compte rendu intégral
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Secrétaires :
M. François Fortassin,
Mme Valérie Létard.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Moratoire sur l’utilisation des armes de quatrième catégorie
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 2, résultat des travaux de la commission n° 432, rapport n° 431).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi.
Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les problèmes soulevés par l’utilisation d’armes comme le Flash-Ball et le Taser par les forces de l’ordre sont de plus en plus évidents. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons demandé l’examen de cette proposition de loi dans le cadre de notre « niche ».
Ces armes dites « sublétales » sont dangereuses. Leur tir a souvent des conséquences dramatiques. Notre groupe, notamment par la voix de Nicole Borvo Cohen-Seat, qui m’a précédée à la présidence du groupe communiste, républicain et citoyen, a interpellé à plusieurs reprises et depuis de nombreuses années les différents gouvernements à ce sujet.
Dans la continuité de ces interventions et ce cet engagement, le groupe CRC et le groupe écologiste ont déposé la première version de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui.
Cette proposition de loi vise, comme son intitulé l’indique, à mettre un terme à la multiplication des incidents qui révèlent la dangerosité et la banalisation des armes incorrectement qualifiées de « non létales ».
Trop souvent, ces armes sont utilisées comme moyen offensif pour la dispersion des attroupements et des manifestations.
Ce constat de la dangerosité de ces armes, nous ne sommes pas les seuls à le dresser : de nombreuses associations de défense des droits de l’homme, en particulier, le dressent également.
Concernant le Flash-Ball, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, avant d’être dissoute, avait elle aussi souligné la dangerosité totalement disproportionnée de cette arme en regard des usages pour lesquels elle a été conçue. La CNDS recommandait « de ne pas utiliser cette arme lors de manifestations sur la voie publique, hors les cas très exceptionnels qu’il conviendrait de définir très strictement ». Elle mettait par ailleurs en cause « l’imprécision des trajectoires des tirs de Flash-Ball, qui rendent inutiles les conseils d’utilisation théoriques, et la gravité comme l’irréversibilité des dommages collatéraux manifestement inévitables qu’ils occasionnent ».
Le Défenseur des droits propose quant à lui, notamment, de restreindre l’usage du Flash-Ball en mode contact, c’est-à-dire à bout touchant, et d’étendre aux policiers l’interdiction d’utilisation pour des opérations de maintien de l’ordre qui vaut déjà pour les militaires de la gendarmerie.
Concernant le Taser, la CNDS écrit, dans son rapport concernant les événements des 11 et 12 février 2008 au centre de rétention de Vincennes, qu’« il est permis de s’interroger très sérieusement sur l’utilité du dispositif d’enregistrement vidéo, qui ne permettrait en aucun cas de vérifier a posteriori les circonstances dans lesquelles le pistolet à impulsion électrique a été utilisé ».
Dès 2007, le Comité contre la torture de l’ONU, dans son rapport sur le Portugal, rendait une décision sans appel sur le Taser, qui équipe les polices de ce pays : « Le Comité s’inquiète de ce que l’usage de ces armes provoque une douleur aiguë, constituant une forme de torture, et que dans certains cas il peut même causer la mort, ainsi que l’ont révélé des études fiables et des faits récents survenus dans la pratique. »
Dans une note interne datant de 2008, la préfecture de police de Paris rappelle la vulnérabilité particulière au Taser des personnes aux vêtements imprégnés de « liquides ou de vapeurs inflammables », des « femmes enceintes et [des] malades cardiaques ».
Le Conseil d’État confirme, lui aussi, le 2 septembre 2009, que leur « emploi […] comporte des dangers sérieux pour la santé, résultant notamment des risques de trouble du rythme cardiaque, de syndrome d’hyperexcitation, augmentés pour les personnes ayant consommé des stupéfiants ou de l’alcool, et des possibles complications mécaniques liées à l’impact des sondes et aux traumatismes physiques résultant de la perte de contrôle neuromusculaire ; que ces dangers sont susceptibles, dans certaines conditions, de provoquer directement ou indirectement la mort des personnes visées ».
Le groupe Taser lui-même, dans un guide d’utilisation publié le 12 octobre 2009, reconnaît que l’usage de cette arme fait courir un risque cardiaque à la personne visée.
