M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Et ancien président du conseil général de la Manche ! (M. Daniel Grémillet rit.)
Mme Nicole Duranton. … et Francisque de Corcelle, député. Elle n’est malheureusement pas née de l’intérêt profond de la mission que de Corcelle a acceptée en 1849. Le cas du premier parlementaire en mission relevait donc, déjà, d’une dérive…
Aujourd’hui, le nombre de parlementaires en mission s’accroît, dans une discrétion absolue, tenant à leur mode de nomination par le Gouvernement. Certains parlementaires exercent une mission sans être nommés officiellement.
La mission a une durée limitée à six mois, reconductible. Elle ne donne lieu au versement d’aucune indemnité, fort heureusement, et peut permettre de préparer une proposition de loi, d’assurer le suivi de l’application d’une loi en vigueur, ou encore de préparer une transposition de directive. Parfois, il n’existe pas de lettre de mission, bien qu’un décret eût été pris et publié au Journal officiel.
En outre, les conditions de nomination et d’exercice de la mission restent floues ; ces pratiques sont contraires, effectivement, à l’esprit de la Constitution, pour une raison assez simple : les ministres, avec bien entendu l’aval de Matignon, peuvent confier à certains parlementaires la rédaction d’un rapport sur une question bien précise, pouvant être considéré comme administratif et issu du pouvoir exécutif, qui en est le commanditaire. Dans le même esprit, un parlementaire peut demander à un membre du Gouvernement à « plancher » sur un sujet défini. En réalité, il s’agit d’une sorte de passerelle informelle entre les pouvoirs exécutif et législatif.
Évidemment, le parlementaire y voit un avantage : il peut travailler librement sur un sujet, en ayant à sa disposition quelques moyens, notamment l’appui d’un haut fonctionnaire. Le Gouvernement, de son côté, y voit une bonne occasion de récompenser un parlementaire et, parfois, le moyen de « déminer » un sujet, sans être pour sa part impliqué directement.
L’esprit du Parlement est légèrement mis à mal : sachant que les députés ou sénateurs en mission sont les seuls ou presque à pouvoir déléguer leur vote, le groupe majoritaire peut recourir à eux pour remporter un scrutin public dont le résultat s’annonce serré.
L’esprit de la démocratie est lui aussi mis à mal lorsque les missions sont prolongées au-delà de six mois. Cela peut en effet permettre d’« exfiltrer » un parlementaire et de le remplacer par son suppléant, en évitant une élection partielle, qui est toujours un moment inconfortable pour une majorité impopulaire.
Mes chers collègues, le Parlement n’est pas au service du Gouvernement, comme le donnent à penser ces missions.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
Mme Nicole Duranton. Il est évidemment indispensable que le Parlement anticipe les projets de loi, mais il peut le faire lui-même.
D’ailleurs, je me permets d’insister sur ce point : il serait même nécessaire que, au-delà de ses missions constitutionnelles de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, le Parlement prépare mieux les réformes législatives à venir, qu’il doit parfois étudier dans des délais très brefs.
Mieux préparer les réformes législatives à venir, c’est par exemple confier de telles missions aux futurs rapporteurs avant même le dépôt des projets de loi.
Nous pourrions aussi imaginer que les groupes politiques puissent nommer des parlementaires en mission sur tel ou tel sujet. Ils disposeraient ainsi de l’appui indispensable des administrateurs.
Cette pratique existe déjà, mais nous pourrions aller plus loin et la conforter, voire la rendre obligatoire. En outre, j’estime que lorsque le Parlement veut travailler sur les réformes à venir, il n’a pas besoin d’autorisation gouvernementale. Il dispose de suffisamment de moyens humains et de pouvoirs d’enquête pour être à même de produire des rapports.
Je suis favorable à cette proposition de loi organique, car les missions temporaires confiées à des parlementaires par le Gouvernement ne se justifient ni au regard de l’esprit de notre Constitution, qui sépare le pouvoir législatif du pouvoir exécutif, ni au regard des moyens déjà accordés aux parlementaires dans le cadre de leur mandat. Je voterai donc en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe CRC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le gouvernement aux parlementaires
Article 1er
I. – Le code électoral est ainsi modifié :
1° L’article L.O. 144 est abrogé ;
2° Au premier alinéa des articles LO 176 et LO 319, les mots : « , d’acceptation des fonctions de membre du Conseil constitutionnel ou de Défenseur des droits ou de prolongation au-delà du délai de six mois d’une mission temporaire confiée par le Gouvernement » sont remplacés par les mots : « ou d’acceptation des fonctions de membre du Conseil constitutionnel ou de Défenseur des droits ».
II. – Le II de l’article 2 de la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est abrogé.
III (nouveau). – Le 2° de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote est abrogé.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Masson, n'est pas soutenu.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 2, présenté par Mmes Gourault et M. Mercier, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2, 4 et 5
Supprimer ces alinéas.
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Aux seconds alinéas des I et III de l’article 8 de la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, après la référence : « L.O. 141-1 », sont insérés les mots : « , la prolongation au-delà du délai de six mois d’une mission temporaire confiée par le Gouvernement ».
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Gourault et M. Mercier, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2 et 4
Supprimer ces alinéas.
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Aux seconds alinéas des I et III de l’article 8 de la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, après la référence : « L.O. 141-1 », sont insérés les mots : « , la prolongation au-delà du délai de six mois d’une mission temporaire confiée par le Gouvernement ».
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Cet amendement est également défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission, qui souhaite la suppression pure et simple du dispositif, émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 139 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 45 |
Contre | 294 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 3.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 140 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 35 |
Contre | 302 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Supprimé)
Intitulé de la proposition de loi organique
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Gourault et M. Mercier, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi organique encadrant le recours et le remplacement aux missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. Cet amendement devrait être retiré, par cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Mercier, l'amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. Michel Mercier. Je le maintiens bien évidemment, monsieur le président !
M. le président. Je le mets aux voix.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE. (Exclamations.)
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 141 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 35 |
Contre | 303 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Mes chers collègues, je voudrais vous exposer de façon synthétique l’enjeu de ce vote.
Le problème qui se pose, nous le voyons bien à travers les résultats électoraux de ces derniers mois, voire de ces dernières années, c’est un blocage de nos institutions. Nos concitoyens ont l’impression que, quoi qu’ils fassent, il ne se passera rien, et cela pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles tient au fait que la quasi-totalité du pouvoir appartient à l’exécutif et, pour vous dire les choses très simplement, à l’Élysée.
Quand j’affirme, et je ne suis pas le seul à le dire, que nous sommes en régime consulaire, je ne suis pas loin de la vérité. Nous ne sommes même pas en régime présidentiel !
Le Parlement joue largement les figurants, d’abord pour des raisons constitutionnelles, ce que l’on appelle le parlementarisme rationalisé. À cette heure tardive, je ne vous en ferai pas un exposé détaillé, mais, vous le savez comme moi, le Parlement est bridé. Ensuite, et c’est ce qui m’a le plus étonné quand je suis arrivé ici, le Parlement s’autocensure. Nous avons tellement bien intégré notre position subalterne que nous en remettons trois couches !
Enfin, il existe aussi un ensemble de liens très subtils avec lesquels les gouvernements qui se succèdent jouent très habilement. Le parlementaire en mission, quelles que soient ses vertus, quels que soient les miracles qu’il ait pu accomplir, comme on vous l’a rappelé tout à l’heure, quels que soient les services qu’il ait pu rendre aux intéressés ou à la Nation, fait partie de ces outils.
Je sais bien qu’en supprimant cette possibilité, on ne réglerait pas le problème institutionnel, qui est beaucoup plus profond. Cela représenterait néanmoins une étape, un petit maillon de la réforme. Ce serait aussi une façon de marquer une volonté de ne plus subir, de dire : « Non, il faut que ça cesse ! » Les institutions ne pourront pas continuer de la sorte très longtemps : soit elles parviendront à se réformer elles-mêmes ; soit elles aboutiront à un blocage complet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous voilà réunis pour statuer sur les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires. Je vois bien l’intérêt qui peut s’attacher à essayer de traquer le dévoiement ayant conduit à l’utilisation régulière par les pouvoirs, quelle que soit leur couleur politique, de ce type de dispositions existantes pour éviter telle ou telle élection partielle.
Pour autant, supprimer purement et simplement le dispositif est, à mon sens, quelque peu excessif. Pour avoir, plusieurs années durant, collaboré avec des ministres, je peux témoigner, à l’aune de cette expérience, que cet outil est véritablement pertinent, souvent utile pour éclairer le ministre dans une prise de décision. J’ai notamment en tête la préparation des contrats d’avenir des buralistes. En 2006, des parlementaires éminents, tels Richard Mallié et Yves Bur, avaient été missionnés. Grâce à leurs travaux, ils ont véritablement su éclairer le Gouvernement dans ses décisions et dans les mesures qu’il a mises en œuvre.
À titre personnel, j’aurai du mal à me rallier à l’ensemble de la proposition de loi organique. Je comprends bien, en revanche, l’intention de ses auteurs, lorsqu’ils évoquent la lutte contre certains dévoiements. Toutefois, si le Parlement souhaite prendre des initiatives par lui-même, il peut le faire. La coproduction législative, nous l’avons aussi connue.
Il n’est qu’à se rappeler la loi très fortement symbolique sur l’interdiction du port du voile intégral. Il s’agit bien à l’origine d’un texte d’initiative parlementaire. Il est d’ailleurs assez cocasse de voir un ancien Président de la République s’arroger la paternité de cette mesure, alors qu’il l’avait à l’époque accueillie très fraîchement et que ce sont les parlementaires de sa majorité qui la lui avaient imposée.
Si le Parlement veut exercer son pouvoir, il peut le faire, mais il ne faut pas pour autant empêcher le Gouvernement d’avoir recours aux compétences de la représentation nationale s’il le souhaite.
Pour ma part, je ne voterai donc pas en faveur de cette proposition de loi organique.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique, dans le texte de la commission.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 142 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 186 |
Contre | 150 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
14
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 4 février 2016 :
À dix heures trente :
Proposition de résolution européenne sur les conséquences du traité transatlantique pour l’agriculture et l’aménagement du territoire, présentée en application de l’article 73 quinquies du règlement (n° 115, 2015-2016) ;
Rapport de MM. Philippe Bonnecarrère et Daniel Raoul, fait au nom de la commission des affaires européennes et texte de la commission (n° 201, 2015-2016) ;
Rapport de Mme Sophie Primas, fait au nom de la commission des affaires économiques et texte de la commission (n° 270, 2015-2016) ;
À quatorze heures trente, le soir et, éventuellement, la nuit :
Proposition de loi favorisant l’accès au logement social pour le plus grand nombre (n° 256, 2015-2016) ;
Rapport de M. Philippe Dallier, fait au nom de la commission des finances (n° 326, 2015-2016) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 327, 2015-2016) ;
Avis de Mme Sophie Primas, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 328, 2015-2016).
Suite éventuelle de l’ordre du jour du matin.
Proposition de loi portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes (n° 225, 2015-2016) et proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes (n° 226, 2015-2016) ;
Rapport de M. Jacques Mézard, fait au nom de la commission des lois (n° 332, 2015-2016) ;
Textes de la commission (nos 333 et 334, 2015-2016) ;
Avis de M. Philippe Bonnecarrère, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 313, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD