M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Je veux simplement rappeler que l’article 19 de la loi du 31 juillet 2014 obligeait le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce employant moins de 250 salariés à informer les salariés au moins deux mois avant la cession.
La loi du 6 août 2015 a modifié plusieurs dispositions faisant l’objet de critiques : la sanction de la nullité de la vente a notamment été remplacée par une amende civile. Mais, en fonction du montant de la transaction, cette amende peut être intégrée dans la négociation. Vous vous donnez donc bonne conscience, sans forcément aller jusqu’au bout de votre raisonnement : si l’on ne veut pas respecter la loi, on paie une amende civile et on procède à la transaction sans en avoir informé les salariés. Vous n’allez donc pas au bout de votre exigence d’efficacité.
Avec Catherine Deroche et un certain nombre de collègues des groupes de la majorité sénatoriale, aussi bien le groupe UDI-UC que le groupe Les Républicains, j’avais alors mis le doigt sur un point qui me semble essentiel : nous souhaitons la transmission des entreprises, nous la souhaitons absolument.
Je fais rarement référence à ma situation personnelle, mais, pour avoir négocié un certain nombre de transactions d’entreprise au cours des vingt dernières années, je puis vous dire que, lorsque l’entreprise n’est pas dans une situation mirobolante et que la transaction est difficile, dès que les personnes sont informées du départ de l’équipe de direction, sans savoir qui va la remplacer, ce ne sont pas les salariés qui posent problème, mais l’ensemble des partenaires extérieurs, les banques et les fournisseurs. Avec la diffusion de cette information, vous mettez en difficulté l’entreprise et vous hypothéquez la transaction qui peut lui permettre d’assurer la continuité. C’est au titre de ce raisonnement, à savoir la discrétion, que je défends cette idée et non pas simplement pour ne pas informer les salariés.
L’autre formule consiste à ficeler l’opération sans en informer les salariés et attendre le délai de deux mois avant de divulguer l’information.
En théorie, la mesure que vous soutenez est généreuse et logique, mais, en pratique, elle ne tient absolument pas. C’est la raison pour laquelle nous nous acharnons à vouloir rétablir un dispositif qui permette la transmission des entreprises.
S’il n’y a pas de repreneur et si l’activité doit cesser, on peut être favorable à un délai d’information suffisamment long pour que les salariés puissent éventuellement prendre la succession ou trouver par eux-mêmes un repreneur. Mais prévoir une information systématique des salariés deux mois avant la cession est totalement contre-productif pour la pérennité des entreprises et les emplois qu’elles représentent.
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Intervention moins théâtrale, mais nettement plus pratique !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. J’émets un avis totalement favorable sur l’amendement de suppression de l’article.
La commission supprime non seulement toute information des salariés sur les possibilités de reprise – d’ailleurs, le comité d’entreprise est soumis à une obligation de confidentialité sur les informations transmises –,…
M. Marc Daunis. Bien sûr !
Mme Myriam El Khomri, ministre. … mais également toute possibilité de contrôle de l’obligation d’information des salariés sur les éventuelles offres de reprise…
M. Marc Daunis. Exactement !
Mme Myriam El Khomri, ministre. … et des élus locaux sur le projet de fermeture, ce qui reviendrait en quelque sorte à supprimer l’obligation de rechercher un repreneur.
Au-delà de cette obligation, comme l’a très bien expliqué M. Daunis, l’ANI de 2013 vise en quelque sorte à éviter, sur le plan local, les répercussions de la fermeture d’une entreprise. En effet, les conséquences vont bien au-delà des emplois directs supprimés. Il est donc indispensable d’encourager la reprise de l’appareil de production, et a fortiori lorsque les salariés se portent repreneurs.
En conséquence, le Gouvernement est favorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Daunis, pour explication de vote.
M. Marc Daunis. Monsieur le rapporteur, pardonnez-moi, mais comment pouvez-vous dire que mon propos est théâtral quand il s’agit de 50 000 emplois ! La remarque est malvenue.