En 2007 également, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, institution indépendante du Conseil de l’Europe, dans son rapport sur la France, indique qu’il est plus que réticent à l’introduction d’une telle arme en détention, vu la nature particulière des fonctions assumées par le personnel pénitentiaire.
En outre, des négligences et des manquements professionnels graves ont été constatés à maintes reprises quant à l’utilisation de ces armes dites « sublétales ».
Pas plus tard que le 2 avril dernier, le tribunal de grande instance de Bobigny a condamné un policier qui, en tirant avec son Flash-Ball, avait blessé un adolescent de 17 ans pour usage disproportionné de la force, hors de toute légitime défense.
Après ces rappels qui me paraissaient importants, j’en viens à la question de l’efficacité de ces armes en matière de maintien de l’ordre.
Voyons d’abord ce qu’en dit l’autorité de tutelle.
Le ministre de l’intérieur, en réponse à une question écrite concernant le Taser et le Flash-Ball, indiquait le 17 octobre 2013 que « d’autres voies doivent être étudiées […] pour améliorer la sécurité des forces de l’ordre ». Il va de soi que nous sommes, nous aussi, très attentifs à la sécurité des forces de l’ordre. Dans la même réponse, le ministre indiquait qu’il s’agissait « d’être plus efficace dans la prévention de la délinquance et dans la lutte contre les violences, pour éviter chaque fois que possible les situations justifiant le recours aux armes de force intermédiaire » et faisait le lien entre le nécessaire renforcement des « effectifs de police et de gendarmerie et leur présence sur le terrain » et les actions engagées pour « améliorer le lien de confiance entre les forces de l’ordre et la population », afin de ne pas avoir besoin d’employer ces armes.
Si l’on ne peut qu’adhérer à ces déclarations d’intention, force est de constater qu’elles ne se traduisent pas en actes et qu’il y a une inflation dans l’utilisation des armes par la police et la gendarmerie. Selon les dernières données rendues publiques par le Défenseur des droits, le nombre de tirs a augmenté de 65 % en trois ans chez les policiers.
L’inflation de cette utilisation et de la dotation des personnels – 5 000 en 2013 – nécessiterait d’être mise en perspective avec l’insuffisance des moyens mis à disposition d’une police de proximité.
En la matière, la responsabilité de la droite est écrasante : 12 000 postes de policier et de gendarme ont été supprimés par elle à partir de 2007.
À défaut d’une police de proximité pourvue de moyens suffisants, la possibilité offerte par les armes dites « non létales » de neutraliser un individu plus facilement et moins dangereusement qu’en employant les méthodes conventionnelles favorise, de fait, un recours plus fréquent à la force et radicalise la confrontation entre les protagonistes au détriment de la négociation et du dialogue.
Mais force est de constater aussi que, au lieu d’inverser radicalement cette tendance, l’actuel gouvernement, malgré ses déclarations d’intention et bien qu’il ait rétabli, nous en convenons, quelques moyens, qui demeurent néanmoins très insuffisants, participe à cette escalade et tente de se reposer de plus en plus sur les collectivités territoriales et le privé en matière de sécurité.
Nous sommes dans un engrenage dangereux, et l’on assiste à un surarmement, y compris des polices municipales, dont l’équipement en armes sublétales n’est qu’une étape.
Ainsi, près de 8 000 des 20 000 policiers municipaux sont aujourd’hui dotés d’armes à feu, et un décret signé le 29 avril dernier par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur vient d’autoriser par dérogation les polices municipales à porter un revolver chambré pour le calibre 357 Magnum à titre expérimental durant cinq ans, avec des munitions de calibre 38 Spécial. Excusez du peu !
Selon nous, la sécurité doit rester une mission régalienne de l’État et nous pensons même, avec d’ailleurs les policiers municipaux et un certain nombre de leurs syndicats, qu’il faudrait au contraire une renationalisation des polices municipales, assortie d’une harmonisation des statuts, des formations et des salaires par rapport à ceux des policiers nationaux.
Pour l’heure, ne faudrait-il pas réactiver la police de proximité plutôt que d’envoyer les CRS, les brigades anticriminalité et les groupes d’intervention régionaux dans les quartiers dits « sensibles », armés de Taser, de Flash-Ball et de je ne sais quelle arme dernier cri ?
Une lutte efficace contre, par exemple, les phénomènes de bandes, qui hélas ! se développent, y compris dans des territoires qui étaient jusqu’alors épargnés, suppose en amont que soient menés des actions de prévention et un travail de police de proximité afin de mieux connaître ces bandes et d’identifier leurs membres, puis que des mesures soient prises pour assurer la sécurité dans les établissements scolaires et, enfin, que des actions pédagogiques soient menées.
Il est plus que temps de retisser et de renforcer le lien de confiance entre le citoyen et la police, sa police, oserai-je dire. C’est une question à la fois d’éthique et d’efficacité.
En ce sens, la mise en place d’une police de proximité et le rétablissement des commissariats au cœur des quartiers – et l’élue séquano-dionysienne que je suis est bien placée pour en parler, croyez-m’en ! –, avec des policiers bien formés, bien encadrés, est une urgence absolue.
Il est également plus que temps de ne plus asphyxier budgétairement les dispositifs de prévention et de réparation de la délinquance tout en surpeuplant les prisons, ce qui tend à les transformer en véritables écoles du crime.
Le rapporteur de la commission des lois va vous demander, mes chers collègues, de ne pas adopter cette proposition de loi.
Il est vrai que, depuis la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif, les armes qui nous intéressent sont classées en catégorie B pour l’essentiel, catégorie qui comprend certaines armes à feu. De ce point de vue, le texte de la proposition de loi doit être modifié.
Je pense toutefois qu’il serait coupable d’en rester au statu quo, comme le propose la commission, qui reconnaît pourtant qu’il s’agit d’une vraie problématique. Je remercie M. le rapporteur, qui s’est montré très attentif à certaines de nos propositions, même s’il a plaidé pour le rejet de notre texte.
Le groupe de travail commun à la police et à la gendarmerie sur les techniques du maintien de l’ordre et leur évolution envisageable, lancé par le ministre de l’intérieur à la suite des événements du barrage de Sivens, confirme, s’il en était besoin, l’importance de cette question.
Monsieur le rapporteur, même si vous ne partagez pas notre point de vue, vous avez pu vous-même constater que « la formation habilitant au port de cette arme demeure insuffisante », qu’ainsi « un fonctionnaire de police ou de gendarmerie peut ne pas s’être formé à cette arme pendant une période allant jusqu’à vingt-six moi » et que « par ailleurs, comme l’ont souligné les syndicats, la formation s’avère essentiellement théorique, les tirs étant réalisés sur des cibles statiques ».
Vous avez également souhaité, et nous nous en réjouissons, qu’un nombre maximal d’utilisations du Taser X 26 sur la même personne soit établi sur le fondement d’analyses provenant du corps médical.
Toutefois, ces armes posent de nombreux autres problèmes.
Souvenons-nous que, à la fin de 2010, lorsqu’un homme de 38 ans est décédé à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, après avoir reçu plusieurs décharges de Taser lors d’une intervention de la police nationale, les associations des droits de l’homme n’ont pas été les seules à réagir et à demander un moratoire.
En effet, cet événement avait aussi fait réagir le Syndicat national des policiers municipaux qui demandait, comme nous le réclamons aujourd’hui au travers de cette proposition de loi, l’instauration d’un moratoire sur l’utilisation du Taser chez les fonctionnaires de police municipale et avait estimé qu’il s’agissait d’un outil de plus qui défavorisait les forces de l’ordre. Je me permets de citer le représentant de ce syndicat qui, en réponse à des questions de la chaîne Toulouse Infos, tenait notamment les propos suivants : « Il faudrait se souvenir que les policiers travaillaient uniquement avec un bâton de défense et une arme à feu, et avec ça ils savaient se débrouiller. Aujourd’hui, on nous donne beaucoup, et avec ce beaucoup, on s’aperçoit qu’on fait de moins en moins, ou alors de moins en moins bien. »
Ces propos d’un homme de métier résument assez bien nombre de nos préoccupations concernant ces armes.
