont objectives. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes l’avait d’ailleurs souligné dès 2013. Il est donc urgent d’agir.
Si les mouvements pro-vie ont toujours été présents dans notre pays, comme dans beaucoup d’autres, je suis inquiète de la teneur du débat qui secoue notre société. Des voix de plus en plus nombreuses à droite s’élèvent pour défendre une vision nataliste de la société au nom d’un modèle unique de la famille, s’en prenant de fait à l’avortement.
C’est le cas notamment du prétendant de droite à l’Élysée, incitant les femmes à la procréation et au retour au foyer plutôt qu’à l’émancipation. (Marques de réprobation sur les travées du groupe Les Républicains.) Ou bien encore du président de la Conférence des évêques de France, Mgr Georges Pontier, qui en a appelé directement à François Hollande pour qu’il s’oppose à cette proposition de loi, en dénonçant une atteinte « grave » aux libertés.
M. Loïc Hervé. Il a le droit de s’exprimer ! Ce n’est pas un délit d’entrave !
Mme Laurence Cohen. Cette démarche ne peut que nous conduire à nous interroger, quelle que soit notre sensibilité politique, quand on songe à un principe fondateur de notre République : la séparation entre l’Église et l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Cette vision a, hélas, traversé le débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale, où droite et extrême droite ont multiplié les amendements dans un climat détestable que je déplore, s’éloignant totalement de l’objet de cette proposition de loi.
En revanche, je ne confonds pas ces mauvais prétextes avec l’inquiétude de nombreux collègues concernant une possible remise en cause de la liberté d’expression.
Ainsi, le président du groupe Les Républicains du Sénat, Bruno Retailleau, a indiqué devant Public Sénat que « ce texte est contraire à la liberté d’expression et contraire à l’esprit de la loi Veil ».
Mais pour moi, il faut toujours contextualiser les actes ou les paroles que l’on analyse. Cette loi a été votée dans des conditions très difficiles et Mme Veil a dû mener un combat âpre dans son propre camp pour y parvenir. Impossible, par exemple, de déclarer, à l’époque, devant une majorité de députés réticents, voire hostiles, que l’avortement était un droit, ce qu’elle a pu faire, en 2007, dans un entretien au Point.
Je le répète, le présent texte ne remet pas en cause la liberté d’expression, car si tel était le cas, mon groupe ne le soutiendrait pas. Il remet en revanche en cause la manipulation des esprits par des sites de désinformation.
Il s’agit donc non pas de sanctionner un quelconque délit d’opinion sur internet ni de prévoir un contrôle de l’objectivité de l’information, mais de donner sa pleine efficacité à un délit existant.
Dans un premier temps, j’étais dubitative sur la nouvelle rédaction de l’article unique proposée par Mme la rapporteur. Mais après explication, notamment en commission voilà une heure, je pense que cette rédaction tient compte des doutes exprimés et du risque de censure par le Conseil constitutionnel, et ce dans l’intérêt des femmes qui cherchent désespérément des informations claires et objectives sur l’IVG.
Avant de conclure, je veux attirer votre attention, madame la ministre, sur le fait qu’il existe d’autres façons de sécuriser le droit à l’avortement. D’abord, donner des moyens aux centres de contraception et d’interruption volontaire de grossesse, dont cent trente ont fermé en dix ans. Aujourd’hui, en France, des femmes sont obligées d’aller à l’étranger pour avorter ! Je n’ai cessé de le dénoncer avec mon groupe. Malheureusement, ce n’est pas le chemin suivi par la loi de modernisation de notre système de santé ni par les différentes lois de financement de la sécurité sociale de ce quinquennat.
Ensuite, je regrette fortement que l’amendement que mon groupe et moi avons déposé, dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, visant à permettre aux centres de planification et d’éducation familiale de pratiquer des IVG chirurgicales ait été retoqué avec un avis défavorable de la commission et de la ministre, Marisol Touraine.
Enfin, au lieu de réduire les subventions aux associations qui se battent sur ce terrain, obligeant bon nombre d’entre elles à mettre la clef sous la porte, il faut doter davantage ces associations, tant sur le plan financier qu’en termes de ressources humaines.
Mais face à cette offensive de désinformation qui se joue sur internet, et parce que nous considérons l’avortement comme un droit inaliénable – notre famille politique propose d’ailleurs sa constitutionnalisation –, nous voterons cette proposition de loi visant à étendre le délit d’entrave à l’IVG. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon groupe votera le texte de la commission des affaires sociales, tout en exprimant des regrets sur le recours à la procédure accélérée, ainsi que sur le tempo : nous considérons en effet qu’il n’était pas très opportun d’engager ce débat quelques mois avant les échéances électorales, lequel méritait davantage de réflexion.
M. Alain Vasselle. C’est exact !
M. Jacques Mézard. C’est un sujet qui est toujours douloureux, qui mérite la sérénité, le respect des convictions et, bien sûr, le respect de la loi de la République. Mon groupe – cela fut très profondément et magnifiquement incarné par Henri Caillavet – a toujours été à la pointe de ces questions sociétales. Avec pour nous un objectif prioritaire : le respect de la liberté de chaque femme à disposer de son corps, quelles que soient sa situation de fortune et sa situation sociale.
Le devoir de l’État, c’est aussi de préserver la santé de chacune de ces femmes dans une situation qui n’est jamais un choix de facilité ; c’est toujours un moment difficile, sur le plan tant moral que physique.
Toute utilisation politicienne de ce qui est une épreuve me révulse.
Mme Jacqueline Gourault. Très bien !
M. Jacques Mézard. Chacun doit avoir le droit d’exprimer son opinion pour ou contre l’IVG, mais chacun a aussi l’impérieux devoir de respecter la loi de la République issue de ce qui restera dans l’histoire, dans cette enceinte comme à l’Assemblée nationale, la loi Veil.
Mes chers collègues, j’étais présent dans cette tribune le 13 décembre 1974, où j’écoutais tant la ministre Simone Veil que le rapporteur du projet de loi, le sénateur Jean Mézard. J’ai vu de près ce que furent les affrontements, les excès, parfois la violence des propos. Encore que le Sénat, avec une majorité des deux tiers, avait su montrer à l’époque, une fois de plus, sa capacité à intégrer les évolutions sociétales et le respect des libertés.
En 1979, et Gilbert Barbier, alors député, s’en souvient, le débat fut tout aussi rude.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Une partie minoritaire de l’opinion est toujours aussi déchaînée contre l’IVG. Et elle a le droit d’exprimer ses convictions, par essence respectables. Mais une minorité de cette minorité n’a jamais hésité à transgresser la loi, soit physiquement par des intrusions dans les hôpitaux et cliniques – d’où la loi de 1993 –, soit, comme elle le fait actuellement, en utilisant internet pour instrumentaliser la détresse des femmes.
Cher Michel Mercier, ce matin, vous avez pratiquement institutionnalisé la notion de droit au mensonge. Mais le mensonge en droit civil, c’est le dol, et en matière pénale, c’est l’escroquerie. Et lorsque le mensonge peut mettre en danger la santé de nos filles, de nos compagnes, notre devoir est de le combattre, sur internet comme ailleurs.
Oui, internet ouvre des perspectives nouvelles, mais comporte aussi des zones d’ombre et de danger. Alain Milon et moi-même avons été confrontés à ce fait lorsque nous rédigions le rapport de la commission d’enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé. Que des sites sur le cancer, par exemple, poussent nos concitoyens à ne plus se soigner, c’est criminel ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Et notre devoir est de mettre fin à ces pratiques !
Ce qui se passe aujourd’hui sur certains sites est déplorable, d’autant que les femmes qui sont trompées par ces informations fallacieuses ne bénéficient bien sûr sur le terrain, dans leur quotidien, d’aucun véritable soutien de ces donneurs de leçons de morale.
Nous voterons donc le texte de la commission, car il a une vertu : adresser un avertissement législatif à ceux qui font fonctionner ces sites. Mais il ne résout pas, tant s’en faut, tous les problèmes.
Je me souviens du rapport que l’Inspection générale des affaires sociales avait consacré à l’IVG en 1970. Madame la ministre, la situation n’a pas beaucoup évolué au cours de ce quinquennat.
Que constate-t-on ? Une diminution du nombre d’établissements pratiquant l’IVG, un éventail incomplet des techniques d’IVG dans les structures hospitalières, alors que le choix de ces techniques devrait relever des intéressées, après information, et aussi, il faut le dire, une faible attractivité de l’activité orthogénique chez les jeunes médecins.
Madame la ministre, mes chers collègues, notre pays se targue d’avoir un système de santé de qualité ; celui-ci doit permettre une application de la loi de la République sur tout le territoire, sans soumission à des choix budgétaires locaux ou à des positions personnelles, même respectables.
C’est le sens du combat que mon groupe a toujours mené et c’est la position que je tiens aujourd'hui à défendre, en son nom. Nous voterons par conséquent le texte de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le recours à une interruption volontaire de grossesse, pour une femme, constitue toujours un moment grave et douloureux, car cette décision renvoie à des choix de vie fondamentaux et à l’image que l’on a de soi. Dans tous les cas, il y a interrogations et souffrance.
L’IVG, qui concerne, chaque année, plus de 200 000 femmes en France, n’est jamais choisie de gaîté de cœur : c’est une solution de dernier recours.
Les débats au moment du vote de la loi Veil, en 1974, avaient bien montré à quel point l’interdiction de l’IVG laissait les femmes dans des situations inextricables, avec, souvent, la souffrance de devoir trouver, par elles-mêmes, des solutions pour interrompre leur grossesse, sans accompagnement médical lorsqu’elles n’avaient pas les moyens d’aller à l’étranger pour subir l’intervention dans de bonnes conditions sanitaires.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à trouver une solution à un nouveau problème, lié à l’application de cette loi.
Les femmes qui cherchent des informations sur internet sont souvent des femmes isolées, en situation économique, professionnelle ou familiale difficile, ou de très jeunes filles, peu ou mal informées, ne sachant pas vers qui se tourner, ne connaissant pas les réseaux susceptibles de les aider ou ne pouvant établir un contact avec eux.
Nous le savons bien, il n’y a pas encore, et de loin, égalité d’accès à l’information en matière de santé dans notre pays. Ce constat vaut également pour l’accès à l’information sur l’IVG. De ce point de vue, les pouvoirs publics et le Gouvernement doivent accentuer leurs efforts.
Pour autant, sur ce sujet délicat et sensible, chacun, chacune est libre d’avoir, en conscience, une opinion forgée sur ses convictions morales, philosophiques ou religieuses, et chacun, chacune a le droit de l’exprimer.
En aucun cas, cette proposition de loi n’est liberticide ! En aucun cas, elle ne tend à interdire ni à sanctionner l’expression libre et publique des opinions, dans toutes leurs diversités et par tous les moyens, concernant l’IVG. En revanche, elle vise à sanctionner ceux qui diffuseraient sur internet de fausses informations, des messages tronqués sur le sujet.
La loi prévoit déjà la sanction de l’entrave à la liberté de l’IVG dans deux autres cas. Mais avec l’avènement d’internet, de nouvelles difficultés surgissent, liées à l’activité de certains sites. Non seulement ceux-ci apparaissent bien souvent en tête des résultats des moteurs de recherche, parfois avant les sites officiels, mais, surtout, ils utilisent les mêmes codes couleur et les mêmes éléments de langage, ce qui donne l’illusion que leurs contenus sont objectifs et scientifiquement fiables. Or il n’en est parfois rien !
Certains sites avancent masqués ; ils diffusent de faux arguments, de fausses analyses ; ils mettent en place des standards téléphoniques, au travers desquels des opérateurs influencent les femmes qui appellent, ce de façon non objective, profitant de la situation de vulnérabilité et de doute qu’elles traversent pour les culpabiliser. De nombreux tests, qui en témoignent, ont été réalisés.
Le risque de délit d’entrave à l’IVG par voie numérique existe donc bel et bien.
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes soulignait déjà en 2013 que 57 % des femmes âgées de quinze à trente ans utilisaient internet pour s’informer sur leur santé. En outre, 80 % des jeunes ayant recours à internet pour des questions de santé estimaient que les informations qu’ils y avaient trouvées étaient crédibles.
Il s’agit donc bien de trouver une solution pour s’opposer à des atteintes à l’accès au droit et à la liberté de choix, pour s’opposer – ou essayer de le faire – à des tentatives de manipulation, d’abus de confiance à l’égard de personnes qui, à un moment de leur vie, sont particulièrement fragiles sur le plan psychologique.
Parce que, justement, ces personnes sont en état de fragilité et que la question est sensible, il nous semble être du devoir du législateur de prendre les mesures permettant de sanctionner cette diffusion masquée, faussement objective d’informations erronées d’un point de vue médical – donc de mensonges –, et ce, d’ailleurs, indépendamment du contenu de ces mensonges et de l’attitude à laquelle ils inciteraient.
Le législateur doit faire en sorte que des informations neutres, objectives, s’appuyant strictement sur les connaissances médicales puissent permettre aux femmes de choisir en toute liberté et ainsi leur garantir le droit de disposer librement de leur corps.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, si le texte n’est pas modifié à l’issue de nos débats, la grande majorité de mon groupe le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà tout juste quarante-deux ans, Mme Simone Veil, ministre de la santé centriste, défendait courageusement la loi sur l’IVG. Elle parlait alors de son « profond sentiment d’humilité […] devant l’ampleur des résonances que [ce texte suscitait] au plus intime de chacun des Français et des Françaises ».
Face à de nombreuses actions physiquement violentes des commandos anti-IVG, le législateur a créé un délit pénal spécifique d’entrave à l’avortement volontaire, l’assujettissant à des peines sévères pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement.
Aujourd’hui, je l’affirme clairement, il ne s’agit pas de revenir sur la loi IVG.
Madame la ministre, j’ai tant à vous dire que je n’ai pu vous dire lorsque le Sénat fut amené à rejeter l’amendement gouvernemental relatif au délit d’entrave numérique à l’IVG, déposé de manière soudaine et inattendue dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté !
À cette occasion, certains membres de la majorité gouvernementale s’indignèrent violemment et déclarèrent, de manière péremptoire, que cette décision du Sénat aurait découlé du poids de lobbies ou de l’expression d’une pensée dissimulée. Je le dis en cet instant, les sénateurs centristes ne sont soumis ni aux lobbies ni à la pensée unique ! La loi est la loi : elle doit être scrupuleusement respectée !
En outre, voir, au mois de septembre, le Sénat accusé d’attitude liberticide à propos d’amendements qui tendaient, enfin, à traiter les abus d’expression numérique et, au mois de novembre, le Gouvernement contrevenir à ces mêmes principes est pour le moins surréaliste et ironique.
Je veux rappeler que les amendements sénatoriaux sur le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, amendements dits « corbeaux numériques », avaient été initialement déposés devant la commission spéciale chargée d’examiner le texte par trois éminents collègues de la commission des lois : François Pillet, du groupe Les Républicains, Thani Mohamed Soilihi et Alain Richard, du groupe socialiste et républicain.
Votre présente préoccupation, madame la ministre, confirme avec force et pertinence la justesse de ces amendements, que vous n’avez pas soutenus.
Il existe aujourd’hui un vrai sujet d’expression sur internet, tout particulièrement en matière de santé, sujet qu’il est difficile d’occulter. Alors, madame la ministre, pourquoi refuser un débat général et en solliciter un en urgence sur la seule question de l’IVG ?
Il me faut également évoquer la bizarrerie et l’incongruité de recourir à la procédure d’urgence, peu compatible avec la rigueur du travail législatif. Nous en avons une fois de plus la preuve avec l’écriture improvisée de ce texte et la succession de tentatives de sécurisation juridique.
Hier, en commission des affaires sociales, une éminente collègue socialiste nous indiquait que l’intention de la majorité gouvernementale était surtout de donner un signe. Mais un signe à qui ? Un signe pour quoi ? Et un signe seulement ?
Le législateur n’est pas un lanceur d’alerte. Il n’est pas là pour donner des signes : il écrit la loi et garantit son applicabilité.
Pourquoi ce calendrier, alors que dès 2013, comme l’ont rappelé certains orateurs, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes émettait des préconisations ?
Pourquoi créer seulement en 2015 un numéro vert, alors que ce même Haut Conseil rappelait encore une fois, dès 2013, les circulaires des années 2000 réclamant la création de plateformes téléphoniques régionales et de lieux d’information et d’accueil ?
Le silence absolu, dans le présent texte, sur la volonté concrète du Gouvernement d’améliorer l’information et la prévention est également troublant.
Doit-on rappeler que l’IVG n’est pas un moyen de contraception ? Il faut le dire, si le recours à l’IVG est un droit, qu’il convient de respecter, nul ne peut oser affirmer qu’il s’agit d’un droit banal et anodin.
Comment ne pas s’étonner, madame la ministre, de votre indignation au sujet du référencement de certains sites qui seraient plus accessibles que les sites officiels ? S’ils sont plus performants, c’est que la communication officielle, a contrario, n’est ni adaptée ni efficace.
Comment peut-on croire que faire taire des communications contestables constituerait une réponse satisfaisante au regard du besoin d’information des femmes ?
Cette proposition de loi n’est pas une réponse. Elle n’est qu’un signal à ceux qui aiment le symbole et les gages, et ne s’adresse certainement pas aux plus faibles, aux femmes en détresse confrontées à une décision grave.
Si le Gouvernement fait preuve d’insuffisance en matière d’information et d’accompagnement, il est toutefois vrai qu’une question demeure, que nous ne fuyons absolument pas. Mais ne nous y trompons pas ! La question est de savoir non pas s’il est condamnable de tenir des propos défavorables à l’IVG sur des sites internet, mais si le fait de tenir des propos trompeurs visant à induire manifestement une femme en erreur sur les conséquences et la nature d’une IVG est répréhensible.
On ne peut assimiler une entrave violente, physique ou psychologique à l’accès à un centre et l’expression d’une opinion, aussi fausse fût-elle, sur un site librement consultable et consulté. La liberté d’expression est le socle de la démocratie et elle est aussi faite pour ceux dont nous ne partageons pas l’avis.
Enfin, la proposition de délit pénal se heurte au droit français et européen, comme l’a brillamment rappelé Michel Mercier. Elle est en contradiction avec la directive traitant des services de la société de l’information, avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’agissant de ses dispositions relatives à la liberté d’expression, ainsi qu’avec le contrôle de proportionnalité entre le but recherché et les moyens employés.
Mais si le principe de la liberté d’expression doit être garanti, obtenir des informations médicalement fiables sur l’IVG doit l’être tout autant, et parce que la dissuasion ne tient pas forcément à la pénalisation, je proposerai un amendement tendant à recourir à une condamnation civile très encadrée.
En conclusion, madame la ministre, je veux vous redire mon profond regret de voir que l’on recourt à la procédure d’urgence sur un texte relevant de la conscience, non du calendrier électoral ! Ce sujet ne saurait être mis au service de fins politiques !
Ce texte, j’en suis convaincue, est un signal illusoire, un gage politique masquant totalement l’insuffisance en matière d’information et l’imprécision sur le plan juridique.
Ramener le Parlement à avoir un rôle de lanceur d’alerte, c’est commettre une double faute : c’est laisser croire que, parce qu’on l’aurait nommé, on aurait résolu le problème – cela relève de la tromperie et de l’illusion –, mais aussi renier la nécessité de règles précieuses, respectueuses de la liberté d’opinion, dans une démocratie qui, sans règles, dériverait vers le totalitarisme.
Dire est utile, mais faire et pouvoir faire est essentiel à la crédibilité politique.
Je veux l’affirmer très clairement, madame la ministre, des sénateurs, soucieux de la question posée, vous adressent une proposition plus sécurisée et proportionnée, ce qui me permet d’envisager que les milieux autorisés renonceront à toute police de pensée, à toute tentative de nous caricaturer, de nous diaboliser par des propos moralisateurs et péremptoires. Le Sénat aura été force de propositions et, surtout, pourvoyeur de solutions.
Mes chers collègues, il n’y a ni « bien-pensance » ni « mal-pensance » ; il n’y a que conscience. Le sujet en appelant au plus intime de nos convictions, les sénateurs centristes s’exprimeront en conscience sur cette problématique. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour consolider le droit des femmes à l’interruption volontaire de grossesse, en protégeant plus efficacement ce droit contre les entraves dont il fait l’objet.
La proposition de loi de nos collègues députés, telle qu’elle a été amendée par la commission des affaires sociales, tend effectivement à actualiser et compléter les modalités du délit d’entrave à l’IVG.
Notre responsabilité, donc, est de rendre plus effectif encore un droit fondamental, celui, pour toute femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse, d’interrompre celle-ci avant la fin de la douzième semaine.
Dans notre pays, le droit à l’IVG est un droit à part entière : ce n’est ni un droit à part, ni une tolérance, ni une exception.
Étape après étape, depuis la loi Veil de 1975, notre législation s’est enrichie de nombreuses dispositions pour ancrer dans notre droit et rendre accessible à chacune cet acquis fondamental des femmes pour la maîtrise de leur fécondité et pour leur droit de disposer de leur corps.
Citons les textes les plus proches de nous.
La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a supprimé la notion de détresse qui caractérisait, dans la loi, la situation des femmes désireuses d’avorter, et étendu le délit d’entrave à l’information sur l’avortement.
La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a introduit plusieurs dispositions pour améliorer l’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire, en supprimant le délai de réflexion entre la consultation d’information et celle du recueil de consentement, en ouvrant aux sages-femmes la réalisation de l’IVG médicamenteuse et en chargeant les agences régionales de santé d’établir des plans régionaux pour l’accès à l’IVG.
À ces réformes, s’est ajouté le programme national d’action pour améliorer l’accès à l’IVG en France, présenté en 2015 par Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, qui a notamment renforcé l’information des femmes sur leurs droits, en créant un numéro national d’appel, en mettant en place le site ivg.gouv.fr et en déployant une campagne nationale d’information.
À ce stade de mon propos, permettez-moi, mes chers collègues, d’exprimer ma fierté d’appartenir à une majorité qui a, tout au long de la législature, agi avec constance et détermination, aux côtés du Gouvernement, pour garantir un meilleur accès à l’avortement, sur tout le territoire, aux femmes souhaitant interrompre leur grossesse, et cela sans jamais faiblir non plus dans la promotion de l’accès à la contraception.
S’il reste toujours à faire pour améliorer encore la situation sur le terrain, il faut souligner à quel point la somme des actions entreprises à tous niveaux pour rendre effective la liberté de choix des femmes est remarquable.
Aujourd’hui, nous devons continuer ! Car rendre le droit effectif, c’est aussi lutter, avec la même constance et la même détermination, contre les entraves au libre exercice de ce droit !
Qu’en resterait-il si on laissait des individus s’opposer à son libre exercice par la force, par des menaces, par des pressions ? Qu’en resterait-il si le fait d’être opposé à l’avortement par conviction autorisait à empêcher par tout moyen les femmes d’y recourir ou même de s’informer ? Qu’est-ce qu’une liberté individuelle si elle est à la merci d’entraves de plus en plus sophistiquées ?
Dès 1993, avec la loi Neiertz, le législateur a créé le délit d’entrave pour protéger la liberté de choix des femmes contre l’entrave inacceptable représentée, à l’époque, par les commandos anti-IVG qui sévissaient dans les établissements de santé, en en bloquant l’accès ou en exerçant des menaces ou des actes d’intimidation sur les femmes et les personnels.
Par la suite, la loi du 4 juillet 2001 a étendu ce délit aux « pressions morales et psychologiques », mais toujours à la condition que ces pressions soient exercées dans les établissements concernés par les actes d’IVG ou à leurs abords.
Enfin, la loi du 4 août 2014 a permis que puisse être sanctionnée l’entrave à l’information sur l’IVG, toujours au sein des établissements et centres d’information.
Le délit d’entrave par pressions morales et psychologiques, menaces et intimidations existe donc depuis 2001. Toutefois, selon la loi, ce délit ne peut être constitué que dans des lieux définis : des établissements ou centres délivrant des informations sur l’IVG.
Aujourd’hui, la situation est la suivante : les femmes qui viennent s’informer sur l’IVG dans les centres d’information ou dans les établissements de santé sont juridiquement protégées contre l’entrave, notamment contre les pressions psychologiques et morales, parce que le délit d’entrave s’applique dans ces lieux, mais celles qui recherchent des informations en ligne ne sont en rien protégées contre les pressions psychologiques et morales, les menaces et les actes d’intimidation.
Or qu’observe-t-on en matière d’information relative à l’IVG sur internet ? Que le délit d’entrave s’y répand, notamment au travers de sites diffusant des informations volontairement tronquées ou mettant en relation téléphonique des femmes en recherche d’informations sur l’IVG avec des personnes qui, sous couvert de les informer, vont exercer sur elles des pressions psychologiques, souvent insistantes. Ces pressions visent à contraindre et peuvent ainsi constituer une entrave au sens du code de la santé publique.
Les témoignages rendus publics au cours des dernières semaines, mais aussi ceux qui sont recueillis par le planning familial concordent : il existe un réel problème d’entrave par pression psychologique et morale, parfois même de harcèlement via des sites et numéros d’appel. Sont visées des femmes qui cherchent à s’informer et à entamer une démarche d’IVG, à exercer leur liberté de choix dans un délai contraint par le temps.
En outre, les expériences recueillies conduisent à penser que, au bout de la ligne, les interlocuteurs de ces femmes n’ont pas de formation médicale ni de formation à l’écoute, alors que certaines situations individuelles peuvent être particulièrement dramatiques. Je pense, par exemple, aux viols ou aux violences familiales.
Notre droit doit donc s’adapter à cette nouvelle modalité du délit d’entrave. Dès lors que l’on veut protéger le droit à l’information sur l’IVG, ce délit ne doit plus être limité à des lieux physiques, car l’information ne se délivre plus exclusivement dans ces lieux.
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous devons adopter le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales et proposé par Mme la rapporteur, que je félicite et remercie de son travail d’amendement.
Ce texte ne définit pas un nouveau délit d’entrave, mais reconnaît que les éléments de pressions morales et psychologiques, les menaces ou les actes d’intimidation empêchant l’accès à l’information peuvent être désormais commis « par tout moyen ».
Ce texte ne prévoit pas un délit spécifique à internet, mais il englobe nécessairement celui-ci. Internet n’est pas en effet une zone de non-droit et y recourir ne constitue pas une circonstance aggravante ; c’est une modalité parmi d’autres du délit d’entrave, tel qu’il est sanctionné dans notre droit.
Voilà pourquoi, au nom du droit effectif des femmes à disposer de leur corps, droit largement soutenu sur toutes nos travées, au nom du droit à ne pas subir d’intimidation, de pressions morales et psychologiques en vue d’empêcher ou tenter d’empêcher de s’informer et de recourir à l’IVG, le groupe socialiste et républicain votera le texte proposé par la rapporteur et la commission des affaires sociales, en se félicitant du travail accompli, une fois de plus, au service de l’émancipation des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise est le fruit d’un parcours législatif tumultueux, au cours duquel sa rédaction aura changé plusieurs fois.
