compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Christian Cambon,
M. Jackie Pierre.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Mises au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre.
M. Jackie Pierre. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 179 du 12 mai 2015 sur l’ensemble du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, Bernard Saugey et Alain Chatillon ont été comptabilisés comme ayant voté contre, alors qu’ils souhaitaient voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de vos mises au point, mon cher collègue. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.
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Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a émis, lors de sa réunion du 13 mai 2015, un vote favorable – dix voix pour, deux voix contre – au projet de nomination de Mme Élisabeth Borne pour exercer les fonctions de président-directeur général de la Régie autonome des transports parisiens.
Acte est donné de cette communication.
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Renvois pour avis unique
M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement (n° 424, 2014-2015), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est envoyé pour avis, à sa demande, à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Par ailleurs, j’informe le Sénat que la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (n° 348, 2014-2015), dont la commission des affaires sociales est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
5
Réforme des méthodes de travail du Sénat
Discussion d’une proposition de résolution dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution tendant à réformer les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d’amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace (proposition de résolution n° 380, texte de la commission n° 428, rapport n° 427).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition de résolution, présentée par vous-même, monsieur le président, tendant à réformer les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d’amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace.
Cette réforme vise à modifier vingt articles du règlement du Sénat. Elle est donc comparable dans son ampleur à la précédente modification, laquelle résultait de la révision constitutionnelle de 2008.
Néanmoins, elle répond non pas à des exigences extérieures au Sénat, bien que nous sachions écouter ce qui se dit hors de nos murs, mais à une réflexion conduite au sein de notre assemblée.
Je le rappelle, une concertation avait déjà été menée sous la première présidence de Gérard Larcher. Avec Bernard Frimat, nous avions alors tenté de faire évoluer les choses, mais il faut croire que les temps n’étaient pas encore venus pour ce faire. Vous avez souhaité, monsieur le président, donner un nouvel élan à cette ambition et mener à bien les engagements que vous avez pris lors de votre deuxième élection à la présidence du Sénat.
Le groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat alors installé a réuni les présidents des groupes politiques, des représentants des groupes, le questeur délégué, ainsi que les présidents des commissions permanentes. Il a confié à deux collègues le soin de rédiger un rapport, MM. Roger Karoutchi et Alain Richard, que l’on peut remercier de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Parallèlement, le rapport du groupe relatif à la gouvernance du Sénat, dont la rédaction a été confiée à Jean-Léonce Dupont, permettra d’avancer sur cette autre question.
Ce qui vous est proposé, mes chers collègues, et je m’en réjouis, ce ne sont pas des « mesurettes » ; il s’agit réellement d’introduire une modification importante de nos méthodes de travail, de l’organisation de notre calendrier et de s’attaquer aux problèmes relatifs à la déontologie.
La proposition de résolution vise tout d’abord à favoriser l’implication des sénateurs dans l’exercice de leurs missions.
Une chose en effet me paraît évidente, qu’il faut néanmoins, semble-t-il, rappeler à certains : les sénateurs ont l’obligation de participer de façon effective aux travaux du Sénat. Pour ce faire, il convient de répondre au problème de l’agenda sénatorial qui est réel. Les travaux se mélangent, se chevauchent : il faut donc préciser les choses. (Mme Catherine Deroche marque son approbation.)
Les groupes politiques se réuniraient, comme ils le font déjà, le mardi matin. Cela n’empêchait pas, d’ailleurs, les commissions de se réunir avant. Il s’agit néanmoins de faire en sorte que les commissions permanentes, notamment, puissent être les seules à siéger pour mener à bien leurs travaux législatifs.
Vous remarquerez, mes chers collègues, que la mention « en principe » apparaît dans presque toutes les dispositions proposées. C’est que celles-ci ne peuvent imposer une obligation absolue. Les commissaires européens invités à Paris n’y viennent pas nécessairement le mercredi matin, par exemple. Il peut aussi arriver que l’on ne puisse recevoir les membres du Gouvernement ce même jour : ils assistent au conseil des ministres. Sur la question de leur participation aux travaux législatifs, nous sommes tranquilles ! (Sourires.)
M. Charles Revet. Pour le Sénat, ils pourraient faire une exception !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je le dis à titre informatif, car ces dispositions ne ressortissent pas au règlement, nous avions prévu d’introduire un tableau nominatif des activités des sénateurs en séance.
En revanche, des sanctions disciplinaires, mais aussi financières, sont bien prévues. Ces dernières – je ne les détaillerai pas – touchent l’indemnité de fonction et l’indemnité représentative de frais de mandat, l’IRFM. Le dispositif introduit semble équilibré. Son champ concernerait les absences à plus de la moitié des réunions de commissions permanentes ou spéciales, des votes solennels sur les projets et propositions de loi et des questions d’actualité au cours d’un même trimestre.
Pour tenir compte de la spécificité liée au mandat des sénateurs des outre-mer, je défendrai un amendement de la commission tendant à appliquer pour ces derniers un régime plus léger.
Mme Éliane Assassi. Ah !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le sénateur de Wallis-et-Futuna, par exemple, met près de trente heures pour venir au Sénat et autant pour s’en retourner, ce qui rend le respect des nouvelles dispositions difficile.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Avec l’amendement en question, nous avons, me semble-t-il, trouvé une solution acceptable.
Je défendrai également – ce point m’avait préoccupé – un amendement tendant à prendre en compte les longues maladies et les congés maternité, laquelle n’est pas une maladie ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La féminisation et le rajeunissement de notre assemblée permettront sans doute l’application de cette disposition du règlement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La proposition de résolution a ensuite pour objet de rendre le travail plus efficace. Il s’agit notamment de permettre la composition plus équilibrée de certaines commissions – ce point était demandé depuis longtemps –, une meilleure complémentarité entre commissions et séance publique, et surtout – point sur lequel nous n’avions pas abouti voilà quelques années – une séance publique plus concentrée.
Les temps de parole vont donc être réduits. Nous n’allons pas passer au temps législatif programmé, comme à l’Assemblée nationale, qui nous semble avoir des effets assez négatifs sur la qualité du travail parlementaire. Néanmoins, nous pouvons faire des efforts dans ce domaine.
La proposition de résolution vise en outre à permettre une meilleure articulation entre législation et contrôle. Il est ainsi proposé qu’une séance de questions d’actualité ait lieu chaque semaine. M. le président de la commission des lois a estimé, lors de la réunion de ce matin, qu’il serait bien d’instaurer un droit de réplique au Gouvernement pour ces séances.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela donnerait plus de nerf au débat.
Mme Catherine Deroche. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je pensais qu’il fallait pour cela organiser une concertation ; mais la commission était si enthousiaste sur ce point et avait tellement de choses à faire par ailleurs que tel n’est pas ce qui a été décidé.
Enfin, la proposition de résolution tend à améliorer la gouvernance, en allant dans le sens d’une plus grande transparence.
Désormais, tous les groupes, dont l’existence obéit à une disposition constitutionnelle, devront se constituer en vue de leur gestion sous forme d’association, sous le contrôle de commissaires aux comptes. Cela me semble tout à fait nécessaire et positif.
Il s’agit, pour terminer, de permettre la gestion des conflits d’intérêts. Si un sénateur ne respecte pas les règles déontologiques fixées par le bureau du Sénat ou ne prend pas les mesures recommandées par le comité de déontologie parlementaire, des sanctions correspondantes doivent être prises.
Voilà, mes chers collègues, l’essentiel des dispositions proposées, sur lesquelles nous reviendrons lors de l’examen des articles.
Vous aurez sans doute remarqué que mon intervention n’aura pas duré plus de dix minutes, soit la durée prévue par le futur règlement du Sénat pour la présentation du rapport par leurs auteurs ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre réunion d’aujourd’hui, M. Hyest l’a dit, vient d’une prise de conscience collective : si le Sénat ne se réforme pas, il sera à moyen terme mis en difficulté, voire condamné.