Vous nous reprochez de ne pas aller au bout de notre raisonnement, mais vous nous avez demandé d’être pragmatiques. Le Gouvernement s’est attaché à être pragmatique en la matière en écoutant les reproches ou les remarques, parfois, à mon avis, trop nombreux. Toutefois, donnez la chance à ce dispositif de faire ses preuves !
J’entends bien les craintes que vous avez formulées, mais j’entends aussi votre silence assourdissant. Vous ne faites aucune proposition. Pardonnez-moi, mais si je gratte un peu, je retrouve – je regrette qu’il n’y ait pas eu d’évolution ! – les deux visions de l’entreprise. Vous tombez de nouveau dans le travers d’une vision exclusivement patrimoniale de l’entreprise. Les salariés seraient tellement infantiles qu’ils ne seraient même pas capables de tenir leur langue. Vous les rabaissez – c’est ce qui est insupportable dans votre argumentaire ! – au même rang que les éléments d’actif, le mobilier, les locaux, les machines, alors que c’est leur avenir qui est en jeu !
Comment ne pas croire que l’entreprise de demain sera un lieu de travail où la gouvernance sera forcément mieux partagée, plus démocratique ! Les salariés sont au moins aussi légitimes que les actionnaires ou les fonds de pension pour intervenir dans le devenir de l’entreprise. Ils peuvent être responsables et prendre leurs responsabilités.
Les propos de Mme la ministre sont particulièrement justes, la commission a même supprimé ce qui constituait l’amorce d’une possibilité de reprise des entreprises.
Pour conclure, le temps m’étant compté, je veux dire que les entreprises de la nouvelle économie, notamment les petites entreprises, sont parfois soumises à la prédation. Aussi, le droit d’information préalable des salariés est nécessaire pour éviter la fermeture et préparer une reprise : cela ne se décrète pas, il faut des mois et des mois pour que les salariés puissent élaborer un projet de reprise. En refusant ce droit pour des raisons idéologiques, vous livrez l’intelligence nouvelle, les talents de nos territoires aux prédateurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Nous voterons cet amendement pour les raisons qui viennent d’être exposées.
Nous sommes favorables au maintien du droit d’information préalable des salariés. Je le rappelle, c’est tout ce qui est resté, dans le cadre de la loi relative à l’économie sociale et solidaire, d’une grande ambition du Gouvernement, et d’ailleurs d’un engagement de campagne du Président de la République, celui d’encourager la possibilité pour les salariés d’être repreneurs de leur entreprise.
Monsieur le rapporteur, vous faites comme si le problème de l’absence de repreneur était résiduel.
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Non !
M. Pierre Laurent. Mais beaucoup d’entreprises ferment faute de repreneur, sans que les salariés aient jamais eu les moyens d’examiner la possibilité de présenter sérieusement un plan de reprise.
Le Gouvernement avait la volonté de prendre une mesure ambitieuse en la matière. La discussion parlementaire a réduit cette possibilité au droit d’information préalable des salariés. Non seulement il ne faut pas supprimer ce droit, mais il faudrait le conforter et, peut-être sur la base de l’expérience, réexaminer les possibilités plus ambitieuses avancées à l’époque.
C’est pourquoi nous voterons l’amendement présenté par notre collègue Marc Daunis.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Le groupe écologiste votera aussi l’amendement présenté par M. Daunis, et je n’ai rien à ajouter à l’argumentaire très motivé et très enthousiaste qu’il a développé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Je voterai bien sûr contre cet amendement, car je souscris sans réserve à l’argumentation de M. le rapporteur Gabouty. Qui peut un seul instant imaginer qu’un chef d’entreprise ne mette pas tout en œuvre pour trouver un repreneur ? (Murmures sur les travées du groupe CRC.) Le chef d’entreprise est attaché à ce qu’il a créé, attaché à son personnel et il aime son entreprise !