J’espère que nous aurons, sur ce sujet, un débat serein et constructif. Quoi qu'il en soit, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, il me semble que notre proposition de loi, modifiée pour tenir compte des changements législatifs qui sont intervenus, est tout à fait opportune et, en particulier parce qu’elle permettrait d’instituer un moratoire sur l’utilisation du Taser, mérite d’être adoptée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la vice-présidente de la commission des lois, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie de la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues.
Selon les auteurs de cette proposition de loi, les incidents engendrés par l’usage de ces armes, notamment le Flash-Ball superpro, appellent leur évaluation approfondie, et donc la suspension de leur utilisation.
Leur argumentation se fonde en particulier sur un incident survenu le 8 juillet 2009, au cours duquel une personne a perdu l’usage d’un œil à la suite d’un tir provenant d’un Flash-Ball superpro.
Le texte de cette proposition de loi se compose de deux articles.
L’article 1er vise à suspendre la commercialisation, la distribution et l’utilisation des armes de quatrième catégorie.
L’article 2 tend à modifier l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure afin de restreindre les circonstances dans lesquelles ces armes peuvent être utilisées par les forces de l’ordre.
Cette proposition de loi pose plusieurs difficultés formelles, mais qui n’en sont pas moins substantielles.
D’une part, elle se réfère à une classification des armes obsolète. En effet, depuis la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif, l’ancienne classification en huit catégories, de 1 à 8, a été remplacée par une nouvelle classification plus lisible de quatre catégories, de A à D, fondée sur la dangerosité des armes.
Les armes de quatrième catégorie, dont la suspension de la commercialisation, de l’utilisation et de la distribution est proposée, ont été essentiellement requalifiées en catégorie B, dont le régime de détention est soumis à autorisation préalable. Néanmoins, il n’existe pas de correspondance stricte entre l’ancienne quatrième catégorie et la nouvelle catégorie B.
Deux amendements ont été déposés qui tendent à modifier le texte de manière qu’il ne se réfère plus à la classification devenue obsolète.
D’autre part, il convient de relever une certaine contradiction entre les deux articles de la présente proposition de loi. En effet, si un moratoire est décidé à l’article 1er, ce qui est conforme avec le titre de la proposition de loi comme avec son exposé des motifs, cela semble rendre caduc, ou du moins contradictoire, l’objet de l’article 2, qui est de restreindre les possibilités d’utilisation de ces armes par les forces de sécurité en situation du maintien de l’ordre.
La commission des lois s’est par ailleurs interrogée sur les conséquences juridiques et opérationnelles de ce texte.
Tout d’abord, je souhaite rappeler que, en l’état actuel du droit français, le rétablissement de l’ordre public par les forces de l’ordre s’inscrit dans un régime très contraignant : le recours à la force doit répondre à un double critère d’absolue nécessité et de proportionnalité, l’emploi de la force étant toujours conditionné à une stricte gradation dans les moyens utilisés.
L’utilisation des armes, qui n’est qu’une des modalités de l’emploi de la force, est seulement autorisée pour disperser un attroupement à la suite d’au moins deux sommations.
Par exception, l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure prévoit que les représentants de la force publique peuvent faire directement usage de la force, sans sommation ni ordre exprès des autorités habilitées, uniquement lorsque des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.
C’est exclusivement dans ce cadre et à titre exceptionnel que peut être autorisée l’utilisation de lanceurs de balles de défense et de leurs munitions.
En dehors du cadre du maintien de l’ordre, les armes de force intermédiaire telles que le Flash-Ball superpro ou le Taser peuvent être utilisées dans des circonstances où l’usage de l’arme individuelle serait légalement justifié, c’est-à-dire lorsque l’emploi d’une arme s’avère nécessaire afin de dissuader ou neutraliser une personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui. L’usage de ces armes relève alors des dispositions pénales de droit commun relatives à la légitime défense – l’article L. 122-5 du code pénal – et à l’état de nécessité – article L. 122-7 du même code – et permet d’éviter le recours à des armes létales, plus dangereuses.
Aussi l’adoption de l’article 1er, qui vise à interdire un grand nombre d’armes sans pour autant proposer d’armes de substitution, aurait-elle deux conséquences opérationnelles pour les forces chargées du maintien de l’ordre. Ces dernières n’auraient plus d’autre choix que de se retirer et de laisser le terrain, ce qui n’est pas sans effet la crédibilité de l’autorité de l’État, ou au contraire d’aller au contact, ce qui pourrait entraîner de très lourdes conséquences tant pour les forces de l’ordre que pour les manifestants.
Pour ma part, j’estime qu’il est nécessaire de conserver une capacité de riposte mais aussi de dissuasion à la hauteur de la gravité des troubles à l’ordre public provoqués par des attroupements.
De plus, les armes telles que le lanceur de balles de défense présentent l’avantage d’être discriminantes en permettant de cibler spécifiquement les fauteurs de troubles, à la différence des gaz lacrymogènes par exemple.
Par ailleurs, il semble paradoxal d’interdire des armes de force intermédiaire de catégorie B tout en maintenant l’utilisation d’armes létales de catégorie A.
Je rappelle que le ministère de l’intérieur organise de manière permanente et régulière une évaluation de l’utilisation de ces armes, mais aussi une veille concernant les nouvelles technologies qui pourraient les améliorer, voire les remplacer. Ainsi, la direction générale de la police nationale a lancé un appel d’offres afin de permettre l’utilisation par le lanceur de balles de défense dit LBD 40 de munitions de courte portée permettant un emploi dans des distances similaires au Flash-Ball superpro.
J’en viens aux remarques concernant spécifiquement l’article 2 de cette proposition de loi.
Actuellement, l’alinéa 6 de l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure restreint l’usage direct de la force à des circonstances où des violences ou voies de fait sont exercées contre les forces de l’ordre ou lorsque celles-ci ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent.
L’article 2 de cette proposition de loi vise à compléter cet alinéa afin de préciser que des armes telles que le Flash-Ball superpro ne pourront être utilisées « à cette fin […] que dans des circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d’une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique ».
Je m’interroge sur l’interprétation de ces dispositions. En particulier, la notion peu précise de « violences d’une particulière gravité » présente un risque d’insécurité juridique en ce qu’elle relève d’une interprétation subjective de la situation a posteriori. Il semble très difficile, voire impossible, pour les forces de l’ordre d’anticiper les conséquences des violences qu’elles subissent afin de déterminer les armes susceptibles d’être utilisées.
Je rappelle enfin que l’emploi des armes, y compris en légitime défense, reste soumis à un principe d’absolue nécessité, de proportionnalité et de gradation dans l’emploi des armes.
Complexifier le cadre de l’emploi de la force en légitime défense pour soi ou pour autrui présente un risque certain, tant pour la sécurité des forces de police et de gendarmerie que pour les citoyens.
Telles sont les différentes raisons pour lesquelles la commission n’a pas adopté la proposition de loi.
Elle a néanmoins fait siennes les légitimes interrogations soulevées par ce texte. Elle a notamment insisté sur la nécessité d’une meilleure formation des personnels habilités au port du Flash-Ball superpro et souhaité – personnellement, j’y tiens beaucoup – que les lanceurs de balles de défense LBD 40 soient équipés dans les meilleurs délais de munitions de courte portée pour remplacer le Flash-Ball superpro, trop imprécis et par là même trop dangereux.
Sous le bénéfice de ces observations et au regard des difficultés posées par ce texte, je vous invite donc, mes chers collègues, à ne pas adopter la présente proposition de loi, même si celle-ci a le mérite de soulever de vraies questions. (Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois, applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. le ministre de l’intérieur.
La proposition de loi relative à l’usage et à la commercialisation des armes de catégorie B, présentée par la présidente Éliane Assassi et les membres du groupe CRC, porte sur un sujet sensible, qui mérite donc d’être traité avec une grande rigueur.
Ces dernières années, quelques polémiques médiatiques ont pu naître à la suite d’accidents impliquant l’usage de telles armes. Or le rôle des dirigeants politiques, au Gouvernement comme au Parlement, n’est point de céder à l’esprit de polémique, mais bien de faire preuve de responsabilité.
La proposition de loi présentée par les élus du groupe CRC vise, d’une part, à instituer un moratoire sur la commercialisation et l’utilisation des armes de catégorie B, autrement dit des armes intermédiaires telles que les lanceurs de balles de défense, dont les Flash-Ball font partie, ou les pistolets à impulsion électrique, souvent appelés Taser, du nom de leur principal fabricant.
