Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à quarante-cinq minutes par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre, pour deux minutes maximum également. Je demande à chacun de bien vouloir respecter son temps de parole.
La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Je souhaite revenir sur les négociations engagées avec le Royaume-Uni sur le Brexit. MM. Bizet et Pozzo di Borgo ont déjà évoqué le sujet.
Nous le savons, le Royaume-Uni souhaite engager des négociations préalables au référendum britannique sur quatre sujets : une union toujours plus étroite, l’association des Parlements nationaux, la non-discrimination des pays ne faisant pas partie de la zone euro et le marché intérieur. Les préoccupations sur ces questions sont partagées par d’autres pays européens et pourraient faire l’objet d’un consensus.
Monsieur le secrétaire d’État, contrairement à ce que vous avez suggéré peut-être un peu rapidement, la libre circulation n’est pas seulement une question de respect des règles. C’est un principe que les Britanniques envisagent de remettre en cause.
Quelle est la stratégie de la France dans ces négociations ? Pour l’instant, elle n’est pas très lisible. On sait que l’Europe a réagi. Le président Donald Tusk a adressé à M. Cameron une première réponse. Les Allemands et les Italiens ont tracé des pistes de discussion et de compromis.
Comment discutez-vous avec le Royaume-Uni ? Comment travaillez-vous avec nos partenaires pour parvenir à un consensus ? Comme cela a été rappelé par plusieurs orateurs et par vous-même, nous souhaitons tous que le Royaume-Uni reste dans l’Union. Ce ne serait pas un bon signe qu’il quittât notre bel ensemble. L’Europe est, certes, bien fragilisée, mais c’est un grand espace de démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, la discussion avec le Royaume-Uni est un processus à vingt-huit. Les Britanniques discutent avec l’ensemble des autres pays de l’Union européenne. Il ne s’agit pas d’un ensemble de discussions bilatérales.
C’est le président Donald Tusk qui a répondu en notre nom au Premier ministre David Cameron. Ils ont convenu que, même si un échange était organisé lors du Conseil européen du mois de décembre, le débat conclusif aurait lieu lors du Conseil du mois de février.
Nos positions sont extrêmement claires. Nous les avons toujours énoncées ouvertement et publiquement, notamment lors des nombreuses rencontres entre le Président de la République et David Cameron, que ce soit lors du déplacement de ce dernier à Paris ou lors du voyage du Président de la République au Royaume-Uni.
Nous serons évidemment très attentifs à ce que le Royaume-Uni proposera. Nous souhaitons qu’il reste dans l’Union européenne. Nous pensons que c’est son intérêt, comme celui de l’Union européenne. Nous faisons face à des défis considérables – nous les avons évoqués –, qu’il s’agisse de la lutte contre le terrorisme ou de grandes crises internationales, comme celles du Proche-Orient et de la Libye. Nous devons renforcer l’économie européenne, la croissance, les investissements, bâtir ensemble une union de l’énergie, une Europe du numérique. Nous serons plus forts si nous abordons ces défis ensemble. Encore une fois, le Royaume-Uni doit évidemment rester !
Nous estimons aussi qu’il faut répondre aux préoccupations britanniques de manière pragmatique – c’est une notion chère au cœur de nos voisins d’outre-Manche – et à traités constants. Ne nous lançons pas dans une réforme institutionnelle longue et incertaine.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Enfin, nous pensons que le Royaume-Uni doit préciser ses demandes. Elles peuvent trouver une issue, à condition de ne pas remettre en cause les principes fondamentaux, comme la liberté de circulation.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Robert del Picchia. Il préoccupe tout le monde !
M. Richard Yung. Nous sommes tous des amis du Royaume-Uni. Qui y a-t-il de plus beau que de déguster une grouse devant un bon feu de bois avec un setter irlandais ? (Sourires.)
Cela étant, il faut aussi regarder la réalité. Elle est plus difficile.
Monsieur le secrétaire d’État, au cours des deux derniers jours, nous avons eu l’impression que le Premier ministre britannique était prêt à mettre de l’eau dans son vin et à évoluer sur son projet de priver les citoyens européens de prestations sociales pendant leurs quatre premières années de séjour au Royaume-Uni. Pouvez-vous nous en parler ? Est-ce trop tôt ?
Nos amis britanniques sont d’âpres négociateurs. Si David Cameron fait un pas dans cette direction, sachant que ce point était le plus important de son package, c’est sans doute qu’il veut demander quelque chose en échange !
Dans ce débat, je me sens plus proche de M. Gattolin que de Mme Keller. À mon sens, nous ne devons pas aborder la négociation en nous indiquant, comme l’a fait M. Tusk, qu’il faut à tout prix trouver un compromis avec les Britanniques. En commençant ainsi, on se prive d’armes pour la discussion. Ce sont eux qui sont demandeurs ; pas nous !
En réalité, le mauvais climat que ces discussions créent n’est bon ni pour les affaires ni pour les investissements ; il nuit à tous. Je pense que nous devons avoir une position assez ferme.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Yung, le Royaume-Uni a fait le choix d’organiser un référendum sur la question de son maintien ou non dans l’Union européenne. Nous respectons ce choix, qui est un choix souverain.
Pour notre part, notre réponse est claire : nous souhaitons que ce pays reste dans l’Union européenne. Nous sommes tout à fait prêts à aider le gouvernement du Royaume-Uni à convaincre les citoyens britanniques que leur intérêt est de rester dans l’Union européenne.
Le Premier ministre britannique a souhaité engager une discussion sur un certain nombre de sujets : la simplification du fonctionnement de l’Union européenne, la compétitivité, la lutte contre les abus sociaux – c’est en ces termes que le gouvernement britannique a lui-même formulé le problème – et une meilleure prise en compte de l’expression des parlements nationaux.
Nous sommes tout à fait prêts à examiner ces questions, comme tous les autres États membres. Il faut, nous semble-t-il, faire tout ce qui peut permettre de convaincre les Britanniques que l’Union européenne va se réformer dans le sens qu’ils souhaitent : une Europe plus efficace, plus concentrée sur les grandes priorités, afin de répondre ensemble aux grands défis auxquels nous avons à faire face, notamment le terrorisme, l’insécurité internationale, les grandes crises, comme la Syrie, mais aussi l’économie et la croissance. Nous sommes à l’écoute. Mais nous pensons que nous ne devons pas nous engager dans une remise en cause des principes figurant dans les traités et des grands acquis, comme la liberté de circulation.
C’est dans cet esprit que nous allons mener, avec les vingt-sept autres États membres de l’Union européenne, notre débat avec le Royaume-Uni, en souhaitant qu’il fasse le choix de rester dans l’Union européenne.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. L’accord de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Turquie attend sa ratification depuis quatre ans dans un tiroir de l’Assemblée nationale. Mais ce ne sera pas l’objet de mon intervention.
Le dernier rapport du Home Office britannique sur le financement et le blanchiment d’argent au profit de Daech cite, dans cet ordre, la Suisse, le Liechtenstein et nos voisins espagnols.
Quelles mesures allez-vous prendre pour éviter les fraudes fiscales qui nourrissent le terrorisme ? On connaît très bien la porosité entre fraude fiscale, délinquance et financement du terrorisme. Quelle position la France adoptera-t-elle en la matière avant la loi Sapin 2 ? Le plus vite sera le mieux.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, vous faites référence au rapport Home Tresory du mois d’octobre 2015 et à la lutte contre le financement du terrorisme, en particulier aux importants flux de cash non déclarés qui ont été détectés à certaines frontières.
Nos efforts dans ce domaine portent sur l’adoption d’un cadre renforcé de lutte anti-blanchiment, sur le traçage des flux financiers et sur le gel des avoirs terroristes.
Nous devons maintenir une pression politique, afin que la Commission formule des propositions législatives concrètes dès le début de l’année 2016. La France a fait part de ses propositions le 2 décembre. Elles ont obtenu un large soutien de nos partenaires.
À une échelle plus large que l’Union européenne, Michel Sapin vient de réunir le Groupe d’action financière, ou GAFI, dans le cadre de l’OCDE. Nous faisons en sorte qu’il n’y ait plus de trou noir de la finance d’une manière générale, en particulier en raison de l’urgence de la lutte contre le financement du terrorisme à l’échelon international.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. J’évoquerai également le financement des conflits, voire du terrorisme.
Le Parlement européen a voté le 20 mai dernier en faveur d’un mécanisme de surveillance contraignant de la chaîne d’approvisionnement des minerais issus des zones de conflit. Ce vote concerne environ 800 000 entreprises européennes importatrices de minerais, fonderies et raffineries, mais également fabricants de produits manufacturés : téléphones portables, tablettes, machines à laver… Ces entreprises devront s’assurer que les achats des minerais utilisés ne servent pas à financer les conflits ou le terrorisme.
Le texte vise principalement la région des Grands Lacs – la République démocratique du Congo est particulièrement touchée par le phénomène –, mais également d’autres régions d’Afrique où les conflits liés aux minerais prolifèrent.
Sur ce continent, la production minière représente en moyenne 24 % du PIB. Elle est en partie responsable de vingt-sept conflits. Certains sont particulièrement dramatiques.
Toutefois, les négociations s’annoncent difficiles avec le Conseil et la Commission. Nous le savons, en la matière, le poids des lobbyistes est des plus importants.
Monsieur le secrétaire d'État, il est clair que ce texte est un premier pas dans la lutte contre le financement des conflits. On ne peut pas essayer de mettre en œuvre des stratégies pour lutter contre toutes sortes de trafics sans avoir la capacité de contrôler la provenance de certains minerais. Quelle est la position du Gouvernement français à cet égard ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, nous sommes favorables à la demande du Parlement européen. Nous sommes pour le monitoring.
D’une manière générale, nous avons toujours soutenu les propositions du Parlement européen en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Dans une autre vie, j’ai moi-même eu l’occasion, en tant que rapporteur au sein du Parlement européen, de présenter des propositions en la matière.
Quelles que soient ses autorités, la France a toujours souligné la nécessité pour les grandes multinationales d’être particulièrement attentives au fait de ne pas financer des conflits, en particulier en Afrique, ayant souvent pour objet le contrôle par des groupes armés du commerce des ressources naturelles, en particulier des minerais. Les entreprises qui contribuent à l’extraction et à la commercialisation des minerais, des diamants doivent respecter la législation internationale et ne doivent pas financer les conflits ou les institutions corrompues.
Nous souscrivons tout à fait aux propositions du Parlement européen. Nous les soutiendrons évidemment au sein du Conseil.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. À l’origine, le cadre posé par l’Union économique et monétaire était censé faire converger les économies européennes, afin qu’elles s’intègrent harmonieusement au sein de leur zone monétaire commune. La crise a crûment montré que la réalité était tout autre et que ces économies étaient, au contraire, engagées aujourd'hui sur la voie de la divergence.
Beaucoup a été fait pour renforcer la résilience de l’Union économique monétaire. Mais il reste encore beaucoup à faire pour renforcer sa cohérence. Le rapport des cinq présidents a ainsi souligné la nécessité de progresser sur quatre fronts en parallèle : économique, financier, budgétaire et politique.
Ces orientations sont pertinentes pour réenclencher le processus de convergence. Mais un rapprochement en matière fiscale est au moins aussi important. Or cette thématique reste aujourd'hui largement en suspens.
La transparence des rescrits fiscaux, la relance du projet d’ACCIS, les projets anti-BEPS ou encore l’idée d’un trésor européen « espace de décision collective » vont dans le bon sens pour atténuer la concurrence fiscale. Mais ces dispositions seront sans doute insuffisantes pour assurer à terme un niveau de convergence satisfaisant au sein de la zone euro.
J’en conviens, l’exercice est très ardu. Il touche au cœur de la souveraineté et du débat démocratique national. Les difficultés que soulève la mise en place de la taxe sur les transactions financières en sont la démonstration. Mais il faudra tôt ou tard que la zone euro, voire quelques États membres « avant-gardistes », avance sérieusement sur la question.
Monsieur le secrétaire d'État, lors du dernier débat préalable au Conseil européen, vous avez affirmé que le Gouvernement était favorable à une plus grande convergence fiscale. Dans cette perspective, pouvez-vous nous éclairer sur ses priorités à long terme en matière d’harmonisation ? A-t-il, par exemple, l'intention de proposer à plus ou moins brève échéance à ses partenaires un agenda ou un cadre de convergence fiscale ?
Et si le Gouvernement souhaite avancer sur cette voie, quelles mesures préconisera-t-il pour renforcer la légitimité démocratique de l’ensemble, notamment l’implication effective des parlements nationaux ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la sénatrice dans le cadre de l’approfondissement du l’Union économique et monétaire, la convergence fiscale nous semble effectivement être un élément extrêmement important.
Je l’ai souligné tout à l’heure, d’une manière générale, un marché intérieur sans convergence fiscale crée des distorsions de concurrence.
Par ailleurs, nous pensons qu’il faut lutter contre les phénomènes d’optimisation fiscale. Il faut éviter que certaines entreprises ne rapatrient leurs bénéfices dans des pays où les bases fiscales ou le taux d’imposition sur le bénéfice des sociétés seraient très différents, avec pour résultat que les entreprises ne payent pas leurs impôts là où elles réalisent leurs profits. Ce problème a notamment été soulevé par rapport aux grandes entreprises de l’internet.
Nous pensons qu’il faut également de la transparence. C'est pourquoi il est important d’encadrer et de limiter le phénomène du rescrit fiscal, qui consiste, pour un État membre, à négocier d’une façon quelque peu opaque avec une entreprise des avantages dont elle disposerait en s’installant dans le pays.
Il faut donc aussi progresser – nous le faisons dans le cadre de l’OCDE, mais il faut le faire encore plus dans le cadre européen, notamment au sein de l’Union économique et monétaire – sur une assiette commune. Le projet d’ACCIS, qui a pris du retard, est absolument indispensable.
Notre point de vue, auquel nous essayons de rallier nos partenaires, est qu’il faut aller vers une forme de serpent fiscal européen. Nous l’avons déjà fait en matière de TVA. Il existe aujourd'hui un encadrement des taux. Cela laisse une marge nationale à chaque gouvernement, qui peut baisser ou augmenter légèrement cette taxe. Il s’agit d’éviter que des pays n’appliquent aucune TVA ou une TVA très faible quand d’autres seraient pénalisés parce qu’ils en auraient mis une beaucoup plus élevée en place.
Pour nous, dans le domaine de l’impôt sur les sociétés, il faut aboutir à un corridor de ce type. Peut-être faut-il d'ailleurs commencer à y travailler. C’est ce que nous avons suggéré à nos partenaires les plus proches, notamment l’Allemagne.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. L’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne, la BCE, qui injecte 60 milliards d'euros par mois dans les circuits financiers, présente un intérêt évident. Il maintient les taux faibles pour rendre soutenables les dettes souveraines.
Toutefois, l’argent qui est injecté dans les circuits financiers ne se traduit pas vraiment dans l’économie réelle et fait croître le risque de bulle.
Je ferai trois observations complémentaires.
Premièrement, cet assouplissement quantitatif, conjugué à la baisse de la croissance chinoise, favorise une guerre des monnaies qui n’est favorable à personne.
Deuxièmement, l’introduction du yuan chinois dans le panier de devises définissant la monnaie du FMI, les droits de tirage spéciaux, DTS, s’est faite principalement au détriment de l’euro et probablement d’une manière plus significative en raison de cet assouplissement quantitatif.
Troisièmement, se pose la question de la différence entre la politique monétaire relativement laxiste de la BCE, et celle de la Banque des États de l’Afrique centrale, la BEAC, où la France a une responsabilité particulière, d’autant que la monnaie émise par la BEAC est aujourd'hui liée à l’euro. Les États d’Afrique centrale sont confrontés à de très nombreuses déstabilisations politiques et terroristes et à une baisse du pétrole qui réduit leurs ressources. Ils subissent ainsi une pression immense et auraient, eux aussi, besoin d’une politique monétaire plus lâche.
Comment peut-on traiter ces sujets ? N’est-il pas temps de faire un premier bilan de cet assouplissement quantitatif et d’en examiner toutes les conséquences, notamment sur la place de l’économie européenne dans le monde ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, la politique d’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne a été efficace. Elle a contribué à un retour de croissance au sein de la zone euro. Cette politique, massive, représente des injections de liquidités de 60 milliards d'euros par mois. Mario Draghi a annoncé, lors de la dernière réunion du conseil des gouverneurs, qu’elle serait prolongée dans le temps, afin de s’assurer que la croissance serait suffisamment établie.
Aujourd'hui, la croissance dans la zone euro est encore insuffisante. C’est lié à des facteurs que vous avez mentionnés. Je pense notamment au ralentissement de la croissance dans un certain nombre de grands pays émergents. C’est le cas de la Chine et de certains pays d’Amérique latine. Il faut donc que le moteur interne de la croissance en Europe puisse être conforté. L’Europe ne peut pas se déconnecter de ce qui se passe sur la scène internationale. La croissance américaine, elle, est bien là. Elle est d'ailleurs aussi un des effets de la politique d’assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale américaine.
Vous avez raison, il faut évidemment surveiller le risque de constitution de bulle financière. C’est ce que nous faisons à travers toutes les autres mesures de contrôle des marchés financiers, les règles prudentielles, le contrôle du système bancaire.
Actuellement, la préoccupation principale de la Banque centrale européenne est la transmission de la politique monétaire au crédit. Il s’agit de s’assurer que les banques bénéficient de facilités, de taux d’intérêt extrêmement bas, de ce quantitave easing, pour reprendre le terme anglo-saxon, et favorisent le crédit aux entreprises. Je pense que cela reste tout à fait pertinent.
Pour nous, aujourd'hui, la priorité, c’est bien le soutien à la croissance : c’est de la croissance que peut venir l’emploi. L’Europe a encore un retard important en matière d’investissement. Il faut que cette politique d’assouplissement quantitatif permette aussi aux entreprises de disposer de crédits pour relancer l’investissement.
Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Je veux revenir sur deux points que M. le président de la commission des affaires européennes a soulevés.
Dans le cadre du rapport que ma collègue Josette Durrieu et moi-même avons réalisé sur la levée des sanctions, nous nous sommes rendus à Moscou, où nous avons longuement discuté avec nos interlocuteurs. M. Sergueï Narychkine, le président de la Douma, a indiqué que nous pourrions essayer de nous entendre, au lieu de prendre des sanctions auxquelles répondent des contre-sanctions…
Vous l’avez souligné, des progrès ont été accomplis. Nous n’avons pas encore trouvé la solution idéale sur l’Ukraine, mais il y a tout de même du mieux.
Pourquoi ne pas essayer une première levée de sanctions à l’égard de plusieurs personnalités ? Les sanctions contre des personnes sont toujours très mal perçues par les concernés. Les Russes feraient certainement la même chose, et il y aurait peut-être une désescalade.
Cela nous renvoie au débat sur la situation en Ukraine. Quelles solutions trouver ? Les Russes ont évoqué toutes les frontières qui ont été modifiées depuis 1975 à la suite des accords d’Helsinki. Peut-être faudrait-il envisager de revoir ces accords.
Par ailleurs, êtes-vous pour la création d’un corps de garde-frontières ? C’est ce que nous propositions voilà huit ans, notre ancienne collègue Alima Boumediene-Thiery et moi, dans un rapport de la commission des affaires européennes du Sénat. Nous avions effectué une série d’« inspections » le long des frontières européennes. Il nous avait été dit à l’époque que la question serait un jour examinée. La création de ce corps me paraît plus qu’urgente. Qu’en sera-t-il ?
Mme Nathalie Goulet. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les sanctions à l’égard de la Russie.
Lors du Conseil européen de mars 2015, un lien a été établi entre les sanctions européennes sectorielles et la mise en œuvre complète des accords de Minsk. C’est maintenant le cadre dans lequel est établi le lien direct entre le respect intégral par la Russie et l’Ukraine des engagements pris à Minsk et la levée des sanctions.
Au mois de juillet 2015, une prolongation des sanctions a été décidée jusqu’au 31 janvier 2016. La feuille de route de Minsk était normalement prévue pour une mise en œuvre complète d’ici à la fin de l’année 2015.
Le processus de Normandie a permis des progrès importants, mais le calendrier a glissé. Lors d’une réunion qui a eu lieu à Paris sous le parrainage du Président de la République et de la chancelière Merkel, Russes et Ukrainiens ont décidé d’un commun accord, avec les présidents Poutine et Porochenko, qu’il fallait se donner un peu plus de temps pour mettre en œuvre complètement les accords de Minsk, notamment l’organisation d’élections dans l’est de l’Ukraine et la restitution de la souveraineté de l’Ukraine sur sa frontière.
Aujourd'hui, il y a donc un consensus. Le calendrier de mise en œuvre des accords de Minsk est un peu plus long. Du coup, les sanctions sont prolongées, mais pour une durée plus limitée, en l’occurrence six mois, que ce qui avait été décidé au départ, c’est-à-dire un an. Il importe que le levier utilisé par l’Union européenne pour s’assurer que tout le monde respecte bien les engagements pris à Minsk soit efficace.
Nous souhaitons le respect des accords de Minsk et le rétablissement de la paix entre la Russie et l’Ukraine, afin que les sanctions puissent être ensuite levées et que les relations puissent être normalisées.
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Ma première question s’adresse au président de la commission des affaires européennes.
Nous nous félicitons que ce débat ait été organisé aujourd'hui à dix-huit heures ; c’est un horaire correct. Toutefois, comme Michel Delebarre l’a indiqué, notre groupe regrette que le temps de parole des groupes ait été réduit de huit à cinq minutes et que le débat interactif soit réduit d’une heure à quarante-cinq minutes.
Je déplore également que la commission des lois ait été convoquée au même moment, pour une simple audition. Cela ne me paraît pas aller dans le sens de notre nouveau règlement. Je le signale dans un esprit positif, pour éviter que cette situation ne se reproduise à l’avenir.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette observation, mon cher collègue. J’en ferai part à M. le président du Sénat.
M. Simon Sutour. Je souhaiterais que M. le président de la commission des affaires européennes aussi s’exprime sur ce point.
Ma deuxième question s’adresse à M. le secrétaire d’État. Elle concerne également les sanctions contre la Russie. Je voudrais obtenir des précisions.
Pourquoi ne peut-on pas discuter ? Le chef du gouvernement italien avait demandé qu’une discussion ait lieu au Conseil européen. Les pays baltes et la Pologne ont refusé cette option. Pour quel motif ?
Pourquoi ne pas prévoir une gradation des sanctions ? Cela me paraîtrait extrêmement positif, surtout dans le contexte international de terrorisme que nous connaissons.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je suis très attentif aux sentiments que le Sénat a exprimés sur les sanctions à l’égard de la Russie. Il me semble important d’entendre le point de vue du Parlement dans le débat européen. C’est d'ailleurs une idée largement partagée au sein de plusieurs États membres.
Ainsi que vous l’avez souligné, le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, avait exprimé le souhait qu’il puisse y avoir un échange à ce sujet lors du Conseil européen. Peut-être cela aura-t-il lieu. Certes, formellement, ce n’est pas le Conseil européen qui prend les décisions sur les sanctions. Mais c’est lui qui détermine la position.
Il est un point de vue à faire prévaloir. Premièrement, les sanctions ne sont pas une fin en soi. Deuxièmement, depuis le Conseil européen du mois de mars, ces sanctions sont très clairement liées aux accords de Minsk, accords dont tout le monde doit souhaiter la mise en œuvre pour que les sanctions puissent être levées et que l’on continue à travailler avec la Russie. C’est un acteur international important, susceptible de contribuer à régler de nombreuses crises ; nous l’avons vu sur le nucléaire iranien ou la Syrie.
En outre, et je voudrais le souligner, depuis le début de la crise ukrainienne, la France et l’Allemagne ont toujours voulu maintenir l’unité européenne. Nous avons voulu la maintenir face à l’annexion illégale de la Crimée. Nous avons voulu la maintenir pour soutenir le processus de Minsk. Nous voulons la maintenir pour permettre la levée des sanctions lorsque les accords de Minsk seront complètement respectés.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Je ne puis que souscrire à la première partie de l’intervention de notre collègue Simon Sutour sur la fixation du débat préalable à la réunion du Conseil européen par la conférence des présidents à dix-huit heures. Ce serait encore mieux si nous disposions d’un peu plus de temps. À l’instar de Mme la présidente, je porterai cette réclamation lors de la prochaine conférence des présidents.
Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour m’exprimer sur les sanctions.
Je conçois bien qu’il faille donner une réponse unitaire au sein de la Commission européenne. Mais prenons le cas de la levée de l’embargo sanitaire sur l’exportation de gras et d’abats porcins. Ce dossier bien particulier, sur lequel je travaille avec le ministre de l’agriculture, fait partie de l’équilibre de la filière. Il n’est pas spécialement pertinent de maintenir des sanctions personnelles à l’adresse du ministre de l’agriculture russe, M. Tkatchev. On pourrait imaginer un peu plus de rationalité dans l’action. Sans trahir ses propos, je pense pouvoir indiquer que M. Le Foll a pratiquement la même analyse que moi.