M. le président. La parole est à Mme Stéphanie Riocreux, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Stéphanie Riocreux. Madame la ministre de la décentralisation, dans quelques instants, à l’issue de cette séance de questions d’actualité, le Sénat va être amené à se prononcer sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit NOTRe, après que l’Assemblée nationale l’a adopté ce matin.
Cette journée est donc une étape importante dans l’histoire de notre démocratie locale.
M. Éric Doligé. Grâce au Sénat !
Mme Stéphanie Riocreux. La solution apaisée et équilibrée à laquelle ont abouti députés et sénateurs la semaine dernière, en commission mixte paritaire, doit beaucoup à l’attachement partagé sur toutes les travées du Sénat aux légitimes attentes des élus locaux.
Nous avons su nous rassembler.
M. Didier Guillaume et Mme Jacqueline Gourault. Très bien !
Mme Stéphanie Riocreux. Dans un monde en mutation rapide, chacun – entrepreneur comme demandeur d’emploi, salarié comme chef d’entreprise, jeune comme retraité, élu comme fonctionnaire – doit pouvoir compter sur des politiques publiques locales lisibles et adaptées, tant pour s’en saisir que pour participer à leur élaboration. Les enjeux de la nouvelle organisation territoriale sont aussi là.
Si la nécessité de la réforme était aisée à formuler, encore fallait-il la construire. Il ne suffisait pas de tout chambouler, et il ne le fallait d’ailleurs pas ! On se souvient des déclarations péremptoires entendues naguère et des mesures brutales, inutilement blessantes pour les élus locaux, qui furent alors votées, mais heureusement supprimées depuis.
Désormais, les intercommunalités aux moyens mutualisés seront renforcées. Elles seront complémentaires des départements pour assurer le lien entre les communes et les régions. Dans une logique de proximité, les communes seront seules détentrices de la clause de compétence générale. Les régions seront confortées dans leur rôle de stratège économique local à rayonnement européen, voire mondial.
Là où les spécificités géographiques conduisent à un étalement de l’habitat, les intercommunalités pourront regrouper moins de 15 000 habitants, afin de demeurer des outils au plus près des élus des territoires et de nos concitoyens – car c’est important !
Respect et efficacité, lisibilité et adaptabilité sont les axes de cette réforme.
Madame la ministre, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner les territoires pour sa mise en œuvre ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Madame Riocreux, je salue à travers vous la mémoire de Jean Germain, qui a beaucoup travaillé avec nous sur l’élaboration de ces textes. Je vous remercie de reprendre ce à quoi il était tellement attaché.
Je me contenterai de vous livrer quelques réflexions avant le débat sur les conclusions de la commission mixte paritaire, qui va commencer tout à l’heure.
Nous avons voulu une réforme structurelle de réorganisation de la République. Après la décentralisation de la formation professionnelle, une très longue discussion s’est ouverte, à laquelle le rapport de MM. Krattinger et Raffarin a fait écho, pour savoir si d’autres compétences devaient être transférées, décentralisées. Il n’y en avait point puisque le choix collectif qui a été fait consiste à ne toucher ni à l’éducation nationale ni aux autres grandes fonctions mais, au contraire, à spécialiser chaque échelon de nos territoires dans des compétences particulières.
Nous devons considérer ensemble que, du fait de la décentralisation, l’action publique n’a peut-être pas été vécue comme une. Or l’action publique est une, exercée soit par l’État, soit par les collectivités territoriales.
Nous avons proposé de renforcer les régions pour tout ce qui concerne les compétences économiques. Bien entendu, nous les accompagnerons, y compris sur la mise en œuvre de la réforme territoriale.
Dans le prolongement des intéressantes déclarations que le ministre de l’agriculture vient de faire en réponse à des questions, je rappellerai que les présidents de région sont aux côtés de l’État pour aider nos agriculteurs à surmonter la crise, tant il est vrai que, dans cette phase, l’agriculture et l’agroalimentaire ont besoin de moyens.
Tandis que vous interveniez, madame la sénatrice, j’entendais certains, sur d’autres travées, affirmer que les départements allaient disparaître. Mais que disait le rapport Krattinger-Raffarin ? Soit on conserve les régions telles qu’elles sont, donc de taille plutôt modeste, et il faut supprimer les départements – c’est dans le rapport ! –, soit on crée de plus grandes régions et l’on conserve le département comme échelon de proximité, avec pour premier champ d’intervention la solidarité envers les individus et les territoires.
Y compris sur les territoires ruraux aujourd’hui en grande difficulté, la solidarité territoriale que nous avons inventée ensemble dans ce texte va progresser. Le dispositif que l’État mettra en place pour les départements et les communautés de communes les plus en difficulté nous permettra d’avancer sur la voie de la solidarité.
Enfin, le bloc communal est renforcé dans sa compétence. Pour autant, il est évident que nos petites communes – en particulier, nos 29 000 communes de moins de 1 000 habitants – ont besoin de l’intercommunalité pour vivre et pour offrir des services de qualité à leurs agriculteurs, leurs artisans, leurs commerçants et à tous leurs habitants.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Parce que vous l’avez voulu, monsieur le président, avec le Premier ministre, ce qui va peut-être être voté tout à l'heure, c’est, comme vous l’avez dit, « un accord assez inédit entre deux assemblées ». En effet, le Premier ministre et vous-même avez considéré que, plutôt que de s’envoyer des piques, mieux valait trouver ensemble un accord sur les territoires. J’en remercie tous ceux qui y ont contribué. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de notre ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Candidature à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein du Haut comité de la qualité de service dans les transports.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a fait connaître qu’elle propose les candidatures de M. Jean-Jacques Filleul pour siéger comme membre titulaire et de M. Jean-Yves Roux pour siéger comme membre suppléant au sein de cet organisme.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
4
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées, et visant à favoriser l’accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap, est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
5
Mises au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. Jackie Pierre.
M. Jackie Pierre. Madame la présidente, à l’occasion du scrutin n° 230 sur l’ensemble du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, notre collègue Claude Malhuret a été comptabilisé comme votant pour, alors qu’il souhaitait s’abstenir.
Pour ma part, j’ai été comptabilisé comme votant pour lors du vote auquel a donné lieu, hier, la déclaration du Gouvernement sur l'accord européen relatif à la Grèce, quand je souhaitais m’abstenir.
Je vous remercie, madame la présidente, de bien vouloir prendre en compte ces rectifications.
Mme la présidente. Mon cher collègue, acte vous est donné de ces mises au point.
Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins concernés.
6
Nouvelle organisation territoriale de la République
Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (texte de la commission n° 619, rapport n° 618).
Dans la discussion générale, la parole est à M. René Vandierendonck, corapporteur.
M. René Vandierendonck, corapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le corapporteur, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui a été déposé sur le bureau du Sénat il y a un peu plus d’un an, le18 juin 2014.
L’objectif principal du projet de loi NOTRe est la clarification des compétences des collectivités territoriales.
Très rapidement, à l’automne dernier, une rencontre a été organisée sous l’égide du président du Sénat, au cours de laquelle Jean-Jacques Hyest et moi-même avons pu exprimer, avec les trois grandes associations de collectivités territoriales – l’ARF, l’Association des régions de France, l’ADF, l’Association des départements de France, et l’AMF, l’Association des maires de France – notre souci commun de ne pas révolutionner la répartition des compétences, mais de la clarifier et de la rationaliser, afin d’optimiser la mise en œuvre des politiques publiques.
Nous nous sommes attachés à cet objectif avec une grande constance. J’ai déjà parlé de l’engagement du président du Sénat. Toutefois, si la commission mixte paritaire a pu se dérouler de la manière que l’on sait, c’est aussi largement grâce au Premier ministre et au Gouvernement.
Je ne suis certes qu’un jeune sénateur, mais je crois qu’il n’est guère d’exemples d’un Premier ministre – qui plus est à un moment où certains faisaient des commentaires sur la portée exacte du quatrième alinéa de l’article 24 de la Constitution – expliquant au Sénat qu’il lui revient de se saisir du projet de loi et d’être force de proposition.
Disons-le clairement, les discussions n’ont pas toujours été simples. Mais je tiens à remercier ici très vivement Jean-Jacques Hyest et Olivier Dussopt, le rapporteur de l’Assemblée nationale. Nos échanges ont permis de faire avancer les débats. Gide disait qu’il est bon de suivre sa pente pourvu que ce soit en montant !
Voyons précisément comment la définition des compétences a avancé pour chaque niveau de collectivités territoriales.
S’agissant de la « région stratège », pour reprendre la formule du président Raffarin, même si les schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire ont été créés en 1983, même s’ils ont été confortés par la loi Voynet, ces documents étaient privés, tout comme les schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, de portée pratique, car ils n’étaient pas opposables aux documents d’urbanisme.
Le Sénat s’est beaucoup battu – M. Hyest le premier, et je remercie Olivier Dussopt de l’avoir suivi – pour que le texte retienne sur ce point deux demandes, fortement appuyées par nos collègues Michel Mercier et Valérie Létard, portant, d’une part, sur la coproduction des schémas avec l’ensemble des collectivités et de leurs groupements, d’autre part, sur la possibilité de faire entrer en vigueur les dispositions d’un SRADDET – schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires – par voie contractuelle, afin qu’elles soient déclinées sur le territoire des intercommunalités.