En effet, le Gouvernement, par l’intermédiaire du groupe socialiste, écologiste et républicain à l’Assemblée nationale, a fait précipitamment déposer ce texte relatif à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, et ce après un rejet au Sénat de la disposition dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.
La rédaction initiale – première version – créait une troisième catégorie d’entrave à l’IVG, caractérisée par la diffusion par tout moyen, notamment par internet, d’allégations, d’indications ou de présentations faussées au sujet de l’IVG, et de nature à induire intentionnellement en erreur une femme, dans un but dissuasif, ou à exercer des pressions psychologiques sur celle-ci.
Résolument attentatoire à la liberté d’expression, ce texte n’était en réalité ni fait ni à faire !
Créant un délit d’opinion, il était manifestement contraire à la Constitution, ainsi qu’à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ses dispositions, imprécises et vagues, se heurtaient à plusieurs grands principes de notre droit, comme le principe de légalité des incriminations et le principe de nécessité et de proportionnalité des peines.
La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a, par la suite, modifié le texte.
La rédaction de cette commission – deuxième version – assimilait aux pressions, menaces et intimidations la mise à disposition d’informations fausses ou de nature à induire en erreur au sujet de l’IVG et de ses conséquences, dans un but dissuasif.
Là encore, on comprend la difficulté à qualifier de pression psychologique, de menace, d’intimidation le fait de mettre à disposition sur internet des informations fausses ou de nature à induire en erreur au sujet de l’IVG.
De plus, par la notion de fausseté des informations, les auteurs plaçaient les tribunaux dans une situation délicate, en leur demandant de prendre position sur des questions d’ordre scientifique.
Cette rédaction n’a donc pas permis à l’Assemblée nationale de remédier aux importants défauts du texte initial.
La commission des affaires sociales du Sénat, sur votre proposition, madame le rapporteur, a changé radicalement la rédaction de l’article unique de la proposition de loi, et ce pour la troisième fois.
Désormais – troisième version, plus light, pourrait-on dire –, le délit d’entrave sera constitué par le fait d’exercer des pressions morales et psychologiques, par tout moyen, à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur l’IVG.
Toutefois, cette énième version vide en partie le texte de sa substance et nous n’en voyons plus l’intérêt !
Bien plus, la rédaction changeante nous révèle que les auteurs et soutiens de cette proposition de loi ont conscience des problèmes soulevés par celle-ci, et peinent à concilier leurs objectifs avec le respect des libertés.
En réalité, le débat relatif à cette proposition de loi n’a strictement rien à voir avec l’interruption volontaire de grossesse : il concerne uniquement la liberté d’expression.
Qui plus est, le Gouvernement, par cette démarche législative, semble vouloir pallier ses propres manquements, en tentant d’introduire dans notre droit un dispositif bancal.
En effet, il existe de toute évidence d’autres moyens, outre la création d’un nouveau délit, pour favoriser l’accès des femmes à une information de qualité au sujet de l’interruption volontaire de grossesse, étant précisé que nous partageons le constat de la nécessité de cette information.
Ainsi, le Gouvernement pourrait agir afin d’améliorer le référencement des sites officiels d’information au sein des moteurs de recherche sur internet.
Je n’oublie pas les autres mesures qui pourraient être menées sur le terrain, où l’on voit l’État se désengager et, notamment, demander aux collectivités territoriales d’assurer financièrement le soutien à de nombreuses associations.
Premier point, notre assemblée n’a pas vocation à pallier l’insuffisance du Gouvernement.
Second point, notre assemblée n’a pas non plus vocation à s’engager dans une démarche qui serait purement symbolique et aurait pour seule finalité d’envoyer un signal à certains sites internet – ce n’est pas notre rôle.
Mes chers collègues, le Sénat a pour vocation d’être un législateur efficace et prudent, toujours soucieux de préserver un équilibre entre la sauvegarde de la liberté d’expression et la nécessaire répression de ses abus.
Notre rôle de législateur consiste donc, non pas à communiquer, ce que la majorité gouvernementale s’est employée à faire à longueur de textes depuis 2012 au travers d’articles inutiles, mais à agir avec sagacité et sens de l’intérêt général.
Le texte qui nous est soumis ne nous permet pas de procéder de la sorte. C’est pourquoi mon groupe le rejettera à une très large majorité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour moi et pour le groupe socialiste et républicain, les droits des femmes à disposer de leur corps et à prendre librement les décisions autonomes les concernant, sans crainte de coercition, de discriminations ou de violences, sont des droits fondamentaux, fruits de longs et difficiles combats dans la longue marche de l’humanité. Bien évidemment, ces droits fondamentaux supposent l’accès à une information objective.
Or, force est de le constater, la tentative d’entrave à l’IVG prend aujourd’hui de nouvelles formes sur internet, par l’entremise de sites qui se donnent l’apparence de sites officiels. Il s’agit d’induire délibérément en erreur, d’intimider, d’exercer des pressions psychologiques ou morales, voire presque de menacer, dans le but de dissuader des femmes de recourir à l’IVG.
Les faits sont là, n’en déplaise à certains, confirmés par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : on constate à l’heure actuelle une importante montée en puissance de ces sites portant atteinte au libre choix des femmes.
Ces sites visent notamment les jeunes femmes, les plus démunies ou les moins bien informées, souvent mineures et ne sachant à qui s’adresser. Qui donc parmi nous peut accepter cela ? Selon moi, désinformer, mentir, tromper pour imposer une grossesse à une femme qui n’en veut pas, car cela ne s’inscrit pas dans son projet de vie, c’est aussi une violence à son encontre.
En fait, la bataille de l’information sur l’avortement est capitale, essentielle.
Aux dires de certains, le texte que nous examinons remettrait en cause la liberté d’expression ou la liberté d’opinion. Cela n’a rien à voir ! Chacun a le droit d’être contre l’IVG et personne ne lui interdit de le dire ou de l’écrire. Pour autant, ce n’est pas parce qu’on a le droit d’être contre l’IVG que cela autorise à tromper, à mentir, à exercer des pressions, à désinformer, à intimider, sous couvert d’une information faussement neutre, ce pour dissuader les femmes d’y recourir.
Et là, il ne s’agit pas d’opinions librement exprimées ; là, l’objectif, c’est de restreindre les droits des femmes, c’est de les dissuader de recourir à l’IVG, c’est presque de les contraindre, par des intimidations morales, à se défaire d’une telle intention. Cela pourrait même être considéré comme un abus de faiblesse.
Faut-il dès lors pénaliser de tels agissements, de telles formes d’activisme ? Oui, bien évidemment ! On pourrait pénaliser les propos racistes, antisémites, l’incitation au suicide, l’homophobie, et l’on ne devrait pas sanctionner la diffusion de fausses informations sur l’IVG ou l’intimidation et le harcèlement dans le but de multiplier les entraves à ce droit fondamental qu’est l’IVG ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.) Oui, force est encore de le constater, la vigilance s’impose toujours et encore au législateur que nous sommes, car ce droit fondamental n’est, hélas, jamais définitivement acquis.
Remarquons-le : plusieurs pays européens ont essayé de remettre en cause ce droit. Constatons-le : en France, en 2016, quarante-deux ans après la loi Veil, les entraves au droit à l’IVG se multiplient. En France, en 2016, certains croient pouvoir continuer à imposer aux femmes ce qu’elles doivent faire, penser ou décider. Certes, en 2016, les commandos violents comme on en a connu voilà quelque trente ans ont disparu, et pour cause, puisque le délit que constituent leurs agissements est sévèrement sanctionné. Si le combat des commandos a changé de terrain et si les méthodes utilisées, plus sournoises, sont plus policées, les objectifs sont toujours aussi pernicieux.
En effet, lorsque les masques tombent, car ils finissent toujours par tomber, très vite sont révélées ces manipulations inspirées par un obscurantisme d’un autre âge, véritable propagande délictueuse, par laquelle on manipule la vulnérabilité et la détresse des femmes, l’objectif étant non pas d’informer, mais de tromper pour mieux dissuader et plonger les femmes dans une situation impossible.
Manipuler, tromper pour détourner les femmes d’une IVG, alors que ces femmes traversent des épreuves difficiles, alors qu’elles réclament de l’aide, des conseils, oui, c’est en quelque sorte un abus de faiblesse, et c’est tout simplement ignoble.
Dès lors, compléter la définition de l’entrave à l’IVG, comme il est proposé dans le présent texte, ce n’est pas revenir sur la liberté d’expression, ce n’est pas conduire à la censure de contenus en ligne, c’est tout simplement lutter contre les effets de la tromperie, de la manipulation, de la désinformation, et c’est surtout protéger les femmes, protéger leur droit de s’informer objectivement, donc protéger leur liberté contre l’activisme régressif engagé par un camp : le camp du recul. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Laurence Rossignol, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite répondre à un certain nombre d’interpellations et revenir sur différents arguments que j’ai entendus lors de cette discussion générale.
Tout d’abord, d’aucuns nous suspectent, voire nous accusent, de précipitation et d’arrière-pensées politiques. Le présent texte n’aurait-il donc pas pour seul objectif de protéger les femmes contre les allégations mensongères sur internet auxquelles elles sont soumises ?
Je vous le rappelle, cette discussion a déjà été esquissée en 2014, au moment où le Gouvernement a accepté, lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, d’élargir le délit d’entrave à l’entrave à l’accès à l’information sur l’IVG dans l’espace physique des services ou des lieux d’information à destination des femmes. Le Gouvernement avait alors choisi de mettre en place son propre site internet.
Plusieurs orateurs nous disent : « vous n’avez qu’à être aussi bons que les autres. » Tout de même, l’information, ce n’est pas la concurrence, la loi du marché ; ce n’est pas la jungle !
Effectivement, le référencement dépend de plusieurs critères, dont les moyens financiers qui y sont consacrés. À ce propos, les lobbies anti-IVG ont incontestablement des moyens financiers importants, et leurs sources de financement ne sont pas totalement transparentes. (Mais non ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le référencement dépend également d’aléas, comme le nombre de mots clés. Depuis la mise en place du site d’information ivg.gouv.fr, le Gouvernement travaille quasi quotidiennement afin que l’affichage de celui-ci figure en premier. Comme je le consulte chaque jour, je puis vous dire que parfois ce site apparaît en tête du moteur de recherche. Cependant, il suffit que, au cours de la nuit, se déroule une action militante pour que la position de sites de désinformation sur l’IVG gagne du terrain. Nous faisons donc tout ce qui est en notre pouvoir. Pour autant, je le reconnais, notre action ne suffit pas à garantir un affichage prioritaire systématique du site gouvernemental.
J’en ai donc conclu qu’il fallait prendre d’autres mesures pour éviter la propagation de tels sites, de plus en plus nombreux, qui se renvoient les uns aux autres, font référence à la détresse, à l’avortement. Et ayant été saisie par les femmes et les associations, c’est pour répondre à une sollicitation constante que je suis intervenue, sachant que la simple action sur le référencement présente un caractère aléatoire et non pérenne. Je ne me suis pas mis un jour en tête de mener une bataille sur l’IVG pour pallier l’ennui au Parlement. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le Gouvernement serait pressé, selon certains d’entre vous. Je vous le rappelle, je vous avais proposé de discuter de ce sujet dès le mois de septembre dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.
Mme Sophie Primas. Par le biais d’un simple amendement !
Mme Isabelle Debré. C’était un cavalier !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Vous auriez pu au moins examiner cet amendement, voire le rejeter, mais vous ne l’avez pas souhaité. Nous avons sans doute perdu un peu de temps… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Gournac. C’était un cavalier !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Par ailleurs, il suffit de lire les rapports du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et ceux des associations, de se pencher sur le travail des délégations aux droits des femmes au sein des deux assemblées pour savoir que ces sites internet posent incontestablement un problème d’accès à l’information. Mon seul objectif est d’y répondre.
À ceux qui pensent que la question aurait été entièrement réglée par une disposition législative en 1993 et que nous devrions nous en contenter, je répondrai, cela n’a échappé à personne, qu’internet n’existait pas à cette époque. Surtout, ceux qui se sont opposés, toujours en 1993, à la création du délit d’entrave contre les commandos anti-IVG dont les membres s’enchaînaient aux grilles des services utilisaient, mot pour mot, le même argument que celui que j’ai entendu la semaine dernière à l’Assemblée nationale et encore aujourd’hui au Sénat : l’atteinte à la liberté d’expression. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Exactement !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Je le constate, vingt-trois ans après, un consensus se dégage autour du délit d’entrave instauré en 1993. J’espère qu’il ne faudra pas vingt-trois ans supplémentaires pour obtenir un consensus sur le délit d’entrave version 2016 !
Je répondrai maintenant à certaines inquiétudes exprimées par un certain nombre d’entre vous, dont Mmes Cohen et Archimbaud et M. Mézard, sur les moyens à déployer pour mieux garantir l’accès à l’IVG. Le Gouvernement se désengagerait de son rôle de financeur des associations et des services et reporterait la charge sur les collectivités territoriales. C’est inexact ! Nous venons de signer la convention pluriannuelle d’objectifs avec le planning familial pour la période triennale 2016-2018.
Mme Sophie Primas. Cela tombe à pic !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Pardonnez-moi, ce n’est pas moi qui fixe les dates des conventions triennales ! En l’occurrence, nous avons augmenté de 28 % les subventions accordées au planning familial, précisément pour compenser le désengagement de certaines collectivités. À ce propos, je vous citerai le cas de la région Rhône-Alpes dont le président a annoncé très récemment qu’il diminuait de 30 % les subventions au planning familial, ou encore celui du conseil départemental de la Somme, qui vient de réduire de 50 % lesdites subventions en faveur de l’action du planning familial au sein du centre hospitalier universitaire d’Amiens. C’est donc bien plutôt l’État qui compense le désengagement de certaines collectivités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je m’adresse maintenant à tous ceux qui s’inquiètent du nombre d’IVG et de la prévention de celles-ci. Nous devons nous engager tous ensemble très fortement pour mettre en place, au sein de tous les établissements scolaires, des cours d’information à la sexualité et à la contraception. Je vous le concède, ce n’est pas suffisant. Au demeurant, lorsque nous devons discuter du rôle de l’éducation nationale sur cette question, ce sont ceux qui contestent aujourd’hui l’extension du délit d’entrave qui estiment, dans le même temps, que l’éducation à la sexualité relèverait, non pas de l’éducation nationale, mais exclusivement des familles.
Soyons cohérents : pour diminuer le nombre des IVG, il faut plus d’information sur la contraception au sein des établissements scolaires, et sous la houlette de l’éducation nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Alain Vasselle. Non, dans les centres de planning familial !
Mme Laurence Rossignol, ministre. J’aborderai enfin les questions juridiques et répondrai par là même à MM. Mercier et Milon.
Monsieur Milon, j’ai examiné comme vous l’abus de faiblesse et l’escroquerie. C’est tentant, d’autant que je me réjouis toujours de venir au Parlement, mais pour moi, le mieux est de trouver les solutions dans la loi en vigueur.
L’abus de faiblesse est le fait d’exploiter la vulnérabilité, la sujétion psychologique ou l’ignorance d’une personne pour la conduire à prendre des engagements dont elle ne peut apprécier la portée. Pousser quelqu’un à prolonger une grossesse ne peut être assimilé au fait d’inciter une personne à prendre un engagement dont elle ne peut apprécier la portée. Par conséquent, l’abus de faiblesse ne fonctionne pas.
L’escroquerie est le fait d’obtenir un bien ou de l’argent par une manœuvre frauduleuse. Le fait de pousser une femme à renoncer à une IVG ne me semble pas équivalent. Malheureusement, l’escroquerie ne fonctionne pas non plus.
C’est pourquoi le délit d’entrave a été créé, et il s’applique exactement à ce dont nous parlons aujourd’hui, à savoir limiter les activistes anti-IVG qui veulent exercer des pressions psychologiques sur certaines femmes, afin de les faire renoncer à leur décision.
En toile de fond, derrière ces agissements, on trouve l’idée qu’une femme décidant de recourir à une IVG et cherchant une information sur les conditions de cette interruption, comme le remboursement, aurait pris une décision légère, irréfléchie, insuffisamment mûrie, et que, en parlant avec elle, on pourrait peut-être la faire douter de cette décision et lui offrir une alternative à l’IVG, comme je l’ai souvent entendu. Je ne connais qu’une alternative à l’IVG, c’est la grossesse !
Mme Patricia Schillinger. Très bien !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Je conteste profondément cette idée selon laquelle une femme qui aurait pris la décision de recourir à l’IVG n’aurait pas déjà mûrement réfléchi et pesé en son for intérieur ce que signifie pour elle, à ce moment de sa vie, cette décision. La situation est différente pour chaque femme, chaque femme est unique et le recours à l’IVG n’est jamais vécu de la même façon : il n’existe pas plus d’assignation au traumatisme que de légèreté à l’égard de l’IVG. Chaque femme est différente, chaque IVG est différente. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
J’en viens à la constitutionnalité, que certains remettent en cause, de cette proposition de loi. Je vous rappelle que l’article unique de ce texte vise à modifier un article du code de la santé publique lui-même déjà conforme à la Constitution. Pour ma part, je suis infiniment plus prudente que vous, mesdames, messieurs les sénateurs : il n’est pas rare que Conseil constitutionnel prenne des décisions divergentes. Et le Conseil accepte les restrictions à la liberté d’expression dans un certain nombre de cas.
Cet article ne serait pas non plus conforme à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Or le comportement qui manifeste une volonté de faire obstacle à la liberté des femmes de subir une IVG constitue, pour nous, une infraction dont la pénalisation est compatible avec les articles X et XI de la Déclaration.
Le Conseil constitutionnel a pris bon nombre de décisions au sujet d’infractions considérées comme des délits d’expression et relevant du code pénal : la provocation au génocide, la provocation au suicide, les atteintes à la vie privée, l’atteinte à la représentation d’une personne, les provocations à l’égard des mineurs, la provocation à un attroupement armé, à la rébellion, au terrorisme, y compris le discrédit jeté sur une décision de justice. En ma qualité de ministre chargée des droits des femmes et de la protection de l’enfance, je pense que l’infraction que constitue le discrédit jeté sur une décision de justice est nécessaire pour le respect de la justice et la séparation des pouvoirs, même si elle porte atteinte à l’intime liberté d’opinion.
Pour toutes ces raisons, la disposition qui vous est proposée ne me paraît pas, contrairement à vous, inconstitutionnelle.
Quant à l’intelligibilité, le Conseil constitutionnel exige que les lois pénales soient précises. Or cet article tel qu’il est issu des travaux de l’Assemblée nationale est extrêmement précis, sans pour autant être moins intelligible, puisqu’il vise « des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ». Il pose beaucoup de conditions pour être conforme aux exigences du Conseil constitutionnel à l’égard de la loi pénale.
En résumé, pour ma part, je n’aurais pas la même assurance que vous pour me prononcer à la place du Conseil constitutionnel. Néanmoins, à mon sens, toutes les conditions sont réunies dans l’article tel qu’il résulte des travaux de l’Assemblée nationale pour que le Conseil considère qu’il n’est pas porté atteinte à la liberté d’expression.
En outre, je le dis depuis quinze jours, toute personne opposée à l’IVG, toute association, tout groupuscule, qu’il s’agisse des Survivants, d’AfterBaiz ou autres, pourra continuer de clamer haut et fort que l’IVG est un crime, que la conception commence dès que le spermatozoïde entame son trajet et qu’il est hostile à l’IVG philosophiquement.
En revanche, ces personnes ne pourront plus dire aux femmes qui pensent trouver des informations sur l’IVG, notamment sur le lieu et les conditions de l’intervention, en se rendant sur l’un de ces sites ou en appelant un numéro vert que l’IVG rend stérile, que toutes les femmes y ayant eu recours doivent ensuite recourir à la PMA, que tous leurs enfants seront traumatisés, y compris ceux qui naîtront après l’IVG. C’est de cela que nous ne voulons plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Je ne sais pas comment on peut encore soutenir aujourd’hui ces sites et favoriser leurs manœuvres toxiques et délétères, tout en se disant attaché au droit des femmes à disposer de leur corps. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse
Article unique
Le dernier alinéa de l’article L. 2223-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« - soit en exerçant, par tout moyen, des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues y subir une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. »
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, sur l'article unique.
Mme Fabienne Keller. Mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, mais permettez-moi quelques mots personnels.
Le procès de Bobigny puis la loi Veil sont à l’origine de mon engagement en politique. Alors adolescente, j’ai découvert que le combat politique pouvait changer la vie des femmes en les rendant libres et aussi responsables de leur choix.
Des textes successifs, en particulier la loi Neiertz de 1993, ont complété la loi Veil et assuré l’effectivité du droit à l’IVG, comme l’a rappelé Michel Mercier, en créant le délit d’entrave. L’enjeu de notre débat d’aujourd’hui est d’étendre le délit d’entrave à la réalité du numérique.
De quoi parle-t-on ? Imaginez que vous êtes une jeune femme entre seize et vingt-cinq ans. Vous venez de découvrir votre grossesse non désirée et n’osez en parler ni à vos parents, ni à vos proches, ni peut-être à votre ami. Le temps court, il vous reste quelques semaines, voire quelques jours, et vous cherchez de l’information. À ce stade, vous êtes dirigée vers un site qui, sous couvert d’un site institutionnel, défend en fait une thèse, vous donne des indications pouvant vous induire en erreur sur une IVG, crée une culpabilité à un moment où vous êtes en grande fragilité.
Quel est l’enjeu pour nous, mes chers collègues ? Nous cherchons à faire en sorte que la loi protège ces jeunes femmes durant cette période très sensible et que celles-ci puissent avoir accès à une information juste et équilibrée. Nous ne pouvons pas accepter l’idée que de tels sites les trompent, en avançant de manière masquée, en leur délivrant, sous couvert d’une information qui serait objective, une information biaisée.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Fabienne Keller. Notre mission est de permettre aux femmes d’avoir le choix, et ce de manière effective.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je soutiens cette proposition de loi qui vise à étendre le délit d’entrave au numérique. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, sur l'article unique.
Mme Nicole Bricq. Mes chers collègues, la commission des affaires sociales a travaillé sur ce texte à deux reprises. Malgré les brefs délais, je me suis adressée en son sein à la majorité sénatoriale, lui demandant d’abandonner les postures, de penser, comme Mme Keller, à ces jeunes femmes qui découvrent leur grossesse et qui, alors que la gestation est avancée, cherchent désespérément une solution. Faute d’avoir trouvé une écoute attentive à proximité, elles consultent des sites sur internet et sont l’objet de désinformation et de pressions par des sites qu’elles croient publics.
Mais je n’ai pas été écoutée. « Nous sommes là, non pour assurer la communication du Gouvernement, mais pour faire la loi », m’a-t-on répondu. Parlons-en ! Je n’avais pas perdu tout espoir que nous puissions nous comprendre, mais ce fut le cas lorsque j’ai entendu M. Milon nous accuser, alors qu’il n’est pas intervenu en commission, de désinformation et de manipulation. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce n’est pas acceptable, même si je suis habituée à la dialectique en politique.
Concernant l’inconstitutionnalité doctement soulevée par M. Mercier, au nom de la commission des lois, et le respect de la Convention européenne des droits de l’homme, Mme la rapporteur, Stéphanie Riocreux, a précisément cherché, au travers de son amendement que la commission des affaires sociales a adopté, un chemin juridique pour pouvoir discuter avec nos collègues de l’Assemblée nationale et avec le Gouvernement.
À partir de là, les sénateurs socialistes appartenant à la commission des affaires sociales, les sénateurs membres du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE souhaitent que le texte de la commission fasse l’objet d’un vote positif, car ils pensent, nous pensons à toutes ces femmes que je viens d’évoquer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article unique.
M. Yves Daudigny. Les sites que nous évoquons, très bien référencés et à l’apparence officielle, ne sont évidemment pas neutres. Ils agissent par persuasion intellectuelle ; ils sont militants. Ils instrumentalisent la vulnérabilité des femmes confrontées à une grossesse non désirée pour les convaincre de renoncer elles-mêmes à mettre un terme à celle-ci. Ils ne se bornent pas à exprimer une opinion.
La création du délit d’entrave a conduit ces militants à revoir leurs méthodes. Il est fait obstacle à l’interruption volontaire de grossesse non plus dans la rue en empêchant les femmes d’avoir accès à des centres de santé, mais sur internet. Les discours, en revanche, sont immuables, toujours aussi pernicieux, fielleux, calomnieux, des discours manifestement erronés, qui virent au harcèlement par textos, par mails, par appels continus. Le but de ces militants n’est pas d’informer ; il est véritablement de tromper. Il n’est pas inutile de rappeler que la plupart des jeunes qui ont recours à internet jugent crédibles les informations qu’ils y recueillent.
Quarante-deux ans après la loi Veil, la société doit accorder aux femmes le droit d’interrompre une grossesse dans la sérénité, en toute autonomie, sans pression ni entrave. Le recours à l’IVG est un choix douloureux, ambivalent, mais il demeure personnel. Il ne peut être éclairé que par ceux qui sont habilités à le faire – je pense au corps médical, au personnel paramédical et au planning familial – et non par des idéologues !
Face à la prolifération de ces sites, nous ne devons plus éluder notre responsabilité. Cette proposition de loi ne crée pas une nouvelle incrimination, mais a vocation à étendre celle qui existe déjà, pour s’adapter à de nouvelles pratiques et aux nouvelles technologies. Son adoption permettrait de combler un vide juridique qui empêche aujourd’hui le juge de sanctionner les pressions psychologiques organisées sur ces sites. Ce texte n’entame en rien la liberté d’opinion ni celle d’expression. Chacun est et reste libre d’affirmer son hostilité à l’avortement, sur internet ou ailleurs.
La liberté d’expression comme la liberté d’opinion constituent des droits fondamentaux à préserver. Elles n’autorisent toutefois ni la manipulation des esprits ni l’intoxication des jugements. Elles ne supposent pas un droit à l’imposture et au mensonge. Tromper délibérément des jeunes filles et des femmes, comme le font aujourd’hui les lobbies anti-IVG sur internet, ne doit pas être toléré. Il s’agit non seulement de démasquer ceux-ci, mais plus encore de les sanctionner. C’est bien là le sens de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, sur l’article unique.
Mme Catherine Génisson. Beaucoup l’ont dit, quand une femme fait le choix d’accéder à l’interruption volontaire de grossesse, elle prend une décision difficile et mûrement réfléchie. Nous avons ici à cœur de faire appliquer la loi de la République, en l’espèce la loi Veil de 1975.
Pour avoir accompagné comme praticien hospitalier bon nombre de femmes qui ont accédé à l’interruption volontaire de grossesse, je peux témoigner qu’aucune d’elles n’a dissimulé la difficulté de cette décision, qui doit impérativement être mise en œuvre avec toute l’humanité nécessaire.
Le délit d’entrave d’aujourd’hui n’est plus celui de 1993. Il est commis par des sites qui présentent des informations travesties.