D’autre part, cette proposition vise à compléter l’avant-dernier alinéa de l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure en précisant que lesdites armes de catégorie B ne peuvent être utilisées par les forces de l’ordre « que dans les circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d’une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique ».
Je tiens d’abord à vous dire, mesdames, messieurs les membres du groupe CRC, que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, partage naturellement votre souci d’encadrer avec la plus grande rigueur l’usage des armes auxquelles ont recours les forces de l’ordre dans l’exercice de leurs missions.
Chaque jour, policiers et gendarmes risquent leur vie pour protéger nos concitoyens et faire respecter les lois de la République. Nous connaissons tous le prix que, trop souvent, ils paient dans l’accomplissement de leurs missions.
Ainsi, l’année dernière, quatre policiers ont été tués en opération, et près de 9 000 ont été blessés. Depuis le début de l’année 2015, la police nationale déplore la perte de deux agents en mission, tandis que plus de 850 ont été blessés.
La gendarmerie nationale, quant à elle, a perdu en 2014 trois des siens en opération ; cette même année, plus de 1 750 gendarmes ont par ailleurs été blessés au cours d’interventions, et déjà plus de 360 l’ont été depuis le début de cette année.
Depuis plusieurs mois, de nombreux faits de percussions volontaires des policiers et gendarmes sont constatés sur la voie publique, leur causant des blessures graves, parfois même leur décès comme ce fut le cas, voilà quelques semaines, d’un policier de Decazeville. Je peux évoquer aussi les nombreuses embuscades tendues aux forces de l’ordre ou encore les agressions dont les patrouilles font l’objet.
Nous devons tous avoir cette réalité à l’esprit lorsque nous posons la question de l’armement des forces de l’ordre, confrontées à plusieurs formes de délinquance et de criminalité, de plus en plus violentes d’ailleurs. Il nous faut être prudents chaque fois qu’il est question de modifier le cadre juridique qui leur permet d’en faire usage, qu’il s’agisse des armes à feu ou bien, comme c’est le cas aujourd’hui, des armes intermédiaires.
Le Gouvernement, le ministre de l’intérieur au premier chef, comprend la préoccupation qui est celle des auteurs de cette proposition de loi. Comme je l’ai dit, l’utilisation de certaines armes de force intermédiaires a pu, par le passé, provoquer des accidents. Il ne nous semble donc pas anormal que nous posions la question de leur usage.
Pour autant, le Gouvernement ne peut soutenir une telle proposition de loi, qui pose plusieurs problèmes de fond.
Je voudrais dire quelques mots de l’actuelle réglementation en la matière.
Celle-ci encadre déjà très strictement la commercialisation, la distribution et l’utilisation des armes de catégorie B, qui comprend aussi bien des armes à feu de poing et des armes d’épaule – à l’exception des fusils de chasse – que des lanceurs de balles de défense, des armes à impulsion électrique et des aérosols lacrymogènes.
En effet, l’article L. 2332-1 du code de la défense dispose que les entreprises de fabrication et de distribution de telles armes sont soumises à l’autorisation de l’État et placées sous son contrôle.
De même, l’article L. 311-1 du code de sécurité intérieure indique que l’acquisition et la détention des armes de catégorie B sont soumises à autorisation.
Les articles L. 312-3 et L. 312-4 du même code précisent les conditions dans lesquelles peuvent être délivrées les autorisations d’acquisition et de détention de ces armes. Outre les forces de l’ordre, seuls les tireurs sportifs, les entreprises du secteur des activités privées de sécurité et toute personne qui, en raison de ses activités professionnelles, voit sa vie exposée à des risques sérieux, peuvent être autorisés à recourir à ces armes de catégorie B.
Vous le constatez, l’État exerce un contrôle très rigoureux et très poussé sur ces armes, et cela de leur production à leur utilisation. De ce fait, aucune autorisation de détention de pistolets à impulsion électrique, ou Tasers, ou de lanceurs de balles de défense de type Flash-Ball n’a jamais été délivrée à des particuliers.
En conséquence, en vertu de la réglementation actuellement en vigueur, n’importe qui ne peut vendre, acheter, fabriquer ou détenir des armes de catégorie B.
Pourtant, via cette proposition de loi, les sénateurs du groupe CRC entendent interdire la commercialisation et l’utilisation de ces armes « par toute personne », ce qui est déjà le cas ! J’ajoute que, en aucune circonstance, les particuliers ne peuvent détenir des armes de type Taser ou Flash-Ball. À cet égard, le présent texte apparaît donc, en réalité, superfétatoire.
J’en viens à l’usage spécifique que font les forces de l’ordre de ces armes intermédiaires. Sur ce point également, la réglementation en vigueur est très claire.
Je rappelle que les articles D. 211-19 et suivants du code de la sécurité intérieure indiquent notamment que les forces de l’ordre peuvent utiliser, lors d’une opération de maintien de l’ordre public, des lanceurs de balles de défense de type Flash-Ball.
Les forces de l’ordre peuvent également avoir recours à des pistolets à impulsion électrique agissant à distance pour neutraliser des personnes violentes et menaçantes.
Au demeurant, l’usage des pistolets de type Taser est interdit dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre public, par instruction commune des directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale.
Certes, les forces de l’ordre sont autorisées à employer le Flash-Ball en vue du maintien de l’ordre. Toutefois, les compagnies républicaines de sécurité, les CRS, et les unités de gendarmerie mobile ne sont pas pourvues de tels équipements. (M. le rapporteur acquiesce.)
Vous observez que l’usage des armes de catégorie B par les forces de l’ordre est, lui aussi, rigoureusement encadré. Or ces forces, si la présente proposition de loi était adoptée par le Parlement, se trouveraient privées du recours à ces armes intermédiaires, qui, je le répète, sont non létales. De ce fait, toute gradation dans l’usage qu’elles font de la force deviendrait impossible.
L’article 1er du présent texte priverait ainsi, de droit, l’ensemble des forces de sécurité intérieure de toute arme de ce type, quel que soit le cadre juridique de leur utilisation. C’est donc tout un éventail de réponses graduées et proportionnées que les forces de l’ordre n’auraient plus à leur disposition. Or celles-ci peuvent être placées dans des situations impliquant qu’elles fassent usage de la force : l’emploi de cette dernière peut être légitime et nécessaire pour dissuader ou neutraliser une personne violente et dangereuse, tout en évitant de recourir à une arme à feu.
En conséquence, une telle disposition législative laisserait les agents des forces de l’ordre, dans des situations de violence où leur vie même serait menacée, face à l’alternative suivante : ou bien recourir à une arme à feu, c’est-à-dire à une arme létale ; ou bien être dans l’impossibilité de riposter, de se protéger ou de protéger les tiers. Une telle alternative n’est pas acceptable.
De surcroît, s’il était adopté, ce texte remettrait en cause la doctrine française de maintien de l’ordre, laquelle repose sur le refus du contact entre les forces de l’ordre et les personnes menaçant l’ordre public.
Je rappelle que, dans le cadre de cette doctrine, l’usage des armes intermédiaires permet de lutter avec efficacité contre les débordements violents qui accompagnent certains rassemblements organisés ou spontanés sur la voie publique.
Dès lors, adopter cette proposition de loi conduirait à priver les forces de l’ordre des moyens adaptés aux missions de maintien de l’ordre qu’elles doivent assumer. Ce faisant, nous les contraindrions à employer des moyens moins discriminants. Une telle situation ne manquerait pas de nuire à leur capacité de neutraliser et d’interpeller les fauteurs de troubles. J’ajoute que la sécurité d’autres manifestants ou du public s’en trouverait menacée.
Non seulement nous exposerions les forces de l’ordre à des situations de violence pouvant menacer leur intégrité physique, mais nous les placerions dans une position impossible, les contraignant, là encore, à faire usage d’armes létales pour se défendre.
En réalité, au regard du but visé, cette proposition de loi paraît contreproductive. En effet, interdire les armes intermédiaires revient à autoriser l’usage des armes à feu, donc des armes létales.
Depuis une quinzaine d’années, on constate que l’utilisation par les forces de l’ordre des armes non létales a entraîné une nette diminution, un recul continu de l’usage des armes létales. Et l’on prendrait le risque d’inverser une telle tendance, de revenir sur un tel progrès ? Je ne peux l’imaginer. En tout cas, ce n’est pas la volonté du Gouvernement.
Le risque serait d’autant plus élevé que l’on constate parallèlement – je l’ai dit au début de mon intervention – une augmentation des agressions dirigées contre les forces de l’ordre au cours des dernières années. Dans un tel contexte, il n’est pas opportun de réduire les moyens dont celles-ci disposent pour y faire face.
Nous devons donc faire confiance aux femmes et aux hommes qui composent nos forces de l’ordre, ces femmes et ces hommes qui nous protègent au quotidien contre toutes les menaces et toutes les violences susceptibles de miner la société. Confrontés à des situations de plus en plus difficiles, ils font preuve d’un grand sang-froid dans l’exercice de leurs missions.
En effet, les conditions juridiques de l’usage des armes, qu’il s’agisse d’ailleurs des armes à feu ou des armes intermédiaires, ont été parfaitement intériorisées par les agents des forces de l’ordre, selon trois principes cardinaux. Premièrement, le danger doit être réel et actuel. Deuxièmement, la riposte doit relever d’une absolue nécessité. Troisièmement, elle doit être proportionnée à la menace.
Je ne puis manquer d’évoquer les accidents provoqués par les armes intermédiaires, notamment les Flash-Balls et les pistolets de type Taser, lesquels sont à l’origine de cette proposition de loi.
Il est inutile de le nier, il y a eu des accidents, mais, en réalité, ils sont rares : leur nombre est très faible. En 2013, l’Inspection générale de la police nationale, l’IGPN, a ainsi été saisie de neuf faits, trois concernant l’usage d’un Taser et les six autres concernant des lanceurs de balles de défense.
En outre, l’année dernière, dix-sept procédures judiciaires ont été diligentées par l’IGPN. Parmi elles, dix concernent l’usage d’un lanceur de balles de défense et les sept autres l’usage d’un pistolet de type Taser. Enfin, depuis le début de l’année 2015, trois procédures judiciaires ont été ouvertes par l’IGPN. Toutes ont pour objet l’usage du pistolet de type Taser. Le nombre d’accidents reste donc faible. Toutefois, si les armes intermédiaires sont non létales, c’est-à-dire non destinées à tuer, elles n’en sont pas moins des armes. Leurs effets ne doivent pas être sous-estimés.
Madame Assassi, je le répète, le Gouvernement comprend l’esprit dans lequel vous avez déposé votre proposition de loi.
C’est ce même esprit qui a conduit le ministre de l’intérieur à engager une réforme de l’armement intermédiaire dont disposent les forces de l’ordre. Vous l’avez souligné vous-même, les lanceurs de 44 millimètres de type Flash-Ball manquent de précision, ce qui a parfois pu provoquer des accidents. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement procède à leur remplacement progressif par des lanceurs de 40 millimètres à visée laser, qui permettent à nos agents de gagner en précision lorsqu’ils procèdent à un tir de balle de défense.
La réforme est donc en cours : dans des délais réduits, le Flash-Ball ne sera plus du tout utilisé. Pour autant, dans l’intervalle, un moratoire sur les armes intermédiaires serait contre-productif et pourrait avoir des conséquences extrêmement dangereuses : nous ne pouvons pas nous permettre de désarmer nos forces de l’ordre.
Enfin, je tiens à vous apporter quelques précisions quant au dossier du rapprochement entre la police et la population. En tant que secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, je me consacre à ce travail depuis plusieurs mois, ainsi que Bernard Cazeneuve.
À ce titre, MM. Cazeneuve et Kanner et moi-même avons cosigné une circulaire le 25 mars dernier et lancé un appel à projets de plus d’un million d’euros en direction des territoires, pour faire remonter des propositions de rapprochement entre la police et la population, notamment de la part du tissu associatif.
Parallèlement, nous avons décidé la création d’une cellule nationale. Cette structure, inédite, permettra de réunir des représentants des associations et des forces de l’ordre, afin d’étudier toutes les problématiques émergeant des territoires et de valoriser au mieux les initiatives qui portent leurs fruits – je songe notamment aux délégués police-population, que nous avons déployés dans plusieurs commissariats. Ces personnels viendront en appui des fonctionnaires de police, dons nous renforçons actuellement les effectifs par la voie de nouveaux recrutements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)