M. le président. L'amendement n° 811, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 63, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
dans un délai fixé par décret en Conseil d’État, le salarié devant bénéficier d’une visite de contrôle a minima tous les deux ans
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Cet amendement vise à rétablir le caractère bisannuel de la visite médicale, supprimé dans l’article 44 et remplacé par un suivi périodique dont les modalités sont adaptées par le médecin lui-même en fonction des conditions de travail et des caractéristiques du salarié.
Conditionner la périodicité des examens médicaux à l’âge, à l’état de santé et aux conditions de travail constitue un recul majeur en matière de surveillance médicale des salariés. Comme le dénonce le syndicat des cadres CFE-CGC Santé au travail, ce texte va éloigner les salariés des médecins du travail. Ceux-ci ne pourront plus repérer les nouveaux maux, tels les risques psychosociaux, le burn-out, le suicide. Ce sera en tout cas plus difficile. Ils ne pourront ni proposer des solutions ni témoigner de ce qu’il se passe dans les entreprises. Le rôle de lanceur d’alerte des médecins du travail est lui aussi remis en cause.
Pour reprendre les mots de chercheurs, de médecins, d’universitaires, la meilleure manière de ne pas s’occuper de l’aliénation de la santé des travailleurs du fait du travail est de briser toute mise en visibilité. Pas de visite médicale régulière, pas de traces des problèmes de santé et de leurs causes !
C’est un droit fondamental, le droit du travail, qui est remis en cause, au profit des entreprises. L’instauration d’un suivi à plusieurs vitesses conduira à promouvoir l’inégalité dans l’entreprise et à isoler davantage certains salariés pourtant confrontés quotidiennement à des risques professionnels, qu’ils soient physiques ou mentaux.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons qu’un suivi médical régulier soit mis en œuvre pour l’ensemble des travailleurs, et non pas uniquement pour une partie d’entre eux.
M. le président. L'amendement n° 341, présenté par Mmes Génisson et Bricq, MM. Guillaume et Caffet, Mmes Campion et Claireaux, MM. Daudigny et Durain, Mmes Emery-Dumas et Féret, MM. Godefroy, Jeansannetas et Labazée, Mmes Meunier, Riocreux et Schillinger, MM. Tourenne et Vergoz, Mme Yonnet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 63
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Tout travailleur de nuit bénéficie, avant son affectation sur un poste de travail et à intervalles réguliers d’une durée ne pouvant excéder six mois par la suite, d’une surveillance médicale particulière dont les modalités sont déterminées par décret en Conseil d’État.
La parole est à Mme Catherine Génisson.
Mme Catherine Génisson. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 37 rectifié, 440 et 925 rectifié sont identiques.
L'amendement n° 37 rectifié est présenté par Mmes Lienemann et Ghali.
L'amendement n° 440 est présenté par Mme Archimbaud, M. Desessard, Mmes Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin, Labbé et Poher.
L'amendement n° 925 rectifié est présenté par Mme Laborde, M. Bertrand, Mmes Jouve et Malherbe et M. Vall.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 64
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 37 rectifié.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. L’alinéa 64, que nous proposons de supprimer, vise à conditionner la périodicité du suivi médical des salariés à l’âge du travailleur, à son état de santé, à ses conditions de travail, ainsi qu’aux risques professionnels auxquels il est exposé.
Cet alinéa introduit donc une inégalité de traitement entre les salariés dits « à risque » et les autres. Or tous les salariés sont concernés par les risques professionnels, les mauvaises conditions de travail, des relations difficiles autour d’eux, des troubles psychosociaux, le burn-out. Le risque est donc de réduire le suivi médical de certains salariés pour qui ces visites sont pourtant nécessaires.
On observe depuis quelques années un accroissement des pathologies et des difficultés que je viens d’évoquer. Il me semble tout à fait inacceptable de conditionner ainsi la périodicité des suivis médicaux.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour présenter l'amendement n° 440.
Mme Corinne Bouchoux. Cela a déjà été dit, ce n’est pas parce qu’un travailleur est jeune et apparemment en bonne santé lors de son embauche qu’il ne risque pas de développer des pathologies liées à ses conditions de travail. Vous savez comme moi que les risques psychosociaux peuvent concerner tout le monde, à tout âge.
Selon le rapport 2013-2014 du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles, les troubles psychosociaux sont la première cause de consultation en centres de consultation de pathologie professionnelle, notamment des publics jeunes. Ces troubles pourraient être prévenus – c’est à cela que sert le suivi médical –, à condition que tout le monde soit suivi de la même façon.
Être jeune ne préserve malheureusement pas du risque, ou cela se saurait !
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall, pour présenter l'amendement n° 925 rectifié.
M. Raymond Vall. Je rappelle que la politique de dépistage des maladies fait aujourd'hui partie de l’arsenal ayant permis de réaliser de nombreux progrès. Je ne vois donc pas pourquoi, alors même que la prévention des risques professionnels devrait être au cœur des politiques, on créerait une inégalité.
Je souhaite donc moi aussi la suppression de l’alinéa 64.
M. le président. L'amendement n° 909 rectifié, présenté par MM. Requier, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 64
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La périodicité de ce suivi ne peut être supérieure à deux ans.
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Cet amendement vise à assurer un suivi du salarié par l'organisation d'une visite médicale tous les deux ans au maximum. Bien entendu, ce délai peut être réduit en fonction des conditions de travail, de l’état de santé et de l’âge du travailleur, ainsi que des risques professionnels auxquels il est exposé.
M. le président. L'amendement n° 441, présenté par Mme Archimbaud, M. Desessard, Mmes Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin, Labbé et Poher, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 64
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Tout salarié a la possibilité de solliciter une visite médicale lorsqu’il anticipe un risque d’inaptitude dans l’objectif d’engager une démarche de maintien dans l’emploi. » ;
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Nous voici parvenus à un point crucial de notre débat.
Au lieu de mettre en œuvre une médecine de soins et de réparation, il serait plus important de miser sur la prévention. À cet égard, la médecine de travail a un rôle primordial à jouer.
Il ne faut pas attendre que les conditions de travail dégradent durablement la santé d’un travailleur pour chercher des améliorations.
Le Conseil national d’orientation des conditions de travail a suggéré d’introduire la possibilité pour le salarié de bénéficier, dès la présomption d’inaptitude, d’un accompagnement personnalisé permettant une réelle sécurisation de son parcours professionnel.
L’objet de notre amendement est de développer cet accompagnement personnalisé dans une logique préventive. Il s’agit de prendre conscience des problèmes en amont, d’éviter que les travailleurs ne développent des pathologies liées à leurs conditions de travail et de prévenir autant que possible les inaptitudes pour cause professionnelle, avant qu’il ne soit trop tard.
La prévention est le meilleur des remèdes.
M. le président. L'amendement n° 1065, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 64
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Tout travailleur de nuit bénéficie d’un suivi individuel régulier de son état de santé. La périodicité de ce suivi est fixée par le médecin du travail en fonction des particularités du poste occupé et des caractéristiques du travailleur, et selon des modalités déterminées par décret en Conseil d’État. » ;
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Le Gouvernement a souhaité présenter cet amendement pour lever un certain nombre d’inquiétudes qui se sont exprimées au cours du débat sur le suivi médical particulier dont doit bénéficier le travailleur de nuit.
La loi fixe aujourd'hui une périodicité uniforme de six mois pour tous les travailleurs de nuit. Or il existe un consensus fort des experts, comme en atteste la recommandation de la Société française de médecine du travail de 2012, labellisée par la Haute Autorité de santé.
Ces experts recommandent un suivi médical le plus adapté possible, modulable en fonction des situations individuelles particulières, notamment des conditions de travail, de l’âge et de l’état de santé du travailleur.
Un tel dispositif est plus adapté que la surveillance systématique semestrielle de l’aptitude qui existe aujourd’hui et qui s’applique de manière indifférenciée à tous les travailleurs. C’est le dispositif que vise à introduire le présent amendement. Le médecin du travail déterminera la périodicité de ce suivi selon des modalités définies par décret.
M. le président. L'amendement n° 439, présenté par Mme Archimbaud, M. Desessard, Mmes Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin, Labbé et Poher, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 66 et 68
Supprimer ces alinéas.
II. – Alinéa 67
Au début, insérer la référence :
« Art. L. 4624-2. –I.-
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Cet amendement vient en complément de notre amendement précédent, qui portait sur la suppression de la visite d’aptitude. Il vise à rétablir la visite d’information et de prévention à l’embauche pour tous les postes, au lieu d’une visite médicale d’aptitude, contraire, nous l’avons dit, aux missions premières de la médecine du travail.
Cela étant dit, nous ignorions, lorsque nous l’avons déposé, que le Gouvernement déposerait un amendement visant à détériorer un peu moins la situation.
M. le président. L'amendement n° 813, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 66
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 4624-2. – En parallèle de la visite médicale prévue à l’article L. 4624-1, une visite d’information et de prévention est effectuée par l’un des professionnels de santé visés à ce même article afin de sensibiliser le salarié aux risques professionnels et psycho-sociaux au travail.
II. – Alinéas 68 et 69
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Cet amendement vise, d’une part, à réintroduire la visite médicale d’aptitude que le projet de loi prévoit de remplacer par une visite d’information et de prévention, et, d’autre part, à l’accompagner d’une autre visite de prévention, centrée sur les risques psychosociaux.
Nous attirons l’attention sur cette réalité en développement au XXIe siècle. La lutte contre les risques psychosociaux est en effet l’un des plus gros défis. Ces risques sont en constante progression depuis plusieurs années, au moins 37 % des salariés y étant directement exposés selon les statistiques.
Ces risques, qui peuvent déboucher, on le sait, sur des burn-out, des dépressions, voire des suicides, ne font pas aujourd'hui l’objet d’une politique de prévention adéquate. Or on sait qu’ils sont liés pour l’essentiel à l’organisation du travail, à sa répartition, à sa reconnaissance ou à certaines pratiques de management. Encore faut-il pouvoir détecter les risques. Or, contrairement aux autres maladies professionnelles, les risques psychosociaux sont moins facilement repérables parce que moins attachés à un poste ou un secteur en particulier. Il est donc nécessaire de repenser la politique de prévention.
Nous proposons donc de prévoir un dispositif de prévention en complément de la visite médicale d’aptitude, que nous proposons de rétablir.
M. le président. L'amendement n° 229 rectifié, présenté par Mmes Yonnet, Lienemann et Ghali, MM. Kaltenbach, Duran et Leconte et Mmes Monier et Lepage, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 66
Remplacer les mots :
visite d’information et de prévention effectuée par l’un des professionnels de santé visés à ce même article
par les mots :
visite médicale d’embauche effectuée par le médecin du travail
II. – Alinéa 67
Remplacer les mots :
visite d’information et de prévention
par les mots :
visite médicale d’embauche
La parole est à Mme Evelyne Yonnet.
Mme Evelyne Yonnet. Cet amendement vise à préserver une visite médicale d’embauche pour tous les salariés, réalisée par le médecin du travail au plus tard avant l’expiration de la période d’essai.
Nous sommes bien conscients qu’il est difficile pour le Gouvernement de ne pas acter le décalage entre les 22 millions de visites nécessaires au regard du code du travail qui est actuellement en vigueur et les 3 millions de visites réellement effectuées.
Cependant, comme je l’ai expliqué au début de l’examen de cet article, si les visites effectuées sont trop peu nombreuses, il vaudrait mieux trouver des solutions pour parvenir à une adéquation entre les faits et la loi au lieu d’adapter cette dernière.
Le médecin du travail joue un rôle central dans l’entreprise, il est une garantie pour le salarié, un protecteur et un lanceur d’alerte grâce à son indépendance professionnelle. Il est le coordinateur entre le patron et le salarié, notamment en cas de reclassement. Il est également en lien avec l’inspecteur du travail.
Le médecin du travail doit être au plus près des salariés. Il ne doit pas seulement attendre la demande du salarié, qui se tourne la plupart du temps vers son médecin généraliste. Il a une place privilégiée au sein du CHSCT, où il noue un dialogue avec les partenaires sociaux sur les conditions de travail, dans une logique de suivi et de prévention des risques au travail.
Le remplacement de la visite médicale d’embauche par une visite d’information et de prévention entraînerait une insécurité tant juridique que médicale pour la plupart des salariés, lesquels préfèrent aujourd’hui le plus souvent consulter leur médecin généraliste.
Nous sommes conscients que le travail à effectuer sera ardu pour adapter la réalité au code du travail tel qu’il est en vigueur aujourd'hui, mais il nous paraît essentiel que cette visite médicale soit effectuée pour tous les salariés, par le médecin du travail aidé de son équipe pluridisciplinaire et sous son autorité.
Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 922 rectifié, présenté par Mme Laborde, MM. Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 69
Remplacer les mots :
oriente le travailleur vers le médecin du travail
par les mots :
rend compte de ses constatations au médecin du travail
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Cet amendement tend à rappeler le rôle central du médecin du travail dans la politique d’information et de prévention. Celui-ci est le seul habilité à juger des moyens à mettre en œuvre au regard de la santé, de l’âge du travailleur et de ses conditions de travail et des risques professionnels auxquels ce dernier est exposé. Le professionnel de santé doit rester sous son autorité et n’est pas apte à juger s’il doit ou non orienter le salarié vers le médecin du travail.
La rédaction actuelle affaiblirait considérablement le rôle du médecin du travail et sa responsabilité à l’égard de la santé des salariés ; elle pourrait ouvrir la porte à une santé à deux vitesses au sein des entreprises.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements restant en discussion ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Nous abordons, avec ces amendements, un aspect essentiel du débat sur la médecine du travail.
Chacun peut avoir une vision différente de ce sujet, notamment au niveau des entreprises. Les situations sont en effet très hétérogènes selon qu’il s’agit de grandes entreprises, où l’on trouve souvent un médecin du travail, ou de petites entreprises. Elles diffèrent également beaucoup suivant les départements. Dans certains départements, la médecine du travail fonctionne relativement bien, des visites régulières sont organisées dans les entreprises, tous les deux ans, voire tous les ans. En revanche, dans d’autres départements, les visites ne sont mises en place que tous les cinq ou six ans, et sont même parfois inexistantes.
Face à l’ensemble de ces difficultés, nous estimons que la première mesure à prendre pour donner du temps à la médecine du travail est de supprimer les très nombreuses visites médicales redondantes.
Parmi les 22 millions de visites d’embauche qui doivent théoriquement avoir lieu chaque année, quelque 15 millions concernent des CDD de moins d’un mois. Si l’on considère les CDD de moins de trois mois, il faut probablement ajouter 2 ou 3 millions de visites supplémentaires.
Lorsque ces visites concernent, au cours d’un intervalle de temps restreint, la même personne et les mêmes fonctions, les professionnels de santé les qualifient eux-mêmes d’artificielles. Bien sûr, si la personne change complètement de métier, l’approche de la visite peut être différente, mais souvent, l’orientation professionnelle se fait dans une même filière.
L’une des clefs du problème réside donc dans la mise en place de mesures permettant d’éviter ces visites lorsqu’elles ne sont pas nécessaires. À l’alinéa 81 de l’article 44, que la commission a complété en ce sens, nous en appelons à la responsabilité du Gouvernement. Nous lui demandons de mettre en œuvre la mesure proposée par le député Michel Issindou dans le rapport qu’il a réalisé lors d’une mission pour l’IGAS. Notre commission, dans sa recherche constante de solutions et d’appuis pour les promouvoir, l’a d'ailleurs auditionné.
Notre collègue député propose, pour les salariés intérimaires et en CDD de moins de trois mois, de créer un fichier régional qui doit permettre de réaliser une seule visite dans un laps de temps donné, puis son renouvellement périodique. Cela suppose de promouvoir l’interopérabilité informatique des services de santé au travail et de leur permettre d’utiliser un numéro d’identifiant commun, comme le numéro de sécurité sociale, par exemple, ou un autre numéro qui leur serait propre.
Au-delà de ce préalable, indispensable pour mettre en œuvre une réforme cohérente, je formulerai une seconde observation sur la réforme proposée par le Gouvernement.
Quel que soit le dispositif adopté, celui que propose la commission, celui qui est suggéré par d’autres ou celui que vous proposez, madame la secrétaire d’État, le nombre de visites – visites d’aptitude ou visites d’information – à réaliser en lien avec l’embauche restera toujours le même, puisque chaque travailleur est concerné. Le flux sera donc toujours le même.
Certes, vous proposez, madame la secrétaire d'État, d’élargir le champ des professionnels de santé habilités à réaliser la visite d’information, mais je voudrais tout de même vous rappeler que le nombre total d’infirmiers en santé au travail, même en y ajoutant quelques spécialistes et les médecins collaborateurs, ne dépasse pas aujourd'hui le quart du nombre total de médecins du travail.
Vous avez le même flux à assumer et vous voulez – c’est en tout cas ce qui est apparu à certains observateurs –, le déporter massivement sur une visite de prévention et d’information, qui durera aussi longtemps que la visite médicale et sera réalisée par un corps dédié au sein de l’équipe pluridisciplinaire numériquement très inférieur au corps des médecins. J’ai un problème de compréhension de l’équilibre en termes de temps sur ce basculement.