Madame la ministre, vous avez indiqué que la liberté d’expression n’était pas un droit au mensonge. C’est vrai. La liberté d’expression est intangible, mais elle doit être assortie aussi du courage de l’expression. Chacun d’entre nous a le droit d’exprimer son opposition au principe de l’interruption volontaire de grossesse, mais doit le faire à visage découvert, et non avec duplicité, comme c’est le cas sur ces sites que, je le pense, nous condamnons tous.
Sans entrer dans des débats politiciens, le sujet qui nous occupe, Catherine Deroche l’a rappelé, aurait pu être traité dans le cadre de la loi Égalité et citoyenneté, mais le Sénat n’a pas voulu examiner l’amendement déposé à cette fin.
Mme Isabelle Debré. C’était un cavalier !
Mme Catherine Génisson. Il est donc absolument légitime que ce sujet fasse l’objet d’une proposition de loi.
Le problème qui se pose à nous est à mon avis celui de l’effectivité de notre proposition, et je voudrais à cet égard remercier chaleureusement la délégation aux droits des femmes et la rapporteur d’avoir essayé de trouver une solution à la question fondamentale qui nous occupe.
Nous voterons évidemment le texte qui nous est soumis et nous espérons que la commission mixte paritaire permettra de parfaire le système. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, sur l’article unique.
Mme Marie Mercier. Madame la ministre, mes chers collègues, médecin en exercice, je suis profondément attachée à la loi Veil. J’accompagne des jeunes filles, mais aussi des femmes. Nous en sommes tous conscients, l’IVG est un drame, une détresse, et laissera toujours une cicatrice indélébile.
Madame le ministre, vous l’avez rappelé, nous sommes en 2016 : l’accès aux sites pornographiques est extrêmement facile, mais l’éducation sexuelle est lacunaire et misérable. Dans les collèges, les infirmières ne disposent en effet pas toujours des moyens nécessaires s’agissant non seulement de la contraception, mais aussi, et c’est un point sur lequel j’insiste, de l’information sur la contraception.
Si pour ce texte, que nous avons examiné très rapidement, nous ne trouvions pas de chemin juridique, quelle image donnerions-nous aux femmes, aux jeunes filles ? Il aurait fallu plus du temps pour y réfléchir davantage : le sujet le méritait, pour la protection des femmes et des jeunes filles. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – M. René Vandierendonck applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, sur l’article unique.
M. Jean-Pierre Leleux. Sur ce sujet extrêmement compliqué, je veux simplement exprimer ce que j’ai dans ma conscience après avoir écouté ce débat.
La loi de 1975 crée un droit, que nul ne conteste ni n’a l’idée de remettre en cause. Elle ne prescrit pas un devoir, et, le corollaire d’un droit accordé, c’est le droit de ne pas l’utiliser.
Mme Catherine Génisson. Évidemment ! Et certaines grossesses aboutissent, heureusement !
M. Jean-Pierre Leleux. Entre le droit de pratiquer une IVG et celui dont dispose une jeune femme de ne pas l’utiliser, il y a tout l’espace de l’intimité et de la conscience, de la liberté de conscience et d’expression.
M. Philippe Kaltenbach. Quel jésuitisme !
M. Jean-Pierre Leleux. Dans ce contexte, il n’est pas illégitime que des sites internet se positionnent, les uns pour conseiller les femmes qui veulent accéder à l’avortement et d’autres pour accompagner celles qui ne le souhaitent pas, mais qui ont besoin d’écoute et de conseils.
Il faut sanctionner des sites outranciers,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
M. Jean-Pierre Leleux. … probablement, et même certainement, mais, dans la proposition de loi, rien n’est précisé sur l’autorité qui fera la distinction entre un site outrancier et un site dont l’objectif est d’accompagner une jeune femme…
M. Jean-Pierre Leleux. … en détresse devant cette situation, particulièrement quand sa famille n’est pas apte à le faire.
Qui fera cette distinction ? Est-ce le juge, l’État ?
M. Philippe Kaltenbach. Le juge !
M. Jean-Pierre Leleux. Qui, et sur quels critères ?
C’est dans cette ambiguïté que la liberté d’expression me semble, pour une part, menacée. C’est pourquoi la délibération accélérée dont fait l’objet ce texte, qui n’est pas mûr, me conduit, personnellement, à voter contre lui.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la ministre, je n’ai pas entendu dans cette enceinte, jusqu’à présent, de propos exagérés, ni de la part des uns ni de la part des autres.
M. Roland Courteau. Mais si !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je n’ai pas entendu de sénateurs du groupe Les Républicains affirmer que l’IVG pouvait entraîner une stérilité ! Personne n’a dit cela ici…
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. … et personne ici ne défend ce genre de sites, c’est une évidence, madame la ministre. Sauf que, si l’IVG n’entraîne évidemment pas la stérilité, quand il y a un accident, cela peut se produire…
Mme Évelyne Didier. Voilà une étrange conception des choses !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Des incertitudes pèsent sur ce texte, mais vous nous assurez qu’il serait légalement et techniquement impossible d’intervenir sans lui.
Je suis intervenu en commission sur le sujet à plusieurs reprises pour dire que je ne comprenais pas pourquoi on ne pouvait pas interdire certains types de sites, alors que, par ailleurs, on y parvenait concernant, par exemple, les sites pédophiles. Cela me pose un problème, qu’il soit technique ou légal ! J’espère que Mme Bricq m’aidera à comprendre…
Par ailleurs, madame Bricq, si par moment je me suis abstenu en commission, c’était, avec l’accord de Mme la rapporteur, tout simplement pour l’aider à porter son rapport et pour faire en sorte que l’amendement qu’elle avait présenté puisse passer et être intégré au texte que nous examinons en séance. Ne dites donc pas…
Mme Nicole Bricq. Vous allez donc le voter !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je ne suis pas intervenu quand vous avez tenu des propos un peu diffamatoires sur mon compte,…
Mme Nicole Bricq. Je n’ai fait que répéter ce que vous aviez dit ! (Chut ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. … mais, de toute évidence, vous ne savez pas vous taire, pas plus en séance qu’en commission, d’ailleurs. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Je comprends bien que vous n’ayez pas entendu ce que j’avais pu dire, puisque, que les intervenants soient du camp adverse au vôtre ou de votre camp, vous ne les écoutez pas ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par Mmes Gatel, Doineau et Billon, MM. Canevet, Capo-Canellas, Médevielle, Luche et Longeot, Mme Goy-Chavent et MM. Bonnecarrère, J.L. Dupont, Guerriau et Delahaye, est ainsi libellé :
I. – Rédiger ainsi cet article :
Après l’article L. 2223-2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 2223-2-…, ainsi rédigé :
« Art. L. 2223-2-… – Engage sa responsabilité civile toute personne physique ou morale qui crée un dommage à autrui, en diffusant ou transmettant publiquement par voie électronique, des allégations de nature à induire manifestement autrui en erreur, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse.
« Le juge peut, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures propres à faire cesser le comportement illicite. Ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.
« L’action en justice appartient à toute victime de ces allégations, ainsi qu’à toute association régulièrement déclarée depuis cinq ans à la date des faits, ayant, en vertu de ses statuts, vocation à défendre ou assister les femmes, qui en sont les destinataires. »
II. – En conséquence, rédiger ainsi l’intitulé de la proposition de loi :
Proposition de loi relative à la lutte contre les propos intentionnellement trompeurs tenus par voie électronique touchant à l’interruption volontaire de grossesse
La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. En préambule, je voudrais rappeler que la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Égalité et citoyenneté n’a pas refusé d’examiner un amendement, mais, au même titre que pour d’autres, a fait valoir l’impossibilité de le discuter en raison de sa nature de cavalier législatif.
L’amendement n° 2 rectifié bis présente la solution, madame la ministre, madame la rapporteur, que je vous propose. Il s’agit de reconnaître l’existence d’un délit potentiel, mais en le positionnant sur le plan civil et non pas sur le plan pénal, car, à mon sens, on ne peut pas assimiler des violences physiques imposées à une personne à une expression librement consultée sur un site.
Cet amendement vise à nous préserver des contradictions présentes dans ce texte, notamment en matière de liberté d’expression et de respect du droit européen.
Enfin, comme l’a recommandé la commission des lois, il tend à établir une proportionnalité des peines.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mme Jouanno, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article L. 2223-2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 2223-2-…. ainsi rédigé :
« Art. L. 2223-2-… – Est punie des peines prévues à l’article L. 2223-2 la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de présentations faussées ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse. »
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Cet amendement est différent du précédent, ce qui reflète les différences de positions au sein de notre groupe, en même temps qu’une volonté partagée de trouver des solutions.
Avec cet amendement, nous ne nous situons pas dans le cadre du délit d’entrave, mais proposons de créer un nouveau délit passible des mêmes sanctions. Nous utilisons une terminologie proche de celle du droit de la presse pour définir ce délit, lequel vise spécifiquement les présentations faussées, c’est-à-dire les sites dont la présentation est faussement officielle et qui, reflétant, certes, une opinion propre, orientent, sous prétexte de neutralité, des femmes qui pensent avoir affaire à un site officiel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Stéphanie Riocreux, rapporteur. Madame Gatel, vous proposez, par l’amendement n° 2 rectifié bis, une nouvelle rédaction de la proposition de loi afin de créer un régime distinct de la mise en cause dans le cadre de la responsabilité civile. En conséquence, vous sollicitez la modification de l’intitulé de la proposition de loi.
Le délit d’entrave à l’IVG par pression psychologique existe depuis 2001 et protège déjà les femmes qui souhaitent s’informer sur l’IVG en se rendant dans un centre habilité à réaliser cette intervention.
Nous avons fait le choix, hier, de préciser le dispositif existant plutôt que de créer de nouveaux régimes de mise en cause. Rappelons que, comme toutes les peines pénales, la peine prévue par l’article L. 2223–2 est une peine maximale et qu’il revient au juge de la moduler en fonction des circonstances et de la gravité de l’infraction.
Par ailleurs, il est déjà possible, pour toute personne qui porte plainte, de se constituer partie civile dans le cadre d’une affaire pénale.
Dans ce texte, l’expression en tant que telle n’est pas visée ; elle l’est seulement si elle constitue une pression psychologique visant à entraver un droit. Il serait donc sage de ne pas ajouter une nouvelle forme de mise en cause.
C’est pourquoi, par cohérence avec nos travaux de commission, je vous suggère de retirer cet amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
L’amendement n° 3, déposé par Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, vise à introduire un nouvel article dans le code de la santé publique afin d’étendre les sanctions prévues à l’article L. 2223–2 aux présentations faussées ou volontairement trompeuses sur l’IVG. Cet amendement tend donc à faire sortir du délit d’entrave la communication d’informations faussées ou susceptibles d’induire en erreur sur l’IVG, tout en conservant les mêmes sanctions.
La commission a fait le choix de préciser le dispositif actuellement en vigueur en matière de délit d’entrave. Nous estimons qu’il est préférable, pour la clarté du droit, de réunir l’ensemble des dispositions répressives relatives à l’entrave à l’IVG dans un article unique.
C’est pourquoi je propose le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, ministre. L’amendement n° 2 rectifié bis vise en réalité à dépénaliser ce que nous cherchons à pénaliser, à savoir l’entrave à l’IVG par le biais des sites internet et des informations en ligne ainsi que des numéros de téléphone vert, en en faisant non pas un délit, mais un acte relevant d’une amende civile.
Je salue votre contribution, par laquelle vous vous inscrivez dans notre démarche commune visant à limiter la nuisance de ces sites. Toutefois, elle me pose deux problèmes.
Le premier a trait à la cohérence juridique. Le délit d’entrave existant déjà, celui ou celle qui ferait pression sur une femme dans la salle d’attente d’un centre d’orthogénie ou d’une association s’exposerait à une sanction pénale, alors que le fait de le faire sur internet ou par téléphone ne serait puni que d’une sanction civile. Le délit existe : son auteur encourt des sanctions pénales, et il nous faut rester dans ce cadre.
Le second concerne la proportionnalité des peines. La peine prévue dans le code de la santé publique en matière de délit d’entrave est proportionnelle à la faute. Un délit d’entrave étendu relèvera exactement de la même peine.
L’avis du Gouvernement sur cet amendement est donc défavorable.
L’amendement n° 3 présente à mon sens un problème de rédaction.
Je suis moi aussi préoccupée par la constitutionnalité, et sur le plan du droit pénal, le juge constitutionnel est exigeant. Dans le texte de votre amendement, madame Jouanno, le « but dissuasif » disparaît. Or le caractère intentionnel d’un acte est une condition importante de la sécurité du droit pénal. Je ne suis donc pas certaine que cette rédaction soit plus efficace que celle de l’Assemblée nationale.
Cependant, comme il s’agit d’une rédaction en cours d’élaboration, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Je veux apporter un témoignage. Cette discussion me rappelle un des premiers débats parlementaires que j’ai eu à vivre : justement le débat sur la loi Veil. J’étais à l’époque un jeune député. Je me souviens que, ce qui nous avait amenés à voter ce texte – car je l’ai voté –, c’était le souhait de faire en sorte que les femmes soient complètement informées, à la fois de ce que pouvait représenter une IVG, des risques qu’elle pouvait leur faire courir et des possibilités qu’il pouvait y avoir, si elles en décidaient ainsi – sans pression –, de garder l’enfant qu’elles attendaient.
C’est bien le problème de l’information qui se pose. Il me semble que nous sommes engagés dans un débat un peu aventureux. Il existe d’un côté des sites qui se proposent de ne montrer que ce qui est négatif et dangereux, et qui, c’est vrai, peuvent être tentés de dissimuler leur visage, ce qui n’est pas honnête ; de l’autre, un besoin d’information.
On peut tout de même s’étonner, madame la ministre, que les gouvernements successifs n’aient pas tenu à disposer d’un site officiel présentant toutes les données du problème, d’une manière aussi honnête et exhaustive que possible. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques Legendre. Il existait d’autres moyens que de faire délibérer le Parlement sur ce point pour apporter cette réponse.
Je partage l’analyse de M. Leleux : nous allons trop vite et nous risquons de mélanger l’interdiction d’exprimer une opinion et la nécessité de délivrer une information claire et honnête. Je souhaite que l’on renvoie ce débat à un moment où l’on pourra l’aborder de manière plus complète et plus sereine.
En l’état actuel des choses, je ne voterai pas ce texte.
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. Des membres de notre groupe proposent deux amendements, démontrant ainsi que nous cherchons à faire progresser la réflexion et à proposer des solutions sur un sujet qui est bien réel.
Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des lois, a clairement rappelé que la loi de 1975 avait créé un droit, celui, pour chaque femme, d’être libre de pratiquer une IVG ou non. Le problème, on le connaît bien, c’est l’effectivité de ce droit et de cette liberté.
S’agissant d’internet, je ne crois pas à la pénalisation. Le débat revient presque tous les mois dans cette enceinte, sur de multiples sujets. Force est de constater qu’en l’état actuel de notre réflexion, nous ne sommes pas capables de proposer des solutions, parce qu’internet est un phénomène mondial qui se joue des réglementations locales, a fortiori des réglementations pénales. Internet est un vaste marché qui, malheureusement, n’est régi que par ce que certains appellent « les forces de l’argent ».
Nous proposons donc d’encadrer le champ de la responsabilité civile et de guider le juge sur ce chemin en lui donnant des instruments plus précis et en lui permettant, en particulier, de statuer par la voie du référé. Je vous demande vraiment, mes chers collègues, d’étudier avec beaucoup d’attention cette proposition, parce qu’elle est juridiquement solide, applicable et qu’elle peut produire des effets très rapidement.
En effet, non seulement les victimes pourraient saisir le juge – je mesure la complexité que cela pourrait représenter –, mais toute association constituée régulièrement jouirait également de cette faculté. Ce serait beaucoup plus efficace.
Telles sont les raisons pour lesquelles je demande à mes collègues de voter cet amendement n° 2 rectifié bis présenté par Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Mes chers collègues, nous allons devoir nous prononcer non pas sur le texte qui vient de l’Assemblée nationale, mais sur celui qu’a élaboré la commission des affaires sociales.
En commission des lois, nous nous sommes demandé si celui-ci allait être opérant, juridiquement parlant. C’est une des raisons pour lesquelles certains d’entre nous ont trouvé particulièrement intéressant l’amendement présenté par Mme Gatel, qui apportait une réponse rapide à la situation à laquelle nombre de femmes risquent de se trouver confrontées, puisque personne ici ne met en cause le droit qui leur a été reconnu en 1975.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, et le rapporteur pour avis, M. Michel Mercier, ont été très clairs. Dans sa rédaction actuelle, le texte de la commission des affaires sociales ne permettrait pas la caractérisation de la faute, rendant ainsi le dispositif inopérant.
Cela signifie que nous nous contentons d’une opération d’affichage, ou que nous exprimons la volonté de dissuader tous ceux qui seraient tentés de communiquer sur le sujet par internet, mais sans avoir l’assurance qu’une procédure judiciaire débouchera à terme sur une condamnation.
C’est une des raisons pour lesquelles je partage l’avis, exprimé par plusieurs d’entre nous, selon lequel travailler dans l’urgence sur un sujet aussi sensible et aussi complexe constitue une erreur magistrale. Jacques Legendre l’a rappelé, l’urgence, c’est d’attendre, afin que nous puissions approfondir les dispositions législatives les plus pertinentes pour atteindre votre objectif, ce que ne permettra malheureusement pas le texte dans sa rédaction actuelle.
Compte tenu, par ailleurs, de son caractère à la fois inconstitutionnel et inconventionnel, la commission des lois s’est majoritairement prononcée contre le texte de la commission des affaires sociales. Je me joindrai à ce vote d’opposition.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.
Mme Patricia Schillinger. J’ai écouté les arguments des uns et des autres, qui, souvent, vont plus loin que le texte. Aujourd’hui, nous devons voter un texte rédigé et adopté par la commission des affaires sociales. Le groupe socialiste soutient entièrement ce texte, justement amendé par Mme la rapporteur.
Je doute de la sincérité de certains ici qui veulent reporter le débat. Les associations « hors la loi » qui nous écoutent le font sans doute avec plaisir, car elles doivent avoir le sentiment qu’elles pourront continuer durant des semaines, voire des mois, à détourner de l’IVG toutes ces femmes « perdues ».
Nous sommes des législateurs, nous devons imposer un cadre et dire que cela suffit. Il nous revient de responsabiliser ceux qui, grâce à la nouvelle méthode des sites, propagent des informations mensongères.
Le groupe socialiste soutiendra la rapporteur et votera contre ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je remercie Mme la ministre de reconnaître que nous avons essayé de trouver une voie.
Mon amendement pose deux problèmes à Mme la ministre, mais la réponse de Mme la rapporteur m’en pose deux également !
La loi existante permettrait, selon elle, de reconnaître un délit. Dans ce cas, pourquoi fait-on une loi ?
En outre, Mme la rapporteur rappelle qu’un juge peut moduler la sanction. Toutefois, si l’on encourt une sanction pénale, c’est-à-dire une possible peine de prison, on peut moduler entre zéro et deux ans. En France, en se rendant coupable d’un délit d’entrave ciblé sur l’IVG, on risquerait donc la prison pour l’expression d’une opinion !
Je maintiens mon amendement, qui vise à trouver une voie sécurisée et non politicienne, tout en reconnaissant le problème existant.
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.
M. Hugues Portelli. Il me semble que la principale faute que pourrait commettre notre assemblée ce soir serait de terminer ce débat sans texte, en votant contre celui qui nous est soumis et donc en laissant pour seul document le texte voté par les députés. Nous sommes une grande majorité à penser qu’il est vraiment – je suis désolé, madame la ministre ! – contraire à la Constitution comme à la Convention européenne des droits de l’homme.
M. Hugues Portelli. C’est mon métier, et j’ai de bonnes raisons de croire que c’est le cas. Si vous lisiez la jurisprudence, vous le sauriez !
En revanche, le texte voté par la commission des affaires sociales supprime beaucoup des inconvénients du texte voté par les députés.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai.
M. Hugues Portelli. Même si je ne suis pas tout à fait d’accord avec ses dispositions, il est nettement meilleur.
M. Philippe Kaltenbach. Il faut donc le voter !
M. Hugues Portelli. Nous ne sommes pas encore prêts à voter un texte définitif, mais nous devons montrer notre bonne volonté et laisser les voies ouvertes pour qu’à l’occasion des lectures suivantes nous puissions améliorer ce texte et lui donner une tenue juridique un peu plus sérieuse.
M. Philippe Kaltenbach. C’est une position raisonnable.
M. Hugues Portelli. Je voterai donc le texte de la commission des affaires sociales, même si je sais qu’il n’est pas parfait. Au moins, il évite des erreurs juridiques graves et laisse la porte ouverte à des améliorations futures.
De toute façon, madame la ministre, si par malheur les députés revenaient à leur texte initial et le votaient – c’est leur droit, puisqu’ils auront le dernier mot –, le Conseil constitutionnel et nos juridictions de droit commun, quand nous serons amenés à travailler sur les décrets d’application, nous diront qui avait raison sur le plan juridique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je partage en partie ce que notre collègue vient de dire. Je crois que nous avons toutes et tous essayé d’améliorer le texte de l’Assemblée nationale pour permettre aux femmes qui cherchent des informations fiables sur les conditions de l’interruption volontaire de grossesse d’en trouver.
Monsieur Vasselle, les arguments d’autorité que vous assénez me semblent extrêmement présomptueux. À vous seul, vous avez l’air de représenter le Conseil constitutionnel. C’est tout de même un peu fort !
Par ailleurs, nous ne cherchons pas à favoriser les poursuites pour délit d’opinion, mais à sanctionner la désinformation voulue. Or la modification apportée par la rapporteur est de nature à sécuriser la proposition de loi, raison pour laquelle, je l’ai dit, le groupe communiste républicain et citoyen y est favorable.
Permettez-moi de vous faire part de mes interrogations concernant l’amendement présenté par Mme Gatel. Je ne porte pas de jugement, et j’observe qu’il procède d’une volonté d’essayer de trouver une solution, mais j’ai sous les yeux un communiqué de presse publié par les sites intentionnellement malhonnêtes qui ont été mis en cause par des orateurs sur différentes travées – ivg.net, sosbebe.org, etc. –, dans lequel ces derniers se réjouissent de l’amendement de Mme Gatel. Cherchez l’erreur ! (Mmes Nicole Bricq et Patricia Schillinger opinent.)
L’amendement de Mme Gatel n’est pas de nature à répondre à la problématique, et c’est pourquoi il me semble préférable de sécuriser la proposition de loi en votant le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ce matin, la commission des affaires sociales a auditionné le futur président du CCNE, le Comité consultatif national d’éthique. Le climat était serein, constructif. Cet après-midi, en séance publique nous entrons, si je puis dire, dans les travaux pratiques, sur un sujet important qui en appelle à la conscience de chacun.
Oui, il y a un sujet d’éducation sexuelle. J’ai pu le constater en visitant le centre du service militaire volontaire de Montigny-lès-Metz, dont la caporal-chef me disait qu’elle devait elle-même revenir sur les fondamentaux, car les jeunes filles de dix-huit, dix-neuf ou vingt ans ne les connaissent pas forcément.
Un problème est posé, mais le texte n’y répond véritablement ni dans la version issue des travaux de l’Assemblée nationale – Mme la rapporteur l’a dit dans son intervention – ni dans la nouvelle rédaction proposée par la commission des affaires sociales qui, malgré les efforts de notre rapporteur, n’est pas réellement opérationnelle.
Dans cette nouvelle version, l’on comprend bien que « par tout moyen » vise, notamment, le téléphone. Mais les conversations n’étant pas enregistrées, comment prouver une volonté d’entrave ?
La question qui me taraude est celle de l’effectivité. J’ai rejoint cette assemblée depuis seulement deux ans, mais j’ai pu observer combien elle avait à cœur de légiférer avec sagesse, sans la pression de l’actualité qui s’exerce à l’Assemblée nationale et dans sa salle des Quatre colonnes.
À cet égard, l’argumentation développée par Michel Mercier en commission comme dans cet hémicycle me paraît particulièrement pertinente. Rappelant l’évolution du délit d’entrave, il a montré que ce texte introduisait une rupture par rapport au délit d’entrave tel qu’il a été conçu initialement, c'est-à-dire en lien avec un établissement.
Certes, le contexte évolue, mais nous sommes dans un monde complexe qui appelle une réponse forcément complexe. Gardons-nous d’essayer à tout prix d’apporter l’apparence d’une solution en votant un dispositif qui ne serait pas opérationnel.
Je ne voterai pas le texte, et je pense que notre assemblée s’honorerait si elle choisissait de poursuivre ultérieurement le débat, avec toutes les parties prenantes, afin de trouver une réponse précise, adaptée et effective.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Il n’y a pas un texte meilleur ou plus mauvais que l’autre. Le texte adopté par l’Assemblée nationale et celui que propose la commission des affaires sociales ont des objets différents.
Le texte de l’Assemblée nationale porte sur les sites internet. Le texte de la commission des affaires sociales ne porte pas sur les sites internet, mais simplement sur des actions qui visent, par menace, pression ou intimidation, à dissuader d’avorter, quel que soit le lieu de ces actions. Ce sont deux sujets différents.
Le Gouvernement nous dit vouloir viser les sites internet. Pourtant, il se rallie à une proposition faite par la commission des affaires sociales qui ne les vise nullement. Il faut choisir : soit on veut viser les sites internet, et alors il faut opter pour le texte de l’Assemblée nationale ou l’une de ses variantes – je salue la créativité juridique de Mme Gatel, notamment –, et alors on se heurte à une difficulté juridique constitutionnelle ou conventionnelle qu’il est en notre pouvoir, à nous, sénateurs, d’abolir ; soit on rentre dans un débat sur les pressions, intimidations et menaces de toute nature, en tout lieu, à tout moment et par tout moyen qui peuvent dissuader une femme de recourir à l’IVG, mais c’est alors un tout autre débat.
Je partage le sentiment de beaucoup de mes collègues que, dans de telles conditions d’improvisation, une telle législation a de fortes chances de rater sa cible. Ce qui nous a différenciés dans tout ce débat n’est nullement le fond du problème, c'est-à-dire l’accès à l’IVG, mais une discussion sur le droit. C’est la noblesse de notre assemblée de se prononcer en droit. Le rapporteur pour avis de la commission des lois et le président de la commission des affaires sociales l’ont fait, et je crois qu’il faut nous tenir à cette approche.
Pour cette raison, je ne souscris à aucun des amendements proposés et je voterai contre la proposition de loi dans sa version retenue par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.
M. Michel Raison. J’ai bien entendu toutes les explications de vote sur l’amendement n° 2 rectifié bis. Bien que, par certains aspects, il puisse sembler contestable sur le plan juridique, pour ma part je le voterai.
Je tiens à dire que personne n’a jamais remis en cause l’IVG au sein de notre groupe.
