M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Myriam El Khomri, ministre. J’aurai l’occasion de revenir sur les questions de fond, notamment l’inversion de la hiérarchie des normes ou le principe de faveur.
Je respecte les positions de chacun, mais tout l’intérêt d’un débat, c’est de pouvoir faire preuve de pédagogie et argumenter de façon sereine.
Monsieur Laurent, le peuple de gauche a en effet été quelque peu éprouvé par le débat sur la déchéance de la nationalité. Je l’admets tout à fait.
M. Philippe Dallier. Le « peuple de gauche » ? De quoi, de qui parlez-vous donc ?
M. Roger Karoutchi. Vous tenez des fiches sur le « peuple de gauche » ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Ce procès en trahison a toujours été instruit à l’encontre de la gauche qui, une fois parvenue au pouvoir, ne tiendrait pas ses engagements, renierait ses valeurs, précisément parce que c’est la gauche qui ambitionne de changer le monde. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Sans nous, vous n’auriez pas été élus !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Le Président de la République, en 2012, au cours de sa campagne, n’a peut-être pas suffisamment rappelé l’état de faillite – pour reprendre l’expression de François Fillon – dans lequel se trouvait alors le pays. Peut-on parler d’austérité quand nous mettons en place la retraite à soixante ans pour ceux qui ont commencé à travailler très jeunes, quand nous créons des postes dans l’éducation, dans la justice, dans la sécurité, quand nous mettons en œuvre les contrats de génération, dont bénéficient 400 000 personnes, les contrats d’avenir ? Il est essentiel de regarder lucidement et sereinement les choses.
Enfin, vous prétendez que, depuis quatre mois, les tenants de ce projet de loi auraient monopolisé les médias : permettez-moi de vous dire que telle n’est pas la réalité. Ni vous ni la CGT n’avez le monopole de la défense des intérêts des salariés.
Vous affirmez que ce projet de loi ne convainc aucune organisation syndicale, non plus que la jeunesse. Pourquoi ne dites-vous pas que la FAGE, la Fédération des associations générales étudiantes, qui a d’ailleurs remporté les dernières élections, soutient ce projet de loi (Mme Éliane Assassi s’exclame.), de même que des organisations syndicales telles que la CFTC, l’UNSA ou la CFDT ? Le débat sur ce texte traverse le champ syndical, partagé entre deux visions de la démocratie sociale dans l’entreprise. Pourquoi taire les avancées que contient ce projet de loi, telles que la généralisation de la Garantie jeunes ou le droit universel à la formation ? Il me semble essentiel d’aborder ce texte dans sa globalité.
Par ailleurs, je défends résolument la démocratie sociale dans l’entreprise. Les salariés, les ouvriers se sont battus pour obtenir le droit d’être entendus au sein de l’entreprise. Vous le savez bien, il ne s’agit nullement de permettre un code du travail par entreprise. Le domaine réservé de la loi demeure et celle-ci continuera d’être protectrice. L’accord d’entreprise ne pourra porter sur la durée légale du travail, le salaire minimum, les classifications. De même, la protection de la santé et de la sécurité des salariés continuera bien évidemment de relever de la loi.
Les accords d’entreprise concerneront ce qui intéresse le quotidien des salariés, l’organisation du travail – les temps d’habillage et de déshabillage, les heures de récupération, etc.
Madame Assassi, vous parliez des jours fériés. Le code du travail ne reconnaît qu’un seul jour férié et obligatoirement chômé : le 1er mai. Les autres jours fériés sont fixés par l’employeur…
Mme Éliane Assassi. Non ! Par les accords de branche ! Vous ne connaissez pas le code du travail !
Mme Myriam El Khomri, ministre. … ou, demain, par un accord collectif. Il est essentiel de laisser de la place à la négociation et celle-ci ne peut fonctionner que si les trois éléments suivants sont réunis : le principe majoritaire, le renforcement des moyens des syndicats – ce texte prévoit qu’ils augmentent de 20 % – et l’élargissement du champ de la négociation. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. M’exprimant au nom du groupe socialiste et républicain, je laisserai de côté la polémique. Nous préférons débattre argument contre argument. Cependant, monsieur Laurent, il me faut bien constater que votre intervention s’est bornée à un réquisitoire contre les seuls socialistes.
Mme Éliane Assassi. Contre le texte ! Nous voulons son retrait !
Mme Nicole Bricq. J’ai moi aussi quelques références historiques. Franchement, en vous écoutant, nous avons eu l’impression qu’il s’agissait de faire le procès des ours savants de la démocratie ; nous ne nous y prêterons pas.
Vous reprochez au Gouvernement d’avoir utilisé le 49.3 à l’Assemblée nationale. Mais c’est un outil constitutionnel ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRC.) Proposez sa suppression !
Mme Éliane Assassi. Ben voyons !
M. Roger Karoutchi. Vous aviez vous-mêmes demandé sa suppression !
Mme Nicole Bricq. Des gouvernements de droite comme de gauche y ont eu recours !
Vous faites exactement comme la droite : vous vous asseyez sur le débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Je rappelle que le texte adopté selon la procédure du 49.3, sur lequel nous avons travaillé en commission, a fait l’objet de 761 amendements : 304 amendements examinés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale les 6 et 7 avril et 457 amendements repris par le Gouvernement. Alors, ne niez pas qu’un débat ait eu lieu à l’Assemblée nationale ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Vous faites exactement comme nos collègues de droite ; du reste, j’observe que vos attaques ont été uniquement dirigées contre les socialistes et qu’à aucun moment vous n’avez attaqué la droite !
Mme Éliane Assassi. On ne tombera pas dans le piège !
Mme Nicole Bricq. Dès lors, vous comprendrez que nous votions contre votre motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. L’inégalité des armes et la violence du combat idéologique ne nous permettent pas de mener un débat à la hauteur des enjeux pour notre société en ce XXIe siècle.
Pourtant, vous l’avez dit, madame la ministre, il s’agit de favoriser le progrès social, de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, de sécuriser les parcours professionnels, de donner aux salariés la place qui leur revient dans l’entreprise.
Vous prétendez que tels sont vos objectifs, outre bien sûr l’amélioration de la compétitivité des entreprises, mais, en réalité, votre projet n’est en rien ce que vous en dites. À cet égard, je rends hommage à M. Lemoyne, dont les propos auront éclairé celles et ceux qui se faisaient encore quelques illusions…
Pierre Laurent a bien expliqué ce qu’est un projet de gauche : ce n’est pas l’inversion de la hiérarchie des normes, l’abandon du principe de faveur, la facilitation des licenciements, la fin des 35 heures, l’abaissement de la protection de la santé des salariés.
C’est pourtant ce que vous proposez, vous conformant en cela aux desiderata de la Commission européenne, qui vous presse de décentraliser le dialogue social à l’échelon des entreprises, manière habile d’affaiblir les syndicats, de fissurer les protections juridiques des salariés et d’accroître le dumping social, prétendument pour améliorer la compétitivité des entreprises.
Vous parlez de coût du travail ; nous parlons, nous, de coût du capital. Malheureusement, en Belgique, en Italie, en Espagne, ces réformes ont déjà été mises en œuvre, avec les conséquences que l’on sait en termes d’appauvrissement de la société et de dégradation des conditions de vie.
Non, madame la ministre, mes chers collègues, en 2012, François Hollande n’a pas été élu pour mener ces réformes libérales ; il a au contraire été porté à l’Élysée par des millions de salariés qui voulaient donner un coup d’arrêt à ces politiques inspirées par Bruxelles.
Oui, être de gauche, cela a du sens pour celles et ceux qui sont attachés au progrès social, à l’émancipation humaine. Oui, être de gauche, c’est faire progresser le droit du travail, qui est un droit constitutionnel, en prenant en compte les enjeux d’aujourd’hui : hyperprécarisation du salariat, « ubérisation » de l’économie, détachement de salariés, auto-entrepreneuriat, portage salarial… Oui, nous voulons parler du travail, mais nous ne voulons pas laisser au bord du chemin les travailleurs, car c’est avant tout pour eux que nous devons mener ce débat.
Je vous invite, mes chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 102, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 244 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 25 |
Contre | 311 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.)
PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré
vice-présidente
M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après un dialogue social tronqué, après l’utilisation passée et peut-être à venir du 49.3 à l’Assemblée nationale, le débat parlementaire qui s’engage au Sénat sur le projet de loi Travail risque d’être unique. Il en suscite d’autant plus l’intérêt des Français, à la veille d’une grande manifestation nationale pour exiger son retrait, dans le cadre d’un mouvement de contestation et de grèves qui a mobilisé des millions de Français et qui perdure sans faiblir depuis trois mois.
Ma première attention sera pour ceux qui souffrent le plus de la situation de l’emploi. Je veux parler des jeunes en rupture, des jeunes en galère ; des jeunes instruits, souvent qualifiés, mais soumis au bizutage social des CDD à répétition et de l’intérim.
Madame la ministre, vous nous parlerez – vous l’avez d’ailleurs déjà fait – de la généralisation de la Garantie jeunes, de droits nouveaux à la formation pour les jeunes décrocheurs ou de la prolongation des bourses universitaires. Ces mesures ont été saluées positivement par l’Union nationale des étudiants de France, l’UNEF, et l’Union nationale lycéenne, l’UNL.
Mais, très franchement, croyez-vous que c’est en rendant plus flexibles les CDI, en faisant des salariés des variables d’ajustement encore plus souples des stratégies financières des grands groupes, en rendant les contrats de travail modifiables à merci, et même jetables, que vous combattrez la précarité et redynamiserez l’économie ?
Notre rejet de votre projet de loi s’appuie d’abord sur la justification que vous affichez de son utilité et de sa nécessité. Selon vous, il y aurait un lien de causalité entre degré de rigidité supposée du code du travail et chômage. C’est votre droit d’adhérer à cette logique, plutôt libérale, il est vrai. Mais même l’OCDE a fini par conclure qu’il n’était pas possible d’établir un tel lien !
Avec mes collègues du groupe CRC, nous croyons plutôt que votre projet est une réponse, une concession, voire une soumission aux recommandations de la Commission de Bruxelles. J’ai ici le document du 14 juillet 2015. S’il le faut, je vous lirai les injonctions qu’il contient !
Mes chers collègues, vous serez sûrement nombreux, sur la majorité de ces travées, à invoquer des exemples empruntés de l’étranger. Notre pays serait irréformable, perclus de conservatisme ; il faudrait donc enfin engager les prétendues réformes suscitées…
Nous avons, me semble-t-il, l’avantage du recul dans le temps pour examiner la situation de plusieurs deux pays.
J’évoquerai d’abord le Royaume-Uni. Je note d’ailleurs que vous citez de moins en moins cette catastrophe sociale, où le contrat zéro heure et les « sous-SMIC jeunes » ont abouti à une explosion des petits boulots, de la précarité, de la pauvreté.
J’en viens à l’Allemagne, dont je sais que beaucoup font un modèle de flexisécurité. Or le salaire moyen a sensiblement reculé. Aujourd’hui, 40 % des Allemands occupent des emplois atypiques. Où est la culture du compromis ? Où est le « gagnant-gagnant » ?
En Italie, le bilan du Jobs Act de Matteo Renzi est déjà contrasté, la Confédération générale italienne du travail, constatant déjà une baisse de 1,4 % des salaires avec les nouveaux contrats de travail.
Je terminerai par l’Espagne, dont vous saluerez évidemment la baisse du taux de chômage, mais en oubliant probablement de souligner l’exil massif des jeunes.
Madame la ministre, pour défendre le bien-fondé de votre projet de loi, vous prétendez qu’il serait soutenu majoritairement par les syndicats de salariés. Lors de votre audition, vous avez même déclaré : « Les syndicats représentant la majorité des salariés – CFDT, CFTC, CGC et UNSA – sont favorables aux avancées que le projet comporte. »
M. Didier Guillaume. C’est vrai !
M. Dominique Watrin. Il est effectivement primordial qu’une loi ayant pour objectif le développement du dialogue social ait a minima le soutien de la majorité des organisations syndicales de salariés.
Or, et vous le savez comme moi, la CGC, que vous avez mentionnée, est aujourd’hui hostile à la philosophie générale de votre texte. D’ailleurs, son président demande même aujourd’hui la suspension du débat parlementaire sur le projet de loi Travail.
Ce texte n’a donc le soutien ni de la majorité des salariés ni de leurs représentants ; il est rejeté par plus de 70 % des Français ; vous l’avez fait passer par la force du 49.3 à l’Assemblée nationale, et il sera encore minoritaire au Sénat. Cela fait tout de même beaucoup, et explique aussi les nombreuses tensions et grèves multiples qui affectent notre pays. Voilà pourquoi nous demandons la suspension du débat parlementaire et le retour à la table des négociations ! De grâce, ne vous entêtez pas plus : saisissez les perches qui vous sont tendues !
Par ailleurs, madame la ministre, vous avez soupçonné notre groupe de fuir le débat, en me répondant lors de la séance des questions d’actualité. Rassurez-vous : le débat de fond, nous l’aurons, grâce aux 402 amendements que nous avons déposés. Ils nous permettront de démontrer les régressions et reculs sociaux qu’entraînerait l’adoption de votre texte.
L’article 2 ne contient pas moins de cinquante-sept pages pour poser la primauté de l’accord d’entreprise sur la loi et les accords de branche. Comme le disait la représentante de la CGT à la table ronde syndicale : « Cela aura pour effet de faire voler en éclats le socle commun, mis en place dans le code du travail, de protection et de garanties collectives dont bénéficient les salariés. […] Les salariés les plus fragiles, ceux qui sont isolés […], seront donc encore davantage défavorisés. […] Avec ce projet de loi, on inverse le processus et on entame, de ce fait, une course au dumping social. »
L’article 10, qui porte sur la légitimité des accords collectifs, est surprenant ! Comment pouvez-vous affirmer vouloir renforcer les syndicats dans la négociation d’entreprise et, en même temps, permettre à une minorité syndicale de remettre en cause une position prise par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés ? Je ne comprends pas, et je ne suis probablement pas le seul !
L’article 11 concerne les accords dits de « préservation et de développement de l’emploi ». Au moins, vous assumez la filiation avec les lois de droite Fillon, Sarkozy-Bertrand, Warsmann et les douze accords dits de « maintien de l’emploi », dont vous tirez un bilan curieusement positif. Pourtant, les sacrifices acceptés par les salariés n’ont empêché ni suppressions massives d’emplois ni fermetures de site ! Maintenant, vous voulez autoriser ce type d’accords même lorsque l’entreprise ne connaît pas de difficultés économiques. Pour quels intérêts, selon vous ?
Enfin, avec l’article 30, en sécurisant les licenciements sans cause réelle ni sérieuse, vous répondez au vœu le plus cher du MEDEF ces dernières décennies. C’est un comble !
Les précisions apportées à l’Assemblée nationale ne redonneront aux syndicats aucune des possibilités d’interventions que votre gouvernement a enlevées dans le cadre des lois précédentes ! Je parle ici des plans de sauvegarde de l’emploi, ou PSE, qui écartent maintenant les institutions représentatives du personnel, les comités d’entreprise, de toute possibilité d’intervention pendant deux ou quatre mois après l’annonce d’une fermeture de site !
En revanche, avec cette loi, vous limiterez le pouvoir d’appréciation du juge sur le bien-fondé du motif économique des licenciements. C’est inacceptable !
Vous le voyez, notre groupe s’opposera résolument au projet de loi tel qu’il est issu du 49.3, et, avec la même détermination, aux surenchères de la droite qui ont été intégrées dans le texte de la commission des affaires sociales sur l’initiative de la majorité sénatoriale.
D’ailleurs, chers collègues de droite, je vous le dis franchement, vous avez fait fort : flexibilisation à outrance des dispositifs d’aménagement du travail ; facilitation encore plus poussée des licenciements économiques ; nouveaux reculs sur la reconnaissance et la prise en compte de la pénibilité du travail ; doublement des seuils sociaux, c’est-à-dire suppression de la représentation syndicale dans un projet de loi dont vous partagez pourtant le principe et l’objectif affiché de développer le dialogue social à l’entreprise ; apprentissage dès quatorze ans ; travail de nuit des apprentis ; enfin, cerise sur le gâteau que vous offrez au MEDEF, les 39 heures !
Cela illustre d’ailleurs parfaitement notre analyse. En somme, vous enjoignez aux salariés de négocier à 37 heures ou à 38 heures payées 35,…
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Non ! Payées 37 ou 38 heures !
M. Dominique Watrin. … faute de quoi ce sera 39 heures !
Certes, vous n’êtes pas allés jusqu’à proposer la durée légale du travail à 39 heures ; vous avez évoqué seulement une durée de référence. Peut-être que ce qui se passe dans la rue et dans les entreprises vous inquiète aujourd’hui. Mais va pour les 39 heures tout de même, puisque ce qui compte pour vous, c’est d’afficher le programme présidentiel.
Madame la ministre, soyez rassurée. Nous combattrons avec la même vigueur les propositions de la droite sénatoriale. Je veux simplement vous dire que nous avons passé l’âge des jeux politiciens.
Ne croyez surtout pas qu’en défendant dans cet hémicycle un texte aussi brutal contre le monde du travail, vous puissiez vous prévaloir, face aux surenchères de la droite, d’une quelconque vertu d’équilibre. En effet, si la droite a fixé à 39 heures le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, c’est aussi parce qu’elle s’est appuyée sur l’article 2 de votre texte. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. C’est logique !
M. Jean-Pierre Caffet. Quel jésuite !
M. Dominique Watrin. D’ailleurs, elle n’a pas demandé la suppression de cet article, qui permet aux employeurs de contourner toujours plus l’obligation de rémunérer les heures supplémentaires et de ne payer que 10 % les huit premières, contre 25 % aujourd’hui.
Mme Éliane Assassi. La porte était ouverte !
M. Dominique Watrin. Je le répète : la matrice commune, c’est Bruxelles ; c’est le MEDEF ! Je sais d’ailleurs que certains socialistes ne sont pas loin de penser la même chose !
Mes chers collègues, au cours des débats, nous aurons aussi à cœur de montrer que nous ne sommes pas pour le statu quo. Nous pensons que le code du travail reste à améliorer pour prendre en compte les nouvelles précarités du travail et les évolutions technologiques.
Nous portons l’exigence d’un véritable dialogue social dans l’entreprise, ce qui ne pourra pas se réaliser sans droits nouveaux d’intervention des salariés et de leurs représentants.
Nous ferons donc de nombreuses propositions sur différents champs : pour promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et lutter contre la précarité dans les services et l’aide à domicile ; pour une médecine du travail de prévention et de reclassement, et non de sélection ; pour faciliter la reconductibilité des contrats saisonniers ; pour combattre à la racine le travail détaché illégal.
À l’ère du numérique, du développement des plateformes sophistiquées, mais qui reproduisent en réalité les formes les plus primitives de l’exploitation, nous nous attacherons aussi à faire émerger de nouveaux droits, un véritable statut pour les « ubérisés ».
Plus généralement, les progrès technologiques vont considérablement et durablement modifier le travail. On estime ainsi que ces évolutions auront des effets sur 50 % des emplois salariés et des métiers actuels d’ici à vingt ans.
Au regard d’un tel bouleversement, on ne peut pas se contenter d’un compte personnel d’activité. Il s’agit aussi de prendre le contrepied des logiques actuelles, par la réduction du temps de travail, la formation, mais aussi le partage des richesses.
Plutôt que les 39 heures ou la flexibilité à outrance, mettons en débat le passage aux 32 heures d’ici à 2021 sans perte de salaire !
En un mot, et c’est là notre divergence de fond, les membres du groupe CRC estiment que le progrès social ne peut pas résulter de la régression de chacun. Au contraire ! C’est dans le développement des droits économiques, culturels, syndicaux, coopératifs et sociaux que l’on fraiera le chemin d’une société et d’une économie efficaces, au service de tous ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. S’il est un texte qui occupe les élus, le monde politique, les parlementaires, mais également la société, les syndicats, les Françaises et les Français depuis de nombreux mois maintenant, c’est bien celui qui porte votre nom, madame la ministre : le projet de loi El Khomri ou projet de loi Travail.
Il y a eu plusieurs étapes. La première version avait choqué dans les rangs de la gauche.
Le Premier ministre a alors décidé une pause durant quinze jours ; il a fait le choix du dialogue. Vous pouvez arguer que le dialogue n’a pas eu lieu sur tel ou tel article, chers collègues. Mais l’objectivité et honnêteté obligent à reconnaître qu’il y a bien eu dialogue et concertation ! Vous pourriez prétendre le contraire si nous étions sur une île déserte. Mais il suffit de regarder la télévision, d’écouter la radio et de suivre ce qui se passe dans le monde pour constater que le dialogue a lieu tous les jours, matin, midi et soir, voire la nuit, pour ceux qui restent debout la nuit !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Avec quel succès ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Guillaume. Le débat a eu lieu à l’Assemblée nationale pendant des heures et des heures, des semaines et des semaines. La commission a travaillé jour et nuit sur des centaines d’amendements. Plus de 700 amendements ont été retenus ; c’est presque autant que le nombre d’amendements dont le Sénat est saisi. D’ailleurs, je pense qu’il y aura au final moins d’amendements issus des rangs sénatoriaux et votés par la Haute Assemblée que d’amendements déposés à l’Assemblée nationale et intégrés dans le texte dans le cadre du 49.3 ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Cela n’a pas de sens !
M. Didier Guillaume. Chacun est à son niveau intellectuel, madame Assassi ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe Les Républicains.)
Il faut absolument que, tout au long de ce débat – il va durer deux semaines –, les uns et les autres se respectent. Celles et ceux qui vont s’exprimer croient en ce qu’ils disent. Personne n’est dans la posture !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Ou l’imposture ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Guillaume. Monsieur le rapporteur, ce n’est pas par la désinvolture ou l’ironie que nous irons au bout d’un débat serein et apaisé. C’est par les convictions. Nous en avons tous.
À l’instar de M. Laurent, je condamne de la manière la plus ferme les propos tenus par le président du MEDEF. Ils sont inadmissibles en démocratie ! Personne dans cet hémicycle ne peut les tolérer. Il n’y a pas de terroriste dans le monde syndical. Il est inacceptable de comparer le monde syndical à telle ou telle organisation terroriste. De même, madame la ministre, chère Myriam El Khomri, il est inacceptable que des manifestants individuels – je précise qu’ils n’étaient affiliés à aucune organisation syndicale – soient venus chez vous de bon matin à votre domicile pour effrayer vos enfants.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Nous sommes tout à fait d’accord ! C’est scandaleux !
M. Didier Guillaume. Le débat politique n’a pas à s’immiscer dans la vie privée des ministres !
Il est tout aussi inacceptable que l’on brûle une voiture de police !
Le débat doit être serein, posé. La violence, verbale ou physique, d’où qu’elle vienne, doit être condamnée.
Au cours de la discussion, nous serons amenés à acter nos désaccords, que ce soit entre la droite et la gauche, entre la gauche et la gauche, voire, parfois, au sein d’un même groupe politique. Nous devons l’assumer ; c’est la vie démocratique.
L’objectif du Gouvernement, que la grande majorité de notre groupe soutient, est la mise en place d’un nouveau contrat social, fondé sur un nouveau dialogue social.
Oui, cette loi est une loi d’équilibre ! Elle repose sur le triptyque : protection des salariés, qui ne fait défaut à aucun moment dans ce texte – certains d’entre nous, en particulier Nicole Bricq, essaieront de le démontrer tout au long du débat –, progrès social et efficacité économique.
Nous refusons le statu quo, en politique comme en économie. La situation a changé depuis 2008. D’ailleurs, je vous remercie d’avoir cité, entre autres, MM. Vidalies, Hollande, Valls. Nous rejetons également toute fuite en avant effrénée et désorganisée. (M. Thierry Foucaud s’exclame.)
Peut-être que deux conceptions, celle de la régulation et celle de la dérégulation, s’opposent ! Mais, tout au long de ces quatre mois, le dialogue aidant, les syndicats réformistes, comme la CFDT, l’UNSA, la CFTC, la CGC pendant un temps et la FAGE, ont accompagné le Gouvernement et soutiennent ce texte. C’est aussi le signe que le nouveau dialogue social doit s’appuyer sur les syndicats. Nous l’assumons totalement.
La droite sénatoriale affirme qu’il n’y a plus rien dans ce texte et qu’elle ne peut donc pas le voter. Quel mépris !
Quel mépris pour les salariés, qui bénéficieront du compte personnel d’activité, de la sécurité sociale professionnelle ! Le compte pénibilité, que la droite fustige, est…