Mme Evelyne Yonnet. Eh oui !
M. Guillaume Arnell. À cet égard, la proposition défendue par le Sénat permettrait simplement aux conseils départementaux de faire face aux cas où le recrutement d’un médecin serait impossible, en se tournant vers un professionnel de santé, une sage-femme ou un psychologue par exemple.
Madame la ministre, rester fermé à cette demande, c’est tout simplement s’exposer au risque de laisser des départements sans référent « protection de l’enfance ».
Je pourrais poursuivre mon propos en pointant du doigt, ici et là, d’autres désaccords. Mais comme il s’agit de notre dernière chance de parvenir à un véritable consensus, il me semble indispensable de passer outre nos divergences.
C’est la raison pour laquelle mes collègues du RDSE et moi-même avons fait le choix de ne déposer aucun amendement sur ce texte en séance publique. Nous approuverons très majoritairement, à deux exceptions près, qui, je le précise, ne seront pas des votes contre, le texte issu des travaux du Sénat. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe CRC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, il est dix-neuf heures quarante-cinq. De deux choses l’une : ou bien nous suspendons la séance à vingt heures, soit après l’intervention de Mme Doineau, pour reprendre nos travaux à vingt et une heures trente ; ou bien nous achevons la discussion générale, pour reprendre la séance aux alentours de vingt-deux heures.
(Consultés par Mme la présidente, Mmes et MM. les sénateurs se prononcent pour moitié pour une suspension de séance à vingt heures, pour moitié pour la poursuite, jusqu’à son terme, de la discussion générale.)
Mme la présidente. Dans ces conditions, madame la ministre, je vous laisse le soin de trancher.
Mme Laurence Rossignol, ministre. Madame la présidente, je suggère que nous achevions la discussion générale ; cette solution me semble plus cohérente et ne prolongera pas nos débats.
Mme la présidente. Soit !
Il en est ainsi décidé.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est donc à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, le parcours parlementaire de cette proposition de loi relative à la protection de l’enfant a débuté en décembre 2014. Ce long cheminement montre combien les éléments qu’il convenait d’examiner étaient nombreux !
Ce texte a eu le mérite d’ouvrir un véritable débat, au cours duquel se sont exprimées des convictions profondes. En cet instant, je tiens à saluer l’initiative de notre ancienne collègue Muguette Dini et de notre rapporteur, Michelle Meunier.
La loi donne au conseil départemental une responsabilité essentielle dans l’organisation et le pilotage de la protection de l’enfance. La protection de l’enfance est l’une des missions sociales à laquelle je suis tout particulièrement attaché.
L’aide sociale à l’enfance représente le troisième poste de dépenses sociales des départements. Près de 300 000 jeunes sont pris en charge par les conseils départementaux, qui consacrent à cette mission près de 7 milliards d’euros par an, soit environ 20 % de leurs dépenses d’action sociale. Autant dire que le poids de cette politique est loin d’être négligeable pour les finances départementales.
Le département dont je suis l’élu, à l’instar de nombreux autres, est soumis à une contrainte budgétaire sans précédent. Nos finances subissent fortement un effet de ciseaux lié aux baisses de recettes et hausses de dépenses imposées par l’État, comme la revalorisation du RSA de 2 %, en sus des revalorisations prévues chaque année, l’accroissement de la masse salariale liée aux mesures statutaires et l’augmentation des charges sociales.
Je regrette d’avoir à évoquer cette question. Mais il faut bien reconnaître que la situation est très préoccupante, d’autant que les perspectives économiques ne nous laissent pas entrevoir une baisse des dépenses sociales en 2016.
Tout au long des débats, et ce à chaque lecture, les élus du groupe auquel j’appartiens ont fait preuve de pragmatisme. Nous avons visé deux objectifs : d’une part, placer l’intérêt de l’enfant au cœur du dispositif de protection de l’enfance ; d’autre part, limiter les contraintes qui pourraient peser sur les départements, lesquels sont les chefs de file de cette politique.