Madame la ministre, je note que le site du ministère de la santé ne met pas assez l’accent sur ce qu’est réellement l’IVG. Des psychiatres m’ont affirmé que l’on peut constater, trois, quatre, cinq ans après, des déprimes graves liées à une interruption de grossesse. Il faut souligner que l’IVG n’est pas un acte anodin, que c’est quelque chose de grave et que ce n’est pas une méthode de contraception.
Cela n’enlève rien à mon opposition aux sites mensongers derrière lesquels des associations anti-IVG se masquent et contre lesquels il faut en effet que nous luttions, raison pour laquelle je voterai l’amendement de notre collègue Françoise Gatel.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Permettez-moi d’insister sur le fait que nous avons eu trois versions successives du texte, et même une quatrième avec l’amendement de Mme Gatel. Cela montre bien dans quelle précipitation l’on nous demande de légiférer et les difficultés de s’exprimer de façon claire par rapport au problème que posent ces sites internet. On ne peut pas en toute responsabilité dire qu’une version est meilleure que l’autre.
Par ailleurs, je ne partage pas du tout l’avis de notre collègue Hugues Portelli, qui préconise que nous adoptions le texte de la commission des affaires sociales parce que, finalement, il n’y a rien dedans. Ce n’est pas ce que nous souhaitons !
La majeure partie de notre groupe demeure sur notre position initiale : toutes les versions successives ont leurs inconvénients, que Michel Mercier et Philippe Bas ont très bien montrés, et elle votera contre chacune d’elles.
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. À ce stade du débat, je crois que l’on peut noter qu’il y a des points de convergence sur toutes les travées.
Le premier est que l’IVG est un droit, et que ce droit doit être maintenu. Le deuxième est que nous sommes tous attachés à la liberté d’opinion, et que personne ne saurait la remettre en cause. Enfin, le troisième est que nous sommes tous d’accord pour dénoncer les actions, que l’on peut qualifier d’escroqueries intellectuelles, entreprises à partir de sites internet auprès de personnes en situation de grande fragilité pour les amener à changer leur choix initial.
Ce n’est certes pas facile, mais, puisque nous sommes d’accord sur le constat, nous devons collectivement trouver une solution pour lutter contre les actions inacceptables de ces sites qui utilisent le contact créé par internet pour faire pression sur des femmes en détresse par des appels téléphoniques, des SMS ou des mails.
L’Assemblée nationale a proposé une solution que nous jugeons juridiquement dangereuse et susceptible d’être censurée par le Conseil constitutionnel. La commission des affaires sociales et la rapporteur ont fait une nouvelle proposition qui permet, me semble-t-il, de lever ce risque d’inconstitutionnalité tout en apportant une solution à une grande partie du problème soulevé par ces sites.
Alors qu’aujourd'hui le délit d’entrave ne s’applique que lorsque les personnes font pression physiquement dans les centres qui pratiquent l’IVG, la rédaction de la commission permettra à la justice d’intervenir en cas de pressions psychologiques par téléphone, par mail ou par SMS. C’est déjà un progrès considérable.
Je souscris pleinement à l’argumentaire de notre collègue Hugues Portelli. Si nous voulons lutter contre les personnes qui cherchent à utiliser la détresse des femmes pour faire passer des messages, nous devons voter le texte issu des travaux de la commission.
Les amendements nos 2 rectifié bis et 3 sont contradictoires. La logique veut que nous les rejetions afin de soutenir la position de la commission des affaires sociale, ce qui permettra de continuer le débat. (Mmes Nicole Bricq et Patricia Schillinger applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Évelyne Yonnet. Je remercie Mme la rapporteur d’avoir essayé de trouver le meilleur compromis.
Notre rôle, en tant que législateur, est de protéger les plus faibles, de leur donner une information correcte, droite et utile.
Nous ne traitons pas seulement des sites internet, mais également de l’entourage de ces femmes. Personne n’en parle ici, mais « par tout moyen » renvoie également à cela.
La désinformation a pour conséquence, mes chers collègues, que des enfants mort-nés sont trouvés dans les poubelles, que des infanticides de plus en plus nombreux sont commis, par des hommes comme par des femmes, d’ailleurs.
Nous ne pouvons pas laisser la situation en l’état. Il nous faudra légiférer non seulement sur l’IVG, mais également sur la santé, sur les sites djihadistes, sur les jeux qui mènent des enfants au suicide. L’information doit être précise, et elle doit être la meilleure possible pour que la personne puisse juger et faire son choix elle-même ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. L’existence de sites internet qui portent des propos mensongers, trompeurs et qui peuvent amener à de mauvaises décisions est un sujet qui nous préoccupe tous. Il est essentiel de réagir.
Nous sommes tous d’accord sur le constat. Il faut trouver les bonnes solutions. Seules les rédactions que visent à introduire les amendements nos°2 rectifié bis et 3 ouvrent des possibilités d’application. Les autres versions sont inapplicables : on ne mettra jamais en prison quelqu’un pour un délit d’opinion, d’autant qu’il faudra – à juste raison – apprécier s’il y avait une volonté de nuire.
Pour ces raisons, je voterai l’amendement n° 2 rectifié bis.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Laurence Rossignol, ministre. Monsieur Legendre, vous avez invité le Gouvernement à délivrer lui-même une information fiable. Il le fait déjà via le site d’information ivg.gouv.fr, qui relève des sites des ministères chargés des affaires sociales. Vos vœux sont donc déjà exaucés depuis trois ans.
Mais je voudrai revenir sur le débat juridique. Monsieur Portelli, je respecte par principe les agrégés de droit public lorsqu’il s’agit de débats touchant au droit constitutionnel. Pour tout vous dire, j’en fréquente beaucoup en ce moment à propos de ce texte, et pas un de ceux que j’ai sollicités n’a eu autant d’assurance, dans un sens ou dans l’autre, que vous n’en avez eu tout à l’heure.
J’observe également que je dois être devant une assemblée d’agrégés de droit public. Tout le monde sait que c’est inconstitutionnel… Monsieur le sénateur, vous avez passé suffisamment de temps à analyser et à confronter les décisions du Conseil constitutionnel, en vous demandant sans doute s’il s’agissait de revirements ou de décisions d’espèce, pour savoir que, a priori, on ne peut que tenter de déduire de ses décisions précédentes ses positions.
En l’occurrence, nous savons que le Conseil constitutionnel admet l’encadrement de la liberté d’expression et d’opinion sous une série de conditions. Pour ma part, c’est avec modestie que j’avance que, dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, ces conditions seraient remplies. Je ne suis pas le Conseil constitutionnel, et vous me concéderez que ses décisions nous ont souvent surpris. Je suis donc prudente.
Je dis « seraient remplies » en m’appuyant sur un certain nombre de ces décisions du Conseil constitutionnel et sur le fait que le délit d’entrave existe déjà.
À cet égard, on me permettra de rappeler à plusieurs orateurs que nous ne créons aucune peine nouvelle. Nous n’allons pas subitement emprisonner les gens pour délit d’entrave ! Le délit d’entrave est d’ores et déjà défini à l’article L. 2223-2 du code de la santé publique, article qui n’a pas encore fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité.
L’avantage du délit d’entrave est d’être dissuasif. Depuis sa création en 1993, il a permis de mettre un terme à des pratiques que nous voulions faire cesser. S’il y a eu quelques décisions pénales, la peur du gendarme a très bien fonctionné.
Monsieur Bas, je vous écoute toujours avec beaucoup de respect et d’attention.
M. Philippe Bas. Merci !
Mme Laurence Rossignol, ministre. Vous avez déclaré que le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale porterait uniquement sur les sites internet. Il porte, je vous le redis, sur les sites internet et sur « tout moyen » de communication au public, notamment sur les numéros verts dont ces sites internet font la promotion. Ce sont ces numéros qui permettent de nouer le dialogue par lequel la pression sur les femmes s’exerce. Comme je l’avais dit à l’Assemblée nationale, avec ce texte les associations pourront faire du testing et engager une action contre ces sites internet et les numéros verts.
La rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales vise à positionner différemment le premier alinéa dans l’article L. 2223-2 du code de la santé publique. Je n’y vois aucun inconvénient.
En adoptant cette rédaction, le Sénat manifesterait la même volonté que l’Assemblée nationale de réguler ce qui se passe sur ces sites et sur ces numéros verts et de protéger les femmes contre ces informations mensongères.
Pour autant, je ne partage pas l’idée que la rédaction de l’Assemblée nationale serait plus dangereuse constitutionnellement.
En conclusion, je veux redire que nous ne voulons pas fermer ces sites internet, comme je l’entends trop souvent, alors que nous voulons simplement les poursuivre quand ils donnent volontairement des informations fausses dans l’intention de dissuader les femmes de recourir à une IVG. Ils pourront continuer d’exister et de délivrer leur propagande, leurs opinions et tout ce qu’ils pensent – du mal ! – de l’IVG.
M. le président. Avant de mettre aux voix les amendements nos 2 rectifié bis et n° 3, je vous rappelle, mes chers collègues, que l’adoption de l’un ou l’autre de ces amendements vaudrait adoption de l’ensemble de la proposition de loi.
Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié bis.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission des affaires sociales, l'autre, du groupe de l'UDI-UC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 72 :
Nombre de votants | 326 |
Nombre de suffrages exprimés | 307 |
Pour l’adoption | 36 |
Contre | 271 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Madame Jouanno, qu’en est-il de l'amendement n° 3 ?
Mme Chantal Jouanno. Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une volonté partagée de compromis autour de ce texte. Par conséquent, je le retire, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.
L’amendement n° 1, présenté par Mme Laborde, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
par tout moyen
insérer les mots :
ou sur tout support de l’écrit, de l’oral, de l’image ou du numérique
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Cet amendement, conçu comme un amendement de précision, vise à renforcer le dispositif de la proposition de loi en donnant une définition plus explicite de son champ d’application : les nouvelles technologies numériques et les nouveaux supports nomades d’information, qui se développeront davantage encore à l’avenir et dont nous ne pouvons pas aujourd’hui soupçonner tous les usages futurs.
Toute personne a le droit d’accéder à une information scientifique en matière de santé, sexuelle et reproductive, mais doit disposer d’un recours en cas d’information erronée diffusée sur ces nouveaux supports. Or la multiplication de ces derniers, notamment numériques, accélère de jour en jour la circulation des informations. Notre législation doit être adaptée pour lutter contre la propagation de la désinformation au même rythme et pour combler le vide juridique actuel.
Comme dans la lutte contre la radicalisation sur internet, le législateur doit réagir vite pour lutter contre la diffusion de thèses erronées au service d’idéologies dangereuses et rétrogrades hostiles à l’égalité, à l’émancipation des individus, à la science et au progrès !
Les sites internet foisonnent qui, communiquant de façon quasi institutionnelle, cherchent à hameçonner les personnes à la recherche d’une information fiable et scientifique tout en propageant des informations scientifiquement tronquées, partiales, biaisées, voire erronées.
Je tiens à illustrer mon propos par l’exemple du site ivg.net, consulté dans l’anonymat, à des fins de test, par plusieurs personnalités de confiance, dont une journaliste et une élue, que je peux nommer : Aurore Bergé, qui en a témoigné dans la presse. Les informations de base présentées sur ce site attirent les usagers, mais, en réalité, l’information est inaccessible, erronée et fait perdre du temps, quand il ne s’agit pas d’une désinformation diffusée sous couvert de respectabilité. Ayant moi-même téléphoné au numéro figurant sur le site, j’ai entendu des horreurs et des mensonges.
Si la liberté d’expression ne peut être mise en cause et que chacun peut exprimer librement son opinion, il faut alerter sur la désinformation en anticipant, au-delà des modes de communication actuels, ceux qui se développeront à l’avenir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Stéphanie Riocreux, rapporteur. Mme Laborde propose de préciser que l’interdiction vise les pressions psychologiques exercées « sur tout support de l’écrit, de l’oral, de l’image ou du numérique ». La commission des affaires sociales a retenu l’expression « par tout moyen » afin de couvrir l’ensemble des canaux par lesquels des pressions psychologiques peuvent être exercées.
Votre amendement, ma chère collègue, nous paraît donc satisfait par le texte de la commission. Je vous demande de le retirer ; j’y serais défavorable si vous le mainteniez.
Mme Françoise Laborde. Je m’empresse de le retirer, madame la ministre : nous avions voulu compléter l’énumération à l’image de ce que nous avions fait pour la presse écrite ; ici, l’expression « par tout moyen » rend en effet inutile l’énumération.
Je retire donc l'amendement, monsieur le président .
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Alain Vasselle, pour explication de vote. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Alain Vasselle. Au moment de voter, mes chers collègues, rappelez-vous l’intervention de Philippe Bas !
Laisser accroire que la rédaction du texte de la commission des affaires sociales protégera les femmes contre les mauvaises informations diffusées en ligne et que des sanctions pourront être prises contre ceux qui les auront véhiculées, c’est tromper les femmes sur l’effectivité de la disposition proposée, puisque nous savons que, juridiquement, elle ne sera pas opérationnelle ! (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains applaudissent. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mmes Nicole Bricq et Patricia Schillinger. Aux voix !
M. Alain Vasselle. Par ailleurs, madame le ministre, il faut remédier à l’insuffisance actuelle en matière de prévention. En ce qui concerne les centres de planning familial, le déficit est majeur : ces centres n’existent plus ou ne sont plus opérationnels, faute de financements de l’État, et les départements n’ayant pas les moyens de prendre le relais. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme Laurence Cohen. C’est de la provocation !
M. Alain Vasselle. Ces guichets permettaient pourtant aux femmes de recueillir les informations qui leur étaient nécessaires au sujet de l’IVG.
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Je respecte toutes les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, comme j’entends qu’on respecte les miennes.
La liberté qu’a chaque femme depuis 1975 de recourir à l’IVG si, en conscience, elle le décide n’est pas en question : c’est un problème non de fond, mais de forme que nous examinons.
Tout acte médical comporte des risques ; les médecins parmi nous savent bien qu’on communique aux malades une feuille sur laquelle ces dangers sont expliqués. Mes chers collègues, si les gens lisaient ce document dans le détail, plus aucun examen médical ne serait pratiqué !
Utiliser les risques d’un acte médical et les aggraver pour en faire une méthode de chantage est une manipulation destinée à faire prévaloir les idées de certaines personnes sur les libertés des autres, ce qui est tout à fait condamnable. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
J’ai bien entendu les arguments qui ont été présentés sur le plan juridique, s’agissant en particulier de la difficulté qu’il y a à agir sur internet ; cette difficulté, tout le monde la connaît, et nous la vérifions tous les jours. J’ai bien entendu aussi les observations de M. le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, sur le contexte politique dans lequel ce débat se tient, qui peut susciter certaines questions. Mais j’ai entendu aussi le témoignage, que j’ai trouvé très émouvant, de notre collègue Fabienne Keller.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
M. Gérard Roche. Pour ma part, je considère que, quelles que soient nos positions politiques, nous devons adresser à nos concitoyens un message : non à des pratiques qui ne sont pas acceptables, oui à une information objective et à la liberté pour chacun d’assumer les choix de son existence, qui n’appartiennent qu’à lui. C’est pourquoi, à la suite des députés du centre, je voterai la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du RDSE, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Giraud.
Mme Éliane Giraud. Monsieur Vasselle, puisque vous êtes convaincu que l’information est importante, allez donc l’expliquer à certains de vos amis politiques ! Commencez par M. Wauquiez, qui supprime les subventions aux centres de planning familial et le dispositif d’information que nous avions mis en place dans le cadre du Pass contraception. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Laurence Cohen. Bravo !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 73 :
Nombre de votants | 323 |
Nombre de suffrages exprimés | 299 |
Pour l’adoption | 173 |
Contre | 126 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Chantal Jouanno et M. Gérard Roche applaudissent également.)
Mes chers collègues, avant de passer à la suite de notre ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Généralisation des contrats de ressources
Rejet d'une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de résolution visant à généraliser les contrats de ressources, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Hervé Poher et les membres du groupe écologiste (proposition n° 87.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Poher, auteur de la proposition de résolution. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. Hervé Poher, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’aventurerai tout d’abord dans un essai de définition : un contrat de ressources est une démarche issue de la pratique, du terrain et de l’expérience suivant laquelle tous les consommateurs d’une eau participent à la protection de celle-ci. J’ai bien dit « tous les consommateurs » : pas seulement, donc, les gens qui habitent au-dessus ou près de la réserve en eau. Un contrat de ressources permet ainsi d’associer deux principes : celui du pollueur-payeur et celui du consommateur-demandeur-payeur.
Que tous les consommateurs participent, vous pourriez me dire : c’est bien souvent le cas. Cela est vrai, mais ce n’est pas toujours le cas ; je vous donnerai plusieurs exemples dans quelques instants.
« Contrat de ressources » : les mots, je le reconnais, sont sans doute mal choisis, car il ne s’agit pas uniquement d’une démarche technico-administrative à connotation comptable, mais avant tout d’un geste de solidarité territoriale, de l’affichage d’une vision environnementale partagée et de la coresponsabilité assumée de certaines dérives de notre société.
Quand je parle de solidarité territoriale, c’est une évidence, puisque des gens qui ne sont pas de la même commune, ni même peut-être du même établissement public de coopération intercommunale ou du même syndicat, participent tous à la protection d’une eau qui leur est indispensable. Souvent, cette solidarité s’exerce de l’urbain vers le rural.
Quand je dis « affichage d’une vision environnementale partagée », c’est aussi une évidence, car tous les citoyens, de territoires parfois différents, admettent et assument que l’eau, même quand on ne la voit pas, surtout quand on ne la voit pas, mérite d’être protégée et doit l’être.
Quand je parle de coresponsabilité assumée, il s’agit simplement de reconnaître que nous sommes tous un peu coresponsables de certaines dérives qui affectent l’environnement. Industriels, agriculteurs, citoyens, car nous sommes tous demandeurs, tous utilisateurs et tous consommateurs.
Devant cette proposition de résolution, mes chers collègues, vous pourriez me demander trois fois : pourquoi ?
Pourquoi, d’abord, cette préoccupation pour l’eau ? D’aucuns pourraient nous asséner : voilà une démarche de plus, attention aux usines à gaz ! Des processus et des programmes, on en a pléthore. Les agences de l’eau sont omniprésentes et les syndicats et délégataires font bien leur travail : arrêtons donc là les frais. Ces remarques sont pertinentes, mais, si tout était parfait, nous n’aurions pas pris autant de retard !
Si tout était parfait, nous aurions respecté en grande partie le terme de 2015 pour la directive-cadre sur l’eau. Or nous n’avons pas été bons, et l’échéance a été reportée à 2021 ; en réalité, nous le savons, ce sera probablement 2027…
Si tout était parfait, certains maîtres d’ouvrage ne se poseraient pas de question : ils interviendraient, ils agiraient, ils protégeraient.
En vérité, comme il a été rappelé dans notre hémicycle lors du débat sur l’eau, l’eau doit être, qualitativement comme quantitativement, protégée, réparée, respectée.
Pourquoi, ensuite, une proposition de résolution et non une proposition de loi ? Simplement parce que, je le reconnais volontiers, le sujet mérite d’être peaufiné, retravaillé et confronté aux multiples situations locales qui peuvent exister.
Cette proposition de résolution n’est que la formulation d’un principe d’égalité et de justice que personne ne peut contester.
Lorsqu’un syndicat ou un établissement public de coopération intercommunale s’occupe de l’eau et de l’assainissement, que son aire d’alimentation est à l’intérieur du périmètre syndical et que tous les consommateurs font partie de la structure, la démarche est simple : le coût des travaux est répercuté sur le prix du mètre cube d’eau, et tous les consommateurs paient. Aucun problème ne se pose : pas besoin de résolution, pas besoin de loi. Sinon que nos concitoyens savent rarement pourquoi ils subissent des augmentations du prix du mètre cube, et qu’une petite ligne explicative ne ferait pas de mal.
Seulement, tous les établissements publics de coopération intercommunale n’ont pas pris la compétence « eau et assainissement », et toutes les communes ne font pas partie d’un syndicat. Les situations sont en effet multiples et variées. Permettez-moi de vous donner deux exemples.
Guînes, ville de 5 000 habitants située sur un champ captant irremplaçable, devait protéger cette ressource en eau, qui alimentait plus de 100 000 habitants. Or Guînes n’est propriétaire de rien, ne tire aucun avantage de sa situation et n’en subit que les inconvénients et les contraintes. Quand elle a accepté de réaliser d’importants travaux pour protéger ce champ captant, la question s’est imposée : est-il normal que 5 000 Guînois paient pour 100 000 consommateurs ? Bien sûr, il y avait 80 % de subventions, mais 20 % restaient à la charge des Guînois. Du coup, en discutant avec les communes de l’agglomération voisine, communes consommatrices de cette eau, nous avons imaginé un contrat de ressources.
Je pense également à la grosse communauté urbaine de Dunkerque, qui doit aller chercher à 40 kilomètres, dans un village de 1 000 habitants, de l’eau pour toute sa population et toutes ses industries, dont certaines sont grosses consommatrices d’eau, y compris pour fabriquer du coca-cola. Eh bien, la communauté urbaine de Dunkerque a eu l’intelligence et l’honnêteté de dire à cette commune : puisque j’ai besoin de votre eau, je vais vous aider à la protéger.
Dans les deux cas, ce geste a servi de déclencheur : les états d’âme ont été dissipés et tous les travaux ont été réalisés.
Pourquoi, enfin, aider et inciter les collectivités territoriales à agir ? Simplement parce que protéger un champ captant ou une alimentation en eau potable est une démarche environnementale et sanitaire, mais aussi une démarche bien souvent coûteuse. Or la démarche environnementale n’est pas un réflexe chez les élus, surtout quand ça ne se voit pas, et la démarche sanitaire est souvent synonyme d’obligations et d’interdictions, donc de complications. Quant au coût d’une telle démarche, il est bien souvent élevé, très élevé ; or, vous le savez, en gestion publique, le financement est bien souvent le pire ennemi des bonnes volontés.
Alors, on en revient toujours au principe des participations et des subventions, avec une évidence : entre 60 % et 80 % de subventions, on ne réfléchit pas trop, on fait. Or, avec une dynamique État-agence de l’eau-collectivités territoriales-contrat de ressources, on peut parfois monter très haut.
Telles sont, mes chers collègues, exposées succinctement, les motivations et la finalité de cette proposition de résolution.
Concrètement, me demanderez-vous, comment fonctionne un contrat de ressources ? Eh bien, c’est très simple : on y met ce que l’on veut, parce qu’il est négocié.
On y met le montant de la participation au mètre cube : quelques centimes, voire des fractions de centime. Cela semble peu, mais, quand les quantités d’eau pompée se mesurent en dizaines de millions de mètres cubes, cela permet de rembourser les emprunts. On y met, bien entendu, la durée du contrat ; la fin du remboursement des emprunts est souvent un terme logique, car le but n’est pas d’enrichir le maître d’ouvrage. On peut y mettre aussi la liste des entités ou entreprises qui peuvent être exonérées, pour telles ou telles raisons.
J’entends déjà certains m’objecter : les gens en ont marre de payer ! Ce discours, je veux bien l’entendre et je puis le comprendre. Mais soyons réalistes : la solidarité ne peut pas être à sens unique, et je ne vois pas pourquoi certains, surtout s’ils ne polluent pas, paieraient pour protéger de l’eau utilisée en grande partie par d’autres.
Mettons les choses au clair. J’ai sous les yeux une facture d’eau datée du 10 novembre dernier. C’est une facture classique, avec un prix du mètre cube, assainissement et abonnement compris, un peu plus haute que la moyenne française puisque l’on est dans le nord de la France… (Sourires sur les travées du groupe écologiste.)
M. Joël Labbé. Les Hauts-de-France !
M. Hervé Poher. Le montant de cette facture : 267 euros. Or il y a une petite ligne en plus, intitulée « Surtaxe contrat de ressources », à laquelle correspond la somme de 27 centimes d’euro. Vous avez bien entendu : 27 centimes sur une facture de 267 euros.
Sans doute cette somme vous paraît-elle ridicule, mais songez que, appliquée sur des dizaines de millions de mètres cubes, une fraction de centime n’est pas négligeable pour le maître d’ouvrage, commune, établissement public de coopération intercommunale ou syndicat. Rappelons par ailleurs que cet argent ne va pas dans la poche de quelque intermédiaire : il sert à rembourser les emprunts contractés par le maître d’ouvrage – en l’occurrence, une commune.
Telle est, mes chers collègues, la philosophie du contrat de ressources, une expression qui, je le reconnais, n’a rien de philosophique, mais sonne plutôt « comptable »… Cette proposition de résolution est une émanation directe du terrain. J’ai la faiblesse de croire que, lorsqu’une mesure vient d’en bas et qu’elle a été testée, expérimentée et assumée, elle ne peut pas être entièrement mauvaise ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quel beau plaidoyer !
M. Jean Desessard. En effet !
Mme Évelyne Didier. Partant du constat pertinent que l’eau est le bien commun de l’humanité et qu’il convient d’en garantir l’accès pour tous, la proposition de résolution présentée par Hervé Poher et nos collègues du groupe écologiste s’oriente très clairement sur des questions de compétences et de financement.
Depuis la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la compétence relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations, dite GEMAPI, est du ressort obligatoire du bloc communal et, plus particulièrement, de l’intercommunalité. À ce bloc de compétence obligatoire ont été adossées les compétences relatives au captage de la ressource et à la conservation et la gestion des eaux souterraines, notamment par la protection des champs captants qui alimentent les nappes phréatiques.
Pour l’exercice de cette compétence, la proposition de résolution préconise une généralisation de la pratique des « contrats de ressources », dont nous avons jusqu’ici peu entendu parler.
Selon ses promoteurs, ces contrats permettent de regrouper des établissements de coopération intercommunale à vocation multiple, couvrant un seul et même champ captant pour mutualiser les dépenses liées à la protection de ce champ. Si nous sommes d’accord avec l’idée de la mutualisation et donc du partage de l’investissement, qui nous paraît juste, par l’ensemble des bénéficiaires d’une politique publique, force est de reconnaître que tous les outils existent déjà. Cela fonctionne d’ailleurs à certains endroits.
Nous estimons, de manière générale, qu’il convient de faire confiance aux élus pour trouver des solutions au plus près du territoire. Les outils pour la mutualisation et la péréquation existent déjà, et ils sont utilisés là où une volonté politique est présente : c’est cela facteur déterminant !
Les auteurs de la proposition le reconnaissent dans l’exposé des motifs : « la complexité du sujet et la pluralité des situations de terrain concernées plaident en faveur d’une large concertation avec les acteurs locaux, d’une étude d’impact exhaustive ». C’est selon moi le bon chemin : constatons sur le terrain qui bénéficie concrètement de l’investissement.
En effet, et même si les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances, la préservation de la ressource en eau est déjà reconnue comme un enjeu prioritaire dans notre législation et fait l’objet d’un encadrement spécifique, afin de sécuriser à long terme l’alimentation en eau pour atteindre les objectifs de qualité des eaux souterraines et superficielles fixés par la directive-cadre européenne sur l’eau.
Ainsi, les agences de l’eau soutiennent déjà dans de nombreux endroits les actions préventives pour éviter la pollution des captages et réduire les coûts futurs de traitement de l’eau distribuée.
Par ailleurs, les situations sont extrêmement diverses et les structures déjà nombreuses – intercommunalité, syndicat mixte, établissement public territorial de bassin, comité de bassin, etc. –, tout comme les documents programmatiques – schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux, schéma d’aménagement et de gestion des eaux, à titre principal. Tous ces documents sont opposables aux documents d’urbanisme.
Par ailleurs, nous sommes réticents concernant les pistes de financement proposées. Non pas que nous soyons, je le répète, contre la mutualisation, bien au contraire !
L’exposé des motifs précise que le financement de ce mécanisme reposera exclusivement sur les usagers, dans un parallélisme affirmé, avec la taxe GEMAPI. Ce parallèle n’est pas pertinent dans le sens où cette taxe est payée par les contribuables et non par les usagers, et que son utilisation est particulièrement encadrée.
Selon les promoteurs de cette résolution, « quelques centimes sont ajoutés au prix du mètre cube et reversés intégralement à la collectivité ou au groupement qui a effectué les travaux ».
Nous estimons qu’il est bien trop facile de faire financer un besoin résultant des désengagements successifs de l’État par les usagers du service public, les contribuables ou les usagers directs. Cette logique passe à côté du rôle de l’impôt au service de l’intérêt commun et de celui des financements publics, au travers non seulement des agences de l’eau, mais également de l’aide d’ingénierie apportée aux collectivités pour leur permettre d’assumer au mieux leur responsabilité, dans un contexte technique et juridique en évolution permanente.
Certes, les auteurs de la proposition de résolution déplorent ces baisses de financement qui ne suffisent pas à couvrir totalement les coûts de l’exercice de la compétence eau, mais ils n’appellent pas le Gouvernement à changer de cap. L’État prélève chaque année une part du fonds de roulement des agences de l’eau pour financer ses politiques nationales, ce qui prive celles-ci de financements précieux. De plus, les ressources de l’eau financeront demain l’ensemble des actions pour la biodiversité, qu’elle soit terrestre, aquatique ou marine. Nous pouvons donc solliciter le Gouvernement pour qu’il cesse cette ponction indue, comme nous l’avions proposé sous forme d’amendement lors de l’examen de la loi sur la biodiversité.
Nous soutenons, à ce titre, la grève menée hier par les salariés des agences de l’eau, qui protestaient, entre autres choses, contre les prélèvements successifs de la part de l’État.
Par ailleurs, les départements ont vu leurs compétences recentrées sur les compétences sociales, par manque de moyens, au détriment des compétences en matière de solidarité territoriale, lesquelles étaient pourtant bien utiles, ce qui les amène à moins accompagner les territoires, notamment en ce qui concerne la compétence eau.
Nous pouvons donc très clairement condamner cette politique de spécialisation de chaque échelon territorial – les financements croisés avaient du bon – et d’assèchement des ressources des collectivités par la baisse des dotations et l’ingénierie de l’État au service des territoires.
Une meilleure péréquation de la dépense entre les collectivités, voire entre les usagers, si elle est utile, ne peut compenser durablement les désengagements de l’État.
Nous estimons qu’il est nécessaire de recentrer l’ensemble des politiques publiques, notamment la politique publique de l’eau, sur la satisfaction des besoins. Il importe de tenir compte de la cohérence des compétences et des politiques dans ce domaine.
Plus largement, nous regrettons que cette proposition de résolution ne traite que d’une petite partie de la problématique générale des conditions et des enjeux fondamentaux d’une maîtrise publique du secteur.
Si j’ai bien compris, mes chers collègues, votre proposition de résolution vise à traiter une difficulté rencontrée dans des zones bien précises, parce que certains territoires ne manifestent pas la volonté politique de s’entendre entre eux, mais je ne suis pas certaine qu’une résolution ou une loi aient pour objet de régler de telles difficultés particulières…
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la reconquête de la qualité de l’eau, patrimoine commun de l’humanité indispensable à la vie, est plus qu’urgente. Cela va bien au-delà du respect des objectifs fixés au niveau européen par la directive-cadre sur l’eau.
En matière d’eau, la quantité et la qualité sont deux objectifs qu’il ne faut pas dissocier. Bien sûr, nous avons besoin d’eau, mais d’une eau de qualité ! Face aux enjeux du changement climatique, la préservation de cette ressource pour des raisons sanitaires et environnementales est plus que jamais d’actualité. L’absence de prévention efficace induit des surcoûts importants pour le traitement des eaux. Or, dans ce domaine aussi, le curatif est bien plus onéreux que le préventif, préventif que le Gouvernement a justement tenté de faciliter avec la contractualisation. Je pense notamment aux agriculteurs. Cette politique commence à porter ses fruits malgré la persistance de certaines substances dans les sols ; il faudra du temps pour parvenir à dépolluer certaines zones.
Alors que l’ensemble des captages d’eau destinés à la consommation humaine doit être protégé en vertu de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, seuls 60 % des 34 000 captages de notre pays le sont. Ce chiffre est aujourd’hui d’autant plus inquiétant que des actes de malveillance sont à craindre…
De plus, chaque année, des captages ferment en raison de la dégradation de la qualité des eaux par les pollutions urbaines, industrielles ou agricoles, notamment par les nitrates et les pesticides qui concernent quelque 3 000 captages.
Les travaux de création et de protection des captages ont un coût que les petites communes peinent à assumer faute de moyens financiers adaptés. Même si les agences de l’eau, les départements et les régions les subventionnent, les coûts s’avèrent souvent prohibitifs pour certaines des communes sur lesquelles sont situés les captages. Pourtant, ces captages assurent l’alimentation de lieux d’habitation et d’activités, qu’il s’agisse des services ou de l’industrie, qui ne sont pas toujours situés sur leur territoire.
Jusqu’à présent, les gouvernements successifs ont exclu l’indemnisation des collectivités qui subissent un préjudice économique important en raison de servitudes liées à l’existence de périmètres de protection des captages d’eau.
En 2011, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi sénatoriale sur cette question, la ministre de l’environnement de l’époque, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, avait déjà encouragé la conclusion d’accords entre plusieurs collectivités locales, ce qui permettait à la commune du lieu de prélèvement de bénéficier d’un prix de l’eau plus avantageux.
Dans la même lignée, le Conseil général de l’environnement et du développement durable recommandait, en décembre 2012, le développement des solidarités intercommunales et des solidarités contractuelles entre les territoires périurbains et ruraux.
À défaut de faire jouer la solidarité nationale, tout en respectant le principe inscrit dans le code de l’environnement selon lequel les utilisateurs prennent en charge les coûts liés à l’utilisation de l’eau, il paraît équitable et de bon sens de faire contribuer les collectivités qui tirent bénéfice de l’exploitation de captages situés hors de leur territoire.
M. Jean Desessard. Bien sûr !
Mme Mireille Jouve. Le texte qui nous est présenté préconise la généralisation des contrats de ressources afin de favoriser une péréquation au niveau de l’ensemble des territoires qui utilisent l’eau en provenance des champs captants. Ces contrats permettraient dès lors de financer les travaux de protection des captages en augmentant légèrement le prix de l’eau dans les communes qui en bénéficient, les ressources générées étant reversées à la commune sur laquelle se situent ces captages.
En outre, une telle pratique aurait une vocation pédagogique en traduisant les coûts dans la facture des ménages. Toutefois, comme le mentionne l’exposé des motifs, une étude d’impact s’impose selon nous avant d’envisager véritablement toute généralisation.
Enfin, nous pouvons nous interroger sur la pertinence d’un tel dispositif, quand on sait que la compétence eau s’exercera à l’avenir dans le cadre des intercommunalités, niveau où devront s’appliquer les nouvelles solidarités financières. Peut-être eût-il été plus opportun de proposer une expérimentation sur la base du volontariat.
Si le groupe du RDSE partage le souhait de généraliser au maximum les contrats de ressources, il est néanmoins réservé sur leur caractère obligatoire. Il est toujours bon de laisser des marges de manœuvre et des libertés aux collectivités et aux élus locaux, en fonction des situations locales et des contraintes financières du moment.
Dans tous les cas, la grande majorité des membres du RDSE ne s’opposera pas à l’adoption de cette proposition de résolution ; nous serons même plusieurs à l’approuver. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste.)
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de résolution invite le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires afin de généraliser la pratique, actuellement restreinte, des contrats de ressources.
Ces contrats ont vocation à organiser la captation et la distribution de l’eau potable.
Il s’agit plus précisément de mutualiser les coûts liés à cette activité. Plus simplement, l’idée est de répartir la charge de l’exploitation des nappes phréatiques entre tous les usagers, et non de la faire peser sur les seuls abonnés du syndicat exploitant.
Cela concerne surtout les petites structures, communes ou syndicats.
La préoccupation mentionnée ne concerne pas mon département, la Vendée, qui a pris la sage décision depuis plus de cinquante ans de mettre en œuvre une solidarité territoriale entre les communes bien pourvues en eau brute et celles dont les ressources sont faibles, voire nulles. Ainsi, que l’on habite au pied du barrage ou sur une île, la ressource en eau potable est distribuée en quantité et en qualité pour un prix unique à tous les habitants. Le coût péréqué prend en charge l’ensemble des charges mutualisées. À ce titre, la Vendée à travers son syndicat départemental Vendée Eau fait souvent office de référence nationale.
Je prendrai un exemple concret : pour notre périmètre de la nappe du Dogger, le cas est assez simple, l’irrigation étant quasiment le seul usage. Sur les réserves appartenant au syndicat mixte Vendée Sèvre Autise, ce sont bien les usagers, c’est-à-dire les irrigants, qui financent les soldes après subvention par une redevance au prorata de leur volume.
L’outil de gestion existe déjà et est proposé par l’agence de l’eau sous forme de contrat territorial de gestion quantitative. Sur un autre secteur, cet outil est doublé avec un contrat territorial eau potable, porté par un syndicat d’eau. Les deux structures se coordonnent et les contrats se complètent et se croisent, sous la coordination de l’agence de l’eau.
La proposition de résolution vise donc à généraliser une solution technique qui ne profiterait pas à tous les départements. Pour autant, sa généralisation dans les départements organisés différemment du mien se justifie-t-elle ?
Je considère comme vous, chers collègues, que l’eau est un bien commun et que sa gestion « doit être guidée par les impératifs de cohérence, d’équité et d’efficacité ».
Cependant, cette proposition de résolution soulève plusieurs remarques d’ordre technique.
Premier point, la répartition de la propriété des volumes d’eau pose problème. Elle peut être bloquante en termes de motivation des collectivités à s’investir depuis la mise en place des organismes uniques, qui sont en charge de la gestion et de la répartition des volumes d’eau prélevés à usage agricole.
La structure « gemapienne », chargée des milieux aquatiques, est bien l’investisseur, mais les volumes d’eau appartiennent aux organismes uniques et sont ventilés directement aux irrigants. Cette dissociation du contenu et du contenant est un vrai problème puisque les collectivités qui investissent pour protéger les milieux n’ont, une fois l’ouvrage réalisé, plus aucune emprise ni sur la répartition équitable des volumes entre tous ni sur la gestion des prélèvements en fonction des incidences sur le milieu, par exemple en période de sécheresse.
Si l’on veut que le système d’une gestion collective fonctionne, il faut que la collectivité qui œuvre soit bénéficiaire unique de l’attribution du volume, comme dans le cas d’un barrage d’eau potable, où c’est bien le syndicat d’eau qui bénéficie du volume et non chacun des usagers.
Avant de s’engager sur de nouveaux contrats, il serait peut-être souhaitable de résoudre les incompatibilités entre organisme unique et collectivité à compétence GEMAPI.
Deuxième point, la gestion quantitative se fait par rapport à différents usages divisés en trois grandes lignes : industrie, eau potable, irrigation. La compétence qualité sera aussi divisée entre assainissement, restauration des milieux, industrie et agriculture. La compétence GEMAPI ne portent ni sur l’industrie, ni sur l’eau potable, ni sur l’assainissement. La coordination ne se fera donc pas au niveau des EPCI ou des regroupements, mais s’opérera au niveau des SAGE qui essaient de fixer un consensus entre tous, sachant que les objectifs de chaque usage ne sont pas les mêmes. Par exemple, sur mon territoire, pour le volet qualitatif, l’objectif de teneur en nitrates est indifférent pour l’irrigation, de 50 milligrammes par litre pour l’eau potable et de 25 milligrammes par litre pour le milieu.
Les efforts à réaliser n’étant pas partagés et n’étant pas les mêmes pour tous, il importe de savoir sur quelle base mutualiser les coûts.
Troisième et dernier point, la logique de solidarité entre amont et aval, prônée par le texte, existe déjà dans le cadre des SAGE, les schémas d’aménagement et de gestion des eaux, mais aussi de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, qui préconise le regroupement des EPCI au sein de syndicats mixtes de bassins versants, avec deux niveaux : les établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau, ou EPAGE, et les établissements publics territoriaux de bassin, ou EPTB.
On peine donc à savoir où veulent en venir les auteurs de ce texte, qui expriment à la fois le principe de libre administration des collectivités tout en suggérant que le législateur puisse assujettir ces dernières à des obligations et à des charges.
Il faut donc veiller à ce que ces contrats soient encouragés et non imposés, et à ce que les communes qui s’y engagent le fassent sur la base du volontariat.
Certes, l’idée de base des contrats de ressources est séduisante, mais l’exposé des motifs demeure bien vague à propos du financement visé. S’agit-il du monde agricole, de l’aquataxe, des industriels ?
Enfin, il importe de savoir ce que deviennent les nombreux autres outils en place.
En conclusion, bien que ce texte parte d’une intention louable, l’absence de clarté du dispositif et de ses modalités de mise en œuvre conduira le groupe UDI-UC à exprimer des votes divers. En l’état, cette proposition de résolution ne permet pas d’expliquer efficacement comment atteindre une véritable péréquation des charges d’exploitation sur tout le territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Rémy Pointereau applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Poher.
M. Hervé Poher. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’entends les inquiétudes, je perçois les réticences et je peux comprendre certaines interrogations. Je rappelle néanmoins qu’il s’agit d’une proposition de résolution et non d’une proposition de loi. L’objet de la démarche est d’amener le Gouvernement à réfléchir à des solutions afin d’avancer sur le sujet.
Plutôt que de revenir sur le principe de cette résolution, permettez-moi de vous conter une anecdote qu’on pourrait intituler « candeur et vicissitudes d’un élu local ». (Sourires.)
J’ai été élu maire de ma commune le 18 juin 1995. La première réunion importante pour moi, réunion programmée par mon prédécesseur, s’est déroulée trois jours après mon élection. Elle se passait en mairie et sur l’invitation était noté « le champ captant de Guînes ».
Autour de la table, il y avait des représentants de ce qu’on appelait alors la DDE – la direction départementale de l’équipement –, le délégataire de la commune, un hydrogéologue nationalement connu, des techniciens, des élus du conseil général et plusieurs représentants de l’agence de l’eau.
Cet aréopage de personnes importantes était venu expliquer au jeune maire que j’étais que ma commune était sur un champ captant irremplaçable, champ captant qui alimentait toute une région ; que je me devais de le protéger ; que je devais refaire tout l’assainissement collectif, qui avait été mal réalisé et conçu en dépit du bon sens ; que je me devais de bâtir une seconde station d’épuration ; que je devais déplacer une ou deux exploitations agricoles, etc.
Tout jeune élu, manquant indéniablement d’expérience et sans doute encore grisé par les vapeurs de la victoire, je répondais invariablement : pas de problème, nous le ferons !
Le seul point de désaccord apparut lorsque l’hydrogéologue m’annonça qu’en toute logique nous devions déplacer le cimetière ! Un cimetière qui était là depuis dix siècles ! Je refusais catégoriquement, non parce qu’en tant que médecin j’alimentais régulièrement ce cimetière (Sourires.), mais simplement parce qu’un tel déplacement était psychologiquement indéfendable au niveau de la population.
Bref, plein de bonne volonté, j’étais prêt à foncer et je voulais être le chevalier blanc de la protection de l’eau…
On peut imaginer de grandes choses quand on est totalement inconscient ! Malheureusement, lorsqu’on est responsable d’une collectivité, on ne peut pas demeurer inconscient très longtemps.
Un mois plus tard, les mêmes personnes, qu’en privé j’appelais « mes tortionnaires » (Sourires.), se réunissaient pour aller plus loin dans la démarche. Et là, croyez-moi, je fus vite dégrisé, car la douche était un peu froide. On m’amenait les estimations financières, et elles étaient salées : 30 millions de francs hors taxe, et plus du tiers à charge de la commune ! En 1995, 30 millions de francs représentaient deux fois le budget annuel total de la commune ! Deux fois le budget annuel pour réparer un assainissement collectif, pour défoncer des rues, pour embêter les gens pendant des mois, voire des années, pour endetter la commune, pour augmenter les impôts et le prix de l’eau… Tout ça pour protéger de l’eau utilisée à 98 % par nos voisins !
On a beau être novice, inconscient et utopiste, il y a des choses qu’on comprend très vite, surtout quand elles ont un impact sur votre cote de popularité… Je n’en dirai pas plus.
C’est de cette réunion et de cette prise de conscience qu’est partie notre réflexion, basée sur une question simple. Est-il normal qu’une commune de 5 000 habitants assume entièrement la protection d’un champ captant qui sert à plus de 100 000 personnes ? Même avec une participation à hauteur de 40 % de l’agence de l’eau et autant de la part du conseil général, les 20 % restant à la charge des Guînois étaient un châtiment non mérité !
Nous avons alors inventé un contrat de ressources : 3 centimes de franc par mètre cube, c'est-à-dire 0,0045 euro pour tous les consommateurs, y compris pour les Guînois, avec une exonération de certaines entreprises pour des raisons économiques. Grâce à cette initiative, nous avons tout fait. Tous nos travaux ont été réalisés, même ceux qui semblaient impossibles ou improbables. A posteriori, nous en sommes très fiers. Rien n’a été pris dans la poche du délégataire, tout a été financé par le budget de la commune.
Pourquoi cette anecdote ? Simplement pour vous rappeler que la directive-cadre sur l’eau a des objectifs qui sont logiques, qui sont nobles et qui ne sont pas irréalisables. Néanmoins, on ne pourra réussir que si l’on arrive à créer une dynamique collective avec les gros intervenants, mais aussi avec les petits maîtres d’ouvrage, avec l’ensemble des décideurs locaux et avec ceux qui sont sur le terrain et qui se trouvent confrontés, de façon quotidienne, au labyrinthe administratif et au casse-tête financier.
Un contrat de ressources, ça n’est qu’un petit plus pour aider les décideurs locaux à oser, à avancer et à être exemplaires.
L’objectif de la directive-cadre sur l’eau est clair : elle vise un bon état écologique de toutes les masses d’eau. Mais cet objectif ne pourra être atteint, même si l’échéance a été retardée, que grâce à des politiques nationales et locorégionales fortes, et grâce à des bonnes volontés locales.
Ce qui est valable pour l’eau l’est sans doute aussi pour bien d’autres politiques. Le seul juge de paix, c’est l’efficacité, et surtout le résultat ! Mes chers collègues, invitons la dynamique, tutoyons l’efficacité et osons le résultat. Pourquoi pas ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe écologiste nous invite à nous intéresser à la possible généralisation des contrats de ressources.
Dans notre système économique, toute production de service a un coût ; l’eau n’échappe pas à cette règle.
Le cadre juridique actuel de production et de gestion de cette « chose commune » qu’est l’eau au sens du code civil est relativement riche.
Il y a tout d’abord la loi : je pense à celle de 1992 ou encore à celle de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, qui permet, au travers de la déclaration d’utilité publique, de prélever, de protéger et d’assurer la distribution de l’eau.
Il y a ensuite la juridiction administrative, qui a, à plusieurs reprises, donné une définition de ce qu’il fallait entendre par « propriété » en matière d’eau.
Il y a enfin la voie réglementaire, grâce à laquelle ont été mises en place des mesures de protection au niveau de l’aire d’alimentation du captage ou des périmètres de protection de captage autour des zones de captage d’eau pour la consommation humaine. Ces mesures sont obligatoires depuis une vingtaine d’années.
Il existe donc bien déjà un certain nombre de règles juridiques pour accompagner la gestion de l’eau.
Les auteurs de cette proposition de résolution affirment que, dans le cadre des règles existantes, la répartition des coûts en matière de travaux au niveau des champs captants n’est pas équilibrée. Selon eux, pour qu’elle le soit, il faudrait généraliser les contrats de ressources.
Nous entendons et nous comprenons la problématique qui est soulevée par cette proposition de résolution. L’idée que le coût des travaux des champs captants d’eau de surface pour protéger les nappes phréatiques soit supporté par l’ensemble des usagers, via un reversement de toutes les communes concernées, et non plus seulement par la seule commune effectuant les travaux, nous apparaît légitime.
Toutefois, je souhaiterais que l’on revienne ensemble sur les outils déjà à la disposition de nos collectivités, car, comme bien souvent, les territoires, les collectivités ont dans ce domaine, comme dans d’autres, fait preuve d’ingéniosité et se sont organisés pour mutualiser les coûts.
Depuis de nombreuses années, les collectivités mutualisent les actions de mobilisation de la ressource et de sa préservation. Comment cela s’est-il traduit concrètement ?
Tout d’abord, par la constitution de regroupements que nous connaissons tous, à savoir les syndicats de production d’eau. L’objectif premier de ces structures est de mettre en commun l’ensemble des coûts entre tous les bénéficiaires, de la production à la protection de la ressource.
Conformément à cette idée de mutualisation entre les collectivités, lorsque pour des raisons sanitaires, de captage déficient ou tout simplement de gestion une commune productrice organise une vente d’eau, elle peut mettre à contribution les nouveaux bénéficiaires de cette ressource ; à ce moment-là, les coûts seront répartis sur l’ensemble des usagers.
Il me semble qu’on est alors assez proche du but visé par cette proposition de résolution.
L’autre réalité à prendre en compte, et que soulève le texte de cette proposition, est celle du coût de production de l’eau potable. Celui-ci dépend de nombreux facteurs, ce qui donne in fine des prix très différents. La qualité de l’eau, les traitements obligatoires, les conditions du sol font que les variations de coûts sont très importantes d’une commune à l’autre.
Là encore, il me semble que les textes actuels dotent les collectivités d’un arsenal suffisant.
Je pense, tout d’abord, aux syndicats départementaux, lesquels ne sont pas autre chose qu’une fédération de collectivités compétentes en matière d’eau potable qui mutualisent leurs ressources financières pour assurer une relative péréquation des prix.
Dans ce registre, il est également possible d’évoquer les agences de l’eau. Je rappelle tout de même que la mission des six agences de l’eau de notre territoire est de mettre en œuvre, dans les sept bassins hydrographiques métropolitains, les objectifs et les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux, en favorisant notamment une gestion équilibrée et économe de la ressource en eau, tout cela autour d’un principe directeur dans leur organisation, qui est celui de la gestion concertée par bassin versant.
Ces agences aident donc au quotidien les collectivités dans leurs investissements et contribuent à limiter les écarts de coûts restant à la charge des usagers.
Par ailleurs, ce texte souligne légitimement ce qui relève sans doute plus de la sensation que de la réalité : certaines collectivités, souvent celles qui prélèvent dans des zones différentes des zones de distribution, peuvent avoir l’impression qu’elles supportent des travaux et réalisent des investissements pour leur territoire, mais également pour le bénéfice d’autres territoires.
Là encore, il me semble que les dispositions actuelles permettent de répondre à cette crainte. Aujourd’hui, il est vrai, par exemple, que les mesures de protection des captages sont supportées par la commune qui en bénéficie, ce qui paraît assez logique puisque c’est ensuite elle qui va l’exploiter. Mais, au-delà, tous les frais liés à la qualité de l’eau exploitée sont systématiquement cofinancés par les agences de l’eau.
J’irai même un peu plus loin dans mon analyse : il me semble que la loi NOTRe du 7 août comporte une sécurité supplémentaire en ce qui concerne le coût des travaux à supporter par une commune. Le transfert de la compétence eau potable à l’échelle des EPCI à fiscalité propre prévu par cette loi apporte un certain nombre de solutions pérennes en matière de gestion de l’eau.
Tout d’abord, l’accroissement mécanique du périmètre sur lequel la collectivité sera compétente limite les cas où une collectivité fournit de l’eau à une autre et, par voie de conséquence, les cas où il y a une différence importante en matière de coûts d’exploitation, et cela sans que soient remis en cause les syndicats départementaux non plus que le principe même du financement par les usagers du service.
Il est vrai qu’avec l’augmentation de la qualité et l’efficacité d’un service, prévue dans la loi NOTRe, à l’horizon 2020 en matière d’eau potable, se pose la question de l’évolution du prix de ce service. La surveillance de l’eau devrait être meilleure, les contrôles qualité aussi, et ce à un prix équivalent pour plusieurs raisons : tout d’abord, l’obligation de parvenir à une convergence tarifaire sur cinq ans ; ensuite et surtout, la possibilité de poursuivre à une plus grande échelle la mutualisation des coûts, car, selon toutes les études, cela aura un impact positif, à la fois, sur la capacité de la collectivité à négocier les coûts auprès des prestataires et sur le rapprochement de la qualité du service entre secteurs ruraux et urbains.
Face à l’ensemble de ces outils de soutien financier, de mutualisation, d’action concertée, de péréquation, il ne semble pas évident que la généralisation des contrats de ressources constitue un apport majeur. C’est d’autant plus vrai que, pour l’instant, nous ne sommes même pas capables d’identifier les éventuelles failles du dispositif existant, si faille il y a.
La loi NOTRe a à peine plus d’un an d’existence. Or il me semble que le rôle d’un parlementaire est aussi de parvenir à une forme d’efficacité législative, ce qui passe par la capacité à laisser du temps à la mise en œuvre des textes élaborés.
Par ailleurs, se pose à nos yeux un problème important pris en compte dans la proposition de résolution, mais qui ne nous semble toutefois pas réglé : celui de la constitutionnalité de cette proposition. En effet, l’article 72 de la Constitution prévoit la libre administration des collectivités territoriales. Or il est dit dans le texte qui nous est proposé que « le cadre constitutionnel ne semble pas s’opposer à ce que soient adoptées des dispositions législatives venant généraliser de tels contrats en obligeant que les collectivités concernées y aient recours ».
Nous ne sommes pas de cet avis, même si cela est justifié par les « fins d’intérêt général » que poursuivrait ce texte. Il existe en effet déjà, comme nous venons de le démontrer, des dispositifs permettant de préserver cet intérêt général sans contrevenir à la libre administration de nos collectivités.
Mes chers collègues, parce que nous comprenons l’idée qui sous-tend cette proposition de résolution du groupe écologiste, mais parce que nous pensons également que le droit actuel permet de résoudre la quasi-totalité des problèmes de financement de la gestion communale de l’eau, nous faisons le choix d’une abstention bienveillante.
Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que notre chambre se saisisse à nouveau du sujet de l’eau, peu de temps après notre débat du 19 octobre dernier sur les conclusions du rapport d’information Eau : urgence déclarée de nos collègues Henri Tandonnet et Jean-Jacques Lozach, et sur les conclusions de mon rapport, réalisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, dans lequel je dresse le bilan, mitigé, de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, la LEMA.
Nous devons tout mettre en œuvre pour préserver cette ressource, qui est – vous avez eu raison de le rappeler dans l’exposé des motifs, monsieur Poher – de moins en moins un cadeau de la nature.
J’avais moi-même mentionné un fait inquiétant : un milliard de mètres cubes de fuites d’eau par an dans les réseaux d’eau potable, soit la perte de 20 % de l’eau mise en distribution. Cette perte est essentiellement liée à l’âge et à la vétusté des installations et des canalisations, sans compter les évolutions et mouvements des sols et la pression élevée de l’eau dans les canalisations.
Ces problèmes s’expliquent principalement par le manque d’investissement dans la rénovation des réseaux d’eau potable dans les territoires, notamment ruraux.
Je vous rejoins donc, mon cher collègue, lorsque vous dites que les travaux indispensables à l’exploitation de l’eau nécessitent des investissements très importants, mais qu’ils représentent malheureusement une charge financière importante pour ceux qui doivent les entreprendre, en première ligne desquels les collectivités territoriales et plus particulièrement le bloc communal, à qui l’on a adossé la compétence GEMAPI depuis les lois MAPTAM – la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles – et NOTRe.
Ainsi, vous proposez pour répondre à cette situation de généraliser les contrats de ressources afin que tous les usagers qui bénéficient des aménagements participent au financement d’une partie des travaux, travaux qui, jusqu’à présent, sont financés par les seuls contribuables de la collectivité ou du groupement concerné.
Je comprends votre objectif, qui est louable, et y souscris : l’eau, dont la gestion a un coût, ne doit plus être un bien « gratuit ». J’aurais cependant préféré que la définition du « contrat de ressource » soit plus claire. En effet, vous ne nous livrez que des indications parcellaires. Or, étant chargé de la simplification des normes au sein de notre assemblée, je me méfie beaucoup des notions énigmatiques et abstraites. Ce n’est toutefois pas la raison pour laquelle je ne voterai pas cette proposition de résolution.
Je ne la voterai pas, car je pense que vous ne vous posez pas les vraies questions. Pourtant, vous les évoquez dans votre exposé des motifs lorsque vous dites que « les aides accordées par les agences de l’eau ne suffisent pas à couvrir les coûts des travaux ».
La question est de savoir pourquoi les aides financières des agences de l’eau ne suffisent plus. La réponse est simple. Depuis la loi de finances pour 2015, l’État opère chaque année un prélèvement sur le fonds de roulement des agences de l’eau au profit de son budget. Et je vous épargne les attaques que ces agences ont subies avec la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, projet de l’ancienne ministre de l’environnement Dominique Voynet ! En effet, pour la troisième année consécutive, elles ont vu leur budget amputé de 175 millions d’euros en application de la loi de finances pour 2014, alors que le prélèvement devait être exceptionnel.
Au total, l’État a, depuis 2014, amputé le budget des agences de l’eau de plus de 500 millions d’euros. Imaginez le soutien financier que les agences auraient pu apporter aux collectivités territoriales si elles avaient conservé cette somme !
Un grand nombre d’agences se retrouvent dans une situation financière très difficile, ce qui représente un réel danger pour l’investissement des collectivités et donc pour l’emploi local.
De surcroît, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, que vous avez votée, a étendu les responsabilités des agences de l’eau à la biodiversité terrestre et, par conséquent, leur périmètre d’intervention. Désormais, ces agences financent, en plus de la biodiversité « humide » relative aux milieux aquatiques, la biodiversité dite « sèche », dans le cadre de conventions avec l’Agence française pour la biodiversité, l’AFB. En somme, nous leur demandons de faire plus avec moins ! Cela n’est plus possible.
Je considère que « l’eau doit payer l’eau ». C’est pourquoi je plaide non seulement pour la suppression de l’extension des missions des agences de l’eau à la biodiversité terrestre, mais également pour la suppression de la ponction sur le budget des agences de l’eau au profit du budget de l’État.
Permettez-moi d’ajouter un élément sur ce point. Hier, les agences de l’eau et leurs personnels sont entrés en grève pour contester non seulement l’avenir réservé à ces agents, mais surtout pour manifester leur opposition à la ponction sur leur budget au profit de celui de l’État.
La deuxième raison qui me conduit à ne pas voter cette initiative parlementaire est liée à la compétence GEMAPI, nouvellement confiée aux collectivités territoriales, laquelle entraînera pour celles-ci des difficultés financières et des ponctions supplémentaires pour les contribuables. En effet, les collectivités auront le droit de créer une taxe nouvelle pour financer leurs travaux.
Je le disais dans mon rapport, le niveau intercommunal n’est pas le plus adapté pour prendre en charge cette compétence, dans la mesure où il ne correspond pas au bassin versant. Je proposais donc de transférer la compétence GEMAPI soit aux agences de l’eau, soit aux régions.
Par ailleurs, cette compétence risque de ne pas être mise en œuvre, faute de moyens à disposition des intercommunalités pour la financer. Cela est d’autant plus vrai que la loi NOTRe a ajouté à la charge des communautés de communes les compétences eau et assainissement, qu’elles auront à mettre en œuvre à partir de 2020. Encore des difficultés supplémentaires pour nos collectivités !
Avant de mettre en place un outil tel que la généralisation des contrats de ressources, qui entraînera la création de taxes supplémentaires pour les usagers, redonnons d’abord des marges de manœuvre financières aux agences de l’eau et libérons ensuite nos collectivités territoriales de ces compétences qu’elles n’auront pas les moyens de financer !
Je vais profiter de cette discussion pour inviter, à mon tour, le Gouvernement à veiller à ce que les normes applicables s’en tiennent au strict respect des directives européennes. Gardons en tête cette formule mathématique : plus de normes égalent plus de coûts !
Je l’invite, également, à fixer des objectifs réalistes, pragmatiques et stables, afin de pouvoir mesurer les progrès réels effectués en matière de politique de l’eau. Arrêtons de changer constamment de thermomètre ! À force de modifier sans cesse les normes, nous ne pourrons jamais les appliquer.
Je l’invite, enfin, à impliquer non seulement les élus locaux, mais aussi la société civile dans le processus de concertation, en mettant en avant le rôle déterminant des entreprises et de ceux qui y travaillent. Il faut en effet associer l’ensemble des intéressés à la gestion des instances des grands bassins français, les reconnaître comme des acteurs environnementaux et les impliquer dans la construction de solutions nouvelles.
Plutôt que de voir ponctionner encore une fois les contribuables, je préférerais que la péréquation se fasse au niveau de l’État, des agences de l’eau, des collectivités territoriales. Agissons de façon pragmatique et avec discernement !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner la proposition de résolution sur les contrats de ressources présentée par M. Hervé Poher et plusieurs de ses collègues du groupe écologiste.
Je souhaite rappeler en préambule quelques éléments de contexte.
Je veux préciser tout d’abord – mais vous l’avez tous rappelé – que « l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation » et que son usage appartient à tous. Lors du débat sur l’eau qui s’est tenu le 19 octobre dernier, nous avions d’ailleurs insisté sur la nécessité de protéger cette ressource.
L’article L. 210-1 du code de l’environnement rattache ainsi l’eau au régime juridique de la chose commune, au sens du code civil. Une collectivité ne saurait être a priori propriétaire des eaux pour la seule raison qu’elles se trouvent sous ou sur son territoire.
La loi donne néanmoins la possibilité aux collectivités organisatrices des services d’eau de mobiliser des ressources en eau et d’en assurer la protection en application d’actes de déclaration d’utilité publique, qui constituent le lien juridique entre le prélèvement autorisé, les mesures de protection et la définition des bénéficiaires de l’adduction d’eau.
Mme Jouve a évoqué le problème de la dégradation des champs captants. Je rappelle que la Conférence environnementale de 2014 a retenu le principe de 1 000 captages prioritaires, lequel s’est traduit dans les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux adoptés fin 2015. Des travaux sont en cours ; le processus est donc bien en place.
La protection de la ressource en eau destinée à la consommation humaine s’appuie sur des dispositifs réglementaires et volontaires.
Les périmètres de protection des captages, les PPC, sont établis autour des sites de captages d’eau destinée à la consommation humaine. L’objectif est de réduire les risques de pollutions ponctuelles et accidentelles de la ressource. Ils ont été rendus obligatoires pour tous les ouvrages de prélèvement d’eau d’alimentation depuis la loi sur l’eau de 1992.
Depuis la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, la prise en compte des problématiques de pollutions diffuses s’est traduite par un dispositif visant à mettre en place des mesures de protection sur tout ou partie de l’aire d’alimentation du captage. Si ces démarches sont prévues par le SDAGE et nécessaires pour l’atteinte du bon état des masses d’eau, elles ne sont pas une obligation légale pour les collectivités.
Les collectivités se sont organisées depuis des décennies pour mutualiser les actions de mobilisation de la ressource et de sa préservation, notamment lorsque la ressource était rare ou difficile à mobiliser. Mme Didier et M. Raynal ont rappelé que différentes organisations existaient, notamment dans les collectivités qui s’étaient portées volontaires. Elles ont, par exemple, constitué des syndicats de production d’eau, qui mutualisent entre tous les bénéficiaires cette production – et incidemment la protection de la ressource qu’elle implique – et les coûts de ces opérations.
Vous avez cité, monsieur Poher, des cas concrets – et évoqué de façon vibrante votre action locale ! Vous le savez, lorsque les altérations de la qualité des ressources conduisent à la fermeture d’un captage, compte tenu du dépassement des normes en vigueur, une collectivité se voit dans l’obligation de se reporter vers des solutions de transfert d’eau et de vente d’eau entre services.
Par la vente d’eau, une collectivité productrice, qui a investi dans la protection de la ressource, peut mettre à contribution les nouveaux bénéficiaires de cette ressource, y compris pour les mesures de protection afférentes. Les coûts seront alors répartis sur l’ensemble des usagers.
Vous l’avez fort bien dit, ces situations ne peuvent conduire à ce qu’une collectivité en retire un profit au détriment d’une autre collectivité. En effet, si la possibilité de ventes d’eau entre services doit être appréciée au regard des textes déclarant les ressources concernées d’utilité publique, il convient également de considérer le droit de la concurrence et les dispositions relatives à la fourniture de biens essentiels.
C’est notamment en application de ces dernières dispositions que, dans un arrêt du 29 juin 1998, la cour d’appel de Paris, se prononçant sur une décision du Conseil de la concurrence, a enjoint au maître d’ouvrage d’une unité de production d’eau potable de communiquer aux tiers qui en feraient la demande un prix de production de l’eau potable en gros qui soit établi de manière transparente, objective et excluant tout coût étranger à la production. Il s’agit en effet de ressources essentielles qui n’ont pas d’alternatives substituables en coûts et dans des délais raisonnables.
Vous avez tous parlé, mesdames, messieurs les sénateurs, de la transparence du coût de production de l’eau potable. Celui-ci dépend, bien entendu, des conditions locales, de la qualité de l’eau prélevée et des traitements nécessaires pour respecter les normes sanitaires en vigueur.
Toutefois, compte tenu de la diversité des ressources pouvant être mobilisées, les coûts de production d’eau potable et de protection de la ressource sont très hétérogènes. Pour atténuer cet effet, de nombreux mécanismes existent.
Je ne reviendrai pas sur le sujet des agences de l’eau, qui vient d’être évoqué par M. Pointereau, car nous avions pu constater, le 19 octobre dernier, nos divergences quant à l’analyse de leur situation. Quoi qu’il en soit, les soutiens financiers, notamment ceux de ces agences, aident les collectivités dans leurs investissements et contribuent à limiter les écarts de coûts restant à la charge des usagers.
Vous l’avez rappelé, monsieur Raynal, dans certains cas des syndicats départementaux ont été constitués en fédérant les collectivités qui ont la compétence eau potable, afin de mutualiser les ressources disponibles, d’unir les efforts pour leur protection et d’assurer la péréquation du prix de l’eau.
Pour autant, des collectivités peuvent prélever de l’eau dans des territoires distincts des zones de distribution d’eau potable. C’est souvent le cas des agglomérations de taille importante, comme celle de Dunkerque, capable de prélever de l’eau à 40 ou à 50 kilomètres.
Les territoires où l’eau est prélevée peuvent se sentir restreints dans leur capacité de développement et avoir l’impression qu’ils réalisent des investissements pour le bénéfice d’un autre territoire, de taille plus importante. Il faut néanmoins rappeler que les coûts liés à la déclaration d’utilité publique ou aux mesures de protection des captages sont supportés par la collectivité qui en bénéficie et que d’autres investissements, conduisant à préserver ou reconquérir de façon générale la qualité de l’eau, sont cofinancés par les agences de l’eau. Une commune ne peut donc se retrouver seule à supporter l’ensemble des investissements.
Le contexte institutionnel de la protection de la ressource en eau destinée à la consommation humaine a déjà amorcé une évolution de fond s’agissant de la protection de la ressource en eau destinée à la consommation humaine.
La loi NOTRe organise un transfert de la compétence eau potable à l’échelon des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre à l’horizon 2020, soit une échéance assez proche. Ces transferts ne remettent en cause ni les syndicats départementaux évoqués plus haut ni le principe du financement des coûts des services d’eau par les usagers de ces services, hors subventions.
L’enjeu, vous le savez, est de mettre en place la solidarité entre territoires. En accroissant le périmètre des collectivités compétentes en eau potable, la loi NOTRe devrait conduire à limiter les situations dans lesquelles une collectivité fournit de l’eau à une collectivité sur un autre territoire, en dehors des secours ponctuels.
Lorsque la mutualisation sera réalisée, via les EPCI, et que les collectivités auront réfléchi ensemble à la préservation de la ressource, se posera la question du prix.
Les conclusions du rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable, le CGEDD, intitulé Eau potable et assainissement : à quel prix ? apportent des éclairages sur les évolutions de prix qui pourraient résulter des transferts de compétences organisés par la loi NOTRe.
Certaines évolutions pourraient certes conduire à la hausse du prix de l’eau en milieu rural du fait d’une amélioration des niveaux de services rendus, en particulier en matière de surveillance et de qualité sanitaire de l’eau distribuée. Néanmoins, le rapport indique que ces évolutions devraient être compensées par la mutualisation des prestations à grande échelle, y compris entre secteurs urbains et ruraux, et la capacité renforcée des autorités organisatrices, une fois regroupées, à négocier des gains de productivité de leurs opérateurs, publics ou privés. En outre, la convergence tarifaire au sein d’une collectivité devra être atteinte dans un délai de cinq ans après l’extinction des contrats, ce qui permettra, le cas échéant, d’étaler l’éventuelle hausse dans le temps afin qu’elle puisse être compensée par des gains de productivité.
Cette proposition de résolution, qui invite le Gouvernement à généraliser le contrat de territoire, conduirait donc à la création d’un nouveau dispositif réglementaire de contrat de ressources, obligatoire, qui viendrait s’ajouter à tous ceux qui existent. Nous sommes tous attachés à rendre, au niveau des collectivités locales, les dispositifs plus lisibles et à ne pas accumuler les strates. Est-ce le bon moment pour proposer une telle approche, dans la mesure où la réforme territoriale portée par la loi NOTRe se met actuellement en place ?
Je partage votre point de vue : lorsque les mesures expérimentées sur le terrain « viennent d’en bas », pour reprendre les termes que vous avez employés, il faut leur permettre d’irriguer l’ensemble du territoire. J’approuve d’autant plus cette idée que j’étais, avant de prendre mes fonctions de secrétaire d’État, députée-maire de Vaulx-en-Velin, où se trouvent les champs captants qui alimentent, à hauteur de 95 %, l’ensemble de la métropole lyonnaise. Il s’agit donc de sujets dont j’ai eu à connaître.
La réforme territoriale portée par la loi NOTRe devrait permettre d’approfondir ces questions de mutualisation. À ce titre, le Gouvernement a demandé aux préfets coordonnateurs de bassin de définir, en associant étroitement les collectivités locales, des stratégies d’organisation des compétences locales de l’eau, les SOCLE.
Ces stratégies, précédées d’inventaires des compétences exercées, permettront incidemment d’identifier les situations dans lesquelles des collectivités contribuent à la protection des ressources en faveur d’autres collectivités.
Enfin, il pourrait être envisageable d’identifier dans la facture d’eau les frais liés à la protection de la ressource en eau. Cela aurait un caractère pédagogique et mettrait en lumière une part trop méconnue, mais combien essentielle – vous le disiez, monsieur le sénateur, en montrant votre facture d’eau –, de l’activité des collectivités compétentes en eau potable.
Vous l’aurez compris, monsieur le sénateur, ce n’est pas sur le fond que le Gouvernement reste peut-être réservé à l’égard de votre proposition de résolution, puisqu’il partage votre volonté d’améliorer la mutualisation et la protection de la ressource. Il nous semble cependant que la loi NOTRe prévoit d’ores et déjà les dispositions permettant de répondre à l’essentiel de vos préoccupations.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution visant à généraliser les contrats de ressources
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu la Charte de l’environnement, notamment ses trois premiers considérants,
Vu la résolution du 28 juillet 2010 de l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaissant que « le droit à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme »,
Vu les objectifs fixés par la directive 2000/60/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau,
Vu la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques,
Rappelant que l’eau est un bien commun, non renouvelable, à la base du vivant ;
Considérant dès lors que la gestion de l’eau doit être guidée par les impératifs de cohérence, d’équité et d’efficacité ;
Soulignant la forte implication des collectivités territoriales et de leurs groupements tant dans la gestion des eaux de surface, gestion maintenant adossée sur la compétence GEMAPI, que dans la protection et la gestion des eaux en profondeur ;
Observant toutefois que les coûts des travaux de protection des champs captants sont trop souvent supportés par la seule collectivité, le seul établissement public de coopération intercommunale ou syndicat mixte les ayant réalisés quand bien même d’autres territoires en bénéficieraient ;
Affirmant qu’une répartition équitable de ces coûts est de nature à promouvoir un développement de ces infrastructures, leur entretien régulier et, partant, la préservation des ressources en eau ;
Invite le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires afin de généraliser la pratique des contrats de ressources, mécanisme de péréquation par lequel les coûts sont mutualisés et équitablement répartis entre les territoires ayant financé les travaux de protection du champ captant et ceux en bénéficiant.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 74 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 203 |
Pour l’adoption | 20 |
Contre | 183 |
Le Sénat n’a pas adopté.
9
Saisine du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le 7 décembre 2016, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par le Premier ministre, de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la transparence et à la modernisation de la vie économique.
Le texte de la saisine est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
10
Mise au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, je voudrais faire une rectification à propos du scrutin n° 73 sur l’article unique de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. MM. Jacques Genest et Mathieu Darnaud, qui ont été comptabilisés comme ayant voté contre, souhaitaient en fait s’abstenir.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
11
Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique
Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique (proposition n° 304 [2015-2016], texte de la commission n° 163, rapport n° 162).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous allons débattre tend à supprimer toute publicité autour des programmes de la télévision publique destinés prioritairement aux enfants de moins de douze ans. Elle vise à préserver les plus jeunes de la pression des messages publicitaires.
Le sénateur André Gattolin, que je salue, a déposé cette proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique.
Dans un premier temps, le Gouvernement avait émis des réserves sur ce texte, pour plusieurs raisons que je vais rappeler.
France Télévisions a déjà pris des engagements forts pour réduire l’exposition des enfants à la publicité. Ainsi, les programmes destinés aux enfants de trois à six ans diffusés dans l’émission « Les Zouzous » sur les antennes de France 5 et de France 4, ainsi que sur internet, ne contiennent pas de messages publicitaires.
Une corégulation associant l’ensemble des professionnels concernés et dans laquelle France Télévisions a pris toute sa place a été mise en œuvre ces dernières années.
Cette démarche a conduit à la signature en 2009 d’une charte visant à promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusés à la télévision. Cette charte a été reconduite et renforcée en 2014. Elle réunit le mouvement associatif, les industriels de l’agroalimentaire, les professionnels du secteur audiovisuel et ceux de la publicité, ainsi que les pouvoirs publics.
Le mérite de cette charte, dont six ministères sont signataires, est d’envisager le sujet dans toutes ses composantes, qu’il s’agisse de la régulation du contenu des spots publicitaires par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, l’ARPP, des campagnes de prévention de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, ou des messages sanitaires apposés sur les spots publicitaires alimentaires, mais également et surtout de la création et de la diffusion d’émissions faisant la promotion d’une saine hygiène de vie.
Les professionnels ont donc montré une volonté d’engagement. La publicité autour des programmes jeunesse était donc déjà encadrée par cette régulation professionnelle, sous l’égide des pouvoirs publics.
Le Gouvernement s’était, lors de la première lecture, montré opposé au texte pour une deuxième raison, majeure : son impact potentiel sur le financement de l’animation française. On pouvait craindre qu’une mesure telle que l’interdiction prévue par cette proposition de loi, qui n’avait pas été anticipée lors de la première lecture, puisse fragiliser la situation financière déjà dégradée de France Télévisions et remettre en cause ses investissements dans l’animation française.
Vous le savez, le groupe public est le premier préfinanceur européen de l’animation. Il investit en moyenne 29 millions d’euros par an dans la production de films et de séries d’animation.
Or, si la protection des enfants de la pression publicitaire est une préoccupation réelle, la diversité et la qualité des programmes qui leur sont proposés constituent des enjeux majeurs en matière éducative et culturelle. On ne peut pas traiter un sujet et ignorer l’autre.
La France peut s’enorgueillir d’une production d’animation riche et de très grande qualité, qui rencontre le succès auprès du jeune public. Ainsi, en 2015, la part de la production française dans l’offre totale d’animation diffusée à la télévision était de 45 %, contre 33 % pour la production américaine, 10 % pour la production européenne et 12 % pour la production issue d’autres pays.
Cette situation est unique en Europe et dans le monde, si l’on excepte le cas particulier du Japon. C’est en quelque sorte la marque de l’animation française, qui est l’une de nos filières d’excellence.
De même que nous avons pour objectif d’avoir une part de marché national forte dans le cinéma, il est important que les enfants de France puissent se retrouver dans les valeurs, les talents et l’imaginaire de la création française et européenne. Quelle que soit la valeur des productions américaine ou japonaise, nous ne pouvons leur livrer nos écrans, et donc l’imaginaire en construction de nos enfants. Les auteurs, animateurs, producteurs français reflètent ou du moins intègrent dans leurs projets la situation des enfants d’ici et d’aujourd’hui.
Outre ce succès national, l’animation française est également très performante à l’étranger. Elle représente près de 30 % des exportations de programmes audiovisuels français et constitue de loin le premier genre à l’export. Le secteur compte au total une centaine d’entreprises et emploie près de 5 500 personnes réparties de façon assez équilibrée sur tout le territoire.
Le soutien à l’animation est donc un enjeu fort, culturel, éducatif et industriel, et le Gouvernement ne peut accepter que ce secteur soit fragilisé.
Deux évolutions m’amènent néanmoins aujourd’hui à lever les réserves exprimées en première lecture.
S’agissant des chaînes privées et du secteur de l’animation, plusieurs d’entre vous, notamment André Gattolin, ont fait part de leur volonté de ne pas déstabiliser cette économie.
Le dispositif de l’article 1er me paraît souple, en ce qu’il permet au Gouvernement d’intervenir, en tant que de besoin seulement, par la voie réglementaire, en complément de la démarche d’autorégulation et pour tenir compte des préconisations du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA. Le décret du 27 mars 1992 comporte déjà des prescriptions en la matière.
S’agissant de France Télévisions, depuis l’adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale, le Gouvernement et l’entreprise publique ont négocié un contrat d’objectifs et de moyens. Celui-ci prévoit un vaste plan d’investissement dans la création, se traduisant notamment par le relèvement à 420 millions d’euros du montant annuel minimal d’investissement dans la production audiovisuelle. Nous avons donc fait en sorte que le groupe public dispose de moyens supplémentaires pour la création. Son plan d’affaires tire les conséquences financières du dispositif de cette proposition de loi, en prévoyant une augmentation des ressources publiques de l’entreprise, qui lui permettra de confirmer son engagement dans l’animation.
Dans ces conditions, cette démarche équilibrée, qui distingue le service public des chaînes privées, pourra être mise en œuvre. Il faudra néanmoins rester très vigilants sur ses conséquences pour le secteur de l’animation et examiner de façon régulière l’évolution des financements des productions destinées à la jeunesse.
Pour conclure, cette éviction de la publicité, recette privée à laquelle se substitue un financement public, nous oblige collectivement – Gouvernement et représentation nationale – à veiller au dynamisme de la recette affectée à l’audiovisuel public, pour permettre la modernisation de celui-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Corinne Bouchoux, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, « démarche équilibrée » et « vigilance » : ces maîtres mots me conviennent.
Il y a maintenant un an, le Sénat et sa commission de la culture ont ouvert un chemin vers une évolution majeure pour l’audiovisuel public et son entreprise la plus importante, France Télévisions.
Nous avons adopté le principe selon lequel les programmes de la télévision publique prioritairement destinés aux enfants de moins de douze ans ne comportent pas de messages publicitaires autres que des messages de prévention. Afin de « sanctuariser » ces programmes, l’interdiction s’applique aussi quinze minutes avant et après la diffusion de ces programmes. Il faut noter que cette restriction s’applique également à tous les messages diffusés sur les sites internet des diffuseurs publics.
L’interdiction que nous avons adoptée est à la fois ciblée, complète, mesurée et adaptée au service public de l’audiovisuel.
Elle est ciblée parce qu’elle concerne les enfants de moins de douze ans. Les adolescents, qui disposent déjà d’un esprit critique, ne sont pas visés.
Elle est complète parce qu’elle vise à la fois le linéaire, le délinéaire et le numérique. Le service public deviendra ainsi un espace de confiance pour les parents, ce qui devrait constituer pour lui un avantage comparatif et compétitif essentiel. Cette proposition de loi n’est donc pas contre le service public ; au contraire, elle vise à renforcer son identité et sa spécificité.
Cette interdiction est, au final, adaptée, puisqu’elle ne concerne pas les chaînes privées, qui sont pour leur part soumises à une autorégulation sous le contrôle du CSA, comme le précise l’article 1er. À ce sujet, je tiens à répondre aux craintes qui se sont fait jour : il n’y a pas, dans cette proposition de loi telle qu’elle a été adoptée par la commission, de disposition visant à interdire la publicité sur les chaînes privées, pour cette raison simple qu’une telle interdiction aurait pour effet de faire disparaître les programmes jeunesse de ces chaînes, puisque c’est la publicité qui les finance, ou de nous conduire à leur attribuer une part de contribution à l’audiovisuel public, puisqu’elles s’apparenteraient alors à des chaînes de service public.
Je souhaite prendre un instant pour revenir sur la philosophie de cette proposition de loi, car des craintes, légitimes ou moins légitimes, ont pu apparaître. Notre position n’est pas que toute publicité est forcément condamnable et que certains produits sont à exclure. Les choses sont beaucoup plus nuancées que cela.
Je reconnais volontiers que la consommation d’une barre chocolatée ou d’un verre de boisson pétillante de temps en temps ne constitue pas, en soi, une menace grave pour la santé, lorsque les parents sont attentifs à ce que cela ne devienne pas une habitude.
Le problème est que, dans certaines familles, de tous milieux, les enfants sont laissés devant la télévision pendant des heures sans surveillance et deviennent des objets de convoitise pour les grands industriels.
N’oublions pas non plus que les entreprises qui font de la publicité aux heures d’audience importante sont de grandes multinationales, qui ont les reins très solides. Nos PME et nos artisans sont, au contraire, souvent victimes du rouleau compresseur des techniques de marketing.
Dans ces conditions, l’objectif de la proposition de loi est de proposer aux familles un espace sanctuarisé, affiché comme tel, un espace de confiance où l’on est certain que les enfants seront protégés contre les stratégies des industriels qui, comme les fabricants de tabac, ne font pas de sentiment et ne reculent devant rien pour vendre leurs produits.
Où en sommes-nous aujourd’hui, après la lecture à l’Assemblée nationale ? Deux éléments sont à retenir.
Premièrement, l’Assemblée nationale a examiné la proposition de loi en janvier 2016 et a adopté conforme l’article 2, relatif à l’interdiction de la publicité dans les émissions jeunesse de France Télévisions. Elle a en outre modifié la rédaction de l’article 1er, relatif à l’autorégulation.
Deuxièmement, l’État et le groupe France Télévisions ont tiré toutes les conséquences de cette adoption conforme dans le projet de contrat d’objectifs et de moyens du groupe public : les recettes de publicité passeront certes de 334,7 millions d’euros en 2017 à 314,7 millions d’euros en 2018, mais cette différence de 20 millions d’euros est intégralement compensée par une hausse de 17 millions d’euros de la subvention publique et par une baisse de 3 millions d’euros des prélèvements sur les recettes brutes.
Que doit-on penser de ces deux évolutions ?
Les réserves émises lors de la première lecture concernaient d’abord le financement de la production audiovisuelle. Or, comme je l’ai indiqué, les craintes exprimées à cet égard n’ont plus lieu d’être : je le dis notamment à l’intention des producteurs de films d’animation, qui n’ont aucune inquiétude à avoir sur le financement de leur filière.
La deuxième lecture se présente donc aujourd’hui de manière très différente. L’article 2 ayant été adopté conforme par les députés, il ne nous reste plus à examiner que l’article 1er, qui a été modifié par l’Assemblée nationale.
Je le dis très nettement, je ne crois pas que cet ajout était nécessaire, car l’autorégulation sous le contrôle du CSA doit être poursuivie. Par ailleurs, comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, il existe déjà un décret en Conseil d’État, en date du 27 mars 1992, qui réglemente les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat. Dans notre esprit, le plus simple serait de considérer que le décret mentionné par l’article 1er est, en réalité, celui de 1992.
Nous aurons peut-être un débat sur l’article 1er, mais, ne nous y trompons pas, modifier cet article reviendrait d’abord à rendre inopérant l’article 2, qui constitue le cœur du dispositif, puisqu’il n’est pas envisageable de poursuivre la navette, du fait notamment du calendrier parlementaire.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a le soutien de l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, et des associations de familles catholiques, ainsi que celui de plusieurs professions médicales.
L’Organisation mondiale de la santé a publié le mois dernier un rapport pour dénoncer le marketing numérique agressif des industriels. L’opinion publique est derrière nous, 87 % des Français étant favorables à l’interdiction de la publicité commerciale dans les émissions destinées aux enfants sur les chaînes publiques. L’année dernière, ce pourcentage était de 71 % : une augmentation de seize points, ce n’est pas rien !
Mes chers collègues, nous avons l’occasion d’envoyer un message de confiance aux familles et de démontrer l’utilité de l’action de notre assemblée pour protéger les enfants. Il me semble donc qu’un vote le plus large possible de notre assemblée en faveur de l’adoption de ce texte permettrait de renforcer l’image du Sénat comme force de proposition et d’action au service de nos concitoyens, notamment des plus jeunes d’entre eux. Je remercie tous ceux qui ont apporté leur contribution. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du RDSE et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, la régulation de la publicité commerciale en direction des enfants et des adolescents recouvre un réel enjeu de santé publique, d’autant que la consommation télévisuelle de ces derniers ne cesse de croître et dépasse depuis près de quinze ans deux heures par jour. Les enfants et les adolescents, qui constituent un vivier potentiel de 8,3 millions de consommateurs directs, sont ainsi devenus le public cible par excellence des publicitaires. Des études convergentes montrent que plus de 70 % des parents pensent que leurs enfants sont influencés par les publicités dans leurs préférences alimentaires. Près du tiers indiquent que leurs enfants réclament le plus souvent des produits vus à la télévision, et 40 % estiment qu’il est devenu très difficile de résister à ces demandes, eu égard à la pression sociale.
La surexposition des enfants à la publicité a des conséquences non négligeables sur leur santé, notamment en matière d’obésité, en raison de la surreprésentation des produits sucrés et gras. Si l’insertion obligatoire de bandeaux en bas des annonces ou de messages de prévention est une bonne chose, son impact est, on le sait, très limité.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous approuvons la visée de cette proposition de loi. Toutefois, nous restons très dubitatifs quant à l’efficacité de son dispositif et aux conséquences de sa mise en œuvre. À notre sens, en effet, ce texte manque cruellement d’ambition, dans la mesure où il est prévu de limiter l’interdiction de la publicité dans les programmes jeunesse au seul service public audiovisuel.
La proposition de loi de notre ancien collègue écologiste Jacques Muller et d’Évelyne Didier, qui prévoyait de sanctuariser les programmes jeunesse en en excluant la publicité à la fois pour les chaînes publiques et les chaînes privées et en élargissant cette interdiction à d’autres créneaux horaires où les enfants regardent la télévision, avait davantage d’ambition. Elle tendait en outre à renforcer les sanctions et le contrôle en matière de promotion de produits et de publicité abusive, et préconisait une sensibilisation et une éducation à la publicité. Cette proposition de loi portait sur la réglementation de l’exposition des enfants à la publicité et ouvrait le chantier du financement de l’audiovisuel, dont les ressources proviennent pour partie de la publicité. Cette occasion de se pencher sur ces questions n’aura pas été mise à profit.
Nous estimons que, en l’état, la proposition de loi soumise à notre examen aujourd’hui est insuffisante et que la mise en œuvre de son dispositif aura même des effets négatifs.
Elle est insuffisante, car il serait illusoire de penser que les enfants et les adolescents ne regardent que des programmes jeunesse proposés par le service public. Madame la rapporteur, j’entends votre argument selon lequel la sanctuarisation des chaînes de télévision publiques leur apportera un avantage compétitif, mais les enfants ne regardent pas la télévision qu’en compagnie de leurs parents : la plupart d’entre eux, notamment les plus défavorisés, la regardent seuls.
Rappelons en outre que France Télévisions ne représente que 28 % de l’audience et diffuse 200 heures de programmes jeunesse, contre 640 heures pour la seule chaîne Gulli. Enfin, huit des dix programmes les plus regardés par les enfants de quatre à dix ans sont des émissions de téléréalité, qui ne constituent pas vraiment la spécialité du service public audiovisuel… Il en va de même pour les enfants âgés de onze à quatorze ans.
La mise en œuvre du dispositif de la proposition de loi risquerait par ailleurs d’avoir des effets négatifs, en creusant encore l’écart financier entre secteur public et secteur privé. France Télévisions a déjà perdu 746 millions d’euros entre 2009 et 2012, à la suite de la suppression de la publicité sur ses antennes après 20 heures.
Ajoutons que le contrat d’objectifs et de moyens et l’accord passé entre la direction de France Télévisions et les producteurs indépendants ont montré l’ambition du groupe de renforcer sa part de production. Cela implique des moyens supplémentaires, que la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques et la contribution à l’audiovisuel public ne pourront pas forcément assurer. Réduire encore la voilure en termes de recettes publicitaires ne pourrait au final que conduire à une remise en cause dudit accord, et ce n’est pas la sécurité financière prévue au travers des articles 3 et 4 de la proposition de loi qui aurait à coup sûr suffi à compenser le manque. Mais, de toute façon, cette compensation a été supprimée au cours de la navette parlementaire.
Davantage que la perte de moyens, c’est le déséquilibre aggravé entre secteur public et secteur privé qui nous inquiète. Ce dernier récupérera de facto la manne dont on prive le secteur public, alors que l’investissement des publicitaires en direction des enfants se concentre déjà sur le secteur privé.
Faire ainsi deux poids, deux mesures ne nous paraît pas complètement satisfaisant, d’où le dépôt de notre amendement à l’article 1er. La protection du jeune public doit concerner de façon identique les chaînes du service public et celles du secteur privé. Nous pouvons comprendre qu’une telle mesure générale soit plus difficile à mettre en œuvre, mais la politique des petits pas peut mener au gouffre…
Nous reconnaissons, monsieur Leleux, que le service public doit être soumis à de plus grandes exigences en matière de vertu. C’est d’ailleurs ce qui justifie son financement public. Néanmoins, s’agissant de la santé de nos enfants, pourquoi rester au milieu du gué ? Selon nous, il n’y a pas d’obstacle rédhibitoire à la généralisation de la mesure proposée : nous avons bien réussi à supprimer la publicité en faveur de l’alcool et du tabac dans les médias. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Françoise Laborde et Patricia Schillinger applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, selon le psychanalyste Serge Tisseron, spécialiste de la télévision et de ses effets sur le comportement, « dans une société démocratique, tous les citoyens sont censés connaître le registre des messages qu’ils reçoivent. […] Les adultes parviennent très bien à les repérer, mais les enfants ne repèrent pas ces distinctions avant 6-7 ans. Du coup, ils reçoivent les messages publicitaires au même titre que […] des informations. Ils sont trompés sur la nature réelle des messages qui leur sont donnés. »
La proposition de loi de notre collègue Gattolin, adoptée il y a un an par le Sénat puis en janvier 2016 à l’Assemblée nationale, contre l’avis du Gouvernement, vise à réglementer la publicité dans les programmes jeunesse. Elle tend également à amoindrir la force des messages commerciaux à destination des enfants, cœur de cible particulièrement vulnérable des publicitaires !
À cet effet, l’article 2 supprime la publicité commerciale durant les programmes de la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans, ainsi que pendant les quinze minutes qui les précèdent ou qui les suivent. De plus, l’article 1er de la proposition de loi prévoit une régulation –certes très modeste ! – de la publicité dans les programmes jeunesse sur les chaînes privées, au travers d’une réglementation, par un décret en Conseil d’État, des messages publicitaires diffusés.
Un regrettable constat fonde la nécessité de cette proposition : la publicité abuse les enfants à un âge où ils sont dans une relation surtout affective avec les marques et ne comprennent pas leur nature commerciale. Des études ont ainsi montré que la publicité à destination des enfants a une incidence néfaste sur leur développement, pouvant engendrer un comportement prescripteur, des préférences pour les aliments peu sains et causer des problèmes d’obésité. Ce sont les raisons pour lesquelles le Québec, depuis 1980, la Suède, depuis 1991, et la Norvège, depuis 1992, ont choisi d’interdire la publicité dans les programmes pour enfants.
De manière plus spécifique, Taïwan et le Mexique ont interdit en 2016 la publicité télévisuelle faisant la promotion de certains aliments à destination des enfants. Dans un objectif de santé publique, il est urgent de suivre les recommandations de l’OMS à cet égard, qui invitent à réduire à la fois l’exposition des enfants et la force des messages commerciaux.
Par ailleurs, la publicité fait parfois la promotion auprès des enfants de produits destinés aux adultes, comme le maquillage ou les vêtements, en véhiculant avec force des stéréotypes de genre. À cet égard aussi, le service public a un devoir d’exemplarité !
Enfin, concernant les publicités sur les sites internet des chaînes de télévision, des chercheurs ont montré que, à tout âge, l’enfant n’est pas en mesure de faire la différence entre le contenu publicitaire et le contenu du site. Est en cause la confusion des visuels entre la bannière publicitaire et le site, spécifiquement entretenue par les annonceurs. Il est donc de bon sens que la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse des chaînes publiques françaises s’applique également aux sites internet associés.
Cette proposition de loi constitue une étape indispensable, mais il est nécessaire d’aller plus loin dans la protection des enfants contre la force de persuasion de la publicité. Il faut lutter activement contre la confusion entretenue par le marketing ciblé sur les enfants entre la fiction et la publicité, qui fait obstacle au développement de leurs facultés naissantes d’exercice de leur pensée.
Premièrement, il s’agit de veiller à la bonne application des textes existants. Par exemple, le décret du 27 mars 1992 confie au CSA le soin de veiller au respect des modalités d’identification et d’insertion des écrans publicitaires, qui doivent être aisément identifiables au sein des programmes, ce qui n’est pas le cas : les indicatifs publicitaires sont trop courts pour permettre une réelle séparation entre les publicités et le reste du programme, et la continuité des codes visuels et sonores contribue à masquer les transitions entre différentes parties du programme.
Deuxièmement, malgré l’interdiction de la publicité clandestine en France, il serait souhaitable de contrôler plus rigoureusement les programmes de fiction proposés aux enfants, trop souvent envahis, directement ou indirectement, par des références à des marques et des discours de consommation.
Troisièmement, pour aller plus loin, il pourrait être envisagé de mettre en place des dispositifs neutralisant les techniques de frappe du marketing ciblé sur les enfants, que ce soit dans la publicité à la télévision ou ailleurs. L’exemple de la BBC, qui a interdit aux présentateurs des programmes jeunesse de ses chaînes d’apparaître dans une publicité sans accord préalable, illustre ce qui pourrait être fait pour réduire la force des messages publicitaires. En effet, leur impact sur le public vulnérable que constituent les enfants tient à l’utilisation de techniques marketing éprouvées, comme le recours à des célébrités ou à de fausses allégations nutritionnelles et de santé.
Il est possible et souhaitable, en suivant l’exemple britannique, de réduire la force de ces messages, comme nous enjoint d’ailleurs de le faire l’OMS.
La suppression de la publicité pendant les programmes nationaux de télévision destinés aux moins de douze ans, ainsi que durant quinze minutes avant et après la diffusion de ces programmes, nous paraît donc une mesure particulièrement utile pour protéger les enfants d’une publicité qui, je le répète, les abuse.
Ainsi, comme en première lecture, aucun des membres du RDSE ne s’opposera à l’adoption conforme de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme des discussions entre les deux chambres sur ce texte ô combien important en termes d’enjeux de santé publique et d’éducation.
Je tiens à souligner le travail effectué par notre ancien collègue Jacques Muller et repris par André Gattolin. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Le consensus sur les objectifs de cette proposition de loi traduit l’urgence de faire évoluer la réglementation en matière de publicité en direction des jeunes enfants. En effet, nul ne conteste plus les effets néfastes de la publicité sur ce public fragile, hormis certains lobbies.
Cependant, si les objectifs sont partagés, les modalités pour les atteindre ne le sont pas nécessairement. J’en veux pour preuve les positionnements successifs de certains de nos collègues, que je regrette.
Or, comme l’a rappelé notre rapporteur Corinne Bouchoux, dont je veux également saluer la qualité du travail, ce texte est équilibré, puisque l’interdiction envisagée a une triple caractéristique : elle est ciblée, complète et adaptée au service public de l’audiovisuel.
Plus précisément, il s’agit de prévoir que les programmes de la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans ne comportent pas de messages publicitaires autres que des messages de prévention. Exeunt donc les publicités pour des produits alimentaires et des jouets ! Ces programmes jeunesse seraient sanctuarisés, l’interdiction courant en outre quinze minutes avant et quinze minutes après leur diffusion.
Certes, les débats perdurent s’agissant d’une éventuelle perte de recettes pour l’audiovisuel public. Cette perte se chiffre à environ 20 millions d’euros. Mes chers collègues, permettez-moi de conforter la position de notre rapporteur, qui estime que cette inquiétude n’est nullement fondée. En effet, le Gouvernement a pris acte de la volonté du Parlement d’avancer sur ce sujet, tout comme le groupe France Télévisions, qui a pris en compte cette future évolution dans le nouveau contrat d’objectifs et de moyens. Dans ce dernier, France Télévisions précise que cette perte ne pèsera pas sur ses comptes et ne se traduira pas par un moindre financement des films d’animation français. Je tiens ici à saluer votre engagement, madame la ministre.
Par ailleurs, sur la forme de l’article tel qu’il nous est soumis après examen par l’Assemblée nationale, des questionnements sont apparus. Le texte prévoit désormais que « les messages publicitaires diffusés par les services de télévision dans les programmes destinés à la jeunesse sont réglementés par un décret en Conseil d’État ».
Sur ce point, des interrogations de deux natures ont été exprimées. D’abord, les chaînes de télévision privées ont fait valoir que cette rédaction pourrait conduire à élargir le champ d’application des dispositions à leur secteur. Comme l’a indiqué notre rapporteur, ces craintes n’ont pas lieu d’être. Ensuite s’est posée la question de la pertinence de cet ajout en droit. Notre rapporteur a fait le choix, après examen approfondi, de ne pas modifier la version de l’Assemblée nationale. En effet, considérant que cet ajout était sans conséquence, elle a préféré – et la commission l’a suivie – s’en tenir à la version des députés, afin de passer des paroles aux actes : l’adoption conforme nous permettrait d’espérer une mise en œuvre rapide de ces dispositions.
Ajoutons que l’Union nationale des associations familiales nous invite à voter en l’état la proposition de loi,…
M. David Assouline. Ce n’est pas du lobbying, ça ?
M. Claude Kern. … qui introduit selon elle « deux leviers essentiels : la protection de l’enfant et la prévention en valorisant les messages pour la santé et le développement des enfants ». Nous répondrions ainsi au souhait des 87 % de Français favorables à l’interdiction de la publicité commerciale dans les émissions des chaînes publiques destinées aux enfants.
Aussi, mes chers collègues, je vous invite à soutenir cette proposition de loi, comme je le ferai, à l’instar des autres membres du groupe UDI-UC.
Je tiens cependant à souligner que ce texte pose, en filigrane, la question de la remise à plat du financement de France Télévisions.
Mme Patricia Schillinger et M. David Assouline. Ah !
M. Claude Kern. En effet, indépendamment de l’examen de ce texte, nous ne ferons pas l’économie d’une refonte du mécanisme de financement de l’audiovisuel public. Cette réforme structurelle s’impose du fait de l’impact de la révolution numérique, qui change radicalement le mode de consommation des programmes télévisuels.
Dans cette perspective, je veux rappeler que nous soutenons les mesures proposées par nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin dans leur rapport de 2015 intitulé « Pour un nouveau modèle de financement de l’audiovisuel public : trois étapes pour aboutir à la création de “France Médias” en 2020 ». Comme ils le suggèrent, il convient d’envisager une hausse de la contribution à l’audiovisuel public et un reversement de la totalité du produit de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques. Il s’agit, à court terme, de stabiliser les ressources de l’audiovisuel public. À plus long terme, il sera indispensable d’instaurer une contribution forfaitaire universelle, sur le modèle allemand. Cette réforme sera sans conteste l’un des grands chantiers culturels du prochain quinquennat.
Mes chers collègues, pensez au bien-être et à la santé de nos enfants ! Dans cet esprit, je vous invite à soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes tous animés des mêmes bonnes intentions, mais les dispositions de ce texte permettront-elles de les mettre en œuvre et d’atteindre l’objectif affiché ?
Il s’agit de protéger les enfants de messages qu’ils ne sont pas encore en mesure de décrypter comme les adultes, faute de la distance nécessaire. France Télévisions, qui est exemplaire en la matière, a décidé de supprimer la publicité dans ses programmes jeunesse destinés aux moins de six ans : je le dis à l’intention de ceux qui font comme si cette mesure n’avait pas déjà été prise ! Or, dans ce débat, il n’est question que de France Télévisions, et pas des chaînes privées, qui n’ont pourtant pas pris la même décision vertueuse.
De manière plus globale, il me semble que l’on méconnaît l’évolution du monde de l’audiovisuel : il n’y a plus de sanctuarisation possible. En effet, les enfants regardent beaucoup de programmes destinés aux adultes, tels que des émissions de téléréalité, des séries ou même des émissions d’information. Or, s’agissant de ces programmes, rien n’est proposé pour encadrer la publicité. En outre, les enfants ne regardent pas en priorité France Télévisions, y compris pour ce qui est des programmes jeunesse, puisque le service public en diffuse 200 heures, contre plus de 600 heures pour la seule chaîne privée Gulli. Ajoutons qu’un enfant sait se servir d’une télécommande : si ses parents ont réglé le téléviseur sur une chaîne du service public, il pourra toujours « zapper » en leur absence !
Par ailleurs, les enfants regardent de plus en plus de programmes sur internet, en particulier sur YouTube. On n’en est plus à l’ère de la télé à papa ! Ainsi, le clip d’une chanson de Disney a été visionné 570 000 fois, les épisodes de Petit Ours brun 60 millions de fois, le Roi Lion 9 millions de fois… Or, avant et après ces vidéos sont diffusées des publicités pour des jouets de guerre, pour Flunch ou pour McDonald’s, qui promeuvent la violence et la malbouffe. Sur internet non plus, aucune régulation n’est prévue : je ne dis pas qu’il était aisé d’en introduire une dans ce texte, dans la mesure où le CSA ne contrôle pas ce qui est diffusé sur la Toile ; c’est d’ailleurs un problème général qu’il faudra poser, pour prendre en compte la fantastique mutation technologique que connaît le secteur audiovisuel. Pour l’heure, aucune règle, aucune moralisation ne vaut dans l’espace où s’effectue désormais la majeure part de la consommation d’images !
Dans ces conditions, je ne crois pas à la sanctuarisation. Si l’on ne traite pas tout le monde sur un pied d’égalité, il y aura des effets d’aubaine et des effets pervers. L’interdiction de la publicité durant les programmes jeunesse ne procurera pas, selon moi, un avantage compétitif à France Télévisions. J’ai plutôt l’impression que ce sera l’inverse, notamment parce qu’il faudra que France Télévisions investisse dans la production française, celle qui exprime nos talents, nos valeurs, pour pouvoir continuer à proposer des émissions pour enfants de qualité. Or, pour investir, il faut de l’argent, et voilà que l’on propose de priver France Télévisions de 20 millions d’euros de manne publicitaire !
Le COM a anticipé cette perte, nous dit-on. Nous en discuterons lors de l’examen des prochains projets de loi de finances, mais la perte de ressources se fera sentir avant 2018. En effet, les annonceurs élaborent des budgets pluriannuels : sachant qu’il n’y aura plus de publicité sur France Télévisions en 2018, ils se désengageront dès à présent. Dans le même ordre d’idées, quand on a supprimé la publicité après 20 heures sur France Télévisions, des annonceurs, envisageant leur partenariat avec le groupe public de façon globale, ont aussi cessé d’acheter des créneaux publicitaires avant 20 heures.
Le Gouvernement, quant à lui, avait prévu d’augmenter de 1 euro la redevance, ce qui aurait engendré une ressource supplémentaire de 25 millions d’euros. Malheureusement, l’Assemblée nationale n’a pas suivi… Comment être sûrs que le relèvement de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques, destiné à compenser la perte de 20 millions d’euros de recettes, sera reconduit les prochaines années ? Quelles seront les intentions de ceux qui gouverneront demain ? On ne le sait pas !
M. André Gattolin. Ce sont les électeurs qui décideront !
M. David Assouline. Le candidat de la droite à l’élection présidentielle considère, semble-t-il, que le périmètre de France Télévisions est beaucoup trop large, que le contribuable est trop sollicité et qu’il faudra réduire la voilure. Je ne suis donc pas certain que les gouvernants de demain pérenniseront la hausse de cette taxe. En revanche, l’augmentation de la redevance garantissait une ressource pérenne de 25 millions d’euros directement affectée au service public de l’audiovisuel, quelle que soit la majorité en place.
Ces éléments objectifs doivent être pris en compte, même s’ils pondèrent l’enthousiasme de certains.
Il faut certes protéger les enfants des agressions des prédateurs qui profitent de leur innocence pour faire pression sur eux et, par suite, sur leurs familles, mais, encore une fois, la seule action efficace réside dans l’éducation des enfants et des familles et dans la moralisation de l’audiovisuel en général. On a tort de croire que l’interdiction de la publicité durant les programmes jeunesse pour le seul service public permettra la sanctuarisation de ce dernier, qui s’est d’ailleurs déjà montré très vertueux en interdisant la publicité à destination des enfants de moins de six ans et, pour le reste, en mettant en place un contrôle, en amont de la diffusion des spots publicitaires, du respect des chartes signées avec les professionnels en matière de moralisation de la publicité.
Les Français seraient favorables à 87 % à l’interdiction de la publicité durant les programmes jeunesse diffusés sur France Télévisions, paraît-il. Ce n’est qu’un sondage : les Français n’ont pas été consultés ! Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais les résultats d’un sondage ne sont pas un argument d’autorité, surtout par les temps qui courent !
M. André Gattolin. Du calme…
M. David Assouline. Si vous voulez que la politique et le débat public aient encore un sens, arrêtez d’assimiler sondage et consultation des Français ! Les sondages ne sont pas de la science !
Il va de soi que les familles sont d’accord pour que l’on protège les enfants de la publicité sur France Télévisions ! Cela ne veut pas dire pour autant qu’elles sont favorables à la publicité à destination des enfants sur les chaînes privées. Le sondage en question mérite d’autant moins de fonder la réflexion qu’il a été commandé par l’auteur de la proposition de loi…
M. André Gattolin. Et alors ?
M. David Assouline. Ce n’est qu’un élément versé au débat. Il n’a pas de valeur scientifique.
M. André Gattolin. Persiflage !
M. David Assouline. On n’imagine pas qu’un gouvernement se fonde sur un sondage commandé par ses soins pour prendre une mesure !
Pour toutes ces raisons, je ne partage pas l’enthousiasme de certains de mes collègues pour ce texte. Cependant, reconnaissant les bonnes intentions de Mme la rapporteur et de l’auteur de la proposition de loi,…
M. André Gattolin. Ah !
M. David Assouline. … nous nous abstiendrons. Cette abstention n’est pas passive. Nous nous battrons pour que, d’ici à 2018, le financement de France Télévisions soit garanti et que le dispositif soit amélioré et étendu à l’ensemble des chaînes, de manière que les plus vertueux ne soient pas désavantagés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Claudine Lepage applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous étudions ce soir nous est revenu de l’Assemblée nationale dans une version quasiment identique à celle qu’avait élaborée le Sénat.
