PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1er de la Constitution
 

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Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat.

La liste des candidats établie par la commission des affaires économiques a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Jean Claude Lenoir, Michel Houel, Mmes Sophie Primas, Anne-Catherine Loisier, MM. Yannick Vaugrenard, Martial Bourquin et Jean Pierre Bosino ;

Suppléants : MM. Gérard Bailly, Alain Bertrand, Roland Courteau, Serge Dassault, Joël Labbé, Mme Élisabeth Lamure et M. Jean Jacques Lasserre.

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Dossier législatif : proposition de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires
Discussion générale (suite)

Suppression des missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires

Adoption d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du RDSE, de la proposition de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 3, texte de la commission n° 331, rapport n° 330).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi organique.

M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi organique. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi organique du RDSE, revisitée par notre rapporteur et la commission des lois, est de supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires. Il s’agit, en français standard, de supprimer les « parlementaires en mission ».

Pourquoi cette idée saugrenue, penserez-vous ? Pourquoi priver le Parlement de ce moyen de faire connaître à l’exécutif, qui ne l’entend guère, son sentiment sur des sujets importants ? Telles sont les questions que se posent un certain nombre de nos collègues. Y répondre exige un détour et quelques explications complémentaires.

D’abord, qu’est-ce qu’un « parlementaire en mission » aux termes de la législation actuelle ? C’est tout simplement un député ou un sénateur chargé discrétionnairement par le Gouvernement d’une mission de six mois. Celle-ci se limite généralement à la rédaction d’un rapport, mais elle peut parfois consister en l’exercice de véritables fonctions administratives, telles que celles de préfet, de président de comité, de ministre plénipotentiaire, etc. À l’inverse, on ne retrouve parfois trace d’aucune activité du chargé de mission.

Durant ces six mois, le parlementaire, qui conserve son statut et peut même déléguer son droit de vote, continue d’exercer normalement son mandat parallèlement à la mission qui lui a été confiée. Quand, à la demande du Gouvernement, la mission se prolonge, son mandat cesse et il est alors remplacé par son suppléant ou par son suivant de liste, pour les sénateurs élus à la proportionnelle, sans qu’il soit besoin d’organiser une élection partielle.

Si la nomination d’un parlementaire en mission prend la forme d’un décret, celui-ci n’est pas toujours publié et peut rester muet sur l’objet de la mission.

Les bénéficiaires sont le plus souvent des parlementaires appartenant à la majorité présidentielle ou à ses franges, mais ils peuvent aussi être issus de l’opposition, dès lors qu’ils partagent les opinions de la majorité sur le sujet en cause. Le fin du fin consiste à nommer des binômes associant un parlementaire de la majorité et un de l’opposition, ne divergeant que sur les détails.

Enfin, pour un même parlementaire, ces missions, séparées de brèves interruptions, peuvent se succéder dans le temps.

On aura remarqué que cette pratique est tout d’abord une violation assumée du principe de la séparation des pouvoirs et des fonctions, à la différence des missions consultatives plus ou moins informelles confiées par un ministre au titre de la préparation d’un projet de loi ou de son suivi ; qu’elle constitue ensuite une « entourloupe » au regard du suffrage universel : les électeurs n’ayant pas voté pour un binôme exerçant alternativement un mandat parlementaire et des fonctions gouvernementales, la moindre des choses serait que le siège abandonné soit pourvu par le biais d’une élection partielle ; que la nomination ainsi que la décision de prolongation, enfin, sont le fait du Gouvernement, le Parlement ne pouvant s’y opposer.

Ce sont là autant de raisons qui, justifiant la suppression des parlementaires en mission, ont conduit la commission des lois à soutenir la proposition de loi organique du RDSE. Elle l’a fait d’autant plus volontiers que cette pratique, d’occasionnelle et parfois justifiée par les aptitudes de la personne nommée à l’exercice de la mission à elle confiée – ce fut le cas pour la nomination du premier parlementaire en mission, en 1849, en pleine affaire de Rome –, est devenue habituelle. Ainsi, il y a eu 76 parlementaires en mission durant la législature 1997-2002, 108 durant la législature 2002-2007, 113 durant la législature 2007-2012 et déjà 100 depuis 2012, en seulement trois ans ! On a même l’impression d’une amplification du phénomène en cette fin de mandat présidentiel.

Cette inflation montre, à elle seule, que la désignation de parlementaires en mission, à la discrétion du Gouvernement, représente plus souvent une décoration – méritée, je n’en disconviens pas – qu’un moyen d’améliorer la pratique gouvernementale ou d’enrichir la vie parlementaire. Personnellement, j’y vois un moyen de contrôle soft du Parlement.

C’est un moyen habile qui s’ajoute à l’encadrement constitutionnel connu sous le nom de parlementarisme rationalisé, à l’autocensure du Parlement, désormais converti à l’usage extensif des articles 40 et 41 de la Constitution, parfois de l’article 34, de la règle de l’« entonnoir » inventée par le Conseil constitutionnel, infatigable gardien des prérogatives que s’attribue le Gouvernement. Le Parlement se trouve ainsi bridé par les règles qu’il s’impose à lui-même ou qu’il accepte de se voir imposer par sa propre administration – je le dis en connaissance de cause –, sans parler des conseils discrets et amicaux distillés par les cabinets ministériels aux rapporteurs pour le bien du Parlement, dont la cote de popularité se mesure désormais à l’aune de la rapidité avec laquelle il vote les projets de loi. (M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement s’entretient avec un sénateur au banc du Gouvernement.)

Je vois que mes propos n’intéressent pas grand monde… Monsieur le secrétaire d’État, si je suis de trop, je peux quitter la tribune !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Oh non, monsieur le sénateur, je vous en prie, continuez !

M. Pierre-Yves Collombat. J’espère que je ne dérange pas trop vos apartés ? Je sais bien qu’il s’agit d’un exercice formel, mais tout de même…

Mme Éliane Assassi. C’est parce qu’il s’agit d’une initiative parlementaire !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Le Parlement est bridé par le parlementarisme rationalisé, disais-je, mais il s’impose aussi volontiers aussi un certain nombre de règles, et je ne dis rien des conseils amicaux des cabinets ministériels…

À cela s’ajoute une autre dérive : le prolongement des missions au-delà de six mois pour organiser l’« exfiltration » de l’intéressé vers des fonctions plus prestigieuses ou plus lucratives que celles précédemment exercées, sans prendre le risque d’organiser une élection partielle pour le remplacer au Parlement.

Pour nous en tenir à la chronique récente, la dernière affaire de la « présidence normale » fut, on le sait – après la tentative d’exfiltration de Pierre Moscovici vers la Commission européenne sans organiser une élection législative partielle, rendue impossible par le calendrier imposé par Bruxelles –,…

M. Pierre-Yves Collombat. … la migration de François Brottes de la présidence de la commission des affaires économique de l’Assemblée nationale – chargée, soit dit en passant, du contrôle de Réseau de transport d’électricité, RTE – à la présidence du directoire de cette entreprise, via une mission parlementaire formatrice sur « la sécurité de l’approvisionnement électrique ». (Rires sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. C’est important !

M. Pierre-Yves Collombat. Ça ne s’invente pas ! (M. Yves Détraigne rit.)

Cette mission ayant été opportunément prolongée, son suppléant a pu le remplacer à l’Assemblée nationale sans qu’il soit besoin de demander l’avis des électeurs… On a ainsi gagné du temps !

À nos collègues tentés de conserver le système actuel tout en rendant impossible sa déviation la plus voyante, que je viens de mettre en lumière, je ferai observer que, pour non recommandables qu’elles soient, ces pratiques ne sont que l’arbre qui cache la forêt : la réduction comme peau de chagrin des pouvoirs d’un Parlement que le pouvoir exécutif contrôle non seulement par des voies constitutionnelles connues d’aucun régime démocratique, mais encore par un ensemble de pratiques dont les finalités et les résultats sont exactement les mêmes, bien qu’elles soient en apparence plus anodines.

Les dispositions constitutionnelles ou législatives ne valent pas en elles-mêmes, mais en fonction des pratiques de l’époque. Conçue comme un remède à l’instabilité parlementaire d’une époque, ce qui explique l’attribution de pouvoirs exorbitants à l’exécutif, la Constitution de la Ve République finissante fonctionne avec des majorités en béton. Tout le pouvoir, ou presque, est à l’Élysée, et l’on cherche en vain les contre-pouvoirs institutionnels capables de le tempérer, d’où l’impression d’un blocage institutionnel, que ressentent même les citoyens les moins attentifs à la vie politique, et le tour d’« émeutes électorales » que prennent de plus en plus les élections.

Sans prétendre apporter une réponse à cette redoutable question, les auteurs de la proposition de loi organique suggèrent très modestement de desserrer, sur un point précis, l’un des liens qui, subtilement, permettent à l’exécutif de neutraliser le peu de pouvoirs qui reste au Parlement ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe CRC. –MM. Michel Mercier et Hugues Portelli, rapporteur, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi organique présentée par le groupe du RDSE porte sur un sujet qui n’est pas très souvent traité, y compris dans les facultés de droit : les parlementaires en mission, catégorie pourtant très intéressante.

Ayant commencé mes travaux par quelques recherches dans les archives, j’ai découvert que le premier utilisateur de cette procédure ne fut autre qu’Alexis de Tocqueville : il en fut non pas le bénéficiaire, mais l’instigateur, au tout début de la IIe République, régime de séparation des pouvoirs s’il en fut – si stricte était leur séparation que tout se termina par un coup d’État ! Or, malgré cette séparation absolue des pouvoirs, Alexis de Tocqueville, ministre des affaires étrangères, put, grâce à une loi votée fort opportunément en mars 1849, attribuer à l’un de ses amis, M. de Corcelle, député, le titre de « parlementaire en mission », moyennant quoi celui-ci put partir à Rome pour six mois en qualité de ministre plénipotentiaire.

Ainsi apparu dans notre histoire constitutionnelle, ce dispositif connut une éclipse, avant de reparaître sous la Ve République.

Il faut mesurer combien les premiers mois de celle-ci furent une époque bénie pour l’exécutif. Songez que le gouvernement Debré put, sur le fondement de l’article 92 de la Constitution, supprimé depuis, prendre une ordonnance lui permettant d’élaborer toutes les lois, notamment organiques, qu’il souhaitait. Ces lois ont pu être adoptées sans guère de contrôle de constitutionnalité et alors que le Parlement n’était pas encore en fonction : le Sénat, en particulier, ne fut élu qu’en avril 1959.

Dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, on introduisit le dispositif du parlementaire en mission, qui, dans un premier temps, ne prospéra guère. Il fallut attendre les années soixante-dix pour que se développe son utilisation, de manière bientôt exponentielle. Sous la présidence de Georges Pompidou, le gouvernement Messmer, en particulier, y recourut assez abondamment.

Le phénomène a pris, ces vingt dernières années, une ampleur extrême. Imaginez que onze parlementaires en mission ont été nommés au cours du seul mois de janvier dernier : ce chiffre est tout de même impressionnant !

Qu’est-ce donc qu’un parlementaire en mission ? Il s’agit d’un parlementaire de plein exercice, jouissant de la plénitude de ses droits de sénateur ou de député, notamment en matière d’indemnité, d’immunité, de droit de vote, et qui, dans le même temps, sur nomination du Gouvernement, exerce une mission publique non élective, dont la durée ne peut pas dépasser six mois. D’un point de vue constitutionnel, cette mission constitue une exception au principe d’incompatibilité entre le mandat parlementaire et toute fonction publique, élective ou non élective, principe en vertu duquel un sénateur ou un député qui entre au Gouvernement cesse d’être parlementaire, du moins provisoirement.

Dès l’origine, on a considéré que tout type de fonction publique non élective pouvait être confié à un parlementaire en mission. C’est ainsi que certains parlementaires en mission ont été amenés à exercer des fonctions importantes : M. Christian Nucci, ancien parlementaire bien connu, notamment des services de police et de la magistrature, fut haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, avec rang préfectoral.

Cette possibilité pour un parlementaire de cumuler son mandat avec une fonction publique non élective place celui qui en bénéficie du côté de l’exécutif pendant une durée de six mois, au terme de laquelle, normalement, sa mission s’achève. Il redevient alors simple parlementaire. En revanche, si la mission se voit prolongée, la loi dispose que le mandat parlementaire cesse. On ne connaît que quelques exceptions à cette règle : l’exemple le plus connu est celui d’Edgar Faure, qui, chargé de préparer les cérémonies du bicentenaire de 1789, poursuivit sa mission au-delà des six mois prévus tout en demeurant député du Doubs. Il se trouva bien un électeur de sa circonscription pour saisir le Conseil constitutionnel, mais celui-ci ne donna pas suite, estimant qu’il ne pouvait être saisi, dans un tel cas, que par les instances de l’assemblée à laquelle appartient le parlementaire en mission.

Dans d’autres cas, les assemblées parlementaires font preuve de davantage de rigueur ; c’est ainsi que M. Nucci, encore lui, ayant vu sa mission renouvelée six jours trop tard, a perdu son mandat parlementaire.

J’en viens au contrôle exercé dans ce domaine.

Le Conseil constitutionnel, ainsi que je l’ai expliqué, ne peut être saisi, « en cas de doute », que par le bureau d’une assemblée ; en l’absence d’une telle saisine, il s’estime incompétent.

Quant au Conseil d’État, qui lui aussi a été saisi dans certains cas, il ne s’est prononcé ni sur la nature juridique de la mission ni sur son bien-fondé, même s’il a refusé de classer la nomination d’un parlementaire en mission parmi les actes de gouvernement. En revanche, il s’est hasardé à définir ce que pouvait être une véritable mission, car, après tout, le Premier ministre ou un ministre peut, de manière informelle, charger un parlementaire de suivre tel ou tel dossier, par exemple, sans prise d’un décret de nomination. Selon le Conseil d’État, l’exercice d’une mission suppose, a minima, la remise d’un rapport. Dans la vraie vie, il arrive que le rapport, voire le décret de nomination, se perde… (Sourires.)

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il faut reconnaître que cette pratique, parfois un brin erratique, fait un peu litière, sinon de l’esprit de la Constitution – j’ignore si la Constitution a un esprit (Nouveaux sourires.) ! –, du moins des traditions de la Ve République, notamment en matière d’incompatibilités : même si, à cet égard, les règles ont été assouplies en 2008 pour permettre aux membres du Gouvernement quittant leurs fonctions de retrouver leur siège de parlementaire sans qu’il faille recourir à de fâcheuses élections partielles, la tradition demeure de la séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

En commission des lois, l’exemple du Royaume-Uni a été convoqué. C’est un mauvais exemple, car, dans ce pays, seuls les parlementaires en exercice peuvent entrer au Gouvernement et ils continuent alors de siéger au Parlement, le Premier ministre tirant d’ailleurs son autorité de sa qualité de chef de la majorité parlementaire.

Le système français, fondé sur les incompatibilités et la séparation des pouvoirs, est donc tout différent du britannique. Le parlementaire en mission est une bizarrerie qui jure tant avec le texte de la Constitution qu’avec la pratique parlementaire.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Hugues Portelli, rapporteur. On objectera que ce système est utile, qu’il permet de faciliter les relations entre le Gouvernement et le Parlement. Certainement, mais pourquoi ne pas poser le problème à l’envers ? Pourquoi ne pas permettre au Parlement de faire davantage appel aux services du Gouvernement ? La révision constitutionnelle de 2008 a ouvert cette voie en autorisant les assemblées à saisir la Cour des comptes : pourquoi ne pas étendre et systématiser ce principe ?

C’est dans cette perspective que la commission des lois a adopté cette proposition de loi organique. (Applaudissements les travées du RDSE et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Patrick Abate. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le groupe du RDSE soumet à l’examen du Sénat une proposition de loi organique visant à supprimer la possibilité, pour le Gouvernement, de confier une mission temporaire à un parlementaire.

Avec un profond souci de l’histoire du droit et de nos institutions, ainsi qu’un goût prononcé pour les anecdotes qui donnent à réfléchir, M. le rapporteur a exposé de manière fort intéressante une question qui mérite toute notre attention.

Le rappel de l’origine de cette pratique permet de mieux en saisir l’esprit. Elle est apparue sous la IIe République, dont les institutions étaient pourtant marquées par une séparation absolue des pouvoirs. Sous les IIIe et IVe Républiques, régimes parlementaires, la logique changea, puisque les membres du Conseil des ministres conservaient leur mandat parlementaire, comme c’est encore le cas de nos jours dans la très grande majorité des régimes parlementaires européens. En revanche, les parlementaires pouvaient se voir confier par le pouvoir exécutif des missions rémunérées, ainsi que des responsabilités administratives très élevées, notamment en ambassade ou dans une préfecture.

Afin d’instaurer une plus grande séparation des pouvoirs et de prévenir les dérives, les institutions de la Ve République ont, d’une part, interdit le cumul d’un mandat parlementaire et d’une fonction ministérielle, et, d’autre part, posé le principe du non-cumul du mandat parlementaire avec une fonction publique non élective.

Toutefois, nos institutions conservant également certains des traits essentiels d’un régime parlementaire, les relations constructives entre les pouvoirs législatif et exécutif sont non seulement permises, mais souhaitables, notamment dans le cadre des missions temporaires confiées par le Gouvernement à des parlementaires.

Rappelons d’abord que le parlementaire qui accepte une mission proposée par le Gouvernement est entièrement libre de l’organisation de son travail et de ses conclusions.

Ensuite, il convient de redire ici que l’exercice d’une mission temporaire par un parlementaire ne peut donner lieu au versement d’aucune rémunération, gratification ou indemnité.

Enfin et surtout, un véritable intérêt commun motive l’association des parlementaires aux travaux techniques réalisés à la demande du Gouvernement, en amont du processus législatif, par l’administration centrale, les inspections générales, le Conseil d’État, ainsi que par des institutions indépendantes du pouvoir exécutif, comme la Cour des comptes. L’apport d’un regard souvent plus proche du terrain, la recherche du consensus par l’association, sur certains sujets, de parlementaires de l’opposition sont autant de facteurs qui viennent éclairer la décision, faciliter l’adoption et surtout la mise en œuvre des réformes.

C’est pourquoi de nombreuses réformes d’ampleur pour la société française ont été préparées et rendues possibles par le travail approfondi de parlementaires en mission. On peut citer, par exemple, la création de la couverture maladie universelle en 1999, à la suite de la publication d’un rapport du député Jean-Claude Boulard, en 1998.

Depuis 2012, le Gouvernement a également eu l’occasion de solliciter l’expertise de nombreux sénateurs et députés. Ainsi, les travaux du député Richard Ferrand sur les professions réglementées ont été directement utilisés pour l’élaboration de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

De la même manière, le rapport du député Pascal Terrasse sur l’économie collaborative contribuera sans aucun doute à l’élaboration d’une réflexion sur l’adaptation du droit et de la fiscalité aux nouvelles formes d’initiatives économiques.

De tels enjeux nécessitent un travail approfondi, en particulier lorsqu’il s’agit de dessiner des perspectives sur le long terme : le rapport de la députée Martine Pinville sur l’anticipation, la prévention et l’adaptation de la société face au vieillissement a ainsi guidé le Gouvernement vers une solution législative ambitieuse. La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, promulguée le 28 décembre dernier, en est l’aboutissement.

Les missions temporaires préparent parfois la conclusion d’accords entre les deux assemblées et entre les différentes sensibilités politiques qui y sont représentées. Encore tout récemment, l’adoption définitive de la loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a montré l’importance de conduire de telles missions avant de légiférer sur des questions d’éthique qui touchent chacun dans ses convictions les plus intimes. Les travaux des députés Jean Leonetti et Alain Clayes ont donc participé à la recherche d’un compromis entre les différentes sensibilités politiques, ainsi qu’entre députés et sénateurs, pour aboutir à un texte commun.

Je veux souligner ici le rôle joué par un certain nombre de sénateurs. M. Alain Bertrand, membre du groupe du RDSE, a ainsi mené un travail remarquable, que je tiens à saluer, sur les territoires hyper-ruraux, auprès de Mme la ministre du logement et de l’égalité des territoires.

M. Jacques Mézard. Oui, mais sans aucun effet !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Il a formulé, dans son rapport, des propositions visant à restaurer l’égalité républicaine en adaptant nos politiques et en créant des dispositifs dédiés à ces territoires pour accroître leur développement. Ce rapport a constitué une base de travail primordiale pour les Assises de la ruralité.

Il y a deux semaines, les sénateurs Rudy Salles et Jérôme Durain se sont vu confier une mission auprès de Mme la secrétaire d’État chargée du numérique, afin de proposer un cadre législatif et réglementaire favorisant le développement en France des compétitions de jeux vidéo.

La semaine dernière, ce sont les sénateurs Élisabeth Lamure, Jérôme Bignon et René Vandierendonck qui ont été chargés d’une mission temporaire ayant pour objet le renforcement de l’attractivité et de la compétitivité des principales portes d’entrée maritimes françaises.

De telles initiatives ne peuvent que renforcer le rôle du bicamérisme dans le fonctionnement de nos institutions.

Encore récemment, les députés Philippe Bies et Denis Jacquat, ainsi que les sénateurs Patricia Schillinger et André Reichardt, ont conclu une mission commune par la remise d’un rapport à Mme Marisol Touraine sur le régime local d’assurance maladie d’Alsace-Moselle. De telles missions sont inspirées par la vie des territoires.

M. Michel Mercier. Très bien !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Tous ces exemples démontrent que l’expérience des parlementaires est indispensable au bon fonctionnement de nos institutions.

Le Gouvernement ne peut donc pas être favorable à la suppression d’un outil dont l’emploi se traduit par une meilleure construction de l’action publique et qui permet de trouver les voies du bien commun.

Enfin, il me semble utile de souligner que le nombre des missions confiées à des parlementaires, loin de marquer une quelconque dérive, est resté remarquablement stable depuis 2002.

En conclusion, la suppression des missions temporaires ou de la possibilité de leur prolongation ne me semble pas constituer une piste constructive pour l’amélioration du fonctionnement de nos institutions, au sein desquelles pouvoirs exécutif et législatif doivent travailler en bonne intelligence, dans le respect de la séparation des pouvoirs.

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je précise que la séance devra être levée à zéro heure cinq au plus tard, l’espace réservé consacré au groupe du RDSE étant limité à quatre heures.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 26 août 1789, les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, adoptaient la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce texte d’une grande valeur et d’une grande modernité demeure la référence constitutionnelle absolue pour l’organisation de notre démocratie parlementaire.

Parfois, il est bon de revenir aux textes fondamentaux et de les relire, ce que j’ai fait ! C’est ainsi que, en préambule à mon propos, je rappellerai que l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose le principe, mis en lumière par Montesquieu, de la séparation des pouvoirs en tant que condition indispensable à la définition de tout régime autre qu’autocratique : « Toute Société dans la laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

Le principe de la séparation des pouvoirs, ici du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, ne doit souffrir aucune entorse ou dérogation, faute de quoi l’on bascule très vite dans la confusion des pouvoirs. L’ensemble des institutions démocratiques s’en trouvent alors affaiblies. Par suite, à force de confusion, c’est la confiance entre le peuple et ses représentants, ce lien démocratique si précieux, qui est remise en cause.

Aussi la présente proposition de loi déposée par mes collègues du groupe du RDSE et moi-même visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires s’inscrit-elle dans le vaste chantier de la refondation de nos institutions politiques. À l’heure où l’on recherche plus de transparence et de clarté, nous proposons une mesure simple, concrète, qui permettra de remettre de l’ordre démocratique là où des années de dérives et de mélange des genres ont affaibli et abîmé notre démocratie parlementaire.