Le texte qui nous est soumis pour cette dernière lecture a été largement amendé en commission, pour, sans surprise, revenir aux principales dispositions votées par notre assemblée lors des deux premières lectures.
Permettez-moi d’en rappeler quelques-unes.
À l’article 1er, nous avons une nouvelle fois supprimé l’institution du Conseil national de la protection de l’enfance.
À nos yeux, cet organisme n’améliorera pas le fonctionnement du dispositif de protection de l’enfance, qui est entièrement décentralisé et relève de la compétence des départements depuis 1983. Il fera doublon avec l’Observatoire national de la protection de l’enfance, instauré à l’article 3 du présent texte en remplacement de l’Observatoire national de l’enfance en danger.
J’ajoute que les départements sont engagés depuis longtemps en faveur de la protection de l’enfance.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Et heureusement !
M. Philippe Mouiller. Beaucoup d’entre eux ont notamment déjà mis en place des cellules de recueil et d’évaluation des informations préoccupantes, des observatoires départementaux, des comités de pilotage, des groupes pluridisciplinaires ou multipartenariaux pour la mise en œuvre et l’évaluation des schémas départementaux de l’enfance, de la jeunesse et de la famille.
À l’heure où il est question de simplification, il nous paraît cohérent d’opter pour une structure nationale unique dotée de compétences élargies.
À l’article 7, nous avons supprimé l’obligation de créer, au sein des départements, une nouvelle commission pluridisciplinaire. Selon nous, cette structure supplémentaire ne pourrait que complexifier les situations et entraîner un surcoût pour les conseils départementaux.
Pour ce qui concerne l’article 5 ED, nous regrettons que nos arguments relatifs à l’allocation de rentrée scolaire n’aient pas été entendus par l’Assemblée nationale. En effet, nous estimons que cette allocation sert avant tout à acheter des fournitures à la rentrée, en particulier pour les familles d’accueil ou les structures chargées de l’accompagnement. Confier cette allocation à la Caisse des dépôts et consignations en vue de la création d’un pécule, c’est certes répondre à une noble préoccupation, mais c’est détourner le rôle de cette aide.
À cet égard, je rappelle que le Sénat a adopté la proposition de loi, présentée par Christophe Béchu et Catherine Deroche, relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge. Que le service assurant l’accompagnement et l’encadrement des mineurs confiés à l’aide sociale à l’enfance puisse bénéficier des prestations prévues pour aider ces derniers dans leur vie de tous les jours, comme au moment de la rentrée scolaire, nous paraît aller dans le bon sens.
Pour conclure, si nous souscrivons à l’objectif visé à travers la présente proposition de loi, si nous y reconnaissons des avancées en matière de protection de l’enfant, nous regrettons les transformations que les dispositions issues des travaux du Sénat ont subies à l’Assemblée nationale. Nous serons donc extrêmement vigilants, et nous soutiendrons ce texte, tel qu’il a été modifié par notre commission des affaires sociales. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, madame la ministre, madame la vice-présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, « Un homme n’est jamais si grand que lorsqu’il est à genoux pour aider un enfant ». Ces mots de Pythagore, je les prononce délibérément au début de mon intervention pour insister sur ce fait : la protection de l’enfance est un sujet majeur. Il l’est pour moi, tout comme il l’est pour Muguette Dini et Michelle Meunier, lesquelles sont à l’origine de cette proposition de loi, tout comme il l’est pour vous, madame la ministre, tout comme il l’est pour vous toutes et tous réunis aujourd’hui.
Une même ambition, nourrie de bonnes intentions, nous anime : lutter contre la maltraitance infligée aux enfants et aux adolescents, accompagner de mieux en mieux les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance et aider les familles dans leur mission de parentalité.
Le parcours législatif au terme duquel nous arrivons s’est révélé très long, notamment parce qu’il a été marqué par des désaccords quant aux solutions et orientations à mettre en œuvre, par des divergences d’ordre technique, philosophique parfois et – je le sens – politique.