Un travail collectif a donc été mené ; il convient d’en saluer tous les animateurs, intervenus lors de longues séances de travail, ainsi que tous les auteurs des amendements présentés sur le texte que nous examinons.
Nos concitoyens attendent, bien sûr, de la transparence financière en matière d’utilisation de l’IRFM comme des moyens des groupes, et ce dans le respect entier de la Constitution.
Cela a été indiqué, le tableau de bord souhaité par certains n’est pas du ressort du règlement. Il s’agit néanmoins d’une attente exprimée par nombre de citoyens.
Les mesures aujourd’hui présentées, certes nécessaires, ne seront pas suffisantes si leur application réelle ne donne pas une autre image de la Haute Assemblée. Nous planchons ce jour sur nos méthodes, nos rythmes et l’organisation du travail, mais la forme n’est rien sans le fond.
Les travaux préparatoires à cette réforme ont établi que jamais le Sénat n’a autant travaillé, que jamais il n’a autant siégé. Et pourtant, son image dans l’opinion publique n’a jamais été aussi fragilisée. C’est un cruel paradoxe, notamment pour ceux qui y consacrent tout leur temps.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
Mme Corinne Bouchoux. Les experts et les juristes considèrent que la qualité d’écriture de la loi votée au Sénat est grande, que les jeux partisans sont moins clivants et caricaturaux qu’ailleurs, que la Haute Assemblée a longtemps été le défenseur des libertés individuelles et qu’elle est souvent un lieu de réflexion collective progressiste. La plupart des sénateurs ont une expérience solide de la gestion des deniers publics à différents échelons. Cela devrait être un atout.
Dès lors, par quel mystère ce travail législatif de qualité, cette expérience reconnue, cette expertise ne sont-ils pas – ou plus – compris actuellement par nos concitoyens ? Si nous partageons les vues exprimées sur l’ampleur de la crise actuelle, l’analyse des causes, et donc la nature des remèdes, pourra varier d’un groupe à l’autre.
Des lois sont votées en nombre, mais nos concitoyens n’en voient pas l’effet immédiat dans leur quotidien. Certains prétendent d’ailleurs, non sans raison, qu’il y en a trop. Remettre en perspective nos méthodes d’élaboration de la loi est donc une nécessité.
Comment travailler mieux, tout en respectant les voix dissonantes et minoritaires ? Comment rationaliser le travail ? Comment enrayer l’inflation des amendements, qui peuvent devenir une façon d’exister, d’être visible ? Comment optimiser notre temps, une denrée rare, et ne pas montrer au public un hémicycle vide, quand nous sommes en réalité réunis dans une autre salle du Sénat ? Comment éviter de siéger dans trop d’instances, dont certaines ne sont d’ailleurs pas indispensables ?
Les mesures qui seront débattues et adoptées ce jour vont dans le même sens : rénover pour travailler mieux en travaillant autrement. Il n’est pas possible de contester cette ambition, même si certains dispositifs, anodins pour des grands groupes, peuvent être plus sensibles pour les petits.
Nous partageons donc la finalité et l’état d’esprit qui ont présidé à tous ces travaux.
Cela étant, et c’est plus délicat à dire, voire sûrement aussi à entendre, nos concitoyens nous reprochent non seulement un mode de fonctionnement apparent, mais également le faste des locaux qu’ils sont pourtant très nombreux à souhaiter visiter et à admirer lorsqu’ils les découvrent.
Ce qui soulève aussi des interrogations, c’est ce que nous sommes sociologiquement, c'est-à-dire des individus avec une certaine expérience de la vie – c’est une qualité précieuse –, mais presque tous issus de milieux sociaux ou professionnels très voisins et globalement favorisés.
