Mme Nicole Bricq. Nous avons bien compris !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Quant aux heures complémentaires, là encore nous sommes à droit constant : leur taux est de 10 % dès la première heure, depuis l’ANI de 2013 – c’est l’un des grands acquis au-delà de la durée minimale de travail du salarié à temps partiel fixée à 24 heures hebdomadaires. Au-delà du dixième des heures prévues au contrat, ce taux est de 25 %. Seul un accord de branche étendu pourra abaisser ce taux, dans la limite de 10 %. Je le répète pour que les choses soient très claires : c’est le droit actuel !
Je voudrais enfin dire quelques mots du travail de nuit, sujet très important touchant à la santé des travailleurs et qui a donné lieu à de nombreux amendements.
La réforme de la médecine du travail n’entraînera en aucun cas une réduction de l’effectivité et de la qualité du suivi de l’état de santé des 3,5 millions de travailleurs de nuit. Bien au contraire, elle permettra une action plus efficace et mieux ciblée de la médecine du travail au service de la prévention. Moi aussi, je suis attachée au droit, mais je préfère que le droit soit réel et non fictif. Sur 20 millions de recrutements effectués chaque année, 3 millions de visites médicales d’embauche sont réalisées.
Les travailleurs de nuit continueront à bénéficier d’une surveillance médicale renforcée et, si la nature du poste auquel ils sont affectés l’exige, d’une visite d’embauche, dont les modalités seront précisées par décret en Conseil d’État.
Si j’ai choisi de mettre fin à la surveillance semestrielle fixée par les textes actuels, c’est pour deux raisons principales.
D’une part, elle n’est pas efficiente. Un large consensus scientifique s’est en effet dégagé pour considérer cette périodicité comme peu pertinente pour protéger la santé des salariés. Elle n’est par exemple pas préconisée par la Société française de médecine du travail. On me reproche suffisamment de demander trop de rapports dans le cadre de mon ministère pour que je puisse vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que ce je propose est aussi l’application d’études que nous faisons mener par des professionnels.
D’autre part, la surveillance semestrielle est peu effective du fait de la pénurie de la ressource médicale.
Ce n’est pas faute, je le redis, d’ouvrir des postes de médecin du travail. La santé des salariés est un sujet de première importance pour le Gouvernement et nous aurons bien évidemment un débat sur la médecine du travail.
S’agissant du burn-out, je viens tout juste de signer un décret qui facilite la reconnaissance des pathologies psychiques liées à l’épuisement professionnel par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles.
Je dirai également quelques mots des forfaits jours.
Avec ce projet de loi, nous protégerons mieux les salariés. Nous inscrivons dans le code du travail des garanties pour assurer le caractère raisonnable de la charge de travail. Vous le savez, plusieurs conventions collectives ont été retoquées par la Cour de cassation. Nous mettons en place un système pour que les employeurs ne puissent pas s’abriter derrière un accord de branche lacunaire pour ne pas protéger les salariés au forfait jours contre une charge de travail déraisonnable. Je ne peux donc pas laisser dire que ce projet de loi enlèverait des droits aux salariés. C’est précisément l’inverse !
De la même manière, je ne souhaite pas revenir sur les points que nous avons fait évoluer par la négociation avec les organisations syndicales et les organisations de jeunesse qui ont fait des propositions. Réformer dans le dialogue est notre ligne de conduite. Quand des organisations ont fait le choix du dialogue et présenté des propositions, comme certaines l’ont fait au mois de mars dernier, je les ai écoutées. Je suis tenue par le compromis que nous avons ainsi élaboré avec elles et je suis donc favorable aux amendements déposés par le groupe socialiste et républicain et par le groupe CRC qui tendent à revenir au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale sur ces sujets.
Je ne désire pas non plus remettre en cause le travail des députés qui a permis d’apporter des garanties supplémentaires aux salariés. Je pense par exemple à la disposition qui permettra à ceux-ci de prendre leurs congés dès leur embauche. C’est une avancée que je souhaite conserver dans le texte.
Bien évidemment, le Gouvernement est aussi à l’écoute des propositions du Sénat.
Je partage l’idée que, lorsqu’il est majoré du fait d’un handicap, le temps domicile-travail doit faire l’objet d’une contrepartie financière ou en termes de repos. Je suis donc favorable à l’amendement n° 294 de Mme Gillot, ainsi qu’à l’amendement n° 97 rectifié ter de M. Mouiller, sous réserve que soit enlevée la référence à la pénibilité, car elle rend la mesure plus difficilement applicable.
Je suis favorable à l’amendement n° 368, qui vise à préciser que les vingt minutes de pause toutes les six heures sont consécutives.
Je suis favorable aux amendements identiques nos 296 et 523, respectivement présentés par Mme Gillot et par M. Watrin. Il me semble en effet important de préciser que le fait de s’occuper d’une personne handicapée ou malade chronique fait partie des obligations familiales impérieuses autorisant le travailleur de nuit à demander un poste de jour.
Je suis favorable à l’amendement n° 299 de Mme Gillot qui tend à donner la possibilité à l’accord collectif de majorer la durée des congés des personnes en situation de pénibilité au travail.
Je suis favorable aux amendements nos 294, 345, 435 rectifié, 956, 482, 368, 884 rectifié, 916 rectifié, 855, 517, 518, 522, 296, 523 – vous m’interrogiez, monsieur le rapporteur –, 888 rectifié, 347, 990, 299, 1007, 1008, 1009, 1011 et 1025.
Il en était de même pour les amendements nos 885 rectifié, 886 rectifié, 887 rectifié et 889 rectifié, qui n’ont pas été soutenus.
Je suis également favorable à l’amendement n° 511.
Je suis très tentée de me prononcer favorablement sur l’amendement n° 557, mais mes services me signalent qu’il pose un problème juridique. Je demanderai donc quelques instants pour vérifier ce point.
Je m’en remets à la sagesse du Sénat sur les amendements nos 412 rectifié et 413 rectifié, ainsi que sur l’amendement n° 92 rectifié bis.
Je suis défavorable aux autres amendements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois que l’article 2, dans la version issue des travaux de l’Assemblée nationale, est véritablement un article de progrès et reflète toute la philosophie du projet de loi.
Vous l’avez constaté, le Gouvernement est tout à fait ouvert à la possibilité d’y apporter des améliorations sans en dénaturer la philosophie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. François Fortassin applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, l’impression de la liste des amendements assortis des avis de la commission et du Gouvernement va prendre quelques minutes, mais je propose que nous commencions néanmoins le vote sur les premiers amendements, que je mettrai aux voix en rappelant moi-même les avis qui ont été émis.
Mme Annie David. Je demande la parole.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Madame la présidente, ne vous serait-il pas possible de suspendre quelques instants la séance pour que, en fonction des avis qui viennent d’être donnés, nous puissions nous-mêmes faire le point ?
En cas d’avis favorable, il est sans doute inutile de reprendre toutes les explications. En revanche, en cas d’avis défavorable, nous voudrons peut-être argumenter de nouveau.
Il me semble qu’un peu de temps nous est nécessaire pour revoir nos dossiers, d’autant que l’examen de ces amendements a commencé hier et que nos travaux se sont finis assez tard cette nuit.
Par ailleurs, plutôt que de procéder amendement par amendement, peut-être pourrions-nous expliquer nos votes de façon plus globale.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l'amendement n° 474.
Mme Annie David. Avant tout, je remercie le service de la séance, qui nous permet de travailler dans de bonnes conditions. Je remercie également Mme la présidente de nous avoir accordé cette brève suspension. Nous pourrons ainsi poursuivre nos discussions dans de meilleures conditions.
Avant d’entrer dans le détail de ces dispositions, je tiens à formuler une explication d’ensemble.
Malgré les arguments de Mme la ministre et de M. le rapporteur, nous persistons à considérer ce projet de loi comme un recul social considérable. Nous l’avons dit et répété hier, toute la soirée, toute la nuit.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Et toute l’après-midi !
Mme Annie David. Au-delà du groupe CRC, cet avis est celui de M. Marc Vericel, professeur agrégé de droit social à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne. Cet universitaire est l’auteur de nombreux articles consacrés à l’accès à l’emploi et aux conditions de travail. Au sujet du présent texte, il écrit : « S’il paraît légitime que le législateur s’inscrive bien dans la réalité d’aujourd’hui, il ne saurait obérer pour autant la nécessité de tenir compte des droits fondamentaux des salariés à la protection de leur santé et de leur sécurité. Élaborer un nouveau code du travail n’implique en aucune manière de revenir à la législation dite “ouvrière” du XIXe siècle. Ce n’est certes pas ce modèle social qui peut être le modèle de l’avenir pour un grand pays comme la France. »
Ces propos vaudront pour une grande part de nos amendements.
Plus précisément, l’amendement n° 474 tend à supprimer divers alinéas permettant d’imputer les temps d’astreinte sur les temps de repos lorsqu’ils ne sont pas travaillés effectivement. Or c’est là une pratique que le Comité européen des droits sociaux a condamnée en s’appuyant sur la Charte sociale européenne.
Aujourd’hui, un salarié en astreinte est considéré comme à disposition de l’entreprise. Il ne peut s’absenter ou, en tout cas, s’éloigner de son lieu de travail. Il doit donc être indemnisé à ce titre.
Madame la ministre, votre texte permet tout simplement qu’un tel salarié soit considéré comme en repos dès lors que l’entreprise n’aurait pas fait appel à lui.
À nos yeux, l’astreinte doit bel et bien être prise en compte au titre du temps de travail !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 474.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public (Marques d’exaspération sur les travées du groupe Les Républicains.) émanant de la commission.
M. Jean Desessard. Remarquez que la demande ne vient pas du groupe CRC !
Mme la présidente. Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 253 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 29 |
Contre | 310 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l'amendement n° 475.
Mme Laurence Cohen. Mes chers collègues, je serai très brève, car j’ai bien entendu les avis défavorables émis au nom de la commission et du Gouvernement.
Toutefois, j’insiste sur l’objet du présent amendement : il s’agit ni plus ni moins que de redéfinir la notion de temps de travail.
Dans les explications apportées par M. le rapporteur et Mme la ministre, j’ai bien perçu une sensibilité à une telle redéfinition du temps de travail.
Ce matin comme hier, nos débats ont permis de soulever la problématique des trajets liés à l’activité professionnelle. Ont également été évoqués les temps d’habillage ou de préparation exigés par le travail.
En outre, même si votre attention semble un peu difficile à mobiliser ce matin, mes chers collègues, je vous signale que, selon nous, les temps de pause doivent être considérés comme du travail effectif. La société Carrefour a précisément été condamnée pour avoir méconnu ce principe !
Nous en sommes convaincus, les dispositions de cet amendement pourront sécuriser les conditions de travail d’un grand nombre de salariés à temps plein.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Pour ma part, je m’exprimerai de manière générale sur cet amendement, qui a pour objet la durée du travail.
Certains affirment que de nombreux emplois ont été créés grâce aux 35 heures. Mais, dans le même temps, beaucoup d’autres n’ont pu voir le jour à cause d’elles. Je rappelle à ce titre qu’aucun de nos voisins n’a adopté ce temps de travail.
Aujourd’hui même, le Bulletin quotidien résume une étude qu’un institut statistique a consacrée aux durées de travail. Cette analyse révèle que, des vingt-huit États membres de l’Union européenne, la France est celui qui travaille le moins !
En termes de temps de travail annuel, l’écart entre notre pays et les autres États est tout à fait instructif : il est de 199 heures avec l’Allemagne, de 228 heures avec le Royaume-Uni, de 130 heures avec l’Italie et de 165 heures avec l’Espagne.
J’insiste sur la comparaison entre la France et l’Allemagne, qui est souvent mise en avant : avec nos voisins d’outre-Rhin, le fossé s’est creusé de 13 heures en deux ans. La raison essentielle est la plus grande part des absences et des congés annuels dans notre pays. Or cet écart s’était resserré entre 2010 et 2013. Voilà qui mérite une analyse un peu plus approfondie !
Les conclusions de cette étude sont également intéressantes pour ce qui concerne les salariés à temps partiel. En France, leur temps de travail annuel effectif s’établit à 981 heures. Pour le coup, ce chiffre est supérieur à la moyenne européenne. En la matière, l’Allemagne atteint un total de 889 heures. Quant au Royaume-Uni, il présente une moyenne de 873 heures.
On le constate clairement, il faut lutter contre les temps partiels pour qu’un maximum de personnes puisse trouver du travail !
Mes chers collègues, je tenais à vous communiquer cette analyse, qui est toute fraîche.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Mme la ministre a déclaré qu’elle ne souscrivait pas à la semaine de 32 heures, proposée par nos collègues du groupe CRC.
En réponse, je tiens à formuler deux remarques d’ordre général.
Premièrement, si les membres du groupe écologiste n’ont pas déposé d’amendement dans ce sens, ils n’en sont pas moins persuadés que, aujourd’hui, l’heure est à la redistribution et au partage du travail.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Et des profits ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Desessard. Cette opinion n’est pas majoritaire dans cet hémicycle, je le sais. Il n’empêche qu’elle est défendue par au moins deux groupes politiques : le groupe CRC et le groupe écologiste.
Deuxièmement, nous préférons que la charge de travail soit distribuée entre tous. Pour réduire le chômage et la précarité, mieux vaut répartir le travail plutôt que d’inciter certains à travailler toujours plus !
Concernant l’amendement n° 475, madame la ministre, pourriez-vous prendre le temps de nous expliquer l’avis défavorable que vous avez émis ? En effet, la rédaction proposée par le groupe CRC ne diffère que légèrement de celle que vous aviez fait adopter par le 49.3. S’agit-il d’une simple préférence sur la forme, ou d’un enjeu très politique que je n’aurais pas vu ? Ce sera sans doute un cours de rattrapage pour celles et ceux qui n’ont pas tout compris, dont je fais partie.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Il ne faudrait pas faire une lecture partielle des informations qui nous sont distribuées, notamment sur le temps de travail des Français par rapport aux autres pays européens.
Le temps de travail est un mode de gestion national de la répartition du travail. Lorsque l’on fait des statistiques portant sur ce sujet, il faut prendre en compte l’ensemble des données.
Les Français travaillent aujourd'hui plus que les Allemands, puisque la moyenne est de 37,5 heures pour les premiers et de 35,2 heures pour les seconds, tandis qu’elle est, je crois, de 36,7 heures pour les Britanniques. Vous ne pouvez pas utiliser les statistiques uniquement dans le sens qui vous convient !
Concernant l’accusation qui a été portée sur la relation entre les 35 heures et la productivité, le même article donne une information tout à fait intéressante. En matière de productivité des salariés, la France est quasiment en tête des pays européens ; elle n’est devancée que par la Belgique, qui a une capacité de productivité supérieure à la France et qui, à ma connaissance, n’a pas mis en place les 35 heures.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Au-delà des discussions, forcément complexes, qui président à la mise au point d’un texte de loi, il nous faut adresser un message clair à l’ensemble de nos concitoyens.
Concernant la durée du temps de travail dont nous discutons aujourd'hui, ce message est le suivant : le Gouvernement défendra tout à l’heure un amendement pour rétablir la durée légale du travail à 35 heures, et cet amendement est soutenu par le groupe socialiste et républicain.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je souscris aux propos de mon collègue Jean-Louis Tourenne : l’on ne peut pas citer des études en ne tenant compte que des chiffres qui nous arrangent. M. Tourenne vient de rappeler les chiffres que nous avons donnés hier.
Vous le savez, mon cher collègue René-Paul Savary, l’on peut faire dire un peu ce que l’on veut aux chiffres, et cela est valable aussi bien pour vous que pour nous. Il est compliqué de comparer les pays européens du point de vue du temps de travail, car chacun a ses spécificités.
Sur ce sujet, mon groupe soutient non seulement le retour aux 35 heures, disposition qui a été supprimée par la commission des affaires sociales, mais aussi la réduction du temps de travail à 32 heures. Nous aurons sans doute un débat sur ce sujet.
Concernant l’amendement n° 475, qui tend à préciser que les temps de pause sont considérés comme du temps de travail effectif, l’enjeu est véritablement de définir ce qu’est le temps de travail, c'est-à-dire le temps pendant lequel le salarié est sous les ordres de son employeur. Des liens de subordination existent au sein des entreprises, et le salarié y est soumis tant qu’il se trouve sur son lieu de travail, même pendant ses pauses. Cet amendement vise donc à préciser les choses, afin de sécuriser et de protéger les salariés pendant leur temps de travail.
Madame la ministre, comme Jean Desessard, je souhaiterais comprendre pourquoi vous n’y êtes pas favorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Permettez-moi d’exposer de nouveau la position de la commission sur cet amendement.
En adoptant un amendement présenté par Les Républicains et très largement cosigné au sein de ce groupe, la commission a choisi de laisser la faculté aux partenaires sociaux, c'est-à-dire aux représentants des salariés et des employeurs, de se mettre d’accord sur une durée de référence. Une branche pourra porter la durée du travail à 37 heures, une autre à 36 heures ou à 35 heures…
Mme Éliane Assassi. Voire à 45 heures !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Il faut vivre avec son temps et faire confiance aux acteurs de terrain.
Soyons cohérents jusqu’au bout, monsieur Desessard. Comme vous, j’ai voté une proposition de résolution pour l’instauration d’un revenu de base, parce que je pense que dans le monde qui s’ouvre, il est important que tout un chacun puisse avoir ce filet de sécurité qui lui permettra d’oser entreprendre, d’oser être entrepreneur de sa vie pour ne pas la subir.
Mais favoriser cette liberté d’entreprendre suppose aussi de faire confiance aux partenaires sociaux pour trouver des accords. En matière de durée ou d’organisation du travail, des accords qui pouvaient paraître contre-intuitifs dans une logique purement théorique, politique, ont pourtant été signés par des syndicats qui ne sont pas parmi les plus réformistes.
Ne caricaturez pas notre position : elle consiste simplement à dire que si aucun accord n’est trouvé au sein de l’entreprise, une durée supplétive sera arrêtée après concertation avec les partenaires sociaux au sein de la Commission nationale de négociation collective. Le système que nous proposons est finalement très pragmatique, et je tiens à redire que l’on nous fait là un mauvais procès.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 475.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 254 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 29 |
Contre | 310 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, à titre très exceptionnel, j’y insiste, car le règlement ne prévoit pas de rappel au règlement au cours d’une procédure de vote.
M. Jean-Claude Requier. Je vous remercie, madame la présidente. Depuis quatre ans que je suis élu, c’est la première fois que je fais un rappel au règlement.
Mon rappel au règlement porte sur le recours au scrutin public. Mon groupe, le RDSE, se caractérise par une grande liberté de vote et de ton. C’est pourquoi je comprends d’autant moins que la commission demande tous ces scrutins publics.
En effet, lorsque les avis de la commission et du Gouvernement convergent, il me semble qu’un vote à main levée suffirait. Le vote par scrutin public semble en revanche justifié sur quelques articles emblématiques, lorsqu’il y a désaccord entre le Gouvernement et la commission.
Le droit d’amendement doit bien sûr s’exercer, mais, comme pour le droit de grève…
Mme Éliane Assassi. Et le droit de manifester !
M. Jean-Claude Requier. … il y a la lettre et l’esprit.
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Toutefois, conformément au règlement, le scrutin public, qui permet à chacun de voter en donnant délégation de vote à son groupe, est de droit lorsqu’il est demandé par la commission saisie au fond. Sur des sujets très importants comme le temps de travail, le recours au scrutin public est tout à fait admissible et compréhensible.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Vous avez répondu pour moi, madame la présidente. Je trouve assez extraordinaire de faire un rappel au règlement alors que le président de la commission que je suis se fonde justement sur le règlement pour recourir au scrutin public !
Article 2 (suite)
Mme la présidente. Nous poursuivons la discussion de l’article 2.
La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur l'amendement n° 899 rectifié.
M. Jean Desessard. Je trouve très intéressant l’amendement n° 899 rectifié, dont M. Collombat est le premier signataire. Il paraît en effet normal de prendre en compte l’absence de lieu habituel de travail, de même, et je regrette de ne pas avoir sous-amendé cet amendement en ce sens, qu’il semblerait normal de prendre en compte la situation des salariés qui ont plusieurs employeurs.
Mme Laurence Cohen. Oui !
M. Jean Desessard. Prenons le cas d’un travailleur qui, dans une journée, travaille deux heures sur un lieu de travail donné puis trois heures sur un autre lieu pour un autre employeur. Son temps de déplacement n’est pas payé, ce qui crée une discrimination à plusieurs niveaux : non seulement le travailleur est employé par plusieurs employeurs et à temps partiel par chacun d’entre eux, mais son temps de déplacement entre ses différents lieux de travail dans une journée n’est pas pris en compte.
Je soutiens donc cet amendement et je regrette, je le répète, de ne pas l’avoir sous-amendé pour prendre en considération la situation des salariés qui ont des employeurs multiples.
Je profite du temps de parole qui m’est accordé en vertu du règlement pour répondre à M. le rapporteur.
Monsieur le rapporteur, vous dites que le revenu universel permet d’assurer une forme de sécurité. Il permet d’envisager autrement le temps partiel, selon le désir ou l’investissement de chacun dans la vie professionnelle puisqu’un revenu de base est de toute façon garanti. Mais le revenu universel que vous avez voté, monsieur le rapporteur, n’a guère obtenu qu’un succès d’estime dans cet hémicycle.
Si je souscris donc entièrement à vos propos, il reste que, aujourd'hui, le revenu de base n’existe pas. Tant que ce filet de sécurité n’est pas effectif, adopter une position rigide sur le temps partiel semble prématuré. Toutefois, le jour où l’adoption du revenu universel semblera proche, j’envisagerais les choses comme vous les avez présentées, et je vous remercie de la pertinence de vos propos.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.
M. Michel Le Scouarnec. Qu’est-ce qu’un temps de transport normal ? Cette notion mérite examen et, au travers de la jurisprudence existante, nous pouvons affirmer sans trop de difficultés que ce temps est par nature variable, et qu’il faut en revenir aux conditions objectives de chaque région pour en avoir une idée.
Dans un arrêt du mois de mars 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation avait jugé qu’un temps de transport de deux heures pour un cadre francilien utilisant son véhicule personnel était un temps de transport « normal » pour la région d’Île-de-France, où l’importance des déplacements est souvent génératrice d’allongement de la durée de transport. En foi de quoi, ce cadre n’avait pas été déclaré « indemnisable » par son employeur.
Mais dans le même temps, dans bien des secteurs d’activité, les dispositions conventionnelles intègrent d’office une prise en charge financière des frais de transport, reconnaissant alors que ces frais peuvent présenter un caractère suffisamment spécifique pour être remboursés comme tels.
Madame la ministre, vous pourriez sans doute lire avec le plus grand intérêt les dispositions conventionnelles du secteur du bâtiment et des travaux publics qui prévoient, entre autres, une indemnité quotidienne dite de « petits déplacements » et une indemnité dite de « trajet », dont le montant, fixé par les conventions, s’applique donc par nature à l’ensemble des entreprises adhérentes, quelle que soit leur taille…
Autant dire que, là encore, la proposition formulée dans l’article 2, au sein des alinéas 19 à 24, n’est pas recevable. Pourquoi devrait-on négocier – et selon quels critères ? – dans une entreprise donnée, d’une part, la définition du caractère « normal » du temps de transport ou de trajet, et, d’autre part, les modalités de sa prise en compte, alors même que les dispositions conventionnelles le prévoient expressément ?
En lieu et place de nouvelles libertés et protections, nous voilà encore une fois en face d’un nouveau recul social, d’autant plus incompréhensible que la tendance générale de l’économie de notre pays est plutôt à la distanciation grandissante entre lieu de travail et lieu de résidence.
Si certains dans cet hémicycle croient pouvoir redonner du souffle aux entreprises en leur permettant de revenir sur le montant des primes de déplacement ou de la prime de panier, eh bien, il convient qu’ils soient très vite rassurés. Ce n’est pas dans la part du ticket de bus ou de train prise en charge par l’employeur que se trouve la source principale de compétitivité de nos entreprises ! Le croire, c’est se bercer d’illusions, et le faire croire, c’est mensonger !
Là encore, laissons les conventions collectives, cet acquis irréfragable des accords de Matignon de 1936, faire leur œuvre !