Quel que soit le chemin choisi, le but fixé doit être atteint. Tout chemin se respecte. Je défendrai mon point de vue, fruit de l’expérience que j’ai accumulée depuis quelques années comme conseillère départementale en charge de la protection de l’enfance, même si, en définitive, j’ai personnellement le sentiment de défendre une cause perdue d’avance…
Je vais tenter de répondre à la question suivante : la loi est-elle toujours la meilleure réponse aux problèmes ?
Dans certains cas, oui, elle peut l’être. Ainsi, les acteurs sont unanimes pour reconnaître et rappeler le bien-fondé de la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance. Les enfants, les jeunes, les familles changent, leurs problématiques évoluent : la protection de l’enfance se devait de répondre à cette réalité, le cadre législatif devait s’adapter, et le résultat s’est révélé globalement positif.
Divers ajustements restaient à accomplir. À ce titre, je salue dans cette proposition de loi les nouvelles dispositions concernant notamment le renforcement du projet pour l’enfant, le recours plus marqué à un tiers digne de confiance et la réforme de la procédure de déclaration judiciaire d’abandon. (Mme la rapporteur acquiesce.)
Cela étant, la loi ne peut pas tout. Elle ne peut certainement pas assurer partout la même qualité de mobilisation.
Madame la ministre, en analysant l’état des lieux de l’application de la loi de 2007, vous observez des disparités de mise en œuvre dans les départements. C’est un fait, mais comment ces différences s’expliquent-elles ?
N’oubliez pas que, depuis 2007, les départements ont dû faire face à une augmentation de tous les publics pris en charge dans le cadre des politiques sociales.
Pour ce qui concerne spécifiquement l’aide sociale à l’enfance, ce n’est pas tant le nombre de demandes mais la complexité des situations qui a mobilisé les équipes. C’est également la prise en charge des mineurs isolés étrangers. Ce sont aussi le manque de soutien en pédopsychiatrie et le désengagement progressif de la protection judiciaire de la jeunesse. Tous ces facteurs conjugués ont sérieusement contrarié la bonne volonté des élus et des professionnels.
C’est pourquoi je m’oppose à toutes les mesures tendant à imposer des procédures supplémentaires, coûteuses et chronophages pour les départements.
Tout au long de nos débats, vous avez insisté sur l’absence de pilotage et de coordination nationale. Selon vous, la solution consiste dans la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance. Je ne conteste pas la nécessité d’un travail en réseau, d’échanges fructueux interdépartementaux. Mais pourquoi créer une nouvelle instance ?
L’ONED, qui sera rebaptisé Observatoire national de la protection de l’enfance, ou ONPE, peut tout à fait jouer ce rôle si on lui en donne les moyens. À l’instar des observatoires départementaux de la protection de l’enfance, qui, dans la plupart des cas, se sont dotés de ces deux missions, à savoir une mission d’observation et de recensement et une mission de régulation et de prospection, l’ONPE pourrait assurer cette supervision en proposant des orientations nationales, en formulant des avis et en évaluant l’offre de service.
En quelque sorte, un tel Observatoire national proposerait des moyens et des outils méthodologiques pour la connaissance, la compréhension, l’opérabilité et la régulation des dispositifs départementaux. Cette organisation aurait du sens.
Certes, l’ONED est aujourd’hui membre du GIP « enfance en danger », au même titre que le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger. Ma collègue Hermeline Malherbe me le rappelle régulièrement, et à juste titre. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas confier cette compétence de coordination et de mobilisation des politiques de protection de l’enfance au GIP « enfance en danger » ?
Même s’il succède à deux instances qui ne fonctionnaient pas, un nouvel organisme exige un temps pour se mettre en place. Or l’ONPE ou le GIP « enfance en danger » pourraient compléter rapidement leur composition pour assumer ces attributions. Quelle économie de temps et de moyens !
L’État demande quotidiennement aux collectivités territoriales des efforts de mutualisation. Je ne comprends donc pas la solution ici proposée, mise à part votre intention de reprendre le pilotage des politiques de protection de l’enfance.
À la première question – la loi est-elle toujours la meilleure réponse aux problèmes ? –, je répondrai ainsi : la loi est nécessaire pour fixer le cadre et le faire évoluer dans un environnement en perpétuelle évolution, mais elle n’a nullement vocation à écrire la méthode de mise en œuvre.
D’où ma seconde question : pourquoi le sujet de la protection de l’enfance est-il si difficile ?
Si cette question est délicate, c’est tout d’abord parce que chacun reconnaît l’omniprésence de la notion et du sentiment de responsabilité affectant toute personne touchée de près ou de loin : toute affaire de maltraitance, d’abandon ou de mise en danger marque durablement et laisse de profonds traumatismes.
C’est la raison pour laquelle je tiens, une nouvelle fois, à saluer l’ensemble des personnels institutionnels et associatifs investis dans cette mission. Leur quotidien est pavé de doutes et parfois, heureusement, de satisfactions. Il faut donc leur faciliter la tâche et non l’entraver.
Autre difficulté : nous sommes dans une société où l’administratif prend le pas sur l’opérationnel. Nous ajoutons procédures, protocoles, référentiels, chartes, schémas, plans, pactes, donnant naissance à une avalanche à laquelle nous ne parvenons plus à faire face.
Bien sûr, il est impératif de trouver les voies de l’efficacité. Je dirais même plus, concernant cette compétence en particulier, je soutiens les principes d’efficience et d’excellence.
Gardons justement du temps sur le terrain, auprès des enfants, des jeunes et de leurs familles, auprès de nos partenaires. Une trop forte protocolisation de l’intervention risque, à terme, d’affecter profondément l’autonomie professionnelle, qui sait pourtant s’adapter avec intelligence aux circonstances particulières.
Il y a ensuite ce tabou, ce gros mot qu’il ne faut surtout pas prononcer : les moyens !
Vous le savez pourtant, les uns et les autres, les conseils départementaux sont pris à la gorge par la montée en charge de leurs dépenses sociales. C’est d’autant plus compliqué qu’il serait indispensable de développer des études, notamment sur le profil des enfants pris en charge et sur l’analyse des parcours, de croiser les regards entre protection de l’enfance et handicap, de regarder l’articulation possible avec la pédopsychiatrie, de tisser des liens avec le réseau universitaire. Mais avec quels moyens ? Il faudrait travailler sur la prévention autant que sur la réparation. Mais avec quels moyens ?
Sans moyens supplémentaires, les départements risquent à terme de se décourager. Comme le rappelle Christian Descheemacker, ancien président de chambre à la Cour des comptes, il est toujours dangereux d’avoir une compétence sans disposer des moyens de l’exercer.
Pour répondre à ma deuxième question, il faut rappeler que moyens et confiance sont les gages d’une bonne application des textes, et les garants d’une exigence de réussite.
Pour conclure, cette proposition de loi est intéressante sur certains aspects, mais elle est perfectible dans son versant opérationnel. Une coconstruction avec les départements, chefs de file en matière de protection de l’enfance, aurait permis de s’accorder sur une vision commune. En définitive, ce manque criant de travail avec les principaux acteurs aboutit non pas à une convergence de choix, mais à une insatisfaction de part et d’autre. (MM. Guillaume Arnell et Philippe Mouiller applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 11 mars 2015, le Sénat a voté à l’unanimité la proposition de loi de protection de l’enfant présentée par nos collègues Muguette Dini et Michelle Meunier.
Un an plus tard, après deux lectures, nous sommes amenés à examiner un texte qui a été profondément modifié. Nous sommes passés d’un texte en faveur de la protection de l’enfant, qui parvenait à unir les différentes sensibilités politiques, à un texte moins ambitieux et plus clivant.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Nous ne pouvons reporter la faute sur nos deux collègues Muguette Dini et Michelle Meunier lesquelles, depuis le départ, cherchent à améliorer le dispositif de protection dans l’intérêt de l’enfant.
En commission et dans l’hémicycle, les intérêts partisans ont malheureusement trop souvent pris le dessus. C’est préjudiciable et somme toute un peu méprisant à l’égard de toutes celles et de tous ceux qui luttent sur le terrain, car la plupart des mesures en faveur de la protection de l’enfant ont été adoptées.
Reste que la majorité du Sénat et celle de l’Assemblée nationale n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance ni sur le versement de l’allocation de rentrée scolaire.
En ce qui concerne la gouvernance de la protection de l’enfance, notre groupe est favorable à la création de ce Conseil national. En effet, cette instance consultative permettrait d’améliorer la cohérence et la coordination des politiques de la protection de l’enfance, aujourd’hui caractérisées par une trop forte hétérogénéité entre les départements et, au sein d’un même territoire, par un cloisonnement de l’action des différents acteurs.
Cet outil de pilotage présenterait également l’avantage de garantir l’égalité en matière de prise en charge des enfants. Nous voyons dans ce Conseil national le moyen de tirer vers le haut les politiques de l’enfance. À cette fin, il va de soi que les politiques familiales doivent être accompagnées de moyens financiers et humains supplémentaires, j’y reviendrai.
La seconde pierre d’achoppement entre nos deux assemblées concerne le versement de l’allocation de rentrée scolaire, l’ARS, lorsqu’un enfant est confié à l’ASE.
La majorité sénatoriale souhaite que cette allocation soit versée directement aux services de l’ASE, tandis que l’Assemblée nationale estime que l’allocation de rentrée scolaire, qui est due à l’enfant confié à l’ASE, doit être versée à la Caisse des dépôts et consignations, de manière qu’elle en assure la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à son émancipation.
Si nous sommes sensibles à l’argumentation en faveur d’un pécule directement versé à l’enfant en vue d’une meilleure intégration dans la vie d’adulte, il n’en demeure pas moins que, dans le contexte actuel des conseils départementaux, le sous-financement par l’État renforce l’idée selon laquelle il faudrait utiliser l’argent de l’ARS pour financer le travail réalisé par les services des départements.
Le débat relatif au versement de l’allocation de rentrée scolaire cache en réalité la pénurie budgétaire des collectivités et la baisse des dotations de l’État. La solution politique nécessiterait de garantir la prise en charge financière des dépenses liées à la rentrée scolaire par les départements. Malheureusement, le Gouvernement ne semble pas vouloir donner de signe en ce sens pour désamorcer le problème.
Plus largement, le texte de cette proposition de loi, tel qu’il nous est soumis aujourd’hui, comporte trois principaux écueils pour notre groupe.
Le premier, je viens de l’évoquer, concerne les moyens humains et financiers destinés à la protection de l’enfance.
Alors que la loi de 2007 a opéré le transfert des compétences de la protection de l’enfance aux collectivités territoriales, le contexte budgétaire récent nous laisse craindre une progression des disparités territoriales.
Nous aurions aimé trouver dans ce texte la réaffirmation du rôle central de l’État, seul à même de garantir l’égalité de traitement de toutes les familles et de tous les enfants sur le territoire et d’assurer la cohérence du système.
Le désengagement financier de l’État est contradictoire avec l’extension des missions de prévention de la protection de l’enfance prévue depuis 2007 et qui n’a jamais eu lieu. Je rappelle que seuls 4 % des 5 milliards d’euros consacrés chaque année à la protection de l’enfance par les départements sont affectés à la prévention.
Le second écueil concerne la situation des mineurs étrangers isolés. Nous regrettons que cette proposition de loi ne prévoie aucune mesure spécifique envers cette population.
Alors même que les vagues migratoires de ces derniers mois sont inégalées en Europe et que les pays de l’Union européenne sont de plus en plus débordés par l’afflux de jeunes migrants, la situation des mineurs étrangers isolés est particulièrement inquiétante.
Notre groupe n’est pas le seul à interpeller le Gouvernement sur le sort de ces mineurs, puisque l’ONU, par l’intermédiaire de son Comité des droits de l’enfant, demande également à l’État d’intervenir. Ainsi, le 4 février dernier, ce comité a publié un certain nombre de recommandations à destination de la France, relatives à l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Il s’inquiète de la capacité de la France à répondre à ses obligations concernant la protection de tous les mineurs, sans distinction de nationalité, et demande à l’État français de mettre à disposition des ressources humaines, techniques et financières suffisantes, afin d’assurer notamment leur accompagnement social, leur éducation et leur formation professionnelle.
Nous déposerons donc à nouveau un amendement visant à garantir le respect de l’interdiction de placer les mineurs étrangers isolés dans les centres de rétention administrative.
Enfin, le troisième écueil de ce texte concerne les tests osseux. Je suis déjà intervenue sur ce sujet lors des précédentes discussions, mais une étude scientifique vient à nouveau de confirmer notre contestation de la fiabilité de ces tests pour déterminer l’âge des individus.
Ainsi, selon une étude scientifique menée au Royaume-Uni par Noel Cameron, professeur en anthropologie biologique, 50 % des garçons européens ont déjà des squelettes d’adultes à l’âge de seize ans et demi, tandis qu’un sur cinq n’est pas encore arrivé à la maturité sur le plan osseux à l’âge de dix-huit ans. Comment s’appuyer sur des données aussi aléatoires ?
En outre, l’encadrement des tests osseux n’est pas une avancée, car ces tests constituent, en eux-mêmes, une pratique inhumaine, injuste et coûteuse.
Alors que nous avions voté pour le texte initial, nous nous sommes abstenus sur ses versions ultérieures. Notre vote dépendra de ce qui se passera en séance concernant les retours en arrière opérés par la majorité de la commission des affaires sociales, que nous déplorons fortement, et le traitement des amendements que nous présenterons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur le banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous abordons l’ultime lecture de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, après l’échec de la commission mixte paritaire.
S’il n’est nullement question de remettre en cause les principes et l’équilibre de la loi de juillet 1989, complétée par celle du 5 mars 2007, Mme la rapporteur Michelle Meunier, après le travail mené avec Muguette Dini, nous propose de tirer les conséquences de leur application, d’en corriger les imperfections et les dysfonctionnements constatés, tout en apportant des réponses à de nouvelles problématiques.
Le texte initial a été étoffé et comporte désormais une cinquantaine d’articles. Il recèle des évolutions très attendues par les départements, les associations, les travailleurs sociaux, les juges, les médecins, les familles, sans oublier les enfants eux-mêmes. Il rencontre donc un accueil très favorable.
Pourquoi ce consensus ?
La proposition de loi relative à la protection de l’enfant répond à plusieurs grands défis, en plaçant l’enfant au cœur du dispositif, en s’attaquant aux trop grandes disparités territoriales, en améliorant le pilotage de cette politique par les conseils départementaux, pilotage qui s’appuie, conformément au souhait des départements, sur une doctrine, une philosophie et des repères.
Grâce aux débats constructifs qui se sont tenus au sein des deux assemblées du Parlement, mais aussi grâce à la très large concertation que vous avez menée à l’automne 2014, madame la ministre, réunissant l’ensemble des professionnels de la protection de l’enfance, les élus et les institutions, de nombreuses avancées sont d’ores et déjà acquises.
Parmi ces acquis nouveaux, je relève d’abord un changement d’approche. L’enfant devient l’acteur central et sera désormais associé à l’élaboration du contenu de son propre projet.
Ensuite, la place des personnes qui s’impliquent auprès de lui est reconnue. Il s’agit d’un point important qui concourra à lutter contre les placements abusifs via la mobilisation des ressources de l’environnement proche de l’enfant, lorsque c’est dans son intérêt. Cette approche sera de nature à éviter les ruptures et favorisera la stabilité du parcours.
Un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social du parent et de l’enfant sera mis en place, dans les cas d’enfants nés sous le secret ou d’enfants pupilles de l’État restitués à l’un des parents.
La révocation de l’adoption simple lorsque l’adopté est mineur ne pourra être demandée que par le ministère public, pour motifs graves. Cette modification, nous l’espérons, lèvera les réticences des acteurs à l’égard de cette procédure et devrait favoriser le recours à cet outil de protection de l’enfant.
Enfin, la notion d’inceste a été introduite dans le code pénal. Il s’agit d’une avancée très attendue, en premier lieu par les victimes.
Vingt et un articles restent en discussion et deux mesures continuent de faire l’objet de désaccords chroniques : la création du Conseil national de protection de l’enfance, qui permettra d’assurer la cohérence et la coordination des politiques de protection de l’enfance et le versement de l’allocation de rentrée scolaire, lorsque l’enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, sur un compte bloqué à la Caisse des dépôts et consignations.
La création du Conseil national de protection de l’enfance comporte, aux yeux de certains de nos collègues, deux inconvénients : il s’ajouterait inutilement à des institutions qui remplissent déjà le rôle qui lui est confié et il porterait atteinte à la libre administration des départements.
Pourtant, son objectif est bien de garantir, à l’avenir, une égalité de traitement entre tous les enfants sur l’ensemble du territoire. Or, à ce jour, il faut le reconnaître, le trop grand nombre d’instances qui ont compétence sur ce sujet, nuit à la bonne coordination des politiques.
Le Conseil national pour la protection de l’enfant doit donc se substituer à plusieurs structures : le comité technique de prévention spécialisée et le comité interministériel de l’enfance maltraitée. Il sera chargé d’animer, de coordonner et d’évaluer la mise en œuvre de la politique de la protection de l’enfance.
Il s’agit donc d’une avancée essentielle qui répond à la demande des professionnels de disposer d’une instance pluridisciplinaire où les services de la justice, des départements, de la pédopsychiatrie, des maisons des adolescents, etc. pourront s’asseoir autour d’une table et discuter de leurs pratiques afin de se coordonner et d’accorder leurs méthodes de travail.
Mutualiser les bonnes pratiques et homogénéiser les actions des services départementaux ne sont pas des objectifs dont la nature porte atteinte au principe de libre administration des départements ! Cette interprétation, à la fois présumée et erronée, ne correspond en rien au but recherché. L’ensemble de nos collègues de l’Assemblée nationale, je dis bien l’ensemble, au-delà des clivages partisans, ne s’y est pas mépris.
J’émets le vœu que nous puissions ici les imiter. C’est la raison pour laquelle je défendrai, au nom de mon groupe, un amendement pour rétablir la création de cette institution, véritable pilier de la présente proposition de loi.
La seconde pierre d’achoppement, objet de profonds désaccords, concerne le versement de l’allocation de rentrée scolaire lorsqu’un enfant est confié à l’aide sociale à l’enfance.
Il s’agit d’une mesure innovante dont l’objectif est d’accompagner les jeunes majeurs vers l’autonomie. Son but est de constituer un petit pécule à l’enfant, qui est mis à sa disposition à sa majorité, de façon à l’aider à se lancer dans la vie dans des conditions plus sereines. Je regrette, là encore, que notre commission ait une nouvelle fois supprimé ce dispositif. Le choix a été fait de restituer l’allocation aux départements, alors que ce pécule serait pourtant beaucoup plus utile à des jeunes déjà fragilisés par la vie. Nous pourrions également leur adresser ainsi un signal fort. C’est pourquoi je proposerai également de réintroduire cette mesure par voie d’amendement.
Mes chers collègues, le texte que nous allons examiner intègre des avancées majeures qui concourent à donner un cadre et des repères à la politique de protection de l’enfant. Grâce aux solutions très pragmatiques proposées dans ce texte, l’enfant aura un parcours mieux sécurisé et des conditions d’existence améliorées. La loi du 4 mars 2007 s’en trouvera ainsi confortée.
Je tiens de nouveau à saluer le travail de notre collègue rapporteur Michelle Meunier, qui n’a pas ménagé ses efforts et nous donne l’occasion de voter un texte de loi au service de la cause de l’enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)