Nous avons veillé à ce que cela soit repris dans le texte de la commission mixte paritaire ; monsieur Hyest, je vous en donne acte, comme j’en donne acte à Olivier Dussopt. Cette importante question de la possibilité de co-élaboration du SRADDET et de contractualisation avec les EPCI pour sa mise en œuvre s’est trouvée, selon moi, réglée de la plus belle des manières qui soit.
Sur le point essentiel de la compétence économique des régions, l’ambiguïté était également entretenue. Le Gouvernement a eu raison d’insister sur la nécessité, démontrée notamment par le rapport Queyranne-Jurgensen-Demaël, d’unifier la compétence régionale en matière de définition des aides économiques. Saluons donc le cap qui a été tenu sur les objectifs de meilleures convergence, efficience et rationalisation des aides économiques.
Les équilibres qui étaient contenus dans la loi MAPTAM – loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles – sont préservés dans le projet de loi NOTRe. Du reste, il ne faut pas oublier – car les souvenirs ont toujours tendance à s’effacer un peu trop vite : – que cette loi n’aurait jamais été votée par notre assemblée s’il ne s’était alors trouvé une majorité dépassant les clivages politiques traditionnels.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. René Vandierendonck, corapporteur. N’est-ce pas, monsieur Hyest ?
Comme la loi MAPTAM, donc, le présent texte a connu des progrès substantiels. J’en remercie, bien entendu, le Gouvernement.
Je n’en éprouve pas moins une déception, et je le dis avec tact et mesure : quelle que soit la manière dont on l’interprète, ce projet de loi n’est pas un texte de décentralisation.
Mme Isabelle Debré. Eh non !
M. Bruno Sido. Pas du tout !
M. René Vandierendonck, corapporteur. On ne saurait faire aboyer les chats ! (Sourires.)
Mme Isabelle Debré. Belle formule !
M. René Vandierendonck, corapporteur. Deux volets du texte laissaient, à l’évidence, espérer un progrès de la décentralisation. Je songe au service public de l’emploi. Dieu sait si les sénateurs ont plaidé pour le transfert de cette compétence ! Et puis, Michel Delebarre, qui a été président de conseil régional, pourra le confirmer, nous souhaitions également que les régions soient plus étroitement associées à l’élaboration des cartes de l’enseignement supérieur, ne serait-ce que pour éviter des incohérences entre, d’un côté, les programmations d’investissements immobiliers et, de l’autre, la mise en œuvre concrète du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Sur ces deux points, nous sommes partiellement satisfaits : nous avons obtenu de haute lutte la mise en œuvre d’un dispositif sur le service public de l’emploi, mais ce dernier obéit toujours au principe de la délégation de la compétence de l’État vers les régions.
Cela étant, madame la ministre, je souscris à vos propos : tirons parti de cette expérience, faisons-la vivre et efforçons-nous de progresser. (Mme la ministre acquiesce.)
Je ne rappellerai pas le feuilleton des départements, surtout pas dans cet hémicycle. Sur l’ensemble de ces travées, nous nous souvenons très bien avoir entendu le Premier ministre s’engager, à cette même tribune, pour la thèse dite de la « dévitalisation ».
Mme Isabelle Debré. C’est bien de le rappeler !
M. René Vandierendonck, corapporteur. Au sujet des conseils départementaux, l’équilibre atteint n’est, lui non plus, pas parfait.
Toutefois, la question de l’exercice de la compétence « transports scolaires »…
M. Bruno Sido. Par exemple…
M. René Vandierendonck, corapporteur. … ou des ports intérieurs, par exemple, a été posée à qui de droit.
M. Michel Mercier. Certes !
M. René Vandierendonck, corapporteur. Je sais bien que biscuit avalé n’a plus de goût (Sourires.), mais gardons tout de même à l’esprit les avancées accomplies par le Gouvernement, notamment par le Premier ministre, au sujet des collèges ou des routes. Il s’agit là, à mon sens, des principaux progrès opérés par le présent texte concernant les départements.
Quand on aura passé le stade des préaux préélectoraux, on constatera d’ailleurs que la notion de solidarité territoriale recèle, pour les départements, de plus grandes latitudes d’action que la fameuse clause de compétence générale, dont, chacun le sait, l’usage était corseté par la loi et la jurisprudence. (M. Pierre-Yves Collombat proteste.)