Mme Évelyne Didier. Dans certains cas, oui, mais pas toujours !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur.
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Je comprends bien les arguments avancés par les uns et les autres et je ne veux pas allonger le débat ; je tiens simplement à souligner qu’il faut distinguer plusieurs cas de figure.
En pratique, la plupart des cessions et des reprises d’entreprises donnent lieu à un accord entre le vendeur et le repreneur et des contacts s’établissent entre le repreneur et les salariés, parce que le premier le souhaite.
M. Marc Daunis. C’est vrai.
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Je pense que personne ne contestera qu’il en va ainsi dans le cas général.
Restent deux cas, à commencer par celui d’une cession qui réclame une certaine confidentialité, au niveau non seulement du personnel, mais aussi de l’entourage immédiat des dirigeants de l’entreprise, éventuellement pour des raisons propres à l’acheteur. Faire échouer une telle transaction en instaurant non pas une possibilité, mais une obligation d’informer me paraît contre-productif.
Le dernier cas, sur lequel nous devrions nous pencher pour trouver des dispositifs adaptés, est celui des entreprises, aujourd’hui nombreuses et de toutes tailles, qui, même si leur dirigeant a la volonté d’assurer la pérennité de son outil, ne trouvent pas de repreneur.
M. Marc Daunis. Et voilà !
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Peut-être est-ce que le chef d’entreprise n’a pas suffisamment cherché ; peut-être aussi le secteur d’activité souffre-t-il de difficultés particulières. Toujours est-il que cette situation entraîne une perte de substance, des entreprises s’arrêtant faute de repreneur.
M. Marc Daunis. D’où le droit d’information !
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Mettre en place des dispositifs d’information, de concertation et de préparation pour qu’une succession soit imaginée, j’en suis d’accord ; mais on sort là du cadre de la cession, qui correspond à une poursuite de l’entreprise.
La commission s’est efforcée d’adopter une vision d’ensemble du problème de la transmission d’entreprise. Nous ne refusons pas l’information des salariés, mais nous sommes conscients que, dans certains cas, l’information obligatoire peut nuire à la transaction.
M. Marc Daunis. Ces cas sont extrêmement rares !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Il faut bien mesurer quelle portée aurait la suppression du droit d’information préalable des salariés.
L’article 31 bis du texte de la commission supprime des dispositions issues de deux lois : la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire et la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron. En particulier, il supprime l’autorisation que la première de ces lois a donnée à l’autorité administrative de demander le remboursement des aides publiques versées depuis deux ans au titre de l’installation, du développement économique, de la recherche ou de l’emploi, si l’entreprise n’a pas fourni d’efforts suffisants pour rechercher un repreneur.
M. Marc Daunis. Exactement !
Mme Nicole Bricq. C’est donc un acte de très grande portée que l’on commet ! Or les explications que vous avancez, monsieur Gabouty, sont tout à fait insuffisantes pour justifier ce qui nous paraît être une atteinte très grave non seulement aux droits des salariés, mais aussi, tout simplement, à la vie économique. C’est pourquoi nous voterons l’amendement que M. Daunis a déposé au nom du groupe socialiste et républicain.
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, c’est la troisième fois que vous cherchez à supprimer ce dispositif. Il vous faudra y revenir encore, car la majorité ne peut pas accepter cette suppression !
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Lors de l’examen du projet de loi dont est issue la loi relative à l’économie sociale et solidaire, notre groupe s’est prononcé en faveur du droit d’information des salariés, à l’appui duquel de nombreux arguments viennent d’être exposés. Nous voterons donc l’amendement n° 330.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 330.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 377 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 154 |
Contre | 187 |
Le Sénat n’a pas adopté.
M. Marc Daunis. Errare humanum est, perseverare diabolicum…
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 31 bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 378 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 153 |
Le Sénat a adopté.