Certes, le nombre d’infirmiers augmente plus vite, mais les médecins, vous l’avez dit, sont encore 5 200. Je les ramène à 4 500 en équivalents temps plein si je ne prends pas en compte les médecins d’entreprises, mais je puis me tromper… Or les infirmiers sont 1 300. Avant que les courbes ne se croisent, on a peut-être le temps de faire quelque chose. Il reste les médecins collaborateurs, au nombre de 150. Au total, le nombre des professionnels de santé qui ne sont pas médecins du travail reste donc inférieur à 3 000.
Compte tenu de ce préalable et de ce rappel, la commission des affaires sociales estime que, au regard des enjeux, le principe général doit rester celui de la visite d’embauche. Notre texte précise que la visite d’information et de prévention sera possible lorsque la nature du poste envisagé le permet.
La commission approuve la possibilité que cette visite soit réalisée par tout professionnel de santé membre de l’équipe pluridisciplinaire, sous l’autorité du médecin du travail, bien entendu, dans le respect du protocole. Les membres de l’équipe pluridisciplinaire pourront orienter, dans un certain nombre de cas, les personnes qu’ils auront vues vers le médecin du travail s’ils en perçoivent la nécessité.
Le texte de la commission apporte plusieurs précisions sur les délais dans lesquels ces visites doivent être réalisées, ce que ne prévoit pas le texte proposé par le Gouvernement, car aucune date n’est fixée pour la visite d’information et de prévention.
Selon nous, pour avoir un sens, cette visite doit être effectuée au plus tard pendant la période d’essai. Si elle intervient trois ou quatre ans après, cela n’a plus de sens du tout. Il vaut mieux alors demander au salarié d’effectuer un examen chez son médecin de ville.
Mme Catherine Génisson. On n’en trouve plus !
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Si, il y en a encore, ma chère collègue !
Enfin, la commission estime que les médecins du travail et leurs équipes, dans des conditions encadrées par décret – j’insiste sur ce point, car un certain nombre de règles sont nécessaires – sont les mieux à même de définir les modalités de la périodicité du suivi en fonction du profil du travailleur, de ses conditions de travail, de l’évolution de son poste et des risques associés. Cette solution est privilégiée par une majorité des professionnels que nous avons auditionnés. Nous ne voulons donc aucune règle figée en la matière.
J’ai un peu l’expérience du travail de nuit, un sujet sur lequel vous avez déposé un amendement, madame le secrétaire d’État. On sait que, pour le salarié appelé à travailler la nuit, la période la plus délicate est le passage des horaires classiques aux horaires de nuit. Il ne sait pas tout de suite s’il pourra s’y adapter. Il y a d’autres difficultés dans le parcours du salarié, mais celles-ci sont plus sensibles en fin de carrière. En effet, travailler la nuit est moins difficile à trente-cinq ans qu’à cinquante-cinq.
Probablement, sur de telles périodes de travail, le rythme des visites doit-il être beaucoup plus resserré, mais l’appréciation en revient au médecin, dont c’est la responsabilité.
J’en viens aux différents amendements.
La commission a donné un avis favorable à l’amendement n° 441 de Mme Archimbaud. En effet, il ne nous paraît pas inutile de rappeler dans la loi la possibilité pour tout travailleur d’accéder à une visite médicale à sa demande. Cela permet de couvrir aussi des besoins qui seraient peut-être mal définis au niveau de postes en apparence relativement banals, mais qui peuvent présenter des difficultés.
Je prendrai l’exemple d’un poste de vendeuse dans un magasin où l’on trouve principalement des vêtements en laine. La vendeuse en question peut découvrir qu’elle est allergique à la laine. Pourtant, a priori, le poste ne sera pas défini comme à risque. Il faut donc que le salarié puisse effectivement vérifier que son environnement de travail ne sera pas à l’origine de problèmes de santé, sans que ceux-ci soient forcément d’une gravité extrême.
En ce qui concerne l’amendement n° 176 rectifié de Mme Bonnefoy, qui n’a pas été soutenu, sachez que la commission n’était pas opposée à l’introduction des termes « personnel infirmier » dans le texte. Cette précision permettait de rassurer cette profession et peut-être aussi, en établissant un parallèle avec les infirmiers qui travaillent en entreprise, de leur apporter une reconnaissance par rapport à la structure pluridisciplinaire.
En revanche, sur les amendements nos 980, 817, 342, 438, 811 et 341, sur les amendements identiques nos 37 rectifié, 440 et 925 rectifié, ainsi que sur les amendements nos 909 rectifié, 439, 813 et 229 rectifié, qui ne sont pas en phase avec la ligne qui a été arrêtée par notre commission, nous avons émis un avis défavorable.
S'agissant de l’amendement n° 340 présenté par Mme Lienemann, la commission a considéré que, au regard des exigences posées par le droit actuel, il n’était pas nécessaire d’encadrer davantage les modalités de réponse de l’employeur aux propositions du médecin du travail L’avis de la commission est donc également défavorable.
En ce qui concerne l’amendement n° 922 rectifié de Mme Laborde, je souligne que, par définition, tous les membres de l’équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail, qu’il s’agisse de professionnels de santé ou non, sont placés sous l’autorité du médecin du travail. Dès lors, ces personnes coordonnent les informations et en rendent compte au médecin du travail. Les précisions introduites par cet amendement ne sont donc pas nécessaires.
Dans les faits, cela passe par la mise en œuvre de protocoles entre le médecin du travail et les professionnels placés sous son autorité. Le texte de la commission des affaires sociales ne remet en cause ni la lettre ni l’esprit de cette disposition.
La préoccupation exprimée ici ne nous semblant pas fondée, nous demandons le retrait de cet amendement, auquel, sinon, nous donnerons un avis défavorable.
Enfin, la commission n’a pas examiné l’amendement n° 1065 visant le travail de nuit, que le Gouvernement vient de nous présenter, mais, en tant que rapporteur, je lui donne un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. J’exposerai de manière globale la position du Gouvernement.
Comme vous l’avez constaté et comme nous avons eu l’occasion de l’expliquer, la position du Gouvernement sur le dispositif de la réforme est pragmatique : nous voulons nous appuyer sur une équipe pluridisciplinaire, identifier les risques et traiter les situations particulières.
Nous avons souhaité également que ces propositions fassent l’objet d’une concertation. Elles ont reçu le soutien majoritaire des partenaires sociaux au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail, le COCT. C’est un élément important.
Pour cette raison et en nous appuyant sur ces positions qui résument notre argumentation, nous ne pouvons pas émettre un avis favorable sur les amendements identiques nos 37 rectifié, 440 et 925 rectifié.
Leurs auteurs nous reprochent de ne pas traiter tout le monde de manière équivalente – c’est le terme qui a utilisé lors la défense de ces amendements. Toutefois, justement, au regard de certaines situations que nous déplorons, nous considérons que notre responsabilité est de traiter de manière particulière les personnes qui, plus que les autres, sont placées dans des situations de risques ou de difficultés.
Voilà ce qui justifie l’avis défavorable que nous donnons à ces trois amendements identiques.
Nous donnons, comme M. le rapporteur, un avis favorable à l’amendement n° 441 de Mme Archimbaud qu’a présenté Mme Bouchoux, Son adoption permettrait justement d’ajouter un élément à la grille de lecture qui est la nôtre et que j’ai définie brièvement, qui consiste à prévoir la possibilité pour le salarié de demander à faire l’objet d’une visite médicale.
Le Gouvernement n’est pas favorable à l’ensemble des autres amendements qui ont été présentés, en particulier ceux qui tendent à solliciter encore plus qu’aujourd'hui les professionnels de la médecine du travail, dont nous manquons cruellement.
Leurs auteurs remettent le médecin du travail au centre du dispositif, en écartant quelquefois les autres professionnels ou les autres membres des équipes pluridisciplinaires. C’est ainsi que nous avons compris les amendements nos 229 rectifié et 922 rectifié.
Les amendements qui visent à imposer des visites périodiques et régulières, renforçant encore les obligations, ne sont pas réalistes. C’est notamment le cas de l'amendement n° 909 rectifié, qui a pour objet d’imposer une visite tous les deux ans, ainsi que, dans le même esprit, des amendements nos 342 et 438. Ils ne vont pas dans un mauvais sens, mais, en termes d’efficacité, au regard de la situation que nous avons décrite, ils ne peuvent recevoir un avis favorable, vous le comprendrez.
De la même façon, l’amendement n° 813, qui vise une double visite – j’ai envie de dire : une double contrainte –, à la fois à l’embauche et lors de la visite de prévention, ne nous paraît pas pouvoir être retenu.