Je tiens à rappeler, avant de conclure, que M. Hyest et moi-même avons, en toute logique, voté ce texte dès la deuxième lecture.
Non seulement la commission m’avait confirmé dans mon rôle de corapporteur, et c’était pour moi d’autant plus un honneur que je travaillais avec Jean-Jacques Hyest, mais surtout les trois fameux « chiffons rouges » dont nous exigions la suppression avaient été retirés du texte ; j’en remercie le Gouvernement.
Premièrement, s’agissant du Haut Conseil des territoires, j’ai eu l’occasion de dire que la création de cette instance ne procédait en rien d’une initiative de Mme la ministre. Elle répondait à des velléités exprimées à l’Assemblée nationale.
Deuxièmement, concernant l’élection des conseillers intercommunaux au suffrage universel direct, le débat que nous avons eu ici a été intéressant. Il a permis de montrer que si, un jour, cette question est abordée, elle devra l’être dans le cadre d’une révision constitutionnelle. De surcroît, il nous a donné l’occasion de répéter ce que nous avions déjà dit lors de l’examen de la loi MAPTAM : le Sénat juge préférable qu’il n’y ait pas de changement en la matière.
Troisièmement, enfin, il aurait été fort regrettable qu’un an après le vote de la loi ALUR – loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové –, on revienne sur les conditions de majorité exigées pour le transfert de la compétence « PLU » – plan local d’urbanisme – au niveau intercommunal. Il est donc heureux qu’il n’en ait rien été.
Je me réjouis que, grâce au concours remarquable de deux grands rapporteurs, MM. Dussopt et Hyest, nous ayons pu aboutir à un tel résultat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque, à la fin de l’année dernière, nous avons engagé l’examen du projet de loi de regroupement des régions, puis du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, les intentions du Gouvernement, d’après ses déclarations, semblaient assez évidentes. (M. René Vandierendonck, corapporteur, le confirme.)
À cet égard, l’étude d’impact était sans équivoque : à terme, disparition ou « évaporation » des départements et montée en puissance des intercommunalités, les communes devant, de leur côté, être peu à peu vidées de leur substance.
M. Pierre-Yves Collombat. Sur ce plan, rien n’a changé ! (M. Jean-Pierre Sueur manifeste son désaccord.)
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Désormais, ce n’est plus le cas, cher collègue. Mais il suffit de lire quelques considérations théoriques publiées aujourd’hui même dans un journal de l’après-midi pour constater que certains n’ont pas abdiqué cette volonté.
M. Pierre-Yves Collombat. On ira un peu moins vite, voilà tout…
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Le Sénat, lui, s’appuyait sur les travaux des états généraux de la démocratie territoriale et sur le rapport dit « Krattinger-Raffarin » ou « Raffarin-Krattinger », comme on voudra, approuvé ici à l’unanimité.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. La responsabilité institutionnelle du Sénat vis-à-vis des collectivités territoriales, que d’aucuns persistent à contester – à cet égard, certaines déclarations sont absolument sidérantes –, nous faisait le devoir de clarifier les compétences des divers niveaux d’action locale.
À la région les compétences économiques, la formation, l’aménagement du territoire et les transports, comme René Vandierendonck vient de l’expliquer. Nous aurions espéré y ajouter des attributions en matière d’enseignement supérieur et d’accompagnement vers l’emploi. Sur ces points, il n’y a pour l’heure qu’un embryon de décentralisation.
Au département échoit un rôle de proximité, ce qui va au-delà des compétences sociales : routes, collèges et même ports maritimes. Les départements constituent ainsi la trame solide de notre territoire, en même temps qu’ils assurent la solidarité territoriale.
Comme vient de le préciser René Vandierendonck, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler en pleine confiance, la Haute Assemblée a été largement entendue sur ce point.
Au sujet du bloc formé par les communes et les intercommunalités, la position du Sénat, comme celle de l’Association des maires de France, s’est révélée constante : oui au développement de l’intercommunalité volontaire,…
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. … non à la supra-communalité imposée, premier pas vers la disparition des communes,…
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. … qui, quoi qu’en pensent certains théoriciens, font, avec leurs 500 000 élus, la richesse de notre démocratie et assurent le maintien du lien social, menacé par la métropolisation outrancière et l’abandon des territoires ruraux ou périurbains.
Ainsi, est écartée la folle idée d’une élection spécifique des conseillers des intercommunalités. Le système actuel précise clairement que ces conseillers doivent être désignés par les citoyens au niveau de chaque commune. Le Sénat n’aurait pu transiger sur ce point, non plus que sur les plans locaux d’urbanisme intercommunaux, les PLUI.
Toutefois, de nombreuses questions demeuraient en suspens. Si le Sénat était ouvert à une évaluation de la loi de 2010, il ne souhaitait pas bouleverser la carte de l’intercommunalité, tant sa mise en œuvre sur l’ensemble du territoire métropolitain a pu se révéler difficile.
L’objectif initial était de diviser par deux le nombre des intercommunalités, sans tenir compte de la diversité des territoires. La majorité de l’Assemblée nationale s’accrochait au seuil de 20 000 habitants. Parallèlement, montait la colère des territoires ruraux.
M. Bruno Sido. Réelle colère !
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. En effet !
Pour apaiser cette colère, un certain nombre de dérogations ont été consenties, notamment pour les zones de montagne, les îles et les territoires présentant une faible densité démographique. Il s’agit là de dispositions que le Sénat avait, bien entendu, incluses dans ses réflexions.
Aussi imparfait soit-il, le seuil de 15 000 habitants, précédemment défendu par nos collègues socialistes et centristes, a paru plus acceptable à la commission mixte paritaire. Les dérogations fixées laissent désormais à l’écart de ce critère un total de cinquante-sept départements.
M. François Marc. Soit plus de la moitié d’entre eux…
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Il en va de même des intercommunalités : bénéficieront de la dérogation relative aux zones de montagne les ensembles intercommunaux composés, au moins pour moitié, de communes de montagne. Nos collègues députés en avaient limité l’application aux intercommunalités composées en totalité de communes montagnardes.
À titre personnel, je regrette que l’on n’ait pu traiter le cas de départements comportant une zone rurale importante et une agglomération concentrée. Il faudra s’en remettre au travail des commissions départementales de coopération intercommunale, les CDCI, et à la sagesse des préfets pour que de telles spécificités soient prises en compte et qu’on n’aboutisse pas à des situations totalement impossibles. (M. Pierre-Yves Collombat manifeste sa circonspection.)
De surcroît, pour les intercommunalités récentes, le seuil de 12 000 habitants a été conservé : on ne remet pas en cause les fusions opérées après 2012 et qui respectent ce seuil.
Les lectures successives ont, hélas ! été émaillées de nombreuses improvisations. Ainsi, un certain nombre de dispositions nouvelles ont surgi sans avoir été débattues précédemment, en particulier s’agissant des compétences.
Si la sagesse a prévalu pour le tourisme, compétence partagée sans suprématie de la région, on ne peut pas en dire autant d’autres missions.
Tous conviennent que la gestion des déchets doit être une compétence intercommunale. En outre, nous l’avons dit et répété, nous souhaitons voir réduit le nombre de syndicats intercommunaux. Toutefois, une évaluation sérieuse devrait être menée. L’horizon de 2020 doit permettre de faire évoluer les dossiers de l’eau et de l’assainissement pour les communautés de communes et pour les communautés d’agglomération.
De surcroît, diverses mesures destinées à faciliter le fonctionnement des collectivités ont été introduites dans le présent texte. Elles reprennent largement les dispositions de la proposition de loi relative à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales, rédigée par notre collègue Éric Doligé. (Mme la ministre le confirme.)
Mes chers collègues, je ne vous cache pas la déception que peut inspirer la dernière version, adoptée par l’Assemblée nationale, du volet relatif à la métropole de Paris.
M. Pierre-Yves Collombat. Pour Paris, c’est n’importe quoi !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur les péripéties qu’a connues, à ce sujet, la loi MAPTAM. Néanmoins, je dois le rappeler : la position équilibrée à laquelle le Sénat avait abouti a été balayée pour des raisons ne tenant guère, voire pas du tout, à l’intérêt général. (M. Jacques Mézard acquiesce.) On ne peut que le regretter.
Au reste, j’en suis convaincu, nous aurons à revenir sur ce sujet, d’autant que ce projet de loi comporte une disposition inouïe, relative à la désignation des représentants de la Ville de Paris au conseil de la métropole. Cette disposition exigera un examen par le Conseil constitutionnel.
En tout cas, je comprends la colère qu’éprouvent nos collègues de Paris et des départements de la petite couronne francilienne.
Cela étant, nous devons nous concentrer sur la question principale : le Sénat a-t-il rempli son rôle constitutionnel ?
À mon sens, la réponse est oui : sans accord en commission mixte paritaire, les dispositions dont nous ne voulons à aucun prix auraient été votées. Je pense au Haut Conseil des territoires, au mode d’élection des délégués communautaires, ainsi qu’au seuil de formation des intercommunalités et aux compétences de celles-ci.
Nous espérions une grande loi de décentralisation. Cette réforme reste à faire,…