En 1979, la composition du Sénat comprenait seulement quatre femmes, contre 25 % depuis le dernier renouvellement. C’est positif, mais cela reste encore bien insuffisant. Le sujet ne relève pas de la réforme du règlement, mais il existe un lien entre les deux : il faut un Sénat mixte, comme la France est mixte.
Vous le savez aussi bien que moi, il n’y a encore jamais eu de questeur femme à la Haute Assemblée. Pourtant, dans les collectivités, nous, femmes, sommes souvent assignées aux domaines de l’intendance et de la gestion, et nous y réussissons fort bien.
Nous pouvons donc formuler l’hypothèse selon laquelle les critiques adressées au Sénat portent également sur ce que nous sommes : le produit d’une histoire politique. Une évolution est nécessaire.
Modifier des règlements et des usages dans le sens de la rigueur, de la transparence, d’une éthique irréprochable et de l’efficience, c’est indispensable. Pour autant, est-ce suffisant ?
Pour nous, écologistes, la logique institutionnelle est visiblement en bout de course.
Parmi les dispositions qui nous sont proposées aujourd'hui, il manquait – cela relevait d’un amendement de coordination – la reconnaissance des « invisibles » du Sénat. La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a prévu, et c’est heureux, les déclarations d’intérêts et d’activités des membres du Parlement qui doivent mentionner tous leurs collaborateurs, ainsi que leurs autres activités professionnelles. Il nous semblait par conséquent évident de reconnaître ces personnels dans notre règlement.
Cela étant, puissions-nous par les travaux de ce jour amorcer réellement une grande réforme de la Haute Assemblée qui contribue à faire évoluer notre méthode de travail et notre image.
Je conclurai en saluant une mesure que d’aucuns jugeront peut-être anodine, mais qui est importante pour d’autres : depuis deux jours, sont mises à disposition des cartes de « sénatrices », pour celles de nos collègues qui préfèrent être appelées ainsi plutôt que « sénateurs ». Les détails sont importants en République ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE.)
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Parlement du Royaume de Suède, conduite par Mme Anna-Lena Sörenson, députée et présidente du groupe d’amitié Suède-France du Parlement suédois. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
La délégation est accompagnée par MM. Jean-Vincent Placé, président du groupe d’amitié France-Europe du Nord du Sénat, et François Marc, président délégué pour la Suède.
Nous sommes heureux de recevoir nos collègues suédois.
Leur venue à Paris s’inscrit dans la suite de la visite d’État du roi et de la reine de Suède dans notre pays que j’ai eu le grand honneur de recevoir le 2 décembre dernier. Elle participe du renforcement des relations franco-suédoises, à travers les préparatifs de la conférence Paris Climat 2015, qui se tiendra au mois de décembre prochain – nous accueillerons nos collègues parlementaires le 6 décembre dans cet hémicycle –, et à travers la lutte antiterroriste et une coopération européenne accrue.
La délégation a notamment rencontré ce matin le secrétaire d’État aux affaires européennes, M. Harlem Désir.
Nous formons le vœu que cette visite conforte les relations entre nos deux pays et permette d’accroître la coopération entre nos deux assemblées.
Nous leur souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat français ! (Applaudissements.)
7
Réforme des méthodes de travail du Sénat
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de résolution dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de résolution tendant à réformer les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d’amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mes chers collègues, une nouvelle fois, la majorité de droite sénatoriale prend l’initiative d’une réforme du règlement dont l’objectif essentiel est la « rationalisation » du travail parlementaire, c’est-à-dire la réduction du temps de parole, l’encadrement du droit d’amendement et la mise en cause de la séance publique.
Monsieur le président, il faut vous reconnaître une belle persévérance. Dès 1990, M. de Raincourt, M. Allouche, alors vice-président socialiste, et vous-même formuliez des propositions qui préfiguraient celles dont nous sommes saisis aujourd’hui.
Malgré les délais restreints imposés au groupe de réflexion, dont les travaux ont débuté le 3 décembre pour se terminer au mois de février, le groupe CRC a décidé d’y participer de manière constructive, en versant ses nombreuses propositions au débat.
Notre approche était sans a priori, d’autant plus que nous soutenions la démarche engagée par le groupe de travail relatif à la gouvernance du Sénat mis en place parallèlement qui vise en particulier la transparence de l’utilisation par les sénatrices et sénateurs de leur indemnité représentative de frais de mandat.
Notre approche était donc positive, l’objectif affiché de cette réforme du règlement étant d’améliorer l’agenda sénatorial et de s’attaquer au réel problème de l’absentéisme parlementaire.
Permettre aux parlementaires de mieux exécuter leur mandat est une intention louable : nous la soutenons sans hésitation.
Malheureusement, au fil des réunions du groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat, une nouvelle intention, partagée notamment par le groupe UMP et le groupe socialiste, est apparue : restreindre le débat public, le droit d’amendement et le temps de parole. Aux yeux des deux corapporteurs et des deux groupes mentionnés, ce sont ces trois éléments qui portent la responsabilité de l’absentéisme. M. Hyest, rapporteur de la commission des lois, s’était même inquiété de la « dictature du temps ».
Pourtant, les statistiques qui sont mises à notre disposition démontrent la réalité de la surcharge de travail qui désorganise le Parlement. Dans les années quatre-vingt-dix, on adoptait annuellement 2 000 pages de textes législatifs. Depuis quelques années, ce chiffre approche les 4 000, atteignant même parfois 4 500.
Or, monsieur le président, la révision constitutionnelle de 2008, rejetée par la gauche, a dans le même temps réduit l’ordre du jour gouvernemental à deux semaines sur quatre, concentrant les débats législatifs sur un temps très restreint.
Nous avions dénoncé voilà sept ans le risque d’asphyxie du Parlement qui pousse aujourd’hui à l’absentéisme. Le chevauchement des réunions et des séances induit par cette inflation législative rend difficile la présence à telle ou telle séance ou à tel ou tel débat de commission.
Pourquoi mettre ainsi la charrue avant les bœufs, monsieur le président ? Vous demandez aux parlementaires, en particulier aux groupes minoritaires d’opposition, de se dessaisir de leurs prérogatives, alors que l’événement principal de la vie des assemblées depuis vingt ans, c’est la surcharge législative !
L’autre élément important qui explique la montée de cet absentéisme est la différence d’assiduité aux débats de projets de loi de finances ; vous la notiez lors de la première réunion du groupe de réflexion, monsieur le président. Elle traduit le sentiment d’impuissance du politique sur le cours des dossiers, plus particulièrement le sentiment d’affaiblissement du législatif face à l’exécutif. Le durcissement des irrecevabilités, l’utilisation excessive, drastique, de l’article 40 de la Constitution, tout particulièrement, ont considérablement augmenté le sentiment d’instabilité du parlementaire, qui ne peut pas formuler de contre-propositions, souvent créatrices de dépenses supplémentaires.
Enfin, la multiplication des groupes d’études, délégations et autres structures, conséquence de la désaffection de ce qui est la raison d’être du mandat parlementaire, c'est-à-dire la fonction législative, joue un rôle certain dans la surcharge de l’agenda sénatorial.
À la fin de l’examen du projet de loi Macron hier, chacun s’est félicité de la qualité et du sérieux du débat parlementaire. Je suis donc d’autant plus étonnée d’une telle volonté de réduire ce qui constitue, me semble-t-il, l’une des principales richesses d’une assemblée législative : le débat pluraliste et l’exercice plein et entier du droit d’amendement.
Comment imaginer que la réduction des débats en commission puisse renforcer l’intérêt de nos travaux ? Comment imaginer que la limitation du temps de parole et la réduction du droit d’amendement vont rehausser la fonction parlementaire ?
J’ai parfois l’impression que les partisans de cette réforme, et ils sont nombreux, scient la branche de l’arbre sur laquelle ils sont assis. En effet, à faire disparaître le débat idéologique et politique, à le contraindre, on menace le devenir même du Sénat.
Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC défendront tout au long de la présente discussion une conception ouverte au débat politique, ne se restreignant pas à des échanges entre spécialistes, une conception citoyenne du travail législatif, en un mot une conception moderne, répondant à la soif d’information et au désir de participation que, tous, nous pouvons constater autour de nous.
Oui, il faut renforcer le Sénat, mais pour l’ouvrir à la société, non pour le refermer sur lui-même !
La réforme qui nous est soumise va malheureusement dans le sens, me semble-t-il, d’un rabougrissement du travail législatif. Croyez bien que les membres du groupe CRC le regrettent ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, mes chers collègues, la France a inventé le mouvement perpétuel. Il a pour nom la « réforme », et il se définit le plus souvent par l’art d’avancer en faisant du surplace, quand ce n’est pas le retour à la case départ ou à celle d’avant ! (Sourires.)
Au mot « réforme », je préfère celui d’« évolution », car la vraie fonction du législateur est d’adapter la loi à l’évolution de la société et, mieux encore, parfois d’anticiper.
Dans ce cadre, la modification des méthodes de travail du Sénat est parfaitement justifiée, et le groupe du RDSE soutient sans faille l’objectif du président du Sénat.
Il serait vain de nier l’existence d’une crise du Parlement en France. Je dis bien du « Parlement » : en l’espèce, l’Assemblée nationale et son président n’ont aucune leçon à donner au Sénat de la République, en matière tant de présence que de travail ou de transparence ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.).
Mme Isabelle Debré. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Si l’image du Parlement est dégradée, si certains parlementaires n’exécutent pas leur mission avec le sérieux et le travail nécessaires, leur responsabilité ne saurait être éludée.
Mais nous ne saurions rester silencieux sur une réalité à nos yeux incontestable : la Ve République est un régime créé dans la méfiance des parlementaires ; un régime dans lequel, au fil du temps, l’exécutif, quelle que soit sa sensibilité, est de moins en moins capable de proposer une vision d’avenir à nos concitoyens et de plus soumis aux calendriers électoraux ; un régime qui, inversement, a exercé son pouvoir sur le Parlement, le réduisant souvent à un rôle subalterne. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
Nous vivons de plus en plus sous le gouvernement des juges. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Je pense en particulier aux juges administratifs. Je pourrais aussi évoquer cette technocratie qui inspire et rédige les projets de loi, multiplie les autorités administratives dites « indépendantes », les hauts conseils, les commissions nationales, structures dans lesquelles l’on siège en activité ou en étant à la retraite…
Une certaine lassitude des parlementaires a pu résulter de l’impression que leur travail n’était pas suffisamment efficace. Il convient donc de prendre les mesures nécessaires pour redonner à tous le goût du travail parlementaire, du devoir et, parfois, de la satisfaction à contrôler l’action du Gouvernement et à faire entendre la voix de celles et ceux que nous avons l’honneur de représenter.
C’est d’autant plus indispensable au Sénat que la Haute Assemblée, dont la liberté exaspère les apparatchiks et populistes de tous poils, est l’objet d’attaques lamentables, à plus forte raison lorsque celles-ci émanent de personnalités comme le président de l’Assemblée nationale, cet apôtre de la suppression du Sénat, mais aussi du non-cumul, qui sera bientôt, je n’en doute pas, candidat aux élections sénatoriales ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Cette campagne est relayée par des médias nationaux tels que France 3 – nous l’avons vécu il n’y a pas si longtemps, à notre grande satisfaction… (Exclamations ironiques sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.) – et Le Monde, dont une journaliste a d’ailleurs corédigé le livre de M. Bartolone. La même, récidivant le 5 mai dernier, écrivait notamment : « Les sénateurs le savent, la survie de leur espèce tient à des transformations rapides ». (Exclamations sur un grand nombre de travées.)