Mme la présidente. La parole est à M. Michel Delebarre, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Michel Delebarre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les orateurs qui m’ont précédé ont rappelé les heures tragiques qu’a connues notre pays tout au long de l’année 2015. Malheureusement, tous les États membres de l’Union sont aujourd’hui concernés par la menace terroriste. Tous ont conscience de la nécessité, dans ce domaine comme dans d’autres, de renforcer la coopération et les échanges au sein de l’Union, afin de lutter contre ce fléau qui menace directement les fondements démocratiques de notre système politique.
À cet égard, vous me permettrez de regretter en préambule que le temps réservé dans ce débat aux différents groupes politiques ait été fixé à cinq minutes, soit de manière inversement proportionnelle à la gravité des enjeux qui nous occupent aujourd’hui. Je serai donc contraint de concentrer mon propos sur deux sujets essentiels aux yeux des sénateurs socialistes, à savoir la crise migratoire et la lutte contre le terrorisme.
En premier lieu, je voudrais rappeler avec force qu’établir un parallèle entre l’arrivée des migrants sur notre continent et les récents attentats serait non seulement infondé, mais aussi abject.
Le 3 décembre dernier, Bernard Cazeneuve et Thomas de Maizière ont affirmé qu’ils rejetaient très fermement toute confusion entre terroristes et migrants. Les ministres souhaitent trouver une réponse commune à la crise des réfugiés et plaident pour un renforcement substantiel du rôle et des opérations de FRONTEX. Une aide financière aux pays de transit, notamment la Turquie, a ainsi été décidée le 29 novembre dernier, ainsi qu’un renforcement des politiques de codéveloppement lors du sommet de La Valette.
Des solutions européennes sont donc possibles et indispensables. Nous invitons les gouvernements à prendre, au cours de ce Conseil européen, les décisions nécessaires et suffisantes pour surmonter cette crise. Nous souhaitons notamment que le mécanisme de relocalisation puisse être rapidement mis en œuvre, afin de ralentir les flux de migrants, c’est-à-dire agir à la source. Comment, monsieur le secrétaire d’État, imaginez-vous débloquer la situation et désamorcer les tentations centrifuges de nos partenaires européens en la matière ?
La libre circulation est l’un des acquis majeurs de l’Union. La remise en cause de l’espace Schengen serait une faute. Elle aboutirait au repli sur soi et empêcherait une mise en œuvre rapide des mesures destinées à protéger les Européens. Schengen est non pas un problème, mais une solution. Maîtriser les flux, c’est renforcer le contrôle des frontières extérieures communes, grâce à un corps de gardes-frontières européen. Nous nous félicitons d’ailleurs de la proposition ambitieuse que la Commission européenne vient de faire aujourd'hui à cette fin. Entreprendre une révision ciblée de Schengen ou rétablir de manière temporaire le contrôle aux frontières ne veut pas dire la fin de Schengen, n’en déplaise à certains.
En outre, Schengen apparaît comme un outil essentiel dans la lutte contre le terrorisme. À cet égard, les sénateurs socialistes souhaitent attirer l’attention du Gouvernement sur deux sujets de préoccupation : l’échange d’informations entre les services compétents des États membres et le traitement des données personnelles dans la lutte contre le terrorisme.
Onze mois après les attentats de janvier, la coopération et la coordination européennes, qui supposent le partage d’informations entre États membres, ne se sont que partiellement concrétisées, malgré la multiplication des réunions et les efforts constants de la France. Or c’est une condition sine qua non à une lutte commune efficace contre le terrorisme. Ainsi, il est urgent que le fichier SIS, Système d’information Schengen, soit alimenté régulièrement, de manière systématique et complète, par les États membres.
En outre, je me félicite que l’accord sur le PNR, issu des négociations entre les institutions européennes, ait été adopté en commission libertés civiles, justice et affaires intérieures du Parlement européen le 10 décembre dernier. Alors que d’aucuns pointaient la faiblesse de l’Europe en la matière, le Parlement européen fait son travail, et nous faisons le nôtre. Je note d’ailleurs que l’extrême droite, si prompte à accuser le Gouvernement et la majorité de faiblesse et d’inaction, vote systématiquement contre le PNR au Parlement européen, au nom de moins d’Europe. Il est vrai que les actes ne rejoignent pas toujours les discours dans ce domaine.
Le PNR européen devrait contribuer notamment à identifier et à suivre plus facilement le déplacement des personnes jusqu’alors inconnues des autorités et suspectées d’entretenir des relations avec des réseaux terroristes. Il évitera également les tentations de repli sur des alternatives strictement nationales moins efficaces, car moins coordonnées. Pour finaliser le processus législatif, le texte devra passer la dernière étape du vote en session plénière, qui devrait avoir lieu en janvier 2016. Le Parlement européen a également obtenu des garanties fortes en matière de protection des données personnelles et de respect des droits fondamentaux. Néanmoins, nous regrettons que l’accord ne contienne pas de garanties solides concernant le transfert des données PNR aux pays tiers.
Voilà les éléments que je souhaitais souligner dans le temps qui m’a été imparti. M. le secrétaire d’État l’a dit à la fin de son intervention, s’il importe que nous soyons vigilants s’agissant du terrorisme et des difficultés auxquelles nous sommes confrontées, notamment la crise des migrants, l’Europe doit aussi montrer – c’est indispensable –, lors de chaque Conseil, qu’elle veut avancer et poursuivre sa construction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, M. Jean-Claude Requier et Mme Marie-Annick Duchêne applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’ordre du jour de ce sommet européen figurent plusieurs enjeux aussi majeurs que la crise migratoire inédite que connaît l’Union et le défi lancé par le terrorisme djihadiste à la coopération européenne.
Face à ces deux urgences, si l’Union avance, ce n’est que péniblement : elle est ralentie par des contraintes budgétaires et par des réticences nationales et politiques.
Toutefois, du fait même de ces deux urgences, des sujets tout aussi importants pour l’avenir de l’Union risquent d’être relégués au second plan.
Au rang des discussions susceptibles d’être ajournées, ou évoquées très informellement – je remercie d’ailleurs M. le secrétaire d’État d’en avoir parlé –, compte la question délicate de l’exigence, de la part du Royaume-Uni, d’un statut toujours plus dérogatoire.
D’après un sondage paru à la fin de novembre, 52 % des Britanniques seraient désormais en faveur du fameux Brexit.
Un tel scénario catastrophe est donc envisageable.
Les conséquences économiques pour le Royaume-Uni, mais aussi pour l’Union, seraient désastreuses.
Certaines analyses récentes évaluent ainsi à 14 points, dans une telle hypothèse, le recul potentiel du PIB britannique d’ici à 2030.
Aujourd’hui, la responsabilité de M. David Cameron est immense.
Sa principale initiative, dans la perspective du prochain référendum, consiste à réclamer l’introduction d’une période de carence de quatre ans pour l’accès aux prestations sociales des ressortissants communautaires.
Cette volonté du gouvernement conservateur de restreindre l’action sociale ne concerne d’ailleurs pas seulement les travailleurs européens, mais aussi les familles britanniques.
Le Royaume-Uni n’est pas le pays prospère et de plein emploi qui nous est si souvent vanté.
La réalité est bien plus nuancée et contrastée, et ce pays est marqué par de profondes fractures sociales et territoriales.
M. Alain Gournac. Mais moins de chômage !
M. André Gattolin. Le taux de chômage y est de 5,5 %, mon cher collègue, mais si l’on ajoute les 4 millions de personnes qui bénéficient d’une pension d’invalidité, le taux est le même qu’en France !
Heureusement, cette réforme n’est pas acquise.
La chambre des Lords vient de s’y opposer et plusieurs pays dont David Cameron recherche par ailleurs le soutien, comme la Pologne ou la Bulgarie, y voient avec agacement une mesure ciblée contre leurs ressortissants.
Par cette exigence précise, les autorités du Royaume-Uni remettent en cause l’égalité de traitement entre les citoyens communautaires et cherchent, implicitement, à limiter leur circulation sur le territoire britannique.
Il s’agit là, monsieur le secrétaire d’État, d’une atteinte fondamentale au socle de principes sur lequel repose l’Union.
Plus encore, M. David Cameron refuse l’idée, pourtant inscrite dans le marbre de nos traités, d’une « Union sans cesse plus étroite des peuples d’Europe ».
Ce faisant, il s’attaque à l’objectif même vers lequel tend le processus d’intégration européenne depuis qu’il a été engagé, bien avant l’adhésion du Royaume-Uni en 1973.
Parce qu’elle hypothèquerait toute future intégration politique, la satisfaction d’une telle demande reviendrait à abdiquer définitivement le projet européen que nous portons.
La stratégie du Premier ministre britannique est plus que périlleuse, y compris pour lui-même.
À Londres, il ne lutte pas contre les aspirations antieuropéennes de son opinion publique. Il préfère avancer de nouvelles exigences, plutôt que d’expliquer et de défendre l’intérêt économique de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union.
À Bruxelles, il tente un travail de sape, s’attaquant de toutes parts aux fondements de l’Union, en cherchant des alliés du côté des pays les plus souverainistes, comme le Danemark ou les Pays-Bas.
Dans ce contexte, sa menace péremptoire de soutenir le Brexit si l’Union n’accédait pas à ses exigences exagérées relève d’un chantage vraiment inacceptable.
Compte tenu du rapport de force instauré par M. Cameron, sans doute faudrait-il remettre en question le montant exorbitant du « rabais britannique », qui chaque année grève le budget déjà serré de l’Union et crée une charge supplémentaire pour les autres États membres, au premier rang desquels figure notre pays.
Face à cette crise politique, l’Allemagne est aujourd’hui extrêmement mobilisée : la chancelière Angela Merkel a même établi à Berlin une task force dédiée.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous dire si la France dispose d’une telle task force, ou, à défaut, compte tenu de votre étroite collaboration avec votre homologue allemand, M. Michael Roth, si elle est associée aux réflexions et aux travaux allemands ?
Si un Brexit porterait en lui-même un coup profond au développement de l’ambition européenne, il ouvrirait aussi une boîte de Pandore, en indiquant aux eurosceptiques de tous les pays la voie du démantèlement de l’Union.
Fléchir, s’agissant de nos principes fondamentaux d’intégration, d’équité de traitement et de libre circulation, contribuerait tout autant à saborder notre projet commun.
Soyons fermes face à Londres, mes chers collègues, et veillons à ne surtout pas tomber dans le piège dangereux qui nous est aujourd’hui tendu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, et du RDSE. – Marie-Annick Duchêne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, l’Europe vit désormais au temps des crises. La décomposition de l’ordre mondial hérité de la fin de la guerre froide et les répliques de la déstabilisation du Proche-Orient, venues s’ajouter aux effets – toujours très prégnants – de la crise économique et de la crise de la zone euro, ont mis à mal l’idée que la construction européenne constituait un processus inexorable.
À supposer qu’elle ne soit pas simplement rejetée, la « solution européenne » ne s’impose plus.
Il faudra donc unir toutes les énergies et toutes les intelligences pour préserver l’acquis européen, mais aussi pour bâtir une Union adaptée au monde nouveau qui se dessine sous nos yeux.
En particulier, les pays européens devront prendre la mesure de la complexité accrue des relations internationales.
À cet égard, je souhaiterais vous interroger, monsieur le secrétaire d’État – certains l’ont déjà fait –, sur les relations entre l’Union européenne et la Russie. Dans un contexte marqué par l’effondrement des prix du gaz et du pétrole, la Russie connaît de profondes difficultés économiques. Les dernières prévisions de la Commission européenne anticipent, pour 2016, un nouveau recul de son PIB et une dégradation de sa situation budgétaire.
Comment la France appréhende-t-elle ces prévisions d’évolution de la situation économique russe au cours de l’année prochaine, alors même que nous avons besoin de la Russie pour élaborer une solution en Syrie ?
La Russie s’est déclarée prête à restructurer le prêt de 3 milliards de dollars accordé à l’Ukraine. Cependant, la négociation a achoppé, en raison du refus des pays européens et des États-Unis de garantir cette créance.
Vous serait-il possible, monsieur le secrétaire d’État, de nous informer sur l’état d’avancement de cette restructuration ? Si celle-ci n’aboutissait pas, l’Ukraine se retrouverait, d’ici à quelques jours, en défaut de paiement.
S’agissant de la préservation de l’acquis européen, je souhaiterais revenir quelques instants sur la question grecque.
La semaine dernière, Alexis Tsipras a déclaré dans la presse qu’une intervention du Fonds monétaire international dans le cadre du plan d’aide n’était ni nécessaire ni souhaitable.
Quelle est, monsieur le secrétaire d’État, la position de la France sur ce point ? Par ailleurs, à quelle échéance un rééchelonnement de la dette grecque – tel qu’il a été récemment proposé par le directeur du mécanisme européen de stabilité – pourrait-il intervenir ?
Alors que les négociations avec le Royaume-Uni tendent à se préciser, je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous indiquiez si des études ont été réalisées sur les conséquences économiques d’un éventuel Brexit pour la Grande-Bretagne, mais aussi pour ses partenaires européens.
Enfin, le prochain Conseil européen sera appelé à examiner la question de la lutte contre le terrorisme. Le Conseil et le Parlement européens ont adopté, en mai dernier, de nouvelles règles visant à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Le gouvernement français estime-t-il, monsieur le secrétaire d’État, qu’il serait nécessaire d’aller plus loin en ce domaine ?
Sera-t-il amené à suggérer une évolution du droit de l’Union européenne, pouvant être inspirée par les dispositions du futur projet de loi dit « Sapin II » ?
Mme Nathalie Goulet. La réponse est « oui » !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Voici, mes chers collègues, au nom de la commission des finances, les questions suscitées par la réunion, les 17 et 18 décembre prochain, du Conseil européen. Je vous remercie par avance, monsieur le secrétaire d’État, des réponses que vous voudrez bien y apporter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Joseph Castelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, on ne peut évoquer le prochain Conseil européen sans avoir à l’esprit les terribles attentats qui ont endeuillé notre pays – beaucoup d’entre nous l’ont dit.
Nous réitérons notre demande d’une réponse ferme, globale et coordonnée de l’Union européenne contre le terrorisme. C’est la crédibilité même de l’Union qui est en jeu ! Nous en débattrons en fin de semaine, à Berlin, avec nos collègues allemands du Bundesrat.
La crise migratoire demeure un autre sujet de préoccupation majeure. Le Conseil européen devrait adopter, en la matière, de nouvelles orientations. Nos rapporteurs Jean-Yves Leconte et André Reichardt suivent ce dossier particulièrement complexe.
Nous devons certes accueillir les personnes persécutées, mais nous devons aussi être clairvoyants. Ce sont les territoires qui, en définitive, sont sollicités pour accueillir des populations auxquelles se mêlent un grand nombre de migrants économiques.
Les récentes attaques terroristes à Paris ont par ailleurs mis cruellement en évidence l’importance de l’enjeu de sécurité. Pour le dire clairement, ce flux doit être maîtrisé.
Nous avons débattu la semaine dernière, avec le contre-amiral Bléjean, de l’opération Sofia, lancée en juin 2015 en Méditerranée. Il faut, dès que possible, qu’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies autorise une intervention dans les eaux territoriales de la Libye, pour mettre fin aux activités criminelles des passeurs et aux trafics d’êtres humains.
M. Alain Gournac. Très juste !
M. Jean Bizet. Il faut soutenir les pays voisins de la Syrie. C’est notamment l’objet de l’accord avec la Turquie. Nous devrons néanmoins être très vigilants quant aux résultats de cette politique de soutien, en conditionnant sa poursuite au respect des termes de l’accord.
Il faut en particulier clarifier les dérives du commerce illicite, de pétrole et d’œuvres d’art, qui prospère en particulier à la partie ouest de la frontière entre la Turquie et la Syrie. Ne nous voilons pas la face !
Le contrôle effectif des frontières extérieures de l’espace Schengen est un enjeu crucial. La Commission européenne présente aujourd’hui même ses propositions en la matière.
Nous demandons depuis longtemps l’institution d’un corps européen de gardes-frontières. L’agence FRONTEX doit être dotée d’un statut lui permettant de disposer de moyens permanents et d’intervenir en cas de défaillance d’un État. Il y va, là encore, de la crédibilité de l’Europe. Nous voulons l’instauration de contrôles systématiques aux frontières extérieures, y compris s’agissant des ressortissants européens.
Le Conseil européen examinera par ailleurs les demandes britanniques – ce dossier est suivi par notre collègue Fabienne Keller. Nous voulons que ce grand pays reste dans l’Union européenne, mais nous devons avoir avec lui un dialogue ferme sur les acquis de la construction européenne.
Nous sommes d’accord pour renforcer la compétitivité et le marché unique, ainsi que le rôle des parlements nationaux. Mais le Royaume-Uni conteste l’idée même d’une Union toujours plus étroite. La réponse pourrait résider dans le développement des coopérations renforcées, perspective à mes yeux essentielle.
Nous pouvons discuter des modalités de la bonne coordination entre la zone euro et les États qui, comme le Royaume-Uni, n’en font pas partie. Mais il ne peut être question que les décisions de la zone euro soient bloquées par des États qui ont choisi de s’en tenir à l’écart. Droit de débat, oui ; droit de veto, non !
Surtout, la libre circulation est un acquis majeur de la construction européenne. Il est possible d’aller plus loin dans la lutte contre certains abus, mais pas de créer des discriminations entre ressortissants européens à raison de leur nationalité.
Les relations avec la Russie, enfin, doivent retenir toute notre attention. Ce grand pays vient de retrouver sa place dans le concert international, à l’occasion de la lutte contre Daech. Il est indispensable que les accords de Minsk, dans la négociation desquels la France s’est fortement impliquée, soient appliqués. La Russie a certes encore des progrès à faire dans leur mise en œuvre, mais l’Ukraine en a tout autant.
Une autre question a été posée par un certain nombre d’entre nous : les sanctions sont-elles, dans la durée, la bonne réponse ? Ma réponse est non !
En définitive, c’est notre secteur agroalimentaire national qui souffre gravement de la situation. Ne peut-on envisager une gradation des sanctions ? Et ne pourrait-on, dans un premier temps, revenir sur les sanctions personnelles ? Elles sont, à mon avis, humiliantes et sans effet.
Au moment même où nous venons de créer avec la Russie une coalition contre notre ennemi commun, à savoir Daech, il devient incohérent de persister dans cette démarche. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie l’ensemble des orateurs. Les points de vue étaient très convergents, à une exception près. Mais je crois que, par leurs propos, tous les intervenants ont répondu à M. Rachline.
Comme cela a été souligné, rien n’empêche aujourd’hui, dans le cadre de Schengen, de rétablir des contrôles aux frontières intérieures de l’Union européenne. Nous l’avons fait nous-mêmes, en raison non seulement de la COP21, mais également de l’état d’urgence. Il nous semble aussi absolument indispensable de renforcer les contrôles aux frontières extérieures communes de l’Union européenne. C’est le sens à la fois des propositions formulées par la France et l’Allemagne lors d’un conseil Justice et affaires intérieures et de celles qui ont été présentées aujourd’hui même par la Commission européenne.
Si nous voulons effectuer un réel contrôle et savoir qui vient chez nous, pour reprendre l’expression de M. Rachline, il vaut mieux que nos partenaires coopèrent par un contrôle aux frontières extérieures communes de l’Europe.
M. David Rachline. Il n’y en a pas !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. La France a aussi des frontières extérieures communes de l’Europe ; je pense en particulier aux aéroports et aux façades maritimes.
Pour autant, lorsque les partenaires de la zone Schengen et de l’Union européenne effectuent des contrôles à l’entrée de leurs frontières, qui sont des frontières extérieures communes, ils contribuent aussi à notre propre sécurité.
Par conséquent, pour lutter contre le terrorisme et l’immigration irrégulière, même s’il ne faut pas faire d’amalgame entre les deux sujets, nous devons nous assurer que le contrôle aux frontières de l’Union européenne – en Bulgarie, en Grèce, en Italie en Allemagne ou dans n’importe quel autre pays – soit tellement strict et rigoureux qu’il contribue à notre propre sécurité. Ce n’est pas en nous désintéressant du fonctionnement des frontières de Schengen que nous renforcerons le contrôle des nôtres. Deux contrôles valent mieux qu’un.
C’est pourquoi nous œuvrons notamment pour que le système d’information de Schengen soit bien utilisé ; plusieurs d’entre vous, en particulier Michel Delebarre, l’ont souligné. Cela suppose que tous les États entrent dans le système informatique les informations, notamment les empreintes digitales, sur les personnes représentant un danger, du fait de liens éventuels avec des activités criminelles, en particulier terroristes, et ayant donné lieu à un signalement.
Cela permet que tous les autres pays soient immédiatement informés, de manière commune et mutualisée, chaque fois qu’une personne signalée dans l’un des pays comme présentant un danger franchit une frontière.
J’en viens à la Turquie. Un chapitre de négociations dans le cadre du processus ouvert en 1999 a été décidé. Il s’agit d’un ensemble de décisions visant à faire en sorte que des réformes soient menées en Turquie dans les domaines de l’économie, de l’État de droit, du fonctionnement de la justice. Certains chapitres sont ouverts ; d’autres non.
Tout cela ne préjuge absolument pas l’issue du processus. Si la question d’une adhésion de la Turquie à l’Union européenne devait être posée, elle serait soumise en France à référendum, comme le prévoit la Constitution. Si la Turquie veut poursuivre l’ouverture de chapitres dits de négociations, c’est parce qu’elle souhaite approfondir sa coopération avec l’Union européenne. Aujourd’hui, il existe déjà une union douanière et des coopérations dans un ensemble de domaines.
La Turquie est un grand acteur à l’échelon international. Nous avons besoin de coopérer avec elle, en particulier dans la lutte contre Daech en Irak et en Syrie, pays avec lequel elle a une frontière. Nous souhaitons d’ailleurs qu’elle en renforce – le président de la commission des affaires européennes l’a souligné –, pour juguler des flux économiques liés au pétrole, au trafic d’œuvres d’art, mais aussi pour en empêcher le franchissement par des combattants terroristes, qu’ils viennent se former et s’entraîner en Syrie ou qu’ils tentent de ressortir de Turquie pour mener des actes terroristes en Europe ou ailleurs dans le monde.
Par ailleurs, la Turquie accueille près de 2 millions de réfugiés syriens sur son territoire. Nous devons coopérer pour l’aider à maintenir ces réfugiés sur son territoire. Évitons qu’ils ne soient poussés à aller vers l’Europe, parce qu’ils ne seraient pas accueillis dans des conditions dignes dans les camps du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ou autres. C’est le cas aussi de la Jordanie et du Liban. J’insiste sur ce point, car ces deux pays accueillent, plus encore que la Turquie, un grand nombre de réfugiés syriens en proportion de leurs populations ; c’est particulièrement vrai pour le Liban.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, nous devons évidemment coopérer avec la Turquie.
Monsieur Rachline, vous comparez l’Union européenne à l’URSS. Sans doute devriez-vous le dire à ceux qui ont vécu en URSS et qui ont choisi l’Union européenne ! Les citoyens des pays baltes seraient assez surpris de votre appréciation, eux qui, lorsqu’ils ont conquis leur indépendance et leur liberté, ont fait le choix de rejoindre l’Union européenne ! (Applaudissements.)
Mme Fabienne Keller. C’est bien vrai !
M. Robert del Picchia. Absolument !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. À leurs yeux, l’Union européenne, c’est la liberté, la démocratie, le respect des droits, le respect des petits pays comme des grands !
Ces coopérations, nous les décidons souverainement, volontairement, parce que nous considérons que nous sommes plus forts ensemble pour faire face aux risques pour la sécurité de nos citoyens, notamment à la menace terroriste, pour approfondir notre démocratie, pour soutenir ensemble dans la mondialisation notre modèle économique et social !
Certes, c’est difficile. Mais l’Histoire compte des hommes courageux et visionnaires qui ont eu l’audace de mettre en œuvre la Communauté européenne du charbon et de l’acier, puis le traité de Rome, le marché commun, la politique agricole commune – nos agriculteurs savent à quel point c’est important, même s’il faut sans cesse l’améliorer –, la monnaie unique, les politiques communes dans de nombreux domaines ; je pense par exemple à Erasmus, qui permet aux étudiants européens de circuler dans l’Union européenne. L’Union européenne est une grande réalisation de l’histoire du XXe siècle. Je ne vois pas comment vous pouvez la comparer avec une quelconque dictature totalitaire, monsieur Rachline ! Vous faites à l’évidence preuve d’aveuglement idéologique, pour reprendre votre formule.
Jean-Claude Requier a eu raison d’insister sur le fait qu’il ne fallait pas démonter Schengen. Il faut au contraire le renforcer. Lors de la création de Schengen, il était évident que, en parallèle à la liberté de circulation à l’intérieur de cet espace, il faudrait renforcer les mesures de contrôle des frontières extérieures communes ; cela n’a pas été suffisamment fait. C’est donc une priorité absolue pour la France, aujourd’hui. Monsieur le sénateur, vous avez mentionné le contrôle systématique et coordonné aux frontières extérieures, y compris pour les citoyens de l’Union européenne qui rentrent de nouveau dans l’Union européenne. C’est ce que la France demande ; c’est ce que la Commission européenne a présenté aujourd’hui.
Comme l’a rappelé Pascal Allizard, c’est dans l’épreuve que l’on se révèle ; cela vaut aussi pour les institutions ! L’Europe doit se révéler dans cette épreuve, et certainement pas en se rétrécissant. Monsieur le sénateur, vous avez raison de ne pas accepter l’idée d’un mini-Schengen. Cette idée, avancée par un responsable européen dont cette question ne relève pas des compétences, nous semble totalement dépourvue de pertinence. Au contraire, comme vous l’avez souligné, il faut plus anticiper les crises auxquelles nous pouvons avoir à faire face. En particulier, il est absolument nécessaire de renforcer les capacités, le budget, les moyens de FRONTEX, du Fonds asile migration et intégration, le FAMI, et le Fonds sécurité intérieure, le FSI.
La poursuite de la lutte contre les trafics de personnes en Méditerranée, en particulier au large ou à proximité des côtes libyennes, est aussi l’une des raisons pour lesquelles il faut renforcer le mandat de l’opération Sophia. Il nous faut un gouvernement d’union nationale en Libye, autorité ayant une reconnaissance internationale et une légitimité pour demander, sur le fondement d’un mandat entériné par les Nations unies, que l’on puisse l’appuyer pour lutter contre les trafics de personnes et contre les criminels qui mettent des réfugiés sur des bateaux au péril de leur vie.
Yves Pozzo di Borgo s’est interrogé sur les marges de négociation concernant le référendum britannique. Encore une fois, nous sommes totalement défavorables à l’idée du Brexit. À nos yeux, c’est l’intérêt de l’Union européenne que le Royaume-Uni reste en son sein, tout comme c’est l’intérêt du Royaume-Uni de rester au sein de l’Union européenne ! André Gattolin a mentionné les conséquences économiques très négatives d’une telle sortie.
Nous souhaitons que le Royaume-Uni précise ses demandes et que celles-ci soient compatibles avec les principes et les traités de l’Union européenne. Nous pensons en particulier qu’il est tout à fait possible de lutter contre les abus sociaux sans remettre en cause le principe de la liberté de circulation. Dans de nombreux domaines, des réponses peuvent être apportées aux interrogations qu’a soulevées le Royaume-Uni et qui sont d’intérêt commun pour l’ensemble des Européens : plus de simplification dans le fonctionnement de l’Union européenne, une amélioration du marché intérieur, de sa compétitivité. Dans ces domaines, nous sommes d’accord.
Le président de la commission des affaires européennes a raison : il ne faut pas réinstaurer de droit de veto dans des domaines où la codécision, c’est-à-dire la capacité d’avancer à la majorité qualifiée, a été décidée. En revanche, la différenciation est possible. C’est déjà la réalité. Il existe une Europe différenciée : certains pays participent à la monnaie commune et à Schengen, mais d’autres coopérations sont envisageables. Des coopérations renforcées peuvent être créées. C’est ce que nous allons faire dans le domaine de la taxe sur les transactions financières. D’autres pays ne participent pas à cette avant-garde européenne. Pour autant, cela n’induit pas un droit de veto sur le fonctionnement de la zone euro et sur la volonté de la majorité des États membres d’approfondir leur coopération.
Éric Bocquet est intervenu sur de nombreux sujets. Il va de soi que le PNR prendra en compte les garanties en matière de protection des données. D’ailleurs, une directive sur la protection des données est en cours d’adoption au sein de l’Union européenne. Nous ne sommes pas favorables aux politiques d’austérité. La France les a toujours combattues. Il faut stimuler la demande en même temps que l’offre, mener des réformes tout en soutenant des investissements. C’est le sens du plan Juncker. Il faut aussi que le pacte de stabilité soit interprété intelligemment ; c’est ce que nous avons toujours défendu.
Michel Delebarre a souligné à quel point il était important de maintenir les acquis de Schengen, l’acquis de la liberté de circulation et de bien utiliser tous les outils de coopération en matière de lutte contre le terrorisme, en particulier le système d’information de Schengen.
André Gattolin a insisté sur les risques d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et nous a exhortés à en examiner de près les conséquences. Nous ne nous plaçons pas dans cette hypothèse. En revanche, nous nous déterminons par nous-mêmes et nous travaillons avec nos partenaires, en particulier le président du Conseil européen, Donald Tusk, qui mène des consultations avec l’ensemble des États membres et avec le Premier ministre britannique, David Cameron.
M. le rapporteur général de la commission des finances a longuement évoqué les relations de l’Union européenne avec la Russie. D’une part, avec le vice-président de la Commission européenne chargé de l’Union énergétique, Maroš Šefčovič, nous suivons de manière très attentive le traitement du conflit gazier entre la Russie et l’Ukraine, pour faire en sorte que le conflit ne dégénère pas. D’autre part, nous suivons le dossier de la dette ukrainienne vis-à-vis de la Russie, qui porte sur des montants très importants, de l’ordre de 3 milliards d’euros.
À la suite du président de la commission des affaires européennes, je tiens à rappeler que les sanctions seront reconduites pour six mois. Depuis une décision du Conseil européen du mois de mars dernier, elles sont liées à une mise en œuvre complète des accords de Minsk. Tout le monde reconnaît que nous n’y sommes pas encore. Des retards ont été pris, notamment dans la réforme de la constitution, l’élaboration de la loi électorale qui doit être adoptée en Ukraine et l’organisation des élections dans le Donbass. Quelques mois supplémentaires sont donc nécessaires pour vérifier la pleine mise en œuvre de ces accords.
Il faudra aussi que l’Ukraine puisse récupérer le contrôle de sa frontière, que les armes lourdes aient été écartées et que les combats aient complètement cessé. On note une amélioration. Les accords de Minsk, grâce au format Normandie, ont permis des progrès. Par conséquent, à l’issue de leur mise en œuvre, nous souhaitons que les sanctions avec la Russie puissent être levées. Il faudra aussi que la Russie lève ses contre-sanctions à l’égard de l’Union européenne ; elles ont affecté nos agriculteurs. Des relations apaisées et normales doivent pouvoir s’établir entre l’Ukraine et la Russie, d’une part, et entre l’Union européenne et la Russie, d’autre part. La Russie est aussi un grand partenaire, notamment, mais pas seulement, dans la lutte contre le terrorisme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie des éléments que vous avez fournis au Gouvernement à la veille du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Débat interactif et spontané