Article additionnel après l’article 31 bis
Mme la présidente. L’amendement n° 329, présenté par M. Daunis, Mme Bricq, MM. Guillaume et Caffet, Mmes Campion et Claireaux, MM. Daudigny et Durain, Mmes Emery-Dumas, Féret et Génisson, MM. Godefroy, Jeansannetas et Labazée, Mmes Meunier, Riocreux et Schillinger, MM. Tourenne et Vergoz, Mme Yonnet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 31 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l’article 26-41 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, il est inséré́ un alinéa ainsi rédigé́ :
« Les coopératives d’activité́ et d’emploi sont des sociétés coopératives de production, des sociétés coopératives d’intérêt collectif ou des coopératives de toute autre forme dont les associés sont notamment entrepreneurs salariés. Elles sont régies par la présente loi, par le livre III de la septième partie du code du travail, ainsi que par les dispositions des lois particulières applicables à certaines catégories de société́ coopérative. »
La parole est à M. Marc Daunis.
M. Marc Daunis. Permettez-moi, avant de présenter cet amendement plus technique, d’exprimer mes regrets au sujet du vote intervenu sur l’amendement précédent. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.) Je constate que la confiance dans l’intelligence des territoires, volontiers proclamée, est, chez certains de nos collègues, à géométrie variable : ils font moins confiance à l’intelligence collective des salariés au service de leur entreprise qu’à une intelligence des territoires envisagée de manière impersonnelle…
M. Michel Canevet. Ce n’est pas vrai du tout !
M. Marc Daunis. Le présent amendement sera, je l’espère, plus consensuel. Il porte sur les coopératives d’activité et d’emploi, les CAE, qui ont pour objet principal l’appui à la création et au développement d’activités économiques par des entrepreneurs personnes physiques.
On peut s’interroger sur la possibilité de créer une CAE sous forme de société coopérative et participative, ou SCOP, de société coopérative d’intérêt collectif, ou SCIC, ou même simplement de coopérative de droit commun régie par la loi de référence en la matière, c’est-à-dire la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. La question se pose de la régularité juridique des contrats de travail d’entrepreneurs salariés, dès lors que ces contrats ne peuvent être conclus que dans le cadre d’une CAE.
Aussi, proposons-nous, pour clarifier et sécuriser le cadre juridique des CAE, de préciser explicitement dans la loi du 10 septembre 1947 que les CAE peuvent être constituées sous forme de SCOP, de SCIC ou de coopérative de toute autre forme dont les associés sont notamment entrepreneurs salariés.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Monsieur Daunis, je ne reviendrai pas sur ce que vous avez dit au sujet de l’intelligence, d’autant que nous allons finir sur une bonne note.
La loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire a créé un contrat spécifique pour les entrepreneurs salariés associés. Pour ma part, j’avais le sentiment, peut-être à tort, que, par définition, les coopératives d’activité et d’emploi pouvaient se constituer sous forme de SCOP ou de SCIC. Toutefois, comme je sais que vous connaissez bien ce sujet, je ne m’oppose pas à votre proposition ; si le Gouvernement y est favorable, nous le serons aussi.
M. Marc Daunis. Merci, monsieur le rapporteur, pour les salariés !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Procaccia. Pourquoi « bien sûr » ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Celui-ci, en effet, peut utilement permettre de résoudre une difficulté d’interprétation, comme M. le rapporteur Gabouty vient de l’expliquer, en précisant que les coopératives d’activité et d’emploi empruntent les formes de coopératives existantes qui emploient des entrepreneurs salariés. D’où le « bien sûr »…
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 31 bis.
Chapitre II
Développer l’apprentissage comme voie de réussite et renforcer la formation professionnelle
Articles additionnels avant l’article 32 A
Mme la présidente. L’amendement n° 853 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 32 A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 6223-1 du code du travail est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Cette déclaration est également caduque dans les cas suivants :
« – lorsqu’un manquement de l’entreprise à ses obligations de formation ou de rémunération d’un ou plusieurs apprentis est constaté par l’autorité administrative compétente ;
« – quand une proportion excessive des contrats d’apprentissage conclus par l’entreprise sont résiliés à son initiative durant la période des deux premiers mois de contrat. Un décret définit, en fonction de la taille de l’entreprise, la proportion de résiliations de contrats qui doit être considérée comme excessive ;
« Dans les deux cas précités, la déclaration est caduque au terme de l’exécution du dernier contrat signé par l’entreprise avant la constatation du manquement ou de l’excès de rupture de contrats. »
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Nous entamons l’examen des articles du projet de loi relatifs à l’apprentissage, une question qui tient beaucoup à cœur aux sénatrices et aux sénateurs du groupe CRC. Nous avons trop de respect et de considération pour la question de la formation des travailleurs, quels que soient leur métier et leur parcours personnel, pour nous résoudre à voir la filière de l’apprentissage continuer d’être trop souvent ce qu’elle est devenue dans les années 1970, c’est-à-dire, dans nombre de cas, une voie d’orientation par l’échec.
De fait, faute de s’être donné les moyens d’assumer comme il convenait la réforme du collège unique et l’effort de formation générale, la France a laissé l’apprentissage devenir trop souvent la porte de sortie des collégiens en difficulté ou en rupture de ban. Malgré les efforts accomplis par nombre d’acteurs de l’artisanat et du commerce, cette situation de l’apprentissage persiste, puisque, parmi chaque génération d’apprentis, plus d’un quart ne vont pas au bout de leur contrat. C’est ainsi que les centres de formation d’apprentis envoient sur le marché du travail peu ou pas qualifié, bon an mal an, de 50 000 à 60 000 jeunes décrocheurs de plus.
Notre amendement vise à combattre ce phénomène en rendant plus formateur et plus efficace encore le contrat d’apprentissage. Il s’agit en particulier de rendre plus pertinent le contrôle de l’exécution du contrat d’apprentissage, quand il existe, et d’évaluer la mise en œuvre concrète de ce contrat lorsqu’elle est source de difficultés d’adaptation de l’apprenti.
Quand sont constatés un ensemble de manquements ou d’errements dans la gestion quotidienne des apprentis, il n’est pas certain qu’il soit souhaitable de continuer à permettre à l’entreprise d’accueillir des apprentis, vu que ceux-ci risquent d’être placés en situation d’échec. Cet amendement préventif, au service des apprentis et de la qualité de l’apprentissage, vise à empêcher que des situations de ce type ne se dégradent. Ainsi, il pourrait être mis fin à la possibilité d’accueillir des apprentis lorsque des manquements de l’entreprise à ses obligations de formation et de rémunération sont constatés à de trop nombreuses reprises.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Le recours à l’apprentissage dans une entreprise est subordonné à une déclaration par celle-ci de son engagement à assurer à l’apprenti une formation dans des conditions satisfaisantes. Cette déclaration expire si l’entreprise n’a pas conclu de contrat d’apprentissage durant cinq ans. Il est proposé de la rendre caduque lorsqu’une proportion excessive de contrats sont rompus durant les deux premiers mois de l’apprentissage.
Je fais observer aux auteurs de l’amendement que, durant cette période, qui équivaut aux quarante-cinq premiers jours de l’apprenti dans l’entreprise, chacune des deux parties est libre de rompre unilatéralement le contrat d’apprentissage. Il n’est donc pas possible de sanctionner l’employeur pour avoir fait usage d’un droit prévu par la loi.
Les ruptures de contrat prématurées sont souvent liées à une orientation faite par défaut, ainsi qu’à un manque de médiation lorsqu’apparaissent les premières difficultés. C’est pour remédier à ce problème que la commission a rendu obligatoire la médiation précontentieuse.
Par ailleurs, la sanction des abus est déjà prévue aux articles L. 6225-1 et L. 6225-4 du code du travail. Ainsi, la suspension d’un contrat en cours peut être prononcée, avec maintien de la rémunération de l’apprenti.
Pour ces raisons, la commission est défavorable à l’amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement, notamment pour les raisons que M. le rapporteur Forissier vient d’exposer.
Il est certain que l’encadrement de l’apprenti et sa formation doivent être de qualité, ainsi que la transmission dont il bénéficie de la part de son maître d’apprentissage ; ce souci nous est commun, monsieur Laurent. Seulement, traiter la question par des sanctions ne nous paraît pas être la bonne méthode. Nous entendons plutôt mettre l’accent sur l’accueil de l’apprenti dans l’entreprise et sur la formation du maître d’apprentissage.
Ce qui est grave, ce sont les taux de rupture, qui perturbent le recrutement par des maîtres d’apprentissage et correspondent pour les jeunes à des situations d’échec. Pour résoudre ce problème, nous préférons agir en termes qualitatifs, notamment en améliorant la formation, l’encadrement et l’accueil.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. En parlant de sanctions, madame la secrétaire d’État, vous manquez l’objet de l’amendement. Nous proposons que, lorsque des taux de rupture considérables sont constatés – songez que ces taux atteignent parfois 50 % des contrats signés ! –, l’entreprise qui n’est pas capable d’accueillir des apprentis dans de bonnes conditions voie sa déclaration rendue caduque. Il ne s’agit pas de sanctionner, mais de protéger les apprentis et la qualité de la formation.
Mme la présidente. L’amendement n° 744, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 32 A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 244 quater G du code général des impôts est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
… – En cas de manquement de l’entreprise à ses obligations de formation ou de rémunération d’un ou plusieurs apprentis constaté par une décision judiciaire, l’entreprise ne peut plus bénéficier du crédit d’impôt défini au présent article au titre des autres apprentis qu’elle continuerait d’employer. Elle est également tenue de rembourser la partie du crédit d’impôt perçue au titre du ou des apprentis envers lesquels elle a manqué à ses obligations de formation ou de rémunération.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Par cet amendement, nous souhaitons affirmer un principe simple : l’aide publique accordée aux entreprises pour l’embauche d’apprentis doit être subordonnée au respect par ces entreprises des obligations élémentaires résultant du contrat d’apprentissage en termes de formation et de rémunération. Il s’agit donc de garantir le respect du contrat en en faisant une condition du versement de l’aide publique.
Le non-respect de ces obligations constaté par la justice devrait exclure l’entreprise du bénéfice du crédit d’impôt pour tous les apprentis qu’elle emploie. De même, il semble normal d’exiger en pareil cas le remboursement du crédit d’impôt perçu au titre de l’apprenti ou des apprentis envers lesquels l’entreprise a manqué à ses obligations. Ainsi évitera-t-on les effets d’aubaine.
L’argent public ne doit pas servir, de quelque manière que ce soit, à contourner la loi !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Forissier, rapporteur. Cet amendement est partiellement satisfait par le fait qu’une entreprise qui, de manière avérée, ne respecte pas ses engagements en matière d’apprentissage est sanctionnée par l’autorité administrative, qui lui interdit d’accueillir des apprentis et, en conséquence, de bénéficier du crédit d’impôt.
Par ailleurs, je ne pense pas que des entreprises fassent appel à des apprentis uniquement pour bénéficier d’un crédit d’impôt de 1 600 euros par an. La gestion d’un apprenti coûte beaucoup plus cher à l’entreprise !
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État. Notre objectif est de développer l’apprentissage, de permettre à de plus en plus de jeunes d’être pris en charge par un maître d’apprentissage qui les accueille et leur donne une formation de qualité. Or, comme je l’ai expliqué au sujet de l’amendement précédent, ce n’est pas en sanctionnant qu’on y parviendra !
L’avis est donc défavorable.