Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas de la concertation !
Mme Myriam El Khomri, ministre. J’observe que la commission a repris certaines dispositions de l’avant-projet de loi. Comme nous respectons le dialogue social, le projet de loi est le fruit d’un compromis avec les organisations syndicales qui le soutiennent. Je respecte ce compromis jusqu’au bout. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Nous voterons bien évidemment contre cette motion.
D’abord, je voudrais dire au groupe CRC que nous n’acceptons pas le procès en trahison de la gauche qu’il nous fait.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas un procès, ce sont des faits !
Mme Nicole Bricq. Nous n’en serons donc pas les victimes consentantes.
M. Alain Joyandet. C’est un procès légitime !
Mme Nicole Bricq. Vous voyez, vous trouvez des alliés sur les travées de la droite… (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Nous sommes des parlementaires, et ne pas débattre de ce projet de loi constituerait un déni de nos responsabilités. Ce texte est devenu un élément du débat public, grâce aux organisations syndicales du reste : il serait tout de même paradoxal que l’on en parle partout, sauf au Sénat !
Mme Éliane Assassi. Cela ne vous a pas gênés que l’on n’en parle pas à l’Assemblée nationale !
Mme Nicole Bricq. Nous voulons débattre de ce projet de loi jusqu’au bout : c’est notre fonction de parlementaires. C’est un exercice démocratique, or nous voulons justement que démocratie politique et démocratie sociale marchent l’amble.
M. Roger Karoutchi. Alors pas de 49.3 à l’Assemblée nationale en deuxième lecture !
Mme Nicole Bricq. Enfin, la raison fondamentale de notre opposition à cette motion tient au fait que combattre le chômage sans parler du travail serait une faute historique. Tout l’honneur du Gouvernement et des parlementaires qui le soutiennent, c’est de s’attaquer à ce sujet, comme nous l’avons fait au cours de ces trente-cinq dernières années chaque fois que nous avons été aux responsabilités.
Alors que le monde connaît une mutation formidable, qui s’accompagne de bien des excès, il faut renforcer les protections des travailleurs, car nous savons bien que les outils actuels sont insuffisants pour les préparer aux conséquences de cette mutation.
Nous voulons donc, par conviction, aller jusqu’au bout de l’examen de ce texte. C’est pourquoi nous voterons contre cette motion. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. Ne vous en déplaise, madame la ministre, le constat de l’absence criante de dialogue social est assez largement partagé sur nos travées. Vouloir défendre la constitutionnalité de ce texte relève d’une forme d’acharnement. Dans le peu de temps qui m’est imparti, je me contenterai de rappeler que si le principe de faveur en lui-même n’a pas de valeur constitutionnelle intrinsèque, il est reconnu par le Conseil constitutionnel comme un principe général du droit, ce qui donne compétence au législateur dans le domaine concerné, conformément à l’article 34 de la Constitution. Or cette compétence est mise à mal par votre texte.
Ce qui est choquant dans la logique suivie par le Gouvernement et l’hypothétique majorité qui soutient ce projet de loi, c’est l’inversion du raisonnement : la « gestion des affaires », comme on dit, justifie l’abandon de principes juridiques historiques qui ont démontré leur efficacité.
M. Sirugue, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale et preux défenseur de celui-ci, disait en 2008, en présentant une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi de M. Xavier Bertrand prévoyant l’inversion de la hiérarchie des normes en matière d’heures supplémentaires : « Cette seconde partie du texte est funeste pour le droit du travail. […] Votre texte ne va pas servir le cercle vertueux de la concurrence qui passe par la productivité, des efforts de productivité ou la place faite à l’innovation. Il va au contraire enclencher le cercle vicieux du dumping social entre des entreprises appartenant à la même branche professionnelle. »
« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Mme la ministre, ce n’est pas moi qui le dis, mais le rapporteur de votre texte à l’Assemblée nationale, citant Lacordaire.
Comment ne pas sourire quand M. Lemoyne affirme que, « en 2008, la gauche a violemment rejeté la loi sur la démocratie sociale et, aujourd’hui, le Gouvernement vient sur nos lignes » ou que « l’article 2 est notre ADN » ?
Le groupe CRC refuse cette Sainte-Alliance pour la défense du libéralisme et appelle les parlementaires issus de la gauche à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 103, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 243 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l’adoption | 22 |
Contre | 312 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. P. Laurent et Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 102.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (n° 662, 2015-2016).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Pierre Laurent, pour la motion.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, cette motion tendant à opposer la question préalable est une chance pour notre assemblée. Le Sénat a en effet le pouvoir de dénouer la crise dans laquelle le projet de loi a plongé le pays. En vous invitant à adopter cette motion, nous vous proposons d’effectuer le geste qu’attend le pays : mettons un terme à la discussion d’un projet de loi dont la grande majorité de nos concitoyens ne veut pas.
Depuis quatre mois, sans avoir tiré aucune leçon du fait que la méthode mise en œuvre pour le projet de révision constitutionnelle relatif à la déchéance de nationalité vous avez déjà conduits à une impasse, vous vous acharnez une nouvelle fois à imposer un texte sans convaincre, sans discuter, sans négocier. Et, depuis quatre mois, force est de constater que c’est un fiasco !
Sortir de l’impasse, envoyer un signal d’apaisement, reprendre la discussion avec les organisations syndicales sur de nouvelles bases, notamment pour tendre vers une véritable sécurisation de l’emploi : voilà ce que nous vous proposons au travers de notre refus de poursuivre la discussion d’un texte dont la philosophie est à revoir de fond en comble.
À l’inverse, poursuivre le débat sur ce texte, ce serait à coup sûr continuer à jeter de l’huile sur le feu, prendre le chemin de la surenchère, avec la décision de la droite sénatoriale de durcir le texte, alors que c’est la négociation avec les organisations syndicales qui devrait être recherchée. En débattant de ce projet de loi, le Sénat ignorerait donc cette urgence.
De plus, nous le savons tous, ce serait ouvrir la voie à un nouveau passage en force à l’Assemblée nationale, à un nouveau recours au 49.3, car vous n’y aurez pas plus de majorité en deuxième lecture qu’en première lecture.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Pierre Laurent. Adopter notre motion tendant à opposer la question préalable, ce sera au contraire choisir la voie de la raison, du dialogue, du retour à la négociation.
Oui, depuis quatre mois, votre acharnement à promouvoir ce texte est un fiasco, sur le fond comme sur la forme.
En quatre mois, malgré la monopolisation des ondes par les soutiens de la loi, la mobilisation de toute la batterie d’experts en libéralisme dont nos chaînes de radio et de télévision ont le secret, vous n’avez réussi à convaincre ni la jeunesse, ni les salariés, ni les artisans, ni les petites entreprises, qui craignent tous la spirale du dumping social qu’entraînera cette déréglementation sociale.
Cette loi ne créera pas d’emplois ; elle précarisera toujours plus les salariés et le tissu des petites entreprises. Elle va donc fragiliser les ressorts économiques du pays. Jamais, en quatre mois, vous n’avez pu convaincre du contraire : le fait est que le rejet de ce projet de loi reste majoritaire dans l’opinion.
Demain, des manifestations monstres se dérouleront dans le pays. Elles réduiront à néant la thèse d’une contestation minoritaire que vous avez en vain tenté d’accréditer.
C’est un fiasco pour le dialogue social : quel paysage de désolation ! Vous n’avez cherché qu’à diviser et à stigmatiser le mouvement syndical. La CGT, FO, Solidaires, la FSU, l’UNEF et, depuis ces derniers jours, la CGC s’opposent à ce projet de loi, mais vous n’avez jamais vraiment essayé de négocier avec eux. Vous avez préféré les salir, les caricaturer et assimiler à de la violence l’action légitime de ces femmes et de ces hommes qui vivent difficilement de maigres salaires. (Mme Nicole Bricq proteste.)
Mme Éliane Assassi. Tous les jours, vous les insultez !
M. Pierre Laurent. Je pourrais aligner les citations par dizaines. Elles proviennent de la droite, ce qui n’étonnera personne, mais aussi, malheureusement, du camp gouvernemental.
Vous avez préféré le passage en force, par le recours au 49.3, à l’amendement du texte par des députés socialistes, communistes et écologistes. Vous avez ouvert la voie à un déferlement de propos inacceptables : ceux du patron du MEDEF, assimilant l’action de la CGT à du terrorisme ; ceux d’un célèbre éditorialiste, Franz-Olivier Giesbert, comparant la CGT à Daech.
Mme Nicole Bricq. Il n’est pas socialiste, celui-là !
M. Pierre Laurent. Le même écrit, cette semaine : « Je persiste et signe, n’en déplaise aux sites tenus par la police de la bien-pensance (Mediapart, l’Express, Le Huffington Post, etc.) ou aux twittos, avatars des chiens de Pavlov dont les clabaudages rappellent ceux de la populace robespierriste. »
Voilà ce que des éditorialistes osent écrire, ces jours-ci, à propos du monde syndical ! Où est la violence ? Ce sont les auteurs de tels propos qui devraient être déférés devant les tribunaux, et non, par exemple, cette jeune Manon, étudiante d’Amiens, jugée et menacée de prison pour avoir lancé un micro sur un CRS dans une manifestation contre le projet de loi Travail, le 28 avril dernier.
Mme Laurence Cohen. Bravo !
M. Pierre Laurent. Oui, le dialogue social sort gravement abîmé des événements de ces quatre derniers mois !
Enfin, c’est un fiasco politique. Vos électeurs se sentent trahis, à juste titre, tandis que la droite, qui rêve d’enfoncer le clou plus profondément encore, se régale.
M. Roger Karoutchi. Bof…
M. Pierre Laurent. Le Premier ministre a déclaré cette semaine qu’il en avait assez des « procès en trahison de la gauche ». Éliane Assassi a cité les propos tenus par Alain Vidalies en 2008 ; pour ma part, je vous donnerai lecture, mes chers collègues, du texte de la motion majoritaire adoptée lors du congrès du parti socialiste de juin 2015,…
Mme Nicole Bricq. Moi, je ne l’ai pas votée !
M. Philippe Dallier. On saura tout !
M. Pierre Laurent. … dont Manuel Valls et de nombreux ministres étaient signataires :
« La démocratie sociale que nous devons construire doit s’appuyer sur un syndicalisme fort et respecté, constructif sur l’innovation, intransigeant sur les régressions sociales. Et puis, il faut rétablir la hiérarchie des normes : la loi est plus forte que l’accord collectif et lui-même s’impose au contrat de travail.
Mme Éliane Assassi. Et voilà !
M. Pierre Laurent. « Si la loi peut permettre à des accords de déroger à ces dispositions, elle ne peut le prévoir dans des domaines relevant de l’ordre public social : salaire minimum, durée légale du travail, droit du licenciement, existence de la représentation du personnel. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jean Desessard applaudissent également.)
M. Jean-Pierre Caffet. On ne change rien !
M. Pierre Laurent. Force est de constater, madame la ministre, que, à peine six mois plus tard, votre projet de loi tend à prévoir exactement l’inverse en matière de hiérarchie des normes et de régressions sociales. Il n’y a donc pas de procès en trahison de la gauche : les Français constatent simplement des faits !
Pour justifier ce retournement majeur, historique au regard du passé de la gauche, vous invoquez la « modernité ». À vous entendre, vous faites ces choix pour ne pas avoir à trancher entre le libéralisme à outrance de la droite et l’immobilisme de la gauche traditionnelle. La vérité, c’est que vous avez choisi l’immobilisme dans le libéralisme et que vous avez renoncé à réformer à gauche, c’est-à-dire dans le sens du progrès social !
Pensez-vous réellement que le compromis et le progrès consistent à permettre un droit social par entreprise, à flexibiliser les règles de licenciement, à autoriser les licenciements économiques sur la base d’une simple baisse du chiffre d’affaires d’un semestre ?
Au nom de l’emploi, vous cédez mesure après mesure aux exigences du MEDEF qui, après avoir obtenu 40 milliards d’euros sans aucune contrepartie et sans aucune création d’emploi, vous demande instamment de le débarrasser du code du travail.
Votre projet de loi, madame la ministre, est si peu éloigné de ce que souhaite la droite qu’il aura suffi à cette dernière de rétablir en commission le texte initial et d’y rajouter quelques dispositions.
Chers collègues socialistes, vous allez, je le sais, protester contre la surenchère de la droite, mais qui a ouvert la porte, qui a mis le doigt dans ce dangereux engrenage ? Une nouvelle fois, la droite va vous piéger, et vous vous prêtez à son jeu ! Elle prolonge la vie de ce texte, qui n’a pas réuni de majorité à gauche à l’Assemblée nationale, et elle vous pousse sciemment au recours au 49.3. Ainsi, le crime contre le code du travail sera commis sans que ses empreintes ne figurent sur l’arme du crime. Du grand art ! Elle espère revenir demain au pouvoir ; elle n’aura plus alors qu’à mettre ses pas dans les vôtres pour finir le sale boulot.
Les sénateurs du Front national se sont eux-mêmes engouffrés dans cette brèche, en déposant des amendements allant dans le sens d’une surenchère libérale. Ils les ont aussitôt retirés, par calcul politicien, mais le fait est là !
Vous le voyez, mes chers collègues, ce projet de loi n’est pas le fruit d’un bon compromis, comme l’affirme le Gouvernement. C’est une machine infernale qui inquiète et insécurise le pays. Ce ne sont pas les grèves qui doivent s’arrêter ; c’est la discussion de ce texte qui doit être stoppée !
Pour conclure, je vous livrerai la version complète de la citation de Maurice Thorez que beaucoup ont utilisée ces derniers temps : « Il faut savoir terminer une grève dès que la satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles revendications. »
Aucune de ces conditions n’est aujourd’hui réunie ! Faut-il rappeler, en outre, que cette déclaration de Maurice Thorez intervenait alors que des accords venaient d’être signés pour étendre les congés payés et réduire la durée de la semaine de travail à 40 heures ?
C’est peut-être ceci qu’il conviendrait de méditer : la France est toujours sortie de la crise par la porte du progrès social, pas l’inverse !
Votez notre motion tendant à opposer la question préalable, mes chers collègues, et débarrassez-nous de ce projet régressif. Nous pourrons alors débattre utilement de la sécurisation de l’emploi, de la formation, de la réduction du temps de travail, de l’encadrement des salaires patronaux faramineux et de l’impunité zéro pour l’évasion fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’objet de la présente motion m’oblige à rappeler, en préambule, le contexte entourant l’examen de ce projet de loi.
La France est dans une situation de blocage.
Il s’agit d’abord d’un blocage économique. Depuis 2012, notre croissance a été deux fois moins importante que la moyenne des autres pays de l’OCDE et, depuis 2015, notre taux de chômage culmine à 10,4 %, contre 6,8 % pour la moyenne de ces mêmes pays.
Ensuite, les blocages sociaux se multiplient : ils concernent les raffineries, les ports, les transports, des domaines stratégiques pour notre pays.
Deux issues s’offrent à nous pour sortir de cette crise : l’abandon du projet de loi ou son débat dans notre assemblée. C’est la question éminemment politique, bien plus politique que juridique ou constitutionnelle, que soulève cette motion.
À cela, nous opposerons la vision inspirant la démarche que notre majorité a engagée dès les débats en commission, dont je tiens à saluer le travail.
Nous entendons saisir l’occasion de ce texte, présenté d’une façon assez maladroite par le Gouvernement, avec les malentendus que nous savons concernant le dialogue social et les abandons qui ont caractérisé son adoption par la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour rénover les fondations de notre droit du travail autour de trois piliers : la confiance, la sécurité juridique et la simplification.
Pour évoquer ces trois piliers, je m’appuierai sur les « considérants » qui motivent la motion tendant à opposer la question préalable.
S’agissant de la confiance, le principe des accords d’entreprise va incontestablement dans le sens d’une « déconcentration » de notre réglementation en matière de droit du travail.
Dans le monde qui est le nôtre, avec ses bouleversements économiques presque quotidiens, le législateur doit rétablir un vecteur fondamental de la croissance économique : la confiance – confiance envers l’entreprise, confiance envers la responsabilité prise par chacun, patron ou salarié.
Certains n’ont de cesse d’invoquer, au sujet de cette relation entre employeurs et salariés, un « lien de subordination » : cela revient à nier la réalité du paysage de l’entrepreneuriat français, même si cette notion peut parfois être évoquée à juste titre. Avec nombre de nos collègues, nous avons pu constater, lors des multiples rencontres organisées par la délégation sénatoriale aux entreprises, que ce paysage se compose de profils extrêmement variés : que dire de ces employeurs qui ont d’abord été des employés, de ceux qui, dans les PME, travaillent dans les mêmes conditions que leurs employés, voire dans des conditions moins avantageuses ?
Eu égard à cette variété des situations et des profils, le législateur ne peut plus prétendre vouloir tout régler par lui-même, sauf à prévoir dans la loi autant d’exceptions qu’il existe de cas de figure. Le dialogue, responsable et direct, au plus près des réalités économiques et sociales de l’entreprise doit être favorisé.
Le présent texte prévoit que la loi fixe le cadre des accords d’entreprise. Aussi, contrairement à ce qui est avancé, le législateur restera-t-il au cœur de l’action en faveur de l’emploi, de la protection des droits de chacun et de l’égalité de tous.
À ce sujet, de quelle égalité parlent les auteurs de la présente motion, lorsqu’ils considèrent que le texte issu des travaux de notre majorité va « entraîner un accroissement des inégalités entre les salariés » ? S’agit-il de l’égalitarisme, qui ferait des travailleurs des outils interchangeables, ou de l’égalité entendue au sens constitutionnel, qui permet d’apprécier différemment des situations différentes, relativement aux conditions de travail, aux contextes géographique, économique et compétitif dans lesquels s’inscrivent nos entreprises ?
Le choix que nous avons fait, c’est celui du développement de l’emploi par la confiance, qui permettra, avec les accords d’entreprise, une meilleure adaptation de notre droit du travail aux spécificités économiques de chaque entreprise, comme en attestent, par exemple, les dispositions concernant le temps de travail.
Je citerai tout d’abord la possibilité de porter à douze heures, au lieu de dix actuellement, la dérogation à la durée maximale quotidienne de travail en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise.
Je mentionnerai également la possibilité de déroger au temps hebdomadaire légal de travail, qu’il est par ailleurs proposé de porter à 39 heures en cas de désaccord au terme des négociations relatives à un accord collectif. Les partisans d’un maintien des 35 heures auront du mal à nous convaincre. Voilà longtemps que les faits économiques nous démontrent constamment que cette mesure ne relève plus que d’une fiction et se heurte, par ailleurs, aux réalités du secteur de l’industrie, qui a été dévoré par ses concurrents étrangers, et du secteur tertiaire, qui ne s’en est jamais accommodé.
Au sujet de la sécurité juridique, je parlerai du considérant relatif au licenciement économique.
Les auteurs de la motion évoquent une extension des motifs justifiant un licenciement économique. Pour ma part, je parlerais plutôt d’une sécurisation ou, du moins, d’une précision de ces motifs.
En effet, je n’ai pas l’impression que le texte proposé par la commission, sous réserve des modifications que nous pourrions y apporter, porte atteinte au droit à indemnisation pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse.
Au contraire, je crois que l’expérience jurisprudentielle nous impose plus que jamais de préciser ces critères, afin de sécuriser les intérêts de l’entreprise et des salariés. Il s’agit de circonscrire les motifs du licenciement économique aux seules nécessités de la « mauvaise santé économique de l’entreprise », pour éviter les licenciements sans cause réelle et sérieuse.
Je crois d’ailleurs préférable pour un salarié de pouvoir compter sur un droit clair et accessible qui sécurise son maintien dans l’emploi, plutôt que sur un droit qui sécurise son indemnisation en cas de licenciement pour des raisons non valables.
Je salue une nouvelle fois, à cet instant, les initiatives de la commission et des rapporteurs, qui ouvrent à la concertation la définition de la liste des indicateurs économiques, ainsi que du niveau et de la durée de la baisse significative de ceux-ci pouvant justifier un licenciement économique. Il est en effet prévu que ces éléments seront discutés à l’occasion de l’élaboration d’un décret en Conseil d’État.
Enfin, ce droit à l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse se trouve renforcé par toutes les mesures proposées par notre majorité, qui permettront d’accélérer la procédure en contestation du caractère réel et sérieux d’un licenciement économique.
Je parlerai maintenant de la simplification, le dernier considérant de la motion tendant à opposer la question préalable me fournissant un exemple de ce que nous avons recherché dans ce domaine.
Il est dit, dans ce considérant, que les obligations des employeurs en matière de préservation de la santé et de la sécurité des salariés sont « gravement limitées » par le texte issu des travaux de la commission.
Il y a là encore, à mon sens, une erreur d’appréciation, puisque le texte de la commission recentre la médecine du travail sur sa véritable mission, évite la réalisation de visites que leur caractère répétitif pourrait rendre inutiles dans le cadre des contrats de courte durée, maintient la visite d’aptitude, qui permet au salarié d’être informé de ses droits et des risques associés à son poste de travail.
Ces mesures sont de nature à renforcer l’efficacité de la médecine du travail, sans laquelle les obligations des employeurs n’ont que peu de portée. Il en va de même du maintien de la compétence de l’inspecteur du travail en cas de contestation d’aptitude ou d’inaptitude.
En conclusion, force est d’admettre que les considérants de cette motion doivent être rejetés, ce texte nous donnant l’occasion de répondre, enfin et sans délai, aux attentes immenses suscitées par les propositions que nous avons avancées, qui méritent d’être débattues.
Que l’on soit opposé ou non à ce texte, que l’on veuille en rester là ou aller plus loin, le débat est essentiel et nécessaire pour lutter contre le climat économique et social délétère qui s’installe dans notre pays, du fait de l’incapacité du Gouvernement à relancer la croissance.
Voilà quelques semaines, un nombre important d’élus se sont opposés au recours à la procédure du 49.3, qui a limité le débat à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, il est important que la discussion ait lieu dans notre assemblée, pour ne pas ajouter encore à l’absence de débat si souvent dénoncée depuis la présentation du texte. C’est de notre responsabilité.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)
M. le président. J’informe le Sénat que je suis saisi par le groupe CRC d’une demande de scrutin public sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cette motion.
Je dois reconnaître à M. Pierre Laurent une cohérence. Nous sommes nous aussi cohérents en souhaitant que le débat se poursuive, afin que nous puissions mener un travail utile, de fond sur un texte qui s’inscrit tout à fait dans la logique de subsidiarité à laquelle nous sommes un certain nombre à souscrire. D’ailleurs, des partenaires sociaux qui accompagnent la réforme, à l’instar de la CFDT, fondent leur action sur cette même logique. Je pourrais faire référence, à cet égard, à l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII.
Sur le fond, vous évoquez un texte de régression sociale, monsieur Laurent. Pourtant, nous y avons inscrit un certain nombre de droits qui seront désormais attachés à la personne.
Vous évoquez en outre une inversion de la hiérarchie des normes. Je vois plutôt dans ce texte, pour ma part, une distribution des compétences entre les différents niveaux : l’ordre public demeure et l’on ne peut y déroger.
Tous ces éléments plaident pour que nous entrions de plain-pied dans le débat. C’est pourquoi nous invitons le Sénat à rejeter cette motion.