PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
L'amendement n° 254 rectifié ter, présenté par Mme Deroche, MM. Retailleau, Allizard, Bignon, Bouchet, Buffet, Calvet et Cambon, Mme Canayer, MM. Cantegrit, Cardoux et Carle, Mme Cayeux, M. César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chasseing, Commeinhes, Cornu, Dallier, Danesi et Dassault, Mmes Debré, Deromedi, Des Esgaulx, Deseyne et Di Folco, MM. Doligé et P. Dominati, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, M. Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Falco, Fontaine, B. Fournier, J.P. Fournier, Frassa, J. Gautier, Genest et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grand, Gremillet, Grosperrin, Guené, Houel, Houpert, Huré et Husson, Mme Imbert, M. Joyandet, Mme Kammermann, MM. Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Leleux, Lenoir, P. Leroy et Longuet, Mme Lopez, MM. Malhuret, Mandelli, A. Marc, Masclet et Mayet, Mmes M. Mercier, Micouleau et Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, de Nicolaÿ, Panunzi, Paul, Perrin, Pierre, Pillet, Pinton, Pointereau et Poniatowski, Mmes Primas et Procaccia et MM. de Raincourt, Raison, Rapin, Revet, Savary, Savin, Trillard, Vaspart, Vasselle, Vendegou, Vial, Vogel et Baroin, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 10
Remplacer les mots :
trente jours
par les mots :
vingt-quatre jours ouvrables au sein de celle
II. – Après l'alinéa 10
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le salarié, quelle que soit la taille de l’entreprise, peut, en accord avec l’employeur et dans la limite de cinq jours, renoncer à tout ou partie des journées ou demi-journées de repos acquises en application d’un accord collectif visé à l’article L. 3122-2 du code du travail ou à une partie des jours de congés payés. Les demi-journées ou journées ainsi travaillées donnent lieu à une majoration de salaire au moins égale au taux de majoration de la première heure supplémentaire applicable à l’entreprise. Les heures correspondantes ne s’imputent pas sur le contingent légal ou conventionnel d’heures supplémentaires. »
La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Cet amendement vise à donner à un salarié la possibilité de transformer, à sa demande, du temps de repos en rémunération, dans la limite maximale de cinq jours de congés ou de RTT, et en accord avec son employeur. Le paiement de ces jours de congés ou de RTT serait majoré sur le même principe que les heures supplémentaires.
Les employés qui le souhaitent pourraient ainsi augmenter leur temps de travail en entreprise et en tirer un complément de revenus.
Toutefois, comme les congés sont un temps de récupération pour les salariés – ils leur permettent de préserver leur santé –, nous entendons limiter cette possibilité à cinq jours par an. Dès lors, les employés conserveront au minimum quatre semaines de congés annuels. Je rappelle que certaines conventions collectives vont au-delà des cinq semaines de congés légales, auxquelles peuvent s’ajouter les jours de RTT.
Une telle mesure est demandée par des jeunes, notamment dans les entreprises du numérique, où certains n’ont pas forcément la possibilité de partir pendant toutes les vacances et aspirent à travailler un peu plus pour accroître leurs revenus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Cet amendement a suscité un débat en commission.
Le dispositif proposé permettra aux salariés, qu’ils aient ou non un CET, de monétiser leur cinquième semaine de congés payés.
En commission, plusieurs collègues ont fait valoir que le droit au repos devait également rester effectif, pour la santé des salariés.
Mme Catherine Génisson. Les salariés doivent aussi être protégés !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. J’ai bien réfléchi à cet argument. Mais les discussions que j’ai eues avec des acteurs de l’entreprise, salariés ou entrepreneurs, m’ont amené à la conclusion qu’un certain nombre de salariés auto-entrepreneurs prendront officiellement leur cinquième semaine de congés tout en travaillant pour leur propre compte si une telle faculté n’est pas offerte. Par exemple, les maçons iront sur d’autres chantiers. Et ces heures de travail ne seront pas nécessairement déclarées !
Nous devons évidemment avoir à l’esprit l’argument de la santé ; je vous renvoie au débat sur la sécurisation du forfait jours. Mais je ne crois pas que la possibilité de monétiser cinq jours de congés payés mette en péril la santé des travailleurs, qui, à défaut, contourneront de toute façon les dispositions en vigueur.
Au demeurant, Mme la ministre a employé à plusieurs reprises l’argument du contournement, qui me paraît pertinent en l’espèce.
La commission salue l’apport du groupe Les Républicains et émet un avis favorable sur cet amendement !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Les salariés ont évidemment besoin de souplesse pour organiser, éventuellement pour différer leurs congés. Pour eux, c’est un enjeu essentiel. Mais je considère que la monétisation des droits sociaux nuit réellement à leur protection.
Mme Stéphanie Riocreux. Tout à fait !
Mme Myriam El Khomri, ministre. La possibilité de verser la cinquième semaine de congés payés sur le compte épargne-temps est une avancée importante. Mais là, on touche à autre chose.
J’ai effectivement évoqué les multiples contournements du droit du travail, par exemple pour les travailleurs détachés ou les travailleurs indépendants. À cet égard, le fait de fixer la négociation au niveau de l’entreprise permet d’avoir plus de réactivité ; je défends pleinement l’adaptation par le dialogue social. Mais la monétisation des droits sociaux irait à l’encontre du droit au repos et de la protection des salariés.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le rapporteur, ne nous trompons pas de sujet : vous avez évoqué les auto-entrepreneurs, mais nous parlons des salariés !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. On peut être à la fois salarié et auto-entrepreneur !
Mme Nicole Bricq. Le fait que le président du groupe Les Républicains figure parmi les signataires de l’amendement a peut-être eu une incidence sur l’avis favorable de la commission…
Mme Catherine Deroche. Il y a beaucoup d’autres signataires !
Mme Nicole Bricq. Certes. Mais avouez que la signature d’un président de groupe a son importance.
Peut-être a-t-on voulu présenter un amendement miroir du compte épargne-temps, qui peut aussi aboutir à une monétisation. Mais votre proposition va bien au-delà de la logique et de la philosophie du CET.
Le compte épargne-temps permet effectivement à un salarié de monétiser ses congés dans les limites légales, par exemple pour alimenter son compte épargne retraite ; c’est tout à fait envisageable. Mais le CET offre aussi d’autres modalités : des temps de repos spécifiques, une cessation progressive d’activité… Il ne se limite pas à la monétisation.
La loi doit être protectrice des salariés. Je comprends les souhaits de certains jeunes salariés. Mais je préfère qu’ils soient mieux payés, afin de ne pas avoir à monétiser leurs congés aux dépens de leur santé ou de leur accès à la formation.
Par conséquent, à l’instar de Mme la ministre, nous sommes très défavorables à cet amendement. (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Nous comprenons l’idée qui sous-tend cet amendement. Elle correspond sans doute à des demandes exprimées par des jeunes de tous horizons, dans tous les domaines d’activité.
Néanmoins, offrir une telle possibilité pour la cinquième semaine de congés payés risque d’inciter certains à demander de le faire aussi pour la quatrième, la troisième ou la deuxième, voire pour l’ensemble des congés payés.
Mme Nicole Bricq. N’ouvrons pas une telle porte !
Mme Corinne Bouchoux. Nous ne voterons donc pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Mes chers collègues, il ne faut rien exagérer : cette proposition est tout de même bien modérée. Il ne s’agit pas de tout casser !
Mme Catherine Deroche. Tout à fait !
M. Olivier Cadic. Chez certains de nos voisins, les salariés n’ont droit qu’à deux semaines de congés payés pendant leur première année de travail. Les dispositions de cet amendement ne sont pas du tout de cette nature.
Je comprends la position de Mme la ministre. Mais il s’agit d’une demande réitérée de la part de salariés qui – il ne faut pas nier cette réalité – doivent parfois accepter des petits boulots, car ils ont véritablement besoin d’argent.
Mme Nicole Bricq. Dans ce cas, payons-les davantage !
M. Olivier Cadic. Certains sont satisfaits de leur situation. Mais d’autres ne le sont pas. C’est à ceux-là que le présent amendement s’adresse. Je remercie mes collègues de l’avoir déposé. Pour notre part, nous le voterons.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Je regrette que nos débats se résument une fois de plus à un tout ou rien.
Je reconnais que le dispositif envisagé dans cet amendement va un peu loin.
Mme Nicole Bricq. Ah ! Tout de même !
M. Philippe Dallier. Mais il y a différents cas de figure. Certains salariés travaillent plus de 35 heures par semaine. Ils disposent de RTT et de jours de fractionnement ; ils bénéficient de nombreux dispositifs et totalisent sept ou huit semaines de vacances à la fin de l’année. Honnêtement, cela ne pose pas problème que ces personnes puissent monétiser cinq jours de congés payés, sur la base du volontariat.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Voilà !
Mme Nicole Bricq. C’est l’objet de l’un des amendements suivants !
M. Philippe Dallier. En tant que maire, je suis assez souvent confronté à de telles situations. Les fonctionnaires municipaux de ma commune travaillent trente-sept heures et demie par semaine. Au cours de l’année, ils totalisent sept, huit, parfois neuf semaines de congés payés. Certains d’entre eux viennent me demander s’ils peuvent transformer une partie de ce temps en salaire. Je leur réponds que c’est impossible. C’est dommage : pour certains d’entre eux, ce serait bien utile.
En revanche, je peux comprendre les réserves pour les salariés qui sont aux 35 heures et qui disposent seulement des cinq semaines de congés payés.
Mais je déplore que nous ne puissions pas trouver de compromis.
Mme Nicole Bricq. Eh bien, nous allons chercher !
M. Philippe Dallier. Je n’envisage pas de déposer un sous-amendement, mais je pense qu’une telle mesure serait très utile pour certaines personnes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. En effet ! N’infantilisons pas les salariés !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Mes chers collègues, j’y insiste, le dispositif ne s’appliquerait qu’à la demande du salarié. D’ailleurs, certains employeurs ne l’accepteraient peut-être pas. Ce n’est peut-être pas possible dans toutes les entreprises. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.) Idem pour les collectivités territoriales ; compte tenu de la situation budgétaire, il n’est pas certain que tous les responsables des exécutifs locaux veuillent engager une telle dépense supplémentaire.
Il s’agit simplement d’une faculté, qui répond à un besoin exprimé au sein de nos territoires.
Au demeurant, la loi, tout en conservant le socle intangible des quatre semaines de congés payés, a déjà ouvert des possibilités similaires. Je pense par exemple à la possibilité pour les agents de la fonction publique et les salariés du privé de donner quelques jours de congés ou de RTT à un collègue dont un enfant est malade, disposition que nous avons soutenue à l’unanimité.
Là, il s’agit d’aider de jeunes salariés ayant besoin d’un peu de revenus supplémentaires pour satisfaire des besoins parfois ponctuels, comme acheter une voiture, une maison, ou, tout simplement, s’installer.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur.
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur de la commission des affaires sociales. De très nombreux salariés de TPE ou de PME, dans des situations différentes, demandent à bénéficier d’une telle faculté.
Même si certains patrons refusent cette pratique, elle est déjà très répandue. Elle a cours dans le tiers, voire dans la moitié des entreprises. La monétisation des congés permet de rendre service aux salariés.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas légal !
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. J’en conviens, madame Bricq. Mais cela se fait ! En fin de période, les congés qui n’ont pas été pris ne sont pas nécessairement supprimés.
Mme Evelyne Yonnet. Et le CET ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Les salariés des TPE n’en ont pas forcément.
Il faut répondre à des demandes et à des situations particulières. Le rejet de cet amendement irait à l’encontre de la volonté des salariés.
Certes, je suis d’accord pour que l’on fixe des barrières, afin d’assurer un contingentement.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. C’est d’ailleurs ce que nous faisons !
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Mais, encore une fois, nous parlons d’une pratique qui est déjà courante !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 254 rectifié ter.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 311 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 143 |
Le Sénat a adopté.
L'amendement n° 1000, présenté par MM. Lemoyne, Gabouty et Forissier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 31
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
1° Au b du 18° de l’article 81, les mots : « du dernier alinéa de l’article L. 3153-3 » sont remplacés par les mots : « fixées à l’article L. 3152-4 » ;
1° bis Au e du 1° du IV de l’article 1417, les mots : « au dernier alinéa de l’article L. 3153-3 » sont remplacés par les mots : « à l’article L. 3152-4 » ;
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 1001, présenté par MM. Lemoyne, Gabouty et Forissier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 33
Après le mot :
travail,
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
les mots : « deuxième alinéa de l’article L. 3153-3 », sont remplacés par les mots : « 2° de l’article L. 3152-4 ».
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Amendement de correction d’une erreur matérielle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
I. – Lorsqu’une convention ou un accord de branche ou un accord d’entreprise ou d’établissement conclu avant la publication de la présente loi et autorisant la conclusion de forfaits annuels en heures ou en jours est révisé pour être mis en conformité avec l’article L. 3121-62 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la présente loi, l’exécution de la convention individuelle de forfait annuel en heures ou en jours se poursuit sans qu’il y ait lieu de requérir l’accord du salarié.
I bis. – Les 2° et 4° du I et le 3° du II de l’article L. 3121-62 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la présente loi, ne prévalent pas sur les conventions ou accords de branche ou accords d’entreprise ou d’établissement autorisant la conclusion de conventions de forfait annuel en heures ou en jours et conclus avant la publication de la présente loi.
II. – L’exécution d’une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d’une convention ou d’un accord de branche ou d’un accord d’entreprise ou d’établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n’est pas conforme aux 1° à 3° du II du même article L. 3121-62 peut être poursuivie sous réserve que l’employeur respecte l’article L. 3121-63 du même code. Sous ces mêmes réserves, l’accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait.
III. – Cessent d’être applicables aux accords collectifs conclus avant la publication de la présente loi les dispositions relatives à la détermination d’un programme indicatif prévues :
1° Au 4° de l’article L. 212-8-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 87-423 du 19 juin 1987 relative à la durée et à l’aménagement du temps de travail ;
2° À l’article L. 212-2-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 93-1313 quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle ;
3° À l’article L. 212-8 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail ;
4° Au 1° de l’article L. 3122-11 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ;
5° À l’article L. 713-16 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à la même loi.
M. le président. L'amendement n° 303, présenté par Mme Bricq, MM. Guillaume et Caffet, Mmes Campion et Claireaux, MM. Daudigny et Durain, Mmes Emery-Dumas, Féret et Génisson, MM. Godefroy, Jeansannetas et Labazée, Mmes Meunier, Riocreux et Schillinger, MM. Tourenne et Vergoz, Mme Yonnet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Cet amendement porte sur le forfait jours. Je précise qu’il s’agit d’un amendement d’appel. Notre groupe souhaite que Mme la ministre nous expose clairement la position du Gouvernement sur le sujet.
Les conventions de forfait jours concernent des publics ayant une grande autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps, dont des cadres, mais aussi d’autres salariés, de plus en plus nombreux, dont le métier ou la fonction ne permet pas de prédéterminer la durée de temps de travail.
Certes, le forfait jours a été très utile ; il a permis d’améliorer à la fois d’améliorer la vie des salariés et leur productivité. Mais, du fait des différentes lois votées entre 2004 et 2012 – je pense notamment la loi Fillon de 2008, qui prévoit la possibilité pour le salarié ayant conclu une convention de forfait jours sur l’année de renoncer, en accord avec son employeur, à une partie de ses jours de repos en contrepartie d’une majoration de salaire –, certains salariés travaillent jusqu’à 78 heures par semaine.
C’est pour cela que la Cour de cassation a invalidé plusieurs accords de branche. Dès lors, seule une directive européenne s’applique aujourd'hui. Or elle est bien moins favorable que ne l’était la législation.
Pour les conventions existantes, je comprends la rédaction proposée par le Gouvernement. Mais mes inquiétudes concernent les nouvelles conventions. Je crains que la rédaction actuelle, même si elle vise à sécuriser le dispositif, ne conduise l’employeur à se sentir autorisé à conclure de nouvelles conventions individuelles, en vertu du droit actuel, le droit européen. Il faut éviter que l’on puisse faire un usage détourné du forfait jours.
Nous souhaitons donc que Mme la ministre nous apporte des éclaircissements sur les choix de rédaction qui ont été retenus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La commission n’est pas favorable à cet amendement. Mais, comme nous avons bien compris qu’il s’agit d’un amendement d’appel, nous en sollicitons le retrait.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Le Gouvernement demande également le retrait de cet amendement.
Je pense aussi qu’il faut favoriser la négociation collective de conventions sur le forfait jours. Je crois que c’est bien l’esprit du texte.
Madame Bricq, comme vous l’avez rappelé, certaines conventions collectives ont été retoquées par la Cour de cassation. L’enjeu pour nous était donc d’apporter les garanties demandées par sa jurisprudence, à la fois sur les modalités de suivi régulier de la charge de travail, sur l’entretien entre le salarié et l’employeur et sur le droit à la déconnexion.
La question que vous soulevez porte sur l’insécurité juridique créée par la jurisprudence. Il serait illusoire de penser que tous les accords et conventions collectives seront renégociés du jour au lendemain.
En cas d’adoption de cet amendement, les employeurs ne pourront plus conclure de nouvelles conventions individuelles de forfait jours jusqu’à ce que l’accord soit renégocié. Cela entraînerait un coût supplémentaire pour l’employeur et une perte d’autonomie pour le salarié, et constituerait un frein à l’embauche de salariés au forfait jours. Ce n’est pas acceptable.
Dans l’article 5, le Gouvernement a souhaité tenir compte des deux paramètres, le premier étant le grand nombre de salariés au forfait jours, soit 1,4 million, et le second le temps nécessaire pour renégocier un accord collectif.
Il y a à la fois la dimension juridique – la codification de la jurisprudence est un élément important – et l’aspect pratique. Que fait l’employeur à partir du moment où il recrute un salarié au forfait jours ? Quel est le droit qui s’applique ?
L’article 5 crée une sorte de corde de rappel pour protéger le salarié. Dès la promulgation de la loi, l’encadrement prévu pour les salariés au forfait jours, qui comprend notamment le suivi régulier et le maintien de la charge de travail, devra être mis en œuvre par l’employeur à travers les normes supplétives.
Nous devons évidemment faire en sorte qu’il y ait plus de négociation. Mais l’adoption d’un amendement ainsi rédigé pourrait nous mettre en grande difficulté par rapport aux nouvelles conventions.
M. le président. Madame Bricq, l'amendement n° 303 est-il maintenu ?
Mme Nicole Bricq. Non, je vais le retirer, monsieur le président.
Je souhaite toutefois attirer l’attention de Mme la ministre sur le fait qu’il faudrait au moins fixer un délai de renégociation. Dans l’article, c’est ouvert pour l’éternité…
Au demeurant, comme les accords de branche ont été invalidés par la Cour de cassation, c’est le moment d’inviter à renégocier en fonction de la jurisprudence. À défaut, nous serons confrontés au même problème dans quelques années, mais nous serons bien au-delà des 78 heures !
Cela étant, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 303 est retiré.
La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote sur l'article.
M. Dominique Watrin. Ce débat très important nous incite à procéder à un petit exercice mental.
Il existe à l’évidence une aspiration à travailler différemment dans de larges couches du salariat. D’ailleurs, plus que le modèle social, ce qui est contesté par un nombre croissant de salariés à mesure que le niveau moyen de qualification augmente, c’est peut-être le modèle hiérarchique de nos entreprises.
Mais, force est de le constater, la généralisation relative du forfait jours auprès des personnels d’encadrement censés disposer d’une plus grande autonomie dans la gestion de leur temps de travail peut être une mauvaise réponse à une vraie question, tant cette liberté apparente se trouve vite battue en brèche par la réalité de la charge de travail imposée. De toute évidence, l’existence de ces dispositifs a conduit à de sensibles dépassements du volume horaire travaillé.
Il faut donc en premier lieu marquer une limite stricte entre vie professionnelle et vie familiale des salariés. Des enquêtes montrent le niveau insupportable d’heures de travail effectuées par ces cadres, 46,6 heures en moyenne, d’où la condamnation de la France par différences instances européennes.
Dans le texte de la commission, le forfait jours a été sécurisé. Les conventions ont été repensées pour tenir compte des griefs retenus. Mais certaines garanties offertes, notamment le droit à la déconnexion, ne trouveront pas à s’appliquer. L’article 5 offre même une confirmation a priori des conventions existantes, sous réserve d’adaptation limitée.
Les cadres et salariés employés au forfait jours devront donc se satisfaire de dispositifs à peine améliorés, de même que les nouveaux salariés soumis à ces conventions discutables.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas l’article 5.
M. le président. Je mets aux voix l’article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article additionnel après l’article 5
M. le président. L'amendement n° 304, présenté par Mme Bricq, MM. Guillaume et Caffet, Mmes Campion et Claireaux, MM. Daudigny et Durain, Mmes Emery-Dumas, Féret et Génisson, MM. Godefroy, Jeansannetas et Labazée, Mmes Meunier, Riocreux et Schillinger, MM. Tourenne et Vergoz, Mme Yonnet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la redéfinition, l'utilisation et l’harmonisation des notions de jour et, en tant que de besoin, l'adaptation de la quotité des jours, dans la législation du travail et de la sécurité sociale.
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Cet amendement a pour objet d’encourager le Gouvernement. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous souhaitons qu’il continue dans la voie dans laquelle il s’était engagé lors de l’adoption de la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives. Ce texte, alors présenté par M. Mandon, habilitait le Gouvernement à prendre une ordonnance dans les neuf mois suivant sa promulgation pour harmoniser la notion de « jour ». Entre les « jours chômés », les « jours calendaires », les « jours ouvrés » et les « jours ouvrables » – je ne parle même pas des jours carillonnés, car nous sommes dans une enceinte laïque (Sourires.) –, cette notion est un casse-tête pour les employeurs et les salariés !
Le Gouvernement ayant laissé filer les neuf mois, il faut de nouveau légiférer sur ce sujet délicat, qui pose des problèmes de sécurité juridique. On peut en effet se retrouver aux prud’hommes sans avoir forcément voulu malfaire. Cette simplification est d’ailleurs très attendue par les PME.