En effet, les députés ont maintenu le principe de la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse de France Télévisions, ainsi que l’intégralité des assouplissements que nous avions apportés au dispositif initial. Je pense que la Haute Assemblée peut se féliciter de ce succès.
La proposition de loi devrait donc être adoptée par le Sénat sans difficulté, comme elle l’a été en commission la semaine dernière.
Compte tenu des réticences du Gouvernement et du débat qui a eu lieu au sein de notre commission, je m’efforcerai d’expliquer, à la suite de notre rapporteur, en quoi ce dispositif de protection des mineurs, tel que nous l’avons encadré en commission, permettra d’atteindre l’objectif affiché, tout en respectant les intérêts économiques en présence.
Je tiens d’ailleurs, en tant que membre de la commission, à féliciter le rapporteur, Corinne Bouchoux, pour son investissement personnel et pour avoir su trouver un équilibre entre les différents enjeux mis en lumière lors de nos auditions.
Les secteurs économiques concernés sont le secteur publicitaire, celui des produits visant un jeune public et, enfin, le diffuseur des messages, France Télévisions.
Tout d’abord, concernant la publicité et les produits de consommation, il faut préciser que la réforme ne vise que l’audiovisuel public, les chaînes privées continuant à relever d’une autorégulation, sous le contrôle du CSA.
En outre, lors de la première lecture, nous avons introduit, pour les programmes visés, une limite d’âge de douze ans, qui nous semble raisonnable au regard de la situation de vulnérabilité des plus jeunes. Le champ d’application du texte a donc été restreint.
Surtout, nous avons supprimé la hausse de 50 % de la taxe sur la publicité prévue par le texte initial. Cette hausse, représentant 7,5 millions d’euros, aurait impacté les annonceurs et, par ricochet, leurs clients.
Concernant France Télévisions, il est difficile de chiffrer exactement le manque à gagner dû à la disparition de la publicité durant les programmes jeunesse, mais celle-ci appellera de toute façon une compensation, même si des économies peuvent évidemment la pallier pour partie. Comme l’a souligné le rapporteur, France Télévisions a déjà répercuté les effets de la réforme dans la rédaction de son contrat d’objectifs et de moyens, en intégrant, à partir de 2018, une baisse des recettes de publicité de 20 millions d’euros. La compensation intégrale est cependant loin d’être évidente ; il s’agissait du principal argument opposé par le Gouvernement à l’adoption de la proposition de loi. Or, une réforme des ressources de France Télévisions est devenue nécessaire à court terme, que cette proposition de loi soit adoptée ou pas. Notre commission a déjà engagé une réflexion sur ce thème.
Le récent rapport présenté par nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin a montré qu’il était urgent de revoir des règles établies lorsqu’internet n’existait pas. Il faut envisager de restreindre la dépendance de France Télévisions à des recettes publicitaires qui vont mathématiquement se réduire comme peau de chagrin du fait d’un transfert vers d’autres modes de communication.
Aussi notre commission, sur l’initiative de Jean-Pierre Leleux, a-t-elle procédé à un changement de date pour l’entrée en vigueur du texte. Nous avons retenu celle du 1er janvier 2018, pour que la suppression de la publicité durant les programmes destinés à la jeunesse coïncide avec une réforme de la contribution à l’audiovisuel public que le Sénat préconise de conduire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018. Le soin de mener cette réforme reviendra au prochain gouvernement.
Enfin, il faut savoir quel rôle nous voulons donner au service public. J’estime que celui-ci est dans son rôle lorsqu’il refuse la publicité durant des programmes destinés aux enfants de moins de douze ans et que cette exemplarité justifie l’investissement que chaque citoyen accepte de faire pour financer un service qui se distingue de celui des chaînes privées. En quoi France Télévisions pourrait-elle faire valoir une identité spécifique si elle insère dans ses programmes jeunesse les mêmes écrans publicitaires que les chaînes privées ? Il me semble que la suppression de la publicité contribuera à affirmer l’identité spécifique de France Télévisions.
Cette mesure est réalisable financièrement, et elle répond à un souhait réel des parents. Les temps évoluent. La durée d’exposition de l’enfant aux programmes télévisés n’est pas comparable avec celle que nous avons connue avant la naissance d’internet, lorsque les chaînes se comptaient sur les doigts d’une main et que les parents conservaient un certain contrôle. Le développement de l’obésité chez les jeunes et la surconsommation sont des phénomènes nouveaux.
S’il n’est pas question de modifier du jour au lendemain les équilibres économiques dépendant de la publicité, je pense que nous pouvons nous rassembler autour de l’idée d’un audiovisuel public protecteur et ayant valeur de modèle.
Notre groupe se réjouit que ce texte équilibré, qui est l’objet d’une très forte attente, soit le fruit du travail du Sénat. Nous espérons qu’il pourra réunir le consensus le plus large. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi a déjà une longue histoire. Elle s’inspire, en effet, d’un texte déposé en 2010 par notre ancien collègue Jacques Muller, que je salue.
C’est en tenant compte des critiques qui lui avaient été faites et des évolutions importantes qui ont modifié notre paysage audiovisuel depuis que j’ai déposé, en 2013, cette nouvelle mouture, plus affinée dans ses objectifs.
Après une première lecture l’an passé, la voici de retour dans cet hémicycle, pour, espérons-le, une adoption définitive.
Les effets de la publicité sur les comportements et le développement de nos enfants sont aujourd’hui indéniables. Les études récentes mettent en évidence une dégradation de leurs pratiques alimentaires, un dérèglement de leur mode de vie et une confusion accrue dans leur hiérarchie des valeurs. Tout cela affecte profondément leur manière d’être en famille, à l’école et en société.
Je ne développerai pas davantage cet inquiétant constat qu’ont déjà exposé les intervenants précédents. Je rappellerai simplement que ce texte répond à un objectif d’intérêt général, la protection de nos enfants.
Ainsi, loin de relever d’une initiative minoritaire, partisane ou isolée, cette proposition de loi transcende les clivages politiques et sociaux. Elle recueille l’approbation massive de nos concitoyens – pas seulement au travers des enquêtes d’opinion, monsieur Assouline –, l’appui des principales associations familiales et de parents d’élèves, ainsi que le soutien de différentes institutions et personnalités du monde de la santé et de l’éducation.
Elle participe, à l’échelle européenne, d’une dynamique plus globale qui conduit un nombre croissant de pays à légiférer : en Allemagne, par exemple, un cadre très contraignant s’applique en matière d’autorisation de diffusion de messages commerciaux pour enfants ; aux Pays-Bas, une interdiction cible la promotion des produits alimentaires non diététiques ; en Grèce, la publicité pour les jeux et jouets jugés préjudiciables aux enfants est prohibée ; en Espagne, au Royaume-Uni et en Belgique, toute publicité visant les enfants est interdite sur les chaînes publiques ; enfin, dans trois pays d’Europe du Nord, elle est désormais proscrite sur l’ensemble des chaînes de télévision.
Notre pays se situe aujourd’hui en queue du peloton de l’Union européenne en matière de régulation. Adopter ce soir cette proposition de loi nous replacera en bien meilleure position.
Je voudrais maintenant tenter de répondre à certaines objections parfois opposées à ce texte.
Il faut s’en féliciter, personne ne remet en cause, sur le fond, le bien-fondé de notre initiative en faveur de la protection de l’enfance. Les réticences exprimées par certains sont essentiellement d’ordre économique, la principale d’entre elles tenant aux conséquences financières qu’entraînerait l’adoption d’une telle mesure pour France Télévisions.
À ce propos, je dois saluer le sens de l’anticipation dont a fait preuve la direction du groupe en intégrant d’ores et déjà, dans son dernier plan d’affaires, la baisse de recettes publicitaires qui résulterait de la mise en œuvre du dispositif. Toutefois, son chiffrage de cette baisse – 20 millions d’euros par an –, plus de deux fois supérieur au nôtre, est un peu surprenant. Il conviendrait d’y regarder de plus près, d’autant qu’il est peu documenté…
En tout état de cause, quels que soient les chiffres retenus, le montant de la perte de recettes n’excède pas 0,3 % à 0,7 % du budget global du groupe. C’est peu, d’autant que France Télévisions bénéficiera prochainement – outre les compensations et garanties apportées par l’État – de nouvelles recettes publicitaires : un décret en préparation, visant à assouplir les conditions du partenariat télévisuel, devrait en effet, selon France Télévisions, permettre une augmentation des recettes du groupe de 5 millions à 10 millions d’euros par an.
Par ailleurs, la régie du groupe vient de remporter le contrat de commercialisation publicitaire des trois chaînes pour enfants du groupe privé Turner. Elle va aussi jouir aussi des retombées financières d’accords récents passés avec la chaîne YouTube Kids France. Au final, l’ensemble de ces nouvelles recettes compensera largement le manque à gagner que j’évoquais.
Certains producteurs de films d’animation se sont émus, craignant que France Télévisions investisse moins dans ce type de programmes en cas de suppression de la publicité durant ses émissions pour enfants.
Je tiens à rappeler que je suis l’auteur de plusieurs textes et amendements visant à renforcer les crédits d’impôt pour les secteurs des jeux vidéo et de l’image animée. Je suis même allé défendre mes propositions à Bruxelles. Dès lors, il est quelque peu « gonflé » de prétendre que je voudrais assassiner l’animation française ! Les représentants de ce secteur d’activité, que j’ai rencontrés à plusieurs reprises, ne m’ont d’ailleurs fait aucun reproche en ce sens.
Il n’y a de toute façon aucun risque en la matière : la production de programmes jeunesse de qualité fait partie des obligations assignées par l’État à France Télévisions. De plus, elle progresse au sein des chaînes privées, la parité avec les chaînes publiques étant quasi atteinte.
En ce qui concerne les annonceurs, certains professionnels du secteur des jeux et des jouets se sont manifestés. Pourtant, ce marché très dynamique en France, qui a connu une progression de près de 10 % sur les trois dernières années, n’a pas grand-chose à redouter. Dans les faits, seules les grandes marques étrangères – qui représentent l’essentiel du marché – disposent des moyens d’investir dans des publicités télévisées. Or, selon les données fournies par Kantar Media, qui est la référence en matière d’investissements publicitaires, France Télévisions ne drainait, en 2015, que 6,5 % des investissements télévisuels de ce secteur : pas de quoi déstabiliser ces entreprises, dont nous pouvons juger de la force de frappe en cette période précédant les fêtes…
Si l’incidence économique de ce texte est, à l’évidence, assez dérisoire, sa portée est loin de n’être que symbolique en termes de régulation publicitaire. Il offrira enfin à nos enfants la possibilité de profiter, quelques heures par jour, d’un espace télévisuel dédié et libre de ces incitations commerciales qui, malheureusement, envahissent presque tout leur environnement quotidien, parfois jusqu’à l’intérieur de leurs écoles. Ce faisant, il permettra aussi au service public audiovisuel de se distinguer par la nature de son offre.
Pour ces raisons, je vous invite vivement, mes chers collègues, à franchir ce qui n’est qu’un petit pas pour le législateur, mais qui constitue une avancée de géant pour la protection et le devenir de nos enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique
TITRE IER
˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙
Chapitre Ier
Protection des enfants et des adolescents
Article 1er
(Non modifié)
Le premier alinéa de l’article 14 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Il adresse chaque année au Parlement un rapport évaluant les actions menées par les services de communication audiovisuelle en vue du respect par les émissions publicitaires qui accompagnent les programmes destinés à la jeunesse des objectifs de santé publique et de lutte contre les comportements à risque et formulant des recommandations pour améliorer l’autorégulation du secteur de la publicité. Les messages publicitaires diffusés par les services de télévision dans les programmes destinés à la jeunesse sont réglementés par un décret en Conseil d’État. »
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par M. Abate, Mme Gonthier-Maurin, M. P. Laurent, Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article 80 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un article 80-… ainsi rédigé :
« Art. 80-… – Les programmes des services de communication audiovisuelle ne relevant pas du titre III destinés prioritairement aux enfants de moins de douze ans ne comportent pas de messages publicitaires autres que des messages génériques pour des biens ou services relatifs à la santé et au développement des enfants ou des campagnes d’intérêt général. Cette restriction s’applique durant la diffusion de ces programmes ainsi que pendant un délai de quinze minutes avant et après cette diffusion. Elle s’applique également à tous les messages diffusés sur les sites internet de ces mêmes services nationaux de télévision qui proposent des programmes prioritairement destinés aux enfants de moins de douze ans.
« Est considérée comme un programme des services de télévision destiné aux enfants et adolescents de moins de douze ans la fiction, l’émission ou toute œuvre audiovisuelle répondant à un ou plusieurs des critères suivants :
« - La conception du programme pour les enfants ou les adolescents.
« Peuvent notamment être pris en compte la présence de personnages jeunes, les thématiques touchant les enfants et les adolescents, le langage, les codes et la musique employés, le cadre de l’action ;
« - La diffusion du programme à des horaires appropriés à ces publics ;
« - L’habillage spécifique du programme, qui l’identifie comme s’adressant à ces publics ;
« - L’élaboration ou le suivi du programme par l’unité en charge de la jeunesse au sein du service ;
« - La promotion du programme par le service comme s’adressant à ces publics, dont les sites internet, la communication dans la presse, la communication professionnelle, la présentation des programmes par la régie publicitaire. »
La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Il s’agit d’élargir l’interdiction de la publicité dans les programmes jeunesse à l’ensemble des chaînes, au lieu d’en limiter le champ au seul service public de l’audiovisuel.
Cette extension, bien qu’incomplète dans la mesure où les enfants ne regardent pas uniquement les programmes destinés à la jeunesse, marquerait du moins une véritable avancée en exonérant ces programmes de toute publicité sans creuser le fossé entre secteur public et secteur privé. Ce serait là, cher André Gattolin, un vrai pas de géant !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Bouchoux, rapporteur. Nous l’avons dit, cette proposition de loi est un texte d’équilibre, qui a vocation à ne s’appliquer qu’au service public, dans les conditions que nous avons définies.
La proposition de nos collègues du groupe CRC, d’une grande radicalité, ne s’inscrit clairement pas dans cette logique.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Audrey Azoulay, ministre. L’adoption de cet amendement pourrait remettre en cause la viabilité des chaînes pour enfants, voire celle des cases « jeunesse » des chaînes privées.
L’avis du Gouvernement est défavorable.
J’indique que la France défend avec force à Bruxelles, dans le cadre de la révision de la directive européenne Services de médias audiovisuels, l’idée de soumettre à régulation les plateformes de vidéos sur internet, plutôt que d’opérer un nivellement par le bas.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Leleux. On ne peut pas déstabiliser ainsi le modèle économique équilibré des chaînes privées, qui ont aussi leurs difficultés. Le présent texte ne vise que l’audiovisuel public.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Ce qui nous occupe ici, c’est la protection des enfants, et non celle du modèle économique des chaînes privées… Cela étant, je savais bien que les bonnes intentions de Mme la rapporteur et de M. Gattolin ne coïncidaient pas forcément avec les objectifs de nos collègues siégeant du côté droit de l’hémicycle !
De la même manière, lors du débat sur la réforme de l’audiovisuel public, la suppression de la publicité sur les chaînes de télévision publiques avait pu être défendue par la gauche comme un moyen de protéger le service public contre l’emprise du commerce et la dictature de l’audimat, comme on disait alors. Je ne tenais pas pour autant Nicolas Sarkozy pour le plus grand défenseur du service public de l’audiovisuel ! Je savais que beaucoup plaidaient pour cette suppression afin que la manne publicitaire, qui assurait la moitié du financement de l’audiovisuel public, revienne au privé. Certains n’hésitaient pas à l’admettre, et c’est d’ailleurs ce qui s’est en partie produit. On peut donc habiller de très belles intentions des projets guère avouables…
J’entends Mme la rapporteur, qui prône une politique de petits pas, mais j’entends aussi ceux de nos collègues qui veulent avant tout protéger le modèle économique des chaînes privées.
En tout état de cause, moi qui défends le pluralisme du secteur de l’audiovisuel, je sais que ce n’est pas au détour de la discussion d’un amendement que nous pourrons régler la question. Pour rendre le secteur privé aussi vertueux que le service public, il nous faudra élaborer un texte d’ensemble, traitant de la prévention, de l’éducation, et ne prévoyant pas simplement des interdictions.
Nous nous abstiendrons sur cet amendement, qui a en tout cas le mérite d’éclairer une partie du champ du débat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je voudrais dire à nos collègues du groupe CRC que leur amendement recueille d’autant plus notre sympathie que le texte déposé par Jacques Muller et Évelyne Didier, que j’avais cosigné avec Jean-Pierre Bel et Jean-Pierre Sueur, couvrait lui aussi un large spectre. Malheureusement, il ne s’était pas trouvé de majorité pour le voter, tout comme il ne s’est pas trouvé de majorité, à l’Assemblée nationale, pour augmenter la redevance…
Comme je l’ai dit en commission, mieux vaut gravir une petite marche que de rester au pied d’un grand escalier romantique que l’on contemple, mais qui ne nous élève pas. Nous voterons contre cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Chapitre II
Dispositions applicables au service public audiovisuel
˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙
TITRE II
˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. Abate, Mme Gonthier-Maurin, M. P. Laurent, Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse
Cet amendement n'a plus d'objet.
Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je veux rappeler à ceux qui défendent avec fougue le modèle actuel de financement de l’audiovisuel public que notre commission est également compétente en matière d’éducation et de jeunesse. Les nombreuses associations – très pluralistes et représentatives – d’éducateurs, de parents et de familles dont nous avons auditionné à ce titre les représentants soutiennent résolument ce texte, au-delà des sondages que vous remettez en cause, monsieur Assouline.
Pour notre part, nous défendons avec tout autant de fougue le modèle de l’audiovisuel public, mais selon une perspective cohérente. J’ai demandé à nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin d’effectuer un travail de fond sur ce sujet. Le dispositif de cette proposition de loi ne serait applicable qu’à compter de 2018. Il clarifie les missions respectives de l’audiovisuel public et du secteur privé. On est en droit d’avoir certaines exigences spécifiques à l’égard du service public.
Tout cela s’inscrit dans une démarche de réforme du financement de l’audiovisuel public. Nous aurons d’autres occasions d’en discuter.
Je ne comprends pas le fatalisme de certains, qui se demandent à quoi bon supprimer la publicité sur les chaînes publiques quand les enfants sont abreuvés d’images par leurs tablettes et leurs smartphones. Si l’on suit cette logique, pourquoi ne pas autoriser la diffusion sur les chaînes de télévision du pire de ce qui circule sur internet, puisque les enfants peuvent de toute façon y avoir accès ?
Nous estimons pour notre part qu’il revient aux parents et à l’éducation nationale de former les enfants à l’usage des médias dès leur plus jeune âge. Il ne peut y avoir de place pour le fatalisme sur ces questions ; renoncer serait coupable.
Je voterai cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Leleux. L’esprit et l’objectif de cette proposition de loi, qui vise à protéger les enfants d’une publicité intrusive, parfois dangereuse pour leur santé, sont unanimement approuvés par la Haute Assemblée.
Nous avons d’autant plus volontiers accompagné l’élaboration de ce texte que, en commission, Mme la rapporteur – que je félicite pour son travail – et M. Gattolin ont accepté des modifications qui ont permis au Sénat de l’adopter en première lecture.
Par ailleurs, ce texte va dans le sens des propositions que nous avons faites en appelant à une évolution du modèle économique de France Télévisions, fondée sur une réforme de la contribution à l’audiovisuel public et sur un meilleur retour sur investissement dans la production, l’objectif étant d’arriver, à terme, à une suppression totale de la publicité sur le service public de l’audiovisuel. (M. David Assouline s’exclame.)
Oui, monsieur Assouline, il faut réinventer le modèle économique du secteur public et préserver celui du secteur privé, dont l’unique source de recettes est la publicité ! Il s’agit de deux modèles totalement différents. Veillons à préserver la diversité du paysage audiovisuel.
Par ailleurs, je suis sensible à certains des arguments que vous avez développés. Ce texte a ses limites, dans la mesure où la publicité se répand sur des écrans autres que celui de la télévision.
Néanmoins, cette proposition de loi constitue à mes yeux un pas dans la bonne direction et surtout un signal envoyé aux familles : il importe de protéger les enfants. Je la voterai, tout comme l’ensemble des membres du groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Nicole Duranton applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.
Mme Patricia Schillinger. Jacques Bigot et moi-même voterons ce texte. Notre ancien collègue Jacques Muller, qui était un fervent partisan de l’interdiction projetée, a eu raison d’engager ce débat sur l’exposition des enfants à des publicités néfastes pour eux, face à laquelle leurs parents sont démunis.
J’ajouterai qu’il faudrait aussi se pencher sur la publicité destinée aux adultes, pour les serviettes hygiéniques ou les colles dentaires, par exemple, qui donne souvent une mauvaise image des femmes, voire des hommes. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote.
M. Patrick Abate. Ce texte ne nous satisfait pas plus en deuxième lecture qu’en première.
Cela étant, nous prenons acte de la sincérité de l’engagement en faveur de la protection des enfants de Mme la rapporteur, dont nous saluons le travail, et de l’auteur de la proposition de loi. Nous partageons totalement leur objectif.
Cependant, je me permets d’insister, monsieur Gattolin, sur le fait qu’il ne s’agit que d’un tout petit pas. Si nous n’en sommes pas suffisamment conscients, nous ne parviendrons jamais à faire vraiment le nécessaire pour protéger efficacement les enfants.
Bien que ce texte soit à nos yeux largement insuffisant, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. Je veux remercier l’ensemble de mes collègues pour la qualité de nos débats, supérieure à celle des discussions auxquelles j’ai assisté à l’Assemblée nationale… (Exclamations amusées.)
Pour ma part, monsieur Abate, je crois aux petits matins de gaîté, et non aux grands soirs de désespoir… (Nouvelles exclamations amusées.) Ce ne sont pas des slogans, mes chers collègues, c’est de la poésie !
Je suis tout à fait ouvert au débat, et je respecte l’esprit de liberté et d’indépendance de notre collègue David Assouline, dont je salue la compétence. Cela étant, nous ne sommes pas naïfs ! Certes, l’accès du plus grand nombre aux tablettes, dont la ministre de l’éducation nationale veut d’ailleurs développer l’utilisation dans les écoles, impose que l’on trouve les moyens de contrôler les contenus numériques diffusés sur internet. Aujourd'hui, il est très difficile de le faire, parce que cette diffusion s’effectue sans régulation et de façon transnationale. Or on est précisément en train d’élaborer, à l’échelon européen, une directive Services de médias audiovisuels qui vise, pour la première fois, à réguler non seulement la télévision linéaire, mais aussi YouTube et les services de médias audiovisuels à la demande, ainsi peut-être que certains réseaux sociaux. Cela permettra aussi de faire respecter les quotas de production française et européenne.
La commission des affaires européennes a rédigé une proposition de résolution européenne sur ce sujet. Elle a été soumise à la commission de la culture. Je passe en moyenne au moins une journée par semaine à Bruxelles pour promouvoir nos positions auprès de la Commission européenne, des membres du Parlement européen et des représentants des différents organismes du Bureau européen des unions de consommateurs, monsieur Assouline.
Les règles contraignantes que comporte cette directive fixeront le cadre dans lequel pourra demain s’exercer une régulation satisfaisante des messages publicitaires, des programmes et des contenus diffusés sur internet. Quand ce cadre aura été établi, nous pourrons légiférer.
Sur le fond, je pense qu’il n’y a pas de divergence entre nous.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Bockel. Il se trouve que Jacques Muller, qui est présent dans les tribunes, est devenu sénateur en 2007, lorsque je suis entré au gouvernement, et qu’il a quitté le Sénat en 2010, lorsque j’y suis revenu. Le jour de son départ, il a déposé la proposition de loi qui a inspiré celle dont nous débattons aujourd’hui, selon lui meilleure…
À l’époque, j’avais déjà un certain nombre de divergences avec Jacques Muller, qui n’ont pas disparu. Toutefois, nous nous retrouvons sur certains points.
M. Jean Desessard. Il est alsacien ! (Sourires.)
M. Jean-Marie Bockel. Certes, mais ce n’est pas à cela que je pensais !
Alors que nous nous interrogeons sur l’avenir de nos enfants, sur le cadre dans lequel ils pourront se construire, sur les valeurs à leur transmettre, des marqueurs sont à mon sens nécessaires pour signaler les progrès à réaliser. Ce texte en est un, et c’est avec une profonde conviction que je le voterai, et non par simple solidarité alsacienne… (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je veux moi aussi souligner la qualité de nos débats, qui se sont étendus à la réforme du financement de l’audiovisuel public, enjeu majeur pour l’avenir.
Toutefois, je regrette que de tels débats ne réunissent que des sénateurs et sénatrices spécialistes des questions culturelles et audiovisuelles (On le conteste sur les travées du groupe écologiste.) et ne suscitent pas un plus large intérêt au sein de notre assemblée. C’est d’ailleurs en général à une heure tardive que l’on aborde ces sujets…
Ma position a été interprétée par Mme la présidente de la commission comme relevant d’une forme de fatalisme, qui conduirait à renoncer à agir. Il n’en est rien : je conteste simplement qu’une sanctuarisation soit possible. L’argumentation des partisans de la sanctuarisation se fonde sur l’illusion que les enfants ne regarderaient que les programmes qui leur sont destinés, et de surcroît exclusivement ceux du service public. Or les chiffres montrent que, à l’évidence, cette vision ne correspond pas à la réalité.
Nous devrions nous attacher à mettre en place un contrôle, une moralisation des contenus publicitaires ciblant les enfants diffusés sur les chaînes privées ou sur internet, comme nous l’avons déjà fait pour l’audiovisuel public. Cela seulement permettra de réellement protéger les enfants des messages incitant à la violence ou à des comportements alimentaires néfastes.
M. André Gattolin. Attendons la directive européenne, et nous pourrons légiférer !
M. David Assouline. Je dis simplement, sans aucun fatalisme, que l’application de cette proposition de loi pourrait avoir des effets pervers. Il me semble donc difficile de considérer que le présent texte constitue un premier pas, sauf à approfondir la réflexion, en s’appuyant par exemple sur mon rapport de 2007 sur la jeunesse et les nouveaux médias, qui anticipait nombre des évolutions auxquelles nous assistons actuellement. Sur le plan législatif, on n’a pas beaucoup avancé depuis pour ce qui concerne le contrôle d’internet au regard de la protection de l’enfance, à laquelle nous sommes tous attachés.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble de la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 75 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 213 |
Pour l’adoption | 213 |
Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et de l'UDI-UC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
12
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 8 décembre 2016 :
À dix heures trente : cinq questions orales (ordre d’appel fixé par le Gouvernement).
À onze heures : débat sur le thème « Le Massif central, un enjeu de développement territorial » (demande du groupe du RDSE).
À quinze heures : débat sur la situation et l’avenir de La Poste (demande du groupe communiste républicain et citoyen).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD