Sommaire
Présidence de Mme Isabelle Debré
Secrétaires :
M. Claude Haut, Mme Colette Mélot.
3. Loi de finances pour 2016. – Suite de la discussion d’un projet de loi
Solidarité, insertion et égalité des chances
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales
Amendement n° II-152 de la commission. – Adoption par scrutin public.
Amendement n° II-192 de M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. – Adoption par scrutin public.
Adoption, par scrutin public, des crédits modifiés de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances
Suspension et reprise de la séance
Compte d’affectation spéciale : Contrôle de la circulation et du stationnement routiers
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial de la commission des finances, pour la sécurité civile
M. Alain Marc, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour la sécurité
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour la sécurité civile
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
Amendement n° II-256 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° II-282 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° II-286 de M. Yannick Vaugrenard. – Retrait.
Adoption des crédits modifiés de la mission « Sécurités ».
Article additionnel après l’article 62
Amendement n° II-281 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Compte d’affectation spéciale : Contrôle de la circulation et du stationnement routiers
Amendement n° II-324 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° II-174 de la commission. – Adoption.
Amendement n° II-172 de la commission. – Rejet.
Adoption des crédits modifiés du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
Article additionnel après l'article 63
Amendement n° II-175 de la commission. – Retrait.
Suspension et reprise de la séance
Immigration, asile et intégration
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la commission des finances
Mme Esther Benbassa, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l’asile
Amendement n° II-255 du Gouvernement. – Adoption.
Rejet des crédits modifiés de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Administration générale et territoriale de l’État
M. Hervé Marseille, rapporteur spécial de la commission des finances
Amendement n° II-252 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° II-278 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Adoption des crédits modifiés de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales
Compte d’affectation spéciale : Développement agricole et rural
M. Alain Houpert, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Gérard César, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
Mme Frédérique Espagnac, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales
Amendement n° II-280 rectifié de M. Michel Canevet. – Rejet.
Amendement n° II-295 de M. Daniel Gremillet. – Retrait.
Amendement n° II-279 rectifié de M. Michel Canevet. – Rejet.
Amendement n° II-294 de M. Daniel Gremillet. – Rejet.
Amendement n° II-285 de M. Michel Bouvard. – Non soutenu.
Rejet, par scrutin public, des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales »
compte d’affectation spéciale : développement agricole et rural
Adoption des crédits du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » figurant à l’état D.
Articles additionnels après l’article 63
Amendement n° II-296 de M. Daniel Gremillet. – Rejet.
4. Retrait d’une question orale
5. Communication du Conseil constitutionnel
compte rendu intégral
Présidence de Mme Isabelle Debré
vice-présidente
Secrétaires :
M. Claude Haut,
Mme Colette Mélot.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d’un document
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre l’état semestriel des sommes restant dues par l’État aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (article L.O. 111-10-1 du code de la sécurité sociale).
Acte est donné du dépôt de ce document.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales.
3
Loi de finances pour 2016
Suite de la discussion d’un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2016, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 163, rapport général n° 164, avis nos 165 à 170).
seconde partie (suite)
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Mme la présidente. Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
Solidarité, insertion et égalité des chances
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et article 63).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » regroupe les dépenses d’aide sociale de l’État à destination des personnes les plus fragiles de notre société, qu’il s’agisse des personnes à faibles revenus, des personnes porteuses de handicaps ou de celles qui sont placées sous un régime de protection juridique.
Ces dépenses s’élèveront à 18 milliards d’euros pour l’année 2016, un montant important mais, à mes yeux, parfaitement justifié puisqu’il permet, entre autres, d’assurer un revenu d’existence minimum aux personnes handicapées et de compléter les ressources des travailleurs modestes.
La mission « Solidarité » est marquée par de nombreux changements qui interviendront l’année prochaine.
Tout d’abord, elle prévoit les crédits de la future prime d’activité, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2016 et qui représentera une dépense de près de 4 milliards d’euros. Cette prime sera proche, dans son fonctionnement, de l’actuel RSA « activité », mais elle comportera un dispositif de ciblage sur les revenus compris entre 0,8 et 1,2 SMIC. Surtout, et c’est une bonne nouvelle, elle sera ouverte aux jeunes de moins de vingt-cinq ans, ainsi qu’aux étudiants et aux apprentis, sous certaines conditions de ressources.
Demeure, pourtant, une inconnue de taille : le nombre de personnes éligibles qui auront effectivement recours à cette prestation. Le Gouvernement a retenu l’hypothèse d’un taux de recours de 50 %, nettement supérieur à celui du RSA activité, qui était estimé à 32 %. Malgré les mesures de simplification annoncées, il est à craindre que le recours effectif ne soit nettement en deçà des prévisions, en particulier du fait qu’un grand nombre de personnes qui percevaient automatiquement la prime pour l’emploi, la PPE, devront désormais envoyer une déclaration trimestrielle de ressources afin de bénéficier de la prime d’activité. Le rapporteur général de la commission de finances, partant de ce constat, a déposé un amendement visant à amputer de 650 millions d’euros les crédits alloués à cette prime. Je considère, au contraire, qu’il convient de tout mettre en œuvre pour que le taux de recours soit le plus élevé possible. Madame la secrétaire d'État, quelles actions comptez-vous prendre en ce sens ?
Les dépenses entrant dans le périmètre de la présente mission sont vouées à augmenter, en raison, bien sûr, du contexte démographique et, surtout, économique.
En particulier, les dépenses relatives à l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, connaissent une progression importante depuis plusieurs années, liée à l’augmentation du nombre de bénéficiaires.
Afin de contenir cette progression, le Gouvernement avait fait le choix, hasardeux selon moi, de revoir les conditions de revalorisation de l’AAH et de prise en compte des revenus de ses bénéficiaires, afin d’y inclure les revenus du patrimoine non fiscalisés. Une telle réforme aurait permis de réaliser une économie de 90 millions d’euros, mais, face aux protestations des associations de personnes handicapées, ce projet a heureusement été abandonné. Réaliser des économies au détriment des personnes handicapées n’est pas acceptable à mes yeux. L’AAH n’est pas une allocation comme les autres, puisqu’elle vise à garantir un minimum de ressources à des personnes qui sont en incapacité de travailler.
Par ailleurs, je veux profiter de l’examen des crédits de cette mission pour dénoncer la situation actuelle de nombreuses personnes handicapées qui, faute de place en France, sont contraintes de partir pour la Belgique afin de trouver une solution d’accueil. Environ 6 000 personnes sont concernées, dont 1 500 enfants. Ce n’est pas par commodité géographique, mais bien par manque de places en France que ces personnes partent, puisque deux tiers d’entre elles viennent de la région parisienne et du reste de la France, et non de régions frontalières à la Belgique – au total, quarante-deux départements seraient concernés par ce phénomène. Chaque année, l’assurance maladie finance ces places à hauteur de 82 millions d’euros. Il vaudrait mieux utiliser cet argent pour financer des places en France, d’autant que, si l’on y ajoute les crédits des départements, le montant en jeu s’élève à 250 millions d’euros par an.
Lors d’un déplacement que j’ai effectué en Belgique, j’ai rencontré des responsables de l’Agence wallonne pour l’insertion des personnes handicapées, l’AWIPH, qui m’ont confirmé que certains établissements belges accueillent quasi exclusivement des personnes françaises et font du démarchage en France afin de « rentabiliser » leurs structures. C’est toute une économie qui s’est développée et qui cherche la rentabilité, au détriment, parfois, de la qualité.
Le Gouvernement a récemment annoncé la création d’un fonds d’amorçage, doté de 15 millions d’euros, pour éviter les départs vers la Belgique, ce qui paraît bien peu compte tenu des enjeux que je viens d’évoquer. Madame la secrétaire d'État, quelles actions le Gouvernement entend-il mettre en place en vue de mettre fin à cette situation ?
Pour terminer, le ministère des affaires sociales et l’administration déconcentrée seront marqués, comme les années précédentes, par une réduction des effectifs, à raison de 150 postes. La réforme de la carte territoriale conduira à diminuer le nombre de directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et des agences régionales de santé, sans que les conséquences budgétaires et humaines de cette restructuration soient pour l’instant ni connues ni estimées. Bien sûr, cela n’est pas sans soulever quelques inquiétudes dans les territoires…
Pour ces différentes raisons, j’avais émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission. La commission des finances a finalement décidé d’adopter ces crédits, tels que modifiés par l’amendement du rapporteur général que j’ai évoqué tout à l'heure, auquel, je le rappelle, je ne souscris pas.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j’insisterai, sans revenir sur la présentation générale des crédits qui a été parfaitement réalisée par notre collègue Éric Bocquet, sur les éléments de satisfaction et les craintes qui ressortent de l’examen de la mission par la commission des affaires sociales.
Notre satisfaction porte, en premier lieu, sur l’entrée en vigueur au 1er janvier 2016 de la prime d’activité. Il était temps de mettre fin à la coexistence des dispositifs imparfaits et mal articulés qu’étaient le RSA activité et la prime pour l’emploi. Pour autant, l’hypothèse d’une augmentation de dix-huit points du taux de recours par rapport à celui du RSA activité nous paraît optimiste, et les prévisions de dépenses – estimées à 3,95 milliards d’euros – par conséquent fragiles.
Pragmatique, le rapporteur général propose de diminuer l’enveloppe de 650 millions d’euros. Je partage son analyse pour 2016, année de « rodage » du dispositif, mais j’estime que des efforts substantiels doivent être déployés pour renforcer, à l’avenir, le taux de recours à la prime. Si le taux de 50 % doit être un objectif, il convient de mettre en place tous les moyens, notamment en matière d’information, pour l’atteindre.
La simplification du financement de la protection juridique des majeurs, la mise en œuvre de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine, dont le principe avait été fixé dès la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « loi DALO », et celle du fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées constituent d’autres éléments de satisfaction pour la commission des affaires sociales.
Dans le champ du handicap, ce sont les inquiétudes qui prédominent. L’épisode regrettable de la réforme avortée des règles de calcul de l’AAH, qui aurait mis en difficulté un grand nombre de bénéficiaires, traduit les hésitations du Gouvernement, qui n’ose pas prendre des mesures structurelles pour maîtriser la dépense, mais refuse dans le même temps d’abonder l’enveloppe à son juste niveau. Je crains que, une fois de plus, les prévisions – établies, pour 2016, à 8,5 milliards d’euros – ne se révèlent largement sous-évaluées concernant l’allocation aux adultes handicapés.
S’agissant des établissements et services d’aide par le travail, les ESAT, dotés de 2,75 milliards d’euros, la commission des affaires sociales partage l’analyse du Gouvernement concernant le transfert vers l’assurance maladie de leurs dépenses de fonctionnement. Il faut espérer que cette réforme, qui sera effective en 2017, soit l’occasion d’un renforcement de l’offre de places, aujourd’hui insuffisante.
Enfin, je ne peux que relayer les craintes exprimées devant moi, lors de tables rondes, concernant la charge de travail des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, charge difficile à assumer dans un contexte de stabilisation des moyens humains et financiers. L’article 21 bis du projet de loi relatif à la santé confie aux MDPH une mission de coordination nouvelle pour la mise en œuvre du dispositif d’orientation permanent. Afin qu’elles soient en mesure d’exercer cette tâche dans des conditions acceptables, la commission des affaires sociales a adopté, sur ma proposition, un amendement visant à augmenter de 10 millions d’euros leurs crédits de fonctionnement. (Mme Françoise Gatel applaudit.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, madame la secrétaire d'État, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en dépit des contraintes budgétaires que nous impose la conjoncture économique, les crédits alloués à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » sont préservés, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Cette année encore, la solidarité est au cœur des priorités du Gouvernement.
Conformément aux engagements que vous avez pris dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, madame la secrétaire d'État, les crédits de cette mission traduisent la mise en œuvre, au 1er janvier prochain, de la prime d’activité, dont nous avons soutenu la création lors de l’examen du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi. Cette nouvelle prestation, qui remplace la prime pour l’emploi et le RSA activité, permettra d’accompagner plus de 5,6 millions de travailleurs ne bénéficiant pas des prestations sociales les plus ciblées sur la pauvreté. C’est une excellente mesure, compte tenu du peu de lisibilité et de la complexité des dispositifs actuels ; notre collègue député Christophe Sirugue l’avait d'ailleurs bien montré dans le rapport qu’il a consacré à ce sujet.
Je tiens également à saluer la revalorisation exceptionnelle du revenu de solidarité active, qui a eu lieu en septembre dernier, à hauteur de 2 %, troisième étape de la revalorisation exceptionnelle du RSA de 10 % sur cinq ans.
Toujours dans le cadre du programme « Inclusion sociale et protection des personnes », je me réjouis de la mise en place de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine. Les chibanis, ces travailleurs venus du Maghreb pour participer, en France, à la reconstruction et à l’essor économique d’après-guerre, aujourd'hui retraités, vivent seuls, sans leurs proches, dans des foyers de travailleurs migrants et connaissent très souvent une situation difficile. N’ayant pas fait le choix, à l’époque, du regroupement familial, beaucoup d’entre eux, qui aspirent légitimement à retourner dans leur pays à l’âge de la retraite, n’ont pas les moyens économiques de le faire. La perte de certaines prestations sociales les contraint à rester en France.
La mise en place de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine est une mesure juste, tant sur le plan humain que sur celui de la solidarité. Elle permettra enfin à ces vieux travailleurs migrants d‘effectuer de longs séjours dans leur pays d’origine, sans perdre leurs droits. De 10 000 à 15 000 personnes devraient bénéficier de cette aide en 2016.
L’évolution des crédits du programme « Inclusion sociale et protection des personnes » est également marquée par le maintien du soutien à l’aide alimentaire.
Alors que s’est tenue ce week-end la collecte de la banque alimentaire et que s’ouvre aujourd’hui même la trente et unième campagne d’hiver des Restos du cœur, je tiens à rendre hommage à l’ensemble des bénévoles œuvrant au quotidien auprès des personnes les plus démunies.
Les associations assistent à un véritable raz-de-marée de la misère qui touche les enfants, les femmes, les familles, les jeunes, les personnes âgées, les travailleurs précaires... Aussi, je salue l’engagement du Gouvernement en faveur de l’aide alimentaire et note avec satisfaction que, dans le cadre de la feuille de route 2015-2017 du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, vous souhaitez vous attaquer au gaspillage alimentaire et développer les possibilités de dons en nature.
Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, je sais que vous avez lancé, en septembre dernier, un appel à projets pour développer les actions d’accompagnement des personnes en difficulté reçues dans le cadre des programmes d’aide alimentaire. Il me semble en effet important d’aller plus loin que la seule distribution de denrées alimentaires.
J’en viens enfin au programme « Handicap et dépendance » qui représente la plus grande concentration des crédits de la mission.
Madame la secrétaire d’État, je me félicite que le Gouvernement ait abandonné le projet de réforme du mode de calcul de l’allocation aux adultes handicapées ; c’est une sage décision ! Comme l’a rappelé M. le rapporteur spécial, l’AAH garantit un minimum de ressources à des personnes qui ne sont pas capables de travailler en milieu ordinaire. Cette réforme aurait eu d’importantes répercussions sur les ressources et la qualité de vie des personnes handicapées.
Je me félicite également de la mise en place d’un fonds d’amorçage de 15 millions d’euros visant à mettre fin à l’exode des personnes handicapées vers la Belgique, faute de structures adaptées en France. Actuellement, 4 500 adultes et 1 500 enfants sont hébergés en Belgique. Nous le savons, pour les proches de personnes handicapées, trouver un centre adapté en France relève du parcours du combattant. Les contraindre à partir hors de France n’est pas acceptable
Certes, ces 15 millions d’euros peuvent sembler insuffisants, comme l’a souligné M. le rapporteur spécial. Pour autant, madame la secrétaire d’État – et vous l’avez rappelé lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 –, ces 15 millions seront distribués aux agences régionales de santé les plus directement concernées pour permettre notamment d’ouvrir des places et de recruter du personnel. Vous avez par ailleurs affirmé que « si ces 15 millions d’euros sont rapidement dépensés, parce que le flux aura été arrêté, il y aura, bien évidemment, abondement de ce fonds. »
Sous réserve de l’adoption des amendements, la très grande majorité du groupe du RDSE, qui a pris le temps de bien examiner les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », se montre favorable à l’adoption de ces derniers.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la solidarité, l’insertion et l’égalité des chances, dans une république fraternelle où chaque citoyen doit non seulement pouvoir trouver sa place, mais aussi contribuer selon ses capacités à la réussite collective, sont des valeurs que le groupe UDI-UC défend avec conviction.
En ce sens, nous pouvons nous réjouir de la revalorisation de 16 % des crédits de cette mission. Nous saluons en particulier l’inscription de crédits pour aider à la réinsertion familiale et sociale des vieux travailleurs immigrés, que la publication du décret d’application d’une loi votée en 2007 a enfin permise.
Le transfert à l’État du financement de la protection juridique des majeurs est également une bonne chose, car il permet une simplification et une plus grande lisibilité du dispositif.
Les crédits destinés à la prévention et à la lutte contre la prostitution ont doublé, ce qui constitue une avancée positive dont nous nous réjouissons. Cependant, dans la mesure où ce fonds est notamment abondé par des transferts d’autres départements ministériels, nous serons vigilants à une pérennisation sur les prochains exercices budgétaires des crédits alloués.
À y regarder de plus près, madame la secrétaire d’État, nous restons, oserais-je dire, au milieu du gué. Certains crédits sont sous-dotés et ne tiennent pas leurs engagements.
Vous annoncez la mise en place de la prime d’activité, moins stigmatisante puisqu’elle sera considérée comme un complément de revenu et non plus comme un minimum social, et dont la procédure sera simplifiée. Le problème est que vous avez bâti votre réforme sur l’hypothèse d’un taux de recours de 50 %. Ce taux peut sembler faible, mais, eu égard au fait que le taux de recours actuel du RSA activité s’établit à 32 %, cette hypothèse semble optimiste.
En effet, même si la procédure à suivre pour la prime d’activité devrait être plus simple, elle s’effectuera sur une base déclarative trimestrielle, à l’instar des prestations que la prime d’activité a vocation à remplacer. Le taux de recours sera donc vraisemblablement beaucoup moins élevé que vos estimations.
De deux choses l’une, madame la secrétaire d’État : soit nous considérons que le taux de 50 % est vraisemblable, et les crédits sont alors sous-calibrés ; soit nous partons du principe que le taux de recours sera sensiblement similaire à ce qu’il était auparavant – au moins pour la première année – et, dans ce cas, les crédits sont surdotés.
La seconde hypothèse semblant la plus probable pour cette année, l’amendement de la commission des finances visant à diminuer de 650 millions d’euros les crédits pour l’année à venir se justifie pleinement dans un contexte de contraction budgétaire. Il conviendra néanmoins d’être vigilant quant à l’évolution de la montée en charge de cette prime d’activité pour les prochaines années.
Les crédits de l’allocation aux personnes handicapées sont stables pour 2016. Si l’on peut s’en réjouir dans un contexte budgétaire contraint, il convient de mettre les choses en perspective. Nous savons en effet que le nombre de bénéficiaires est en augmentation, alors que le budget, lui, reste constant. Dans ces conditions, il est aisé de comprendre que la dotation est largement sous-estimée. Un abondement supplémentaire de plus de 313 millions d’euros a d’ailleurs été prévu pour 2015, l’enveloppe initiale ayant été sous-estimée. On peut dès lors prédire que les crédits annoncés seront loin d’être suffisants.
Pour autant, madame la secrétaire d’État, nous nous réjouissons que vous ayez renoncé au projet de modification des modalités de calcul des ressources des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés qui prévoyait de prendre en compte les revenus du patrimoine non fiscalisés. Cette réforme, plus que douteuse, aurait abouti à une baisse notable de l’allocation mensuelle de 210 000 personnes dont beaucoup vivent déjà sous le seuil de pauvreté !
Le financement par l’État des maisons départementales des personnes handicapées est loin du compte. Leur activité, comme l’a rappelé mon collègue, ne cesse de croître, alors que leurs moyens tant humains que financiers stagnent. Les départements seront encore très sollicités, alors que chacun sait ici la précarité de leur budget.
Que dire également des ESAT, madame la secrétaire d’État ? Le nombre de places offertes dans ces établissements a été gelé. Il faut rappeler avec force que la population handicapée reste très éloignée du marché du travail : seuls 35 % des personnes âgées de quinze à soixante-quatre ans reconnues handicapées sont en situation d’emploi, contre 66 % pour l’ensemble de la population. En juin 2015, on comptait près d’un demi-million de personnes handicapées au chômage !
Face à ce constat alarmant et indigne, on ne peut admettre l’absence de places supplémentaires dans les ESAT, car la véritable égalité des chances, pour les personnes handicapées, se trouve dans l’accès à l’emploi, seul vrai levier d’intégration et d’autonomie. Les ESAT représentent en effet un mode fiable et très pertinent de réinsertion par l’emploi et l’accompagnement social nécessaire.
Il nous faut également soulever la question des personnes handicapées vieillissantes. Que deviennent les personnes sortant des ESAT ? Les départements, qui n’ont d’autre choix que de compenser le manque de financements, tentent, comme ils le peuvent, d’assurer cette prise en charge, non sans difficulté.
La plupart des personnes handicapées vieillissantes sont accueillies dans des établissements publics d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD. Mais nous savons tous que ces structures ne sont pas forcément adaptées.
L’avancée en âge des personnes handicapées pose une problématique à la fois nouvelle et majeure en termes d’accueil et de qualité d’accompagnement. Cette question nécessite un vrai projet de conception de structure spécialisée que les départements les plus pauvres ne pourront pas satisfaire.
Dans le domaine de l’insertion par le travail, les entreprises du secteur adapté sont également dans une situation préoccupante.
Certes, il convient de reconnaître – et nous le faisons bien volontiers – l’effort consenti par le Gouvernement à travers la création de 500 emplois supplémentaires. Mais soyons lucides, cet effort sera encore largement insuffisant. Le budget de la subvention spécifique n’évolue pas depuis plusieurs années, aboutissant de fait à une nouvelle diminution de l’intervention moyenne par salarié handicapé.
Madame la secrétaire d’État, faisant le constat que la situation du chômage des personnes handicapées n’a jamais été aussi compliquée et que le modèle de l’entreprise adaptée est une réponse très efficiente à cette situation, il paraît là aussi incontournable de réfléchir à un nouveau plan de développement du secteur adapté.
Vous prônez un discours d’égalité des chances, auquel nous adhérons ; mais si le dire est juste, le faire est encore plus nécessaire. Il faut poursuivre avec conviction, constance et force une véritable action pour garantir dignité et autonomie aux personnes les plus fragiles.
En conclusion, madame la secrétaire d’État, malgré ce bilan en demi-teinte, ainsi que la prudence requise sur certaines dépenses et les insuffisances de certains programmes, le groupe UDI-UC, prenant note des améliorations proposées, votera les crédits de cette mission. (M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis, applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui rassemble les dépenses indispensables à la vie quotidienne de nos concitoyens les plus fragiles, est un poste budgétaire prioritaire de la politique définie par le Président de la République et le Gouvernement.
Elle figure parmi les missions du budget de l’État connaissant l’augmentation la plus dynamique. Cette évolution résulte notamment du transfert des ressources affectées à la prime pour l’emploi dans le cadre de la création de la prime d’activité – nous y reviendrons.
La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » comporte quatre programmes, dont les crédits s’élèvent au total à 18,25 milliards d’euros.
À périmètre constant, les crédits de la mission sont entièrement préservés, puisqu’ils évoluent de 0,07 % entre 2015 et 2016, preuve s’il en est que ce projet de budget est à la fois solidaire et responsable.
Les crédits du programme 157 « Handicap et dépendance » s’élèvent à 11,6 milliards d’euros et représentent à eux seuls près de 65 % des crédits de la mission. Ce programme finance à titre principal l’AAH, cette aide financière majeure qui permet d’assurer un revenu d’existence aux personnes en situation de handicap.
Cette prestation sera revalorisée au 1er avril 2016 de manière harmonisée avec les autres minimas sociaux. Mais l’AAH n’est pas un minima social comme les autres : on sort malheureusement rarement de la situation d’adulte handicapé... C'est la raison pour laquelle je me félicite que le Gouvernement n’ait pas retenu la mesure consistant à élargir aux revenus non imposables des placements financiers, comme le livret A, par exemple, l’assiette des ressources prises en compte pour le calcul de l’allocation.
Je me félicite également du maintien des crédits d’incitation à l’activité professionnelle et des engagements en faveur des ESAT, même s’il est normal de regretter le gel de la création de places supplémentaires dans ces établissements.
Rappelons que le financement du fonctionnement des ESAT sera transféré en 2017 à l’assurance maladie avec pour objectif de mieux organiser les parcours des personnes en situation de handicap et de renforcer le nombre de places disponibles.
S’agissant des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, la participation de l’État à leur fonctionnement va continuer à croître – de l’ordre de 1,4 % en 2016.
Surtout, en lien avec la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, l’État cherche à encourager le développement de nouvelles méthodes de travail au sein de ces MDPH, ainsi que l’offre de solutions adaptées, de proximité, pour les personnes en situation de handicap.
Certaines mesures de la future loi de modernisation de notre système de santé viendront d’ailleurs renforcer cette volonté de permettre aux bénéficiaires, en lien avec les MDPH, de construire une réponse en phase avec leurs besoins, leurs projets de vie.
En l’espèce, il s’agira d’un plan d’accompagnement, à la fois global et individualisé, recensant l’ensemble des interventions requises dans un objectif d’inclusion des personnes handicapées. Les solutions proposées pourront être à la fois éducatives et de scolarisation, thérapeutiques, d’insertion professionnelle ou sociale, et même de soutien aux proches, aux aidants.
On doit également saluer la mise en place d’un fonds d’amorçage de 15 millions d’euros visant à créer des places d’accueil en France et à mettre ainsi progressivement fin aux départs contraints des personnes en situation de handicap vers des établissements étrangers, principalement belges.
Ces formes d’exils rendent encore plus difficiles et douloureuses des situations qui le sont déjà suffisamment. Notre pays ne peut plus se satisfaire de voir les plus fragiles – nos enfants –, contraints de partir loin de chez eux.
J’en viens au programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », lequel, avec 5,1 milliards d’euros, regroupe près de 28 % des crédits de la mission. Ces derniers sont destinés tout à la fois à la protection juridique des majeurs, d’ailleurs réformée, à l’accompagnement des jeunes et des familles vulnérables, à la qualification en travail social, à l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine et à l’aide alimentaire. Je souhaite pour ma part m’attarder sur la prime d’activité et les dispositifs destinés à notre jeunesse, que nous abordons au travers de l’article 63 rattaché.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a prévu le remplacement du revenu de solidarité active « activité » et de la prime pour l’emploi, la PPE, par la prime d’activité. Mise en œuvre au 1er janvier prochain, soit moins de six mois après le vote de la loi, cette prime devrait bénéficier à deux millions de foyers sur les quatre éligibles.
Cette nouvelle prestation a plusieurs ambitions. Tout d’abord, il s’agit d’encourager l’activité, en levant les freins monétaires, afin que la reprise d’une activité ne soit plus coûteuse, notamment en matière de garde d’enfants ou de frais de transport. Ensuite, la prime d’activité vise à redonner du pouvoir d’achat aux travailleurs les plus modestes, de façon simple et lisible, avec une prime mensuelle dont le montant sera stable et étroitement lié aux revenus d’activités des bénéficiaires. Enfin, le Gouvernement a souhaité ouvrir ce droit nouveau aux jeunes actifs qui ont des contrats précaires et des temps partiels mal rémunérés.
Oui, mes chers collègues, nous faisons le choix d’aider ceux qui en ont le plus besoin. Dans le contexte économique et social actuel, il est vraiment regrettable que la droite sénatoriale soutienne l’idée selon laquelle moins de 50 % des publics visés solliciteront la prime d’activité.
M. Philippe Dallier. Ce n’est qu’un constat !
Mme Corinne Féret. Ainsi, les auteurs des deux amendements déposés sur cette mission budgétaire voudraient nous faire croire que les 4 milliards d’euros affectés par le Gouvernement à la prime d’activité lui permettraient d’« afficher » son soutien aux plus modestes, « tout en sachant que la dépense réellement engagée sera inférieure à ce montant ».
Non, la prime d’activité et les crédits inscrits pour la financer au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » ne sont pas de simples mesures d’affichage !
Nous faisons le pari d’accroître significativement le taux de recours à cette aide par rapport à celui du RSA activité, qui est actuellement autour de 32 %. En effet, nous avons simplifié les démarches et procédures par rapport au RSA activité, nous avons gommé tout effet stigmatisant pour les bénéficiaires et, surtout, nous avons l’ambition de faire davantage connaître aux Français les aides auxquelles ils ont droit.
S’agissant de la jeunesse, qui fait l’objet de l’article 63 rattaché, notre volonté est la même : aider celles et ceux, en l’espèce les 18-25 ans en grande précarité, à s’installer dans la vie active.
Au-delà du RSA destiné aux jeunes actifs, nous faisons le pari des contrats donnant-donnant. Avec la Garantie jeunes, en contrepartie d’une aide financière équivalant au RSA, le jeune s’engage pendant un an à suivre rigoureusement la démarche organisée pour lui par une mission locale. Lancé sur dix territoires pilotes à la fin de 2013, ce dispositif concernera 72 départements en cette fin d’année, pour atteindre un public de 45 000 jeunes. En 2016, la Garantie jeunes sera généralisée à tout le territoire, pour concerner 100 000 jeunes à la fin de 2017.
L’article 63 rattaché permettra, via le Fonds national des solidarités actives, le FNSA, le financement par l’État, en lieu et place des conseils départementaux, des dépenses de RSA versées aux jeunes actifs, et ce de façon permanente à compter de 2016. Le surcoût pour l’État est estimé à 14 millions d’euros.
Rappelons que, contrairement au dispositif de droit commun qui prévoit un partage du financement du RSA entre les départements et l’État, l’intégralité du RSA versé aux jeunes est prise en charge par le FNSA, sur la base de dispositions temporaires votées annuellement dans le cadre des lois de finances.
En ces temps difficiles, où nous avons le devoir de renforcer la cohésion nationale et de veiller à notre jeunesse, les socialistes font le choix d’aider les jeunes déscolarisés, sans emploi ni formation, souvent très isolés. Nous donnons un caractère pérenne, et non plus temporaire, au financement par l’État des dispositifs qui leur sont consacrés.
Pour conclure sur ce programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », je tiens à rappeler que, pour la première fois dans notre pays depuis 2007, la pauvreté recule, de manière toujours insuffisante, certes, mais elle recule, et c’est grâce à l’action du Gouvernement.
Compte tenu du temps qui m’est imparti, je terminerai mon intervention en présentant plus brièvement les deux derniers programmes.
Le programme 124 concerne l’ensemble des moyens de fonctionnement des administrations participant à la mise en œuvre des politiques sanitaires et sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dans notre pays. Il s’agit avant tout d’un grand programme support, auquel nous devons demeurer attentifs, afin de ne pas remettre en cause les missions confiées à ces administrations aux niveaux central et déconcentré.
La nouvelle organisation territoriale qui se dessine doit nous inviter à réfléchir à la question des moyens donnés à l’ensemble des acteurs de la solidarité et de la cohésion territoriales. Aucun territoire – je pense en particulier à nos campagnes – ne doit être laissé de côté. La période difficile que nous vivons doit surtout nous encourager, vous en conviendrez, mes chers collègues, à consolider tout ce qui peut contribuer au « vivre ensemble ».
En tant que membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, j’ai plaisir à conclure mon allocution en évoquant les crédits du programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes ». Ils s’élèveront à près de 27 millions d’euros, en hausse de 7 % par rapport à l’an dernier. Ces crédits traduisent la volonté du Gouvernement d’agir pour les droits des femmes. En effet, nous ne pouvons nous résoudre à voir la parité encore si peu respectée et les différences de salaires perdurer, j’oserais même dire s’institutionnaliser.
Nous continuerons à soutenir les actions conduites par les associations chargées de la promotion et de la défense des droits des femmes, de l’égalité professionnelle et de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Ce programme abondera également le fonds consacré aux victimes de la traite des êtres humains et à l’insertion des personnes prostituées, tel qu’il est prévu dans le projet de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, que nous adopterons bientôt.
Mes chers collègues, pour toutes les raisons que je viens de développer, programme par programme, le groupe socialiste et républicain votera avec conviction les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en pleine crise économique et sociale, alors que le chômage et la pauvreté résistent dramatiquement, les dispositifs financés par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » sont d’une extrême importance pour lutter contre l’exclusion et la pauvreté.
Je soulignerai tout d’abord les points très positifs de ce budget. Certains de mes collègues l’ont noté avant moi, l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens travailleurs migrants, le Fonds pour la prévention de la prostitution et la hausse du budget en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, que nous saluons et qui devrait permettre des actions utiles et nécessaires, sont à souligner.
Je veux ensuite exprimer mon trouble concernant un point important à nos yeux. Il ne nous semble pas acceptable de pallier les manques d’un budget en transférant des crédits d’un programme à un autre et en pariant sur le non-recours aux droits. Parce que nous ne nous inscrivons pas dans une telle logique, nous voterons contre les amendements qui, je le répète, tendent à tabler sur un non-recours aux droits pour financer d’autres dispositifs absolument fondamentaux.
Je partage les inquiétudes exprimées par plusieurs collègues concernant l’insuffisance des dotations en faveur de l’allocation aux adultes handicapés. Je rejoins tout ce qui a été dit s’agissant des difficultés actuelles de ce secteur manifestement sous-doté, qui concerne plus d’un million de personnes en France.
Toutefois, il n’est pas possible de spéculer sur le fait que les personnes extrêmement pauvres, découragées et perdues dans les méandres administratifs, renoncent à leurs droits. Il nous semble, au contraire, qu’il faudrait multiplier les efforts de lutte contre le non-recours, avec des mesures concrètes. Je pense notamment à la mise en place des rendez-vous des droits par la Caisse nationale des allocations familiales, pour tenter d’enclencher un mécanisme de simplification.
Madame la secrétaire d’État, je veux vous dire ma colère devant l’inutilité, depuis plus de deux ans, de mes nombreux appels au Gouvernement pour organiser l’accès aux droits des plus pauvres. Non seulement on n’avance pas en la matière, mais on spécule sur les difficultés, ce qui ne me paraît vraiment pas normal ! Pourtant, dans certains domaines, on a réussi à mettre en place des mesures de simplification, notamment en direction du public et des entreprises.
Puisqu’il semble y avoir des problèmes concernant l’accès à la prime d’activité, pourquoi le Gouvernement n’essaie-t-il pas de les analyser et, surtout, de supprimer la complexité des démarches à effectuer ?
Le non-recours aux droits, ce n’est qu’une économie à court terme, qui satisfait des visions uniquement budgétaires. On sait très bien qu’une telle donnée ne peut pas être une variable d’ajustement, sauf à partager une vision court termiste. En effet, les dégâts sanitaires, sociaux et humains sont tout simplement différés, ce qui débouche sur des dépenses bien plus importantes dans les années suivantes.
En outre, affirmer d’emblée que le budget voté ne sera pas exécuté trouble nos repères républicains. On n’a pas à afficher ce genre de démarches dans la période actuelle.
J’évoquerai plus rapidement, car je l’ai déjà fait en commission, le budget du programme « Économie sociale et solidaire ». Je regrette qu’il ne puisse pas être examiné, au moins pour avis, par la commission des affaires sociales. En effet, l’ESS représente une part importante de l’économie française, puisque les entreprises de ce secteur créent un emploi sur cinq en France. En outre, ses enjeux sociaux et de solidarité sont fondamentaux.
Nous aurions ainsi eu l’occasion de faire un bilan annuel de l’affectation des sommes à ce secteur, afin de savoir ce qu’il peut apporter à la nation. C’est une chose importante, qu’il conviendrait de prévoir dans le cadre du projet de loi de finances que nous examinerons l’année prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il y a un domaine où l’effort de la nation ne doit pas faiblir, c’est bien celui de la solidarité.
Les crédits de cette mission augmentent de 2,5 milliards d’euros, notamment en raison de la création de la prime d’activité, créée par la loi relative au dialogue social et à l’emploi du 17 août dernier, qui vise à remplacer l’ancienne prime pour l’emploi et le RSA activité. Je voudrais donc tout d’abord évoquer cette nouvelle prime, puisque 2016 sera la première année de son fonctionnement.
Diverses études ont conclu à l’intérêt de fusionner deux prestations qui n’atteignaient pas pleinement leurs objectifs. La philosophie ayant poussé notre majorité à créer le RSA est maintenue avec la prime d’activité, ce dont je me réjouis : celle-ci repose en effet sur l’incitation à la reprise d’un emploi, en venant compléter les revenus des personnes aux ressources modestes, si celles-ci travaillent. Comme le RSA activité, la prime d’activité se déclenchera dès le premier euro de revenu d’activité.
Une évaluation sera nécessaire dans les prochains mois, pour observer si les écueils des précédents dispositifs sont évités.
Le RSA activité souffrait d’un taux important de non-recours, puisque deux tiers des personnes éligibles ne bénéficiaient pas de son soutien. La prime pour l’emploi, quant à elle, présentait l’inconvénient de saupoudrer la dépense publique sans guère améliorer le niveau des revenus, le montant moyen étant de 400 euros par an, soit 33 euros par mois.
Si le principe qui préside à la création de la prime d’activité satisfait notre groupe, j’émettrai cependant plusieurs réserves.
Tout d’abord, cette nouvelle prestation fera des perdants, dont le nombre est estimé à 824 000. Elle pose en effet un problème majeur : la prime d’activité remplace un crédit d’impôt, la prime pour l’emploi, pour lequel le taux de recours était par principe de 100 %, ce qui n’est pas le cas du RSA activité. Les perdants de la réforme seront donc nombreux parmi les ménages recevant actuellement la PPE, soit parce qu’ils ne seront pas éligibles à la prime d’activité, soit parce qu’ils ne feront pas la démarche nécessaire pour la percevoir.
Il convient également de noter que les étudiants qui travaillent et qui pouvaient bénéficier de la PPE ne seront éligibles à la prime d’activité que si leurs revenus professionnels excèdent 0,78 SMIC. Cette condition est nouvelle et exclut un grand nombre d’entre eux.
De plus, et surtout, je voudrais dénoncer l’affichage politique qui consiste à annoncer des crédits de 4 milliards d’euros pour le financement de la prime d’activité, alors que ce montant repose sur une estimation manifestement fausse. Les prévisions reposent sur l’hypothèse d’un taux de recours à la prime d’activité de 50 %, alors que le taux de recours du RSA activité n’est aujourd’hui que d’environ 32 %.
Certes, le Gouvernement compte prendre des mesures d’information et de simplification des procédures. Cependant, une montée en charge aussi rapide et importante n’est guère envisageable. Le Gouvernement affiche donc un soutien de 4 milliards d’euros aux revenus d’activité modestes, tout en sachant que la dépense réellement engagée sera inférieure à ce montant.
En conséquence, notre groupe soutiendra l’amendement présenté par la commission des finances, qui vise à diminuer de 650 millions d’euros les crédits consacrés à la prime d’activité.
S’agissant toujours du RSA, et même si cette question ne concerne pas le présent budget, je dirai quelques mots du RSA socle. La dépense liée à son financement connaît une forte progression, évaluée par l’Assemblée des départements de France à 9 % par an depuis 2012.
Selon l’ADF, le reste à charge des départements s’élèverait à 3,3 milliards d’euros en 2014 et à 4 milliards d’euros en 2015. Cette hausse est liée à l’augmentation de 23 % du nombre de bénéficiaires du RSA socle entre 2010 et 2014 et à trois revalorisations de 2 % chaque année en 2013, 2014 et 2015.
Les départements sont contraints de financer une prestation sur laquelle ils ne disposent d’aucun levier, puisqu’ils ne fixent ni les conditions d’éligibilité ni les montants versés. L’ADF a donc demandé la recentralisation du financement du RSA.
M. Philippe Dallier. Très bonne idée !
Mme Catherine Troendlé. Un groupe de travail entre l’État et les départements a été créé sur ce thème en juillet dernier. Il doit rendre un rapport au premier trimestre 2016. Madame la secrétaire d’État, seriez-vous déjà en mesure de nous communiquer certaines de vos conclusions après les premiers échanges ?
Je souhaite enfin évoquer le programme dédié à la politique du handicap et de la dépendance, sujet particulièrement important en matière de solidarité. Je relève deux difficultés.
La précédente majorité avait fortement revalorisé, à hauteur de 25 %, l’AAH, l’allocation aux adultes handicapés, sur la période 2008-2012. Par la suite, les dotations des lois de finances initiales pour 2014 et pour 2015 se sont révélées insuffisantes. Dans son rapport du 24 juin 2015, la Cour des comptes a estimé que le risque d’insuffisance de dotation pour le financement de l’AAH était de l’ordre de 300 millions d’euros en 2015.
Les dépenses relatives au versement de l’AAH paraissent largement sous-budgétées. En effet, alors que le nombre d’allocataires continuera d’augmenter, les montants inscrits dans le budget sont stables par rapport à ceux de l’année dernière. Je me réjouis donc que le Gouvernement, sous la pression des associations, ait abandonné son projet de prendre en compte, pour le calcul de l’AAH, les ressources des bénéficiaires.
Cette décision a permis d’augmenter de 90 millions d’euros les crédits du programme « Handicap et dépendance ». Je rappelle que l’AAH est de 807 euros, alors que le seuil de pauvreté est de 977 euros par mois.
Je dirai un mot également des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH. Là encore, les départements sont largement mis à contribution pour financer le fonctionnement de ces structures, dans un contexte de baisse importante de leurs dotations. Ces problèmes de financement affectent la qualité des services rendus : les MDPH consacrent une énorme part de leur temps à effectuer des tâches administratives, sans avoir toujours les moyens d’offrir aux personnes handicapées et à leurs proches l’accompagnement dont ils ont besoin.
L’article 21 bis du projet de loi de modernisation de notre système de santé prévoit la création d’un plan d’accompagnement global destiné à éviter les ruptures de parcours, sans qu’aucun soutien financier ne soit engagé à cet effet.
Les directeurs des MDPH ayant fait part de leur inquiétude, notre rapporteur pour avis, M. Philippe Mouiller, s’est emparé de ce sujet et a déposé un amendement tendant à augmenter les crédits du programme de 10 millions d’euros.
Notre vote sera donc conditionné par l’adoption des deux amendements respectivement présentés par M. le rapporteur général de la commission des finances et par M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
L’adoption de ces amendements nous semble essentielle, d’une part, pour rétablir la sincérité des comptes, et, d’autre part, pour envoyer un message fort aux familles de personnes handicapées, dont la vie s’apparente trop souvent à un véritable parcours du combattant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la progression des crédits de cette mission, essentiellement due à celle des dotations de la prime d’activité, ne peut masquer l’insuffisance de ce budget au regard des politiques de solidarité nécessaires.
La principale mesure nouvelle de ce projet de loi de finances est le remplacement de l’ancienne PPE, qui était directement déduite de l’impôt sur le revenu, et du RSA activité, par la prime d’activité.
Malgré la campagne d’information menée par le ministère des affaires sociales, il est à craindre que de nombreux bénéficiaires de la PPE ne fassent pas la démarche de demande de la prime d’activité. L’importance du non-recours est d’autant plus probable qu’au nombre des obstacles au recours, les faibles montants versés aux personnes en fin de droits s’ajoutent aux démarches administratives de déclaration des ressources.
Toutefois, le groupe CRC ne partage pas la position du rapporteur général de la commission des finances, qui propose de réduire de 650 millions d’euros les crédits dédiés à cette prime, afin de tenir compte de la réalité du taux de recours, actuellement estimé à 32 % pour le RSA activité. Vous conviendrez, mes chers collègues, que cette proposition manque franchement d’ambition, pour ne pas dire plus, puisqu’elle parie sur un non-recours à des droits ouverts !
En outre, il importe de revoir le financement et de recentraliser la gestion de cette prestation, qui relève de la solidarité nationale. Depuis 2004, en effet, les départements gèrent et financent le versement du RSA, mais aussi les dépenses d’insertion. Avec la crise, cette compétence est devenue leur premier poste de dépense.
En 2014, ils ont versé 9,8 milliards d’euros ; ce chiffre a presque doublé en dix ans. Or l’État n’a compensé ces frais qu’à hauteur de 6,4 milliards d’euros, laissant aux collectivités un reste à charge croissant. Pour le département du Val-de-Marne, que je connais le mieux, cette non-compensation représente 92,5 millions d’euros. Cette saignée des départements doit cesser !
Mes chers collègues, la mission de solidarité de l’État est d’autant plus importante que, en 2013, quelque 8,6 millions de personnes, soit 14 % de la population, vivaient en France sous le seuil de pauvreté.
Dès lors, nous devons mettre en place de nouveaux dispositifs de soutien, à l’image de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine. Nous soutenons cette mesure prise en faveur des Chibanis.
Les dotations du programme « Handicap et dépendance », quant à elles, connaissent une quasi-stagnation. Elles ont certes failli diminuer, puisque le Gouvernement avait initialement prévu de modifier les critères de calcul de l’allocation aux adultes handicapés, ce qui aurait conduit à pénaliser 210 000 allocataires de l’AAH à taux plein. Devant le tollé suscité par cette injustice, il a fort heureusement dû se ressaisir, comme l’a souligné notre rapporteur spécial Éric Bocquet. Il importe désormais que les différentes barrières d’âge en matière de droit à compensation soient supprimées, comme la loi du 11 février 2005 l’avait déjà prévu.
Toujours s’agissant du handicap, les efforts sont également trop mesurés en matière de financement des établissements et services d’aide par le travail, les ESAT. Nous en avons beaucoup débattu au sein de la commission des affaires sociales.
La participation de l’État progresse de 8,5 millions d’euros seulement, alors que le nombre de places est gelé depuis 2012. Ce gel, l’instauration de tarifs plafonds et le transfert, prévu pour 2017, du financement des dépenses de fonctionnement vers l’assurance maladie fragilisent l’équilibre financier des ESAT.
Nous nous inquiétons du faible investissement de l’État dans ces structures, au moment même où, en raison d’un manque de places d’hébergement spécialisé, quelque 6 000 personnes handicapées françaises sont prises en charge dans des établissements situés en Belgique.
Le Gouvernement, conscient de ce problème, a lancé pour y remédier, en octobre 2015, un plan d’aide de 15 millions d’euros, mais, selon l’UNAPEI, l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis, 47 000 personnes handicapées seraient en attente de placement en France. Nous sommes donc loin du compte : le développement de solutions de proximité doit faire l’objet de moyens accrus, afin de répondre aux besoins des personnes handicapées.
C’est pourquoi, bien que nous soyons favorables au renforcement des moyens des maisons départementales des personnes handicapées, qui sont chargées de gérer les différents dispositifs à l'échelon local, nous nous abstiendrons sur l’amendement présenté par notre collègue Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, qui vise en effet, à enveloppe constante, à opérer un simple transfert de moyens.
Cette mission, au travers du programme 137, prévoit également l’augmentation de 6,6 % des crédits destinés à la promotion de l’« égalité entre les femmes et les hommes », avec la création d’un fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées, abondé à hauteur de 2,8 millions d’euros. Nous soutenons totalement la création de ce fonds et resterons vigilants, afin que les moyens nécessaires soient effectivement au rendez-vous.
Je regrette que les crédits de cette mission ne permettent pas de lutter de façon plus percutante en faveur de l’égalité professionnelle. Je salue néanmoins le fait que les entreprises de plus de 50 salariés qui ne respectent pas leurs obligations en la matière soient privées d’accès à la commande publique.
Toutefois, est-ce trop que demander, au XXIe siècle, que les lois sur l’égalité salariale soient enfin appliquées ? Je rappelle que, comme l’a montré une étude de l’INSEE publiée en 2008 et portant sur les salaires versés en 2007, quelque 124 milliards d’euros par an, dans le secteur privé, ne sont pas versés aux femmes, pour la simple raison qu’elles sont des femmes ! Cela représente, selon la même étude, quelque 52 milliards d’euros de cotisations en moins pour le budget de la sécurité sociale. Lorsque l’on cherche de nouvelles sources de financement, on en trouve !
Enfin, le Gouvernement réduit encore les dépenses de personnel de la direction générale de la cohésion sociale et des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, ainsi que la contribution de l’État au fonctionnement des agences régionales de santé.
La fédération des centres sociaux et socioculturels de Bretagne nous a alertés sur les conséquences des baisses de moyens. Alors que ces centres bénéficiaient, jusqu’à présent, d’une dotation du ministère des affaires sociales, celle-ci sera désormais gérée par la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative du ministère de la ville, ce transfert étant au passage agrémenté d’un coup de rabot de 700 000 euros.
Le budget de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » permet certes d’intervenir auprès des plus fragiles, mais il ne nous donne pas les moyens de réduire significativement les inégalités sociales.
Pour cette raison, notre groupe votera contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tâcherai, au cours des vingt minutes que vous m’attribuez, de répondre à quelques-unes des questions soulevées à la fois au sein de votre commission des finances et ici même aujourd’hui.
S’agissant, tout d’abord, de la situation des personnes handicapées françaises en Belgique, qui n’est pas nouvelle, une première étape, comme le rappelle le rapport spécial de la commission des finances, a été l’entrée en vigueur, en 2014, de l’accord-cadre signé entre la France et la Wallonie.
Cet accord permet de contrôler, par des audits conjoints, la qualité de l’hébergement, de l’accueil et de l’accompagnement dans les établissements belges. Je proposerai prochainement que des règles soient également instituées, afin d’interdire le démarchage publicitaire des familles, des associations et des départements au profit de ces établissements situés en Belgique.
Marisol Touraine et moi-même avons pris l’engagement de donner la priorité aux réponses de proximité sur le territoire français, afin qu’aucune orientation vers la Belgique ne soit plus subie.
Néanmoins, l’accueil des personnes handicapées ne donne pas simplement lieu à un système de vases communicants. Malgré l’ouverture, chaque année, de 4 000 nouvelles places en France, on compte toujours 6 000 personnes hébergées dans des structures belges : 1 500 enfants et 4 500 adultes.
La raison en est simple : il s’agit d’un problème d’organisation. Lorsqu’une maison départementale des personnes handicapées oriente un patient vers ce genre d’établissements, elle se contente d’ouvrir un droit : c’est à la famille de trouver une place dans sa région. Ni les maisons départementales des personnes handicapées ni les agences régionales de santé ne peuvent imposer à un établissement l’accueil d’une personne. Celui-ci est libre d’accepter ou non un candidat, en fonction de son handicap et de son profil.
Vous le savez, certains types de handicaps entraînent des troubles du comportement. Or peu d’établissements sont volontaires pour accueillir les publics concernés. Ce sont donc essentiellement ces personnes – certes, il peut aussi y en avoir d’autres – qui sont orientées vers la Belgique. Notre objectif est d’arrêter ce flux.
L’article 21 bis du projet de loi de modernisation de notre système de santé, dont il a déjà été fait mention, donne aux maisons départementales du handicap le pouvoir de construire des solutions d’accompagnement global pour toutes les personnes sans solution. Nous pourrons ainsi réorienter les crédits « assurance maladie » vers les agences régionales de santé de la région du candidat à partir des demandes de financement adressées en Belgique, avec l’accord de la famille, afin de construire une solution sur mesure, par exemple une extension de places dans un établissement existant.
Les 15 millions d’euros que nous consacrerons dès 2016 correspondent donc bien à un fonds d’amorçage. Le cas échéant, celui-ci pourra être abondé par des moyens complémentaires. Cela permettra de soutenir les établissements qui, ayant une place disponible, auront besoin de recevoir des renforts, compte tenu de la complexité de la situation de la personne, mais également de procéder à des créations ou à des extensions de places sur mesure, en fonction des attentes. La création de places sera nominative, pour la personne qui aurait dû être orientée en Belgique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite de l’initiative du président de votre commission des affaires sociales, M. Alain Milon, de mettre en place un groupe de travail sur le sujet. Cela vous permettra d’évaluer la situation et de formuler des propositions. En effet, je suis preneuse de toutes vos idées.
Le transfert des établissements et services d’aide par le travail, les ESAT, à l’assurance maladie était fortement attendu par les acteurs du secteur. En effet, ces établissements sont aujourd'hui financés par le budget de l’État, alors que le financement de l’ensemble des autres établissements ou services d’accueil et d’accompagnement des personnes handicapées relève de l’assurance maladie.
Un transfert des crédits de l’État vers l’assurance maladie est prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Il s’opérera progressivement, à compter de 2017.
Une telle mesure était réclamée par les gestionnaires et les associations de personnes handicapées. Elle permettra aux différents types d’établissements gérés par un même organisme de bénéficier d’un seul financeur. Cela ouvrira la possibilité de mieux adapter les ressources au sein des établissements en fonction des parcours des personnes handicapées, de favoriser les passerelles entre différents types d’établissements, d’aider à l’accès et au maintien en milieu ordinaire et de soutenir le parcours des personnes handicapées vieillissantes.
En effet, comme cela a été souligné, il faut faciliter le travail à mi-temps ou à temps partiel pour les personnes handicapées vieillissantes qui sont toujours en ESAT, à partir de quarante-cinq ans ou de cinquante ans. Le système global permettra d’adapter les parcours des personnes.
Je le rappelle, l’objectif fixé par le Président de la République est d’ouvrir le milieu ordinaire aux personnes handicapées.
Soyons clairs : on ne résoudra pas le chômage des personnes handicapées – quelque 460 000 personnes sont concernées – par l’ouverture de nouvelles places en ESAT. En effet, chaque année, plusieurs dizaines de milliers de personnes se retrouvent sans travail à la suite d'un licenciement ou du fait de leur invalidité ; elles ne correspondent donc absolument pas au profil des personnes qui travaillent en ESAT. Il y a un contingent important des personnes handicapées sans travail du fait d’un problème de santé, d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail lorsqu’elles avaient un emploi, de troubles musculo-squelettiques…
Il me paraît important d’y réfléchir avec les partenaires sociaux. Nous devons envisager la reconversion de toutes ces personnes vers des métiers qu’elles peuvent exercer malgré les accidents du travail, les maladies professionnelles ou le handicap. C’est tout l’enjeu de la table ronde qui se tiendra au ministère du travail avec ma collègue Myriam El Khomri et les partenaires sociaux. Nous espérons aboutir à des accords de branche. Si nous voulons une société inclusive, nous devons favoriser l’ouverture du milieu ordinaire aux personnes handicapées !
Bien entendu, je suis consciente que les personnes handicapées ne pourront pas toutes travailler en milieu ordinaire. Toutefois, nombre d’entre elles en ont la capacité. Globalement, notre société doit s’ouvrir plus aux personnes handicapées.
C’est le sens de la politique que nous menons. Nous voulons aussi favoriser les ESAT « hors les murs », c'est-à-dire l’accompagnement, par du personnel médico-social, au sein des entreprises, pour que le milieu ordinaire s’ouvre. Il y a bien une compensation du handicap, mais ces personnes travaillent à l’extérieur des ESAT.
Je souhaite ajouter quelques précisions sur les personnes handicapées vieillissantes, qui ont été placées en priorité dans la circulaire budgétaire relative au financement adressée aux agences régionales de santé l’an dernier ; ce sera encore le cas pour 2016. Nous faisons remonter les multiples expériences du terrain.
Comme cela a été rappelé, un certain nombre de personnes handicapées vieillissantes vont en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, c'est-à-dire en maisons de retraite. Néanmoins, il y a aussi énormément de foyers d’accueil médicalisés qui ouvrent des places pour les personnes handicapées vieillissantes, sur des crédits de l’assurance maladie.
Faisons remonter les expériences du terrain ! Je ne suis pas favorable à la création de nouvelles obligations, ce qui réduirait le champ des possibles. En revanche, il faut peut-être donner de nouvelles recommandations pour généraliser les pratiques. Ce sera l’objet du travail qui sera effectué en 2016.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été nombreux à vous exprimer sur la budgétisation de la prime d’activité. Je vous répondrai plus précisément lors du débat sur les amendements.
Le nouveau dispositif devrait bénéficier dès 2016 à 2 millions de foyers, sur 4 millions de foyers éligibles correspondant à 5,6 millions de personnes. Parmi celles-ci, un million de jeunes seront éligibles à la prime d’activité. Je vous rappelle que 5 000 jeunes seulement percevaient le RSA activité. C’est donc un progrès énorme pour les jeunes.
Avec cette prime d’activité, nous faisons le pari d’un effet de levier : soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs modestes pour lever les freins à l’emploi. Nos concitoyens nous le disent : prendre ou reprendre une activité salariée, cela coûte de l’argent ! Il faut payer les transports ou la garde de son enfant, on doit payer des transports... En plus, les aides sociales diminuent, ce qui est normal quand le revenu augmente.
La prime d’activité doit y suppléer. Cet effet de levier est rendu possible par les montants élevés de la prime. L’enveloppe consacrée à la réforme permettra de redonner une dynamique à ce soutien aux salariés modestes.
Au SMIC, un travailleur isolé pourra toucher plus de 100 euros par mois, contre seulement quelques euros avec le RSA activité. Or, comme c’était seulement quelques euros, les travailleurs ne faisaient pas l’effort de demander le RSA activité, qui correspondait à une démarche très compliquée pour un bénéfice insuffisant. Avec la prime d’activité, ce sera différent : plus de 100 euros par mois de gain pour un travailleur au SMIC.
Nous faisons le pari d’une amélioration des taux de recours par rapport au RSA activité, grâce aux progrès apportés par la prime.
J’en conviens, c’est un pari ambitieux : le taux de recours est de 32 % pour le RSA activité ; nous parions qu’il sera porté à 50 % en moins d’un an. Cependant, notre analyse est réaliste : une fois qu'il sera allocataire de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, le demandeur n’aura qu’à indiquer ses revenus du trimestre en ligne ou via une application spéciale pour les smartphones. Ce ne sera plus tous les mois ; ce sera figé pour trois mois. Il y aura donc moins d’indus.
Le salarié pourra connaître en quelques clics le montant de sa prime, figé pour trois mois, et la date du prochain versement. Nous allons mettre en place une communication ambitieuse. Les caisses d’allocations familiales préparent des outils permettant de toucher les bénéficiaires potentiels, c'est-à-dire tous ceux qui étaient au RSA activité, mais elles examinent aussi s’il peut y avoir des bénéficiaires au sein de leurs publics.
Un simulateur dédié sera en ligne dès le mois de décembre prochain sur le site des caisses d'allocations familiales, afin que chacun puisse savoir s’il a droit au dispositif et dans quelle mesure. Il y aura des mails ciblés des caisses d'allocations familiales et des kits de communication de la CNAF à destination des associations, pour leur permettre d’informer les personnes qui viennent les voir.
En outre, il y aura une information générale dans les formulaires de déclaration d’impôts qui seront envoyés au début de l’année 2016. La case « prime pour l’emploi » n’existera évidemment plus. Les publics concernés seront avisés que, la prime pour l’emploi n’existant plus, ils doivent penser à demander leur prime d’activité. L’information s’adressera donc bien à l’ensemble des Français. Ensuite, chacun pourra se rendre sur le site de la caisse d'allocations familiales et utiliser le simulateur, puis le service d’inscription en ligne.
Simplification, dématérialisation, communication très développée, droits figés pour trois mois… Nous ne manquons pas d’instruments pour réussir notre pari ambitieux : arriver à 50 % de recours pour la prime d’activité.
Je le répète, la lutte contre le non-recours est une priorité du Gouvernement. Telle est ma feuille de route. Tel est l’objet du plan d’action en faveur du travail social que j’ai présenté voilà quelques semaines en conseil des ministres avec Marisol Touraine.
Moi aussi, je souhaite supprimer la complexité ! Tout le Gouvernement œuvre en ce sens. Il y a même une secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Dans ce cas, nous sommes sauvés ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Nous simplifions beaucoup, notamment dans les MDPH.
Toutefois, je vous le dis très franchement, je ne peux pas supprimer cinquante ans de complexité de l’administration française en quelques mois ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
De surcroît, quand les prestations sociales ont des bases de ressources différentes, le fait de simplifier oblige à prendre la même base de ressources pour toutes les prestations sociales ; il y a donc nécessairement des perdants. Telle est la réalité ! Nous ne pouvons donc pas avancer à marche forcée sur de tels sujets. Il faut agir avec précaution, car le souhait du Gouvernement n’est évidemment pas qu’il y ait des perdants en matière de prestations sociales.
Pour autant, comme je l’ai annoncé dans le plan d’action en faveur du travail social, je ne renonce pas au dossier unique des prestations sociales. Nous y travaillerons, et nous réussirons. C’est essentiel pour améliorer le système actuel.
La question du RSA socle et de l’éventuelle recentralisation a été abordée. Je le rappelle, une mission parlementaire a été confiée au député Christophe Sirugue. Elle travaillera sur l’ensemble des prestations sociales. Comment simplifier ? Comment lutter encore plus efficacement contre le non-recours ? À cet égard, je vous indique que je suis preneuse de propositions concrètes et simples. Certains disent inlassablement qu’il faut « simplifier ». J’aimerais qu’ils nous fassent part de leurs idées ; nous les analyserons ! D’ailleurs, nous reprenons et nous mettons en œuvre celles qui nous sont soumises par les directeurs de MDPH.
Je laisserai les parlementaires faire leur travail sur le RSA socle et l’éventuelle recentralisation, mais il est clair qu’une recentralisation de l’attribution du RSA soulèverait deux problèmes. D’une part, certaines recettes dynamiques actuellement allouées aux départements seraient forcément recentralisées. D’autre part, la délivrance de l’allocation aurait lieu à l’échelon central, quand toutes les politiques d’insertion se trouvent à l’échelon départemental.
C’est pourquoi travaillent à la fois le groupe de travail entre l’Assemblée des départements de France et le Gouvernement – vous y avez fait référence – et la mission parlementaire, dont nous connaîtrons les conclusions à la fin du premier trimestre de 2016. Nous pourrons alors débattre de nouveau de ce sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense avoir abordé l’essentiel des sujets sur lesquels j’ai été interrogée. Je vous ferai connaître l’avis du Gouvernement sur les amendements une fois que leurs auteurs les auront présentés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Solidarité, insertion et égalité des chances |
18 341 556 139 |
18 351 875 727 |
Inclusion sociale et protection des personnes |
5 139 863 821 |
5 139 863 821 |
Handicap et dépendance |
11 687 551 252 |
11 687 551 252 |
Égalité entre les femmes et les hommes |
26 957 660 |
26 957 660 |
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative |
1 487 183 406 |
1 497 502 994 |
Dont titre 2 |
730 728 293 |
730 728 293 |
Mme la présidente. L'amendement n° II-152, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier comme suit les crédits du programme :
(en euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes |
0 |
650 000 000 |
0 |
650 000 000 |
Handicap et dépendance |
0 |
0 |
0 |
0 |
Égalité entre les femmes et les hommes |
0 |
0 |
0 |
0 |
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative |
0 |
0 |
0 |
0 |
TOTAL |
0 |
650 000 000 |
0 |
650 000 000 |
SOLDE |
- 650 000 000 |
- 650 000 000 |
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi, au nom de la commission des finances. Je supplée M. le rapporteur général de la commission des finances, qui ne peut être présent ce matin, pour présenter cet amendement, qui a déjà été abondamment évoqué par tous les orateurs et qui vise la prime d’activité.
Le Gouvernement a inscrit 3,95 milliards d’euros au sein de la mission. Il s’agit ici de réduire de 650 millions d’euros ces crédits. Pourquoi ? J’entends les uns et les autres se plaindre des conditions d’accès à la prime d’activité. Les plus modestes ne savent notamment pas encore bien revendiquer leurs droits, ni comment établir leur dossier. Mme la secrétaire d'État affirme que le dispositif sera simplifié, mais s’empresse de préciser deux minutes après qu’il se saurait être question en une année d’abolir cinquante ans de complexité administrative, ce que je lui accorde bien volontiers.
C’est pourquoi la commission des finances n’adhère pas à la prévision budgétaire de 3,65 milliards d’euros du Gouvernement, estimant qu’il n’est pas sérieux d’envisager un taux de recours de 50 % à la prime d’activité alors que le taux de recours au RSA activité est de 32 %. Les quelques réformes purement techniques envisagées pour permettre un accès plus facile à la prime d’activité ne peuvent en aucun cas légitimer une telle hausse de 32 % à 50 % en un an. Plus exactement, il eût fallu une réforme beaucoup plus complète, y compris en ce qui concerne les méthodes, les moyens et les capacités d’accès à cette prime.
La commission des finances préfère retenir un taux de recours à la prime d’activité égal à celui du RSA activité, soit 32 %, et propose de réduire en conséquence les crédits alloués de 650 millions d’euros, ce qui ne vous empêchera pas, madame la secrétaire d’État, si jamais vous réalisiez des miracles durant l’année, de demander ensuite des crédits supplémentaires. En tout état de cause, ne pas tenir compte de la réalité et surbudgéter n’aurait aucun sens.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Il n’est pas très simple de prévoir un budget, surtout lorsqu’il s’agit d’une prestation nouvelle. Dans cet hémicycle, quand il s’agit de prévision, soit ce n’est pas assez, soit c’est trop ! Il serait utile de trouver le juste milieu.
M. Jean-Claude Requier. C’est nous ! (Sourires.)
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Le Gouvernement table sur un taux de recours plus important pour la prime d’activité que pour le RSA activité, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il n’y aura plus d’effet stigmatisant. Le RSA activité était une allocation. Or chacun sait à quel point, dans le climat actuel, la dénomination de certaines prestations peut être stigmatisante.
Mme Catherine Troendlé. Parler d’activité n’a rien de stigmatisant !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Certaines personnes ne souhaitaient pas demander le RSA activité, car cette aide portait le nom de RSA.
En outre, le montant de la prime d’activité sera plus élevé. Les gens seront donc plus motivés.
Je précise que l’hypothèse de 50 % de taux de recours correspond à un nombre de personnes. Le taux relatif à la masse financière est, lui, de 66 %. Pourquoi ? Tout simplement parce que les premiers demandeurs seront évidemment ceux qui auront droit au niveau de prime le plus élevé – les gens vont rarement à la CAF pour quelques euros de plus.
En résumé, la prime d’activité sera moins stigmatisante, plus élevée et la procédure d’accès sera simplifiée, même si nous n’arriverons jamais à un niveau de simplification idéal, je vous l’accorde, monsieur Karoutchi. Le formulaire de demande sera à 100 % dématérialisé, le renouvellement sera trimestriel, alors qu’il était mensuel jusqu’à présent, et le dispositif sera très allégé, puisqu’il ne comprendra que les revenus d’activité et de remplacement, contrairement au RSA, qui comprenait tous les revenus.
Nos prévisions nous paraissent donc justes, mais encore une fois il s’agit de prévisions au sujet d’une nouvelle prestation. J’encourage donc le Sénat à adopter la voie du juste milieu.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Je trouve cet amendement de la commission des finances particulièrement inacceptable. Tous les ans, on nous dit que le taux de recours aux primes d’activité est faible. On s’interroge alors. Comment se fait-il que nous ne cherchions pas à l’améliorer ? Pourquoi les droits ne sont-ils pas perçus ? Cette prime est-elle bien utile ?
Or, lorsque le Gouvernement propose, comme c’est le cas aujourd'hui, un taux de recours bien meilleur, même si nous pourrions préférer un taux proche des 100 %, la majorité sénatoriale répond qu’il faut diminuer les montants budgétaires prévus ! Le procédé n’est pas correct.
Mieux vaut penser que le Gouvernement atteindra l’objectif fixé et que la prime d’activité trouvera son public. Mme la secrétaire d’État vient de nous le dire : tout sera mis en œuvre afin d’assurer la bonne information de nos concitoyens. Le minimum que nous soyons en droit d’attendre est que le Gouvernement s’engage en prévoyant une augmentation du taux de recours !
De surcroît, la réduction proposée par la commission des finances, qui s’élève à 650 millions d’euros, est dérisoire par rapport aux 50 milliards d’euros d’économies que la majorité sénatoriale voudrait faire !
Mme Catherine Troendlé. Il n’y a pas de petites économies !
M. Claude Raynal. Ayons foi dans le dispositif et votons les montants nécessaires, d’autant que les prévisions du Gouvernement pourront être légèrement dépassées, comme l’a souligné Mme la secrétaire d’État. Je ne voudrais pas que l’on nous accuse à la fin de l’année de demander des crédits supplémentaires : vous seriez alors les premiers à nous reprocher d’avoir sous-budgété de dispositif !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Ne faisons pas dire à cet amendement ce qu’il ne dit absolument pas ! Je le précise notamment à l’intention de nos collègues du groupe CRC, qui ont l’air de nous reprocher de chercher à réduire l’enveloppe.
Il s’agit ici de dépenses de guichet auxquelles l’État devra faire face. La seule question qui se pose à nous est donc de savoir quelle sera la somme nécessaire en 2016. Personne ici, et surtout pas sur nos travées, ne propose de réduire les montants individuels.
Pourquoi envisager une telle prévision, alors le taux de 50 % semble très ambitieux ?
Mme la secrétaire d’État affirme que certaines personnes ne réclameraient pas le RSA de peur d’être stigmatisées. Voilà vingt ans que je suis maire d’une commune en Seine-Saint-Denis. J’ai malheureusement rencontré énormément de demandeurs d’emploi allocataires du RSA. Un grand nombre d’entre eux, effectivement, connaissait peu leurs droits, voire pas du tout. Toutefois, jamais aucun n’est venu me dire : « J’ai droit au RSA, mais je ne le demande pas de crainte d’être stigmatisé ! » Si de tels cas existent, ce ne peut être que dans des proportions infinitésimales.
Le principal souci est donc, à mon sens, le très grand manque d’information. Les moyens télématiques et informatiques mis en place par le Gouvernement changeront peut-être la donne, mais, compte tenu des publics visés, il faudra alors déployer des efforts considérables. Il ne me paraît donc pas utile d’inscrire des crédits aussi importants que ceux qui sont proposés aujourd'hui.
Cher collègue Raynal, nous pourrions vous renvoyer la balle. Nous évoquerons les dépenses de guichet demain soir, et j’imagine que vous serez présent. Prenez l’aide personnalisée au logement ou APL. Il y en a pour 15 milliards d’euros de crédits budgétaires. Or nous savons tous qu’il faudra des crédits supplémentaires, peut-être entre 300 et 500 millions d’euros, qui n’y sont pas ! (M. Roger Karoutchi opine.)
Il serait donc judicieux de trouver une bonne mesure, afin d’estimer au plus juste toutes les dépenses de guichet. Après tout, notre principal objectif, surtout au sein de la commission des finances, n’est-il pas la sincérité budgétaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Après l’excellente intervention de mon collègue Philippe Dallier, je serai bref.
J’aurai certainement l’occasion de dire cet après-midi que les crédits de ma mission sont sous-budgétés, et ce depuis des années. Or la sincérité budgétaire nous commande de ne pas sous-budgéter ni surbudgéter. Au contraire, notre mission est de dresser l’état des lieux exact des dépenses !
Madame la secrétaire d’État, depuis plusieurs années, de nombreuses mesures de simplification ont vu le jour pour améliorer le taux de recours au RSA. Ce taux est actuellement de 32 %. Qu’allez-vous pouvoir inventer comme campagnes tout à fait étonnantes et détonantes pour passer d’un seul coup de 32 % à 50 % ? Vous reconnaissez d’ailleurs vous-même qu’une telle proposition est tellement ambitieuse qu’elle est moyennement crédible.
Comme l’a souligné Philippe Dallier, dans la mesure où il s’agit d’une dépense de guichet, inscrivons les sommes qui ont été consommées cette année. S’il faut des crédits supplémentaires, ce sera un joli succès pour vous, et nous ne vous mégoterons pas une rallonge. En attendons, conformons-nous à la sincérité budgétaire et ne cédons pas à un effet d’affichage.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je souscris à ce que mes collègues viennent de dire. Le groupe UDI-UC votera cet amendement.
Nous ne doutons pas de l’intention du Gouvernement, même si celui-ci n’a pas le monopole du cœur. Toutefois, dans un contexte budgétaire contraint, il convient de faire preuve de réalisme, de pragmatisme et de bon sens. En dehors de l’affichage politique, quelle nécessité y a-t-il à prévoir une telle surenveloppe, alors que nous devons par ailleurs gérer le budget avec beaucoup de prudence ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.
Mme Aline Archimbaud. Notre groupe votera contre cet amendement, car ses auteurs raisonnent à l’envers.
M. Roger Karoutchi. Vraiment ?
Mme Aline Archimbaud. Il est totalement désespérant d’afficher comme objectif que deux personnes sur trois ayant droit à la prime d’activité ne la demanderont pas en 2016.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas un objectif, c’est une réalité !
Mme Aline Archimbaud. Vous prétendez que c’est pour aider d’autres personnes elles-mêmes en difficulté. C’est opposer les uns aux autres nos concitoyens dans le besoin ! Un tel raisonnement n’est pas acceptable. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, d’être aussi déterminée dans votre ambition de permettre aux personnes ayant droit à cette prime d’y avoir accès.
Je reçois moi aussi de nombreuses personnes résidant en Seine-Saint-Denis. Elles me font régulièrement part de l’énorme difficulté qu’elles éprouvent à remplir les dossiers en raison de la complexité incroyable de ces derniers. C’est pour elles un véritable parcours du combattant. Mme la secrétaire d’État affiche sa détermination : soutenons-la !
J’entends qu’il faut faire face à cinquante ans de pesanteur, mais le Parlement peut tout à fait inverser la tendance et dire que cela suffit ! En effet, la désespérance de nos concitoyens nourrit tous les extrémismes. L’amertume, l’aigreur, le sentiment que les lois ne sont pas pour eux : c’est ce qu’expriment tous les jours les Français. On sait à quelles catastrophes cela aboutit.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. J’approuve cet amendement de la commission des finances, défendu avec beaucoup de passion par Roger Karoutchi.
Tout budget, quel qu’il soit, comporte un caractère prévisionnel – c’est le cas pour le budget de l’État, mais c’est aussi le cas pour celui d’une collectivité territoriale. Il est certain qu’une baisse de 650 millions d’euros est considérable. Toutefois, il ne faut pas oublier la nécessaire sincérité budgétaire.
Enfin, dans le rapport – je salue d’ailleurs le travail et l’engagement du rapporteur spécial –, la prime d’activité est qualifiée d’« inconnue budgétaire ». La notion d’incertitude est donc bien présente !
Compte tenu de la réalité financière, nous sommes toutes et tous responsables de l’argent public. Il me paraît donc raisonnable de nous rallier à l’amendement de la commission des finances.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. On ne peut pas souscrire à ce qui relève d’une manœuvre budgétaire.
Le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales le sait, vous vous êtes engagés globalement et politiquement, chers collègues de la majorité sénatoriale, à réaliser des économies à hauteur de 100 milliards d’euros – certains parlent de 120 milliards d’euros, d’autres de 150 milliards d’euros. Tel est, en tout cas, le discours public du groupe Les Républicains.
Il y a quelques jours, dans cet hémicycle, vous avez engagé de nouvelles dépenses à hauteur de 600 millions d’euros environ, qui vont plutôt bénéficier aux couches aisées. Et, aujourd’hui, vous voulez faire payer nos concitoyens les moins aisés ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Pas du tout !
Mme Nicole Bricq. C’est cela, votre manœuvre !
Il faut apprécier les comptes publics globalement, en prenant en compte la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances.
M. Philippe Dallier. C’est ce que nous faisons !
Mme Nicole Bricq. Alors que nous examinons le projet de budget, vous vous payez au travers de cet amendement de la commission des finances. La manœuvre est très grossière. Vous ne nous ferez pas avaler cela ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je l’avais dit lors de la discussion générale, il est pour le moins cynique – le mot est faible, mais je n’en trouve pas d’autre – d’ouvrir des droits tout en misant sur le fait que les personnes susceptibles d’en bénéficier ne les utiliseront pas.
M. Philippe Dallier. Inscrivez 100 % de la somme, alors !
Mme Laurence Cohen. On marche sur la tête ! Depuis le début de l’examen du projet de financement de la sécurité sociale et du présent projet de loi de finances, c’est la même logique de restriction budgétaire et d’enveloppe contrainte qui est à l’œuvre.
Or cette logique ne s’applique pas à tout le monde, car des cadeaux très généreux sont faits aux plus aisés et au grand patronat, sans aucune compensation. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Pour les personnes en grande difficulté, en revanche, vous prévoyez des artifices visant à prendre d’un côté et à donner de l’autre, soi-disant pour équilibrer les comptes. Nous ne partageons ni cette philosophie ni cette logique. Je le répète, nous sommes contre cette mesure.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° II-152.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 78 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
L’amendement n° II-192, présenté par M. Mouiller, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(en euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes |
10 000 000 |
10 000 000 |
||
Handicap et dépendance |
10 000 000 |
10 000 000 |
||
Égalité entre les femmes et les hommes |
||||
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
||||
TOTAL |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. Cet amendement a pour objet le financement par l’État des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH.
La contribution de l’État au fonctionnement des MDPH prévue dans le projet de loi de finances s’élève à 67,6 millions d’euros, une enveloppe qui inclut 10 millions d’euros en provenance de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA.
Nous le constatons, les MDPH, dont je salue la qualité du travail qu’elles effectuent dans les départements, sont dans une situation difficile et manquent de moyens pour réaliser leurs missions correctement. Nous saluons bien entendu toutes les mesures de simplification qui ont été lancées pour pallier cette lourdeur administrative. Nombre d’efforts ont été faits en ce sens, notamment par le Gouvernement et la CNSA. Il n’en demeure pas moins qu’il y a beaucoup de retard dans l’instruction des dossiers.
Les directeurs de MDPH sont très inquiets à la perspective de l’entrée en vigueur de l’article 21 bis du projet de loi de modernisation de notre système de santé. Cet article représente, certes, un véritable progrès pour la prise en charge des personnes handicapées, ce dont il faut se féliciter. Néanmoins, encore faut-il avoir les moyens de le mettre en œuvre !
Nous proposons donc d’abonder de 10 millions d’euros le budget alloué aux MDPH, afin qu’elles puissent réellement se préparer à la mise en application, prévue pour 2017, de l’article 21 bis du projet de loi relatif à la santé.
Dans cette phase de transition, durant laquelle la simplification est mise en place et l’outil informatique revu, les MDPH lancent un appel. Au-delà de l’aspect financier, c’est un message important à destination des acteurs du monde du handicap et des familles.
Mme Nicole Bricq. Et comment payez-vous ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Troendlé. Pourquoi demandez-vous cela, madame Bricq ?
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. Il ne s’agit pas d’une économie budgétaire. En effet, au sein du budget global de la mission, le présent amendement vise à tenir compte de la sous-consommation probable des crédits relatifs à la prime d’activité inscrits à l’action Prime d’activité et autres dispositifs du programme « Inclusion sociale et protection des personnes », pour renforcer à hauteur de 10 millions d’euros la contribution de l’État au fonctionnement des MDPH, inscrite à l’action « Évaluation et orientation personnalisée des personnes handicapées » du programme « Handicap et dépendance ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Roger Karoutchi, au nom du la commission des finances. Je ne suis que le modeste supplétif de M. le rapporteur général, madame la présidente... (Sourires.)
La commission des finances est favorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. Je m’exprime à titre personnel, puisque l’amendement n’a pas été examiné en commission. On y retrouve le raisonnement rencontré pour l’amendement précédent : il s’agit de spéculer sur un taux de non-recours. Je ne donc peux pas suivre nos amis de la majorité sénatoriale.
Mme la secrétaire d’État a affiché l’intention de faire évoluer le taux de recours. Or cela fait quatre années que je fais, en tant que rapporteur spécial, ce constat qui me mine, et je me refuse à le faire à nouveau l’an prochain. Nous allons donc suivre avec beaucoup de vigilance l’évolution de cette nouvelle prime d’activité.
Spéculer sur la sous-consommation de droits, que l’on dit « très probable », alors que nul n’en sait rien – 32 %, c’est un constat, 50 %, un objectif –, ce n’est pas acceptable. Je salue le volontarisme du Gouvernement, mais, encore une fois, nous ferons l’état des lieux dans un an.
Je ne voterai pas cet amendement inspiré par la même philosophie que le précédent, même si les montants ne sont pas comparables : 650 millions d’euros d’un côté, 10 millions d’euros de l’autre. Ne souhaitant pas soutenir ce type de réponse, je m’abstiendrai.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Cette proposition a deux aspects. Il s’agit, d’une part, de récupérer 10 millions d’euros sur la prime d’activité : le Gouvernement y est, bien sûr, défavorable. Il est question, d’autre part, des MDPH. Sur ce point, je crois que nous visons le même objectif.
Les MDPH ayant énormément de travail et étant très sollicitées, il est normal que le Gouvernement veille de près à leur financement ; j’y suis, pour ma part, très attentive. Je vais donc vous donner des éléments très précis sur les montants alloués à ces maisons, chaque année, par l’État et par la CNSA.
La loi de finances initiale pour 2015 prévoyait une contribution de l’État aux MDPH à hauteur de 56,8 millions d’euros. Ce montant a été abondé, en cours d’exercice, de 10 millions d’euros supplémentaires. Dans la mesure où il s’agit d’une dotation pérenne, la contribution de l’État a donc atteint 66,8 millions en 2015.
Les MDPH bénéficient aussi de la dotation de la CNSA, dont le montant initialement prévu pour la même année s’élevait à 64 millions d’euros. Lors du conseil d’administration de la CNSA qui s’est tenu en juillet dernier, un abondement supplémentaire de 4,2 millions d’euros a été adopté du fait des recettes dynamiques enregistrées par la Caisse, que nous avons volontairement fléchées vers les MDPH. La dotation de la CNSA en faveur de ces maisons s’élevait donc, en 2015, à quelque 68,2 millions d’euros, qui s’ajoutent à la dotation de l’État.
Qu’en est-il pour 2016 ? La contribution de l’État en faveur des MDPH s’élèvera à 67,8 millions d’euros, ce qui représente une hausse de ce financement de l’ordre de 1,5 %. Par ailleurs, la dotation de la CNSA reste inchangée, à hauteur de 68,2 millions d’euros, mais il est tout à fait possible qu’un abondement intervienne en cours d’année, comme cela s’est produit en 2015.
Cet abondement, ce n’est pas à moi de vous l’annoncer. C’est le conseil d’administration de la CNSA qui, en fonction du dynamisme des recettes de la Caisse, décidera éventuellement d’y procéder.
Par ailleurs, s’agissant de la simplification, vous avez souligné, monsieur le rapporteur pour avis, qu’un certain nombre de mesures avaient été prises : l’allongement de la durée de versement de l’allocation aux adultes handicapés, celui de la durée de validité des certificats médicaux, la dématérialisation intervenue entre les MDPH et les caisses d’allocations familiales.
D’autres mesures suivront. J’ai ainsi demandé aux directeurs des MDPH de me faire des propositions au cours du mois de décembre prochain, car nous souhaitons proposer un nouveau train de dispositions de simplification dès le début de 2016, toujours dans le même esprit d’allégement du travail administratif des MDPH.
En effet, notre objectif est que les MDPH puissent œuvrer davantage en faveur de l’accompagnement des familles. Je vous rappelle à cet égard, monsieur le rapporteur pour avis, puisque vous avez exprimé votre inquiétude quant à l’application de l’article 21 bis du projet de loi de modernisation de notre système de santé, que l’application dudit article ne sera généralisée à l’ensemble des MDPH que dans un an, à la fin de 2016. Nous avons donc encore le temps de poursuivre le travail de simplification administrative, avant la généralisation de ces plans.
À la lumière de tous ces éléments, il ne paraît pas opportun de transférer aux MDPH quelque 10 millions d’euros des crédits de la prime d’activité.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Il y a du progrès : après les 650 millions d’euros du premier amendement, la ponction n’est ici que de 10 millions d’euros ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Plus sérieusement, chers collègues de la majorité sénatoriale, nous comprenons ce que vous souhaitez faire, au travers de cet amendement, pour les MDPH. Toutefois, ce besoin de 10 millions d’euros n’est pas avéré. Mme la secrétaire d'État a évoqué l’abondement réalisé en 2015 ; il pourrait être réitéré en 2016 à partir de la dotation de la CNSA et du budget. Nous en sommes donc à 130 ou 135 millions d’euros. Aussi, pourquoi ce montant de 10 millions d’euros ? Nous ne le savons pas ! C'est une hypothèse que vous sortez de votre chapeau, mais qui ne nous convainc pas.
Ensuite, sur le fond, nous sommes renvoyés à la discussion que nous venons d’avoir sur la prime d’activité. Ces 10 millions d’euros sont payés sur la prime d’activité.
Pour les mêmes raisons que celles que nous avons données précédemment, nous ne voterons pas l’amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. S’il ne s’agissait que d’augmenter les crédits affectés aux MDPH, je voterais allègrement la proposition qui nous est faite. Depuis leur mise en place, en effet, la participation des départements n’a cessé d’augmenter, proportionnellement à celle de l’État. C'est un véritable sujet de réflexion, sur lequel il nous faudra bien nous pencher un jour.
Le problème vient du prélèvement. On nous a dit que c’était une dépense de guichet et que, par conséquent, cela n’avait pas d’importance, on pouvait l’augmenter autant que l’on voulait. Si c’est de cette façon qu’on mesure la sincérité d’un budget primitif, je ne m’y retrouve pas ! Les dépenses de guichet sont des dépenses qui s’imposent. Or, qu’il s’agisse d’une collectivité ou de l’État, on retrouve les dépenses de fonctionnement d’une année sur l’autre, puisqu’elles sont quasiment obligatoires. Aussi a-t-on intérêt à les cerner le mieux possible, ne serait-ce que pour la sincérité du budget et son applicabilité.
Après le vote de l’amendement précédent, le budget de la prime d’activité est diminué de 650 millions d’euros. On nous demande maintenant, au travers de ce second amendement, d’ôter 10 millions d’euros supplémentaires. Au total, ce sont donc bien 660 millions d’euros qui vont être retirés ! Je ne comprends pas bien le raisonnement, d’autant qu’on affiche l’ambition que cette nouvelle mesure profite à davantage de bénéficiaires. Il y a là une incompatibilité.
Au travers de cet amendement, s’exprime une volonté d’affichage d’une petite économie, totalement dérisoire par rapport au budget de l’État et surtout parfaitement injustifiée. Je ne me rallierai donc pas à cette proposition.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° II-192.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission des finances est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 79 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 136 |
Le Sénat a adopté.
Nous allons procéder au vote des crédits, modifiés, de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 80 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 139 |
Le Sénat a adopté les crédits de la mission.
J’appelle en discussion l’article 63, qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Solidarité, insertion et égalité des chances
Article 63
I. – À l’avant-dernier alinéa du I de l’article L. 262-24 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, après le mot : « actives », sont insérés les mots : « finance l’allocation de revenu de solidarité active versée aux personnes mentionnées à l’article L. 262-7-1. Il ».
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2016. – (Adopté.)
Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. J’informe mes collègues membres de la commission des finances que nous nous réunirons dès la suspension de la séance, dans notre salle de travail habituelle, pour examiner les amendements extérieurs sur les missions.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à quatorze heures dix.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
Sécurités
Compte d’affectation spéciale : Contrôle de la circulation et du stationnement routiers
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Sécurités » et du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
La parole est à M. Philippe Dominati, rapporteur spécial.
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des finances, pour la gendarmerie nationale et la police nationale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est aujourd’hui confrontée à une situation d’une gravité exceptionnelle. Avant toute chose, je souhaite saluer l’efficacité et le courage de nos forces de l’ordre. Leur mobilisation exceptionnelle a permis non seulement de secourir les Parisiens le soir du 13 novembre dernier et de multiplier les interpellations et les perquisitions, mais aussi de sécuriser de nombreux lieux sensibles sur tout le territoire.
Ces attaques terroristes bouleversent la hiérarchie des préoccupations de nos concitoyens. Il ne fait aucun doute que les attentats du 13 novembre vont placer le terrorisme en première place. Toutefois, ces attaques bouleversent également l’examen budgétaire de la mission « Sécurités », qui a déjà connu plusieurs rebondissements.
Il faut le rappeler, avant même le 13 novembre dernier, l’année 2015 était déjà exceptionnelle à double titre pour nos forces. D’une part, elle l’était du fait de la hausse de la menace terroriste ; de nombreux commentateurs l’ont souligné après les attaques de janvier dernier, la France est l’un des pays d’Europe les plus touchés par le phénomène des « combattants étrangers » partis pour la Syrie et pour l’Irak – au passage, je vous rappelle que le pays qui en compte le plus en proportion de sa population est la Belgique.
D’autre part, parallèlement à cela, les forces de sécurité intérieure sont également confrontées à une crise migratoire de grande ampleur. Si la situation de la France n’a rien de comparable avec celle que connaissent les pays de première entrée, la sécurisation de certains points de passage et le démantèlement des filières nécessitent une mobilisation exceptionnelle. Pour ne donner qu’un chiffre, 1 125 agents mobiles supplémentaires ont été déployés à Calais, en complément des forces locales. Cette situation a d’ailleurs donné lieu à un premier amendement du Gouvernement adopté à l’Assemblée nationale et visant à financer la création de 900 postes dans le cadre du « plan migrants ».
Pourtant, force est de constater que, avant les récents attentats, le Gouvernement n’avait pas tiré toutes les conséquences de cette crise exceptionnelle. Je souhaite ainsi revenir quelques instants sur le budget « Sécurités » tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale.
Ce budget prévoyait une hausse de seulement 0,9 % des crédits de cette mission. À titre de comparaison, ils ont augmenté, en exécution, de 3,5 % en 2009, de 2,6 % en 2011 et de 2 % en 2013. Par ailleurs, dans le projet de budget pour 2016, le Gouvernement propose une progression de 4,4 % du budget de la culture.
En ce qui concerne les effectifs, la hausse prévue pour 2016 était de 1 632 postes, que l’on pourrait comparer aux 10 850 postes qui seront créés dans l’enseignement scolaire.
Toutefois, ma principale critique est relative à l’équilibre entre les dépenses de personnel et les crédits d’investissement et de fonctionnement. Disons-le simplement : ce que Bercy a donné en dépenses de personnel, il l’a repris en fonctionnement et en investissement.
Une comparaison entre l’exécution budgétaire de 2009 – avec 244 304 équivalents temps pleins travaillé, ou ETPT – et les crédits demandés pour 2016 – avec 244 420 ETPT, soit 116 de plus – montre ainsi que, avec des effectifs comparables, les moyens de fonctionnement et d’investissement sont inférieurs, en 2016, de plus de 330 millions d’euros. La part des dépenses de personnel au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » atteint ainsi un niveau critique de 88 % qui ne permet pas de garantir la capacité opérationnelle des policiers et des gendarmes.
Prenons un exemple concret : le parc automobile. De l’aveu même des directions, un simple maintien en l’état du parc nécessiterait l’achat de plus de 6 000 véhicules par an entre 2015 et 2017. Pourtant, le montant prévu dans le budget adopté à l’Assemblée nationale pour l’achat de véhicules ne permettrait d’acquérir que 4 000 véhicules en 2016.
Aussi, afin de dégager des marges de manœuvre sur le plan budgétaire, il faut favoriser une stratégie fondée sur la rationalisation des tâches et la mutualisation des moyens. En la matière, la dynamique engagée en 2009 avec le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur semble s’affaiblir.
À titre d’illustration, le traitement des procurations a mobilisé 737 équivalents temps plein travaillé de policiers et de gendarmes sur l’année 2012. La dématérialisation permettrait de soulager les forces de sécurité de cette tâche. Pourtant, dans un rapport d’octobre 2014, l’Inspection générale de l’administration indique que le projet de dématérialisation totale lancé en 2013 « paraît enlisé » et même « à l’arrêt ».
Il serait utile qu’il puisse s’appliquer pour une année d’élections, comme celle de 2017.
Certaines décisions prises depuis 2012 ont même aggravé la situation. L’abandon du jour de carence a conduit, en 2014, à une multiplication par 2,5 des congés maladie d’une journée.
La marque de fabrique du Sénat est toutefois de ne jamais céder à la polémique.
En matière de rationalisation et de mutualisation, les décisions annoncées après la manifestation de policiers, place Vendôme, semblent témoigner d’une prise de conscience de ces enjeux, avec notamment un plan interne de simplification des tâches.
Après les attentats du 13 novembre, des mesures significatives ont été annoncées par le Président de la République, avec la création de 5 000 postes dans la police et la gendarmerie et la promesse de moyens d’équipement et d’investissement supplémentaires.
C’est pour cette raison que la commission des finances a d’abord décidé de réserver son examen des crédits de la mission.
L’amendement du Gouvernement visant à mettre en œuvre ces annonces, déposé le 26 novembre, prévoit finalement une hausse des crédits de 340 millions d’euros en 2016. Je vais bien évidemment laisser le soin au ministre de nous le présenter. J’aurai d’ailleurs quelques questions à lui poser, en particulier sur la répartition des crédits.
Toutefois, je voudrais vous donner deux chiffres, qui me semblent témoigner d’un changement de rythme. Avec cet amendement, la hausse du budget « Sécurités » sera de 2,8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2015, contre 0,9 % il y a encore deux semaines.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. Par ailleurs, les deux tiers de l’effort, soit 220 millions d’euros, sont fléchés sur l’investissement et le fonctionnement.
Compte tenu du bouleversement que représente cet amendement, la commission des finances, réunie quelques minutes après son dépôt, a décidé, à l’unanimité, de proposer au Sénat l’adoption des crédits de la mission « Sécurités ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial.
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial de la commission des finances, pour la sécurité et l’éducation routières et le contrôle de la circulation et du stationnement routiers. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vais pas vous parler du fléau du terrorisme, mais de la mortalité routière.
Sur les huit premiers mois de l’année 2015, on dénombre, malheureusement, 2 253 personnes tuées en France métropolitaine, soit une hausse de 4,6 % par rapport à la même période en 2014. Une hausse notable de la mortalité avait déjà été enregistrée en 2014 : elle s’élevait à 3,8 %, soit 130 décès de plus par rapport à 2013.
Ces résultats sont, bien sûr, inquiétants et nous obligent forcément à nous interroger sur l’efficacité de la politique de sécurité routière.
Les résultats 2014 et 2015 sont d’autant plus inquiétants, monsieur le ministre, que le gouvernement auquel vous appartenez s’est fixé pour objectif de réduire à moins de 2 000 le nombre de personnes tuées sur les routes en 2020. Comment comptez-vous faire pour infléchir cette tendance, qui ne conduit pas du tout vers l’atteinte de l’objectif ?
Sur le programme « Sécurité et éducation routières », je note qu’en 2016 les dépenses inscrites diminuent de 4,8 % par rapport à 2015, pour s’établir à 39,4 millions d’euros.
Dans ces dépenses, on trouve notamment la charge financière au titre du « permis à un euro par jour », qui sera stable en 2016, surtout grâce au niveau des taux d’intérêt, dont la faiblesse contribue à contenir le coût du dispositif, car il est lié à la prise en charge des intérêts des prêts. En 2016, l’effort sera accentué avec la création d’un prêt complémentaire de 300 euros.
J’en viens au compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », dit « CAS Radars », dont les crédits sont les plus importants. Le produit total des amendes de la circulation et du stationnement devrait atteindre 1,68 milliard d’euros en 2016 et, sur cette somme, 1,37 milliard d’euros sont inscrits en dépenses sur ce compte d’affectation spéciale.
Le Gouvernement prévoit la commande, en 2016, de 454 nouveaux radars. Le plus souvent, il s’agit de remplacements, puisque le nombre de dispositifs de contrôle automatisé en service, lui, ne progressera que de 42 unités pour s’élever à 4 122 au lieu de 4 080. Le coût total du déploiement des nouveaux dispositifs est estimé à 28 millions d’euros.
Cette année, je mène un contrôle budgétaire sur la politique d’implantation des radars et, à ce stade, j’émets des réserves quant à certains déploiements, en particulier pour les radars « vitesse moyenne » et les radars « chantier », dont les coûts d’investissement et de fonctionnement sont élevés.
C’est pourquoi je propose un amendement tendant à réduire les dépenses d’investissement de 5,25 millions d’euros, ce qui permettra l’installation totale de 53 nouveaux radars « vitesse moyenne », au lieu des 107 prévus, et de 11 radars « chantier », au lieu des 22 prévus.
J’ajoute que ni les documents budgétaires ni les réponses au questionnaire budgétaire ne permettent de mesurer l’efficacité, en termes de sécurité routière, de ces dispositifs. Mais le Gouvernement va peut-être s’expliquer sur ce point tout à l’heure.
Concernant la gestion du permis à points, il est prévu d’adresser aux automobilistes plus de 15,3 millions de lettres simples en 2016. La dépense est estimée à 13,1 millions d’euros. Ces lettres sont envoyées à chaque retrait ou restitution de points. Depuis quatre ans, je m’interroge sur l’opportunité de cette dépense, s’agissant notamment des lettres de retraits de points.
Le ministère de l’intérieur a ouvert le site internet telepoints.info, qui permet aux conducteurs de consulter leur solde de points, et une ordonnance récente, en date du 7 octobre dernier, a prévu la possibilité pour l’intéressé, sur sa demande, d’être informé du retrait de points par voie électronique, plutôt que par lettre simple.
J’estime en conséquence que l’information mise à la disposition du contrevenant est suffisante et qu’il est dès lors possible de supprimer l’envoi de lettres simples. Comme les trois années précédentes et compte tenu de son coût et de sa faible valeur ajoutée, la commission des finances propose deux amendements tendant à supprimer cet envoi. Il s’agit de réaliser 13,1 millions d’euros d’économies pour réduire la dette de l’État. Certes, ce n’est pas énorme, mais c’est toujours ça !
D’autres amendements ont été proposés. L’un d’entre eux vise – je l’ai dit – à réduire les dépenses d’investissement de 5,25 millions, en ce qui concerne l’installation de radars. Et le Gouvernement présentera également un amendement permettant de développer une application nouvelle pour le traitement des amendes.
Sur la base du budget qui nous est présenté pour l’année 2016, la commission des finances a décidé d’émettre un avis favorable à l’approbation des crédits, sous réserve bien sûr de l’adoption des amendements dont je viens de parler. (Mme Catherine Troendlé et M. Roger Karoutchi applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial.
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial de la commission des finances, pour la sécurité civile. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les événements dramatiques qui ont marqué cette année 2015 – je pense bien sûr aux attaques terroristes, mais aussi aux inondations ou encore au crash d’un avion de la compagnie Germanwings – ont démontré à quel point il est indispensable de disposer de forces de sécurité civile réactives et efficaces.
Je souhaite ainsi commencer cette présentation en rendant hommage aux forces de secours, dont la mobilisation exceptionnelle après les attentats du 13 novembre a été unanimement saluée.
Je me félicite, à ce titre, d’observer que le nombre de sapeurs-pompiers volontaires est enfin orienté à la hausse, après une décennie de baisse.
S’agissant maintenant du programme « Sécurité civile », les autorisations d’engagement et les crédits de paiement pour 2016 augmentent respectivement de 1,9 % et 0,8 %, avant prise en compte de l’amendement du Gouvernement.
Comme je l’ai dit en commission, ce budget me semble présenter certaines faiblesses, principalement en ce qui concerne le fonctionnement et l’investissement.
Pour ce qui est des dépenses de fonctionnement, on peut, par exemple, s’interroger sur le niveau des dotations prévues pour le retardant, les colonnes de renfort et le secours d’extrême urgence. Les crédits prévus diffèrent sensiblement des consommations réalisées au cours des derniers exercices, ce qui pourrait être le signe d’une sous-budgétisation.
Toutefois, ma principale inquiétude concerne les dépenses d’investissement. En effet, leur évolution est inférieure de 4 millions d’euros en crédits de paiement à ce qui était prévu dans la programmation annuelle, et ce avant même que l’Assemblée nationale vote, en deuxième délibération, une baisse de 5 millions d’euros des dépenses de fonctionnement et d’investissement du programme.
Après analyse, la moitié de cet écart traduit un report de certains projets d’investissement, du fait de la contrainte budgétaire. Or ces retards se traduiront à moyen terme par des surcoûts pour la sécurité civile.
Prenons l’exemple du projet de remplacement du réseau national d’alerte par le système d’alerte et d’information des populations. L’achèvement du premier volet, initialement prévu pour 2015, n’interviendra finalement qu’en 2019. Ce retard implique la souscription d’une prestation complémentaire d’assistance au déploiement, ainsi que d’autres surcoûts potentiels liés aux intérêts moratoires ou à l’augmentation de la TVA.
Aussi, je me félicite du fait que l’amendement visant à mettre en œuvre les annonces du Président de la République à la suite des attentats du 13 novembre prévoit près de 11 millions d’euros supplémentaires pour l’investissement et le fonctionnement. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans quelques minutes.
S’agissant du titre 2, il existe une véritable volonté de maîtriser les dépenses de personnel.
Sur la période 2012–2016, la baisse cumulée des effectifs devrait ainsi atteindre 4 %. Si ces efforts sont bienvenus, il faut réaffirmer la nécessité de garantir l’adéquation entre les effectifs de la direction générale de la sécurité civile et le périmètre de ses missions.
En effet, des inquiétudes ont été exprimées lors des auditions concernant une « paupérisation » de l’administration centrale, qui ne parviendrait plus à assumer l’ensemble de ses missions. À titre d’illustration, les sapeurs-pompiers volontaires ne pouvaient toujours pas, en septembre 2015, bénéficier de l’accès à la formation professionnelle continue, car le manque de personnels de la direction générale n’a pas permis à celle-ci de formaliser à temps les documents nécessaires.
Dans ce contexte, je souhaite insister sur la nécessité, pour les forces de secours, de s’engager dans une nouvelle dynamique de mutualisation, afin de dégager des marges de manœuvre.
Deux sujets me semblent mériter, à ce titre, une attention particulière.
D’abord, la mutualisation des flottes d’hélicoptères de l’État. La situation actuelle est clairement sous-optimale : les appareils employés sont différents selon les forces ; chaque autorité d’emploi dispose de ses propres bases, règles de formation, centres de maintenance et outils de formation ; les implantations territoriales sont décidées par chaque ministère, ce qui se traduit par des doublons et des déséquilibres.
Si de premiers efforts de mutualisation ont été réalisés entre la sécurité civile et la gendarmerie, des obstacles culturels empêchent de tirer pleinement parti des possibilités techniques ouvertes.
Surtout, une rationalisation plus ambitieuse impliquerait nécessairement un traitement interministériel de ce dossier.
Le deuxième chantier que je souhaite évoquer concerne les centres de traitement des appels d’urgence. Il faut le dire, notre pays n’a plus les moyens de conserver 500 centres d’appels et 11 numéros d’urgence.
Je note d’ailleurs que de nombreux pays se sont déjà engagés avec succès dans cette voie, en dépit des obstacles techniques et culturels.
À titre d’illustration, la Finlande a réussi, entre 2009 et 2015, à diviser par trois son nombre de centres d’appels et à faire du 112 le numéro de téléphone unique en cas d’urgence. À population égale, la Finlande compte ainsi huit fois moins de centres d’appels que la France !
Je sais que le ministre de l’intérieur souhaite aller vers une plus grande mutualisation en la matière, mais deux inquiétudes subsistent à ce stade.
Premièrement, le ministère de la santé semble, pour le moment, faire « bande à part », en privilégiant la modernisation de son système d’information.
Deuxièmement, il faudra être particulièrement vigilant à ce que les regroupements de plateformes n’aboutissent pas à des transferts de charges pour les services départementaux d’incendie et de secours, ou SDIS, comme c’est malheureusement le cas en matière de transport sanitaire.
Là encore, une rationalisation ambitieuse impliquera nécessairement un traitement interministériel de ce dossier et, surtout, une forte volonté politique. (MM. Marc Laménie et Robert Laufoaulu applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Gournac, rapporteur pour avis.
M. Alain Gournac, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la gendarmerie nationale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite des terribles attentats du 13 novembre, je tiens en préambule à exprimer ma souffrance en pensant non seulement aux personnes assassinées, mais également à leurs familles, leurs proches et leurs amis. Monsieur le ministre, sachez que toute mon admiration, j’y insiste, va aux forces de l’ordre.
Initialement, le budget de la gendarmerie nationale augmentait de 2,4 % en autorisations d’engagement et de 0,8 % en crédits de paiement.
Compte tenu des amendements présentés et votés à l’Assemblée nationale pour la lutte contre l’immigration clandestine – 19,8 millions d’euros et 370 postes –, la hausse a été portée à 1 %.
Or 1%, c’était trop peu au regard des enjeux de la lutte contre le terrorisme, plus que jamais une grande priorité nationale. Dès lors, si la commission avait donné un avis favorable aux crédits du programme, les membres de mon groupe s’étaient abstenus, dans l’attente de la concrétisation des annonces faites par le Président de la République à la suite des attentats du 13 novembre.
La hausse prévue des effectifs ne suffisait pas, du fait de l’affaiblissement concomitant des moyens de fonctionnement et d’investissement, sachant qu’il faut renouveler les véhicules, moderniser les systèmes informatiques et s’adapter à l’évolution de la délinquance et de la criminalité.
Le dégel précoce des crédits mis en réserve était, certes, positif – il portera en 2016 sur près de 100 millions d’euros, indispensables pour assurer le financement des équipements –, mais cela ne nous semblait pas suffisant pour sortir de la pénurie.
Jeudi dernier, le Gouvernement a déposé un amendement rajustant les crédits de la mission « Sécurités ». Pour le programme 152, il s’agit d’une hausse d’environ 160 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement, dont 67 millions d’euros de crédits de titre 2 et 93 millions d’euros pour le fonctionnement et l’investissement. Ces nouveaux crédits permettront de renforcer le dispositif antiterroriste et d’accélérer la modernisation des systèmes d’information et de communication, ce qui me semble essentiel.
Au total, la hausse des crédits prévue à travers l’amendement du Gouvernement est significative et me conduit, pour ma part, à préconiser l’adoption des crédits du programme 152.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Alain Gournac, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Monsieur le ministre, j’exprimerai toutefois deux interrogations.
D’abord, les récents événements soulèvent avec encore plus d’acuité qu’auparavant la question de l’articulation entre les missions des forces de sécurité intérieure, police et gendarmerie, et les forces armées, dès lors que l’ensemble de ces forces interviennent sur le territoire national. Pourriez-vous nous indiquer si les réflexions sur cette articulation ont progressé depuis les attentats de janvier ?
Ensuite, des associations professionnelles nationales de militaires, des APNM, se sont formées au sein de la gendarmerie nationale. Conformément à la volonté de notre commission lors de l’examen de la loi, ce nouveau mode de représentation des gendarmes préserve le système préexistant de concertation, qui s’exerce par l’intermédiaire du conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, le CFMG. Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, comment ce fait nouveau que constitue l’apparition des APNM est pris en compte au sein de la gendarmerie pour améliorer l’expression des gendarmes sur la condition militaire tout en évitant les éventuels risques de dérapage, qui pourraient par exemple prendre la forme de déclarations intempestives dans les médias ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Boutant, rapporteur pour avis.
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la gendarmerie nationale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de rendre hommage à l’ensemble des forces de la gendarmerie pour leur travail et leur dévouement. À cet instant, je pense en particulier à celles et ceux qui sont morts ou ont été blessés dans l’exercice de leurs fonctions ou qui ont mis un terme à leur existence.
Avant les tragiques événements du 13 novembre, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait pu faire le constat de l’évolution favorable du budget 2016 consacré au renforcement des capacités de la gendarmerie, et ce pour la troisième année consécutive.
Avant de poursuivre, je tiens aussi à rappeler la somme de 35 millions d’euros débloquée après les attentats de janvier 2015 et répartie comme suit : 12 millions d’euros pour les dépenses de personnel ; 18,9 millions d’euros pour l’acquisition de nouveaux équipements – véhicules, équipements de protection, lutte contre les drones malveillants, renforcement du GIGN et des PSIG, les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie –; 2 millions d’euros pour la modernisation technique des services ; enfin, 2,1 millions d’euros liés aux recrutements.
Pour revenir au budget 2016, sont prévus 8,3 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 8,1 milliards d’euros en crédits de paiement, soit, respectivement, une augmentation de 2,42 % et de 0,16 % par rapport à 2015.
Même si le titre 2 représente, avec 6,9 milliards d’euros, la part du lion, l’investissement est augmenté de 22 %, ce qui va permettre d’acquérir 2 000 véhicules, de rénover 5 000 logements et de lancer l’équipement en tablette de chaque gendarme, entre autres mesures.
Pour ce qui est des effectifs, après une augmentation de 162 postes en 2015, le projet de loi de finances prévoit la création de 554 postes pour 2016, en particulier pour la lutte contre l’immigration clandestine.
Puis, il y a eu, le 13 novembre dernier, les attentats et l’annonce faite par le Président de la République et sa traduction dans l’amendement présenté par le Gouvernement jeudi dernier, à savoir 67 millions d’euros pour recruter 1 760 gendarmes et 93 millions d’euros pour le fonctionnement et l’investissement.
Pour conclure, monsieur le ministre, je vous poserai trois questions.
Tout d’abord, alors que les récents attentats ont montré l’extrême complexité des enquêtes, à quelle échéance les mesures de simplification que vous avez annoncées en ce domaine pourront-elles être mises en œuvre ?
Ensuite, avez-vous l’intention de procéder à une révision de la carte des zones police et des zones gendarmerie, afin d’adapter au mieux les moyens des forces de l’ordre aux besoins de la population ?
Enfin, par parallélisme avec les forces de police, les forces de la gendarmerie nationale pourront-elles porter leur arme en dehors des heures de service ?
Bien entendu, les élus du groupe auquel j’appartiens soutiennent ce budget et le voteront donc. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc, rapporteur pour avis. (Mme Catherine Troendlé et M. Robert Laufoaulu applaudissent.)
M. Alain Marc, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la sécurité. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, les crédits examinés s’établissent à 18 milliards d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement sur un total de 18,5 milliards d’euros pour la mission, soit une stabilisation des crédits en euros courants par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour l’année 2015.
En matière de mutualisation des moyens entre les forces, beaucoup a été fait, mais la poursuite de ce mouvement nécessitera d’importants investissements.
Si la lutte contre le terrorisme ou la lutte contre l’immigration irrégulière ont justifié des créations de postes ou des augmentations de moyens, ces missions entraînent aussi d’importantes contraintes pour l’ensemble des forces, police et gendarmerie, qui ne sont qu’en partie prises en compte par les augmentations de crédits. Le renforcement du plan Vigipirate et, hélas, les derniers événements parisiens illustrent parfaitement ce constat.
En outre, je veux mettre l’accent sur les résultats de la lutte contre la criminalité organisée, caractérisée par la montée en puissance de la délinquance au sein des cités sensibles, structurées autour du trafic de stupéfiants. J’insiste également sur la lutte contre le trafic de stupéfiants : en 2014, les saisies de cocaïne mais aussi d’héroïne ont progressé.
Je souhaite, enfin, présenter un premier bilan du plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes mis en place par M. le ministre de l’intérieur depuis le 23 avril 2014. Au moment où je rédigeais cette intervention, 1 726 Français étaient impliqués dans le djihad en Syrie, mais sans doute ce chiffre est-il en augmentation aujourd’hui.
Dans le cadre de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, plusieurs dispositifs ont été adoptés, en particulier l’interdiction de sortie du territoire ou le blocage des sites internet.
Depuis janvier 2015, 135 interdictions de sortie du territoire ont été prononcées et près d’une cinquantaine de sites internet ont été bloqués, toujours au moment où j’écrivais ces lignes.
J’observe également que le ministère de l’intérieur s’est doté, depuis le 1er septembre 2014, d’un service de statistiques indépendant pour permettre la publication de données fiables. En tout état de cause, il faudra faire beaucoup plus.
En conclusion, le budget de la mission « Sécurités » pour 2016, stabilisé en euros courants, semble redonner des marges de manœuvre pour financer les moyens de fonctionnement des deux forces et pour améliorer l’état de leur parc immobilier, notamment celui de la gendarmerie, même s’il apparaît encore insuffisant pour permettre un fonctionnement optimal des forces de l’ordre.
Pour autant, il subsiste toujours un risque de disparition de brigades de gendarmerie en zone rurale au profit de regroupements, et ce afin d’optimiser les moyens. Nous devons rester très vigilants sur le maintien de nos brigades territoriales, lesquelles assurent un renseignement de qualité en milieu rural et ont un rôle irremplaçable pour la protection de nos populations isolées.
Par ailleurs, la création nette de postes supplémentaires dans les deux forces pouvait déjà être soulignée au moment où le Président de la République, à la lumière des derniers attentats sanglants dans Paris, a proposé la création de 5 000 postes supplémentaires de policiers et gendarmes.
Compte tenu de ces observations, la commission et moi-même émettons un avis favorable sur les crédits de la mission « Sécurités », hors sécurité civile, pour 2016, sous réserve d’un abondement des crédits de nature à traduire les engagements formulés par le Président de la République dans sa déclaration au Congrès. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la sécurité civile. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les tragiques attaques terroristes de ces derniers jours ont permis de mesurer, une fois de plus, l’efficacité et la pertinence de l’organisation française des secours.
Je voudrais rendre hommage à tous les personnels de la sécurité civile, aux sapeurs-pompiers volontaires et professionnels, engagés au quotidien au service des autres. Je souhaiterais également saluer le dynamisme des jeunes sapeurs-pompiers. Ils contribueront à pérenniser notre modèle de sécurité civile, en grande partie fondé sur le volontariat citoyen.
Je note d’ailleurs avec satisfaction que l’érosion continue depuis de nombreuses années de l’engagement volontaire a connu, en 2014, une inversion de tendance, avec un accroissement – certes faible – de 1 442 engagements. Les initiatives prises tant par les pouvoirs publics que par de nombreux SDIS ne sont donc pas vaines.
Les crédits inscrits au programme pour 2016 sont stables, et même en légère hausse. Ils préservent les priorités définies pour renforcer la protection des populations. C’est pourquoi la commission des lois a donné un avis favorable à leur adoption.
Monsieur le ministre, je voudrais aborder trois questions.
La première intéresse la réflexion sur l’équipement de la flotte d’aéronefs par un système de radio compatible avec Antarès. Je sais que la solution technique de ce problème, créé par les avions et les hélicoptères en vol rapide, s’avère très compliquée. Pouvons-nous cependant espérer le voir prochainement réglé ? Le groupe de travail relatif aux liaisons Antarès air-sol, créé en novembre 2014, vous a-t-il remis ses conclusions, monsieur le ministre ?
Un deuxième sujet me tient particulièrement à cœur : le choix du système de gestion de la prestation de fidélisation et de reconnaissance, la PFR, des sapeurs-pompiers volontaires, alors que le marché conclu avec CNP Assurances, qui gère cette prestation pour les SDIS, arrive à échéance le 31 décembre prochain.
Le débat est vif, monsieur le ministre, et je sais qu’il existe une volonté, au regard du coût que la PFR représente pour les contributeurs publics, de stabiliser les flux budgétaires, mais en maintenant le niveau de prestation servi aux volontaires.
Quelle est la position de l’État dans ce dossier ô combien important pour le monde des pompiers ?
Enfin, je voudrais vous saisir d’une difficulté rencontrée par certains sapeurs-pompiers volontaires. Vos services ont d’ailleurs tenté à plusieurs reprises de la résoudre, mais en vain à ce jour. Il s’agit de la situation des volontaires anciens militaires qui bénéficiaient d’une pension afférente au grade supérieur, une PAGS. L’administration des finances analyse l’activité du volontaire comme une reprise d’activité dans un organisme public. Celle-ci entraîne la perte de la PAGS et son remplacement par une pension militaire de droit commun. Cette interprétation me paraît particulièrement injuste pour un engagement au service du bien commun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. Philippe Bas. Très bien !
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs pour avis et rapporteurs spéciaux, mes chers collègues, la question sécuritaire est au cœur de tous nos débats de ces derniers jours, et elle est, en ce moment, l’une des principales préoccupations de nos concitoyens. Le Président de la République l’a affirmé le 16 novembre dernier, devant le Congrès, « le pacte de sécurité prime sur le pacte de stabilité ».
Ainsi, les attentats du 13 novembre 2015 ont donné lieu à un renouveau du pacte de sécurité et, par conséquent, à une importante modification – en l’occurrence, budgétaire – de l’effort déjà engagé de renforcement des moyens de lutte contre le terrorisme, de sécurisation des frontières et de sécurisation générale de notre pays.
Nous sommes donc en accord avec l’amendement présenté par le Gouvernement à l’article 24, visant à la création de 5 000 postes supplémentaires d’ici à 2017, dont 3 500 pour la seule année 2016, au sein de l’ensemble des services du ministère de l’intérieur.
De même que nous sommes favorables à l’affectation des 465 effectifs qui renforceront les missions des services centraux et territoriaux, chargés de la lutte contre la radicalisation, la fraude documentaire, du contrôle des armes et de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière.
De manière plus générale, nous notons que le budget « Sécurités » pour 2016 continue ainsi à rompre avec la logique des chiffres qui avait présidé à la révision générale des politiques publiques, dite RGPP, menée de 2009 à 2012, laquelle ne convenait visiblement ni à la population ni au personnel du secteur.
Entre 2006 et 2011, comme le souligne un rapport de la Cour des comptes de 2013, les effectifs avaient reculé de près de 3 000 emplois dans la police nationale et de l’ordre de 4 000 dans la gendarmerie.
Au-delà de l’abandon de la révision générale des politiques publiques, les effectifs augmentent et des objectifs plus qualitatifs que quantitatifs sont mis en avant, ce qui est une bonne nouvelle et doit être salué.
De nouvelles orientations et méthodes en matière de lutte contre la délinquance sont plus que jamais d’actualité et les nouveaux moyens alloués au budget doivent être importants. Il nous semble toutefois quelque peu regrettable, monsieur le ministre, que les dramatiques événements de ces derniers jours aient entraîné l’accélération du renforcement des effectifs qui aurait, à notre sens, pu intervenir un peu plus tôt.
Il importe aussi de souligner la nécessité de réconcilier la police et la gendarmerie, une nécessité qui doit être accompagnée de l’optimisation des capacités opérationnelles de nos forces. Tout doit en effet être mis en œuvre pour que la sécurité de nos concitoyens soit assurée. Sans cela, nulle autre liberté n’est garantie.
Monsieur le ministre, à Saint-Martin, territoire dont je suis élu, les chiffres de la délinquance sont inquiétants, et nous faisons tout pour réduire nos tristes records, en dépit du nombre important d’effectifs de gendarmes et de policiers qui sont affectés sur l’île.
Aussi, ce constat conduit à s’interroger : comment se fait-il que, avec des effectifs proportionnellement plus importants que sur d’autres territoires et qui sollicitent un renforcement des forces de l’ordre, les chiffres de la délinquance demeurent si élevés à Saint-Martin ? Une réflexion en profondeur s’impose donc.
Au moment de conclure, je tiens à renouveler mes remerciements aux gendarmes, policiers, secouristes, sapeurs-pompiers, personnels soignants, médicaux, paramédicaux, auxiliaires,…
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Guillaume Arnell. … à ceux qui interviennent au titre de la sécurité civile, nos héros du quotidien, dont le travail est plus que jamais nécessaire. Et je salue une fois encore dans cet hémicycle et devant vous, monsieur le ministre, le travail et l’engagement de ces derniers au service de notre sécurité.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe RDSE apporte son soutien unanime à l’adoption des crédits de la mission « Sécurités » dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2016. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mmes Karine Claireaux et Nathalie Goulet ainsi que MM. Philippe Kaltenbach et Thani Mohamed Soilihi applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, regroupant les crédits de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la sécurité et de l’éducation routières, ainsi que ceux de la sécurité civile, le budget de la mission « Sécurités » bénéficie d’un nouvel effort financier et passe de 18,2 milliards d’euros en 2015 à près de 18,4 milliards d’euros pour 2016.
Si les attaques terroristes de janvier 2015 ont bouleversé la hiérarchie des préoccupations des Français, il ne fait aucun doute que les attentats du 13 novembre dernier vont faire de la lutte contre le terrorisme leur principale préoccupation.
Cette situation se traduit par un important surcroît d’activité pour les forces de sécurité intérieure.
Nous tenons d’ailleurs à saluer ici le dévouement des policiers et gendarmes, qui font face avec courage et détermination à ces défis nouveaux.
Sur le plan matériel, des mesures significatives ont été annoncées par le Président de la République après les terribles attentats du 13 novembre, avec la création de 5 000 postes dans la police et la gendarmerie et la promesse de moyens d’équipement et d’investissements supplémentaires. Ces annonces se concrétisent aujourd’hui dans le dépôt d’un amendement du Gouvernement visant à abonder ce budget « sécurité » de près de 340 millions d’euros.
La situation extrêmement grave dans laquelle notre pays est plongé exige cette augmentation des moyens. Il aura néanmoins fallu attendre que ces funestes événements se produisent pour prendre pleinement conscience des enjeux.
Cependant, ces créations de postes – bien qu’elles représentent un effort louable – ne suffiront pas à compenser les quelque 13 700 emplois supprimés entre 2007 et 2012, sous la précédente législature. Et les efforts consentis ne permettront pas toujours de garantir l’existence de véritables police et gendarmerie de proximité.
La même remarque vaut pour les investissements. En 2016, la police nationale pourra investir à hauteur de 259 millions d’euros, soit une hausse de près de 10 %, et la gendarmerie nationale pour 103 millions d’euros, soit une augmentation de près de 22 %. Si nous notons avec satisfaction la progression de ces budgets d’investissement, force est de constater que les budgets consacrés à l’équipement des fonctionnaires ou aux moyens mobiles restent stables, quand ils ne sont pas réduits. Cette situation est dommageable compte tenu du vieillissement préoccupant et de l’obsolescence des matériels.
Des moyens plus ambitieux encore doivent être consacrés à l’amélioration des conditions de travail de nos policiers et de nos gendarmes.
Les policiers descendus dans la rue le mois dernier le faisaient non pour nourrir une polémique stérile sur les relations entre la police et la justice, mais bien pour dénoncer ce qui limite leur action.
Comme l’ont rappelé de nombreux représentants syndicaux, nos policiers ont voulu exprimer le « ras-le-bol » face aux conséquences du plan Vigipirate sur leurs conditions de travail, à l’état de fatigue préoccupant de nombre d’entre eux, ainsi qu’à la faiblesse des moyens mis à leur disposition pour accomplir des missions de plus en plus nombreuses.
Ainsi, comme le souligne le rapporteur spécial de la commission des finances sur les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale », le renforcement des effectifs, les créations de postes ne masqueront pas la paupérisation des deux forces, lesquelles ne disposent plus des moyens en fonctionnement et en investissement pour assurer leurs missions.
C’est pourquoi nous vous invitons, budget après budget, à investir la question de la souffrance au travail et à reconsidérer la vision managériale de cette administration.
De plus, l’état d’urgence qui a été promulgué sollicite – légitimement – davantage nos forces de l’ordre, en parallèle à l’organisation d’événements d’ampleur. En ce moment même, se déroule la Conférence des Nations unies, la COP 21, au cours de laquelle notre capitale accueille les représentants de 195 pays. Dans les mois à venir, notre pays sera l’hôte de l’Euro 2016 de football.
Concernant la « sécurité civile », les crédits du programme sont en hausse de près de 2 %, s’établissant à plus de 441 millions d’euros. Néanmoins, cette hausse – bienvenue – masque, là encore, quelques insuffisances, notamment la situation des effectifs des sapeurs-pompiers volontaires, qui représentent 80 % des pompiers français – ils sont 193 756. L’objectif des 200 000 volontaires d’ici à deux ans semble hors de portée.
Outre la question du maillage territorial, qui doit rester étroit afin de garantir des interventions rapides, il nous faut aussi assurer une proximité accrue entre le domicile du volontaire et son centre. C’est pourquoi il est nécessaire d’agir auprès des bailleurs sociaux afin que soit rendue effective la facilitation de l’accès de ces sapeurs-pompiers volontaires aux logements sociaux. Il convient désormais de s’assurer que la convention signée en juillet en ce sens apportera des résultats tangibles.
Toutes ces raisons conduisent finalement les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen à une abstention que je qualifierai cependant de « vigilante et attentive ». (M. Michel Le Scouarnec applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Charon (Marques de satisfaction et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), pour huit minutes.
M. Roger Karoutchi. Huit minutes de bonheur ! (Sourires.)
M. Pierre Charon. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des finances, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, tout d’abord, je dois avouer avec humilité que cette année, l’examen de cette mission est un moment particulier.
Je m’exprime en tant que parlementaire, membre de la commission des affaires étrangères et de la défense, où les questions stratégiques et de sécurité globale composent notre actualité permanente et en tant que sénateur de Paris, représentant un territoire pluriel, à la fois ville et département, et maintenant cible de l’État islamique.
En effet, le 13 novembre dernier, Paris a été, de nouveau, le théâtre d’une guerre contre nos valeurs. Pour la deuxième fois cette année, des innocents ont été lâchement et froidement assassinés dans notre ville. Devant vous, je souhaite témoigner aux familles ma compassion. Je souhaite également remercier tous ceux qui se sont mobilisés ce vendredi soir-là : les forces de police et d’intervention, bien sûr, les pompiers, les personnels hospitaliers et tous ces anonymes qui ont fait preuve de courage, voire d’héroïsme.
Je veux réaffirmer, monsieur le ministre, que la sécurité de nos concitoyens est un pan inaliénable de la liberté – ce merveilleux mot qui appartient à la devise de notre nation.
Cet épisode, comme les récents attentats qui touchent d’autres villes dans le monde, nous rappelle tragiquement à quel point vivre en sécurité est un bien précieux. Malheureusement, face à l’obscurantisme de ces barbares, cette sécurité n’est plus un acquis.
Pour autant, c’est à nous, responsables politiques, de trouver de nouveaux moyens pour créer les conditions de cette sécurité.
Je pense que nous sommes à un moment crucial de notre histoire, où toute la nation est engagée. Contre le terrorisme, nous devons mener une guerre totale.
Aux terroristes de l’État islamique, nous opposerons non seulement des moyens, mais également la détermination de la France tout entière, qui sera solidaire.
En prononçant ces mots, il n’est pas question pour moi d’effrayer : au contraire, les Français sont prêts à nous soutenir. Ils sont prêts à supporter la vérité. Ils sont prêts aux efforts budgétaires.
Je ne reviendrai pas sur le détail des chiffres : les rapporteurs nous ont parfaitement exposé les modifications apportées par le Gouvernement et les augmentations de moyens et de personnels auxquelles il a été consenti.
Je tiens à les remercier pour leurs travaux, car la légistique budgétaire n’est pas un exercice facile, surtout dans les moments de crise.
L’insuffisance de la mission « Sécurités » avait été soulignée, et ce juste avant les attentats du 13 novembre dernier. C’était prémonitoire – hélas !
L’augmentation de 0,98 % semblait en décalage avec un contexte sécuritaire très fortement dégradé depuis deux ans, notamment avec l’avènement de cet État islamique, qui est notre véritable ennemi.
Les annonces du Président de la République, lors du Congrès, se sont traduites par des amendements, examinés et votés en commission des finances, ramenant le budget à un niveau plus adapté à la réalité des menaces.
Alors, monsieur le ministre, nous saluons le respect de l’engagement présidentiel et votre mobilisation. C’est un gage de confiance primordial, dans un moment où notre société doit absolument être solidaire.
Des efforts doivent toutefois être accomplis bien au-delà de l’échelle nationale. Les enjeux et les moyens de la lutte contre le terrorisme sont européens. (M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, opine.)
La lutte contre le terrorisme est un défi pour l’Union européenne. L’avènement de l’État islamique en Irak et le chaos syrien ont profondément bousculé l’Union, jusque dans ses fondements.
Ainsi, tout d’abord, l’espace Schengen et le contrôle aux frontières sont remis en cause par l’état d’urgence.
Ensuite, la politique migratoire doit assurer la gestion de l’accueil des migrants fuyant la guerre et la barbarie.
Enfin, la lutte contre les différents trafics d’êtres humains, de drogue et d’armes qui financent le terrorisme nécessite une véritable politique, c’est-à-dire une action globale, durable, coordonnée et efficace.
Il y a des rendez-vous que l’Union européenne ne saurait rater : celui-ci en est un. La crédibilité de l’Union est en jeu.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, je voterai les crédits ainsi modifiés de la mission « Sécurités ».
Toutefois, avant de conclure, je tiens à évoquer un dernier point.
L’augmentation des moyens consacrés à nos forces de l’ordre, à nos agents de renseignement et à leurs équipements ne saurait suffire. Tous ces efforts budgétaires et tout le travail de nos agents, à qui je rends un hommage sincère, resteront vains s’ils ne s’accompagnent pas d’une véritable volonté politique, qui rappelle l’importance du respect de la loi et de l’application des peines.
Il ne saurait y avoir de sécurité si nous n’avons pas les moyens d’une politique pénale adaptée : cette politique pénale participe aussi à la protection de la population.
Trop souvent, les forces de l’ordre regrettent le manque de convergence entre les différents acteurs de la chaîne judicaire et pénale. Elles souhaiteraient une meilleure implication de la justice. Tous les acteurs de la chaîne judiciaire et pénale doivent tendre vers un seul objectif : la sécurité et la protection de nos concitoyens. Sinon, l’incompréhension s’ajoutera aux inquiétudes et aux peurs déjà instillées par les terroristes.
La guerre contre le terrorisme, qu’elle soit diplomatique, judiciaire ou militaire, exige un engagement politique total de long terme, auquel nous souscrivons pleinement.
Mes chers collègues, la protection des Français mérite un CDI et non un CDD ! Trois mois ne suffiront pas : la guerre que nous menons ne se limite pas à une mobilisation provisoire ; celle-ci doit être permanente, jusqu’à ce que l’ennemi soit vaincu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, il y a un an, lors de l’examen des budgets de votre ministère, je constatais que le mot « terrorisme » ne figurait dans aucun des documents budgétaires. Force est de constater que cette année ce terme est présent à de nombreuses reprises ; c’est une très bonne chose.
Je vous prévenais alors, monsieur le ministre, que les temps s’annonçaient difficiles, que votre tâche serait lourde et votre travail de longue haleine – nous étions un mois avant l’attaque de Charlie Hebdo – ; voilà pourquoi nous avions voté vos crédits. Aujourd’hui encore, bien évidemment, l’ensemble de notre groupe fera de même.
Je souhaite aussi, monsieur le ministre, vous exprimer notre soutien et vous assurer du respect que nous avons pour votre travail et pour celui de l’ensemble de vos services. À aucun moment, en ces difficiles temps de deuil, je ne soutiendrai l’idée que ces services auraient failli ; jamais je ne les mettrai en cause.
J’aimerais toutefois profiter des quelques minutes qui me sont attribuées pour attirer votre attention sur certains points.
Les fiches S, qui sont un document de travail, ont une durée de vie d’environ deux ans. Certes, il est impossible de ficher les personnes qui n’ont pas encore été condamnées ; nous connaissons cette difficulté. Néanmoins, Merah, Nemmouche, Coulibaly, les frères Kouachi et tous les autres terroristes sont bien sortis à un moment des écrans radar. Il faudrait par conséquent travailler à la mise en place d’un fichier permanent des personnes qui ont eu un lien direct ou indirect avec le terrorisme ; c’était l’un des souhaits de notre commission d’enquête à ce sujet. Si ce fichier devait fonctionner comme celui qui concerne les délinquants sexuels, il faudrait alors informer les personnes qui y sont inscrites qu’elles sont suivies ; si cela peut avoir des inconvénients, cela peut aussi présenter des avantages.
Je ne prétends pas connaître la solution à ce problème. En revanche, je sais que, un ou deux ans après être sortis des écrans radar, ces individus deviennent des terroristes. Ils ont du sang sur les mains : le sang de nos concitoyens. Il faudra bien trouver une solution. Je soumets cette réflexion à votre sagacité légendaire. Il est en effet nécessaire de résoudre le problème des personnes qui ont été ciblées puis lâchées. Il s’agit d’un problème ex post et non d’un problème ex ante au regard du fichage.
Le deuxième problème que je veux évoquer concerne les contrôles effectués par l’agence FRONTEX. Dans sa proposition n° 69, notre commission d’enquête souhaitait que ces contrôles puissent être aléatoires. En effet, aujourd’hui encore, les services nationaux sont informés de la date et de l’heure de leurs contrôles, ce qui rend évidemment ces derniers un peu moins performants que ne le seraient des contrôles aléatoires.
Par ailleurs, toujours au sujet des frontières, j’aimerais aussi évoquer la question du trafic d’armes. Nous ne pouvons déjà plus payer en espèces au-delà de 1000 euros, bientôt il faudra presque une carte d’identité pour acheter des cigarettes électroniques (Sourires.), mais on peut trouver des kalachnikovs absolument à tous les coins de rue pour une somme dérisoire. Je sais, monsieur le ministre, que vous entendez lutter contre le trafic d’armes à feu : pourriez-vous nous exposer brièvement l’état de votre travail à ce sujet ?
En matière de coopération internationale, une convention de sécurité intérieure a été signée à Ankara, le 7 octobre 2011, avec la Turquie ; il serait grand temps de la mettre en action. Cette convention dort dans les tiroirs de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale depuis plus de quatre ans. Pensez-vous qu’un jour ou l’autre nous pourrons étudier cette convention ? En effet, s’il est important de travailler avec la Turquie, cette coopération serait sûrement bien plus efficace dans le cadre d’une convention.
Je souhaite évoquer un autre sujet d’inquiétude : les financements du terrorisme. Je sais, monsieur le ministre, que ce sujet ne relève pas directement de votre ministère. Néanmoins, je voulais simplement vous rappeler que vous aviez rejeté l’an dernier un amendement que j’avais déposé relatif aux cartes prépayées ; vous estimiez alors que ce n’était pas au cœur des dispositifs. Je constate avec intérêt que cela l’est devenu aujourd’hui : j’ai eu le tort d’avoir raison trop tôt.
Je voudrais consacrer le reste de mon intervention au sujet de la prévention du terrorisme. Monsieur le ministre, nous pourrons travailler autant que nous voulons sur la répression, nous savons tous que le problème ne peut être résolu uniquement ainsi. La prévention est une nécessité absolue.
La radicalisation est un sujet nouveau. Il faut donc former les formateurs ; c’est une question essentielle parce que nous n’avons pas droit à l’erreur. C’est pourquoi j’appelle de mes vœux une évaluation de l’ensemble des organismes en charge de cette formation, y compris, et surtout, de ceux qui viennent en aide aux familles. Beaucoup d’échos nous reviennent selon lesquels les familles de jeunes radicalisés sont isolées et mal encadrées.
Certes, si j’ai bien lu le détail des crédits, près de 600 millions euros d’aides doivent être versés aux associations. Toutefois, il n’est pas impossible que cela soit source d’un effet d’aubaine et que, bien évidemment, à terme, le résultat escompté fasse défaut.
Le travail de déradicalisation et de prévention est essentiel, faute de quoi nous continuerons à alimenter les réseaux de Daech, que ce soit sur notre territoire ou à l’étranger. Mme Latifa Ibn Ziaten et M. Mourad Benchellali répètent à longueur de journée qu’ils sont très isolés dans le travail de déradicalisation qu’ils accomplissent. Je pense, monsieur le ministre, qu’il faudrait mettre toutes ces bonnes volontés en réseau, les encadrer et les organiser. Il n’y a absolument pas de temps à perdre.
Cette maison accueille régulièrement, monsieur le ministre, une organisation dénommée « Talents des cités ». Chaque année, nous honorons le talent de jeunes issus des quartiers défavorisés. À cette occasion, notre hémicycle est blanc-noir-beur. Cette démarche est extrêmement intéressante ; à mon sens, il faudrait mobiliser les jeunes ayant reçu des prix « Talents des cités », les inciter à retrouver le chemin de ces territoires déshérités, à y réinvestir et à servir ainsi de bons exemples à des personnes qui, disons-le, sont quelque peu en perdition. Mettre en œuvre ces bonnes volontés, d’une façon qui ne soit pas vraiment institutionnelle, représente sans doute la meilleure chance que nous ayons de ramener des jeunes en voie de radicalisation à de meilleurs sentiments.
Je crois aussi qu’il nous faut utiliser tous les outils à notre disposition. Le Forum mondial contre le terrorisme, qui a été créé le 22 septembre 2011, juste après les attentats du 11 septembre, a ainsi développé un institut international implanté à Abu Dhabi, Hedayah, qui organise des programmes contre la radicalisation. Plutôt que de réinventer les choses, je crois qu’il faut utiliser ce qui existe déjà. Cet institut offre un certain nombre de programmes, tels des programmes de déradicalisation par le sport et des programmes de formation. J’estime qu’il faut s’en inspirer ; la France est d’ailleurs coprésidente de certaines commissions à l’intérieur de cet institut. Je tiens à préciser que, en dépit de son emplacement, il s’agit non pas d’un institut émirati mais bien d’un centre international auquel nous pouvons faire confiance.
Monsieur le ministre, la grande confiance que notre groupe a dans votre travail comme dans vos services fera mentir le proverbe normand que nous avons en partage : elle exclut pour l’instant toute petite méfiance ! (Sourires.) Nous voterons donc les crédits de cette mission.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les dramatiques événements survenus au mois de janvier puis le 13 novembre dernier, nous sommes plus que jamais attentifs aux moyens qui sont alloués à la sécurité de nos concitoyens.
Il faut le dire : nos forces de police et de gendarmerie ont fait une nouvelle fois la démonstration d’un professionnalisme rare pour neutraliser les individus impliqués dans ces attentats.
Exposés quotidiennement dans leur mission, les agents des forces de l’ordre sont à pied d’œuvre, en première ligne, depuis de nombreux mois.
Ils attendent de nous, bien sûr, tout comme l’ensemble de nos concitoyens, une mobilisation à la hauteur de l’enjeu.
Lors de son discours devant le Congrès, le chef de l’État a annoncé des mesures fortes, dont la création de 5 000 postes supplémentaires d’ici à 2017. Ces paroles vont une nouvelle fois se traduire en actes : bien évidemment, le groupe socialiste et républicain se félicite de l’amendement déposé par le Gouvernement, qui a d’ailleurs reçu le soutien unanime de la commission des finances.
Cet amendement a pour objet la création, en 2016, de 3 150 postes : 1 366 dans la police et 1 763 dans la gendarmerie. Ces créations d’effectifs s’accompagnent d’un renforcement des moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement d’un montant total de plus de 220 millions d’euros.
Ce nouvel effort budgétaire, qui vient répondre à une situation exceptionnelle, s’inscrit dans la continuité de ceux qui ont déjà été entrepris depuis le début du quinquennat.
Ces efforts ont été rendus indispensables par la chute brutale des effectifs entre 2007 et 2012. Il faut à mon sens rappeler que, durant le précédent quinquennat, près de 14 000 postes ont malheureusement été supprimés : 7 000 dans la police et 6 800 dans la gendarmerie. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Chiron. Il faut le dire !
M. Philippe Kaltenbach. Cela était une grave erreur. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à le dire : un membre des Républicains, M. Alain Juppé, l’a reconnu. Il faudrait tout de même que nous soyons tous d’accord sur le constat : supprimer des postes dans la police et la gendarmerie a constitué une erreur, que nous payons aujourd’hui. (Mêmes mouvements.)
M. Alain Gournac. Après trois ans et demi, c’est une analyse tardive !
M. Philippe Kaltenbach. Le Gouvernement a bien saisi l’enjeu puisque, depuis 2012, des postes sont recréés. Les effectifs sont en hausse depuis le changement de majorité.
M. Philippe Dallier. Il n’y en a pas trace dans les crédits !
M. Philippe Kaltenbach. Cette hausse a pu être contestée ces derniers jours par l’opposition, qui s’est fait l’écho d’un article paru dans un grand quotidien national du soir – je ne le nommerai pas mais vous savez auquel je fais allusion –, article qui remet en cause la réalité de cette hausse.
Le critère d’évaluation qui fonde le raisonnement de cet article, à savoir les plafonds d’emplois, n’est pas pertinent. En effet, cette mesure varie en fonction de l’évolution des missions d’un ministère.
Les seuls chiffres fiables pour juger de l’évolution réelle des effectifs sont…
M. Philippe Dallier. … ceux du ministère ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Kaltenbach. … les schémas d’emplois exécutés, publiés chaque année, qui mesurent les gains ou les pertes nets d’effectifs dans un même périmètre ministériel.
M. Roger Karoutchi. Tout cela est trop technique ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
M. Philippe Kaltenbach. J’en viens à des choses moins techniques, monsieur Karoutchi : je sais qu’elles vous gênent mais on ne peut les taire. À partir de 2013, premier budget voté par l’actuelle majorité, ces schémas d’emplois sont positifs pour la police comme pour la gendarmerie, conformément aux engagements du Président de la République. (Exclamations ironiques sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Ah, les engagements du Président !
M. Philippe Kaltenbach. Il avait promis en effet de mettre la priorité sur la sécurité, ce qui s’est traduit, depuis 2013, par des augmentations d’effectifs dans la police comme dans la gendarmerie.
À la lecture de ces documents, on constate que, depuis 2012, il y a eu 1 172 créations d’emplois dans la police et 616 dans la gendarmerie, soit près de 1 800 emplois.
M. Roger Karoutchi. Et alors ?
M. Philippe Kaltenbach. Vous me répondrez que ces effectifs sont encore insuffisants. (Exclamations amusées sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Si vous faites les questions et les réponses, alors ! (Sourires.)
M. Philippe Kaltenbach. De la part d’un groupe qui a légitimé pendant cinq ans la suppression de 14 000 postes, c’est plutôt cocasse ! (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
Des efforts ont été accomplis ; ils s’amplifient, avec les 5 000 postes annoncés. C’est indispensable, car, pour assurer la sécurité de nos concitoyens, il faut des effectifs suffisants sur le terrain, des moyens, des agents pour le renseignement.
Tout cela doit se traduire sur le plan budgétaire. C’est le cas depuis 2013. C’est encore le cas dans ce budget que nous nous apprêtons à voter pour 2016.
À l’occasion des attentats du 13 novembre dernier, nous avons pu mesurer que, heureusement, la France disposait de services publics extrêmement efficaces, notamment dans les domaines de la sécurité et de la santé.
M. Alain Gournac. C’est la seule vérité !
M. Philippe Kaltenbach. Cela suppose des moyens. Le groupe socialiste et républicain a toujours défendu les services publics et leur rôle dans la société.
Oui, nous avons besoin de policiers, de gendarmes, d’infirmiers, d’enseignants. Cette réalité se traduit dans le budget qui est voté.
Mme la présidente. Merci !
M. Philippe Kaltenbach. Pour toutes ces raisons et eu égard aux moyens supplémentaires qui résulteront de l’adoption de l’amendement du Gouvernement, le groupe socialiste et républicain votera les crédits de la mission « Sécurités » et soutiendra pleinement la politique menée par le ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Faites-leur la leçon ! (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des finances, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, cela a été rappelé, cette année, l’examen de la mission « Sécurités » revêt un caractère très particulier en raison des événements dramatiques qui se sont déroulés à Paris et qui ont touché des victimes innocentes. Notre pays et le monde entier en sont bouleversés et affectés.
Dès lors, dans ce contexte extrêmement tendu, parler de chiffres devient un exercice difficile. Nous ne pouvons que témoigner notre respect et notre reconnaissance à l’égard de l’ensemble des forces de sécurité – gendarmes, policiers, sapeurs-pompiers –, des professionnels de santé, en particulier les urgentistes, des personnels des services de l’État et des collectivités territoriales, sans oublier les bénévoles, tous ceux qui ont œuvré et œuvrent encore au quotidien avec dévouement et conscience professionnelle pour la sécurité des personnes et des biens.
Nous sommes conscients de cette grande solidarité, qui nous invite à la modestie. C’est pourquoi, malgré tout le respect que je dois à mon collègue qui vient d’intervenir, pour ma part, je ne citerai aucun chiffre.
M. Philippe Dallier. Bravo !
M. Claude Raynal. Il vaut mieux pas !
M. Philippe Kaltenbach. C’est parce qu’ils ne sont pas à votre avantage !
M. Marc Laménie. Je le répète, il faut rester modeste et, surtout, solidaire.
M. Alain Gournac. C’est une parole sage !
M. Philippe Kaltenbach. Quand les chiffres ne sont pas bons, on n’en parle pas !
M. Marc Laménie. Les métiers difficiles liés à la sécurité doivent s’adapter constamment à des contraintes exceptionnelles. La lutte contre le terrorisme est devenue la principale priorité des Français, comme l’ont rappelé avec conviction et passion Philippe Dominati et les autres rapporteurs.
À cela s’ajoute une crise migratoire très importante.
Nos forces de sécurité exercent leur métier avec passion, au risque de leur vie. Chaque année, les Journées nationales d’hommage aux gendarmes, policiers, sapeurs-pompiers qui se déroulent sous votre autorité, monsieur le ministre, dans nos départements, en métropole et outre-mer, en liaison avec les représentants de l’État, sont des moments importants. Associant nos concitoyens, les élus et les forces vives de la nation, elles nous permettent de prendre conscience plus vivement encore des missions de ces agents, des dangers qu’ils vivent au quotidien et nous rappellent le respect que nous leur devons.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » atteignaient 17,9 milliards d’euros en crédits de paiement. À ce montant, il convient d’ajouter 340 millions d’euros prévus par l’amendement du Gouvernement à l’article 24 et destinés à créer 3 150 emplois en 2016, dans le cadre de la mission « Sécurités ».
Le budget de la gendarmerie nationale s’élève à plus de 8 milliards d’euros. Dans le département des Ardennes – vous le connaissez bien, monsieur le ministre, puisque vous y venez régulièrement et que vous avez inauguré la caserne de gendarmerie de Rethel l’été dernier –, comme dans d’autres territoires, les petites brigades manquent souvent d’effectifs et les postes ne sont pas toujours tous pourvus. Les renforts de réservistes actifs – en tant que membre de la réserve citoyenne, je peux apporter mon modeste témoignage ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et républicain) – sont variables, compte tenu des contraintes budgétaires.
Sur le terrain, les gendarmes font de leur mieux pour rencontrer les maires, les interlocuteurs de proximité – acteurs économiques, sociaux, enseignants, etc. – afin d’assurer la sécurité des personnes et des biens, notamment dans les territoires ruraux. Pour les maires des petites communes, les gendarmes, les sapeurs-pompiers, les urgentistes et l’ensemble des services de l’État constituent des interlocuteurs de proximité ; à ce titre, nous devons les soutenir.
Il faut lutter contre la délinquance – je pense à la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 », votée en 2011 –, contre l’insécurité sous toutes ses formes, notamment en faisant de la sécurité routière une priorité.
Monsieur le ministre, nous comptons sur votre engagement de donner à l’ensemble des services, brigades et communautés de brigades, escadrons motorisés, pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, ou PSIG, les moyens humains nécessaires et les moyens de fonctionner, qu’il s’agisse du matériel, du renouvellement des véhicules, notamment les motos, etc. La tâche reste immense, d’autant que les missions de gendarmes, tous grades confondus, restent très variées. Elles s’inscrivent de plus en plus dans le cadre d’interventions à caractère judiciaire, social ou familial. Le statut militaire des gendarmes doit toujours être préservé, compte tenu de leur engagement, mais aussi de leur attachement au devoir de mémoire.
Par conséquent, il est indispensable de soutenir nos forces de police et de gendarmerie, les sapeurs-pompiers et tous ceux qui s’engagent pour la sécurité des habitants, en particulier les personnes les plus fragiles, en leur accordant les moyens humains suffisants et, surtout, bien répartis géographiquement, dans les territoires urbains comme dans les territoires ruraux. Si certains départements sont particulièrement attractifs, d’autres le sont malheureusement moins et la répartition de certains postes se révèle très difficile.
Cette année encore, il faut souligner le mérite de l’ensemble des forces de sécurité et des personnels. Nous devons retrouver la confiance qui unit l’État, les collectivités territoriales et l’ensemble des intervenants et des partenaires. Il faut toujours garder en mémoire qu’il s’agit d’une responsabilité collective, partagée et citoyenne.
Cela a été rappelé avec passion avant moi : les enjeux sont nombreux et la tâche reste d’envergure – ce qui vaut pour cette année valait déjà pour les années antérieures. C’est pourquoi nous devons rester confiants et positifs. Mes collègues et moi-même voterons donc les crédits de la mission « Sécurités », mission que l’on pourrait également appeler « Solidarité ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (M. Guillaume Arnell applaudit.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui plus que jamais, la sécurité de notre pays et de nos concitoyens est au cœur des préoccupations des Français. Le projet de loi de finances pour 2016 les prend pleinement en considération, à la hauteur des enjeux qui s’imposent à nous.
C’était déjà le cas hier. Avec constance, depuis trois ans, le Gouvernement a fait de la sécurité des Français une priorité dans la lutte contre la délinquance de droit commun et contre la menace terroriste.
Je rappelle que les crédits de la mission « Sécurités » pour 2015 étaient globalement en hausse. Le budget de la police avait augmenté de 0,5 %, avec 9,69 milliards d’euros, celui de la gendarmerie de 0,4 %, avec 8 milliards d’euros.
L’exigence de responsabilité nous impose d’opérer des choix très différents de ceux qui ont prévalu jusqu’à une période récente.
La révision générale des politiques publiques a supprimé 13 338 postes de policiers et de gendarmes depuis 2007. Suivant une logique différente de celle du précédent quinquennat, en 2015, comme en 2014 d’ailleurs, 405 policiers et gendarmes supplémentaires ont été recrutés.
Afin de répondre efficacement à l’évolution de la menace terroriste, nous nous sommes dotés de moyens juridiques efficaces : le Parlement a débattu en 2012, 2014 et 2015 de différents textes visant à adapter notre législation aux spécificités de cette criminalité particulièrement dangereuse.
De nombreux projets d’attentats ont ainsi pu être déjoués notamment grâce à ces dispositifs et au travail incommensurable des forces de l’ordre, dont le dernier à Toulon deux jours avant cette macabre nuit du 13 novembre dernier.
Malgré toutes ces mesures nouvelles, l’année 2015 s’achève aussi tristement qu’elle a commencé, faisant au moins 130 morts et des centaines de blessés. Je tiens à m’associer ici à la douleur des familles des victimes. Il n’y a pas de mots suffisamment forts pour qualifier une telle barbarie. Je tiens également à saluer l’action des forces de l’ordre et des professionnels de secours et de santé, qui se sont encore une fois montrés exemplaires.
Pour faire face à ce monstre qu’est le terrorisme, la France, avec la compréhension de la Commission européenne, prévoit de ne pas tenir ses engagements budgétaires face à la nécessaire augmentation des dépenses de sécurité en pareille situation. Comme le Président de la République l’a affirmé avec force lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre dernier : « Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ».
Aussi, ce sont 5 000 postes de policiers et de gendarmes supplémentaires qui seront créés et 9 200 suppressions de postes de militaires prévues entre 2017 et 2019 qui seront gelées. Au total, la mobilisation de ces nouveaux moyens conduira à une dépense supplémentaire sur le budget de l’État estimée à 600 millions d’euros en 2016. À situation exceptionnelle, moyens exceptionnels !
À cet égard, je constate avec satisfaction que la commission des finances a adopté à l’unanimité l’amendement du Gouvernement visant à compléter les crédits de la mission « Sécurités » dans le projet de budget 2016 et que, dans la foulée, elle a confirmé ce vote positif en émettant un avis favorable sur les crédits de la mission ainsi modifiés.
Je salue également le rapport pour avis d’Alain Marc et le choix de la commission des lois de se déclarer favorable à l’adoption des crédits de la mission « Sécurités » sans attendre le dépôt formel de l’amendement du Gouvernement.
À la suite de ces attentats, les musulmans de France redoutent de nouveau – et à raison – les amalgames, la stigmatisation et les actes islamophobes. Des lieux de culte, des commerces ont déjà été vandalisés et des personnes agressées verbalement et physiquement. Il me semble impératif d’encourager la mobilisation récente des musulmans contre ces amalgames et contre une terreur qui se réclame de l’islam et dévoie cette religion. Je pense notamment à l’annonce faite par le président du Conseil français du culte musulman, le CFCM, de mettre en place une « habilitation » des imams pour promouvoir « un islam tolérant et ouvert » en France.
Dans mon département, la population, qui est à plus de 90 % de confession musulmane, a toujours eu une lecture de l’islam en accord avec les lois de la République. Une délégation de cadis de Mayotte, conscients des dérives actuelles, s’était d’ailleurs rendue le 13 décembre 2014 en métropole pour promouvoir la lutte contre le processus de radicalisation.
Toutefois, comme partout ailleurs, l’île n’est pas à l’abri d’une radicalisation. La jeunesse de la population, rendue vulnérable par le chômage et la précarité, constitue un terreau réceptif aux dérives fondamentalistes véhiculées par les nouveaux moyens technologiques.
J’incite également les musulmans de France à revoir en profondeur et sans tarder leur organisation.
Reconnaissant que, dans une République laïque, il n’appartient pas à l’État de se prononcer sur l’organisation interne des cultes, monsieur le ministre, vous avez annoncé en conseil des ministres le 25 février dernier un plan d’action articulé autour du dialogue avec la communauté musulmane, la sécurité des lieux de culte et la formation des imams. La réunion plénière de la nouvelle instance de dialogue avec le culte musulman s’est tenue le 15 juin 2015. Certes, cette question relève d’une autre mission budgétaire, mais puisqu’elle est directement liée à cette situation, pourriez-vous tout de même nous préciser ce qu’il est ressorti de ses travaux ?
Mme la présidente. Merci !
M. Thani Mohamed Soilihi. Pour conclure, monsieur le ministre, le budget particulier que vous nous présentez marque une nouvelle fois la volonté du Gouvernement de faire face aux risques terroristes après les attentats dont la France a été victime et à la criminalité de droit commun. Aussi, je le voterai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Guillaume Arnell et Michel Le Scouarnec applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Boutant.
M. Michel Boutant. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contexte de l’examen des crédits de la mission « Sécurités » étant marqué par les événements tragiques que nous avons connus récemment, j’ai souhaité axer mon propos sur l’action d’un service de la gendarmerie nationale, parfois méconnu, la sous-direction de l’anticipation opérationnelle, la SDAO. Ce service a été installé à la suite de la réforme d’ampleur du renseignement intérieur en 2013. Les ressources consacrées à cette mission sont maintenant plus clairement identifiées et mieux structurées. Par ailleurs, cette réforme a conduit à impliquer de nouveau le renseignement territorial dans la lutte contre le terrorisme.
La création de la SDAO était une nécessité. Effectivement, et comme la délégation parlementaire au renseignement l’avait souligné dans son rapport pour l’année 2014, la réforme entreprise en 2008 avait eu pour conséquence la marginalisation de la gendarmerie nationale dans la politique de renseignement de proximité. C’était une erreur à laquelle le Gouvernement a remédié en 2013.
Les moyens de la gendarmerie nationale ont été renforcés dans le cadre du plan global de lutte contre le terrorisme annoncé le 21 janvier 2015. C’est ainsi que 150 gendarmes doivent rejoindre le SDAO. Le Président de la République a annoncé le 16 novembre un renforcement considérable, sur le plan tant des effectifs que de l’investissement, des services de la gendarmerie nationale : 67 millions d’euros sont consacrés au recrutement de 1 763 personnes. Par ailleurs, 93 millions d’euros permettront d’accélérer la modernisation de la gendarmerie en termes d’équipements. Ces nouveaux moyens permettront à la SDAO de continuer d’agir, en collaboration avec le Service central du renseignement territorial, le SCRT, face à une menace terroriste plus présente que jamais.
Cette nouvelle structure de collecte et d’analyse au sein de la gendarmerie nationale permet de valoriser les activités de coordination, particulièrement avec le SCRT. À l’heure actuelle, des structures communes, appelés « bureaux de liaison départementaux », rassemblant des personnels issus de la DGSI, la direction générale de la sécurité intérieure, du SCRT et de la SDAO, permettent un partage de l’information et une coordination très souhaitable. Des échanges de personnels s’effectuent d’ailleurs régulièrement entre les services et la collaboration avec la DGSI s’est considérablement renforcée. Or on sait qu’il pouvait y avoir là quelques failles…
Par ailleurs, le décret désignant le second cercle des services habilités à recourir aux techniques ou à certaines techniques couvertes par la loi du 24 juillet 2015 intègre bien la SDAO.
J’évoquerai également le remarquable travail des équipes de la gendarmerie au nouveau Pôle judicaire de la gendarmerie nationale à Pontoise, en particulier celui du Centre de lutte contre les cybercriminalités numériques. Ce dernier concentre de nombreux moyens humains, disposant de compétences techniques très pointues dans le domaine informatique.
Les missions des personnels sont variées et constituent d’abord un centre de ressources au service de toute la gendarmerie. La plupart des enquêtes comportent désormais un volet d’investigation numérique, mais le fait que les services techniques, juridiques et d’investigation soient rassemblés sur un même site facilite grandement le travail des enquêteurs de la gendarmerie nationale.
Pour conclure, je rappelle que les femmes et les hommes qui servent notre pays au sein de la gendarmerie nationale s’évertuent chaque jour à assurer la sécurité de nos concitoyens. Dans le contexte dramatique des événements des 13 et 18 novembre dernier, je tenais à saluer de nouveau l’excellent travail et l’engagement quotidien des personnels de la gendarmerie. C’est pourquoi j’ai voulu mettre en exergue ceux de la sous-direction de l’anticipation opérationnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Michel Le Scouarnec et Guillaume Arnell applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme beaucoup d’entre vous l’ont souligné à l’occasion de ce débat, nous sommes dans un contexte particulièrement grave de menace terroriste qui implique que nous rehaussions les moyens de nos forces afin de leur permettre de mener la guerre au terrorisme et d’assurer un haut niveau de protection des Français.
Dans ce contexte, il importe d’être le plus précis possible dans les éléments communiqués à la représentation nationale concernant les efforts faits par le Gouvernement pour faire face à cette situation si difficile.
D’abord, pour ce qui concerne les emplois, et afin de mettre un terme à un certain nombre de débats sur les efforts faits par l’actuel gouvernement depuis 2012, je veux vous donner les chiffres des effectifs de la gendarmerie et de la police nationale en 2007 et en 2012, puis préciser ce que seront ces chiffres d’effectifs une fois que vous aurez voté, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de finances pour 2016 et que la loi aura été exécutée.
En 2007, les effectifs de la gendarmerie et de la police nationale s’élevaient à 251 929 ETP, contre 239 500 ETP en 2012, soit près de 13 000 emplois de moins qu’au début du quinquennat. En 2016, ces effectifs s’établiront à 246 866 ETP, soit 7 456 de plus qu’en 2012.
Nous pouvons les uns et les autres débattre de l’importance de l’effort et nous demander si, oui ou non, nous avons créé des emplois en nombre suffisant. En revanche, nul ne peut contester qu’il en a été créé en nombre (M. Jacques Chiron opine.) et qu’il en sera créé encore compte tenu de l’annonce par le Président de la République lors du Congrès à Versailles de créer 5 000 postes supplémentaires d’ici à la fin du quinquennat. Au total, le nombre de créations de postes s’élèvera à près de 10 000 sur la totalité du quinquennat si nous maintenons le rythme de créations, ce que nous avons l’intention de faire compte tenu du contexte et des engagements pris par le Président de la République.
Ensuite, j’évoquerai les crédits dits « hors T2 », afin que, là aussi, les choses soient totalement claires.
Une fois que l’amendement du Gouvernement aura été, comme je l’espère, adopté, la police nationale verra ses crédits de fonctionnement, hors personnels, augmenter de 14 % et la gendarmerie nationale de 8,5 %. Au total, les crédits de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la sécurité civile seront en hausse de 10 %. Je rappelle qu’entre 2007 et 2012 les crédits consacrés aux forces de sécurité ont diminué de près de 15 %. Voilà les chiffres ! Ils sont simples, bruts : ils reflètent une réalité, laquelle traduit l’effort que nous faisons non pas depuis le 13 novembre dernier, mais depuis des années, et que nous avons amplifié au lendemain des attentats du mois de janvier 2015 en décidant la création dans nos services de 1 401 emplois supplémentaires, pour être très précis, qui se sont traduits par 500 créations d’emplois au sein de la direction générale de la sécurité intérieure, 500 au sein du service central du renseignement territorial, 126 au sein de la direction centrale de la police judiciaire, 40 au sein du service de protection des personnalités et 60 au sein de la direction centrale de la police aux frontières.
M. Jacques Chiron. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je le dis à M. le rapporteur, dont les chiffres sont exacts, mais ne tiennent pas compte de la période 2009–2012, or il est toujours bon d’embrasser la totalité des périodes que l’on veut traiter afin d’en donner une photographie la plus précise possible. Je le dis également à la sénatrice qui s’est exprimée tout à l’heure sur les moyens hors T2 de la police et de la gendarmerie. Je le dis enfin à tous les sénateurs qui veulent avoir la garantie que nous donnerons aux services les moyens de fonctionner correctement.
J’entrerai maintenant dans le détail de ces chiffres, de façon extrêmement fine, afin que chacun puisse disposer de l’ensemble des informations utiles avant le vote.
Dans le cadre du plan antiterroriste décidé en janvier, les effectifs des forces concourant à la sécurité ont été renforcés à hauteur de 538 nouveaux postes dès 2015, qui seront tous pourvus d’ici à la fin de l’année. Ces 538 nouveaux postes correspondent à la part, pour l’année 2015, des 1 401 postes que je viens d’évoquer et qui ont vocation à être pourvus dans la période 2015–2017.
Le plan antiterroriste sera poursuivi en 2016, avec le recrutement de 445 renforts supplémentaires dans les services antiterroristes, dont 390 dans la police nationale et 55 dans la gendarmerie nationale.
Au-delà de la lutte antiterroriste, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit également de couvrir des besoins plus structurels des forces de sécurité. Ce sont ainsi 287 effectifs supplémentaires qui vous sont proposés pour renforcer les unités de terrain, au service de la sécurisation générale de notre pays.
Par ailleurs, je veux le rappeler au Sénat, le Gouvernement a soumis à l’Assemblée nationale un amendement, voté en première lecture, visant à doter les forces mobiles et la police aux frontières de 900 effectifs supplémentaires pour faire face à la crise migratoire à laquelle le pays est confronté.
Au total, avant l’examen de l’amendement qui vous est proposé, ce sont 1 632 effectifs supplémentaires qui sont prévus en 2016, dont 1 078 ETP pour la police et 554 ETP pour la gendarmerie.
Au vu de la menace et pour atteindre notre objectif de destruction de cette menace, le Président de la République a demandé un renfort supplémentaire de 5 000 effectifs afin de lutter contre le terrorisme, de sécuriser les frontières et de renforcer encore la sécurisation générale de notre pays.
L’amendement qui vous est proposé tend à prévoir un renfort global de 3 150 effectifs supplémentaires dès 2016 pour les forces de sécurité.
La police nationale bénéficiera ainsi de 1 366 effectifs supplémentaires, qui permettront de renforcer à la fois la direction générale de la sécurité intérieure, à hauteur de 225 ETP sur deux ans, dont 113 dès 2016, et les autres services antiterroristes de la direction générale de la police nationale : la police judiciaire – elle se verra octroyer 160 renforts en deux ans –, la direction du renseignement de la préfecture de police – elle s’en verra attribuer 60 en deux ans –, le service central du renseignement territorial – il bénéficiera de 130 renforts en deux ans –, le service de protection des personnalités. La police aux frontières, la sécurité publique, les compagnies républicaines de sécurité et les compagnies d’intervention de la préfecture de police verront elles aussi leurs effectifs renforcés.
Le même renforcement est prévu pour 2017.
Au total, 625 effectifs supplémentaires auront été recrutés pour le renseignement pur en deux ans. Ces recrutements impliquent de modifier les modalités de recrutement et d’utiliser tous les leviers disponibles en matière de gestion des ressources humaines, qu’il s’agisse de la durée de formation et de stage ou du recours aux contractuels notamment. À cet égard, le directeur général de la police nationale me fera des propositions avant la mi-décembre afin que nous puissions procéder aux recrutements dans les meilleurs délais.
Pour mémoire, je rappelle simplement – là aussi, c’est un signe – que les sorties d’écoles de gardiens de la paix, qui étaient de 488 en 2012, ont d’ores et déjà été portées à plus de 3 600 en 2015. Si je ne devais m’en tenir qu’aux recrutements dans les écoles en vue de pourvoir les postes au sein de nos forces de sécurité pour apporter la démonstration de la véracité des recrutements effectifs, ces chiffres en témoignent si besoin était.
Par ailleurs, 1 763 effectifs de la gendarmerie viendront renforcer les escadrons de gendarmes mobiles, mais également les unités dans l’ensemble du territoire. Les renforts de la gendarmerie seront intégralement recrutés dès 2016, car la gendarmerie a les capacités de procéder à ces embauches compte tenu de l’organisation des recrutements. Il y a en effet deux recrutements par an, celui de la fin de l’année ayant pu être ajusté dès après les attentats.
Les effectifs des démineurs de la sécurité civile seront renforcés de vingt et une recrues en 2016.
Le solde des créations de postes, de 252 effectifs en 2016 et de 213 effectifs en 2017, viendra renforcer les services centraux et les préfectures pour l’accomplissement de leurs missions concourant à la sécurité : la lutte contre la radicalisation, contre la fraude documentaire, contre les armes et l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Je réponds ainsi à l’une des préoccupations évoquées par Mme la sénatrice Nathalie Goulet.
Au total, si vous adoptez l’amendement du Gouvernement, pour synthétiser l’ensemble de ces données, les renforts des forces de sécurité atteindront, en 2016, un total de 4 761 effectifs. J’ai noté que cet amendement avait obtenu un soutien unanime en commission. Ce vote unanime est une démonstration de notre unité, qui fait la force de notre pays face aux terroristes, et j’en remercie l’ensemble des sénateurs.
Au-delà de la poursuite et de l’intensification du renforcement des effectifs engagé dès 2012, le budget pour 2016 prévoit également des mesures catégorielles ciblées, à la hauteur de la mobilisation exceptionnelle qui est demandée aux forces de sécurité.
Pour les forces mobiles de police et de gendarmerie, l’indemnité journalière d’absence temporaire, l’IJAT, est revalorisée, à compter du 1er juillet 2015 et jusqu’en 2017. L’IJAT allouée aux CRS, qui payent un très lourd tribut et fournissent des efforts considérables dans le cadre du plan Vigipirate, croît de 30 %. Cette indemnité, je veux le rappeler, n’avait pas été augmentée depuis treize ans.
Les sous-officiers de gendarmerie et les gardiens de la paix bénéficieront d’une revalorisation indiciaire.
Un grade à accès fonctionnel sera créé pour les commissaires de police.
Pour les personnels de la sécurité civile, le régime indemnitaire des techniciens de maintenance du groupement d’hélicoptères de Nîmes sera valorisé. C’est un sujet que vous aviez me semble-t-il évoqué, madame la sénatrice Catherine Troendlé.
En outre, le Gouvernement entend poursuivre la remise à niveau des moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement des forces de sécurité. Cet effort est indispensable pour permettre aux effectifs recréés d’accomplir leurs missions, alors même que les moyens alloués aux forces de police et de gendarmerie ont diminué de 17 %, je le répète, dans la période 2007–2012.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, pour être là aussi tout à fait précis, un renforcement substantiel des moyens est d’ores et déjà prévu, avant le vote de l’amendement. Ainsi, les moyens matériels des forces de sécurité doivent croître de 9 % en autorisations d’engagement et de 1,4 % en crédits de paiement. Je ne sais donc pas d’où provient le chiffre de 0,98 % évoqué à plusieurs reprises.
Je veux préciser comment se déclineront ces moyens nouveaux, abondés par l’amendement, entre la police nationale et la gendarmerie.
Pour la seule police nationale, 40 millions d'euros seront à nouveau consacrés, comme en 2015, à l’acquisition de plus de 2 000 véhicules neufs.
Par ailleurs, la modernisation technologique sera poursuivie : 27,2 millions d'euros seront consacrés en 2016 à l’unification des plateformes de réception des appels d’urgence, au renforcement des infrastructures et des applications fondamentales, comme la Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements PHAROS ou encore le système de Circulation hiérarchisée des enregistrements opérationnels de la police sécurisés, CHEOPS, d’accès à différents fichiers, l’ensemble de ces infrastructures numériques n’ayant pas fait l’objet d’investissements depuis près de vingt ans.
De surcroît, le fonds interministériel de prévention de la délinquance recevra 17,7 millions d'euros pour lutter contre la radicalisation, mettre en place des dispositifs de vidéoprotection des lieux de culte, contribuer à l’équipement des communes en terminaux portatifs de radiocommunication, en gilets pare-balles et en armement des polices municipales. Je souhaite en effet renforcer les moyens de protection et d’intervention des polices municipales.
La gendarmerie bénéficiera également de moyens renforcés. Le plan triennal de réhabilitation du parc domanial de la gendarmerie sera poursuivi à hauteur de 70 millions d'euros supplémentaires, permettant de réhabiliter 5 000 logements, après 3 400 réhabilitations effectuées en 2015. Le renouvellement du parc automobile des gendarmes sera aussi doté de 40 millions d'euros en 2016, pour l’acquisition de 2 000 véhicules neufs supplémentaires.
Je pourrais par ailleurs évoquer, comme je l’ai fait en commission, le programme NEOGEND, qui permettra de doter les gendarmes d’outils mobiles d’accès aux systèmes d’information et garantira la modernisation de la gendarmerie par l’accès à des outils numériques de toute première efficacité.
La sécurité civile, dont il a été question, bénéficiera également d’une hausse de 8,3 millions d'euros de son budget par rapport à l’an dernier, notamment pour le maintien en conditions opérationnelles de la flotte d’avions, le renforcement de ses capacités d’intervention et de gestion de crises.
À cela, s’ajoutera le volet 2016 du plan antiterroriste décidé en janvier.
La police bénéficiera de 24,7 millions d'euros de moyens supplémentaires pour l’équipement, la protection, la modernisation technologique des moyens informatiques, de vidéoprotection et électroniques.
La gendarmerie verra ses moyens antiterroristes renforcés à hauteur de 5,2 millions d'euros, en particulier afin de poursuivre l’action de modernisation informatique des forces.
Dans le cadre du « pacte de sécurité » voulu par le Président de la République, l’amendement qui vous est soumis prévoit d’accompagner les créations d’effectifs de moyens nouveaux à hauteur de 220 millions d'euros de crédits d’équipement, d’investissement et de fonctionnement. En 2017, ces moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement supplémentaires atteindront 210 millions d'euros pour la police, la gendarmerie et la sécurité civile.
En 2016, ces moyens, répartis en 116 millions d'euros au bénéfice de la police, 93 millions d'euros au bénéfice de la gendarmerie et 11 millions d'euros au service de la sécurité civile, permettront d’assurer les dépenses nécessaires au renforcement de l’appareil de formation, en procédant aux mutualisations et à l’optimisation des moyens immobiliers autant que possible. Ils permettront également de renforcer l’effort de renouvellement du parc automobile de la police et de la gendarmerie à hauteur de 1 000 véhicules supplémentaires par force. Dès 2016, les 6 000 véhicules évoqués tout à l'heure seront acquis : 3 000 dans la police nationale et 3 000 dans la gendarmerie.
L’ensemble de ces investissements est destiné, avec l’augmentation des moyens déjà prévue par le PLF 2016, à donner à nos forces de sécurité tous les moyens matériels nécessaires à leur action.
Pour conclure, madame la présidente, je voudrais rappeler un certain nombre d’éléments concernant notre action depuis le mois de janvier 2015, car j’entends régulièrement dire que tout n’a pas été fait de ce qui devait l’être, que du retard a été pris… Le débat parlementaire doit être l’occasion d’apporter les éléments d’information et de réponse à ces interpellations.
Pour mémoire, entre 2007 et 2012, 12 519 suppressions d’emplois sont intervenues dans la police et la gendarmerie. Depuis cette date, et avant même les mesures que vous allez, je l’espère, voter, nous avons d’ores et déjà créé 2 317 postes dans la gendarmerie, 2 444 dans la police, soit au total 4 761 postes recréés.
Ce résultat est atteint grâce à l’effort décidé en janvier dernier dans le cadre du plan antiterroriste, qui a prévu 1 404 recrutements supplémentaires sur trois ans.
Avec les plans de renforts décidés par cette majorité, nous parviendrons d’ici à 2017 à un renfort de 9 341 postes, dont 8 984 pour les forces de sécurité.
Sur le plan des moyens, le même effort historique est assuré. À la suite des attentats de janvier, 233 millions d’euros supplémentaires ont été alloués sur trois ans. En 2015, cet effort représente 97,8 millions d’euros d’investissements et d’équipements supplémentaires. Ce plan s’ajoute au renfort de 432 postes décidé dès 2012 pour la DGSI, accompagné de 36 millions d’euros de moyens supplémentaires sur trois ans.
J’aimerais également souligner que les moyens juridiques ont été mis à la disposition des services. À cet égard, je tiens à adresser mes remerciements à Philippe Bas…
M. Roger Karoutchi. Ah ! Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … qui a joué un rôle déterminant dans la sécurisation de ces moyens juridiques.
La loi relative au renseignement a été promulguée le 24 juillet 2015. Nous avons conduit le travail de préparation des décrets d’application à marche forcée, et je vous laisse en juger, puisque j’ai lu que les décrets d’application de ladite loi n’avaient pas été pris.
Faisons un point : le décret relatif à la désignation des services spécialisés de renseignement, dit du premier cercle, a été adopté le 28 septembre. Le décret constituant la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, a été adopté le 1er octobre. Il fallait créer la CNCTR pour la saisir d’autres décrets : celle-ci fut créée à marche forcée et nous lui avons transmis le décret sur le second cercle. La CNCTR a d’ores et déjà rendu son avis sur ce décret – Catherine Troendlé et Michel Boutant, qui sont les représentants pour le Sénat à la CNCTR, en savent autant que moi si ce n’est plus –, de sorte que ce décret sera adopté d’ici à la fin de l’année après examen par le Conseil d’État.
Le décret permettant d’accéder au traitement d’antécédents judiciaires, pour certaines finalités, y compris pour les données portant sur des procédures judiciaires en cours et à l’exclusion de celles qui sont relatives aux personnes enregistrées en qualité de victimes, a été transmis à la CNIL et au Conseil d’État, de sorte que la publication doit avoir lieu avant la fin de l’année.
Enfin, concernant le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes, le FIJAIT, le décret prévoyant sa création, porté par le ministère de la justice, est actuellement soumis à l’avis de la CNIL, et devrait être présenté au Conseil d’État à la mi-décembre 2015.
C’est par ailleurs avec la même célérité que les décrets d’application de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme avaient été adoptés, puisque tous étaient pris dès le 3 avril. Nous avons d’ores et déjà, au titre de ces textes, prononcé 222 interdictions de sortie du territoire, 137 interdictions administratives du territoire, bloqué 87 sites, 115 adresses, prononcé 6 déchéances de la nationalité et procédé au prononcé de 34 expulsions de prêcheurs de haine depuis le début de l’année.
Je rappellerai pour terminer que, s’agissant de l’état d’urgence, nous en sommes à 2 029 perquisitions administratives, qui ont permis de saisir 139 armes longues, 113 armes de poing, 31 armes de guerre, 37 autres armes, de réaliser 250 interpellations et 220 gardes à vue.
Voilà ce que je voulais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l’action qui a été la nôtre, depuis le mois de janvier, concernant les textes d’application des lois que vous avez votées et la mise en œuvre concrète des mesures de police administrative prévues par ceux-ci, mais également les efforts budgétaires qui ont été accomplis par le Gouvernement pour mettre à niveau les budgets de nos forces de sécurité aussi bien en emplois équivalents temps plein qu’en crédits hors T2, ou encore les mesures que nous avons prises depuis le 13 novembre, qui constituent non pas une rupture, mais une amplification de celles que nous avions déjà engagées, ainsi que les résultats que ces mesures ont enregistrés en l'espace de quelques jours.
M. Philippe Kaltenbach. Bravo !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C'est la raison pour laquelle, sur ce sujet, dès lors que l’on convoque la réalité et non pas les polémiques, je pense que nous devons pouvoir cheminer ensemble utilement pour faire en sorte que notre pays, dans l’unité nationale, protège ses concitoyens du risque terroriste. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du RDSE et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Robert del Picchia applaudit également.)
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Sécurités », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Sécurités |
18 503 788 267 |
18 392 769 263 |
Police nationale |
9 779 672 055 |
9 782 202 619 |
Dont titre 2 |
8 796 852 288 |
8 796 852 288 |
Gendarmerie nationale |
8 282 846 545 |
8 134 979 106 |
Dont titre 2 |
6 909 087 540 |
6 909 087 540 |
Sécurité et éducation routières |
38 992 525 |
38 992 525 |
Sécurité civile |
402 277 142 |
436 595 013 |
Dont titre 2 |
167 204 449 |
167 204 449 |
Mme la présidente. L'amendement n° II–256, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Police nationale dont titre 2 |
167 922 265 51 534 280 |
|
167 922 265 51 534 280 |
|
Gendarmerie nationale dont titre 2 |
160 553 599 67 116 367 |
|
160 553 599 67 116 367 |
|
Sécurité et éducation Routières |
|
|
|
|
Sécurité civile dont titre 2 |
11 688 106 975 606 |
|
11 688 106 975 606 |
|
TOTAL |
340 163 970 |
|
340 163 970 |
|
SOLDE |
340 163 970 |
340 163 970 |
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous avez sous les yeux, mesdames, messieurs les sénateurs, l’objet de cet amendement. J’ai en outre évoqué dans mon propos, en réponse aux différentes interventions, les objectifs que nous nous fixions à travers celui-ci.
Il s’agit de créer 5 000 postes supplémentaires d’ici à 2017 au sein de l’ensemble des services du ministère de l’intérieur qui concourent à la sécurité de nos concitoyens, dont 4 535 postes au profit de la mission « Sécurités ».
Pour 2016, parce que l’on ne peut pas attendre pour la création de ces moyens dont nous avons besoin, l’amendement prévoit la création de 3 150 emplois pour la mission « Sécurités ». Ces créations d’effectifs s’accompagnent d’un renforcement des moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement d’un montant total de 220 537 717 euros. La répartition de ces moyens d’investissement pour nos services est détaillée dans l’objet, je vous en fais grâce.
Cet amendement témoigne donc d’un effort considérable, qui n’arrive pas soudainement. Cet effort fait suite à la création de 500 emplois par an depuis le début du quinquennat, auxquels se sont ajoutés 1 401 emplois sur trois ans après la mise en place du plan de lutte antiterroriste ; ces 1401 emplois sont accompagnés de 233 millions d'euros de crédits hors T2, pour leur permettre d’être accompagnés des moyens budgétaires nécessaires à leur équipement et au fonctionnement des services.
Ce sont ajoutés, dans un amendement adopté par l’Assemblée nationale, les crédits nécessaires au recrutement de 900 emplois supplémentaires destinés à faire face à la situation migratoire, et ce pour 2016. Les 1 401 emplois déjà décidés sont prévus sur trois ans ; les 900 emplois supplémentaires pour 2016. La part des 1 401 sur l’annualité 2016 correspond à 538, ce qui nous permet d’aboutir à l’effectif de 1 632. Enfin, vous avez ces 5 000 emplois, accompagnés de 220 millions d'euros.
Cet amendement est destiné à acter, sur le plan budgétaire, l’effort que nous faisons à la suite de la tragédie du 13 novembre dernier.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. Cet amendement, présenté par le Gouvernement, bouleverse en réalité la structure du budget tel qu’il avait été présenté à l’Assemblée nationale.
Vous avez évoqué la répartition des nouveaux effectifs, monsieur le ministre. Vous en conviendrez, en termes de progression, 1 632 effectifs supplémentaires initialement prévus pour la mission « Sécurités », cela peut sembler bien peu au regard des 10 850 postes créés dans l’enseignement scolaire.
Je ne conteste pas votre politique des effectifs, mais, comme je l’ai souligné dans ma présentation générale, celle-ci se faisait jusqu'à présent au détriment des dépenses de fonctionnement et des investissements.
Cet amendement est le bienvenu : il tient compte de la situation d’exception que nous connaissons et affiche des priorités qui n’avaient pas été prises en compte dans le projet de budget initial pour 2016.
Je rappelle que, selon vos propres chiffres, la France est le pays d’Europe qui dispose des effectifs les plus importants par rapport à tous nos voisins, à l’exception peut-être de l’Italie. Toutefois, si l’on ajoute les 10 000 militaires qui participent au plan Vigipirate, nos effectifs de sécurité sont bien les plus élevés d’Europe.
Cet amendement tend à inverser opportunément la tendance en matière de dépenses de fonctionnement. L’effort accompli sur le nombre de véhicules pour chacune des deux forces, que vous avez souligné, monsieur le ministre, est en effet nécessaire, puisque nous nous acheminions, avec le budget initial, vers un vieillissement du parc.
Compte tenu de ces orientations, la commission des finances avait émis, à l’unanimité de ses membres, un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet amendement vise à traduire dans le budget les engagements pris par le Président de la République et le Premier ministre au lendemain des événements dramatiques qui ont frappé notre pays.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos réponses précises sur la ventilation des crédits. Vous avez rappelé la situation antérieure et combien il était nécessaire de mobiliser des moyens supplémentaires conséquents.
Il reste que j’ai une interrogation, et non des moindres : comment ces nouvelles dépenses vont-elles être gagées ? Seront-elles financées par redéploiement budgétaire ou laissera-t-on, au contraire, filer le déficit, en mobilisant, par exemple, des titres de dette publique supplémentaires ?
Je rappelle que la France émet en ce moment des titres à taux négatif sur trois ans et que sa dette publique, si elle est importante – ce point est régulièrement rappelé –, est financée à dix ans à des taux proches de 1 %. Il me semble donc que l’on pourrait utilement recourir à ces leviers pour répondre à ces nouveaux besoins.
Nous voterons cet amendement, qui nous paraît important. Nous appelons toutefois à veiller à ne pas utiliser ces ressources supplémentaires pour mettre en cause les libertés démocratiques, notamment la liberté d’expression ou la liberté de manifester.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. À l’instar de M. le ministre, je salue l’engagement unanime de la commission des finances en faveur de cet amendement. Je le fais d’autant plus volontiers que nous avions nourri quelques inquiétudes après la présentation du rapport de Philippe Dominati, dont je vous lecture d’un paragraphe : « Depuis 2012, le Gouvernement a fait le choix idéologique de concentrer l’effort budgétaire sur les créations d’emplois. Pourtant, les comparaisons internationales ne témoignent pas d’une sous-dotation des forces de sécurité intérieure de notre pays, bien au contraire. Parmi nos principaux voisins européens, un seul, l’Italie, a des effectifs supérieurs aux nôtres. »
Dans un premier temps, je n’avais pas très bien compris l’expression « choix idéologique », mais je réalise maintenant qu’il s’agissait de saluer l’action du Gouvernement et des socialistes, plus particulièrement du groupe socialiste et républicain du Sénat, qui défend depuis toujours une politique sécuritaire pour nos concitoyens. Je vous remercie donc d’avoir utilisé ce terme, mon cher collègue ! (Sourires.)
Après avoir affirmé dans votre rapport, monsieur Dominati, qu’il y avait peut-être trop d’emplois dans les forces de gendarmerie et de police, nous allons finalement voter, tous ensemble, la création de 5 000 emplois supplémentaires.
Ce cheminement mérite d’être salué, à moins qu’il ne faille voir dans l’extrait que j’ai cité une tentative pour justifier a posteriori la diminution d’emplois intervenue durant le quinquennat précédent… Il serait préférable, comme l’a fait Alain Juppé, de regretter tout simplement ces suppressions, et de s’en tenir là ! (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
En ce qui concerne les comparaisons internationales, je vous engage, mes chers collègues, à faire preuve de constance dans vos analyses ; je vous l’ai dit en commission. Lorsque nous avons plus d’emplois que les autres, vous prétendez que nous gérons mal, et lorsque nous en avons moins – c’est le cas, notamment, pour la mission « Justice », rapportée par Antoine Lefèvre –, ce serait aussi dû à une mauvaise gestion : nous n’affecterions pas les effectifs nécessaires aux missions.
Mes chers collègues, il faudrait choisir : ça ne peut pas aller mal dans tous les cas de figure !
M. Roger Karoutchi. Allez, allez !
M. Claude Raynal. Quoi qu’il en soit, je vous félicite d’avoir, cette fois-ci, donné votre aval à cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. La tonalité de mon intervention sera un peu différente.
Il n’est pas si fréquent – ce point mérite d’être souligné – qu’une disposition fasse l’unanimité des deux côtés de l’hémicycle, et, pour ma part, je m’en réjouis. Vous avez accompli, chers collègues de l’opposition, un chemin important pour venir nous rejoindre sur le budget de cette mission et l’amendement du Gouvernement.
Comme cela a été souligné, cet amendement est essentiel, non seulement parce qu’il vise à autoriser la création de près de 4 000 nouveaux postes en 2016 – je n’insiste pas sur les baisses d’effectifs qui sont intervenues précédemment, mais il faut les garder en mémoire ! –, mais aussi parce qu’il tend à opérer un rééquilibrage en termes de moyens. Je citerai simplement l’achat de 6 000 véhicules, une mesure réclamée à plusieurs reprises par les syndicats professionnels et qui, au regard de la faiblesse et du vieillissement de notre parc automobile, permettra une remise à niveau bienvenue.
Pour toutes ces raisons, nous voterons bien évidemment cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je veux dire mon admiration aux élus socialistes, qui sont presque en train d’atteindre le nirvana ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Nous sommes ravis de ce virage à cent quatre-vingts degrés – vous devenez sécuritaires ! – par rapport aux politiques que vous prôniez voilà encore une dizaine d’années. Bienvenue ! Enfin, tout le monde, désormais, veut faire de la sécurité ! Lorsque j’ai créé, il y a quelque temps, le chapitre « sécurité » au sein du budget de la région d’Île-de-France, ce n’était pourtant pas gagné d’avance !
Pour le reste, nous allons bien entendu voter cet amendement, de même que les crédits de la mission « Sécurités ». Je le dis avec d’autant plus d’empressement que je vous décevrai sans doute ultérieurement, monsieur le ministre, pour ce qui concerne la mission « Immigration, asile et intégration ».
Je vous entends, mes chers collègues, rappeler les chiffres de 2007 à 2012. Mais la sécurité est, pour le Gouvernement, un acte permanent d’adaptation à la situation. Il y a cinq ans, ou dix ans, la menace terroriste n’existait pas ou était faible ; Daech n’existait pas. Il était alors normal de mener une réflexion sur la situation.
Aujourd’hui, avec les mouvements massifs de population vers l’Europe, les actes terroristes que nous venons de connaître et la menace qui reste forte, le ministre de l’intérieur estime qu’il faut renforcer la sécurité, et nous le suivons. C’est tout à fait logique et normal. La politique de sécurité du Gouvernement doit logiquement s’adapter en fonction des menaces. S’il n’y a pas de menace, nul besoin d’augmenter les crédits. Mais là, la menace existe, et, je le répète, naturellement, nous vous suivrons, monsieur le ministre. (Mme Jacky Deromedi applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Nous voterons évidemment cet amendement, mais je souhaite attirer l’attention de M. le ministre sur deux points importants.
Premièrement, nous serions bien peu de chose sans la coopération internationale, et nous devons impérativement flécher les financements dans la bonne direction et à destination de nos voisins qui en ont le plus besoin.
Deuxièmement, il est nécessaire de prévoir une répartition équitable des nouveaux effectifs sur le territoire. Les territoires ruraux, qui ne sont pas les moins exposés – des perquisitions ont ainsi été menées dans l’Orne, qui n’est pas un endroit aussi isolé ni perdu que certains veulent bien le dire ! –, ne doivent pas être oubliés.
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Eblé, pour explication de vote.
M. Vincent Eblé. J’attire l’attention sur le fait que ces 340 millions d’euros de crédits – excusez du peu ! – sont l’occasion de renforcer, non seulement les effectifs, ce qui est bien sûr nécessaire, mais aussi l’ensemble des éléments qui contribuent à l’efficacité des équipes.
En effet, face à la détermination fanatisée de quelques terroristes, la seule présence d’effectifs supplémentaires sur le terrain serait assez insuffisante si elle n’était pas complétée par des efforts budgétaires en matière de formation, de sécurisation des sites, d’équipement en véhicules, en armements, en moyens de protection et en moyens technologiques. Surtout, pour veiller à la prévention de ces actes, il est nécessaire, en complément de la loi récemment adoptée par le Parlement, de moderniser les systèmes d’information et de communication, afin de progresser, notamment, dans l’investigation numérique, le blocage des sites internet et la veille sur les réseaux sociaux, autant d’opérations qui doivent être prévues dans le budget, car elles nécessitent la mobilisation de professionnels qualifiés dotés des technologies les plus performantes et les plus novatrices. Nos moyens de lutte contre le terrorisme pourront ainsi être les plus efficaces possible.
J’ajouterai, enfin, l’absolue nécessité de développer la coopération internationale en matière de sécurité. Là encore, la volonté ne suffit pas ; il faut quelques lignes de crédit pour permettre à cette coopération internationale de se développer. Tout cela est prévu, et c’est tant mieux ! Nous vous remercions de ce travail, monsieur le ministre, et nous voterons bien entendu cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. Je ne veux pas relancer la polémique avec M. Karoutchi, mais, à chaque fois que la gauche est au pouvoir, elle renforce les effectifs des forces de l’ordre – c’était déjà vrai sous Lionel Jospin, et c’est maintenant encore le cas sous la présidence de François Hollande !
M. Roger Karoutchi. Sous Jospin, non !
M. Philippe Kaltenbach. Mais si !
M. Roger Karoutchi. C’est le cas avec M. Cazeneuve !
M. Philippe Kaltenbach. Certes, mais c’était aussi vrai sous M. Jospin, avec la police de proximité !
Et, à chaque fois que vous êtes aux affaires, pour des raisons idéologiques de lutte contre la dépense publique, d’abaissement du nombre de fonctionnaires, de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, nous assistons à une diminution des effectifs – c’est vrai pour la police, mais cela s’est aussi vérifié dans d’autres administrations –, qui affaiblit l’efficacité du service public. Même si l’efficacité ne tient pas seulement aux effectifs, elle tient aussi aux effectifs.
Nous avons assisté à une montée de l’insécurité et, depuis que M. Cazeneuve est ministre, nous nous réjouissons de voir l’insécurité et les délits diminuer en France, parce que les moyens mis en place se révèlent efficaces pour lutter contre la délinquance, ainsi que, nous le voyons d’ores et déjà, contre le terrorisme.
Depuis la mise en place de l’état de siège …
M. Roger Karoutchi. De l’état d’urgence !
M. Philippe Kaltenbach. Pardonnez-moi ce lapsus, qu’il faut éviter.
Depuis la mise en place de l’état d’urgence, voulais-je dire, nous voyons les excellents résultats qui sont à porter au crédit de la politique menée depuis 2012. D’ailleurs, ces résultats s’accélèrent grâce aux moyens supplémentaires qui viennent d’être mis à disposition.
Deux visions s’affrontent : d’un côté, des services publics disposant de moyens et qui sont efficaces ; de l’autre, des services publics que l’on veut toujours plus affaiblir.
Les membres du groupe socialiste et républicain sont très satisfaits de constater que Les Républicains évoluent dans leurs positions, reconnaissent leurs erreurs et nous rejoignent dans nos positions. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous sommes d’autant plus satisfaits de voter ensemble cet amendement !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si créer des postes de gendarmes et de policiers, c’est être sécuritaire, alors soyons sécuritaires ! Le phénomène terroriste ne date pas d’hier matin. Cela fait déjà un moment que, malheureusement, l’Europe et le monde entier sont frappés. La création de ces postes est donc plutôt une bonne nouvelle. C’est ma première remarque.
Deuxième remarque, outre les créations de postes et l’acquisition de matériels, tout l’aspect idéologique et psychologique du problème mérite aussi d’être traité d’un peu plus près. Comprendre exactement le phénomène et produire un discours à destination de l’extérieur – pas seulement en direction des individus en voie de radicalisation, mais en direction de tout leur environnement – me semble absolument fondamental pour éviter cette propagation.
Troisième remarque, contrairement à ce qu’ont affirmé certains de mes collègues, si le pacte de sécurité doit l’emporter sur le pacte d’équilibre budgétaire, cela ne doit pas se faire au détriment des actions engagées en direction de la société et de la relance économique, de façon à faire disparaître l’un des terreaux du terrorisme.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. J’entends certains de mes collègues socialistes utiliser le terme « justifier », et justifier leur politique par rapport à celle du gouvernement précédent. Mais les Français ne veulent plus de cela !
Pour ma part, je constate une chose : l’année 2015 a mal commencé avec le 7 janvier, et mal fini avec le 13 novembre. La faute à qui ? La faute à personne !
Les membres de la majorité sénatoriale – Les Républicains et l’UDI-UC – voteront, dans le cadre d’un rassemblement citoyen et de l’unité nationale, en faveur de cet amendement, et ils le font parce qu’ils sont tournés vers l’avenir.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.
M. Alain Marc. Monsieur le ministre, bien évidemment, nous voterons l’augmentation des crédits ainsi que l’accroissement des effectifs, qui seront en formation l’année prochaine.
Mais, pour ma part, j’aimerais revenir au niveau des départements et des moyens qui leur sont alloués. Dans l’Aveyron, deux gendarmeries rurales ont été fermées cette année, contre notre avis. J’avais d’ailleurs rencontré votre conseiller, le général Rodriguez, pour lui exposer mon désappointement.
Monsieur le ministre, vous n’allez pas travailler par redéploiement, par adjonction, mais je souhaite vraiment que cela ne cache pas, dans les prochains mois, une réorganisation de la gendarmerie rurale.
Je vous rappelle – mais vous le savez mieux que moi ! – que, après les attentats ayant frappé les États-Unis, les Américains étaient venus en France parce qu’ils s’étonnaient de la qualité du renseignement français, qui était, en fait, largement attribuable à la gendarmerie. Or je ne voudrais pas que, aujourd’hui, la suppression de certaines gendarmeries rurales conduise peu à peu au délitement de la qualité du renseignement.
Je fais donc appel à vous, monsieur le ministre, pour que, dans les mois à venir, nous soyons informés très en amont des réorganisations envisagées.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je remercie l’ensemble des sénateurs de leur contribution à ce débat et je tiens à leur dire à tous, toutes sensibilités politiques confondues, que je n’ai qu’une préoccupation, et une seule : surmonter la menace qui se présente à nous et qu’il faut regarder avec lucidité.
C’est une menace d’un niveau très élevé, qui doit nous conduire à prendre toutes les précautions et toutes les mesures. Dans la responsabilité qui est la mienne, mon seul objectif est que nous puissions atteindre le but d’une protection rehaussée dans le cadre d’un rassemblement le plus large possible de la représentation nationale, pour que nous soyons plus forts.
Je ne souhaite pas du tout évoquer l’évolution des effectifs dans le temps long de l’histoire. Je veux simplement dire à l’opposition que je lis, en permanence, des articles relatant que, depuis le mois de janvier, le Gouvernement n’a pas tiré les conclusions et n’a pas fait ce qui devait être fait ou des articles selon lesquels les textes d’application des lois que vous avez adoptées n’ont pas été pris, alors que je viens d’en faire l’inventaire devant vous. J’entends dire que les efforts budgétaires ne sont pas au rendez-vous. J’entends également dire – ces propos émanent non pas de l’opposition, mais de toute une série d’observateurs ! – que les services de renseignement n’ont pas fait ce qu’ils devaient, alors que nous avons été frappés par des terroristes ayant traversé l’ensemble de l’Union européenne sans qu’aucun service de renseignement les ait repérés.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis de la commission des lois. Exactement !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les attentats ont été préparés à partir de la Belgique, et ces individus n’étaient pas connus de nos propres services de renseignement.
Mais, bien entendu, tout cela produit systématiquement les mêmes débats, qui doivent résulter d’une forme de paresse d’analyse, sur les failles du service de renseignement intérieur et le choix de la technologie plutôt que des ressources humaines ou inversement. Pourtant, une analyse globale du sujet montre que nous sommes face à un problème qui résulte d’un terrorisme d’un type nouveau, dans un contexte géopolitique particulier, usant de dissimulations numériques par les moyens de la cryptologie, qui justifient la loi sur le renseignement.
Je vous le dis vraiment très sincèrement, évitons les polémiques inutiles ! Cela ne sert à rien. Quels que soient les gouvernements qui seraient en situation de responsabilité, ils auraient à faire face aux mêmes défis. Aucun gouvernement dans ce pays, quelle que soit sa sensibilité, ne souhaite exposer les citoyens français à une menace lourde, susceptible d’engendrer des tragédies pour des familles et des blessures inconsolables. (M. Roger Karoutchi acquiesce.) En la matière, chacun fait du mieux qu’il peut, sans jamais être sûr de faire aussi bien que nécessaire, sauf à manquer totalement d’humilité et d’être alors incapable de corriger sa propre politique en fonction de l’analyse qu’il doit faire du contexte.
Pour résumer, la lutte anti-terroriste est difficile. Elle implique une unité forte, une lucidité, un rassemblement. Elle exige aussi que l’on évite les mauvais procès, les mauvaises polémiques.
Dans la responsabilité qui est la mienne, je m’efforcerai de faire en sorte que nous ayons les moyens de bien faire, et je l’évoquerai devant la représentation nationale en toute transparence.
Nous le devons aux Français : ces derniers n’attendent pas de nous des querelles, ni des états d’âme, mais ils attendent des états de service ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme la présidente. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° II-282, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Lutte contre le terrorisme
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Police nationale dont titre 2 |
|
47 600 000 19 050 000 |
|
47 600 000 19 050 000 |
Gendarmerie nationale Dont titre 2 |
|
36 100 000 17 050 000 |
|
36 100 000 17 050 000 |
Sécurité et éducation routières |
|
|
|
|
Sécurité civile dont titre 2 |
|
|
|
|
Lutte contre le terrorisme dont titre 2 |
83 700 000 36 100 000 |
|
83 700 000 36 100 000 |
|
TOTAL |
83 700 000 |
83 700 000 |
83 700 000 |
83 700 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Par cette proposition, qui avait été formulée dans le rapport de la commission d’enquête que j’ai présidée, nous voulons créer une mission dédiée aux budgets consacrés à la lutte contre le terrorisme. Dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, cela pourrait faire l’objet d’une mesure que vous décideriez au niveau de votre ministère. Mais nous avons pensé qu’un document de politique transversale, un orange budgétaire, serait peut-être intéressant de façon à pouvoir suivre à la fois l’évolution des crédits et celle des missions.
En conséquence, l’amendement que je propose, avec beaucoup de frustration – entre la LOLF et l’article 40 de la Constitution, la marge de manœuvre est assez faible ! –, vise à déplacer arbitrairement des budgets pour créer un document transversal, qui permettrait aux élus de mieux suivre le budget de la mission en matière de lutte contre le terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. L’amendement de Mme Goulet souligne un aspect assez intéressant que nous avons abordé lors de la mission d’information qui m’a été confiée sur les moyens consacrés au renseignement intérieur et que j’ai évoqué dans le rapport d’information que j’ai présenté à la commission des finances concernant la classification des financements sur les services du renseignement intérieur.
Si, pour ce qui concerne le ministère de la défense, les services de renseignement extérieur sont clairement identifiés dans les crédits alloués, ce n’est pas aussi clair dans l’organigramme budgétaire du ministère de l’intérieur. Certes, il y a un travail à engager dans le sens que vous souhaitez, madame Goulet, mais cela ne peut se faire par la voie de votre amendement, car les crédits affectés à l’antiterrorisme sont nettement supérieurs dans la mesure où ils sont répartis sur diverses lignes.
C’est pourquoi je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Permettez-moi de profiter de cette occasion pour vous rendre attentif, monsieur le ministre – vous n’avez reçu mon rapport que récemment, et vous avez beaucoup à faire à l’heure actuelle ! –, aux dix recommandations que nous avons formulées, au nom de la commission des finances, dont deux concernent la nomenclature financière des financements de nos services de renseignement intérieurs. Peut-être convient-il de prévoir une évolution en la matière.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je partage l’avis de M. le rapporteur spécial.
Il me semble tout à fait légitime de vouloir suivre de façon détaillée les budgets que nous consacrons à la lutte antiterroriste. Mais les rapporteurs budgétaires qui sont chargés du suivi des différents budgets et des différentes missions du ministère de l’intérieur ont d’ores et déjà la possibilité, dans le cadre de l’exercice du suivi budgétaire qu’ils accomplissent, d’obtenir de ce dernier les éléments leur permettant de bien identifier ce qui correspond à la lutte antiterroriste dans la masse des crédits mobilisés pour les forces de sécurité.
Par ailleurs, comme vous l’avez souligné dans votre rapport d’information, et de nombreux parlementaires l’ont pointé à juste titre, nombre de ceux qui s’engagent dans le terrorisme ont été, avant de s’y engager, des trafiquants, de petits délinquants. Ainsi, lutter contre la délinquance de droit commun, développer des politiques préventives par la mobilisation de fonds interministériels de prévention de la délinquance, c’est aussi lutter contre le terrorisme.
Par conséquent, chaque service du ministère de l’intérieur est concerné. Lorsque la direction centrale de la police aux frontières fait sonner le système d'information Schengen, le SIS, elle lutte contre le terrorisme. Lorsque la police qui relève de la sécurité publique réalise, en liaison avec le service central du renseignement territorial, des missions d’information ou identifie des comportements, dans le cadre de la lutte contre la délinquance, elle lutte aussi contre le terrorisme. Quant au service du renseignement intérieur, il n’est pas nécessaire d’en faire la démonstration.
Par conséquent, si l’on devait isoler une mission ou un budget qui rende compte de tout ce que l’on fait en matière de lutte contre le terrorisme, il absorberait en réalité une grande partie des crédits de tous les services qui bénéficient de ces moyens budgétaires. Je ne pense pas que l’on en accroîtrait pour autant la lisibilité.
En revanche, pour répondre à votre préoccupation, il serait souhaitable – le Gouvernement y est tout à fait disposé, et je suis prêt à me rendre disponible pour ce faire! – que, deux fois par an ou une fois par trimestre, selon la périodicité souhaitée par le Parlement, le ministre de l’intérieur vienne rendre compte devant la commission des finances de l’utilisation précise des fonds mobilisés dans le cadre de la lutte antiterroriste.
Mme la présidente. Madame Goulet, l’amendement n° II-282 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Je vais le retirer, madame la présidente.
Je remercie M. le ministre de ses explications. Comme le disait mon collègue Pierre-Yves Collombat, ce sont les limites de la LOLF, que l’on peut comprendre. La difficulté tient aussi au fait qu’il s’agit de programmes transversaux.
Aussi, votre proposition, monsieur le ministre, me semble tout à fait bienvenue, et je vous en remercie.
Je rappelle que le même dispositif a été mis en place, avec le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, pour ce qui concerne l’exécution de la loi de programmation militaire, ce qui permet un suivi exemplaire de l’application de cette loi depuis son entrée en vigueur. Cela me paraît un bon moyen de faire un point régulier sur des sujets qui nous concernent et qui mobilisent des financements publics importants.
Dans ces conditions, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° II-282 est retiré.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le ministre, nous saisissons la balle au bond, et la commission des finances vous invitera volontiers dès que possible pour évoquer ces dispositions. Je suis certaine que nos collègues seront ravis de cet échange !
Mme la présidente. L'amendement n° II-286, présenté par M. Vaugrenard, Mme Meunier, MM. Carvounas, Marie et Jeansannetas, Mme Conway-Mouret, MM. Montaugé et Roger, Mmes Bataille et Bonnefoy, M. Courteau, Mmes Guillemot, Jourda et Perol-Dumont, MM. Cazeau et Delebarre, Mme Campion, MM. Vincent, Tourenne et Berson, Mme Claireaux, M. Boutant, Mme Blondin, M. F. Marc, Mme D. Gillot et MM. Roux, Sutour et Carrère, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Police nationale dont titre 2 |
|
|
||
Gendarmerie nationale dont titre 2 |
|
|
||
Sécurité et éducation routières |
1 250 000 |
|||
Sécurité civile dont titre 2 |
1 250 000 |
|||
TOTAL |
1 250 000 |
1 250 000 |
|
|
SOLDE |
0 |
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Il est défendu !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Cet amendement vise à mener une expérimentation du port du gilet jaune pour tous les enfants dans les transports scolaires dans dix départements.
D’abord, il est toujours en soi un peu embêtant de s’opposer à une expérimentation ! Mais, en l’occurrence, il nous en coûterait 1,25 million d’euros, une somme que les auteurs de l’amendement proposent de prélever sur le programme « Sécurité civile ». Dans le contexte de menaces terroristes que nous connaissons aujourd'hui, prélever de l’argent sur ce budget ne nous semble pas très opportun.
Ensuite, il ne nous semble pas forcément très réaliste de penser que tous les enfants qui utiliseront les transports scolaires porteront forcément leur gilet tous les jours. Entre ceux qui ont la tête en l’air et l’auront oublié, ceux qui l’auront perdu, un grand nombre d’enfants ne le porteront pas.
Enfin, si nous disposons, en matière de sécurité routière, de statistiques sur les accidents ayant entraîné le décès de jeunes de moins de dix-huit ans, je ne suis pas sûr qu’il existe des données portant spécifiquement sur les transports scolaires. Mon impression et mon expérience d’élu local me laissent simplement penser que, jusqu’à présent, les transports scolaires ne sont pas particulièrement impliqués dans les accidents, notamment mortels.
Pour toutes ces raisons, la commission des finances s’est montrée très réservée sur cet amendement. Mais elle souhaite entendre l’avis du Gouvernement avant d’arrêter une position définitive.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement est très sensibilisé à la question de la sécurité routière et très favorable à toutes les mesures visant à renforcer l’éducation à la sécurité routière, notamment pour les publics les plus jeunes.
Cependant, le présent amendement nous inspire une certaine réserve d’ordre budgétaire, car son dispositif est relativement coûteux. Si je comprends bien, la mesure pèserait sur le budget de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Or ce budget est déjà extraordinairement contraint et, comme l’ont montré les événements récents, nous avons besoin de pouvoir mobiliser fortement les moyens de cette direction, soit pour faire face à de grandes catastrophes naturelles, ainsi que nous l’avons vu à l’occasion des intempéries qui se sont récemment produites dans le sud de la France, soit à l’occasion de tragédies comme celles du 13 novembre dernier. C’est pourquoi je ne suis pas favorable à imputer les sommes visées sur ce budget.
Par conséquent, j’invite les auteurs de cet amendement à bien vouloir le retirer. En contrepartie, je m’engage à les recevoir au ministère de l’intérieur pour examiner ensemble les conditions dans lesquelles leur demande pourrait être satisfaite par la mobilisation de dispositifs adéquats et de lignes budgétaires plus opportunes.
M. Jacques Chiron. Excellent !
M. Franck Montaugé. L’amendement est retiré !
Mme la présidente. L'amendement n° II-286 est retiré.
Nous allons procéder au vote des crédits, modifiés, de la mission « Sécurités », figurant à l'état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Ces crédits sont adoptés.)
Mme la présidente. J’appelle en discussion l’amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 62, qui est rattaché, pour son examen, aux crédits de la mission « Sécurités ».
Article additionnel après l’article 62
Mme la présidente. L'amendement n° II-281, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 62
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Est joint au projet de loi de finances de l’année, dans les conditions prévues au 7° de l’article 51 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, un rapport faisant état du coût, au titre des exercices budgétaires précédents, et des dépenses prévues, pour l’exercice à venir, en vue du financement des actions de prévention et de lutte contre le terrorisme.
II. – En conséquence, faire précéder cet article de la mention :
Sécurités
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, comme je l’ai évoqué dans la discussion générale, des sommes extrêmement importantes sont consacrées aux organismes et associations qui s’occupent de la déradicalisation. Il me semble absolument essentiel que nous puissions disposer d’un suivi et d’une évaluation de ces actions.
Je le sais bien, le Sénat est, dans son ensemble, assez hostile à la multiplication des rapports. Toutefois, si nous ratons le coche des opérations de déradicalisation, nous allons perdre du temps, tant dans la prévention de la radicalisation que dans la lutte contre ce phénomène.
En outre, la relative nouveauté du sujet et la création des outils de déradicalisation sont de nature à créer un appel d’air et un effet d’aubaine : un certain nombre d’associations vont peut-être se constituer alors qu’elles n’ont pas de compétences particulières en la matière.
Pour ce qui me concerne, je suis un peu inquiète, car, comme je l’ai dit à la tribune tout à l'heure, un certain nombre de personnes semblent travailler sur ces sujets, sans bénéficier de l’encadrement nécessaire.
Pour toutes ces raisons, il est vraiment important que nous puissions disposer d’un mécanisme de suivi des outils de déradicalisation que nous mettons en place. Tel est l’objet du présent amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. Madame Goulet, votre amendement pose à peu près les mêmes problèmes que celui que vous avez défendu précédemment.
D’une part, on a du mal à identifier les crédits exclusivement réservés à la lutte antiterroriste.
D’autre part, votre initiative pourrait contrarier l’action de la délégation parlementaire au renseignement, laquelle est destinataire du rapport exhaustif des crédits consacrés au renseignement, dont une partie est parfois classée « secret défense ».
Compte tenu de cette double difficulté, je sollicite le retrait de l’amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° II-281 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Non, je vais le retirer, madame la présidente.
Mais j’aimerais tout de même que l’on trouve un moyen d’évaluer ces outils de déradicalisation, dont on ne saura jamais s’ils fonctionnent si l’on ne met pas en place leur inventaire et leur évaluation – je pense, notamment, à l’aide aux familles ou à l’encadrement des victimes.
Un certain nombre d’appels d’offres et de contrats sont renouvelés sans que l’on dispose d’évaluation. Je ne veux pas vous contrarier, monsieur le ministre, mais nous devons être certains que l’offre et la demande sont bien ajustées.
Mme Esther Benbassa. Tout à fait !
Mme Nathalie Goulet. Ces précisions étant apportées, je vais retirer l’amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame Goulet, je suis tout à fait favorable à ce que l’on mette en place, en matière de déradicalisation, un suivi similaire à celui que j’ai proposé pour les crédits consacrés à la lutte antiterroriste.
Pour ce qui concerne les appels d'offres, il existe un processus d’évaluation interne au ministère de l’intérieur.
Au demeurant, je rappelle que les rapporteurs spéciaux ont la possibilité de venir au ministère interroger ceux qui sont chargés de cette politique.
Je suis également prêt à venir devant la commission compétente du Sénat pour vous apporter toutes les réponses que, les uns ou les autres, vous pouvez vous poser et à accueillir, au ministère, l’ensemble des sénateurs qui souhaitent, sur ces sujets, procéder à la mise en œuvre de leur pouvoir d’enquête et d’investigation.
Mme la présidente. L'amendement n° II-281 est retiré.
COMPTE D’AFFECTATION SPÉCIALE : CONTRÔLE DE LA CIRCULATION ET DU STATIONNEMENT ROUTIERS
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », figurant à l’état D.
ÉTAT D
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Contrôle de la circulation et du stationnement routiers |
1 358 521 806 |
1 358 521 806 |
Radars |
204 464 000 |
204 464 000 |
Fichier national du permis de conduire |
20 536 000 |
20 536 000 |
Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers |
26 200 000 |
26 200 000 |
Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières |
666 780 557 |
666 780 557 |
Désendettement de l’État |
440 541 249 |
440 541 249 |
Mme la présidente. L'amendement n° II-324, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Radars |
5 000 000 |
5 000 000 |
||
Fichier national du permis de conduire |
||||
Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers |
||||
Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières |
||||
Désendettement de l’État |
||||
TOTAL |
5 000 000 |
5 000 000 |
||
SOLDE |
+ 5 000 000 |
+ 5 000 000 |
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le présent amendement a pour objet d’augmenter de 5 millions d’euros la dotation de l’État à l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions, l’ANTAI, afin de financer la nouvelle application de recouvrement des amendes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Cet amendement vise à moderniser le recouvrement des amendes, par l’installation d’une nouvelle application, ainsi que par le recrutement de personnels chargés de sa mise en œuvre.
La commission des finances a émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° II-174, présenté par M. Delahaye, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Radars |
5 250 000 |
5 250 000 |
||
Fichier national du permis de conduire |
||||
Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers |
||||
Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières |
5 250 000 |
5 250 000 |
||
Désendettement de l’État |
||||
TOTAL |
5 250 000 |
5 250 000 |
5 250 000 |
5 250 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial.
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Cet amendement, comme les deux suivants, concerne la sécurité routière.
Nous nous interrogeons sur l’efficacité des radars. Il faut dire que le coût à la fois d’investissement et de fonctionnement des radars « chantiers » et des radars « vitesses moyennes » est assez élevé.
Le présent amendement tend non pas à supprimer ces dispositifs, mais à diminuer le nombre de ceux qui doivent être installés : 53 nouveaux radars « vitesses moyennes » au lieu de 107 et 11 radars « chantiers » au lieu de 22. Cette réduction permettrait de réaliser une économie de 5,25 millions d’euros.
Si nous venons d’augmenter de 5 millions d’euros la dotation attribuée à l’ANTAI, nous proposons que l’économie qui résultera de l’adoption de cet amendement soit portée aux crédits du programme 754 du compte d’affectation spéciale, destiné à l’équipement des collectivités territoriales.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement ne partage pas l’analyse faite par M. le rapporteur spécial, ni pour ce qui concerne le coût de certains dispositifs de contrôle ni pour ce qui est de leur efficacité.
Le coût des dispositifs de contrôle des vitesses correspond, en réalité, à celui de deux radars, l’un placé à l’entrée et l’autre à la sortie de la zone contrôlée.
Le coût des radars autonomes est, quant à lui, beaucoup plus faible, car ces dispositifs, facilement déplaçables d’une zone à l’autre, ne nécessitent pas ou peu de travaux de génie civil. Cependant, leur efficacité ne saurait être remise en cause.
Les radars de contrôle des vitesses moyennes sont installés sur des sections dangereuses de plusieurs kilomètres, afin d’inciter les usagers à adopter une conduite responsable.
Le Gouvernement a, par ailleurs, annoncé un certain nombre de mesures qui doivent pouvoir être évaluées dans la durée. Si l’on redistribue les cartes alors même qu’un comité interministériel de la sécurité routière vient de se tenir, nous risquons de créer beaucoup de confusion !
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Pour une fois, j’irai un peu à contre-courant : ce n’est pas souvent que je contredis M. le ministre !
Les policiers et les gendarmes doivent protéger la population, lutter contre le terrorisme, les cambriolages…
En revanche, je n’ai jamais été un fanatique des radars et des alcootests (Sourires.), surtout compte tenu de la manière dont on les utilise. Faut-il vraiment sanctionner un automobiliste qui conduit sur une longue ligne droite, par temps sec ?
Étant assez réservé sur ces outils, je ne suis pas favorable à ce que l’on en installe davantage, et je voterai donc l’amendement de M. Delahaye.
M. Roger Karoutchi. Je le voterai aussi et, pourtant, je n’ai pas le permis de conduire ! (Sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° II-172, présenté par M. Delahaye, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Radars |
||||
Fichier national du permis de conduire |
13 100 000 |
13 100 000 |
||
Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers |
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Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières |
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Désendettement de l’État |
13 100 000 |
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TOTAL |
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SOLDE |
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La parole est à M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial.
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. L’amendement n° II-172 vise à supprimer la lettre de rappel adressée aux contrevenants pour leur indiquer le nombre de points qu’ils ont perdus. Mes chers collègues, ceux d’entre vous qui, comme moi, ont déjà reçu une contravention connaissent cette lettre !
Il est prévu que 15 millions de lettres soient envoyées l’année prochaine, pour un coût de 13,1 millions d’euros. C’est énorme !
Les moyens modernes de communication dont nous disposons aujourd'hui me semblent suffisants. Je pense, par exemple, au site internet qui a été mis en place par le ministère de l’intérieur et à la possibilité pour les usagers d’être informés de leur nombre de points par voie électronique. L’économie qui résulterait de la suppression des lettres de rappel permettrait de réduire l’endettement de l’État.
L’amendement n° II-175, qui sera examiné dans un instant, tend, quant à lui, à modifier en conséquence les dispositions du code de la route.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. On ne peut supprimer l’envoi de tous les courriers, notamment pas ceux à destination de personnes dont la perte de points est telle qu’elle entraîne le retrait de leur permis de conduire.
Par ailleurs, la suppression des lettres suppose que nous ayons financé la totalité de la dématérialisation. Or cela ne se fera qu’au terme de l’exercice budgétaire de l’année 2016. Il y aurait donc une année au cours de laquelle aucune information ne serait donnée. Or nous sommes dans l’obligation d’envoyer des lettres à ceux qui ont perdu leur permis de conduire.
Pour cette raison, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », figurant à l’état D.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Ces crédits sont adoptés.)
Mme la présidente. J’appelle en discussion l’amendement tendant à insérer un article additionnel qui est rattaché pour son examen aux crédits du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
Article additionnel après l'article 63
Mme la présidente. L'amendement n° II-175, présenté par M. Delahaye, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 63
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 223-3 du code de la route, les mots : « par lettre simple ou, sur sa demande, » sont supprimés.
La parole est à M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial.
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Par coordination avec le vote intervenu sur l’amendement n° II-172, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° II-175 est retiré.
Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Sécurités », ainsi que du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
Avant de passer à la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, dans le délai qui m’est imparti, je ne reprendrai pas tous les éléments des débats que nous avons déjà eus il n’y a pas si longtemps, lors de l’examen du texte relatif à l’asile.
Pourquoi ne suis-je pas, en cet instant, un rapporteur spécial heureux ? Tout simplement parce que, en matière d’immigration, et alors que je viens de voter sans réserve les crédits de la mission « Sécurités », la remise à plat n’est pas encore faite.
Bien sûr – et je ne le conteste pas –, le Gouvernement réalise des efforts : vous avez fait adopter, à l’Assemblée nationale, un amendement de 100 millions d’euros, et un autre de 14 millions d’euros nous sera présenté ultérieurement ; vous construisez des places dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile, les CADA, à un rythme plutôt soutenu ; vous avez recruté un peu de personnel supplémentaire à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Oui, un peu, monsieur le ministre.
Nonobstant tout cela, comme je le disais voilà quelques instants à propos de la mission « Sécurités », c’est la réponse apportée à un moment précis qui compte. Or, face à la vague migratoire, nous sommes loin du compte.
Bien évidemment, nous ne sommes pas dans la situation de l’Allemagne qui aura reçu, au cours de l’année 2015, 20 millions de migrants. Toutefois, et indépendamment des 30 000 migrants que vous avez accepté de recevoir sur le territoire national en deux ans dans le cadre du plan européen de relocalisation, nous aurons probablement accueilli environ 80 000 demandeurs d’asile en 2015, soit déjà 15 000 de plus qu’en 2014.
Or l’État aura, à la fin de cette année, une dette auprès de Pôle emploi, au titre de l’allocation pour demandeur d’asile, évaluée entre 100 et 200 millions d’euros, qui n’est pas réglée. L’État donne un peu plus de moyens à l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, et à l’OFPRA, mais ce n’est pas assez, très sincèrement, pour affirmer que l’OFPRA réussira à traiter toutes les demandes d’asile – le nombre de demandeurs est conséquent en 2015 et le nombre probable de demandeurs en 2016 le sera tout autant ! –, si l’on se fonde sur les conditions actuelles.
S’agissant de l’OFII, on a prévu, ici ou là, quelques moyens supplémentaires, mais ceux-ci sont en réalité très limités par rapport aux moyens que je demande depuis des années en faveur de l’intégration.
Monsieur le ministre, l’Allemagne a annoncé qu’elle consacrerait, en 2016, 10 milliards d’euros de plus. J’ai même entendu l’un de vos collègues du Gouvernement, l’inestimable ministre de l’économie, dire qu’il faudrait créer un fonds franco-allemand pour les migrants et les réfugiés, doté de plusieurs milliards d’euros. Je ne sais pas ce qu’il voulait en faire exactement, …
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. … mais il semble dire que, au vu du problème migratoire, on ne s’en sortira pas avec l’ensemble des moyens budgétaires aujourd'hui prévus.
La réalité est relativement simple, monsieur le ministre. Oui, vous faites un effort. Oui, vous avez construit des places en CADA. Oui, vous avez prévu du personnel supplémentaire à l’OFPRA. Le rapporteur spécial que je suis pourrait vous dire : « Banco ! On vote les crédits de la mission », si nous étions dans une situation globalement normale. Mais nous ne le sommes pas !
Je le reconnais bien volontiers, je vois assez peu de ministres de l’intérieur européens être aussi fermes que vous pour ce qui concerne le contrôle des frontières. Pour autant, ni les hotspots ni le contrôle des frontières n’ont encore été mis en place ! Toutes les mesures nécessaires qui devaient être prises au niveau européen pour maîtriser les entrées et les flux ne le sont toujours pas. Tout cela signifie que nous aurons forcément, en 2016 et en 2017, une situation extrêmement compliquée en France. Celle-ci aurait probablement nécessité de prévoir un « plan d’urgence pour les migrants » – appelez-le comme vous voulez ! –, avec des crédits nettement plus importants que ceux qui sont alloués à la mission actuelle.
Ce n’est pas en passant de 700 à 800 millions d’euros que vous traiterez la crise migratoire à laquelle nous sommes confrontés. Vous pourriez m’expliquer, et je pourrais le comprendre, que tant que les demandeurs d’asile ne sont pas là, on ne budgète pas un effort supplémentaire. Mais une telle position implique que nous devrons, au cours de l’année 2016, voter des rallonges budgétaires, qu’il faudra bien, par définition trouver, parce que les crédits qui nous sont aujourd'hui présentés sont sous-évalués.
Par conséquent, mon sentiment est partagé. Je ne suis pas opposé, je l’ai dit en commission, à cet amendement visant à créer quelques postes à l’OFII et à l’OFPRA, dont le coût est évalué à 14 millions d’euros. Toutefois, je continue de m’inquiéter de la dette due à Pôle emploi et de l’absence de moyens supplémentaires en faveur des centres d’hébergement d’urgence. On a, en outre, le sentiment que, pour des raisons que je ne maîtrise pas, vous ne souhaitez pas envisager une augmentation réelle du nombre de demandeurs d’asile en 2016 et 2017. Pourtant, une telle hausse se fera mécaniquement.
Je ne vois pas comment on pourrait éviter que le nombre de demandeurs d’asile ne s’élève à 90 000 ou 95 000 en 2016. Il faudra bien les héberger, leur accorder une allocation, les intégrer ! Or tout cela n’est absolument pas budgété.
Ce n’est pas tout blanc ou tout noir. Oui, vous faites des efforts, que je reconnais bien volontiers. Malgré tout, je considère que, eu égard à la vague migratoire que nous connaissons et à l’absence, pour le moment, de maîtrise européenne sur ce sujet, la France devrait consacrer davantage de moyens pour sécuriser l’entrée des migrants en France. C’est la raison pour laquelle j’appelle à ne pas voter les crédits de cette mission.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, rapporteur pour avis.
Mme Esther Benbassa, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour l’asile. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette année a été marquée par l’afflux massif en Europe de demandeurs d’asile en provenance de Syrie et d’Irak, un afflux communément désigné comme la « crise des réfugiés », dans laquelle la France occupe une place paradoxale.
Ce budget porte la marque de ce contexte, par la mise en œuvre du plan « Répondre au défi des migrations : respecter les droits – faire respecter le droit », dit « plan Migrants », annoncé en juin dernier par le Gouvernement.
En 2016, les crédits consacrés à l’exercice du droit d’asile figurant dans le programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration », au titre de l’action n° 2, Garantie de l’exercice du droit d’asile, ont été portés à 601,1 millions d’euros, soit une augmentation de 21 %.
De même, le parc des CADA, moins coûteux que l’hébergement d’urgence, passera de 21 410 places en 2013 à 33 100 places à la fin de l’année 2016. Ce sont 2 000 nouvelles places qui devraient être créées en 2017.
Les crédits consacrés à la Cour nationale du droit d’asile augmenteront également de près de 4,5 %.
Dans le contexte de forte contrainte budgétaire actuelle, l’effort consenti en faveur de la garantie de l’exercice du droit d’asile mérite donc d’être salué.
Signalons également les créations de postes à l’OFPRA, qui se trouve doté de 110 emplois supplémentaires pour 2016. Ce projet de budget répond en principe aux grandes lignes de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, à savoir la réduction du délai de traitement de la demande d’asile et l’amélioration de la prise en charge des demandeurs d’asile.
À ce propos, permettez-moi de rappeler que la question de l’accueil des demandeurs d’asile en Île-de-France reste encore actuellement problématique, ces derniers peinant à obtenir un rendez-vous en préfecture. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
La commission des lois a émis un avis favorable sur les crédits consacrés à l’asile, sous réserve, toutefois, d’un nouvel abondement en cas de flux non anticipé de demandeurs d’asile.
Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour l’immigration, l’intégration et la nationalité. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part des observations formulées par la commission des lois sur les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2016 à la politique d’immigration et d’intégration.
Tout d’abord, la commission a constaté que le budget de la mission a été élaboré selon des principes bien différents et même en totale rupture avec les budgets des années précédentes.
En effet, l’augmentation du budget de l’action dédiée à l’asile s’est également accompagnée d’une progression des crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière. En outre, les crédits du programme relatif à l’intégration et à l’accès à la nationalité française sont également en hausse, et la commission l’a souligné.
Cette évolution est d’ailleurs liée en grande partie à l’anticipation de la réforme du droit des étrangers, actuellement en cours de discussion au Parlement.
La commission n’a pas constaté de très grands changements quant à la structure de l’immigration irrégulière, qu’il s’agisse de l’origine de l’immigration ou des raisons l’ayant justifié. Ainsi, l’immigration familiale, qui atteint 47 %, est presque majoritaire, alors que l’immigration économique, beaucoup plus faible, est de l’ordre de 9 %, et cela, je le redis, sans changement par rapport aux années précédentes.
Je formulerai trois observations principales.
Premièrement – la presse qualifierait cette remarque de « marronnier » –, la commission des lois regrette la sous-utilisation chronique des salles d’audience délocalisées et de la vidéo-audience, singulièrement pour ce qui concerne la mise en service de l’annexe du tribunal de grande instance de Bobigny dans la zone d’attente à Roissy. Il n’est pas normal que cette salle d’audience ne fonctionne pas comme elle le devrait.
Deuxièmement, la commission a constaté qu’il n’existait pas d’évaluation du coût réel de la politique d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Elle a déploré en particulier que l’indicateur permettant d’évaluer l’effectivité des reconduites soit construit sans intégrer le nombre de décisions d’éloignement prononcées.
Nous avons, toutefois, estimé que le bilan de la lutte contre les filières d’immigration clandestine était positif, en particulier grâce à l’action de l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et l’emploi d’étrangers sans titre, plus connu sous l’acronyme d’OCRIEST.
Troisièmement, la commission s’est une fois de plus inquiétée de la faiblesse des moyens accordés à l’OFII. Les contraintes financières qui pèsent sur cet office, alors même que son champ d’intervention a été largement développé, risquent de le mettre dans l’incapacité d’exercer ses propres missions. Je rappelle notamment que le budget de l’allocation pour demandeur d’asile n’est pas intégré au sein d’un budget annexe.
C’est donc sous réserve de ces trois observations que la commission des lois a émis favorable sur ces crédits.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Natacha Bouchart.
Mme Natacha Bouchart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans les circonstances que connaît actuellement notre pays et que je connais moi-même, la question migratoire se pose avec une acuité encore plus forte.
Bien entendu, il ne faut pas confondre les questions de sécurité liées au terrorisme et les questions politiques, économiques et sociales liées à l’immigration. Pourtant, c’est vrai, elles se recoupent partiellement, car la perméabilité de nos frontières est une faille dans notre défense contre les nouvelles menaces qui se sont rappelées cruellement à nous lors des attentats du 13 novembre dernier.
Mais si la question migratoire dépasse largement cette problématique, il n’en reste pas moins que la tension qui s’exerce aujourd’hui sur le moral de la nation accroît encore plus l’urgence d’adapter notre politique de maîtrise et de contrôle des flux migratoires.
C’est donc avec détermination que j’aborde cette question, consciente de ses enjeux, en raison de mon parcours personnel.
Je tiens à le dire à cette tribune, étant moi-même issue d’une famille d’origine polonaise et arménienne, je sais la contribution que peuvent apporter à la France des étrangers qui viennent chez nous avec, dans le cœur, le respect de la République et la volonté de réussir leur vie.
Je sais l’espoir que peut représenter la France pour les candidats à l’émigration, partout dans le monde. Mais en tant que maire de Calais, je sais aussi les contraintes qu’une immigration incontrôlée, irrégulière, permise par l’affaiblissement des outils régaliens, peut faire peser, tout autant sur la population française que sur les clandestins, qui se retrouvent chez nous dans des situations humainement insupportables.
Monsieur le ministre, le budget que vous proposez est en augmentation, ce dont je ne peux que me réjouir. Mais cela sera-t-il suffisant pour assumer la situation inédite que nous vivons actuellement ? En effet, depuis trois ans, la crise migratoire a changé de dimension.
La situation à Calais en est la preuve la plus évidente. Alors que l’on y dénombrait 500 migrants environ voilà trois ans, nous avons dépassé les 6 000 migrants il y a quelques semaines, pour redescendre aujourd'hui à 4 500.
Face à cette situation exceptionnelle, les moyens mis en œuvre par l’État sont-ils suffisants ?
Nous ne pouvons nier les efforts accomplis par les services de l’État, notamment par le ministère de l’intérieur, et en particulier par vous-même, plus personnellement, monsieur le ministre. Je pense, par exemple, au travail réalisé par l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et l’emploi d’étrangers sans titre contre les filières de passeurs qui exploitent la misère humaine.
Comme le souligne, dans son rapport, notre collègue François-Noël Buffet, sur les dix premiers mois de l’année 2014, huit filières d’acheminement vers le Royaume-Uni ont été démantelées. En 2015, pour la même période, ce sont près de vingt-six filières qui ont été démantelées, dont vingt-quatre sur l’initiative de la direction centrale de la police aux frontières.
Ce travail remarquable de nos fonctionnaires de police doit être salué, même si des réseaux, notamment organisés par certains ressortissants albanais, restent bien trop actifs et doivent encore être combattus.
Je n’oublie pas non plus, monsieur le ministre, les investissements consentis par l’État pour l’aménagement de la lande et du centre Jules-Ferry.
Mais force est de constater l’étendue de la problématique : les questions financières, notamment, restent entières, y compris pour la ville de Calais, qui est amenée à assumer un certain nombre de tâches liées au phénomène migratoire, même si la logique de convention qui lie notre collectivité locale et l’État a vocation à en compenser le coût.
De manière plus générale, je veux souligner l’importance de la réponse apportée au titre de la politique de l’asile, mais celle-ci ne peut faire oublier toutes les autres actions nécessaires pour lutter contre l’immigration irrégulière. En particulier, j’appelle de nouveau le Gouvernement à prendre en compte l’indispensable identification des migrants, spécialement ceux qui ne relèvent pas de l’asile.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Natacha Bouchart. En effet, cette mesure ne peut concerner les seuls réfugiés : elle doit être systématiquement mise en œuvre pour tous les clandestins. L’enregistrement des photos et des empreintes digitales doit être non pas une option, mais une obligation.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Natacha Bouchart. Nous ne sommes pas en mesure de dire, aujourd’hui, qui se trouve sur la lande de Calais !
Se donner les moyens de savoir qui entre sur notre territoire, qui y circule, qui y stationne, à Calais comme ailleurs, c’est se donner les moyens non seulement d’assurer la sécurité de nos compatriotes, mais aussi de procéder à une gestion ferme et rigoureuse des flux migratoires. Ne pas le faire serait, à mon sens, une faute. Face à l’inquiétude de notre population, à la crise migratoire sans précédent que nous vivons, au défi lancé à notre sécurité, peut-on laisser la place au hasard ?
Une telle action d’identification permettrait de connaître les besoins des migrants, pour pouvoir mieux les aider et leur fournir l’aide humanitaire appropriée. Mais mener cette politique de façon systématique nécessite, il est vrai, des moyens, et ce sont ces moyens que le pays attend aujourd’hui.
De même, une politique ferme de reconduite à la frontière, sans laxisme pour les clandestins qui commettent des délits, implique que des moyens conséquents soient au rendez-vous.
Cette fermeté doit aussi s’appliquer aux activistes No Borders, qui instrumentalisent les migrants pour des motifs politiques et sont à l’origine des mouvements de foule et des attaques de migrants contre, par exemple, le site du tunnel sous la Manche, le port de Calais ou les fonctionnaires de police eux-mêmes. Ils représentent la même idéologie et utilisent les mêmes méthodes que celles que nous avons tristement vues à l’œuvre ce week-end, place de la République à Paris. (Mme la présidente de la commission des finances et M. le rapporteur spécial acquiescent.)
Les No Borders étrangers qui attisent le désordre à Calais doivent être expulsés sans délai de notre pays.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Natacha Bouchart. La situation de Calais, parce que je la vis au quotidien, m’en donne la certitude : la politique de la France en matière d’immigration nécessite une fermeté, qui exige des moyens nouveaux, pour apporter également beaucoup d’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Goulet et M. Guillaume Arnell applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un entretien publié le 25 novembre dernier par un grand quotidien allemand, le Premier ministre a réclamé que l’Europe cesse d’accueillir des réfugiés en raison de la menace djihadiste.
Il a expliqué sa fermeté concernant l’accueil des migrants en se référant à certaines indications des enquêteurs français : deux des tueurs du 13 novembre à Paris avaient profité du flux de migrants pour traverser l’Europe et rejoindre la France.
Il semblerait que l’amendement déposé par le Gouvernement visant à augmenter le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » confirme cet état de fait.
Passant de 652 millions d’euros en 2015 à 703 millions d’euros pour 2016, le Gouvernement a décidé d’abonder davantage ce budget, en y ajoutant près de 14 millions d’euros, dans le cadre de l’effort déjà engagé au titre du renforcement des moyens de lutte contre le terrorisme et de sécurisation des frontières.
Si nous ne pouvons que soutenir la décision du Gouvernement d’augmenter les budgets des missions « Justice » et « Sécurités » avec des sommes autrement plus conséquentes – les dotations supplémentaires s’élèvent respectivement à 266 millions et à 340 millions d’euros –, permettez-nous néanmoins de douter de l’objectif qui sous-tend l’augmentation du budget de la mission « Immigration, asile et intégration », à savoir abonder, notamment, les moyens nécessaires à l’armement des hotspots en Italie et en Grèce.
Certes, un renforcement des outils de contrôle aux frontières est plus que jamais nécessaire, mais nous vous mettons en garde contre les amalgames, renforcés par les tragiques événements que nous venons de vivre.
Le thème du terrorisme et celui des migrants se télescopent. Cependant, ne cédons pas à l’instrumentalisation de ces deux sujets, trop souvent pratiquée par la droite au pouvoir !
Nous ne pouvons nier que quelques terroristes passent entre les mailles des flux de migrants. Mais faut-il pour autant renoncer à trouver une solution d’accueil pour l’immense majorité des autres ? Rappelons que la quasi-totalité des réfugiés fuient des zones de conflits et de massacres dans le monde, notamment au Proche-Orient : victimes des persécutions que nous connaissons, ils nous demandent l’asile.
D’ailleurs, si les crédits de l’action n° 2, Garantie de l’exercice du droit d’asile, sont en nette progression par rapport à 2015, avec une augmentation de 7,4 %, il faut noter que cette action est sous-dotée depuis plusieurs années et nécessite, à chaque exercice, d’importantes rallonges budgétaires.
Les dotations prévues pour 2016 sont hypothéquées, en raison précisément des conséquences, difficiles à prévoir, de la crise migratoire et de la mise en œuvre des programmes de relocalisation, dans le cadre desquels la France accueillera des demandeurs d’asile supplémentaires ; c’est du moins ce que nous osons espérer.
Concernant l’hébergement, on peut se féliciter de la poursuite de la progression du nombre de places en centres d’accueil de demandeurs d’asile : 3 500 nouvelles places seront créées en 2016 et 2 000 en 2017.
En définitive, avec 33 000 places en CADA prévues en 2016, un nombre de demandeurs d’asile estimé à 70 000 et une durée moyenne de traitement des demandes par l’OFPRA de 200 jours, le dispositif national d’accueil restera insuffisant pour garantir un hébergement à tous ceux qui en ont besoin.
Les crédits de l’action n° 3, Lutte contre l’immigration irrégulière, globalement en augmentation, se caractérisent par une hausse significative des crédits dédiés aux frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière.
De manière générale, nous regrettons que la politique menée en la matière s’inscrive dans la continuité de la politique conduite par la précédente majorité.
Dans le cadre du projet de loi relatif au droit des étrangers en France, nous déplorons en particulier la volonté d’accélérer le traitement des mesures d’éloignement au mépris du droit à un recours effectif pour les personnes en situation irrégulière.
S’agissant de la rétention, on peut, certes, se réjouir que le projet de loi susmentionné prévoie d’accorder la priorité à l’assignation à résidence plutôt qu’au placement en rétention. Mais on peut s’inquiéter de la volonté du Gouvernement, annoncée en juin 2015 dans le cadre du plan « Migrants », de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière, en optimisant l’utilisation des places existantes dans les centres de rétention administrative.
La banalisation des restrictions à la liberté individuelle par l’interchangeabilité de l’assignation à résidence et de la rétention administrative n’est pas, à nos yeux, acceptable.
Plus spécifiquement, concernant le principe de l’interdiction de la rétention des enfants, rappelons que l’engagement du candidat François Hollande en 2012 était non pas de limiter la rétention des enfants et de familles, mais bien d’y « mettre un terme ». Nous déplorons que cette promesse ne soit pas honorée.
Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » représente, avec 70,2 millions d’euros prévus pour 2016, moins de 10 % des crédits de paiement de la mission. On peut se féliciter que ce programme connaisse, pour la première fois depuis plusieurs années, une hausse de ses crédits de 20 %. Mais là encore, sur le fond, nous regrettons que les procédures d’accès à la nationalité française n’aient pas rompu avec le dispositif mis en place par la majorité précédente.
Le projet de loi relatif au droit des étrangers en France ne prévoit pas de modifier fondamentalement la logique du contrat d’accueil et d’intégration. Rebaptisé « contrat d’intégration républicaine », celui-ci demeure avant tout, malheureusement, destiné à la maîtrise des flux migratoires. Nous réfutons cette logique d’« insertion-stabilisation » selon laquelle la signature du contrat d’intégration républicaine est nécessaire à l’obtention d’un titre de séjour. Au contraire, nous considérons que c’est d’abord la garantie de stabilité du séjour qui permet de faciliter l’insertion des étrangers.
En définitive, au regard de l’insuffisance des moyens déployés pour faire face à la crise migratoire et du tournant idéologique qui semble être pris par le Gouvernement en matière d’immigration – en témoigne le projet de réforme sur le droit des étrangers en France –, les sénateurs du groupe CRC, vous l’aurez compris, mes chers collègues, ne voteront pas les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, apprendre qu’une bombe vient d’exploser, qu’une fusillade vient d’éclater ; s’inquiéter pour ses proches, sa famille, ses amis, dont on sait ou dont on peut supposer qu’ils se trouvent près des lieux touchés ; ne rien pouvoir faire ; ressentir l’angoisse de l’attente, puis bien pire, si le pire est arrivé : c’est ce que nous avons vécu le 13 novembre dernier.
Mais cette vie, cette attente, ces deuils, c’est ce que vivent au quotidien, parfois depuis des années, ceux qui aujourd’hui se trouvent dans des camps en Jordanie, au Liban, en Turquie, et tentent, pour certains d’entre eux, de rejoindre l’Europe. Imaginez ce que signifie pour ces personnes : offrir une protection.
C’est dans cette perspective qu’il nous faut aborder cette belle politique, solidaire et humaniste, que doit être la politique de l’asile.
Deux sujets méritent d’être abordés : d’une part, la mise en œuvre de la réforme de l’asile et, d’autre part, le contexte international, les deux étant évidemment liés.
La réforme de l’asile adoptée en juillet 2015 est fondée sur les principes suivants : plus de droits pour les requérants, pour une meilleure efficacité de notre système, moins de détournements de la procédure, un accroissement de la capacité d’intégration et des délais de réponse plus courts.
La lecture des chiffres de l’OFPRA en atteste : depuis 2012, le taux de reconnaissance de protection est passé de 44 % à 77 %, les admissions étant prononcées plus rapidement et plus souvent en première instance ; le stock de demandes a diminué de plus de 20 % en un an ; le nombre d’agents de l’OFPRA est passé de 420 à 525 entre 2012 et 2015.
Après avoir augmenté de manière significative les moyens relatifs à l’instruction des dossiers, il est prévu, pour 2016, de faire des efforts pour ce qui concerne le back office, chargé notamment de notifier les décisions et de dresser les actes de l’état civil.
Même si je déplore le recours trop important à des contractuels, ces nouvelles embauches permettront néanmoins à l’OFPRA de répondre aux exigences de la réforme de l’asile.
Quant à l’augmentation du nombre de places en CADA, qui a déjà été évoquée, elle devrait, conjuguée au raccourcissement des délais de réponse, contribuer à un déblocage de notre dispositif national d’accueil, qui était fortement « embolisé ».
Je salue également le travail accompli à Calais depuis un an – les services de l’État ont convaincu 2 000 personnes présentes sur place de faire une demande d’asile en France –, ainsi que l’efficacité de notre procédure de demande de visa au titre de l’asile : en Jordanie, au Liban, en Turquie, elle permet de recevoir des demandes de la part de ceux qui ont besoin d’une protection de la France.
À mes yeux, il est souhaitable d’avoir un tel dispositif, qui permet aux personnes concernées d’éviter de risquer leur vie pour venir jusqu’en Europe. Mais il faudrait que la procédure soit plus normée et que l’OFPRA puisse jouer un rôle dès l’étape de la demande de validation auprès de l’administration, avant la délivrance du visa.
En revanche, j’aimerais vous faire part de quelques inquiétudes.
D’abord, dans certains départements, les plateformes de premier accueil ne semblent pas capables de donner à temps les rendez-vous au guichet OFII/préfecture. Cela allonge d’autant la possibilité de formuler une première demande d’asile ; nous le constatons depuis la mise en œuvre de la réforme.
Ensuite, alors que nous avons assigné des objectifs à la CNDA, en l’occurrence cinq semaines pour les procédures accélérées et cinq mois pour la procédure normale, les crédits alloués à la Cour – certes, ils figurent dans la mission « Conseil et contrôle de l’État », et non dans celle que nous examinons aujourd'hui – sont en recul. C’est regrettable, car la réussite de la réforme devra nécessairement être une réussite globale. Si la CNDA n’a pas les moyens d’exécuter les tâches que la loi lui confie, c’est un problème !
Enfin, je m’interroge sur les évolutions budgétaires si la France commence à être sollicitée au titre des demandes d’asile dans les mêmes proportions que le reste de l’Europe.
Je voudrais à présent évoquer la situation internationale. Pourriez-vous nous faire un point sur la mise en œuvre des hotspots et sur la relocalisation ? Cette politique est indispensable pour les pays de première arrivée dans l’Union européenne, mais on a l’impression que son démarrage effectif n’est pas parfait.
L’observation des mouvements migratoires dans les Balkans, depuis la Grèce jusqu’à la Croatie, en passant par la Macédoine et la Serbie, met en lumière la nécessité de travailler ensemble, tant pour l’accueil des réfugiés que pour la sécurité des Européens. Il n’est pas logique que des pays européens réalisent deux fois le même travail. Tout doit être coordonné depuis la Grèce jusqu’à l’arrivée en Croatie, afin que les choses se passent le mieux possible. Certes, il est très difficile de contrôler les frontières extérieures de la Grèce. Mais essayons au moins d’avoir des équipes européennes capables d’accompagner au mieux les sorties de Grèce et les arrivées en Macédoine.
Voilà qui m’amène à aborder la question de la sécurisation des frontières. Il y a un contrôle biométrique à l’entrée et à la sortie de la plupart des pays du monde. Si nous voulons consolider l’espace Schengen, il faut instituer un contrôle systématique biométrique à l’entrée et à la sortie. C’est finalement le meilleur moyen d’assurer notre sécurité, en complément avec les dispositions en matière d’interdiction de sortie du territoire que nous avons adoptées au cours de la dernière période.
Je conclurai par une question et une remarque.
D’abord, la France restera-t-elle toujours une exception en Europe ? Les demandes d’asile ont augmenté de 15 % dans notre pays, alors qu’elles ont plus que doublé dans l’ensemble des pays européens. La France doit-elle être durablement une exception, et le peut-elle ?
Ensuite, aucun budget, aussi important soit-il, ne garantira l’intégration des étrangers en France tant qu’on leur renverra systématiquement et à chaque instant leur condition d’étranger au visage ! Aussi, il importe d’affirmer l’égalité des droits et des devoirs de tous ceux qui ont le droit de vivre sur le territoire de la République ! C’est bien plus important aujourd’hui que des variations de quelques millions d’euros sur un budget.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et républicain votera ces crédits, qui marquent la volonté du Gouvernement de mettre en œuvre la réforme de l’asile, de faire face aux contraintes internationales et de répondre aux enjeux auxquels nous sommes confrontés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée de la réforme de l'État et de la simplification, mes chers collègues, la crise des réfugiés doit, plus que jamais après les événements qui ont secoué notre pays le 13 novembre dernier, trouver une solution globale, c'est-à-dire européenne, mais également internationale, négociée notamment avec la Turquie – cela semble être le cas depuis hier – et l’ensemble des parties prenantes.
Selon les chiffres de l’agence FRONTEX, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, plus de 500 000 hommes, femmes et enfants ont été dénombrés aux frontières de l’Union européenne au cours des huit premiers mois de l’année. C’est donc une urgence humanitaire. Mais il y va de la sécurité de nos concitoyens et de la cohésion de notre pacte républicain.
Dans ces conditions, la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration » pour 2016, que nous examinons aujourd’hui, revêt une importance toute particulière. Elle traduit en termes budgétaires à la fois le contexte migratoire particulier que nous connaissons et la mise en œuvre des mesures de bon sens que nous avons adoptées dans la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile et dans le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, qui est en cours de navette parlementaire.
L’approche globale du Gouvernement sur le sujet se veut pragmatique. Elle reprend les mêmes objectifs que l’année dernière, et nous continuons – comment pourrait-il en être autrement ? – à y adhérer : maîtrise des flux migratoires, garantie du droit d’asile et intégration des personnes en situation régulière. En d’autres termes, il s’agit d’adapter la politique d’immigration à la réalité économique et sociale de notre pays et de renforcer notre attractivité, tout en luttant contre les flux irréguliers et leurs corollaires : la traite humaine et les réseaux mafieux.
La maîtrise des flux migratoires constitue la condition sine qua non d’une politique d’accueil. Le budget pour 2016 prévoit une progression des crédits de près de 20,5 %, ce qui porte la part de ces actions à 12 % du programme 303. Cette augmentation intervient en complément des différentes mesures visant à nous doter d’un arsenal législatif approprié, que nous avons adoptées.
Je pense particulièrement, en matière d’asile, à l’établissement d’une liste de pays sûrs et à la création de procédures « accélérées » dans les cas où la demande peut apparaître manifestement étrangère à un besoin de protection. Je pense également, en matière de droits des étrangers, aux dispositions relatives à la réduction des délais d’éloignement des personnes en situation irrégulière.
L’immigration irrégulière touche de longue date les territoires ultramarins. Je profite de cette discussion pour souligner que nous devons faire face aux mêmes flux migratoires que la métropole.
À Saint-Martin, territoire dont je suis élu, voilà une dizaine de jours, trois hommes suspectés d’être des ressortissants syriens, mais voyageant avec de faux passeports grecs, ont été interpellés dans la partie néerlandaise de l’île. Ils étaient en provenance de l’aéroport international de Port-au-Prince à Haïti. Une enquête est en cours pour connaître leurs motifs et les réseaux qui ont permis leur arrivée à Saint-Martin. Là encore, la question de la libre circulation au sein de l’Union européenne se pose. C’est bien tout le territoire français qui est confronté aux problématiques de la crise migratoire.
L’accueil et l’intégration des étrangers constituent des aspects clés de la politique d’immigration, ce que la future réforme du droit des étrangers en France a bien acté, avec la création d’un titre de séjour pluriannuel, la simplification des démarches administratives et la promotion de l’apprentissage de la langue française.
De manière essentielle, le budget pour 2016 de la mission s’attache à donner des moyens importants à cet objectif. Contrairement aux années précédentes, une augmentation est prévue. Les autorisations d’engagement et les crédits de paiement progressent de près de 21,3 % par rapport à 2015, atteignant 70,3 millions d’euros pour 2016. Le devoir d’intégration oblige aussi bien ces individus que la communauté nationale dans sa capacité à respecter les différences. Nous saluons un tel infléchissement de la politique migratoire. Pour que France reste un pays d’accueil où les étrangers sont traités dignement et respectueusement, il faut que la politique d’immigration soit clairement définie et ne soit pas subie.
Je tiens ainsi à souligner que l’effort en la matière doit être particulièrement continu et soutenu. Dans un territoire comme le mien, Saint-Martin, la population a triplé en vingt ans. L’île connaît en effet une forte immigration régionale, principalement en provenance d’Haïti ou de la République dominicaine. La construction d’un projet de société n’est possible que par le biais d’une politique volontariste d’intégration des nouveaux arrivants, doublée d’une nécessaire et obligatoire politique de maîtrise des flux migratoires.
Enfin, et c’est une autre ligne directrice de ce budget, dans le droit-fil de la réforme du droit d’asile, l’accent est mis sur l’exercice du droit d’asile. Les crédits dédiés à cette mission progressent de près de 20,5 %, ce qui permet de traduire en actions la réduction des délais de traitement des demandes et la rationalisation des moyens financiers consacrés à la prise en charge des demandeurs d’asile.
Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » sont ainsi en augmentation.
Mme la présidente. Il va falloir conclure, mon cher collègue !
M. Guillaume Arnell. Nous prenons acte de l’engagement du Gouvernement en faveur d’un plan global de financement de 279 millions d’euros. Mais cela sera-t-il suffisant ?
À l’instar de la commission, nous nous interrogeons également sur l’aide aux communes créant des places d’hébergement, mais aussi sur les financements de l’OFPRA et sur ceux qui sont liés à l’accroissement des missions attribuées à l’OFII.
La tâche est énorme, nous le savons. Le groupe du RDSE votera les crédits de la mission. Mais gardons à l’esprit que, derrière chaque chiffre, il y a des êtres humains !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme Natacha Bouchart, je suis issue de l’immigration.
Initialement, je n’avais pas l’intention de participer au débat sur cette mission. Mais les événements de ces derniers jours m’ont donné une envie folle de m’exprimer sur ce sujet. Nous sommes face à des réalités humaines et, cela a été rappelé, à une crise migratoire sans précédent, dans un contexte de campagne haineuse de rejet de l’altérité, surfant sur les peurs, alliant immigration et terrorisme. On a même entendu quelqu’un déclarer à la tribune que l’immigration d’aujourd'hui était le terrorisme de demain ! Il fallait quand même oser le dire…
L’équation est à la fois politique et budgétaire.
L’année 2015 connaît un pic. D’après les données de l’OFPRA, le nombre de demandes d’asile a augmenté de 12 % sur les dix premiers mois de l’année 2015 par rapport à 2014, avec une accélération au cours de ces derniers mois, avant même que le programme de l’Union européenne pour la répartition des réfugiés, qui prévoit le transfert de 160 000 personnes en provenance d’Italie et de Grèce vers des pays participants de l’Union européenne, ne soit pleinement mis en place.
En France, il est peu probable que l’accueil de demandeurs d’asile se limitera à 31 000 réfugiés. Ce projet de budget pour 2016 est donc hypothéqué par les conséquences, difficiles à prévoir à ce jour, de la crise migratoire.
Il faut trouver des solutions, à la fois humaines, et de nature à garantir la sécurité de notre pays.
Cette année, on a traité 64 000 dossiers, pris 69 555 décisions, décidé que 193 550 personnes seraient protégées et accordé 237 000 certificats de protection. Autant dire que les services sont surchargés ; ils comprennent, si mes références sont exactes, 497 salariés.
Aussi, je m’interroge. Ne devrions-nous pas organiser des bureaux communs de l’OFPRA, ou des offices équivalents, avec nos voisins européens ? Nous pourrions très bien essayer d’agir de concert avec l'Allemagne, l’Espagne ou l’Italie, afin de traiter une seule fois les demandes des réfugiés, les demandes d’asile et celles des migrants, dont l’accueil soulève aussi des difficultés techniques et administratives.
Il faut aussi décentraliser les bureaux de l’OFPRA dans les zones particulièrement sensibles, comme Nice ou Strasbourg.
Pour répondre à des problèmes nouveaux, il est important d’apporter des solutions nouvelles et innovantes : nous ne pouvons continuer, avec la porosité de nos frontières, en France et en Europe, à garder les mêmes structures centralisées. On devrait essayer – mais c’est sûrement dans les projets du Gouvernement ! –, avec FRONTEX, de décentraliser les bureaux pour les rendre plus proches des lieux de passage. Nous devrions engager une réflexion sur ce point.
L’immigration doit aller de pair avec l’intégration. Tel est le défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Comment créer et solidifier le lien citoyen ? Nous l’avons vu précédemment lors de l’examen des crédits de la mission « Sécurités » et les discussions que nous avons eues sur le terrorisme, sans faire de lien entre celui-ci et l’immigration, l’absence de lien citoyen ainsi que la mauvaise connaissance des règles de fonctionnement de la République sont des sources de dysfonctionnement, aussi bien pour l’éducation nationale que pour d’autres secteurs.
Au travers de l’amendement qui sera présenté, le budget alloué à la mission ne répond pas pleinement aux enjeux en matière d’immigration, d’asile et d’intégration, notamment parce que perdure, comme le souligne chaque année notre collègue Roger Karoutchi dans son rapport, une sous-budgétisation des dispositifs en matière d’hébergement, d’urgence et d’allocation.
S’agissant de l’allocation, la dotation inscrite est systématiquement inférieure d’au moins 40 millions d’euros à la dépense constatée l’année antérieure. Il en est de même pour l’hébergement d’urgence. Cette sous-budgétisation systématique est anormale.
Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous communiquer les éléments dont dispose l’administration pour s’assurer de l’identité des réfugiés venant de Syrie et d’Irak ? J’ai déjà posé cette question écrite, qui figure au Journal officiel du 22 octobre 2015, elle n’a donc strictement rien à voir avec les événements qui viennent de se produire.
Nous sommes certes convaincus que les populations qui embarquent sur des canots pour sauver leur vie n’ont pas nécessairement sur eux leurs papiers d’identité. Néanmoins, l’entrée sur le territoire national doit être encadrée et faire l’objet d’un minimum de mesures de sécurité. Comment vous coordonnez-vous avec l’agence FRONTEX ?
Si ce débat pouvait au moins nous éclairer sur ce point, nous pourrions alors savoir de quelle manière il conviendra de flécher les prochains budgets, notamment pour ce qui concerne l’identification des personnes auxquelles nous nous apprêtons à donner l’asile.
Le flou dans lequel nous nous trouvons est une source inépuisable d’arguments pour les partis non démocratiques qui s’apprêtent à faire un score-fleuve aux élections régionales. Si des partis républicains ne répondent pas à ces questions dans un cadre démocratique, c’est laisser la voie ouverte au Front national. De cela, je n’en veux pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviens ici non plus en tant que rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, mais en tant que membre du groupe écologiste sur l’ensemble de la mission « Immigration, asile et intégration ».
J’attirerai votre attention sur plusieurs points concernant le volet asile.
Il demeure essentiel d’assurer la mise en œuvre de la réforme de l’asile engagée dans le cadre de la loi du 29 juillet 2015. Dans le contexte de forte contrainte budgétaire actuelle, les efforts engagés pour garantir l’exercice du droit d’asile méritent d’être salués, et le groupe écologiste ne peut que s’en féliciter.
Le dispositif national d’accueil restera toutefois insuffisant pour garantir des conditions d’accueil et un hébergement à tous les demandeurs d’asile, vu la sous-budgétisation en la matière depuis des années.
Cette réalité a, d’une part, des conséquences sur la qualité de la prise en charge des demandeurs d’asile. Elle conduit, d’autre part, à dégrader leurs conditions de vie. Il est pourtant essentiel d’organiser un accueil digne et humain pour les réfugiés.
Il est particulièrement regrettable que l’État se soit vu condamné par le Conseil d’État pas plus tard que la semaine dernière pour sa mauvaise gestion de la situation à Calais. Les juges du Palais royal ont ainsi considéré que les conditions de vie des migrants dans la « jungle » étaient « de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».
Lors de l’examen à l’Assemblée nationale de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2016, M. le ministre avait rappelé la mobilisation du Gouvernement pour faire face à la situation à Calais. Il avait d’ailleurs affirmé que « la résolution de la situation à Calais, dans un contexte extraordinairement difficile, implique de la persévérance, de l’opiniâtreté, de la constance et de la maîtrise ». S’il est vrai que nul ne peut se targuer d’avoir une solution toute faite pour faire face à cette situation, nous devons nous assurer qu’une réponse humanitaire adaptée soit apportée.
Le contexte migratoire est certes difficile, mais il ne doit pas justifier que les migrants soient exposés à des conditions de vie peu dignes.
Les écologistes refusent que les demandeurs d’asile comme les migrants soient délaissés dans un climat anxiogène, propre à l’insécurité, lequel exacerbe incontestablement les tensions.
Depuis le 29 octobre dernier, 134 personnes ont été placées au centre de rétention administrative de Paris-Vincennes en cinq convois, dont le dernier le 15 novembre. La plupart d’entre elles avaient été arrêtées à Calais et quelques-unes, qui comptaient se diriger vers Calais, le furent dans des gares parisiennes. Elles sont toutes arrivées au centre de rétention administrative en faisant l’objet d’une OQTF, une obligation de quitter le territoire français. Ainsi, 118 personnes, parmi lesquelles, notamment, 17 Syriens, 25 Érythréens et 27 Irakiens, sont issues de pays d’origine non sûrs. Dix-neuf personnes sont encore là, sans comprendre pourquoi d’autres ont été libérées et pas elles. Des ressortissants irakiens, syriens et érythréens y sont toujours retenus.
Répondant à ma récente question au Gouvernement sur ce sujet, M. le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, avait omis de donner les vraies raisons de cette rétention, évoquant juste une vérification de l’identité des personnes envoyées au centre de rétention administrative. Elles arrivent pourtant sous le coup d’une OQTF. Les OQTF qui sont délivrées par la préfecture du Nord-Pas-de-Calais comportent une restriction : les personnes venant de Syrie, d’Irak et d’Érythrée ne peuvent pas être expulsées. Pourquoi enfermer dans un CRA des personnes non expulsables ? S’agit-il seulement de désengorger quelque peu Calais ?
Je tiens à rappeler que, sur les 134 personnes arrivées au CRA de Paris-Vincennes, une seule a été éloignée : il s’agit d’un Albanais, l’Albanie faisant partie des pays sûrs. J’espérais que M. Cazeneuve apporterait aujourd'hui des réponses plus argumentées à mes interrogations. Mais peut-être le ferez-vous à sa place, madame la secrétaire d’État ?
Pour conclure, nous sommes prêts à soutenir le budget alloué à la mission « Immigration, asile et intégration », tout en souhaitant l’amélioration des conditions d’accueil de ces réfugiés – je pense notamment au raccourcissement des délais de traitement des dossiers – et de leur hébergement.
Mme la présidente. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » s’inscrivait déjà, avant les événements tragiques du 13 novembre dernier, dans un contexte tout à fait particulier, en raison d’une crise migratoire d’une ampleur totalement inédite, puisque l’on évalue à plus de 600 000 le nombre de personnes ayant tenté de rejoindre l’Europe depuis le début de l’année.
De cet afflux découle l’engagement pris par la France en septembre dernier d’accueillir un peu plus de 30 000 demandeurs d’asile. L’examen de ce budget s’inscrit donc dans un cadre exceptionnel.
De fait, nos rapporteurs n’ont pas manqué de saluer l’augmentation sensible des crédits de cette mission, dont il faut souligner qu’elle contraste avec la sous-évaluation chronique qui caractérisait ces crédits les années précédentes.
Cependant, ce projet de budget pour 2016, déjà lourdement hypothéqué par les conséquences difficiles à évaluer aujourd'hui des programmes de relocalisation dans le cadre desquels la France accueille des demandeurs d’asile supplémentaires, repose désormais sur des hypothèses que les conséquences de la guerre que nous livrons à l’État islamique rendent, à mon sens, obsolètes, s’agissant des déplacements de population à venir et de l’arrivée prévisible en Europe de nouvelles vagues de migrants.
Ainsi, l’augmentation, certes importante, des crédits consacrés à la nouvelle allocation pour demandeur d’asile, en hausse de 25 %, me semble bien insuffisante, étant donné l’afflux des nouveaux demandeurs, quand bien même le traitement de leur demande serait considérablement accéléré.
De même, les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence subissent une baisse de presque 12 % par rapport à 2015, qui serait justifiée par la création de places en CADA. Or l’augmentation de places ne permettra pas de couvrir tous les besoins en termes d’hébergement. Il sera donc nécessaire d’orienter les demandeurs d’asile vers l’hébergement d’urgence, qui se révélera insuffisamment doté.
Une véritable dérive budgétaire en cours d’exécution me semble inévitable. Aussi, je voudrais savoir, madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement entend gérer cette évolution imprévisible, qui risque de remettre fondamentalement en question les hypothèses de départ.
Pourtant, en dépit de ces incertitudes et des difficultés, nous devons tout faire pour que le respect du droit d’asile puisse continuer à s’exercer en France, même si le réalisme nous commande de l’appliquer de façon drastique, en recourant, chaque fois que cela est possible, au régime plus léger de la protection subsidiaire. Ce régime est néanmoins tout à fait légal dans le cadre européen.
Mais alors, madame la secrétaire d’État, ne pensez-vous pas que cette rigueur et cette générosité avec laquelle les Français et leurs élus observent leur devoir d’accueil vis-à-vis des demandeurs d’asile appellent simultanément de votre part un combat plus cohérent et plus énergique dans la lutte contre l’immigration irrégulière ?
Si l’augmentation des crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière est indéniable, ne craignez-vous pas que l’impact de cet effort financier ne se trouve réduit à néant par l’application des dispositions que vous proposez au travers d’un texte relatif aux droits des étrangers en France, qui constitue au minimum un encouragement au maintien en France des immigrés clandestins, voire un de ces fameux appels d’air dont les filières criminelles savent si bien tirer parti ?
Il y a deux ans, un rapport de la Cour des comptes estimait qu’il fallait compter un peu plus de 13 000 euros par réfugié jusqu’à ce que ce dernier obtienne l’asile. Quant à ceux qui sont déboutés, il en coûterait au budget français un peu plus de 5 500 euros par personne. La dépense totale pour la France s’est élevée il y a deux ans à près de 2 milliards d’euros, une somme vouée à une croissance rapide, voire exponentielle. L’effort sans précédent et durable – ne nous leurrons pas, il ne s’agira pas de quelques années, mais ce sera un long processus ! – que consentent les Français n’implique-t-il pas que, face à l’immigration irrégulière, le Gouvernement renonce définitivement à une politique laxiste, dont les Français ne veulent ni ne peuvent assumer le financement et les conséquences dans leur quotidien ?
Plus précisément, dans ce contexte nouveau, entendez-vous revenir, madame la secrétaire d’État, sur le refus que vous avez opposé aux mesures que la majorité sénatoriale proposait dans le cadre de l’examen du texte susmentionné pour améliorer l’exécution des mesures d’éloignement et lutter efficacement contre l’immigration irrégulière ? Nous avions souhaité, notamment, le renforcement de l’assignation à résidence, l’allongement de la durée d’interdiction de territoire, l’abaissement du délai de départ volontaire, le maintien du principe de titre de séjour annuel jusqu’à la cinquième année de résidence régulière pour garantir le contrôle de la régularité du séjour et la restriction des conditions du regroupement familial.
Nous avons également demandé, sans être entendus, que le Parlement définisse annuellement notre capacité d’accueil sur des critères économiques et sociaux. Pourquoi ? Parce que c’est l’un des moyens de définir les bases d’une politique migratoire qu’il est désormais urgent de construire au niveau de l’Europe, laquelle doit impérativement s’organiser face à cette crise majeure et durable, tant structurelle qu’événementielle.
En refusant de développer depuis vingt ans une véritable politique commune en matière de contrôle de l’immigration et de droit d’asile, l’Europe a perdu le leadership et s’est mise sous la coupe des trafiquants, qui détiennent aujourd’hui le pouvoir de décider à sa place de l’origine, du nombre et des lieux d’entrée des migrants.
Pour mesurer le défi qui nous attend, je rappelle simplement que le trafic des migrants représente en chiffre d’affaires le troisième trafic criminel mondial, après ceux de la drogue et des armes.
Pour l’heure, l’Europe n’a ni politique migratoire commune, ni droit d’asile unifié, ni même de budget pour l’accueil. Sa seule intervention consiste à financer la lutte contre l’immigration clandestine via FRONTEX et l’opération Triton, avec l’impuissance que l’on connaît, voire l’aveuglement que l’on découvre, quand on reconstitue les allers-retours effectués par certains auteurs des attentats du 13 novembre...
En quinze ans, 13 milliards d’euros ont été consacrés à cette politique par Bruxelles, soit moins de 1 milliard d’euros par an sur un budget européen annuel de 142 milliards d’euros. Moins de 1 %, c’est peu !
L’Europe a Schengen, dont les accords ne sont plus du tout adaptés et qu’il faut revoir, sans regretter le passé. En effet, n’eût-elle pas institué la libre circulation entre la plupart de ses membres que l’Union européenne n’en serait pas moins la destination privilégiée de ces migrants pour d’élémentaires raisons géographiques et matérielles. Il est donc urgent de renforcer la coordination et les outils de sécurisation de nos frontières maritimes et terrestres, ainsi que de responsabiliser les États où se trouvent nos frontières communes. Faute de quoi, chacun fermera ses frontières, et nous régresserons.
À terme, c’est dans les régions dites « de départ » – Grand Moyen-Orient et Afrique – que l’Europe devra se donner les moyens d’une politique migratoire commune. Cela suppose de s’entendre sur une liste de pays dits « sûrs », dont les ressortissants n’ont pas vocation à bénéficier du statut de réfugié politique, ni même à le solliciter. Cela suppose aussi d’unifier les législations sur le droit d’asile. Devons-nous, en ce qui nous concerne, maintenir à dix ans la durée de l’asile politique, alors que les règles européennes fixent le délai maximum à cinq ans, renouvelable aussi longtemps que dure le danger encouru ? Il faudra, enfin, accepter une clé de répartition des migrants décidée en commun.
Madame la secrétaire d’État, le Premier ministre a dit la semaine dernière : « Nous ne pouvons pas accueillir encore plus de réfugiés en Europe. » Sur les intentions de la France, sur les initiatives qu’elle compte prendre au niveau européen pour mettre en place les mesures urgentes de cette politique, je souhaiterais que vous puissiez nous informer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Jean-Yves Leconte étant déjà intervenu pour le groupe socialiste sur le volet « asile » de cette mission, je concentrerai mon propos sur la partie « immigration et intégration ».
Je commencerai par faire un simple constat : l’augmentation des crédits alloués à cette mission montre clairement que le Gouvernement a pris toute la mesure de la question et qu’il veut mener une politique équilibrée entre l’amélioration de l’accueil et l’intégration des personnes en situation régulière, d’une part, et la lutte accrue contre l’immigration clandestine et les réseaux, d’autre part.
S’agissant des crédits en faveur de l’intégration des personnes immigrées en situation régulière, ceux-ci passent de 59 millions à 70,4 millions d’euros, soit une hausse de près de 20 %. Le renforcement des crédits permettra de mettre en œuvre l’objectif ambitieux, largement débattu lors de l’examen du projet de loi relatif au droit des étrangers en France, d’un véritable parcours d’intégration républicaine, matérialisé par un contrat d’intégration républicaine, le CIR.
Le Gouvernement poursuit un triple objectif, en vue d’améliorer l’accueil des nouveaux arrivants en situation régulière.
Premièrement : renforcer l’exigence de connaissance de la langue française. L’objectif fixé par la feuille de route gouvernementale du 11 février 2014 est d’accompagner les étrangers primo-arrivants dans un parcours de progression linguistique leur permettant d’atteindre un niveau A1 au terme de la première année et un niveau A2 au terme des cinq années de leur arrivée.
Deuxièmement : garantir la transmission des droits et devoirs de la République en redéfinissant les contenus et les modalités des formations relatives aux valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité, de justice, de tolérance, de respect de l’autre et de laïcité.
Troisièmement : orienter et accompagner les primo-arrivants vers les services de droit commun suivant l’orientation personnalisée définie, d’un commun accord, en matière de scolarité, de formation et d’emploi.
Dans le cadre de ce triple objectif, le projet de loi relatif au droit des étrangers en France a créé une carte de séjour pluriannuelle, dont la délivrance est liée à une condition d’assiduité aux formations prescrites par l’État dans le cadre du parcours individualisé.
On voit clairement que le Gouvernement a la volonté, au travers du projet de loi relatif au droit des étrangers en France et du présent projet de budget, de faire en sorte que les étrangers en situation régulière soient bien accueillis et que leur intégration soit favorisée. Il faut, à cet égard, répondre aux propos de certains partis politiques sur cette question. Je vise en particulier le Front national, qui fait tout, depuis plusieurs années, pour instrumentaliser les étrangers et en faire des boucs émissaires, en les rendant responsables de tous les maux de notre société. Ce n’est pas parce que ce sujet est sensible qu’il faut accepter cette instrumentalisation.
Le nombre des entrées sur notre territoire est, en définitive, assez peu élevé : 200 000 entrées par an, dont 80 000 sont liées à des regroupements familiaux – il s’agit souvent d’un Français épousant une étrangère – et 60 000 concernent des étrangers venus étudier en France. Seuls quelques milliers d’étrangers, soumis à des conditions très strictes, viennent dans notre pays pour travailler. Pour le reste, il s’agit de personnes accueillies pour des raisons humanitaires. La France, nous le voyons bien, n’est pas submergée par des vagues d’immigration.
L’immigration est largement maîtrisée dans notre pays depuis de très nombreuses années. Ainsi n’y a-t-il plus, depuis 1974, d’immigration liée au travail. Cela n’empêche pas certains partis politiques de continuer à transformer les étrangers, je le répète, en boucs émissaires, avec la volonté électoraliste de les stigmatiser. Nous avons, pour notre part, la volonté d’intégrer ceux qui sont entrés dans notre pays de manière régulière, mais aussi de lutter contre l’immigration clandestine.
L’Office français de l’immigration et de l’intégration, opérateur chargé de l’accueil et de l’intégration des étrangers primo-arrivants, voit aussi ses crédits augmenter de manière considérable, de près de 10 %. Quant aux crédits dévolus aux actions d’accompagnement des étrangers primo-arrivants, ils augmentent de 15 %.
Le deuxième volet de la politique menée par le Gouvernement en matière d’immigration est la maîtrise des flux. Son objectif est de lutter contre l’immigration irrégulière, qui, elle, pose problème, et de reconduire les personnes concernées à la frontière. Ce volet est marqué par une forte hausse budgétaire, de plus de 20 %, avec 76 millions d’euros de crédits.
Les crédits relatifs à l’assignation à résidence augmentent de 25 %, ce qui permettra d’atteindre les objectifs fixés dans le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, qui vise à utiliser cette mesure pour isoler les personnes en situation irrégulière avant de les reconduire dans leur pays d’origine.
L’intégralité de ces crédits est nécessaire pour lutter contre l’immigration clandestine, qui est alimentée par de véritables réseaux. Le ministre de l’intérieur nous a rappelé quelles mesures avaient été prises pour les combattre. Depuis un an, le nombre de personnes interpellées et de réseaux démantelés a augmenté de façon très importante. Cette politique doit être poursuivie afin de rassurer nos concitoyens, de faire en sorte que la loi soit respectée, mais également de permettre une bonne intégration des étrangers en situation régulière.
Le groupe socialiste votera, bien sûr, ce budget. Il soutiendra également l’amendement du Gouvernement visant à renforcer encore les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la République est aujourd’hui confrontée à des défis majeurs. Au rang de ces défis, il y a la situation migratoire sans précédent que nous connaissons.
Le Gouvernement, en étroite coordination avec ses partenaires européens, a engagé d’importantes réformes au travers des lois sur le droit des étrangers au séjour et de réforme de l’asile. Le projet de loi de finances pour 2016 traduit ces engagements, et les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » reflètent la volonté du Gouvernement de répondre de façon durable à ce défi.
Par ailleurs, l’action du Gouvernement en matière d’immigration, d’asile et d’intégration fait partie intégrante de la réponse que le Président de la République entend apporter à la menace terroriste. C’est pourquoi je vous soumettrai un amendement de renforcement des moyens de la mission dans le cadre du pacte de sécurité.
Je commencerai par souligner l’effort important qui est consenti en termes d’effectifs.
Pour tenir compte des décisions prises par le Conseil européen en septembre en vue de relocaliser 160 000 personnes d’ici à 2017, Conseil au cours duquel la France s’est engagée à relocaliser 30 700 réfugiés, le Gouvernement propose un renfort de l’OFII, de l’OFPRA, des préfectures et de la Direction générale des étrangers en France de 266 agents en 2016. L’OFII et l’OFPRA bénéficieront respectivement de 126 et de 100 effectifs supplémentaires, les préfectures de 30 renforts et la DGEF de 10 renforts.
Dans le cadre de la mise en place des hotspots, la France entend pleinement contribuer au fonctionnement de ces centres d’accueil, tant en Italie qu’en Grèce, par la mise à disposition de 18 personnes pour le Bureau européen d’appui en matière d’asile et de 60 personnels pour FRONTEX. L’amendement qui vous sera proposé visera donc à créer 9 postes pour l’OFII et 15 postes pour l’OFPRA, afin de permettre à ces opérateurs de contribuer efficacement au fonctionnement de ces hotspots.
Pour que les effectifs supplémentaires puissent remplir leur mission, le projet de loi de finances pour 2016 renforce également les moyens en vue de la mise en œuvre de la réforme de l’asile dans le cadre de la loi du 29 juillet 2015, laquelle prévoit la réduction des délais de traitement des demandes ainsi qu’un dispositif national d’accueil et une répartition équilibrée des demandeurs d’asile sur le territoire. L’équilibre de ce dispositif repose sur la poursuite des créations massives de places d’hébergement de demandeurs d’asile. Au total, ce seront 23 100 places d’hébergement des demandeurs d’asile qui seront créées d’ici à la fin de l’année 2017.
En vue de la mise en œuvre de cette réforme, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » sont accrus de 7,8 % en crédits de paiement et de 9,62 % en autorisations d’engagement. En plus de ces crédits déjà inscrits au budget, le Gouvernement proposera, au travers de l’amendement qui vous sera soumis, de renforcer les crédits nécessaires à l’ensemble des acteurs pour traiter l’afflux de demandes d’asile et apporter une aide aux communes qui s’engagent dans la démarche de relocalisation.
Tout en assumant la plénitude de ses compétences, l’État a décidé d’apporter un soutien exceptionnel aux communes, comme le ministre de l’intérieur a eu l’occasion de l’annoncer devant 700 maires le 12 septembre dernier. Ces aides sont les suivantes : un soutien exceptionnel de 1 000 euros accordé aux communes volontaires par place d’hébergement ou de logement créée, à hauteur de 15 millions d’euros au total ; des primes complémentaires dans le cadre des dispositifs d’amélioration de l’habitat et de garantie de loyer, à hauteur de 1 000 euros par logement. S’y ajoute un fonds de soutien à l’investissement local, doté de 50 millions d’euros, pour contribuer à la réalisation de logements et d’équipements publics, à la main des préfets de région.
Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit de renforcer très significativement le budget de l’intégration, avec une hausse de 20 % des crédits du programme « Intégration et accès à la nationalité française » et une augmentation de 40 % de la subvention pour charge de service public de l’OFII, notamment pour renforcer l’apprentissage de la langue française.
Enfin, dans le cadre du pacte de sécurité voulu par le Président de la République, l’amendement qui vous sera soumis prévoit l’ouverture de 13,8 millions d’euros supplémentaires destinés à renforcer les outils nécessaires au contrôle des frontières, notamment les systèmes d’information, les équipements, le contrôle des visas, et à acquérir cent bornes Eurodac supplémentaires pour améliorer l’équipement des centres de rétention et des points de passage aux frontières.
Ces moyens supplémentaires contribueront directement à la sécurisation des frontières et à la lutte contre la menace terroriste. Face à cette menace, nous devons garantir aux services chargés de la politique de l’immigration, de l’asile et de l’intégration tous les moyens nécessaires non seulement à notre protection, mais aussi à la préservation de notre politique d’asile et de notre capacité d’intégration, lesquelles sont, plus que jamais, essentielles à l’affirmation des valeurs de la République.
Après ce préalable, je souhaiterais répondre aux questions précises soulevées par certains orateurs.
Je voudrais dire à Mme Bouchart que, comme chacun le sait, le ministre de l’intérieur est très attentif à la situation à Calais, où des moyens importants ont été déployés : multiplication des maraudes et des patrouilles, nombre d’interpellations record en octobre et novembre avec près de cinquante procédures par jour, hausse des reconduites à la frontière et déploiement de dix-huit unités de forces mobiles. Bernard Cazeneuve s’est engagé à poursuivre cet effort de surveillance, de multiplication des maraudes et des contrôles aux frontières. Nous avons là un dispositif complet, auquel le ministre de l’intérieur prête une attention permanente.
À Roger Karoutchi, je souhaiterais rappeler que l’OFPRA bénéficie de 100 renforts aux termes du projet de loi de finances pour 2016 et l’OFII de 126 renforts. L’amendement du Gouvernement porte ces renforts à 115 pour l’OFPRA et à 135 pour l’OFII. Monsieur le rapporteur spécial, votre préoccupation est bien prise en compte ; ces renforts permettront notamment d’armer les hotspots en Italie et en Grèce, comme je l’ai déjà indiqué.
À Mme Goulet, qui a posé une question très précise sur les moyens d’identification des demandeurs d’asile lors du franchissement des frontières extérieures, je signale que la prise des empreintes est effectuée dans Eurodac et que l’État de première entrée a l’obligation d’effectuer un criblage par rapport à plusieurs fichiers de police internationaux. Pour la relocalisation, l’identification est l’une des missions des hotspots. Les forces de sécurité des pays concernés y procèdent avec l’aide de FRONTEX. Enfin, lors de l’enregistrement de la demande d’asile en France, il y a une prise d’empreintes et un criblage du fichier des personnes recherchées.
Mme Benbassa a soulevé la question de la rétention des personnes se déclarant syriennes ou irakiennes. La préfecture du Pas-de-Calais a pour pratique de ne pas prendre de mesure d’éloignement contre les personnes dont la nationalité syrienne est établie. Toutefois, dans un nombre significatif de cas, cette nationalité est seulement déclarée et non démontrée. Elle repose sur des documents, hélas ! fréquemment falsifiés. Dans ces cas, le placement en rétention se justifie pour vérifier la nationalité alléguée et établir, le cas échéant, la véritable nationalité à des fins de réadmission.
Je voudrais aussi rappeler que la France a la durée de rétention la plus brève en Europe, que les conditions de placement en rétention sont soumises au contrôle du juge et que les personnes placées en rétention peuvent effectuer une demande d’asile.
Enfin, je tiens à dire à Mme Gonthier-Maurin que nous consolidons le contrat d’intégration avec un parcours d’intégration dans la durée pouvant aller jusqu’à cinq ans, un relèvement du niveau de langue, un renforcement de l’OFII pour faire un diagnostic social de l’étranger et une incitation forte à l’intégration avec la délivrance d’une carte pluriannuelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère avoir répondu à toutes vos préoccupations.
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Immigration, asile et intégration |
790 852 872 |
790 122 875 |
Immigration et asile |
696 233 414 |
695 649 332 |
Intégration et accès à la nationalité française |
94 619 458 |
94 473 543 |
Mme la présidente. L'amendement n° II-255, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Immigration et asile |
12 825 590 |
|
12 825 590 |
|
Intégration et accès à la nationalité française |
941 755 |
|
941 755 |
|
TOTAL |
13 767 345 |
|
13 767 345 |
|
SOLDE |
+ 13 767 345 |
+ 13 767 345 |
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. À la suite des attentats, dans le cadre du pacte de sécurité annoncé par le Président de la République devant le Congrès, le Gouvernement a souhaité accélérer l’effort déjà engagé de renforcement des moyens de lutte contre le terrorisme, de sécurisation des frontières et de sécurisation générale de notre pays. Ce renforcement se traduit par une série de mesures, dont la création de 5 000 postes supplémentaires d’ici à 2017 au sein de l’ensemble des services du ministère de l’intérieur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. J’ai proposé à la commission de s’abstenir sur cet amendement, ce qu’a fait la majorité de droite. Néanmoins, comme les sénateurs de gauche l’ont approuvé, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Cet amendement ne pose pas de problème sur le fond : après tout, madame la secrétaire d'État, si vous voulez ajouter 14 millions d’euros supplémentaires, je les prends ! Mais la difficulté vient du fait que ces crédits ne correspondent pas à ce que nous attendons. Je n’irai pas plus avant, car, comme je l’ai déjà dit, les crédits de la mission sont sous-budgétés dans un certain nombre de domaines. Aucune réévaluation n’a été faite pour tenir compte de la crise migratoire et de l’arrivée probablement plus massive de demandeurs d’asile en 2016 et 2017.
Nous aurions pu accepter cet amendement, mais, en réalité, il ne change pas l’équilibre budgétaire de la mission.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je suivrai l’avis du rapporteur spécial. Abonder cette mission est une bonne nouvelle – nous n’allons évidemment pas refuser ces crédits supplémentaires que nous réclamions –, mais la sous-budgétisation systématique et l’absence de fléchage nous conduiront à nous abstenir.
Je précise néanmoins que cette mission est absolument essentielle dans la lutte contre la radicalisation. Il conviendrait de travailler sur le lien citoyen, en renforçant tout ce qui permet l’intégration, et sur la rupture du lien sociétal – je vous rappelle que, parmi les personnes radicalisées, figurent plus de 30 % de convertis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. L’amendement du Gouvernement s’inscrit dans le cadre du pacte de sécurité annoncé par le Président de la République devant le Congrès le 16 novembre dernier. Les crédits ajoutés au profit du programme « Immigration et asile » sont, selon le Gouvernement, justifiés par le « renforcement des systèmes d’information et [...] la sécurisation des frontières ».
Si l’on peut bien sûr comprendre que l’accroissement de la menace terroriste nécessite davantage de contrôle des flux migratoires, les écologistes s’interrogent toutefois sur l’affectation exclusive de ces nouveaux fonds aux problématiques sécuritaires. En effet, le Conseil d’État vient de condamner définitivement l’État à rendre plus dignes les conditions de vie des migrants dans la « jungle » de Calais. Il s’agissait là, depuis longtemps, d’une urgence humanitaire. C’est désormais pour l’État une urgence judiciaire. Pouvez-vous donc nous préciser, madame la secrétaire d'État, par le biais de quels crédits l’État va répondre à cette autre urgence et, ainsi, se conformer à la décision du Conseil d’État ?
Par ailleurs, permettez-moi de vous demander une précision sémantique. Dans l’objet de son amendement, le Gouvernement évoque « les moyens nécessaires à l’armement des hotspots en Italie et en Grèce ». Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par « armement » ?
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Monsieur Karoutchi, nous ne partageons pas votre réticence. Vous demandez 100 millions d’euros supplémentaires pour ce budget. Mais je ne crois pas que les 13 millions d’euros dont il est question dans cet amendement aient à voir avec les 100 millions d’euros que vous avez en tête. Comme il est indiqué dans l’objet de l’amendement, cette somme va servir à aider à la mise en place et au fonctionnement des hotspots. Aujourd’hui, quatre hotspots fonctionnent en Italie et trois en Grèce. C’est évidemment très largement insuffisant. Il est normal que la France ou l’Allemagne aident l’Italie et, surtout, la Grèce à mettre sur pied des centres qui sont essentiels au contrôle de la politique de migration. Il est tout à fait dans l’intérêt de notre pays d’aller en ce sens.
Je ne développerai pas davantage mon propos. Il est question dans cet amendement de créer quelques postes supplémentaires, ce qui est finalement assez modeste. Or si tous les pays de l’Union européenne s’y mettaient, nous parviendrions à mettre en place un maillage significatif de centres d’accueil. Pour ces raisons, nous voterons l’amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Bien entendu, je suivrai la position de mon groupe sur cet amendement, mais je souhaite indiquer en complément que ces 13 millions d’euros, qui serviront en particulier au renforcement du contrôle et à la sécurisation des frontières, ne remplaceront en rien l’efficacité que permettrait une meilleure coopération européenne. C'est d’ailleurs ce qu’a en partie obtenu le ministre de l’intérieur lors du dernier conseil des ministres de l’Union européenne consacré à ce sujet, et qui était indispensable. Nous pensons au PNR, à une sécurisation et à un meilleur contrôle des frontières de l’espace Schengen.
Ces questions restent prioritaires. Ne faisons pas croire aux Français que, en sécurisant mieux nos propres frontières sans coopération européenne, nous réussirons à sécuriser notre pays. C’est tout le contraire !
Il faut pallier les manques de l’Union européenne et répondre à l’urgence, mais la priorité et la solution passent par une meilleure coopération européenne. L’Union doit comprendre qu’elle doit changer de point de vue en matière de contrôle des entrées et sorties de l’espace Schengen.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La France, qui est corédactrice de la convention de Genève relative au statut des réfugiés, a une longue tradition et une grande expérience en matière d’accueil. Il faut d’ailleurs saluer l’attitude des Français qui se mobilisent, dans un mouvement désintéressé, pour accueillir les hommes et les femmes victimes, dans leur pays, de conflits ou de méfaits abominables.
Notre groupe éprouve une réserve vis-à-vis de cet amendement, dont nous craignons qu’il tende à modifier le rôle de l’OFPRA pour en faire l’auxiliaire d’une politique de sélection des réfugiés politiques. Ce n’est pas un choix que nous soutenons ; au contraire, nous pensons qu’il faudrait augmenter ses moyens pour accueillir ces personnes dans de bonnes conditions. Aussi, au risque de dénoter, voterons-nous contre cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° II-255.
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits, modifiés, de la mission « Immigration, asile et intégration », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas les crédits.)
Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Administration générale et territoriale de l’État
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Hervé Marseille, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’administration préfectorale s’est engagée depuis plusieurs années dans un mouvement de transformation profonde de son organisation et de ses missions, mouvement qui se poursuivra et s’amplifiera en 2016.
La réforme de la carte territoriale se traduira par une réduction du nombre de préfectures de région – qui passeront, en France métropolitaine, de vingt-deux à treize – et par le regroupement de certains services au sein des futurs chefs-lieux de région. Il existe encore de nombreuses incertitudes quant aux modalités pratiques de cette réorganisation et à ses conséquences budgétaires.
Une autre inconnue existe : celle de la révision de la carte des sous-préfectures, qui devait être réalisée par vagues successives. Or le travail de concertation qui devait être mené dans cinq régions en 2015 a été interrompu et ne devrait reprendre qu’après les élections régionales. Madame la secrétaire d’État, nous avons besoin de visibilité sur ce point ; pouvez-vous nous dire quel sera le calendrier de cette réforme ?
Lors de l’examen des crédits de cette mission par la commission des finances, l’importance du maintien de la présence infra-départementale de l’État dans les territoires ruraux et urbains a été soulignée de manière unanime. Dans une période où le besoin d’État s’exprime avec force, cette présence est essentielle pour les collectivités comme pour les citoyens.
Les missions des préfectures aussi continueront d’évoluer, dans le cadre du plan Préfectures nouvelle génération présenté le 9 juin 2015. Ce plan prévoit de poursuivre le retrait des préfectures des missions de guichet pour la délivrance de titres tels que les certificats d’immatriculation des véhicules ou les permis de conduire. Cela sera rendu possible par le recours à des tiers de confiance et à des procédures dématérialisées ainsi que par la création de plateformes régionales d’instruction des demandes de titres. Cette réduction des activités de guichet doit permettre de renforcer quatre missions identifiées comme prioritaires, dont la sécurité et l’ordre public.
À la suite des attentats du 13 novembre dernier et du renforcement annoncé des moyens de lutte contre le terrorisme, vous proposez, madame la secrétaire d’État, de créer 185 postes dans l’administration préfectorale pour renforcer les missions de lutte contre la radicalisation et contre la fraude documentaire. Néanmoins, le projet de loi de finances prévoit la suppression de 200 postes l’année prochaine ; il y aura donc quand même une réduction nette d’effectifs. Je m’interroge par conséquent sur la capacité des préfectures à répondre à l’urgence de la situation. J’imagine que les postes créés ne viendront pas remplacer exactement ceux qui seront supprimés ; avez-vous des précisions à nous apporter sur ce point ?
Par ailleurs, les crédits dédiés au financement des élections connaissent une baisse importante en raison de l’absence d’élections générales en 2016. J’ai présenté récemment à la commission des finances les conclusions du contrôle budgétaire que j’ai mené sur le coût de l’organisation des élections. J’ai fait plusieurs propositions, dont l’expérimentation de la dématérialisation de la propagande électorale pour l’élection présidentielle de 2017. Une telle expérimentation permettrait de faire des économies sans remettre en cause la bonne tenue des scrutins. La commission reste en revanche attachée à l’envoi de la propagande électorale sous format papier pour les élections locales, par nature moins médiatisées.
Il paraît également urgent de revoir le système d’inscription sur les listes électorales, source de nombreux dysfonctionnements et d’incohérences, et de faire aboutir le projet de dématérialisation totale des demandes de vote par procuration.
Enfin, je constate que les dépenses des fonctions support du ministère de l’intérieur devaient baisser en 2016, à périmètre constant, grâce notamment à la poursuite des réductions d’effectifs. Là encore, vous proposez de limiter cette baisse en finançant la création de 67 postes et en allouant 11 millions d’euros supplémentaires à des mesures de sécurisation des systèmes d’information et de communication. Peut-être pourriez-vous, là aussi, madame la secrétaire d’État, nous apporter des précisions nécessaires sur la façon dont ces crédits seront employés.
Sous réserve des précisions que vous nous apporterez, la commission des finances a proposé d’adopter les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Marc applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, pour l’administration territoriale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vouloir porter en trois minutes un jugement argumenté et nuancé sur une mission chère – ô combien ! – aux élus locaux que nous représentons – une mission qui, je le rappelle, retrace l’ensemble des actions du ministère de l’intérieur pour garantir la présence et la continuité de l’État sur l’ensemble du territoire, détaille les moyens financiers et humains directement ou indirectement consacrés à ces objectifs et, enfin, décline les moyens destinés à garantir l’exercice du droit de vote et d’association ainsi que la liberté religieuse – serait une plaisanterie. Les plaisanteries les meilleures étant les plus courtes, le rapporteur pour avis que je suis se contentera de rapporter les conclusions de la commission des lois…
Considérant la nouvelle baisse des crédits et des moyens et considérant que les évolutions, ou l’absence d’évolution, dans des domaines aussi importants que la révolution permanente des services qu’évoquait notre collègue Hervé Marseille, la nouvelle organisation régionale ou la gestion du corps préfectoral posaient plus d’interrogations que de certitudes, la commission des lois a émis un avis négatif sur les crédits de cette mission. Pour les détails, je vous renvoie à mon rapport écrit sur lequel l’intervention qu’il me sera donné de faire, au titre du RDSE, me permettra de revenir. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – MM. André Gattolin et Philippe Kaltenbach applaudissent également.)
Mme la présidente. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, faire des économies sur les dépenses publiques est devenu le leitmotiv de nos débats budgétaires. Nous sommes placés sous les injonctions permanentes de la Cour des comptes et sous le regard sourcilleux de la Commission européenne, qui veille au respect de ses exigences. S’il s’agissait de combattre des gaspillages, tout le monde s’en réjouirait, et nous les premiers ; mais, en réalité, c’est l’organisation même de l’État et des services rendus qui est affectée.
Cette mission budgétaire relative à l’administration territoriale de l’État en est l’illustration. De la révision générale des politiques publiques aux schémas d’emploi des politiques de modernisation de l’action publique, la saignée a été constante. Ce sont donc des services affaiblis par les réformes précédentes et non encore stabilisés qui doivent aujourd’hui faire face à quatre chantiers simultanés qui affecteront leurs missions et leur fonctionnement.
Le premier concerne bien entendu les collectivités territoriales. La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles et celle portant nouvelle organisation territoriale de la République remanient profondément les missions des collectivités territoriales. Elles modifient, de ce fait, les relations entre les administrations déconcentrées de l’État et les collectivités territoriales ou leurs établissements publics.
Le deuxième grand chantier concerne le regroupement régional, qui affecte directement et au premier chef, bien sûr, les services des préfectures régionales, mais aussi les services des départements amenés à changer de rattachement régional. Ce changement de périmètre fait disparaître des préfectures régionales ou bouleverse l’organisation et les missions de leurs directions. Il casse les équipes de travail, les circuits décisionnels et de contrôle, et il contraint le personnel à une mobilité géographique et fonctionnelle souvent de grande ampleur. À cet égard, les tenants de la disparition du statut des fonctionnaires devraient réfléchir à ce que serait la conduite de tels projets si ceux-ci devaient se faire dans le cadre de la législation sociale des entreprises privées. En effet, il n’est pas sûr que, en respectant le code du travail, de telles transformations pourraient se faire dans les délais imposés.
Par ailleurs, ces deux réformes, que l’on pourrait considérer comme liées à des impératifs externes, se doublent de deux réformes internes. Néanmoins, toutes doivent être mises en œuvre de façon concomitante. En effet, la réforme de la carte des sous-préfectures – troisième chantier – se poursuit en s’étendant à de nouveaux territoires. En outre, elle devra s’inscrire dans le développement des maisons de l’État et des maisons de services au public, à partir d’un diagnostic partagé que les préfectures départementales devront conduire avec les conseils départementaux.
Enfin, tout cela devra se faire dans le cadre du quatrième chantier : le plan gouvernemental dit « Préfectures nouvelle génération », destiné à optimiser les services à la population.
Je ne suis pas sûr que le budget de cette mission soit à la hauteur de tous ces objectifs très ambitieux et, malgré tout, souvent discutables. Le rapport souligne d’ailleurs que, à périmètre constant, les crédits diminuent de 1,7 % et que les effectifs baissent de 297 équivalents temps plein. Aussi, malgré l’amendement du Gouvernement, notre groupe ne votera pas ce budget.
Qu’il me soit permis, en conclusion, de regretter que de telles réformes des services préfectoraux se mettent en place sans que le Sénat ait eu réellement à en débattre. Certes, ces réformes ne relèvent pas du domaine législatif, mais elles auront de tels impacts dans les territoires qu’il est déplorable que la Haute Assemblée n’en ait jamais été vraiment saisie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’évoquerai tout d’abord très brièvement les moyens alloués au programme « Vie politique, cultuelle et associative ». Cela a déjà été dit, il n’y a pas d’élection en 2016, ces crédits subissent donc une baisse importante – 77 % – mais complètement justifiée. Cette pause que nous connaîtrons en 2016 pourrait être mise à profit pour conduire une réflexion sur la manière de mieux organiser nos élections, afin de favoriser la participation et la mobilisation des citoyens.
Pour ce qui concerne la propagande électorale, je reste favorable à l’envoi de documents imprimés pour toutes les élections, mais d’autres questions restent en suspens, comme l’envoi de la carte électorale, les conditions d’établissement des procurations, le système d’inscription sur les listes, voire un jour peut-être le vote obligatoire... Tout cela est devant nous !
Concernant le programme « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », l’augmentation des crédits tient, pour une bonne part, à des mesures de transfert, puisque les personnels de la sécurité routière et des services déconcentrés du ministère de l’écologie dépendront désormais du ministère de l’intérieur. Toutefois, cette augmentation de crédits trouve aussi son explication dans la mise en œuvre du plan de lutte contre le terrorisme. En effet, ces crédits sont principalement affectés à la sécurisation des réseaux et des télécommunications du ministère de l’intérieur et à l’amélioration des capacités opérationnelles de gestion de crise des préfectures.
Au total, plus de 19 millions d’euros sont prévus en 2016 dans cette mission budgétaire pour financer le plan de lutte contre le terrorisme. En outre, à la suite des événements récents, de nouveaux moyens supplémentaires vont venir renforcer ceux déjà mobilisés pour lutter contre le terrorisme. C’est l’objet de l’amendement déposé par le Gouvernement, dont nous débattrons tout à l’heure. Dès 2016, 67 postes supplémentaires vont être affectés au développement et au renforcement de l’ensemble des systèmes d’information et de communication participant à la lutte antiterroriste, au renforcement des effectifs chargés d’améliorer le contrôle et la traçabilité des armes, ainsi qu’aux services juridiques.
Cette mobilisation de moyens nouveaux bénéficiera également au dernier programme de cette mission, « Administration territoriale », puisque 185 postes seront dédiés au soutien des préfectures dans l’accomplissement de leurs missions en lien avec le terrorisme, en particulier dans le contrôle des armes, la prévention de la radicalisation – sujet cher à notre collègue Mme Goulet – ou encore la lutte contre la fraude documentaire. C’est aussi dans ce programme que s’opère une profonde réforme structurelle, dans le cadre du plan Préfectures nouvelle génération. Elle passe par la mise en place de plateformes régionales, interrégionales et nationales des titres, qui permettront de mutualiser un certain nombre de fonctions dans le domaine des cartes d’identité, des passeports, des permis de conduire ou encore des cartes grises.
Cette rationalisation, induite également par une numérisation croissante des services, permettra des transferts de personnel de bureau vers le terrain, tout en satisfaisant dans le même temps aux efforts budgétaires demandés par le redressement de nos comptes publics. Ce mouvement s’accompagnera d’une recentralisation des préfectures sur leur cœur de métier, à savoir l’ingénierie, la lutte contre la fraude, le contrôle de légalité et, en amont, l’accompagnement juridique des collectivités territoriales.
Cette réforme conduira en outre à une refonte de la carte des sous-préfectures. Elles seront supprimées là où les évolutions sociologiques et démographiques le justifient, quand d’autres seront créées, là où le besoin de présence de l’État se fait plus fort.
Mme Nathalie Goulet. C’est l’effet Matthieu !
M. Philippe Kaltenbach. Par ailleurs, les maisons de l’État pourront se substituer à des sous-préfectures, avec un élargissement du périmètre d’intervention et des compétences interministérielles que les sous-préfectures n’avaient pas jusqu’alors.
Enfin, dans le cadre des schémas départementaux d’accessibilités des services au public, ce sont 1 000 maisons de services au public qui seront créées.
Vous le constatez, mes chers collègues, toutes ces mesures visent à renforcer le maillage des services publics territoriaux et à garantir la proximité.
Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas sûr !
M. Philippe Kaltenbach. Nos concitoyens y sont très attachés, ainsi que l’ensemble des sénateurs.
À noter également que, dans le cadre de ces mutations, une attention particulière est portée à la gestion des ressources humaines. En effet, toutes ces évolutions peuvent être de nature à susciter des inquiétudes chez les agents concernés. L’accent sera donc mis sur la formation et la mobilité fonctionnelle pour éviter de recourir à la mobilité géographique.
L’entrée en vigueur de la nouvelle carte des régions, le 1er janvier prochain, induira une nouvelle répartition des administrations régionales de l’État entre les anciennes capitales régionales et les nouvelles, qui auront un périmètre élargi. Il faudra bien sûr tenir compte des spécificités territoriales et économiques des régions avant la fusion, ainsi que des blocs de compétences.
Vous le voyez, mes chers collègues, ce budget prépare l’avenir, en renforçant l’efficacité des services territoriaux de l’État pour une meilleure efficacité et une gestion plus rigoureuse des moyens. Nous le savons, l’État a moins de moyens, et il doit réorganiser ses services, utiliser le numérique, se décharger de missions qui peuvent être faites par d’autres, comme les cartes grises ou les cartes d’identité, et se concentrer sur le cœur de métier de ses services, en particulier le soutien aux collectivités.
Il faut également garantir un maillage suffisamment dense pour ne pas rompre le lien avec la population. Tel est l’objectif des maisons de services publics.
On le voit, l’État se réorganise et se réforme. Bien évidemment, le groupe socialiste soutiendra l’adoption des crédits de cette mission et votera l’amendement présenté par le Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le budget de cette mission est au cœur de l’actualité. Il est en effet impacté par la poursuite du plan de lutte contre le terrorisme et par la modification de la carte des régions.
En matière de sécurité intérieure, je profite des efforts qui vont être menés en matière de sécurisation des réseaux du ministère de l’intérieur pour insister, à nouveau, sur la nécessité de renforcer la protection des sites internet des préfectures. Je rappelle que, durant l’été 2011, une dizaine de sites de préfecture ont fait l’objet d’attaques informatiques. Leurs conséquences ont été relativement limitées, mais, avec le développement de l’e-administration, que seront-elles demain, si ce type d’attaques venait à se reproduire ?
Concernant la refonte de la carte des régions, cette réforme était nécessaire, mais les conditions de son application laissent encore à désirer. À moins d’une semaine du premier tour des élections régionales, bien des effets concrets de ce redécoupage sont encore mal connus. Dans ce cadre assez nouveau, le rôle des préfets sera très important, surtout dans les régions qui pourraient être dirigées par des élus ayant, le cas échéant, une conception de l’égalité des citoyens devant la loi des plus restrictives.
Mais il y a aussi d’importantes réflexions à mener sur le programme 232, « Vie politique, cultuelle et associative ».
En 2015, le budget consacré à l’organisation des élections s’est élevé à 361 millions d’euros, une somme importante, mais indispensable au bon fonctionnement de notre vie démocratique.
Vouloir diminuer ce budget en dématérialisant la propagande électorale, comme le propose le rapporteur spécial Hervé Marseille dans un récent rapport, c’est à mon sens faire peu de cas de la fracture numérique qui perdure dans notre pays. Il n’y a pas seulement un problème d’équipement et de sécurisation des données personnelles ; il y a aussi un problème d’accès équitable à l’information et à la propagande électorale. En cas de dématérialisation, il faudra aller chercher l’information dans la jungle d’internet – c’est ce qu’on appelle, en informatique, la logique du « pull » –, là où nous sommes jusqu’à présent dans l’envoi universel et égalitaire du matériel électoral au domicile de chaque électeur – ce qu’on appelle, toujours dans le discours informatique, la logique du « push ».
Une fois de plus, si nous suivons les recommandations du rapporteur spécial, nous risquons fort d’éloigner un peu plus le citoyen de l’engagement électoral. Les Français ne déserteront plus les urnes, seulement par rancœur, mais aussi par manque croissant d’information.
En revanche, les écologistes sont favorables à une vraie réforme du financement public des partis. Comme vous le savez, une fraction importante de ce soutien est calculée sur la base du nombre de voix obtenues au premier tour des élections législatives. Or ce critère de calcul est très discutable et même profondément injuste, car il n’intègre pas les résultats des élections intermédiaires, celles qui se déroulent entre deux élections législatives. Paradoxalement, plus l’abstention est forte, plus l’État y trouve son compte en faisant des économies.
Je conclurai mon propos en rappelant que l’abstention aux législatives a progressé de plus de 20 points en trente ans et que l’inversion du calendrier électoral a accru la bipolarisation des votes, et donc la diminution du financement public dévolu aux petites et moyennes formations politiques, qui font aussi la richesse de notre vie démocratique. (MM. Pierre-Yves Collombat et François Marc applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en quatre minutes, mon intervention ne peut relever que du témoignage… Je n’évoquerai donc que deux points : la fraude documentaire et les crédits dédiés aux cultes.
En ce qui concerne la fraude documentaire, la mission est dotée de 19 millions d’euros supplémentaires au titre de la lutte contre le terrorisme. C’est très bien !
Le programme de communication électronique des données de l’état civil, dit COMEDEC, est relatif à la lutte contre la fraude documentaire. Là aussi, c’est très bien, car, récemment, des problèmes ont été mis au jour sur ces questions.
Néanmoins, la France a signé, il y a déjà quatre ans, une convention de coopération dans le domaine de la sécurité avec la Turquie. Or elle dort dans les tiroirs de Mme Guigou, à la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Il serait grand temps que cette convention soit ratifiée ! Cela nous aiderait vraiment, car, en Turquie, il y a un trafic de vrais-faux passeports, ou plus exactement de faux-vrais passeports, qui contribuent à laisser passer sur notre territoire des gens qui disposent d’un passeport valide. Ces documents sont purement et simplement pris sur des soldats syriens morts au combat, dont l’état civil n’est pas à jour.
Ce n’est pas la peine de lutter contre la fraude documentaire dans notre pays si nous ne sommes pas capables de le faire à la source. Je vous encourage donc chaudement, madame la secrétaire d’État, à demander à Mme Guigou de bien vouloir exhumer cette convention, dont je suis rapporteur et que le Sénat attend depuis tout ce temps. En cette période, je pourrais dire que je l’attends comme les enfants attendent Noël !
Le second problème que je souhaite évoquer se rattache à l’action n° 6 du programme 232, qui concerne notamment le culte.
Nous faisons face à un problème de financement et de statut pour les imams et les aumôniers, ce qui cause d’importants soucis, sans compter la question du financement des associations ou officines qui s’occupent de déradicalisation et d’encadrement des familles. À cet égard, j’ai déposé un amendement, dont nous discuterons tout à l’heure, visant à mieux encadrer ces associations et permettre de contrôler la validité de leur travail. Je suis extrêmement inquiète en ce qui concerne l’encadrement offert aux familles, tant des victimes que des jeunes gens radicalisés.
Enfin, je suis absolument hostile à la formation des imams et des aumôniers à l’extérieur du territoire national. Lors de la commission d’enquête sur les filières djihadistes que j’ai eu l’honneur de présider au Sénat, on nous a expliqué que nous disposions de moyens suffisants pour assurer cette formation sans violer la loi de 1905. Je n’ai malheureusement pas le temps de vous l’expliquer complètement, mais il suffirait, en gros, de rendre un peu plus transparent le circuit de la viande halal, qui est réparti entre trois mosquées et pour lequel il y a une opacité complète. Il faudrait alors négocier un prélèvement avec le Conseil français du culte musulman, de façon à ce que la communauté prenne en charge elle-même la formation des imams et des aumôniers. C’est le directeur de l’institut de formation qui nous a fait cette déclaration lors de son audition par la commission d’enquête sénatoriale. L’idée ne vient donc pas de moi !
Aujourd’hui, tout le monde tâtonne pour savoir quoi faire avec l’islam en France ou l’islam de France. Il est grand temps de régler ce problème !
En tout cas, sachez que je suis absolument opposée à ce que les imams et aumôniers soient formés en dehors du territoire national, comme cela est par exemple prévu dans une convention qui vient d’être signée avec le Maroc. Il faut un « islam de France », qui connaisse nos principes, notre exception de laïcité, nos règles et nos cultures. Les imams et aumôniers doivent également parler correctement le français. Cela permettra à celles et ceux qui appartiennent à la communauté musulmane, qui est composée à 99,9 % de parfaits citoyens ayant totalement leur place dans notre République, de ne pas être stigmatisés à cause d’une poignée de radicalisés, dont je vous rappelle que plus de 30 % sont des convertis.
Ce sujet, comme celui des préfectures, est beaucoup trop sérieux pour que les sénateurs et les rapporteurs puissent les traiter dans le temps vraiment insuffisant qui leur est imparti ! (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, je me limiterai, par la force des choses, à deux sujets : la réorganisation des services de l’État à la suite du redécoupage des régions et la gestion du corps préfectoral, thème que j’avais déjà abordé l’année dernière.
Tout d’abord, la réorganisation des services de l’État, qui pour l’essentiel devrait être achevée à la fin de cette année.
Première remarque : cette réorganisation des services régionaux de l’État s’est faite – par force – dans l’ignorance de la future organisation des services des conseils régionaux issus des élections prochaines. Reste à espérer que les deux organisations coïncideront toujours et partout.
Deuxième remarque : dans le but louable de réduire l’effet des pertes symboliques et économiques des capitales des régions qui disparaissent, ainsi que les aigreurs qui vont avec, le Gouvernement n’a pas fait le choix de regrouper l’ensemble des services au nouveau chef-lieu, ce qui aurait pourtant été l’occasion de réaliser les fameuses économies d’échelle dont on nous parle tant. À la place, il a décidé, d’une part, de maintenir un tiers des directions dans d’anciens chefs-lieux et, d’autre part, de regrouper les fonctions de programmation stratégique de chaque direction sur le site d’implantation principal, tout en organisant le reste sur plusieurs autres implantations spécialisées ou susceptibles d’intervenir sur plusieurs départements.
Cette organisation « multisites » me laisse un peu rêveur… Je vous donne un exemple : un courrier adressé à l’antenne bordelaise de la DRAAF, la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, installée à Limoges, sera d’abord transmis à Poitiers si son traitement relève des fonctionnaires spécialisés qui y sont affectés, puis retourné à Bordeaux pour validation, avant transmission à Limoges pour signature du directeur. Pour qu’un tel système fonctionne, il est prévu une « véritable révolution culturelle », selon les termes du Gouvernement.
M. André Gattolin. C’est grâce au numérique !
M. Pierre-Yves Collombat. Cette réforme est « l’occasion de muter vers une administration 3.0 ». Je ne suis pas sûr de savoir ce que cela veut dire, mais je souhaite en tout cas que cette mutation intervienne rapidement.
J’en viens maintenant au corps préfectoral et à sa gestion.
Malgré les apparences, à savoir l’abandon de la tentation de remplacer le corps des préfets par un cadre d’emploi fonctionnel, la suppression de la position hors cadre et la création des préfets conseillers du Gouvernement, on retrouve peu d’évolution quant à l’affirmation de ce qui devrait être, selon moi, l’essence de ce corps : le lien avec les territoires, leurs problèmes, ceux qui y vivent et les font vivre.
Aujourd’hui, on peut être nommé et titularisé préfet sans jamais avoir exercé de responsabilité territoriale ; il suffit que le Prince en décide.
Le fond du problème est non pas de savoir si la fonction confiée à ces préfets est utile ou non, car elle l’est généralement, mais de pouvoir mener une carrière de préfet sans lien avec le territoire. Ainsi, dans les trois mois précédant la suppression de la position hors cadre, ont été nommés préfets « chargés d’une mission de service public » : le chef de cabinet et un conseiller spécial du Président de la République, le chef de cabinet du Premier ministre et le directeur du Service d’information du Gouvernement, connu, paraît-il, pour être proche du Premier ministre. Le deuxième personnage du cabinet du Premier ministre a, quant à lui, été titularisé en tant que préfet en début d’année.
En revanche, sur les quatorze nouveaux préfets nommés depuis le début de l’année, seuls cinq sont des sous-préfets, alors qu’ils devraient être, à mon sens, les plus nombreux. Il en résulte que, au 1er octobre 2015, la moitié des préfets n’a pas d’affectation territoriale.
Ma conclusion est qu’en matière d’adéquation des talents aux besoins territoriaux de la « République irréprochable », on devrait pouvoir faire mieux ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe CRC et du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État chargée de la réforme de l’État et de la simplification. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les défis auxquels la République est aujourd’hui confrontée concernent l’ensemble de notre territoire. Dans ce contexte, les représentants et les agents de l’État, en particulier sur le plan territorial, sont aux avant-postes pour apporter des réponses, pour affronter les menaces et protéger nos valeurs. C’est pourquoi le Gouvernement, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, a tenu à ce que la mission « Administration générale et territoriale de l’État » apporte un soutien sans faille à l’ensemble des agents qui se consacrent à ces missions, dans un contexte de réforme territoriale, de mouvements migratoires historiques, de lutte contre le terrorisme et les idéologies meurtrières.
Le projet de loi de finances vise à donner à ces services les moyens durables d’assurer leurs missions. Parallèlement, le Gouvernement a engagé une réforme structurelle majeure des missions des préfectures et des sous-préfectures dans le cadre du plan Préfectures nouvelle génération, qui a été annoncé par Bernard Cazeneuve le 9 juin dernier. Ce plan doit permettre aux services de mettre en œuvre des réformes touchant le quotidien de nos concitoyens, c’est-à-dire non seulement la gestion des crises, des catastrophes naturelles, mais également la réforme du permis de conduire et des taxis.
L’amendement que le Gouvernement vous soumettra, qui s’inscrit dans le cadre du pacte de sécurité annoncé par le Président de la République, vise, quant à lui, à amplifier le renforcement de missions cruciales exercées par les services dans la lutte contre le terrorisme.
Sur le plan des effectifs, le projet de loi de finances et cet amendement constituent une inflexion majeure. Pour la première fois depuis 2006, il est prévu de récréer des postes dans le réseau territorial. À l’échelle de l’ensemble du territoire, si vous adoptez l’amendement du Gouvernement, les créations de postes nettes s’élèveront à 15, ce qui correspond à un renversement de tendance après une incessante réduction des effectifs depuis des années. Ainsi, il a été supprimé 3 700 effectifs depuis 2009, soit l’équivalent de douze à treize préfectures de taille moyenne. Ce mouvement avait déjà été freiné dans les précédents budgets, la réduction des effectifs ayant été limitée à 180 dans le projet de loi de finances pour 2015.
Cette inflexion s’est traduite en premier lieu par l’annonce le 9 juin dernier d’une réforme structurelle du réseau territorial au travers du plan Préfectures nouvelle génération. Ce plan vise à adapter de façon structurelle et durable les missions du réseau en matière de production et de délivrance des titres.
L’objectif de ce plan est de renforcer quatre points essentiels, qui sont autant de préoccupations importantes : la lutte contre la fraude, précisément en matière de titres ; le contrôle de légalité et la fonction juridique ; les sécurités et la gestion locale des crises ; l’animation interministérielle des politiques locales, en particulier l’ingénierie territoriale pour permettre à l’État de se redéployer afin d’accompagner les projets des élus locaux, des chefs d’entreprise, des responsables associatifs, au plus près des besoins.
Cette réforme va s’appuyer sur l’innovation technologique, sur l’innovation dans la gestion des ressources humaines, puisqu’il y aura à la clé un travail important de formation et de réadaptation des personnels aux nouvelles tâches enrichies qui leur seront proposées, et sur les plateformes interdépartementales, qui seront consacrées à ces titres. J’ajoute que toutes ces réformes ont été discutées largement dans le cadre d’un dialogue social approfondi.
À travers cette réforme structurelle, il y aura une action au service des usagers. Il est en effet très important de répondre aux besoins de proximité qui se font sentir partout sur le territoire, notamment dans les zones rurales. C’est dans ce cadre que le ministre de l’intérieur a obtenu que la mission « Administration générale et territoriale de l’État » soit renforcée, y compris récemment avec la mise en place du plan antiterroriste annoncé par le Premier ministre au début de l’année ou avec le plan de prise en charge des réfugiés datant du mois de juin.
Ainsi, le plan antiterroriste prévoit la création de postes au sein de la direction des systèmes d’information et de communication. Monsieur Gattolin, vous qui souhaitiez que nous insistions sur ce point, vous serez donc satisfait par la création de 33 emplois supplémentaires dès cette année et l’attention portée sur ces systèmes d’information, dont vous avez signalé le rôle et la nécessité.
De la même façon, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques a accueilli 5 agents supplémentaires, chargés de la gestion des nouvelles procédures d’interdiction d’entrée et de sortie du territoire prévues par la loi relative au renseignement.
En outre, dans le cadre du plan de prise en charge des réfugiés, les préfectures bénéficieront de 30 équivalents temps plein supplémentaires et la direction générale des étrangers en France recevra 10 renforts.
Enfin, le ministre de l’intérieur a souhaité que le pacte de sécurité annoncé par le Président de la République le 16 novembre dernier devant le Congrès soit l’occasion de renforcer, au sein des préfectures, les services chargés de la lutte contre la radicalisation – madame Goulet, il me semble que vous avez satisfaction sur ce point –, contre la fraude documentaire, le contrôle des armes et l’éloignement des étrangers en situation irrégulière.
Au total, nous aurons 370 postes de plus affectés dans le réseau territorial en deux ans, dont 185 dès 2016, et 95 agents de plus affectés dans les services centraux en deux ans, dont 67 dès 2016.
Pour marquer la reconnaissance du Gouvernement à l’égard des personnels de l’administration générale et territoriale de l’État et les soutenir dans l’exercice de leurs missions, le Gouvernement a mis fin à l’inégalité de traitement qui existait entre les personnels du ministère de l’intérieur et ceux des directions départementales interministérielles s’agissant du régime de rémunération des astreintes. Ces astreintes ont été revalorisées pour l’ensemble des personnels du ministère par arrêté du 3 novembre 2015.
Par ailleurs, vous le savez, le Premier ministre a confirmé qu’il mettrait en œuvre des mesures transversales au bénéfice de l’ensemble des personnels de la fonction publique, au terme de la négociation sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations.
Pour permettre aux agents de remplir leurs missions, le ministre a également souhaité un renforcement des moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement. Le projet de loi de finances prévoit d’ores et déjà que les crédits du programme « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur » seront portés à 611,5 millions d’euros, soit une progression de 1,4 %. Cela va permettre d’améliorer les conditions de travail des personnels avec, par exemple, le regroupement de sept services dans l’immeuble neuf « Le Garance » situé dans le XXe arrondissement de Paris, ou encore avec la modernisation du centre de formation de Lognes.
Enfin, le pacte de sécurité voulu par le Président de la République se traduit par un renforcement substantiel des moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement de l’administration générale et territoriale de l’État. L’amendement que je vais vous présenter tend à prévoir un supplément de crédits de 11,5 millions d’euros dès 2016 pour amplifier le plan de modernisation des systèmes d’information et de communication – monsieur Gattolin, encore une fois, nous répondons à vos préoccupations –, ainsi que la sécurisation des sites du ministère.
En conclusion, je dirai que la volonté du ministre de l’intérieur, qui se manifeste dans cette mission, est bien de renforcer les services de l’État, sur le plan territorial comme sur le plan central, tant leur rôle est crucial pour protéger les valeurs de la République et de moderniser la présence de l’État dans les territoires.
Pour répondre à une question de M. le rapporteur spécial concernant les implantations de sous-préfectures, je précise qu’il est toujours prévu d’arriver au terme de cette réforme au 1er janvier 2017. M. le ministre de l’intérieur souhaite toutefois l’intégrer dans le schéma global que j’ai décrit précédemment, avec plus de proximité et le déploiement de nouveaux services à l’échelon infra-départemental. Il souhaite non pas un plan de suppression de sous-préfectures, mais le redéploiement des services de l’État au travers des sous-préfectures, des maisons de l’État, mais aussi des maisons de services au public, en relation avec les acteurs du territoire, pour mieux répondre aux collectivités et à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Administration générale et territoriale de l’État |
2 523 373 307 |
2 534 048 990 |
Administration territoriale |
1 649 733 571 |
1 640 483 815 |
Dont titre 2 |
1 461 415 727 |
1 461 415 727 |
Vie politique, cultuelle et associative |
99 024 970 |
98 944 970 |
Dont titre 2 |
25 632 000 |
25 632 000 |
Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur |
774 614 766 |
794 620 205 |
Dont titre 2 |
479 572 162 |
479 572 162 |
Mme la présidente. L'amendement n° II-252, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Administration territoriale dont titre 2 |
4 909 900 4 483 475 |
4 909 900 4 483 475 |
||
Vie politique, cultuelle et associative dont titre 2 |
||||
Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur dont titre 2 |
13 404 983 2 330 548 |
13 404 983 2 330 548 |
||
TOTAL |
18 314 883 |
18 314 883 |
||
SOLDE |
+ 18 314 883 |
+ 18 314 883 |
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Cet amendement a pour objet de créer 252 postes, pour un montant de 6,8 millions d’euros : 185 ETP au profit du programme « Administration territoriale » et 67 ETP au profit du programme « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur ».
Par ailleurs, hors dépenses de personnel, il est demandé l’ouverture de 11,5 millions d’euros en autorisations de paiement et crédits de paiement répartis comme suit : 400 000 euros au profit du programme « Administration territoriale », pour permettre de couvrir les coûts de fonctionnement courants associés à la création de 185 postes, et 11 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement au profit du programme « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », pour couvrir le renforcement des systèmes d’information et la sécurisation des sites de l’État.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hervé Marseille, rapporteur spécial. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie des précisions que vous venez de nous apporter, lesquelles sont confirmées par l’amendement que vous présentez.
Comme cet amendement apporte une évidente réponse aux préoccupations exprimées par bon nombre des orateurs et des membres de notre commission, j’émets un avis favorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. On ne peut qu’être d’accord avec cet amendement, dont l’objet est d’améliorer les crédits. Il n’en demeure pas moins que cette proposition reste largement insuffisante pour assurer la présence de la République sur l’ensemble du territoire en termes de services et de sécurité. C’est aussi une question de symbole : les préfets, les sous-préfets, les personnels et les services qui accompagnent le corps préfectoral représentent l’État !
On peut me dire tout ce qu’on voudra, il n’est pas acceptable, surtout au moment où notre pays vit une situation très difficile, de voir les services de l’État se dégarnir ! Il n’est pas acceptable d’assister à cet abandon des territoires !
Tous les prêchi-prêcha sur les valeurs de la République ne serviront à rien si on ne montre pas comment doit vraiment fonctionner la République : la promotion par le talent et la connaissance, et non par les connaissances…
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. Cet amendement du Gouvernement est de bon aloi, car il répond à une préoccupation que j’exprime depuis de nombreuses années : renforcer la cybersécurité des sites publics.
Je vois qu’une grande partie des sommes engagées seront affectées au renforcement des systèmes d’information et de communication participant à la lutte antiterroriste et à la sécurisation des sites de l’administration centrale du ministère de l’intérieur. Cela s’impose absolument, car si les sites des ministères sont déjà assez bien protégés, l’importance des enjeux aiguise la nécessité d’améliorer le dispositif de protection.
Reste que la lecture des différentes missions budgétaires m’est toujours source de quelque étonnement, car certains éléments pourraient être regroupés. Je pense, par exemple, à la mission « Direction de l’action du Gouvernement », qui englobe le budget de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, laquelle participe au gros effort fait en matière de sécurité informatique des sites ministériels.
L’indispensable protection de l’ensemble des opérateurs de l’État représente un chantier extrêmement long. Si cet amendement du Gouvernement, qui tend à renforcer les moyens, va nécessairement dans le bon sens, je crois que l’État n’y arrivera pas seul. La coopération entre le secteur public et le secteur privé, notamment avec certaines de nos sociétés informatiques et nos start-up les plus performantes, doit donc être renforcée. Il existe aujourd'hui en France tout un noyau d’entreprises, dont certaines, loin d’être exclusivement animées par l’intérêt de s’enrichir ou, pis, utilisatrices de méthodes peu déontologiques en matière d’information et d’intelligence informatique, font preuve d’un vrai sens citoyen. Nous devons, à mon avis, mobiliser toutes les énergies et renforcer la coopération avec ces opérateurs privés volontaires, aujourd'hui très motivés et mobilisés pour défendre la société française et la République.
Il serait bon, à l’instar de ce qui se pratique dans d’autres missions, d’améliorer la visibilité, car les crédits affectés à la sécurité informatique sont ventilés sur différentes missions. Nous n’avons là qu’une partie de l’investissement fait par l’État en matière de sécurité informatique des administrations.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Nous soutiendrons cet amendement, qui apporte 18 millions d'euros supplémentaires dans le cadre du pacte de sécurité – c’est mieux que rien !
Je rejoins les points de vue exprimés par le rapporteur spécial et le rapporteur pour avis de la commission des lois. Il est important de réaffirmer nettement la présence de l’État dans nos départements respectifs, car les élus, comme la population, sont très attachés au maillage de notre territoire, aux préfectures, aux sous-préfectures.
Les élus locaux se sentent de plus en plus isolés. Ce sont souvent les sous-préfets qui reçoivent les élus de base que nous sommes. Mais, il faut également le dire, les moyens humains se réduisent au fil du temps dans les sous-préfectures et les horaires d’ouverture sont de plus en plus étroits.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.
M. Christian Favier. Notre groupe votera cet amendement, car il permet d’ouvrir 18 millions d'euros de crédits et de rétablir 252 postes.
Cela étant, ces moyens, qui ne sont rétablis que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, sont exclusivement consacrés à la sécurité de notre pays. Or les missions de l’administration territoriale dépassent largement les tâches uniquement sécuritaires. Cet amendement apporte la démonstration que nous pouvons sortir du carcan austéritaire du pacte de stabilité. Si on peut le faire dans ce domaine, j’espère que l’on pourra le faire dans d’autres ! En outre, ces 252 postes ne suffisent pas à rétablir les 297 postes qui ont été supprimés. Le solde reste donc négatif.
Pour notre part, nous considérons que les moyens actuellement alloués à l’administration territoriale de l’État restent très insuffisants, surtout quand on voit la grande misère dont souffrent aujourd'hui nos préfectures et sous-préfectures. L’appareil de l’État sur les territoires est très loin de pouvoir remplir les missions qui devraient être les siennes.
Mme la présidente. L'amendement n° II-278, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Administration territoriale dont titre 2 |
||||
Vie politique, cultuelle et associative dont titre 2 |
150 000 |
150 000 |
||
Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur dont titre 2 |
150 000 |
150 000 |
||
TOTAL |
150 000 |
150 000 |
150 000 |
150 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Si je reviens à la charge, c’est parce que la prévention de la radicalisation est pour moi une préoccupation constante depuis que j’ai présidé la commission d’enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Je pense aussi au désarroi des familles et des victimes.
Madame la secrétaire d'État, je sais très bien que les outils de déradicalisation sont nouveaux. Il faut donc former les formateurs. Or, si on les forme mal, qu’ils interviennent au sein de l’éducation nationale, des services sociaux ou auprès des maires, vous n’aurez pas le personnel nécessaire pour signaler la radicalisation et encore moins pour la traiter.
Je souhaite vivement que vous puissiez évaluer les personnes qui sont actuellement sur le terrain en charge de cette déradicalisation. Un certain nombre d’effets d’aubaine bénéficient à l’évidence aux associations qui ont joué un rôle précurseur sur le terrain – en tout cas en titre, sinon en compétence. Si vous n’endiguez pas le problème à la source, ce n’est pas la peine de faire des frappes en Syrie, car les réseaux de Daech sur notre territoire continueront d’être alimentés. Je vous assure que des gens comme Mourad Benchellali ou Latifa Ibn Ziaten, récente lauréate du prix de la Fondation Chirac, nous expriment chaque jour leur isolement, leur manque d’outils, l’absence de coopération et de moyens pour travailler sur les questions de déradicalisation.
Je le sais, des appels d’offres ont été lancés par le ministère de l’intérieur. Je demande, par ce petit « ripage » de 150 000 euros, de disposer d’un outil de vérification. À défaut d’évaluation, nous avons des doutes absolus sur l’efficacité des mesures que vous mettez en place et qui sont pourtant absolument nécessaires pour endiguer ce fléau de plus de 7 500 radicalisés signalés à l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste. Ce n’est pas la peine que tout le monde fasse ce travail et que l’UCLAT tienne les comptes des signalements qui augmentent chaque mois si l’on ne peut pas évaluer les moyens mis à son service !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hervé Marseille, rapporteur spécial. Ma chère collègue, vous avez mis en évidence un problème qui nous interpelle évidemment tous. Nous partageons votre souci sur ce sujet que vous connaissez bien pour avoir mené une importante mission. Pour autant, la somme dont il s’agit est à la fois trop et pas assez importante pour le sujet en question, qui nécessite une politique globale. Des efforts ont été mis en œuvre – Mme la secrétaire d'État en a parlé à l’instant –, il faut encore les poursuivre et les prolonger.
L’étude en elle-même apportera un résultat assez marginal par rapport à la politique globale que vous avez énoncée et qui doit être mise en œuvre. C'est la raison pour laquelle, sans méconnaître votre préoccupation, la commission vous suggère de retirer votre amendement. À défaut, je serai contraint d’émettre un avis défavorable. Je considère que le sujet est plus important que l’étude en elle-même, laquelle peut, au demeurant, sans doute être menée par les services du ministère de l’intérieur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, le ministre de l’intérieur, comme tout le monde ici, partage pleinement vos préoccupations quant à la déradicalisation. Des moyens y sont consacrés, comme M. le rapporteur spécial vient de le rappeler. Par ailleurs, le ministre de l’intérieur a indiqué qu’il était prêt à venir, en commission, détailler avec précision les moyens employés et les résultats obtenus.
Les actions de prévention de la radicalisation sont confiées à des associations financées par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance ; elles sont choisies par appels à projets et sont soumises à un cahier des charges. Au regard de cette méthode, une évaluation nationale est mise en œuvre par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance. Celui-ci rend des comptes à l’administration, ce qui permet à celle-ci d’avoir accès à des avis extrêmement précis et à des évaluations sur non seulement l’utilisation des crédits, mais aussi les résultats obtenus grâce aux actions engagées par lesdites associations.
Les services de renseignement, qui suivent les parcours de ces personnes, sont également en mesure de juger des résultats obtenus. Ils le font d’une autre façon, ce qui offre à l’administration un regard différent et des critères supplémentaires d’appréciation.
Enfin, je tiens à citer l’équipe mobile d’intervention, qui a été commissionnée, là encore, par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance, pour déradicaliser des jeunes dans le cadre d’un appel à projets de 600 000 euros. On évalue à 234 le nombre de jeunes qui, grâce à son action, se sont désengagés de la radicalisation et à 50 le nombre de repentis.
Je mesure bien ce que vous pourrez répondre à ces éléments et à ces données. Toutefois, le Gouvernement entend poursuivre l’effort d’amplification de ce travail déjà largement engagé, par des outils de suivi et de mesure des résultats.
Au vu de cet objectif partagé, de ces actions engagées et de la proposition de M. le ministre de venir s’expliquer devant votre commission, le Gouvernement vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; faute de quoi, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° II-278 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de vos explications. Il se trouve cependant que j’appartiens à la commission des affaires étrangères et de la défense. Si M. le ministre de l’intérieur vient s’expliquer devant la commission des finances, je risque d’être quelque peu frustrée…
Néanmoins, je retiens son invitation à venir rencontrer ses services. Lorsque nous serons dans une période un peu moins troublée et que chacun aura repris un rythme de travail normal, et une fois que les nouveaux services rendus possibles par ces nouveaux crédits auront été mis en place, je ne manquerai pas de revenir vers le Gouvernement pour lui demander à rencontrer le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance. Je vous assure qu’il y a dans ce domaine des effets d’aubaine absolument intolérables compte tenu de l’importance du sujet.
Cela étant, je retire mon amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° II-278 est retiré.
Nous allons procéder au vote des crédits, modifiés, de la mission « Administration générale et territoriale de l’État », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix les crédits, modifiés.
(Ces crédits sont adoptés.)
Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales
Compte d’affectation spéciale : Développement agricole et rural
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
La parole est à M. Alain Houpert, rapporteur spécial.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous est proposé de doter la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » de 2,8 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 2,7 milliards d’euros en crédits de paiement, ce qui représente une contraction marquée des dotations par rapport à 2015 : 9 % en autorisations d’engagement et 6 % en crédits de paiement.
L’exercice 2016 est en réalité très peu marqué par le plan de soutien à l’élevage annoncé le 22 juillet dernier, qui prévoit notamment des allégements et reports de charges pour un montant estimé à au moins 600 millions d’euros. Les mesures devraient être imputées sur 2015 et largement financées par le dégel de la réserve de précaution. À la fin de l’été 2015, seuls 110 millions d’euros ont ainsi été « dégelés ».
Monsieur le ministre, nous souhaitons en savoir plus sur les modalités de mise en œuvre de ce plan, en particulier ce qui a trait à son financement. C’est un sujet que nous suivrons avec vigilance, et nous attendons du Gouvernement des précisions.
Dans la mesure où ce plan semble en tout état de cause insuffisant – il ne contient, par exemple, quasiment rien en matière de réforme structurelle –, plusieurs de mes collègues et moi-même avons fait le choix de déposer le 16 octobre 2015 une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Nous l’examinerons en séance publique le 9 décembre prochain.
Comme cela a été souligné en 2013 dans le rapport d’information sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires de Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin et André Ferrand, l’agriculture française reste insuffisamment compétitive et tournée vers l’export. Notre balance commerciale agricole et agroalimentaire se détériore. Elle est même négative, si l’on en retranche les exportations de vins et d’alcools. Nous perdons chaque année des parts de marché.
Dans ce contexte alarmant, je déplore que le soutien à l’export ne soit pas une priorité pour le Gouvernement. Non seulement la recommandation d’une réforme profonde du dispositif n’a pas été suivie, mais les moyens mêmes de ce dispositif sont en forte baisse : 5,85 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2016, contre 10,2 millions d’euros en 2015, soit une réduction de près de 42 % de la dotation.
Mes chers collègues, une telle évolution ne peut qu’être défavorable à la présence des produits agricoles et agroalimentaires français sur les marchés internationaux.
Je relève par ailleurs que les moyens alloués à la gestion des crises et des aléas disparaissent quasiment en 2016, passant de près de 30 millions d’euros à moins de 4 millions d’euros. Le Gouvernement argue du transfert du financement de la gestion des risques au second pilier de la politique agricole commune, à l’image de l’aide à l’assurance récolte, mais je doute de la sincérité de cette prévision. Il n’est qu’à voir le niveau de nos refus d’apurement communautaires !
Ces corrections ont atteint 429 millions d’euros en 2014 et devraient s’établir à 871 millions d’euros en 2015. En 2016 et 2017, il devait s’agir d’un minimum d’au moins 360 millions d’euros à la suite de l’identification en début d’année 2015 de 1,1 milliard d’euros de corrections dues pour l’année en cours et pour les deux exercices suivants. Cependant, le Gouvernement a fait le choix de faire porter le coût des deux tranches 2015 et 2016 sur l’exercice 2015 et de reporter le versement de la troisième tranche à 2017.
Monsieur le ministre, vous nous expliquerez les motifs de ce choix de gestion, d’autant moins justifié que vous aviez demandé à la Commission européenne un paiement en trois tranches annuelles.
Au-delà de ces acrobaties budgétaires, dont je comprends toutefois l’intérêt en termes d’amélioration du solde 2016, je regrette que le Gouvernement continue de faire le choix de mouvements ex post pour couvrir des dépenses qui devraient faire l’objet d’une dotation en loi de finances initiale. Une fois de plus, ce n’est pas le cas, même s’il est certain que la France subira de nouvelles corrections l’année prochaine.
Je conclurai par une remarque positive sur le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural », dit « CASDAR ». Je me félicite de l’augmentation du financement d’actions par le biais de procédures d’appels à projets : 29 % des crédits du compte en 2016, contre 12,82 % en exécution 2014. Je plaide pour la poursuite de cet accroissement de la part des dépenses destinées à ce type d’actions. En effet, la justification des dépenses reste encore insuffisante pour s’assurer que les crédits ne sont pas distribués en vertu d’une logique d’abonnement des organisations par lesquelles ils transitent.
Mes chers collègues, en raison de tous ces constats, la commission des finances vous propose de ne pas adopter les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales ». En revanche, elle vous invite à voter ceux du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, rapporteur spécial.
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie mon collègue rapporteur spécial de ses propos, mais je précise qu’en conclusion j’arriverai à une recommandation différente de la sienne. J’estime en effet que le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » qui nous est soumis est fiable et répond globalement à la responsabilité de la mission de l’État dans ce champ de compétence.
M. Didier Guillaume. C’est beaucoup plus objectif ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. J’ajoute que le projet de budget pour 2016 ne peut être convenablement évalué sans la prise en compte des différents financements de l’agriculture, qu’ils soient européens ou nationaux. Ainsi, c’est par une lecture croisée avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, mais aussi avec le projet de loi de finances rectificative pour 2015 que nous pouvons appréhender avec précision l’ensemble des actions mises en œuvre par le Gouvernement en la matière.
J’en viens à mes observations sur deux des programmes de la mission dont j’ai la charge, le programme 149, « Forêt », et le programme 206, « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation ». Dans un récent rapport d’information sur la filière forêt-bois, Alain Houpert et moi-même avons souligné les enjeux et les réformes qu’il conviendrait selon nous de mettre en œuvre.
Si les actions entreprises par les pouvoirs publics vont incontestablement dans le bon sens, les préconisations qui sont présentées dans ce rapport d’information restent entièrement d’actualité. Il convient, par exemple, d’agir très fortement dans le soutien à l’innovation et à la stratégie de montée en gamme dans le domaine du bois. Lors de leur audition, les responsables du pôle de compétitivité Xylofutur l’ont confirmé et ont insisté sur l’intérêt de développer cette stratégie.
Pour le programme 149, « Forêt », les crédits sont quasiment stables en 2016. La légère diminution qui peut être relevée découle de la réduction de la subvention attribuée à l’Office national des forêts, l’ONF. Cette baisse est rendue possible par le redressement du cours du bois venant abonder les ressources de l’ONF.
Corrélativement, une dépense supplémentaire est constatée du fait de la réinscription au budget de la subvention au Centre national de la propriété forestière, le CNPF, supprimée en 2015. Cet organisme avait alors dû se financer grâce à son fonds de roulement excédentaire. En rétablissant ses financements au CNPF, l’État tient ainsi les engagements pris à son égard.
Cet exercice budgétaire est particulier du fait de la renégociation anticipée du contrat d’objectifs et de performance pour 2016-2020 entre l’État, l’ONF et les communes forestières. Selon mes informations, les évolutions entre le précédent contrat d’objectifs et de performance et le nouveau, qui devrait être signé avant la fin de l’année, seront marquées par des objectifs revus à la baisse de l’opérateur en termes de mobilisation de la ressource bois. On peut le regretter, tout en précisant que la nouvelle direction entend se fixer des objectifs réalistes et atteignables.
Le nouveau contrat d’objectifs et de performance devrait par ailleurs prévoir une stabilisation des moyens en personnel de l’ONF et son retour à l’équilibre financier, en cohérence avec les dotations budgétaires qui lui sont destinées.
À croire les craintes exprimées par ses responsables, à la fin de l’année 2015, le CNPF, autre opérateur majeur du programme forêt, pourrait faire face à des problèmes de trésorerie. Toutefois, ce n’est pas corroboré à ce stade. Il serait opportun que le Gouvernement soit attentif à cette situation.
Les onze dépenses fiscales rattachées au programme 149, « Forêt », sont de proportions inégales et devraient avoir un coût de 113 millions d’euros en 2016. Les deux mesures de fiscalité forestière les plus significatives sont les exonérations au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune et des droits de mutation à titre gratuit, dont le coût n’est pas strictement forestier. Le coût forestier de chacune de ces deux mesures fiscales patrimoniales serait en réalité plus proche de 20 millions d’euros, selon la Cour des comptes.
Le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt devrait représenter pour sa part un coût modeste de 9 millions d'euros, même si son efficacité est soulignée par les professionnels. De manière générale, s’agissant des mesures fiscales sur lesquelles s’appuie notre politique forestière et dont bénéficie la filière, il demeure pertinent de ne pas en réduire le coût global.
Je préconise un rééquilibrage progressif des soutiens publics vers les mesures fiscales à visée incitative telles que le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement ou le compte d’investissement forestier et d’assurance, que j’estime plus efficaces et plus à même d’atteindre les objectifs de performance fixés dans ce programme.
Le programme 206, consacré au fonctionnement de la direction générale de l’alimentation, la DGAL, et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, met en exergue l’attention que le Gouvernement porte à la mise en œuvre de cette politique publique. Il permet la reconduite des principales actions en 2016. Elles concernent les dépenses de fonctionnement et de personnels de la DGAL, les fonds consacrés à l’ANSES et les dépenses liées à la lutte contre les maladies animales.
Il faut remarquer que ce budget acte la création de 60 postes supplémentaires pour renforcer les effectifs en matière de contrôles sanitaires et phytosanitaires. En deux ans, 120 postes auront ainsi été créés. Ils seront complétés en 2017 par 60 postes supplémentaires. Ainsi, la baisse relative des crédits constatée ne correspond pas à une moindre rigueur en matière de sécurité sanitaire et alimentaire. Je constate que le Gouvernement persiste dans sa volonté de faire de cet enjeu un principe prioritaire d’action publique.
Enfin, je tiens à faire un point sur l’incidence de la tuberculose bovine et les moyens utilisés pour la combattre, en raison du risque qu’elle fait notamment peser sur l’agrément de nos exportations.
Le contexte sanitaire est par nature sujet à des tensions et à des crises toujours très préjudiciables à l’économie agricole. L’irruption de la fièvre catarrhale ovine est venue nous le rappeler.
J’appelle l’attention du Gouvernement sur le financement des mesures sanitaires qui, en l’état, se feraient à enveloppe réduite par rapport à 2015, d’autant que nous sommes dans un contexte prophylactique tendu. À cet égard, mon attention a été appelée sur les procédures d’indemnisation des producteurs et le montant de celles-ci. Certains éleveurs ont pu être frappés à deux reprises par des contaminations, ce qui a entraîné deux fois l’élimination totale de leur cheptel. Cette situation est insuffisamment prise en compte. Par ailleurs, j’ai été alerté sur le fonctionnement de la procédure elle-même, qui est jugée lourde, bureaucratique et peu adaptée aux réalités économiques de l’agriculture.
Pour conclure, à titre personnel – ce n’est pas la position de la commission des finances qu’a rappelée Alain Houpert –, je me déclare favorable à l’adoption des crédits de la mission et du compte d’affectation spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur pour avis.
M. Gérard César, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion du projet de loi de finances pour 2016 s’inscrit cette année dans une conjoncture marquée par une crise majeure des filières d’élevage. Les producteurs de lait subissent les conséquences de l’embargo russe et de la fin des quotas. Les producteurs de porcs font face à la concurrence pas toujours loyale de concurrents européens très compétitifs. Quant aux producteurs de viande bovine, ils doivent s’adapter à une contraction de la demande et à des relations commerciales déséquilibrées.
Dans ce contexte particulièrement difficile, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » chutent fortement : de 300 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 200 millions d’euros en crédits de paiement. Sur un budget total de 3 milliards d’euros, ce n’est pas rien ! Certes, on peut entendre que cette baisse s’explique par des raisons techniques, notamment par le transfert de financements vers la politique agricole commune. De même, on peut entendre qu’une partie de la baisse des autorisations d’engagement est le résultat mécanique de l’inscription l’année dernière de toute l’enveloppe quinquennale des mesures agroenvironnementales. Toutefois, la faiblesse des crédits résulte aussi de choix politiques. Les crédits de crise s’élèvent à un peu plus de 3 millions d’euros, alors qu’il en a fallu 100 millions cette année pour le seul Fonds d’allégement des charges, le FAC. Que se passera-t-il si la crise agricole se poursuit en 2016 ?
Les crédits de soutien au plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles sont en apparence en augmentation de 30 millions d’euros, mais ce mouvement ne vaut que pour les autorisations d’engagement. En réalité, les crédits de soutien aux investissements passent en crédits de paiement de 45 millions d’euros à 30 millions d’euros. Bref, on pourra prendre des engagements en 2016, mais on ne pourra pas verser les subventions ! Pour cela, il faudra attendre les budgets suivants…
Autre exemple : les crédits d’intervention de FranceAgriMer sont en apparence maintenus, mais beaucoup d’entre eux dépendent du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ». Or estimer que la recette du CASDAR pour 2016, assise, nous le savons tous, sur le chiffre d’affaires des agriculteurs de 2015, sera la même que l’année précédente, c’est faire preuve d’un optimisme exagéré. En réalité, il risque de manquer 10 millions d’euros, et ce seront autant de crédits en moins pour les bénéficiaires du CASDAR. Dans le même temps, FranceAgriMer a encore près de 100 millions d’euros d’engagements à payer. La file d’attente risque fortement de s’allonger.
Pour terminer, je regrette la timidité du projet de loi de finances pour 2016 sur la question de la fiscalité agricole. La modernisation de cette fiscalité est pourtant réclamée de toutes parts. Alors que les Assises de la fiscalité agricole ont permis de dégager des pistes consensuelles, notamment le remplacement du régime du forfait, on n’en trouve nulle traduction dans le projet de loi de finances pour 2016. Peut-être figureront-elles dans le projet de loi de finances rectificative, monsieur le ministre ?
Parce que nous pensons que les crédits du budget agricole pour 2016 ne permettront pas au Gouvernement de mener une politique agricole ambitieuse, à la hauteur des attentes du monde agricole, la commission des affaires économiques du Sénat a émis un avis défavorable sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat est partagé sur la situation de l’agriculture. Hormis le secteur de la viticulture pris globalement, toutes les filières connaissent d’importantes difficultés. Les prix mondiaux des céréales sont ceux que vous connaissez et les secteurs de l’élevage n’en finissent pas de sortir de la crise.
Les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2016 ne donnent pas de signe d’espérance. Ce rendez-vous, une fois de plus, n’est pas celui que l’on espérait. Il ne tient aucunement compte des nécessaires politiques d’investissement. Pour la cinquième année consécutive, les crédits de cette mission sont en régression. Les mesures palliatives sont bien connues : soit la sollicitation accrue, avec ses fragilités, du budget européen, soit la participation de la production agricole, via le CASDAR ; j’y reviendrai.
Les agriculteurs demandent surtout de la régulation, des garanties et des simplifications des règles, et ce au moment où le Farm bill va doter l’agriculture américaine de plus de 950 milliards d’euros pour la prochaine décennie.
Disposant de peu de temps, je n’évoquerai que quatre points qui me paraissent importants concernant le budget pour 2016.
Première remarque : la gestion des risques, tant climatiques qu’économiques, aurait dû être l’une de nos principales priorités. Le Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, n’est toujours pas doté en crédits d’État. Pis, le projet de loi de finances rectificative ponctionne les réserves du fonds, à hauteur de 255 millions d’euros sur les 320 millions d’euros disponibles.
L’assurance va ainsi être de plus en plus appelée à prendre le relais du Fonds national de garantie de calamités agricoles. Cela nécessitera de subventionner la souscription de contrats d’assurance à la bonne hauteur, soit, comme nous l’espérons, 65 %. Or les crédits européens, désormais seuls financeurs du dispositif, seront probablement insuffisants dans le cadre d’un développement pérenne de l’assurance.
Cette année déjà, une rallonge de 16 millions d’euros a été nécessaire au mois d’octobre. Si l’on veut généraliser l’assurance – c’est la clé –, l’enveloppe devra mécaniquement augmenter au-delà des 100 millions d’euros prévus en 2016.
Enfin, il faudra envisager de faire évoluer le dispositif. Une assurance agricole face aux aléas économiques doit être mise en place. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Deuxième remarque : les crédits du programme consacré à la sécurité sanitaire baissent en 2016. Or les menaces sanitaires sont toujours présentes. Je pense bien entendu à la fièvre catarrhale ovine, la FCO, de retour depuis le mois de septembre. Seule une vaccination systématique sera efficace pour endiguer la maladie. Cependant, la fabrication massive des doses de vaccin prend du temps, et des crédits supplémentaires devront être dégagés. La précédente crise de la FCO, en 2006-2011, avait coûté jusqu’à 50 millions d’euros par an. On peut donc s’interroger sur la capacité à dégager en 2016 des marges de manœuvre budgétaires pour lutter contre la FCO, contre le retour malheureux – on a trop tendance à l’oublier – de la grippe aviaire et contre la présence de nombreux foyers de tuberculose bovine. Surveillons donc avec beaucoup d’attention les moyens du Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental.
Troisième remarque : les crédits consacrés à la forêt restent insuffisants pour 2016 ; cela a été dit.
Quatrième et dernière remarque : gardons à l’esprit que les ressources du CASDAR sont en très grande partie adossées à la production agricole et au niveau des cours, ce qui ne garantit aucunement la pérennité des budgets. Nous sommes trop tributaires de la productivité et du niveau des cours mondiaux pour ne pas être alertés sur la fragilité du CASDAR. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, rapporteur pour avis.
Mme Frédérique Espagnac, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » constitue toujours l’occasion d’un débat sur la conduite de nos politiques agricoles et alimentaires.
Tout d’abord, il faut avoir conscience que les crédits budgétaires sont loin de représenter la totalité ou même la majorité des moyens publics d’appui à l’agriculture. Les crédits européens représentent à eux seuls trois fois plus, soit 9 milliards d’euros. Les collectivités territoriales apportent également leur soutien à hauteur de 1 milliard d’euros environ.
C’est la mobilisation de l’ensemble des acteurs qui doit être recherchée, à la fois pour répondre à la crise des filières d’élevage et pour mettre en place les mesures structurelles de transformation de notre agriculture.
Le plan de soutien à l’élevage français annoncé en juillet a été renforcé en septembre. Il mobilise surtout des crédits nationaux, prélevés sur les marges de manœuvre budgétaires de 2015.
La modernisation des élevages et des structures agricoles passe par des crédits plus diversifiés, mobilisés à travers le plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles financé par l’État, les régions et l’Europe. Les 350 millions d’euros par an prévus pendant les trois prochaines années doivent produire un effet de levier et permettre de lever 1 milliard d’euros de financement pour l’investissement en agriculture. Il s’agit de mener une action à long terme pour renforcer la solidité de notre agriculture dans toutes ses composantes.
Le programme d’investissements d’avenir, doté de 120 millions d’euros pour le secteur agricole et agroalimentaire, doit également contribuer à la montée en gamme de nos filières. Une part de l’enveloppe doit être dédiée aux abattoirs, une autre aux serres. La modernisation des outils de transformation, particulièrement dans le secteur de la viande, est décisive pour donner un avenir aux filières d’élevage, car l’amont agricole ne peut survivre si l’aval est en difficulté.
Le budget doit aussi servir à accompagner l’évolution de notre agriculture vers un nouveau modèle, respectueux de l’environnement tout en étant efficace et productif. L’agro-écologie réconcilie excellence économique et excellence environnementale. La quasi-totalité de l’enveloppe des programmes du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » est orientée dans cette direction.
Le renforcement en 2016 de l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, concrétise également l’engagement du Gouvernement en faveur d’une agriculture de proximité, capable d’occuper tout le territoire, y compris les zones les plus défavorisées. Je regrette néanmoins, monsieur le ministre, le déclassement de certaines exploitations classées jusqu’à ce jour « haute montagne », car elles perdent de ce fait une aide spécifique, ce qui leur est fort préjudiciable.
Pour terminer, j’évoquerai l’installation des jeunes agriculteurs. Compte tenu de la pyramide des âges des chefs d’exploitations agricoles, l’installation des jeunes revêt un caractère stratégique. Mon département des Pyrénées-Atlantiques est parmi ceux qui connaissent le plus grand nombre d’installations de jeunes en France, soit 130 l’an dernier. Les moyens de la formation des jeunes ont été renforcés, les effectifs de l’enseignement technique agricole étant en augmentation depuis le début du quinquennat.
Je note également que les moyens budgétaires en faveur de l’installation sont conservés et que les crédits européens – la dotation « jeunes agriculteurs » et les prêts bonifiés – sont plus fortement sollicités, en application des nouveaux taux de cofinancement prévus par la PAC. Il n’y a donc pas de restrictions budgétaires pour servir le renouvellement des générations en agriculture.
Si la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable sur l’adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », je leur apporte pour ma part mon soutien plein et entier, car j’estime qu’ils ne sacrifient aucune des priorités de la politique menée depuis le début du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un constat : l’agriculture souffre de difficultés structurelles, non par déficit de compétitivité, mais parce qu’on veut faire d’elle et des produits agricoles des marchandises comme les autres. Malheureusement, les gouvernements successifs ont abdiqué face à la loi implacable du marché, aux grandes centrales d’achat et au vaste mouvement de dérégulation à la fois européen et international. À cet égard, le rapporteur souligne très justement que « la volatilité accrue des marchés liée au démantèlement des outils de régulation de la politique agricole commune nécessite de compter sur ses propres performances pour tirer son épingle du jeu dans la compétition mondiale ».
Au fil des années, les outils de gestion des marchés ont été supprimés. L’Europe n’est plus en mesure de compenser avec justesse la volatilité des prix et des revenus. Le libéralisme effréné engendre ainsi la course sans fin à l’agrandissement, à la compétitivité exacerbée entre États membres, qui ouvre la voie au dumping social, à la main-d’œuvre bon marché et aux prix tirés vers le bas.
L’Europe de l’harmonisation reste à construire, et c’est urgent et indispensable. Dans un contexte de crise et de désarroi, qui s’est largement exprimé il n’y a pas si longtemps, la lecture des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » suscite des interrogations. Les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux et ne permettent pas de mener une grande politique pouvant assurer une réorientation vers l’agro-écologie, une production de qualité sur tous les territoires et un revenu digne aux agriculteurs, objectifs prioritaires de la politique agricole.
L’agriculture, l’alimentation et la forêt sont des composantes économiques, sociales et territoriales essentielles à l’équilibre de la France. Le manque de stabilité, de garanties et de régulation fragilise ces secteurs fondamentaux.
Les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2016 connaissent une baisse sensible, de 9 % pour les autorisations d’engagement et de 6,5 % pour les crédits de paiement. Comme le souligne le rapporteur, l’agriculture est mise à contribution pour le redressement des finances publiques et non pour le renouveau de l’agriculture française avec l’ensemble des professionnels et pour eux.
De plus, les crédits de la mission représentent moins de 20 % de l’ensemble des contributions publiques en faveur du secteur agricole au sens large. Les moyens alloués à la gestion des crises et des aléas disparaissent quasiment, passant de 28 millions d’euros à moins de 4 millions d’euros en crédits de paiement.
Certes, il y a un transfert du financement de la gestion des risques au second pilier de la PAC, mais comment vérifier la sincérité de ces éléments ? De même, les crédits d’intervention ne sont pas prépondérants. Ainsi, le programme 154, particulièrement structurant, fond de 108 millions d’euros, alors qu’il comporte les principales actions de soutien aux exploitations.
L’action n° 12, Gestion des crises et des aléas de la production, est sérieusement amputée, alors même que les enjeux sont en l’espèce importants et que nous venons de vivre une sécheresse et une crise sanitaire, celle de la fièvre catarrhale ovine, qui se sont surajoutées à la baisse des prix d’achat. Comment comprendre que l’on abandonne les derniers outils d’action et d’intervention dont nous disposons à l’échelon national, alors qu’il faudrait au contraire les conforter ?
Vous avez affirmé, monsieur le ministre, que, en associant les crédits de l’État et ceux de la PAC, les moyens mobilisés au profit de l’agriculture seraient globalement en hausse pour 2016 et 2017. C’est vrai, puisque ceux-ci s’élèvent à 19,7 milliards d’euros en 2015 et atteindront 19,9 milliards d’euros en 2016, mais de peu !
Enfin, si une part importante de la baisse des crédits nationaux est compensée par l’évolution des crédits communautaires, il convient de rappeler qu’ils sont structurellement en diminution. La nouvelle PAC sera excluante et dépourvue de mécanismes efficaces de régulation. Ses effets seront variables selon les productions et les territoires, mais seront-ils à la hauteur des enjeux sociaux, alimentaires et environnementaux ? À cet égard, la Confédération paysanne a déposé des recours auprès du Conseil d’État pour remettre en cause les planchers sous lesquels le Gouvernement ne soutient pas les éleveurs dans l’application française de la PAC.
L’agriculture doit conserver son rôle d’aménagement et de développement du territoire en tant qu’acteur intégré de l’activité économique au plan local. Ses externalités positives doivent être reconnues et valorisées.
Le budget pour 2016 ne renforce pas vraiment l’investissement dans le domaine de l’agriculture, ne met pas à disposition du monde agricole les instruments de sa progression ni les outils de sa survie.
S’il est vrai que les aides à l’installation sont maintenues, la part des crédits du ministère de l’agriculture tend à devenir insuffisante, ce qui n’en facilite pas la lisibilité et le contrôle. La réduction de 3,5 % de la subvention de FranceAgriMer est regrettable.
Concernant le programme 149, nous constatons une légère baisse des crédits dédiés à la forêt, ce qui est en contradiction avec tous les rapports publiés depuis plusieurs années. Il faut en la matière un véritable réengagement de l’État et l’arrêt de la privatisation rampante de l’Office national des forêts, l’ONF, ainsi que des restructurations et des baisses d’effectifs qui s’ensuivent.
Or l’on constate une diminution de 7,3 % des crédits dédiés à la gestion des forêts publiques. Le financement du régime forestier est régulièrement remis en cause, l’État cherchant à se désengager en faisant supporter les coûts par d’autres acteurs. Cette gestion financière issue des choix politiques nationaux a d’ores et déjà provoqué une perte de confiance entre l’État et les communes forestières. Alors même que l’ONF se livre à une véritable course de survie, ce service public est asphyxié financièrement et subit encore une fois une baisse significative de ses crédits.
Enfin, le Fonds stratégique de la forêt et du bois connaît un abondement insuffisant malgré le besoin d’investissements en forêt privée et en aval de la filière.
Monsieur le ministre, à l’heure de la COP 21, la France devrait montrer l’exemple en accordant à sa forêt les moyens qu’elle mérite. La forêt, dont le rôle protecteur contre le réchauffement climatique tout comme le potentiel économique sont établis, devra en effet s’adapter, dans les prochaines décennies, à une modification sans précédent de son environnement. Cette transition ne pourra se faire qu’avec le soutien des pouvoirs publics. Or nous n’en prenons pas encore le chemin.
Pour toutes ses raisons, et à regret, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Pour conclure sur une bonne nouvelle, j’ai entendu dire que l’Éthiopie plantait de nouveau des millions d’arbres. Sauvons nos forêts, plantons des arbres et ce sera bon pour l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Oui, plantons des arbres !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président Guillaume me faisait remarquer, lorsque je me dirigeais vers la tribune, que Michel Le Scouarnec tenait un discours quasi écologiste. Eh bien, j’en suis très heureux, et cela ne me surprend pas !
M. Didier Guillaume. J’ai dit qu’il vous « piquait » votre fonds de commerce !
M. Joël Labbé. Quoi qu’il en soit, la régulation, l’agriculture familiale, rémunératrice des agriculteurs, respectueuse des équilibres, la relocalisation de l’alimentation via les projets alimentaires territoriaux, la remise en place de systèmes de polyculture-élevage, voilà les sujets qui sont au cœur de l’avenir agricole, selon nous !
Monsieur le ministre, j’ai suivi avec attention les réponses que vous avez faites à mes collègues à l’Assemblée nationale concernant la possibilité pour les départements de continuer à soutenir les agriculteurs qui font le choix de la transition vers l’agriculture biologique, en cohérence avec les politiques régionales.
C’est effectivement une préoccupation très forte qui remonte de nos territoires et j’aimerais que vous précisiez devant le Sénat quelles sont les véritables modalités de soutien des départements. Il semble que ceux-ci puissent conclure des conventions avec les régions. Cependant, si certains ne le souhaitent pas, il y aura une iniquité de traitement entre les agriculteurs en fonction des départements.
M. Antoine Lefèvre. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Concernant la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », les arbitrages ont permis de préserver un certain nombre de mesures qui constituent, selon nous, le cœur de la transformation agro-écologique de la France.
Je pense aux mesures agro-environnementales et climatiques, qui ménagent une enveloppe de 72 millions d’euros pour de nouveaux contrats.
Le CASDAR voit son plafond revalorisé de 22 millions d’euros. J’ai entendu les réserves qui ont été émises tout à l'heure et j’espère vivement que ce compte d’affectation spéciale continuera à jouer pleinement son rôle.
Je pense encore au renforcement de l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, l’Agence Bio, et au maintien du fonds de structuration des filières biologiques « Avenir Bio », mais aussi au renforcement des politiques en faveur de l’installation des nouveaux agriculteurs, avec 6 000 nouvelles installations aidées par an.
Ces efforts constituent le cœur de l’agriculture de demain. Ils vont dans le sens de nos attentes.
Nous nous interrogeons cependant sur les projets alimentaires territoriaux, qui auraient mérité un financement spécifique. Nous y attachons beaucoup d’importance, vous le savez. Dans les régions dans lesquelles nous aurons notre place, nous mettrons l’accent sur ces projets, qui ont beaucoup d’avenir.
Afin que l’on puisse prendre en compte la réalité des coûts agricoles, je renouvelle une fois de plus mon souhait que le ministère de l’agriculture se penche véritablement sur le chiffrage des aménités positives et des externalités négatives des différents types d’agriculture, en prenant en compte l’ensemble des effets financiers, notamment la pollution des eaux, de l’air, les frais de santé, le coût en carbone et l’atteinte aux pollinisateurs. Il conviendrait de dresser une typologie de ces incidences pour chacun des types d’agriculture que nous connaissons.
Je souhaite également, monsieur le ministre, que vous nous apportiez quelques précisions sur l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, l’IAVFF. Ma collègue Marie-Christine Blandin a interrogé Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, puisque cet institut se trouve dans le programme 142 de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ». Cependant, M. Mandon nous a renvoyés vers vous, afin de mieux cerner les missions de cet organisme de recherche et son ambition pour l’avenir, car il semble particulièrement peu doté, ne disposant que d’un budget de 688 500 euros.
Ce projet de loi de finances traduit une volonté de donner une autre dimension à la transition agricole, nous le reconnaissons. Celle-ci devra être accélérée dans les années qui viennent tant le modèle agricole dominant montre ses limites.
L’agro-écologie, que vous avez su mettre en avant, monsieur le ministre, est la solution d’avenir, tant pour produire l’alimentation destinée à nourrir les populations de la planète que pour remédier au dérèglement climatique. Demain matin, et c’est une véritable fierté pour la France, dans le cadre de la COP 21, vous serez au Bourget pour présenter à la Terre entière le programme 4 pour 1000, dont les enjeux sont de miser sur les sols pour la sécurité alimentaire et pour le climat, des sols vivants réhabilités par les pratiques agro-écologiques partout sur la planète.
Nous serons vigilants par rapport aux tentations de récupération par les tenants de l’agriculture productiviste, de l’agrochimie et de l’agrobusiness, ceux qui parlent aujourd'hui d’« agriculture climato-intelligente », dont nous nous méfions tant.
En conclusion, je le dis une nouvelle fois, les productions alimentaires ne sont pas des marchandises comme les autres, et j’espère vivement que, en cette période historique de la COP 21, nous avancerons vers la mise en œuvre d’une véritable gouvernance mondiale de l’alimentation. Je précise que si les crédits que nous examinons ne sont pas trop écornés au cours de leur examen, monsieur le ministre, nous les voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir la mission budgétaire consacrée à l’agriculture, alors que commence à Paris la vingt et unième conférence sur le climat.
À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que l’agriculture mondiale est partie prenante du défi climatique, et ce à double titre : d’une part, les agriculteurs doivent adapter leurs modes de production selon le principe du développement durable, ce qui est déjà acquis ; d’autre part, ils doivent être en mesure de répondre au défi alimentaire, dans un contexte de raréfaction des terres et de montée des stress hydriques, des évolutions déjà observables dans certaines régions du monde et imputables aux dérèglements climatiques.
Dans cette perspective, la France doit conserver un statut de grande puissance agricole. Depuis ces dernières années, passé du deuxième au cinquième rang mondial, notre pays souffre d’un manque de compétitivité, comme l’a illustré la crise de l’élevage cet été, mais pas seulement… Il est donc impératif de donner à notre agriculture les moyens de son développement et de sa modernisation. C’était l’objectif de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt que le groupe du RDSE a soutenue.
Aux côtés des grands textes d’orientation, les concours publics alloués à l’agriculture doivent rester dynamiques, notamment pour répondre aux crises conjoncturelles, qui affectent régulièrement ce secteur.
S’agissant du budget pour 2016, comme l’ont indiqué les rapporteurs, on constate une baisse des crédits de 2,8 % par rapport à 2015. C’est un fait, le ministère de l’agriculture participe aussi à l’effort de redressement des comptes publics, sans pour autant remettre en cause les principaux équilibres de notre politique agricole.
Par ailleurs, vous l’avez souligné, monsieur le ministre, pour être juste, il convient de prendre en compte l’ensemble des moyens dédiés à l’agriculture, en particulier les aides communautaires, qui représenteront 9,7 milliards d’euros en 2016. Au sein de celles-ci, on peut se féliciter que les deux tiers des crédits soient destinés aux interventions économiques. Les dépenses du premier pilier, qui concerne le soutien des marchés et des prix agricoles, sont en effet indispensables pour aider les filières à traverser les crises récurrentes. Le verdissement des aides est une chose, mais la PAC doit aussi relever le défi de la compétitivité, je le répète.
Je pense bien sûr plus spécialement au secteur de l’élevage, qui a besoin de la solidarité communautaire en complément du plan de soutien à l’élevage présenté aux mois de juillet et de septembre derniers par le Gouvernement.
Cela a été dit, le projet de loi de finances pour 2016 ne traduit que partiellement ce plan, qui prévoit des allégements et des reports de charges d’au moins 600 millions d’euros. Pour cette année, environ 180 millions d’euros de crédits seraient fléchés vers ce plan. D’aucuns regrettent que cela n’aille pas assez vite ; on peut le comprendre au regard de la situation encore critique de nombreux exploitants. Néanmoins, on peut saluer tous les efforts entrepris cet été, monsieur le ministre, pour éviter aux plus fragiles la liquidation judiciaire.
Je dois dire aussi que les inquiétudes demeurent au sein de la filière. S’agissant de l’élevage porcin, la reprise des cotations, la semaine dernière, sur le marché au cadran de Plérin se fait un peu dans la douleur. Les transactions sont inférieures au prix de 1,40 euro le kilo, le seuil que nous aurions souhaité pour que les éleveurs les plus endettés s’en sortent.
Pour ce qui est de la filière bovine, là aussi, le marché est morose. Le revenu des éleveurs aurait chuté de 20 % en 2015, au sein de l’élevage intensif comme extensif. Nous en connaissons les raisons structurelles, mais il faut y ajouter un déficit fourrager lié à la sécheresse de cet été qui aggrave la situation.
Enfin, je souhaite également évoquer les crises sanitaires qui touchent non seulement la filière ovine, mais aussi les élevages caprin et ovin. Sur une grande partie du territoire, de nombreuses communes sont toujours en zone réglementée au titre de la fièvre catarrhale ovine. C’est le cas dans le Lot, le département que je représente. Il faut donc, me semble-t-il, continuer à mobiliser des crédits au sein du programme 206 en faveur de l’action consacrée aux maladies animales, des moyens qui évoluent au gré de la situation sanitaire, mais qui doivent aussi permettre de répondre à l’urgence.
À propos d’urgence, je souhaite terminer mon intervention en évoquant celle, de plus en plus prégnante, de la lutte contre les rats taupiers, c'est-à-dire les grands campagnols ou campagnols terrestres, dont on parle peu, mais qui représentent un véritable fléau dans de nombreux départements, dont le Cantal et le Lot. Ce rongeur, autrement appelé « rat à quatre dents », retournant totalement les champs, occasionne des dégâts considérables sur les exploitations.
Outre l’incidence économique de sa prolifération, le rat taupier est un vecteur de maladies transmissibles à l’homme. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaitais vous sensibiliser à la nécessité d’encourager la recherche de moyens de lutte non empiriques contre cet animal, car les dispositifs actuels sont obsolètes.
Conscient de l’effort global accompli en direction de l’agriculture, le groupe du RDSE souhaite pouvoir approuver les crédits de la présente mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui plus que les crédits consacrés à l’agriculture dans le projet de loi de finances pour 2016. Car, derrière les chiffres, il y a toujours des fondements, des volontés affichées.
Je veux répéter en cet instant, après l’avoir exprimé à plusieurs reprises au sein de cet hémicycle, que l’État est là pour définir les grands axes face à des enjeux de concurrence mondiale, de développement durable et de mutation de la société, mais en aucun cas pour se substituer aux filières, qui ont le devoir et la responsabilité de faire bouger les lignes en construisant une véritable stratégie. Comment ? En analysant, avec réalisme et courage, leurs difficultés structurelles, en s’adaptant à l’évolution des marchés et en anticipant.
En effet, on ne peut pas toujours attendre des aides de l’État ou de l’Europe. Ce n’est ni raisonnable ni sain, a fortiori dans un contexte budgétaire tendu.
L’État doit donc accompagner les filières dans leurs mutations, en indiquant la voie.
Vous avez assumé cette part de responsabilité, monsieur le ministre, avec la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui offre une direction et une image à notre monde paysan : celles d’une agriculture durable et de qualité.
Soutenir un projet de budget est toujours un exercice délicat, car il enferme parfois cette volonté d’agir dans des chiffres.
La volonté d’agir pour notre agriculture s’est d’abord traduite à travers la loi précitée ; elle se traduit aujourd’hui à travers ce budget, mais elle se traduira aussi à travers d’autres mesures, qui seront détaillées prochainement lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative.
Pour en revenir au présent projet de loi de finances, nous savons que l’effort budgétaire de la nation en faveur de son agriculture ne saurait se résumer aux seuls 2,8 milliards d’euros de crédits prévus pour 2016 au sein de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». Il faut aussi prendre en considération les 147 millions d’euros du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » destinés aux personnels qui apportent leur support technique à l’activité agricole ou forestière ou à des financements à des mesures d’intervention, notamment en matière d’allégements de charges pour les travailleurs occasionnels.
Il faut aussi compter avec les crédits des budgets de l’enseignement scolaire comme de la recherche et de l’enseignement supérieur très importants pour préparer nos jeunes à prendre notre relais. Si l’on garde en tête la PAC et différentes aides fiscales destinées aux agriculteurs, on comprend que la mission que nous examinons aujourd’hui ne représente au final que 10 % de l’effort public fourni en direction de l’agriculture. Franck Montaugé détaillera ce point lors de son intervention.
Certains, dans un esprit partisan, ne s’attacheront qu’à noter la baisse des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2016. Le ministère de l’agriculture contribue ainsi, et c’est normal, à l’effort national.
Pour notre part, nous assumons ces choix, car le contexte budgétaire contraint qui est le nôtre au plan national demande que chacun fasse des efforts.
Et nous ne pouvons cautionner toujours plus de moyens financiers pour pallier des fragilités structurelles, qui, si elles ne sont pas rapidement analysées et améliorées, déboucheront sur d’autres crises conjoncturelles, comme en 2009, sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy, où rien n’a été résolu.
Je préfère souligner que, malgré ces contraintes, le Gouvernement a su non seulement mettre en place des mesures d’urgence pour faire face à la crise de l’élevage, mais aussi, et surtout, proposer des mesures structurelles en faveur de la compétitivité de l’agriculture française, dont la plupart seront détaillées dans le projet de loi de finances rectificative.
Le présent projet de budget offre aux filières les moyens d’un accompagnement de leur transformation. En effet, des moyens nouveaux ont été déployés pour soutenir l’investissement dans le secteur agricole et agroalimentaire.
Le plan de compétitivité et d’adaptation pour les exploitations agricoles, ou PCAE, permettait déjà de mobiliser 200 millions d’euros par an. Une rallonge a été annoncée au mois de septembre pour porter ces moyens, assurés conjointement par l’État et les régions, à 350 millions d’euros par an. L’effet de levier de cette enveloppe d’aides publiques devrait permettre de mobiliser des financements à hauteur de 1 milliard d’euros par an pour investir dans l’agriculture, ce qui est une revendication forte du monde agricole.
Le programme des investissements d’avenir a été renforcé pour dégager 120 millions d’euros en faveur de l’industrie agroalimentaire, en particulier des abattoirs et des serres.
Au final, l’ensemble des instruments sont mobilisés pour répondre à l’urgence de la crise dans les filières d’élevage, et en même temps préparer leur avenir.
La baisse des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ne compromet aucune des priorités de la politique agricole. Je prendrai à cet égard quatre exemples.
Les crédits en faveur de l’installation sont globalement conservés et calibrés pour financer 6 000 installations par an, même si une partie de la prise en charge est transférée sur les crédits européens.
L’enveloppe consacrée à l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, progresse, passant de 232 millions d’euros à 256 millions d’euros entre 2015 et 2016, conformément à l’engagement de revalorisation pris par le Gouvernement en 2014. Compte tenu des cofinancements européens, l’ICHN représentera plus de 1 milliard d’euros en 2017, soit 300 millions de plus qu’en 2013 pour l’ICHN et la prime herbagère agro-environnementale, deux dispositifs qui ont depuis été fusionnés.
L’ambition de développer l’agro-écologie et d’encourager de nouvelles pratiques agricoles est confortée, avec 57 millions d’euros de crédits budgétaires en faveur des mesures agro-environnementales, mais aussi grâce au maintien des moyens du CASDAR. C’est d’ailleurs la quasi-totalité de l’enveloppe de ce compte d’affectation spéciale qui, à travers les programmes et actions financés, est mise à disposition de l’agro-écologie.
La mise en place des groupements d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE, innovation de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, progresse d’ailleurs sensiblement : au 1er octobre dernier, 128 d’entre eux avaient été agréés, couvrant 1 500 exploitations. Vous avez d’ailleurs, monsieur le ministre, visité mardi dernier un GIEE dans l’Hérault, spécialisé dans l’enherbement durable.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Excellent !
M. Henri Cabanel. La sécurité sanitaire reste une priorité, avec la poursuite du renforcement des effectifs de contrôle dans les abattoirs de volaille. Les principales actions du programme 206 sont reconduites en 2016. Elles concernent des dépenses de fonctionnement et de personnel, pour 285 millions d’euros, des fonds consacrés à l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, à hauteur de 62 millions d’euros, et des dépenses liées à la lutte contre les maladies animales, totalisant 85 millions d’euros.
Par ailleurs, ce budget prend acte de la création de 60 postes supplémentaires pour renforcer les effectifs en matière de contrôles sanitaires et phytosanitaires. En deux ans, 120 postes auront ainsi été créés, et l’objectif est de faire de même dans les années suivantes. C’est un effort important, que de nombreux épisodes récents, notamment celui de la fièvre catarrhale, justifient totalement.
Mes chers collègues, le monde a changé, les marchés ont changé, la société et les consommateurs ont changé. Poursuivre dans le même sens qu’il y a dix ans, sans mener un travail en adéquation avec les défis de développement durable, conduirait à faire végéter notre agriculture, à la couper de la voie du modernisme.
Mais réduire sa mutation à des crédits serait une insolence pour notre monde paysan, qui a conscience de ces mutations. Certains les subissent, d’autres ont eu l’audace de restructurer leur exploitation, de diversifier leur activité et de s’engager dans les signes de qualité. Ils ont raison. Notre monde paysan est une force pour notre économie, nous le constatons avec le succès de notre filière agroalimentaire.
Mais je veux le répéter devant vous, mes chers collègues, nous avons une responsabilité : ne pas enfermer les agriculteurs dans une relation de dépendance aux crédits publics. Ce serait leur faire offense, car la grande majorité d’entre eux ont l’énergie et la force d’entreprendre. Aux filières de s’emparer de cette richesse humaine pour s’engager dans des stratégies nouvelles !
Vous comprendrez donc que j’approuve les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion des débats budgétaires ou législatifs, voilà plusieurs années que l’on dresse à cette tribune le constat des difficultés rencontrées par l’agriculture et les secteurs associés. Or force est de le constater, malgré les textes successifs, la situation des agriculteurs ne s’est pas améliorée.
En vingt ans, le nombre d’exploitations agricoles a baissé de plus de moitié. Ce sont les petites et moyennes structures des territoires ruraux, déjà fragiles, qui en ont le plus souffert.
Le secteur agricole est régulièrement touché par des crises et doit faire face à la concurrence grandissante non seulement de pays émergents, mais aussi de certains voisins européens.
Or, tandis que les questions de l’attractivité des métiers agricoles et de la modernisation des exploitations se posent avec force, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » témoignent d’une vision étriquée et inadaptée de notre agriculture, alors que celle-ci a besoin de perspectives d’avenir.
Les mesures d’urgence annoncées par le Gouvernement cet été ne trouvent pas leur traduction budgétaire dans la mission. Par exemple, il avait été prévu que le Fonds d’allégement des charges, le FAC, soit augmenté de 50 millions d’euros, mais les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2016 sont de 1,56 million d’euros seulement… Il en est de même pour le soutien à l’investissement.
Monsieur le ministre, je souhaite vous alerter, en particulier, sur l’accumulation de normes et de réglementations parfois ubuesques à laquelle agriculteurs et éleveurs sont confrontés, et qui entrave leur action.
Cette inflation normative, que l’on doit aux gouvernements successifs, quelle que soit leur tendance politique, résulte non seulement des dispositions et réglementations nationales et de la transposition de directives européennes, mais également de la surtransposition exagérée de ces règles communautaires par les autorités françaises.
En effet, la France surtranspose les textes européens sans toujours examiner le degré de transposition retenu par les autres États membres, et sans utiliser les dispositifs communautaires permettant de moduler l’application de ces textes.
Cette propension française à aller bien au-delà de ce qui est utile et nécessaire a conduit, par exemple, à des normes plus sévères en France qu’en Allemagne en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE.
Lorsque j’étais député, j’ai eu l’honneur de commettre, en 2013, avec Germinal Peiro, un rapport sur l’élevage dans lequel les difficultés de ce secteur étaient mises en exergue, en particulier l’inflation normative.
Ainsi, alors que les textes européens ne l’imposent pas, la France a mis en place un seuil d’entrée dans le régime d’autorisation des ICPE en élevage bovin fixé à 50 vaches laitières et 100 vaches allaitantes, faisant peser sur tout projet d’agrandissement un risque de refus, au terme de procédures longues et coûteuses.
Cette inflation normative aboutit à des contraintes juridiques toujours plus lourdes et plus complexes qui brident la compétitivité de notre agriculture. Comment les exploitants agricoles français peuvent-ils exercer sereinement leur activité quand ces normes les écrasent en permanence ? Une simplification apparaît indispensable !
Henri Cabanel disait précédemment à juste titre que nous sommes dans une compétition mondiale. Alors, monsieur le ministre, faisons en sorte de ne pas prendre le départ de la compétition avec des boulets aux pieds !
Enfin, et surtout, je veux mettre l’accent sur la nécessité de redonner à notre agriculture son caractère « d’excellence à la française ». Les secteurs qui y sont associés doivent redevenir des moteurs de croissance pour nos territoires ruraux.
Personnellement, je doute que ce projet de budget en baisse, ni très ambitieux ni très volontaire, y contribue vraiment. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture est une activité absolument essentielle dans notre pays où, rappelons-le, plus de 450 000 exploitations agricoles emploient un peu moins de 1 million de personnes. C’est une activité extrêmement importante, qui a de surcroît l’avantage d’irriguer les territoires.
Jean-Jacques Lasserre et Pierre Médevielle comptent tous deux sur l’agriculture pour le développement de leur département respectif que sont les Pyrénées-Atlantiques et la Haute-Garonne. Or, vous le savez plus que d’autres, monsieur le ministre, cette activité connaît de fortes crises, qui ne cessent de se succéder, phénomène qui nous inquiète.
Le budget que vous nous présentez est-il de nature à restaurer la confiance de l’ensemble des professionnels agricoles ?
M. Daniel Raoul. Bien sûr !
M. Didier Guillaume. Mais oui !
M. Michel Canevet. Non, hélas, contrairement à ce que vous estimez, monsieur Guillaume.
M. Didier Guillaume. C’est dommage !
M. Michel Canevet. Ne l’oublions pas, la situation est particulièrement grave.
Ainsi, il faut savoir que plus d’un tiers des 5 000 éleveurs du Finistère, ce département que vous connaissez bien, monsieur le ministre, est en très grande difficulté. Imaginez les conséquences si leur situation financière ne s’améliore pas ! Or votre projet de budget ne présente pas les éléments de nature à leur apporter le soutien dont ils ont besoin pour surmonter cette crise, qui, dans certains secteurs d’activité en difficulté, comme ceux du lait ou du porc, ne cesse de se prolonger.
En réalité, comment examiner ce budget ? Nous devons l’examiner à l’aune tout d’abord des mesures d’urgence que vous proposez, puis de la compétitivité nécessaire de ce secteur d’activité, enfin des questions de traçabilité, essentielles à nos yeux pour que ce secteur retrouve, demain, plus d’allant.
S’agissant des mesures d’urgence, force est de constater que les aides financières que vous proposez dans ce projet de budget ne sont pas à la hauteur des besoins : les crédits dédiés tant au FAC, à hauteur de 1,5 million d’euros, qu’au dispositif Agridiff, pour 1,85 million d’euros, sont notoirement insuffisants.
Par ailleurs, des mesures fiscales plus accentuées devraient être mises en œuvre.
Si la déduction pour aléas, par exemple, a permis d’aider 11 400 entreprises pour quelque 39 millions d’euros en 2014, ce dispositif mérite d’être très significativement amplifié, car il est de nature à apporter de la sécurité et à permettre à des exploitations de surmonter les crises agricoles répétées que nous connaissons.
Nous souhaitons donc que vous puissiez formuler des propositions en matière fiscale, afin que des mesures soient prises de façon que les entreprises puissent sortir de ce contexte extrêmement difficile.
Quant à la compétitivité de nos entreprises agricoles, il s’agit d’une question essentielle pour nous. Or, on le sait, confronté à la concurrence internationale et à ses prestations à bas coût, notre secteur agricole n’est pas suffisamment compétitif. La lecture des chiffres de la balance commerciale agricole suffit à le constater : sans les vins et les spiritueux, celle-ci est, hélas, déficitaire. Pourtant, la France est un grand pays agricole et agroalimentaire. Cette situation est donc préoccupante, car la population, qui ne cesse de croître, devra toujours se nourrir.
La compétitivité de nos exploitations agricoles passe notamment, monsieur le ministre, par une baisse significative des charges sociales que doivent acquitter les agriculteurs. Certes, des dispositifs existent déjà s’agissant des travailleurs occasionnels, mais ils sont insuffisants.
Par conséquent, nous souhaitons qu’un effort soit réalisé à ce sujet. Nous ne méconnaissons pas le contexte budgétaire actuel, mais nous considérons que, par une politique responsable d’augmentation des taux de TVA, les charges sociales que doivent acquitter les professionnels du secteur primaire, en priorité, pourraient être réduites.
Ce projet de budget doit également traduire la capacité à accompagner les investissements que les professionnels agricoles souhaitent réaliser pour obtenir de la valeur ajoutée.
Par ailleurs, de manière récurrente, les professionnels que nous rencontrons évoquent la simplification administrative, absolument nécessaire au regard de toutes les contraintes auxquelles ils sont soumis aujourd’hui : nos agriculteurs ont bien du mal à répondre à toutes les demandes de documents qui leur sont adressées.
J’en viens à la traçabilité des produits.
En la matière, le groupe UDI-UC considère comme essentielle la question de l’étiquetage. Il importe que le consommateur soit parfaitement informé de l’origine des produits, à laquelle il est, nous semble-t-il, extrêmement sensible, ainsi qu’à la valorisation des produits de France.
Certes, l’on nous oppose en permanence la position de Bruxelles, qui mettrait son veto à l’inscription d’une meilleure traçabilité. Dès lors, comment expliquer que, le 11 novembre dernier, la Commission européenne ait imposé que, désormais, les biens et denrées produits dans les colonies juives de Cisjordanie soient étiquetés comme tels ? Si on peut le faire pour des produits de cette origine, pourquoi ne peut-on le faire, et de façon extrêmement précise, pour l’ensemble des produits alimentaires fabriqués en France et en Europe ? On doit pouvoir avancer sur ce sujet. Il n’y a aucune raison que le traitement diffère des uns aux autres.
Cette question de la traçabilité est aussi liée à la capacité de nos moyens de contrôle sanitaire. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez obtenu 60 postes supplémentaires à cette fin. Néanmoins, les moyens dédiés aux contrôles sont globalement en baisse. Notre préoccupation est que les services de contrôle puissent réellement assurer leur mission.
En conclusion, monsieur le ministre, la devise de ma commune est Neb ne had ne ved ket, ce qui signifie « qui ne sème ne récolte ». Pour pouvoir récolter demain, il faudrait que le budget soit amélioré ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget pour 2016 de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » s’inscrit dans une trajectoire qui conjugue trois objectifs étroitement liés.
Deux sont propres à la politique agricole. Le premier est l’amélioration structurelle de la performance économique, sociale et environnementale de l’appareil de production, dans la coexistence de modes et d’organisations de production différents, mais complémentaires pour répondre à la variété des besoins des marchés. Le deuxième est la réponse immédiate aux crises que traversent certaines filières qui, pour paraître conjoncturelles, n’en ont pas moins un caractère structurel. Le troisième, enfin, commun à toutes les missions du présent projet de loi de finances, est la contribution à la restauration progressive des comptes publics de la nation.
Cependant, l’appréciation du budget consacré en 2016 à la politique agricole de la France ne saurait se limiter à l’analyse des quatre programmes de la présente mission.
Je veux tout d’abord rappeler l’enjeu, relevé avec succès par le Président de la République en 2013, qu’a constitué le maintien du niveau de la PAC à 9,7 milliards d’euros sur la période allant de 2014 à 2020. En prenant aussi en compte le financement de l’équilibre du régime des retraites, la France consacrera, en réalité, 19,9 milliards d’euros aux politiques agricoles en 2016. Pour faire écho aux propos d’Henri Cabanel, pour 100 euros de production agricole ou agroalimentaire française sont versés un peu plus de 25 euros d’argent public.
Au périmètre de l’ensemble des fonds publics consacrés au secteur agricole, la contribution budgétaire au redressement des comptes publics est donc de 1 %.
En matière de soutien à la compétitivité de l’appareil productif, trois dispositifs contributifs sont à souligner.
Tout d’abord, 1 milliard d’euros seront consacrés en 2016 à la modernisation des exploitations. Ces aides sont revalorisées de 350 millions d’euros par an pendant trois ans, dont 86 millions d’euros en provenance du ministère, en hausse de 35 % par rapport à 2015. On peut noter que, entre 2014 et 2016, les fonds du ministère dédiés à la modernisation ont été triplés, puisqu’ils passent de 30 à 86 millions d’euros.
Ensuite, dans le cadre du pacte de responsabilité, seront opérés des allégements de charges sociales et fiscales, pour 1,7 milliard d’euros en 2016 – soit une augmentation de 13 % par rapport à 2015 et de 70 % par rapport à 2013. Ces allégements bénéficieront, pour 734 millions d’euros, aux exploitations et, pour 966 millions d’euros, aux coopératives et entreprises agroalimentaires. Par le biais de ces mesures d’allégement, nous avons résorbé notre différentiel de coût du travail avec l’Allemagne, résorption qui est aussi due, soyons objectifs, à des raisons qui tiennent à la politique sociale allemande.
Enfin, le dispositif relatif aux travailleurs saisonniers est reconduit à hauteur de 410 millions d’euros.
Au total, l’ensemble de ces mesures d’allégement concernant le domaine agricole et agroalimentaire est passé de 2,42 milliards d’euros en 2013 à 4,216 milliards d’euros en 2016.
M. Didier Guillaume. C’est énorme !
M. Franck Montaugé. Et entre 2013 et 2017, ces allégements auront été doublés.
En matière de soutien conjoncturel, le présent budget est marqué par des mesures visant à apporter un soutien financier et fiscal immédiat à l’ensemble des éleveurs : allégement de trésorerie pour 600 millions d’euros ; restructuration des dettes ; remboursement accéléré de TVA ; mobilisation du Fonds d’allégement des charges ; accompagnement des prêts auprès des banques. L’ensemble de ces mesures représente plus de 1,1 milliard d’euros.
La prise en compte de la dimension structurelle des crises s’est aussi traduite par 300 millions d’euros de mesures supplémentaires contribuant à répondre à cinq objectifs majeurs : assurer des prix rémunérateurs ; alléger les charges ; lutter contre l’endettement ; moderniser les outils de production – le PIA y contribue ; et simplifier les normes. Au total, en trois ans, 3 milliards d’euros seront investis dans l’agriculture et l’élevage.
Notons que tous les moyens de financement de ces mesures ne relèvent pas du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale. L’appréciation stricte des programmes de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ne permet pas d’en rendre compte, mais je vous invite, mes chers collègues, à les considérer pour apprécier le soutien à l’action menée.
Dans cette intention, je souligne l’exonération, à partir de 2016, de la taxe sur le foncier non bâti et de la cotisation foncière des entreprises accordée pour les projets pionniers de méthanisation agricole, la pause dans le prélèvement des chambres d’agriculture effectué par la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti – la baisse sera plafonnée à 2 % alors que, initialement, elle devait progressivement atteindre 6 % d’ici à 2018 –, ainsi que l’extension aux associés des coopératives d’utilisation de matériel agricole, les CUMA, du dispositif de suramortissement, dispositif qui n’était accessible jusqu’à présent qu’aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu.
Monsieur le ministre, le suramortissement pourrait aussi très utilement servir la compétitivité de nos coopératives, dont les plus grandes sont engagées dans la compétition internationale et contribuent très positivement à notre balance du commerce extérieur. En disant cela, je pense à des caves vinicoles comme celle de l’union Plaimont, dans le Gers, que vous connaissez bien !
Pour terminer, permettez-moi, mes chers collègues, de faire un zoom sur les actions nos 13 et 14 du programme 154.
L’action n° 13, Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles, vise à assurer la pérennité de notre agriculture. Après une augmentation de 2 % en 2015, elle enregistre une hausse de 19,7 millions d’euros en autorisations d’engagement. Cela démontre l’engagement du Gouvernement en faveur du renouvellement des générations. En deux ans, les moyens consacrés à l’installation et à la modernisation des exploitations agricoles ont augmenté de 27 % et, cela a déjà été dit, l’objectif est de 6 000 installations en 2016.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je le disais au début de mon propos, l’appréciation du budget consacré en 2016 à la politique agricole de la France ne peut se limiter à l’analyse des quatre programmes de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
L’ensemble des fonds nationaux et européens qui seront dédiés en 2016 aux enjeux structurels de transformation de l’appareil productif, à la réponse aux crises des filières et au développement, tant qualitatif que quantitatif, de nos productions – soit, nous l’avons vu, près de 20 milliards d’euros – démontre la volonté forte du Gouvernement, et du ministre dont je salue l’action, de restaurer la compétitivité de ce grand secteur de notre économie nationale qui caractérise plus que tout autre, et ce depuis longtemps, l’excellence française.
Dans la durée, l’efficience de l’action menée dépendra, filière par filière, d’un juste partage de la valeur ajoutée et de l’implication de toutes les parties prenantes : l’État, bien sûr, dont on vient de mesurer l’engagement, les agriculteurs et leurs organisations, de manière tout aussi essentielle, mais aussi la grande distribution.
La représentation nationale devra y prendre sa place. Je vous invite donc d’ores et déjà, mes chers collègues, à approuver, sur la base de cette analyse, le budget pour 2016 de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – Mme la présidente de la commission des finances applaudit également.)
M. Didier Guillaume. Très belle argumentation !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Morisset.
M. Jean-Marie Morisset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur le maintien et le développement de l’agriculture dans ses formes collectives.
La crise structurelle, qu’ont illustrée les manifestations de l’été dernier, nécessite de trouver des solutions pragmatiques et de simplifier règles et normes pour la profession agricole.
Dans de nombreuses régions, en particulier dans les terres d’élevage, l’agriculture a besoin de regrouper ses moyens, de constituer des formes collectives permettant de partager les matériels, le temps, l’espace et les investissements.
Les groupements agricoles d'exploitation en commun, les GAEC, constituent ces structures collectives et mutualisées où se croisent la solidarité et l’efficience économique, tout en améliorant les conditions de travail et de vie, notamment familiale.
Monsieur le ministre, vous avez signé un décret permettant l’application de nouveaux critères européens de transparence en matière de calcul des aides de la PAC pour les GAEC. Malheureusement, certaines régions, pour des raisons plus militantes qu’économiques, en limitent la portée. Ainsi, dans la région Poitou-Charentes, les aides sont plafonnées à 35 000 euros, dans la limite de trois associés. Un GAEC de trois associés ou plus, hypothèse qui n’est pas rare, se trouve donc pénalisé par cette disposition.
Une évolution du calcul de ces aides doit être négociée avec les régions et admise par celles-ci, afin de ne pas rendre caduque l’avancée en droit européen et français que vous avez bien défendue et que vous avez bien voulu rendre effective.
D’autres interrogations demeurent sur ces formes collectives.
Je pense aux 11 545 CUMA, qui représentent 224 300 adhérents.
Monsieur le ministre, vous indiquiez dernièrement que « la mutualisation du matériel agricole par l’intermédiaire des CUMA concourt à l’objectif de limitation de la consommation des espaces agricoles, avantage auquel s’ajoute l’intérêt économique pour les exploitations, qui peuvent ainsi réduire leurs charges opérationnelles ». Nous ne pouvons que souscrire à ces propos.
Toutefois, comme vous le savez, l’installation des CUMA, pourtant implicitement liée aux besoins de l’activité agricole, est toujours contrainte par leur statut juridique – et par lui seul. En effet, ces coopératives sont considérées, en droit, comme des prestataires de services, et non comme des entreprises agricoles, et leur installation dans les zones agricoles de nos communes rurales n’est pas possible. Alors que ses adhérents sont des exploitants agricoles, la CUMA ne peut pas construire ou étendre des bâtiments pour stocker le matériel dans des zones agricoles.
Au mois de mars dernier, dans un courrier, vous m’indiquiez que « les services déconcentrés étaient sensibilisés à cet enjeu ». Vous souligniez également qu’« une jurisprudence récente avait considéré que les projets des CUMA visant au stockage de matériel agricole étaient bien nécessaires à l’activité agricole et pouvaient donc être implantés dans des zones agricoles ». Vous confirmiez également que « les secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées, les STECAL, mis en place par la loi ALUR, permettaient ces installations ». Enfin, vous précisiez que, « afin de limiter toute ambiguïté sur l’interprétation du code de l’urbanisme (...), un travail était en cours de finalisation avec les services du ministère chargé de l’urbanisme, conduisant à une modification réglementaire. »
La jurisprudence récente n’est pas source de confiance et de stabilité. Elle suscite de l’incertitude et conduit à un climat non apaisé dans les relations entre administrations et pétitionnaires. Dans ces conditions, il est nécessaire de confirmer des choix politiques.
Quant aux STECAL, vous le savez, ils demeurent exceptionnels et limités. Ils nécessitent de revoir des documents d’urbanisme, ce qui peut être long en ces temps de révisions générales tous azimuts – nouveaux périmètres des intercommunalités, plans locaux d’urbanisme intercommunaux, schémas de cohérence territoriale, autres schémas divers…
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous interroger de nouveau sur le sujet : qu’en est-il de l’évolution réglementaire entérinant la jurisprudence que l’on attend depuis si longtemps et dont tout le monde convient qu’elle est nécessaire ? Celle-ci pourra-t-elle être étendue aux silos des coopératives ? C’est une question que se posent les acteurs du monde de la coopération. En effet, considérées comme des entreprises de négoce, les CUMA ne peuvent s’installer que dans des zones artisanales, consommant en cela du foncier viabilisé et coûteux du fait de leur périmètre de protection. Cette situation entraîne souvent des déplacements d’engins agricoles inappropriés dans lesdites zones économiques. Nous avons donc tout intérêt à permettre l’installation des CUMA en zones agricoles, diminuant, ainsi, leurs incidences foncières et environnementales !
Toujours dans le domaine foncier, et dans la continuité de l’activité agricole, de nombreux exploitants cherchent à développer et à diversifier leurs activités, mais en restant dans le cadre agricole : création d’hébergements touristiques, transformation et vente sur leurs exploitations… Afin de diminuer les risques financiers, ils créent souvent des sociétés distinctes de l’entreprise agricole.
En agriculture, ce choix interdit la réhabilitation et la construction de bâtiments en secteur agricole pour accueillir cette diversification. Pourtant, cette dernière est bien en lien direct avec l’activité principale et la nature du site !
Monsieur le ministre, il me semble nécessaire de mener une réflexion sur cet enjeu, en associant les représentants du monde agricole, afin de trouver des solutions pertinentes.
Soyons pragmatiques ! Simplifions notre droit sans le galvauder pour faciliter le développement de nos activités agricoles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Raison.
M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il nécessaire de rappeler l’importance de l’agriculture dans notre pays ? Si celui-ci vit des moments très difficiles, notre agriculture connaît elle-même des difficultés sur le plan économique.
Au-delà de l’importance économique de la grande entreprise agricole française, en amont comme en aval, c’est aussi l’indépendance alimentaire que nous défendons – je rappelle que nous bénéficions, dans notre pays, d’une sécurité sanitaire incomparable.
L’agriculture est également une vitrine importante de produits et une incitation à entretenir l’ensemble de nos territoires. En cela, elle est à l’origine de 50 % du chiffre d’affaires de notre tourisme.
Monsieur le ministre, vous avez la responsabilité de cet ensemble, mais, nous en sommes bien conscients, son budget vous échappe en partie. En effet, le ministre est un chef d’orchestre et le ministère doit appliquer au mieux l’ensemble des politiques, qu’elles soient européennes ou françaises. À cet égard, on ne saurait détacher le budget de l’agriculture française du budget de l’agriculture européenne, qui avoisine les 10 milliards d’euros.
Au-delà des crédits de la mission que nous examinons ce soir, le budget de votre ministère s’élève à environ 4,4 milliards d’euros. Autrement dit, il accuse une baisse de 2,8 %. Vous allez certainement me dire que vous êtes l’un des bons élèves du Gouvernement et qu’il s’agit de redresser le pays ! Toutefois, il y a quelques années, les membres du groupe socialiste tenaient, dans cette enceinte, un tout autre discours : après nous, on criait à l’assassin, alors même que le budget de l’agriculture ne baissait que légèrement – en tout cas, sa diminution était moindre qu’aujourd'hui ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je rappelle, d'ailleurs, que depuis 2012, les crédits alloués à la seule présente mission ont baissé de 1 milliard d’euros.
M. Didier Guillaume. De combien la PAC a-t-elle augmenté dans le même temps ?
M. Michel Raison. Je veux toutefois souligner quelques points positifs.
Le budget de l’enseignement agricole, qui ne figure pas dans le périmètre de cette mission, est maintenu.
Autre point important, les crédits correspondant à l’ICHN, instrument indispensable d’aménagement du territoire pour compenser les inégalités, climatiques ou géographiques, existant dans notre pays, connaissent une légère augmentation.
Ces éléments n’empêchent pas l’inquiétude sur d’autres dossiers.
J’ai évoqué, tout à l'heure, notre sécurité sanitaire incomparable, légendaire. Prenons garde à ne pas y porter atteinte, car, si l’ANSES voit ses crédits maintenus, elle se voit aussi confier des missions complémentaires, de plus en plus complexes.
Notre inquiétude porte également sur le domaine de la recherche : pour maintenir le dynamisme de notre agriculture, nous devons relancer notre recherche. Or, dans ce secteur aussi, les crédits subissent une baisse importante.
Autre source d’inquiétude sérieuse, notre agriculture est une grande entreprise économique dont la balance commerciale est positive, certes, mais seulement si l’on intègre les vins et autres alcools ! J’observe que les crédits liés à l’exportation connaissent une diminution de 42 %. Soit, les crédits ne font pas tout, mais cette évolution m’inquiète fortement !
À cela, il faut ajouter les baisses des dotations perçues par les différentes collectivités, régions ou départements. Alors que ces derniers aidaient beaucoup l’agriculture dans un certain nombre de domaines, ils ne pourront plus le faire. Veillons à ce que la grande ferme qu’est la France ne perde pas de sa compétitivité !
Bien évidemment, tout ne dépend pas de vous, monsieur le ministre. Une partie de la compétitivité agricole dépend également des agriculteurs eux-mêmes, de leurs coopératives, de leur aval, mais aussi des parlementaires.
Dans le contexte de fluctuation des prix, un certain nombre d’adaptations sont nécessaires. D'ailleurs, monsieur le ministre, avant même que vous ne vous soyez vraiment rendu compte qu’il y avait une crise ou, du moins, que vous ne l’ayez fait savoir, le Sénat avait pris le problème à bras-le-corps, en organisant une table ronde, mais aussi en rédigeant une proposition de loi pour essayer de remédier à un certain nombre de difficultés qui peuvent anéantir notre compétitivité.
Ainsi, nous avons récemment porté de cinq à six ans la durée de l’exonération de charges sociales dont bénéficient les jeunes agriculteurs, qui sont beaucoup plus fragiles que les autres. En effet, dans l’agriculture, la rotation des capitaux, donc l’amortissement, est très lente.
Monsieur le ministre, nous espérons que vous soutiendrez une grande partie, si ce n’est la totalité, de la proposition de loi que je viens d’évoquer. Vous le voyez, nous prenons aussi nos responsabilités !
M. Jean-Claude Lenoir. Bien sûr !
M. Michel Raison. Je reconnais, à cette tribune, que, seul, vous ne pouvez pas tout faire. Accompagnez-nous ! Soutenez-nous ! Vous verrez que nous pourrons, ensemble, faire avancer la belle grande ferme qu’est la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. Raison a fait honneur à son patronyme, puisqu’il s’est exprimé fort à propos sur l’enjeu agricole du présent budget.
Pour ce qui me concerne, je vais profiter du temps de parole qui m’a été alloué pour essayer de planter le décor global.
L’agriculture, pour le ministre chargé de ce secteur – cela vaut pour moi comme pour ceux qui m’ont précédé et ceux qui me succéderont –, c’est quelques grands sujets.
Le premier de ces sujets, c’est la politique agricole commune. Comme cela a été souligné, le budget que je vous présente aujourd'hui est le fruit du débat qui a entouré l’élaboration du budget de l’agriculture à l’échelle européenne. Qu’on se le dise, nous n’en serions pas là si nous n’avions pas aussi bien négocié le budget européen ! Les sénateurs de la majorité sénatoriale l’avaient d'ailleurs salué à l’époque. Premier et second piliers confondus, le budget européen de l’agriculture s’élèvera à près de 9 milliards d’euros en 2016 et à un niveau légèrement inférieur en 2017.
La politique agricole commune permet désormais d’octroyer des aides aux agriculteurs sur la base du nombre d’hectares, les références historiques ayant été abandonnées. Cela rejoint le sujet de la compensation des handicaps, qui a été évoqué. Je pense, d'ailleurs, que le fondement d’une politique publique conduite à l’échelle européenne doit consister à maintenir l’agriculture, par des aides, dans les territoires où les handicaps naturels la feraient disparaître.
Le deuxième sujet concerne les stratégies à mener en matière de compétitivité, comprise comme ce qui permet de produire et de vendre ses produits sur un marché. La compétitivité, ce n’est pas seulement une compétitivité-coût, que l’on évoque souvent ; c’est aussi une compétitivité hors coût. L’organisation des filières, les stratégies que chacune d’elles doit adopter, la capacité de chacune à satisfaire un intérêt général à la hauteur des enjeux des marchés et des exportations potentielles, cela fait partie des enjeux essentiels en matière de compétitivité, même s’ils ne dépendent pas uniquement du ministère de l’agriculture. Je vous renvoie, mesdames, messieurs les sénateurs, au débat sur la contractualisation, sur les évolutions nécessaires et sur les choix stratégiques qui ont pu être faits par le passé.
Je reviens d’un déplacement dans le Languedoc-Roussillon. Quand on se remémore la situation de la viticulture dans cette région voilà trente ans, l’impasse dans laquelle elle se trouvait alors et la difficulté qu’elle avait à se projeter dans l’avenir, on voit bien que les efforts extrêmement importants qui ont été consentis et les choix stratégiques qui ont été assumés sur la qualité ont fini par donner des résultats, pour aboutir au redressement que l’on constate aujourd'hui. Si celui-ci demeure fragile, les résultats obtenus démontrent l’importance de la compétitivité dans ses composantes coût comme hors coût.
Je veux, sur cette question de la compétitivité, livrer un sujet à votre réflexion : celui du pacte de responsabilité. Comme certains intervenants l’ont rappelé, baisser la dépense publique de 50 milliards d’euros et réinvestir 40 milliards d’euros dans l’économie via des allégements de charges, à hauteur de 4 milliards d’euros, au profit de l’agriculture et du secteur agroalimentaire était un enjeu stratégique. Ce transfert a pu être opéré grâce aux économies réalisées sur les budgets, en particulier sur le fonctionnement du ministère de l’agriculture. C’est ce qui a permis de redonner de la compétitivité aux entreprises, au travers du pacte de responsabilité.
Je l’ai rappelé en commission, au Sénat : 4 milliards d’euros, c’est l’équivalent de la totalité du budget dont nous discutons ce soir, enseignement agricole compris. Les 2,8 milliards d’euros consacrés notamment aux actions forestières, agricoles et rurales représentent donc deux fois moins que ce qui est en jeu à travers le pacte de responsabilité et la baisse des charges, soit 4 milliards d’euros en 2016 et en 2017. Chacun doit en avoir bien conscience.
Au-delà de votre belle formule bretonne, monsieur Canevet, j’ai bien compris que les membres du groupe UDI-UC étaient favorables à la compétitivité. J’entends d’ailleurs les uns et les autres s’inscrire dans des logiques de réduction de la dépense publique qui vont bien au-delà de 50 milliards d’euros !
Encore faut-il savoir ce que l’on va faire de cet argent. Le Gouvernement a choisi d’en redistribuer une partie en faveur de l’économie, de la compétitivité. N’ouvrons pas de faux débat : nous souhaitons tous améliorer la compétitivité de l’agriculture française. Pour ce faire, celle-ci doit s’organiser selon une logique de filières, plus structurante. Nous n’y arriverons pas autrement.
Le troisième sujet concerne la gestion des crises. Je me souviens que, en 2008, le prix du lait était descendu encore plus bas qu’aujourd’hui. Je me souviens aussi que les mesures visant à soutenir les exploitations laitières étaient intervenues après la crise.
Or de telles crises sont une conséquence – pour ce qui est du lait, c’est une certitude – de l’ouverture du marché mondial et de la fin des quotas. Je ne rechercherai pas les responsabilités, mais nous savons tous à quel moment ces décisions ont été prises ; à nous d’être capables de les assumer. Nous ne pouvons en effet réclamer davantage de régulation juste après avoir dérégulé ! Dès lors, ne venez pas reprocher au Gouvernement la baisse du prix du lait en raison de l’ouverture à la concurrence ! Chacun doit assumer – et vous, en particulier – la responsabilité de la fin du système des quotas.
M. Didier Guillaume. Tout à fait !
M. Stéphane Le Foll, ministre. En sortant de ce système, tous les pays européens – sauf la France – se sont mis à produire pour l’exportation, en particulier vers la Chine. Et quand le marché chinois se retourne, tout le lait qui lui était destiné reste en Europe, ce qui entraîne une chute des prix telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Chacun doit donc être mis devant ses responsabilités. Je vous préviens tout de suite : la volatilité des prix sera encore plus importante demain.
De même, la crise du porc en Bretagne ne date pas d’aujourd’hui, ni même de 2012. Elle remonte au moins à dix ans et va bien au-delà d’une simple question de compétitivité ou de baisse des charges. Rien que pour cette filière, la baisse de charges que j’ai évoquée voilà quelques instants et sur laquelle je reviendrai est de l’ordre de 400 à 450 millions d’euros.
Sur le marché de Plérin, qui a rouvert la semaine dernière, 6 000 porcs ont été échangés au prix de 1,08 euro, alors que l’accord global que nous avions conclu avec les acteurs de la filière fixait un prix de 1,40 euro ! Les groupements de producteurs bretons ont accepté de casser ce prix pour des questions de compétitivité ! Comment s’étonner que les prix baissent ?
La question ne m’est donc pas adressée à moi seul, monsieur le sénateur, mais à tous ceux qui doivent assumer leur responsabilité pour redresser cette filière. On ne s’en sortira pas en se renvoyant la balle ! Il va nous falloir réfléchir ensemble pour protéger l’intérêt supérieur de la filière porcine française et bretonne, et procéder différemment de ce qui se fait à Plérin depuis trente ans !
Dès la fin de cette année, je formulerai des propositions en matière d’innovation et de contractualisation, non pas seulement avec la grande distribution, mais avec toute la distribution. On ne trouve pas d’un côté la grande distribution et, de l’autre, les abattoirs, les coopératives ou les acteurs privés. Au bout du compte, c’est toujours le producteur qui paie, qu’il s’agisse de la filière porcine, laitière ou même bovine.
Il s’agit d’un vieux débat ! En remettant la Légion d’honneur à Lucien bourgeois, ancien chargé des études et des analyses à l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture et grand spécialiste de la répartition de la valeur ajoutée, je me suis rendu compte, après avoir dressé l’historique de sa carrière, que nous nous posons les mêmes questions depuis 1970 ! L’agriculture a toujours transféré tous ses gains de productivité aux autres maillons des filières, ainsi qu’au consommateur. Les choses continuent d’aller ainsi, et la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche n’y a rien changé ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Il est donc temps de s’interroger sur la manière dont nous allons gérer la contractualisation demain. (Mêmes mouvements.)
M. Rémy Pointereau. Et la loi d’avenir ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Ne vous fâchez pas ! Écoutez-moi ! Il va falloir réfléchir à une façon différente de répartir les contrats et de gérer les relations commerciales.
La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ouvre des pistes, notamment en matière de contractualisation, et fixe des ambitions à travers, entre autres, l’agro-écologie, qui permettra de sortir de la question, souvent évoquée au Sénat, des normes.
J’ai pu voir, à la COP 21, une grande entreprise dont je tairai le nom faire la promotion de l’agro-écologie. La semaine dernière, dans un journal du soir, une autre grande entreprise faisait de même. Or l’agro-écologie n’est faite ni pour les grands distributeurs ni pour les grandes entreprises. Elle est d’abord conçue pour permettre aux agriculteurs de combiner performance économique et objectifs environnementaux.
J’ai rencontré, dans l’Hérault, les représentants d’un groupement d’intérêt économique et environnemental joliment baptisé Les Enherbeurs. Et que faisaient ces « Enherbeurs » dans les vignes, Gérard César ? Ils étaient en train de semer de l’herbe, des féveroles, de l’orge de printemps, cette couverture végétale devant permettre d’éviter l’évapotranspiration de l’eau. Le syndicat des eaux de la communauté de communes et l’agence de l’eau étaient à leurs côtés, car cette combinaison d’enjeux environnementaux et de production agricole intéresse tout le monde.
Je veux favoriser le développement de ces stratégies. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt pose les bases dont peuvent se servir les agriculteurs pour enclencher ces dynamiques positives, fortes, qui lient l’environnement à l’économie et qui se traduiront, au final, par des gains de compétitivité.
Monsieur Morisset, vous avez évoqué les GAEC. Pour ce qui concerne le plafonnement particulier des aides à 35 000 euros, il n’est pas dû à la politique suivie par le ministère de l’agriculture. Celui-ci a défendu les GAEC et mis en place des critères de transparence : chaque groupement pourra bénéficier des paiements redistributifs sur les cinquante-deux premiers hectares, autant de fois qu’il y a de parts.
Cette année, plus de 8 000 GAEC ont été agréés. Ce système est en train de se structurer. Je suis d’accord avec vous, c’est en partageant, en mutualisant les investissements que l’on va réussir à mettre en place à la fois des stratégies de dynamique collective et des stratégies économiquement compétitives. Il ne sert à rien de multiplier les achats de matériel agricole, mieux vaut s’inscrire dans des stratégies collectives, plus positives.
M. Michel Le Scouarnec. Quid des CUMA ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Les CUMA rentrent dans cette stratégie.
Si je prends l’exemple de la production laitière dans l’ouest de la France, les GAEC à trois, quatre, cinq ou six et produisant 600, 700, 800 ou 1 000 litres de lait sont des entités économiques à la fois porteuses d’emploi et compétitives à l’échelle européenne, voire mondiale. C’est l’avenir de l’agriculture ! Et c’est justement ce genre de projets que la loi d’avenir va permettre de bâtir.
J’ai parfaitement conscience que la mise en route va prendre un peu de temps et qu’il faut, dans l’immédiat, gérer l’urgence. Tel est le but du plan de soutien à l’élevage.
Les éleveurs traversent une crise sans précédent en raison des aléas du marché. Cette crise s’est même étendue, dans certaines zones intermédiaires, aux céréaliers, dont les rendements sont faibles.
J’ai dit, au mois de juin dernier, qu’environ 20 000 exploitations seraient en difficulté. Les cellules départementales d’urgence montrent que 22 000 à 23 000 exploitations connaissent des difficultés en termes de trésorerie et d’endettement.
Je voudrais vous rappeler que ces cellules ont été mises en place dès le mois de février dernier. La réunion au Sénat évoquée par Michel Raison s’est tenue, de mémoire, au mois de juillet. Je n’ai pas attendu l’été pour percevoir les difficultés à venir.
Le 11 juin, lorsque je me suis rendu à Ploërmel pour rencontrer les représentants de la Fédération nationale des producteurs de lait, la FNPL, nous avions déjà mis en place des allégements de charge au titre de la MSA – la mutualité sociale agricole. Il a fallu aller plus loin, parce que cette crise était encore plus profonde que ce que nous avions anticipé.
C'est la raison pour laquelle, à travers le plan de soutien à l’élevage, présenté en deux fois, nous avons proposé des allégements de charges, via le Fonds d’allégement des charges, le FAC, à hauteur de 155 millions d’euros, et des allégements de cotisations sociales au titre de la MSA, à hauteur de 180 millions d’euros.
Par ailleurs, les autorisations d’engagement et les crédits de paiement doivent être dépensés le plus rapidement possible, car c’est maintenant que le besoin s’en fait sentir. N’attendons pas que la crise passe, au bout d’un an ou deux, comme cela est arrivé dans le passé, pour faire bénéficier les agriculteurs de ces allégements de cotisations.
Je tiens à saluer la célérité et l’efficacité de la MSA, qui a toujours répondu présente. Aux 180 millions d’euros d’allégement de cotisations au titre de la mutuelle sociale agricole s’ajoutent 155 millions d’euros d’allégement de charges. Les cellules départementales d’urgence sont chargées de traiter ces dossiers, ce qui prend un peu de temps.
L’État a su se mobiliser pour venir immédiatement en aide aux agriculteurs, aux exploitants et aux éleveurs. La ligne budgétaire du projet de loi de finances pour 2016 qui prévoit seulement 1 ou 2 millions d’euros d’allégement de charges ne correspond pas à cette mobilisation. Le Gouvernement a mobilisé les éléments de gestion du budget et fait appel à sa réserve. C’est tout l’enjeu du projet de loi de finances rectificative examiné en fin d’année.
Il ne faut pas confondre ce dernier texte avec le projet de loi de finances pour 2016. Nous avons besoin d’agir immédiatement. Cet effort se poursuivra en 2016, notamment à travers la baisse des assiettes minimales pour les cotisations sociales des plus petites exploitations. Nous avons ramené leurs charges au niveau de celles des travailleurs indépendants, soit environ 80 millions d’euros en année pleine.
Nous mobilisons également 30 millions d’euros supplémentaires, en sus des 56 millions du plan en faveur des investissements. Nous savons tous dans cette enceinte combien il est nécessaire d’aider les agriculteurs et les exploitations agricoles à investir pour se moderniser et améliorer leur compétitivité.
Ainsi, des bâtiments d’élevage de meilleure qualité, en particulier dans le domaine de la production porcine et bovine, visent non seulement le bien-être animal, mais aussi et surtout la réalisation d’économies d’énergie. Ils sont facteur de meilleurs indices de consommation, c'est-à-dire moins d’aliments pour la même production. Les bénéfices concernent par conséquent aussi bien les éleveurs que les animaux.
S’agissant donc des investissements, pour les années 2016 et 2017, les crédits dédiés s’élèveront, en combinant les 86 millions d’euros prévus à la participation des régions, à 350 millions d’euros par an, somme qui contribuera ensuite, si des emprunts sont réalisés, à la mobilisation du fameux milliard d’euros annoncé par le Premier ministre et demandé par la FNSEA lors de la manifestation du 3 septembre dernier. C’est par l’investissement qu’on y arrive, j’en suis parfaitement d’accord !
J’évoquais tout à l’heure les charges opérationnelles. Nous devons réfléchir à l’avenir de l’agriculture, et faire en sorte que les gains de productivité ne soient pas toujours transférés vers les maillons de filières autres que celles de l’agriculture et de l’agroalimentaire.
Les dépenses qui sont notamment faites, parfois à juste titre, en matière de machinisme agricole, permettent certes au Crédit agricole d’annoncer de très bons résultats en termes de prêts pour l’achat de tracteurs, mais il faut ensuite rembourser ces prêts…
S’agissant des produits phytosanitaires, dans le cadre de la présentation du plan Écophyto 2, j’ai demandé aux prestataires de baisser leurs ventes de 20 % dans les cinq ans – je ne me suis pas adressé aux agriculteurs ! –, faute de quoi ils seront taxés. Moins de ventes de produits phytosanitaires, cela signifie moins d’achats pour les agriculteurs, et donc des charges opérationnelles et une compétitivité qui s’améliorent.
M. Joël Labbé. Et une meilleure santé !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous avez tout à fait raison, monsieur Labbé ! C’est vers cette logique que nous devons nous acheminer.
Ainsi, demain, l’agriculture pourra recombiner à la fois les enjeux environnementaux et les enjeux de compétitivité, car les deux sont liés.
J’en viens à la question de l’apurement de 1 milliard d’euros évoquée tout à l’heure par M. le rapporteur spécial Alain Houpert. La France devait rembourser 3,5 milliards d’euros à l’Europe au titre d’aides versées à tort. Nous avons négocié pour réduire cette somme à 1,1 ou 1,2 milliard d’euros, somme qui sera payée par l’État sur trois années, soit 300 millions d’euros par an.
S’agissant du FNGRA, le Fonds national de gestion des risques en agriculture, les agriculteurs paient une taxe, par le biais de leurs assurances, pour financer ce fameux fonds de garantie lié aux calamités agricoles, notamment pour ce qui concerne les pertes de fonds.
On disposait de 350 millions d’euros, alors que la dépense s’élevait entre 60 à 70 millions d’euros tous les ans. On dépensera cette année – c’est budgété – entre 70 et 80 millions d’euros. Ensuite, nous diminuerons la taxe payée par les agriculteurs, puisque, de toute façon, l’État doit compenser les pertes de fonds liés aux aléas climatiques – c’est la différence avec l’assurance –, et il sera au rendez-vous ! Son engagement à venir en aide aux agriculteurs en cas de grandes calamités agricoles ne sera pas remis en cause.
Le présent budget fixe de grandes lignes et s’efforce de tracer une perspective pour l’agriculture française, à laquelle, comme vous, je suis attaché. C’est une grande agriculture, et elle doit le rester ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des amendements portant sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », figurant à l’état B.
J’invite chacun à la concision.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales |
2 788 689 611 |
2 718 411 285 |
Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires |
1 365 700 433 |
1 279 164 978 |
Forêt |
275 981 791 |
289 209 526 |
Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation |
486 919 358 |
485 601 586 |
Dont titre 2 |
285 525 750 |
285 525 750 |
Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture |
660 088 029 |
664 435 195 |
Dont titre 2 |
576 352 791 |
576 352 791 |
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° II-118 est présenté par M. César.
L'amendement n° II-222 rectifié est présenté par MM. Raison, Bizet, Panunzi, D. Laurent, Revet, Pellevat et Perrin, Mme Micouleau, M. Morisset, Mme Morhet-Richaud, MM. Cornu et Vaspart, Mme Des Esgaulx, MM. Milon, Calvet et Grand, Mme Lopez, MM. Lefèvre, Vogel, Genest, Darnaud, Chasseing, Houel, Pointereau, Grosdidier, G. Bailly et Kennel, Mme Duchêne, M. B. Fournier, Mme Primas, M. Pierre, Mme Gruny, MM. Huré et Mandelli, Mmes Mélot et Canayer, MM. Vasselle et Gremillet, Mme Lamure et MM. Emorine et Longuet.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires |
15 000 000 |
7 000 000 |
||
Forêt |
||||
Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation dont titre 2 |
||||
Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture dont titre 2 |
15 000 000 |
7 000 000 |
||
TOTAL |
15 000 000 |
15 000 000 |
7 000 000 |
7 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Gérard César, pour présenter l’amendement n° II-118.
M. Gérard César. Pour le financement des mesures agroenvironnementales et climatiques, les MAEC, les crédits de paiement pour 2016 sont insuffisants au regard des autorisations d’engagement. Ils sont en effet de 28 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2016, à rapporter aux 35 millions d’euros qui pourraient être engagés en 2015 au regard des autorisations d’engagement 2014 et 2015.
Cela signifie que, en l’état du projet de loi de finances, il manque au moins 7 millions d’euros pour payer en 2016 la totalité des agriculteurs ayant souscrit une MAEC en 2015.
Il est ici proposé d'augmenter les crédits des actions 12 et 14 du programme 154 et de diminuer à due concurrence ceux de l'action 1 du programme 215.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour présenter l’amendement n° II-222 rectifié.
M. Michel Raison. Il s’agit d’un amendement de précision (Sourires.), destiné à aider M. le ministre de l’agriculture, au cas où il lui manquerait quelques crédits à la fin de l’année prochaine. On lui suggère de remettre ces 7 millions d’euros, pour qu’il n’ait pas d’ennuis. (Nouveaux sourires.)
M. le président. L'amendement n° II-280 rectifié, présenté par M. Canevet, Mme Billon, MM. Détraigne et Luche, Mme Morin-Desailly, MM. Tandonnet et L. Hervé et Mme Gatel, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires |
7 500 000 |
3 500 000 |
||
Forêt |
||||
Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation dont titre 2 |
||||
Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture dont titre 2 |
7 500 000 |
3 500 000 |
||
TOTAL |
7 500 000 |
7 500 000 |
3 500 000 |
3 500 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Sur le principe, cet amendement est identique. Simplement, la somme qu’il est proposé de transférer est deux fois inférieure à celle des précédents amendements.
Il s’agit également d’aider M. le ministre, dans la mesure où nous avons le souci d’approvisionner suffisamment les comptes, pour faire face aux besoins. Et l’on sait que les besoins sont là !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Ces trois amendements sont quasi identiques : s’ils diffèrent par les montants proposés, ils ont le même enjeu.
Je comprends la motivation de leurs auteurs, qui demandent une majoration des crédits destinés aux mesures agroenvironnementales et climatiques.
Sur ce point, je propose de nous en remettre à la sagesse de notre assemblée. En effet, le Gouvernement s’est engagé à satisfaire les besoins en crédits nécessaires au financement des mesures agroenvironnementales et climatiques.
Une grande partie des engagements liés à la nouvelle programmation ont été opérés sur 2015. Les besoins seront sans doute moindres en 2016. Le Gouvernement va, du moins je le souhaite, confirmer ses engagements devant le Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. S’agissant des MAEC, des AE ont été engagées sur 2015 et les crédits de paiement pour 2016 ont été fixés autour de 72 millions d’euros, somme qui sera consacrée chaque année aux mesures agroenvironnementales et climatiques.
Avec le plan de soutien à l’élevage, on a ajouté 15 millions d’euros. Par conséquent, les engagements sont pris, monsieur le rapporteur spécial, et ils seront tenus.
Le Gouvernement est donc défavorable à ces amendements, pour répondre de manière très claire à la question posée.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos II-118 et II-222 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° II-295, présenté par M. Gremillet, Mme Deromedi et MM. Raison et Pierre, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires |
10 000 000 |
10 000 000 |
||
Forêt |
||||
Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation dont titre 2 |
||||
Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture dont titre 2 |
10 000 000 |
10 000 000 |
||
TOTAL |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Cet amendement a pour objet d'augmenter de 10 millions d'euros les crédits de l'action n° 12, Gestion des crises et des aléas de la production, du programme 154 de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Dans le cadre de la PAC, les subventions aux assurances climatiques peuvent représenter au maximum 65 % du coût de l’assurance.
Jusqu’en 2015, la France cofinançait 25 % de ces subventions, les 75 % restants étant cofinancés par des fonds européens. L’an dernier, les crédits d’engagement de la France, de 24,3 millions d’euros, étaient en hausse. Ils ont permis de mobiliser un cofinancement européen de 72,9 millions d’euros, pour constituer une enveloppe totale de 97,2 millions d’euros.
Ce budget a néanmoins été insuffisant pour couvrir les besoins totaux, de 113 millions d’euros, et parvenir à une prise en charge à 65 % des contrats. L’enveloppe a dû être complétée par l’État, à hauteur de 15,8 millions d’euros, au titre des aides de minimis.
À compter de 2016, la totalité de l’aide à l’assurance est financée sur crédits européens par un transfert du premier pilier vers le deuxième pilier, d’où l’absence de ligne budgétaire à ce sujet et la forte baisse des crédits de l’action 12, Gestion des crises et des aléas de la production.
Depuis 2013, dans le cadre de la PAC, la France cofinance également les fonds de mutualisation des risques sanitaires et environnementaux. Les pouvoirs publics subventionnent une partie des frais de création des fonds et remboursent jusqu’à 65 % des indemnités versées aux agriculteurs. Le premier fonds de ce type a été reconnu par les pouvoirs publics en septembre 2013.
Pour 2016, le budget consacré à la gestion des risques dans le cadre du deuxième pilier de la PAC est fixé à 123,7 millions d’euros. Cette consolidation va dans le bon sens, mais elle est encore insuffisante pour une prise en charge à la fois des primes d’assurance récolte à hauteur de 65 % et des programmes du fonds de mutualisation sanitaire et environnemental. Il est donc nécessaire de compléter l’enveloppe communautaire actuelle par des fonds nationaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Cet amendement, que je considère comme un amendement d’appel, tend à majorer les crédits destinés aux subventions à l’assurance récolte. Je partage les motivations de ses auteurs, mais j’en demanderai le retrait, après avoir entendu l’avis du Gouvernement.
Il s’agit en effet de majorer de 10 millions d’euros les crédits destinés aux subventions à l’assurance récolte. Or ces aides à l’assurance seront financées en totalité, vous l’avez dit, mon cher collègue, par des crédits européens de la politique agricole commune, à compter de 2016.
Mais je me tourne vers le Gouvernement : est-il possible, monsieur le ministre, de compléter l’enveloppe communautaire actuelle par des fonds nationaux ? Je n’en suis pas sûr, raison pour laquelle je demande le retrait de cet amendement.
En outre, les montants en jeu, prélevés sur les moyens de l’administration centrale du ministère de l’agriculture, pourraient déstabiliser la mission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je suis évidemment favorable… au retrait de cet amendement !
Comme l’a demandé M. le rapporteur spécial, il faut tout de même que l’on s’explique, car c’est un sujet majeur.
Je sais que, sur la question de l’assurance récolte, nous sommes tous d’accord.
Qu’avons-nous fait ? Nous avons construit un contrat socle. Il se met en place aujourd'hui pour l’apiculture, l’élevage et les céréales.
Le transfert du premier vers le deuxième pilier permettra de financer en partie ce contrat socle. Je l’ai toujours dit, la question de savoir s’il faut en prendre encore davantage sur le premier pilier se posera aux négociateurs de la prochaine politique agricole commune. À chacun d’en décider alors !
J’observe cependant que l’assurance récolte est tout de même un enjeu majeur
Pour l’ensemble des filières, au titre de l’assurance récolte, les crédits conjugués de l’Union européenne et de l’État, qui étaient de 77 millions d’euros en 2013, sont passés à 97 millions d’euros en 2015, pour être abondés ensuite jusqu’à 117 millions d’euros.
Vous l’avez dit, cette enveloppe est maintenant financée à 100 % par les crédits européens, et les crédits nationaux prévus dans le projet de loi de finances ont été logiquement supprimés.
Les crédits européens s’élèveront en 2016 à 120 millions d’euros. Loin d’une action au coup par coup, il s’agit donc bien d’une montée en puissance et d’une structuration du système.
Comme la commission, Le Gouvernement vous demande donc, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. Monsieur Gremillet, l'amendement n° II-295 est-il maintenu ?
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, j’ai bien entendu les arguments de notre rapporteur spécial et de M. le ministre.
Il s’agit en effet d’un amendement d’appel, qui vise à soulever une question de fond dans la perspective des futures négociations de la PAC.
Jusqu’en 2015, les subventions aux assurances climatiques faisaient l’objet d’un cofinancement entre l’État et l’Union européenne. À compter de 2016, la totalité de l’aide à l’assurance sera financée sur crédits européens, avec un retrait complet de l’État.
Un grand nombre d’agriculteurs sont pourtant exposés aux situations de crise qui pourraient être couvertes par ces assurances. Ce n’est pas, hélas, l’année 2015 qui me démentira, les incidents climatiques ayant été très nombreux.
M. le ministre nous renvoie aux futures négociations de la PAC, qui auront vocation, en la matière, à tracer le chemin. Je ne le conteste pas, mais cela veut dire concrètement que, à partir de l’année prochaine, pas un centime du budget national ne viendra abonder le financement des subventions aux assurances climatiques. Le besoin n’était pourtant peut-être pas inexistant…
L’amélioration de la situation des agriculteurs passe sans doute par un taux de couverture plus important : les agriculteurs doivent pouvoir souscrire des contrats de ce genre dans une plus grande proportion.
Je vais retirer cet amendement, monsieur le président, mais non sans rappeler que la question de la couverture des risques est tout à fait stratégique pour l’avenir, et devra être traitée comme telle si nous souhaitons évoluer vers un modèle agricole moins fragile, quels que soient les territoires concernés.
M. Daniel Gremillet. Je retire donc l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° II-295 est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° II-116 est présenté par M. César.
L'amendement n° II-221 rectifié est présenté par MM. Raison, Bizet, Panunzi, D. Laurent, Revet et Pellevat, Mme Micouleau, M. Morisset, Mme Morhet-Richaud, MM. Cornu et Vaspart, Mme Des Esgaulx, MM. Milon, Calvet et Grand, Mme Lopez, MM. Lefèvre, Vogel, Genest, Darnaud, Perrin, Chasseing, Houel, Pointereau, Gremillet, Grosdidier, Kennel et Bouchet, Mme Duchêne, M. B. Fournier, Mme Primas, MM. Bas, Pierre et Savary, Mme Gruny, MM. Huré et Mandelli, Mmes Mélot et Canayer, MM. Vasselle et G. Bailly, Mme Lamure et MM. Emorine et Longuet.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires |
4 000 000 |
|||
Forêt |
||||
Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation dont titre 2 |
||||
Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture dont titre 2 |
4 000 000 |
|||
TOTAL |
4 000 000 |
4 000 000 |
||
SOLDE |
0 |
La parole est à M. Gérard César, pour présenter l'amendement n° II-116.
M. Gérard César. Il est proposé d’augmenter les crédits de l’action n° 12, Gestion des crises et des aléas de la production, du programme 154, « Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires », et de diminuer à due concurrence ceux de l’action n° 1, Moyens de l’administration centrale, du programme 215, « Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture ».
Il s’agit de financer le dispositif AGRIDIFF. Compte tenu de la crise que connaissent de nombreux secteurs de notre agriculture, je propose de relever le montant des crédits alloués à ce dispositif à hauteur de 4 millions d’euros, au lieu du 1,8 million d’euros figurant au budget pour 2014 et pour 2015.
M. Michel Raison. Sincèrement, je m’inquiète pour 2016. Un certain nombre d’agriculteurs ont connu des difficultés cette année, et nous savons bien que les conséquences se font plus gravement ressentir l’année qui suit une crise.
Le faible montant de l’enveloppe dévolue à l’aide aux agriculteurs en difficulté pourrait nous conduire à en modifier les critères d’attribution. Un certain nombre d’exploitants pourraient ainsi se retrouver dans l’incapacité d’assurer leur redressement, au risque du dépôt de bilan. Il s’agit donc d’un dossier extrêmement important.
M. le président. L'amendement n° II-279 rectifié, présenté par M. Canevet, Mme Billon, MM. Détraigne et Luche, Mme Morin-Desailly, MM. Tandonnet et L. Hervé et Mme Gatel, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires |
2 200 000 |
|||
Forêt |
||||
Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation dont titre 2 |
||||
Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture dont titre 2 |
2 200 000 |
|||
TOTAL |
2 200 000 |
2 200 000 |
||
SOLDE |
0 |
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Il s’agit en effet d’abonder le compte du dispositif AGRIDIFF, puisqu’il est manifestement sous-doté.
J’entends bien que d’autres dispositifs peuvent être mobilisés aux mêmes fins. Mais l’ampleur de la crise est telle que nous devons pouvoir mobiliser l’ensemble des moyens qui sont destinés à favoriser le redressement des exploitations en difficulté. Il est naturel que les leviers qui ont vocation à remplir cette mission soient actionnés.
M. le ministre a évoqué les crédits qu’il va pouvoir mobiliser au titre de 2015. Mais nous examinons actuellement le projet de budget pour 2016, et nous savons que la crise ne va pas s’arrêter au 31 décembre !
Il est donc important que l’État puisse se donner les moyens d’intervenir pour soutenir les agriculteurs, sans quoi tout un pan de notre économie risque de s’effondrer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Les amendements identiques nos II-116 et II-221 rectifié ont le même enjeu que l’amendement n° II-279 rectifié : seules les sommes engagées diffèrent – 4 millions d’euros d’autorisations d’engagement pour les deux premiers, 2,2 millions d’euros de crédits de paiement pour le troisième, l’ambition étant donc un peu plus modeste.
Ces trois amendements visent à majorer les crédits destinés au dispositif AGRIDIFF. Je partage les motivations de nos collègues auteurs des amendements, et je constate avec eux que le dispositif AGRIDIFF est trop faiblement doté en loi de finances initiale.
Même si nous savons que les moyens nécessaires seront, le moment venu, ouverts en gestion, je juge plus sincère de présenter un budget prévoyant des crédits destinés à gérer les aléas.
J’émets donc un avis de sagesse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. L’aide aux agriculteurs en difficulté fait l’objet d’une ligne de crédits qui, prise isolément, peut en effet susciter des inquiétudes. La porter de 1,8 million à 4 millions d’euros pourrait sembler en phase avec l’objectif, qui est de répondre à la crise que traversent actuellement un certain nombre d’agriculteurs.
Mais j’ai rappelé les différents dispositifs qui auront vocation à remplir cette fonction : le fonds d’allégement des charges, abondé à hauteur de 155 millions d’euros, preuve qu’il y a des difficultés et que nous y répondons ; 180 millions d’euros mobilisés sur la MSA ; 86 millions d’euros mobilisés l’an prochain au titre de l’assiette minimale de cotisation, auxquels il faut ajouter 40 millions d’euros environ destinés à financer la mesure dite « option assiette n-1 ».
Tout cela est sans commune mesure avec ce que permettrait AGRIDIFF. Je comprends vos inquiétudes, mais, au regard des enjeux, ce n’est pas en mobilisant 4 millions d’euros supplémentaires que nous répondrons à quelque difficulté que ce soit : nous sommes déjà bien au-delà !
C’est pourquoi je demande le retrait de ces amendements. À défaut, l’avis serait défavorable.
M. Gérard César. Je le maintiens !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos II-116 et II-221 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° II-294, présenté par MM. Gremillet, Raison et Pierre et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires |
1 000 000 |
1 000 000 |
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Forêt |
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Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation dont titre 2 |
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Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture dont titre 2 |
1 000 000 |
1 000 000 |
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TOTAL |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Il s’agit d’augmenter les crédits alloués à FranceAgriMer, pour renforcer ses capacités d’intervention. Le nombre et la difficulté des dossiers que l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer est amené à traiter sont à la mesure de la diversité de l’agriculture française.
À cet égard, il paraît difficile d’imaginer que le CASDAR, ce compte d’affectation spéciale dont les moyens sont intégralement financés par les agriculteurs eux-mêmes, et qui n’a pas été, au départ, conçu pour cela, lui soit substitué.
Si nous voulons donner à l’agriculture française la capacité de relever l’ensemble des défis auxquels elle doit faire face, et ainsi maintenir les emplois agricoles dans nos territoires, il est absolument nécessaire de commencer par mener l’offensive sur le front budgétaire.
À rebours de l’attentisme que vous nous proposez, cet amendement vise à honorer les engagements de l’État vis-à-vis de cet opérateur qui, au fil des budgets, a vu ses moyens se réduire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Cher collègue, vous avez parlé du CASDAR, mais votre proposition de majoration des crédits destinés à FranceAgriMer affecte les crédits du ministère de l’agriculture.
Je partage votre préoccupation. Les agents de FranceAgriMer doivent en effet gérer, en 2015, plus de 20 000 dossiers supplémentaires dans le cadre du plan de soutien à l’élevage – Alain Marc évoquait une inflation normative ; on peut parler ici d’inflation de contrôle ! Quoi qu’il en soit, dans le cadre de ce plan, il ne me paraît pas illégitime d’allouer à FranceAgriMer des moyens supplémentaires.
Cela étant dit, l’effort spécifique lié au plan de soutien à l’élevage aura été fourni avant tout sur l’année en cours, alors que l’amendement tend à augmenter pour 2016, de 1 million d’euros, les crédits destinés à cet opérateur.
C’est pourquoi, sans être favorable à cet amendement, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je comprends votre inquiétude. FranceAgriMer a d’ailleurs été inscrit dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt comme lieu d’échanges privilégié, en particulier par le biais de ses conseils spécialisés, entre les pouvoirs publics et les acteurs des filières. L’importance de son rôle est donc parfaitement reconnue.
Le travail accompli par FranceAgriMer est déterminant s’agissant de la conduite d’un certain nombre d’actions stratégiques, de la mobilisation du programme d’investissements d’avenir, ou PIA, en faveur des investissements dans les exploitations agricoles, et bien entendu du plan de soutien à l’élevage.
Mais nous butons, en la matière, sur les normes de gestion, qui s’appliquent au ministère de l’agriculture comme aux autres : les crédits de fonctionnement du ministère de l’agriculture connaissent une baisse de 4 %, et je ne peux faire autrement que d’appliquer à FranceAgriMer ce qui vaut de la même manière – et parfois même plus fortement – pour les autres opérateurs du ministère.
La question n’est donc pas celle de l’importance, en effet décisive, des missions de cet opérateur – je compte sur FranceAgriMer !
J’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.
M. Michel Raison. À une époque, on critiquait les coups de rabot par trop uniformes. De la même manière, au sein d’un ministère, il n’y a aucune raison que le rabot soit passé de manière uniforme !
Les marges de manœuvre de l’administration centrale ou des services déconcentrés du ministère de l’agriculture sont moins étroites que celles de FranceAgriMer, qui – vous en convenez, monsieur le ministre – constitue un outil indispensable, et plus indispensable que jamais dans le contexte d’une désorganisation des marchés et d’une fluctuation croissante des prix.
J’ai remis récemment, au nom de la commission des affaires européennes, un rapport d’information sur la situation du secteur laitier après les quotas. FranceAgriMer a été, dans le cadre de ce travail, le meilleur outil, celui où j’ai puisé le plus de renseignements.
Il s’agit d’un outil de référence, d’un observatoire et même d’un outil de régulation. Prenez garde à ne pas dépouiller FranceAgriMer : cela pourrait gravement déstabiliser la réalisation d’un certain nombre d’actions décisives pour l’organisation générale de notre agriculture.
M. le président. L'amendement n° II-285, présenté par M. Bouvard, n’est pas soutenu.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », figurant à l’état B.
M. Michel Raison. Je souhaite expliquer mon vote, monsieur le président.
M. le président. Mon cher collègue, je ne peux pas vous donner la parole, car je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets donc aux voix ces crédits.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je vous rappelle que l’avis de la commission des finances est défavorable et que l’avis du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 81 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 155 |
Contre | 188 |
Le Sénat n’a pas adopté.
compte d’affectation spéciale : développement agricole et rural
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural », figurant à l’état D.
ÉTAT D
(En euros) |
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Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Développement agricole et rural |
147 500 000 |
147 500 000 |
Développement et transfert en agriculture |
70 553 250 |
70 553 250 |
Recherche appliquée et innovation en agriculture |
76 946 750 |
76 946 750 |
M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. J’appelle en discussion les amendements tendant à insérer des articles additionnels qui sont rattachés pour leur examen aux crédits du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
Articles additionnels après l’article 63
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° II–312 est présenté par M. Labbé.
L'amendement n° II–317 rectifié est présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
A. – Après l’article 63
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le sixième alinéa de l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Une fraction de 0,1 % du produit de la taxe est affectée au compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural afin de financer des programmes « 0 Phyto » visant à développer des formes d’agriculture performantes sur les plans économique et environnemental et répondant aux principes de l’agro-écologie. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
B. – En conséquence, faire précéder cet article de la mention :
Développement agricole et rural
La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l'amendement n° II–312.
M. Joël Labbé. Voilà enfin un amendement qui va faire consensus ! (Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.)
La question de la stabilité des recettes du CASDAR préoccupe tout le monde. Or il y a une solution : affecter à l’abondement de ce compte d’affectation spéciale une fraction du produit de la taxe sur les produits phytosanitaires, ou « phytopharmaceutiques », comme on dit poliment pour parler des pesticides.
Cela permettrait de stabiliser les recettes du CASDAR, afin de pérenniser son action de soutien à l’agro-écologie, et d’assurer le financement de programmes de recherche et le développement de projets agro-écologiques. Je pourrais évoquer les groupements d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE.
On l’a suffisamment dit ce soir, l’unique recette du CASDAR est la taxe sur le chiffre d’affaires des exploitations agricoles. Or elle est mise à mal par le contexte actuel de crise, ce qui fait peser un réel risque sur le niveau effectif de perception de la taxe, donc sur la pérennité du compte d’affectation spéciale dans son ensemble.
Conformément aux attentes des agriculteurs et aux objectifs du plan Écophyto II, qui visent à la généralisation et à l’optimisation des systèmes de production économes et performants, l’agro-écologie doit plus que jamais être confortée.
Il est nécessaire de faire le choix de la durabilité et de rendre les exploitations agricoles plus compétitives. (Protestations sur certaines travées du groupe Les Républicains.) Pour ce faire, les recettes du CASDAR doivent être stables et prévisibles, afin que les agriculteurs puissent programmer sereinement, grâce à un tel soutien, leur production agro-écologique à moyen et à long terme. (Exclamations ironiques sur les mêmes travées.)
Je rappelle tout de même que la COP 21 a lieu en ce moment ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Et alors ?...
M. Rémy Pointereau. Incroyable !
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour présenter l'amendement n° II–317 rectifié.
M. Michel Le Scouarnec. Comme il n’est pas encore minuit et que nous avons donc encore un peu de temps, monsieur le président, je vais défendre comme il se doit cet amendement identique ! (Sourires.)
Conçu dans le cadre du Grenelle de l’environnement, le plan Écophyto II avait pour objectif de réduire, si possible, de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires. Il portait sur des actions destinées à encourager et accompagner la réduction de dépendance aux pesticides, gage de durabilité pour l’agriculture et la gestion des espaces, ruraux et urbains.
Je rejoins notre collègue Joël Labbé. Cet amendement vise à affecter une part du produit de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques au CASDAR, afin de soutenir la recherche appliquée et de financer les projets innovants en matière d’agro-écologie.
Du point de vue des connaissances et de l’innovation, on observe une incontestable mobilisation des communautés de recherche, formation et développement, et bien au-delà des sphères agronomiques. L’agronomie développe ses liens avec l’ingénierie écologique. Des interactions nouvelles avec les sciences de la santé se font jour. Cet effort considérable de recherche et d’innovation doit être conforté.
Il est nécessaire de faire le choix de la durabilité. Les recettes du CASDAR doivent être stables et prévisibles, afin que les agriculteurs puissent programmer sereinement, grâce à ce soutien, leur production agro-écologique à moyen et à long terme.
Nous devons nous tourner résolument vers l’agro-écologie. Il faut éviter de se trouver emportés, avec l’utilisation de produits phytosanitaires de plus en plus durs, dans une « course à la productivité » qui mettra, à terme, mais c’est malheureusement déjà un peu le cas, notre modèle agricole en danger.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Ces deux amendements sont parfaitement identiques. J’imagine que leurs auteurs ont dû se concerter. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Joël Labbé. Mais non !
M. Michel Le Scouarnec. Pas du tout !
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. M. le rapporteur pour avis Jean-Jacques Lasserre rappelait la fragilité du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
Les auteurs de ces amendements identiques demandent l’affectation de 0,1 % du produit de la taxe sur les produits phytosanitaires au CASDAR. J’y suis défavorable. À mon sens, il s’agit avant tout d’amendements d’appel et nos collègues souhaitent ici obtenir des engagements du Gouvernement en matière de soutien à l’agro-écologie.
Je laisse donc M. le ministre présenter les actions que le Gouvernement compte mener à cet égard en 2016, notamment par l’intermédiaire du CASDAR. C’est un peu une manière de lui « refiler la patate chaude » ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je remercie M. le rapporteur spécial de sa sollicitude. (Nouveaux sourires.)
J’ai bien compris les enjeux, mais je rappelle que le produit de la redevance pour pollutions diffuses, soit 41 millions d’euros, sera directement affecté au plan Écophyto II. Je ne vois donc pas pourquoi on devrait passer par le CASDAR, l’objectif étant déjà identifié.
M. Gérard César. Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous le savez, le CASDAR, dont l’unique recette est une taxe sur le chiffre d’affaires global de l’activité agricole, finance les projets agro-écologiques, en complément des actions menées dans le cadre du plan Écophyto II.
Le Gouvernement sollicite donc le retrait de ces deux amendements identiques, qui sont satisfaits.
M. le président. Monsieur Labbé, l'amendement n° II–312 est-il maintenu ?
M. Joël Labbé. Oui, monsieur le président : je ne peux absolument pas le retirer !
Je précise qu’il ne s’agit pas d’un simple amendement d’appel : j’espérais vraiment que ma proposition pourrait faire consensus. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Monsieur Le Scouarnec, l'amendement n° II–317 rectifié est-il maintenu ?
M. Michel Le Scouarnec. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos II-312 et II-317 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° II-296, présenté par M. Gremillet, Mme Deromedi et MM. Pierre et Raison, est ainsi libellé :
I. – Après l'article 63
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La première phrase de l’article L. 820-3 du code rural et de la pêche maritime est complétée par les mots : « orientés en priorité sur l’élevage ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article de la mention :
Développement agricole et rural
La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Il s’agit d’un amendement essentiel, eu égard à la situation de l’élevage dans nos territoires.
Les programmes 775 et 776 ont pour objet d’assurer la diffusion des fruits de la recherche agronomique, des progrès techniques et de l’innovation. Je souhaite que la priorité accordée à l’élevage soit explicitement mentionnée.
La période est difficile ; le secteur de l’élevage souffre. Les agricultrices et les agriculteurs s’interrogent quant à leur devenir ; ils ont besoin de perspectives. Il est nécessaire de leur apporter de l’espoir.
Cet amendement, s’il était adopté, permettrait de redonner de l’espoir aux familles et, surtout, des perspectives supplémentaires à notre secteur de l’élevage, qui constaterait ainsi que le monde de la recherche et de l’innovation irrigue tous les territoires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Je sollicite le retrait de cet amendement, qui est avant tout à mes yeux un amendement d’appel. Je comprends vos motivations, mon cher collègue. Il s’agit de préciser les missions du compte d’affectation spéciale à la suite de la crise de l’élevage.
La dernière crise a, en effet, frappé durement de nombreux agriculteurs. Néanmoins, ce serait une mauvaise réponse que de réagir à une crise conjoncturelle en prenant une mesure structurelle, en l’occurrence en focalisant le CASDAR sur l’élevage.
Cette année, notre pays a connu une crise dans le secteur de l’élevage. Qu’en sera-t-il si, l’année prochaine, la crise touche la filière céréalière ou une autre filière ?
Je précise que l’élevage profite aujourd'hui des actions du CASDAR en termes de diffusion des fruits de la recherche agronomique, des progrès techniques et de l’innovation, ce qui est le vrai projet du CASDAR.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Au-delà des questions évoquées sur l’affectation du CASDAR, dont les objectifs sont structurels, décider de flécher ce compte vers telle ou telle production pourrait nous mettre en difficulté si, à l’avenir, nous connaissions d’autres crises, ce que bien sûr je ne souhaite pas.
Je rappelle que, à l’heure actuelle, 60 % des crédits du CASDAR, via l’action des chambres d’agriculture, que je salue, sont orientés vers l’élevage au travers d’initiatives conduites avec les instituts techniques. Ces chiffres ont été confirmés par mon cabinet et par ma conseillère budgétaire.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement, monsieur le sénateur, car il est déjà largement satisfait, puisque le CASDAR va aujourd'hui en priorité à l’élevage.
M. le président. Monsieur Gremillet, l'amendement n° II-296 est-il maintenu ?
M. Daniel Gremillet. J’ai bien entendu la demande de retrait formulée par la commission et par le Gouvernement.
Quelle que soit notre sensibilité politique, nous sommes tous d’accord pour reconnaître que l’élevage est une question stratégique. C’est donc choix politique que je propose ici pour 2016.
Nous ne souhaitons pas ici flécher des crédits dans le temps. Il s’agit uniquement d’une mesure conjoncturelle, en réponse à la situation dramatique dans laquelle se trouvent un grand nombre d’éleveurs. Je le souligne de nouveau : une fois que l’on cesse d’être éleveur, on ne le redevient jamais !
Cet amendement concerne le budget de 2016 et n’hypothèque pas le futur. Qui sait, dans deux ans, peut-être serons-nous amenés à faire d’autres choix stratégiques ?
Je maintiens donc cet amendement, qui constitue selon moi un signe fort. J’ai bien entendu les explications de M. le rapporteur spécial et de M. le ministre, mais, si l’on regarde la situation dans son ensemble, et je sais que vous partagez mon analyse, on s’aperçoit que chaque fois que l’élevage est fragilisé, l’ensemble de la production végétale l’est également. N’oublions pas, en effet, que l’élevage est le plus gros consommateur de productions végétales. Raison de plus pour lui accorder une priorité en 2016 !
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, rapporteur spécial.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Cher collègue, il ne saurait être question de modifier la loi et le code rural à l’occasion d’un amendement présenté en loi de finances. C’est la raison pour laquelle la commission vous demande de retirer votre amendement.
M. le président. Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
4
Retrait d’une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 1296 de M. Michel Savin est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
5
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 30 novembre 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant, d’une part, sur le 4° bis du IV de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales (Organe délibérant des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre) (2015-521 QPC) et, d’autre part, sur l’article 9 de la loi du 16 juillet 1987 relative au règlement de l’indemnisation des rapatriés, en tant qu’il a été modifié par le I de l’article 52 de la loi du 18 décembre 2013, et du II du même article 52 (Allocation de reconnaissance) (2015-522 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la Séance.
Acte est donné de cette communication.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 1er décembre 2015 :
À neuf heures trente : vingt-cinq questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi de finances pour 2016, adopté par l’Assemblée nationale (n° 163, 2015-2016) ;
Rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances (n° 164, 2015-2016).
- Écologie, développement et mobilité durables (+ article 51 ter) ; budget annexe : contrôle et exploitation aériens ; compte spécial : aides à l’acquisition de véhicules propres ; compte spécial : services nationaux de transport conventionnés de voyageurs ;
- Santé (+ article 62 quinquies) ;
- Égalité des territoires et logement (+ articles 54 et 56 bis).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART