M. Jacques Legendre. « Espèce » ?...
M. Jacques Mézard. Les sénateurs sont donc une espèce, je suis heureux de l’apprendre !
Pour lui retourner le compliment, quelle espèce représente-t-elle ? Elle est de celle qui ne s’insurge pas de constater que nombre de textes importants sont votés à l’Assemblée nationale par six ou dix voix contre quatre ou six…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Jacques Mézard. Le Sénat a décidé de faire évoluer ses méthodes de travail : c’est bien !
Je souligne, en premier lieu, la lutte contre l’absentéisme, ce qui n’a rien à voir avec le cumul, j’en sais quelque chose.
Les parlementaires qui ne viennent pas exercer leur mandat doivent être sanctionnés par le Sénat, à défaut de l’être par leurs électeurs. Je considère que les sanctions prévues par la proposition de résolution, très supérieures à celles qui se pratiquent à l’Assemblée nationale, sont totalement justifiées et devront faire l’objet d’une application stricte, de la même façon que tout ce qui est relatif à la déontologie, chère à Jean-Jacques Hyest.
Sur le fonctionnement du Sénat lui-même, nous avons proposé en commission, et obtenu, la suppression de l’article 3 relatif au droit de tirage des groupes, car un groupe doit demeurer libre de prendre l’initiative de créer une commission d’enquête, initiative qui ne doit donner lieu à aucun avis ni débat, c’est un droit !
Nous avons accepté la procédure d’examen en commission et du droit d’amendement réservé à la commission, sous la réserve expresse du droit de veto de chaque président de groupe. Et ce n’est pas ce que nous avons vécu aujourd’hui concernant l’examen des amendements en commission pour la loi dite « NOTRe » qui va nous inciter à généraliser un tel processus.
En effet, mes chers collègues, l’essence même du Parlement est le débat en séance publique, le vote assumé, public.
Le débat est parfois trop long, l’art de la synthèse trop absent, je vous l’accorde. Nous avons soutenu l’essentiel des propositions pour y remédier. Je remercie le président du Sénat d’avoir entendu notre demande sur le droit, pour l’auteur de l’amendement, de reprendre la parole pour explication de vote. Cela étant, ce n’est pas la faute du Sénat si le Parlement est submergé de textes comportant des centaines d’articles, des catalogues en tout genre,…
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. … d’une diarrhée législative et réglementaire issue de l’exécutif et non du Parlement, de la transition énergétique en passant par la loi Macron, bientôt la loi Santé, et je me garde d’oublier la fameuse loi NOTRe, salmigondis législatif dont nous reparlerons bientôt !
Je dirai un mot, en conclusion, sur l’amendement de notre collègue du RDSE Pierre-Yves Collombat, voté ce matin en commission. Il concerne les questions d’actualité et vise à instaurer dans le même créneau de temps une réponse du sénateur à la réponse du ministre : c’est le vrai moyen de redonner de l’intérêt et du dynamisme à cette séance de questions d’actualité.
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. Jacques Mézard. En saluant l’initiative du président du Sénat et le travail collectif réalisé au sein du groupe de travail, puis en commission, l’ensemble du groupe du RDSE, à l’unanimité, votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme Isabelle Debré. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à débuter mon propos en remerciant le président du Sénat, Gérard Larcher, d’avoir déposé la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui.
À l’issue du dernier renouvellement sénatorial, notre président s’était engagé à réformer profondément la Haute Assemblée, notamment nos méthodes de travail. Il a tenu parole, et c’est tant mieux, car cette réforme était nécessaire.
J’évoquerai aussi Roger Karoutchi et Alain Richard, rapporteurs du groupe de réflexion, qui ont accompli un travail très important, opportunément complété par les modifications introduites par le rapporteur, Jean-Jacques Hyest. Merci aussi à chacune et à chacun d’entre vous, mes chers collègues, qui avez participé à ces nombreuses réunions préparatoires.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des modifications prévues par la proposition de résolution. Je me concentrerai sur quelques dispositions visant à améliorer l’efficacité et la transparence du travail parlementaire, ainsi que la gouvernance de notre assemblée.
Le Parlement est, et doit rester, un lieu d’échange, de débats, de réflexion. Cela passe naturellement par la faculté, pour chaque sénateur, de s’exprimer dans l’hémicycle et en commission. Pour autant, cela ne saurait signifier que cette expression ne doit pas être encadrée.
L’article 9 de la proposition de résolution, qui vise à réduire l’ensemble des temps de parole en séance publique à deux minutes et demie, est donc très opportun. Pour ma part, je plaidais même pour une réduction à deux minutes, temps très souvent suffisant pour exposer les quelques idées importantes permettant de présenter un amendement ou d’expliquer son vote.
M. Jackie Pierre. Très bien !
M. François Zocchetto. Concernant plus particulièrement les discussions générales, le groupe UDI-UC est également favorable à ce que leur durée soit raccourcie. S’exprimer, à la tribune du Sénat, au nom de son groupe, sur l’ensemble d’un projet de loi ou d’une proposition de loi est un moment important et solennel. Or la multiplication des orateurs, parfois pour des durées très courtes, lorsque les temps attribués aux groupes sont importants, a tendance à amoindrir cette solennité.
M. Bruno Retailleau. C’est clair !
M. François Zocchetto. De la même manière, la discussion générale ne doit pas être l’occasion d’entrer dans le détail de tel ou tel amendement : la discussion des articles est faite pour cela ! Ou alors, autant supprimer la discussion des articles…
Cette proposition de résolution va donc dans le bon sens.
Je dirai quelques mots sur les dispositions visant à améliorer la présence des sénateurs. Jacques Mézard vient d’en parler, aucun d’entre nous n’est doté du don d’ubiquité. Au vu du chevauchement des emplois du temps et de la multiplication des réunions, il est en effet souvent difficile pour les sénateurs et sénatrices de bonne foi d’exercer pleinement la mission qui leur est confiée.
Nous sommes donc souvent dans l’impossibilité matérielle de répondre à tous nos engagements. Jean-Jacques Hyest a cité un exemple. Pour ma part, j’ai encore en mémoire l’agenda de mardi dernier : la commission des lois se réunissait de façon très studieuse pour établir son texte sur la réforme du droit d’asile alors que, dans le même temps, en séance publique, était examiné le projet de loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Comment faire, dans ce cas ? Nous ne pouvons pas nous couper en deux… (Mme Isabelle Debré opine.)
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. François Zocchetto. Nous avons tous vécu des situations similaires ces derniers temps. Il faut donc corriger le tir en utilisant les méthodes modernes de communication et de gestion des agendas, afin de permettre à chacun d’honorer ses engagements.
Le texte que nous examinons cet après-midi prévoit des sanctions financières pour les sénateurs qui seraient absents de manière récurrente. L’absentéisme est un sujet douloureux, mais fort heureusement il ne concerne que très peu d’élus. Néanmoins, c’est une question qu’il ne faut pas occulter.
J’observe que toutes les collectivités territoriales cherchent actuellement à mettre en place des mécanismes de sanctions, qu’il s’agisse des conseils départementaux ou des conseils régionaux, qui l’ont envisagé un peu plus tôt que les autres. Reconnaissons-le, mes chers collègues, c’est un aveu d’échec ! Comment peut-on se présenter à une élection pour ensuite ne pas accomplir le travail pour lequel on a été désigné ?
Quoi qu’il en soit, la nature humaine étant ce qu’elle est et les échéances électorales ne revenant que tous les cinq ou six ans, voire davantage, il nous faut agir, tant l’absentéisme a un effet déplorable sur l’image et la crédibilité de notre institution. Nous approuvons donc également ce mécanisme de sanctions, même si nous observons qu’il ne suffira pas à lui seul à corriger les travers de certains.
La présente résolution vise également à améliorer la gouvernance de la Haute Assemblée. L’article 2 de la présente proposition de résolution prévoit que les groupes politiques créés au sein du Sénat devront désormais se constituer sous forme d’association. C’est une mesure à laquelle je suis favorable.
En tant que président de groupe, j’ai pu mesurer toute la difficulté qu’il y avait à gérer une structure dépourvue de la personnalité morale. Il nous faut, pour la gestion de nos affaires courantes, notamment de nos collaborateurs, un statut juridique précis. Pour ma part, je suis satisfait que la forme associative pour la gestion des groupes soit retenue. Elle nous permettra de mieux encadrer les dépenses nécessaires pour notre activité et pour la rémunération de nos collaborateurs. Une telle mesure va dans le sens de la transparence.
Bien évidemment, des questions restent en suspens. Certaines seront réglées dans d’autres lieux, notamment par le bureau du Sénat, voire dans d’autres textes. Néanmoins, un certain nombre d’entre elles resteront posées.
Je pense à la dotation d’action parlementaire. Je sais bien que le sujet fait débat, mais il nous faudra trancher définitivement, en tenant compte de la séparation des pouvoirs et du fait que cette dotation permet actuellement, sans aucune limite, de financer des structures qui ne sont pas contrôlées par un comptable public. À cet argument, mes chers collègues, vous aurez compris que je ne suis pas favorable à la pérennité d’un tel dispositif…
Je pense aussi, même si ma liste n’est pas exhaustive, à la question, beaucoup plus lourde, de la relation avec les institutions européennes, notamment celles qui légifèrent. J’observe en effet que nous courons de plus en plus souvent après la transposition de directives européennes.
En conclusion, le groupe UDI-UC votera très majoritairement en faveur de cette proposition de résolution. Cependant, le Sénat aura beau se réformer, si les autres institutions n’empruntent pas le même chemin, nos concitoyens resteront toujours aussi interrogatifs et dubitatifs à l’égard de nos fonctions. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, que je remercie du travail qu’il a réalisé en copilotage avec Roger Karoutchi.
M. Alain Richard. Monsieur le président, mes chers collègues, je me réjouis du niveau du débat qui s’engage et de la hauteur de vues des interventions. Tous les orateurs de notre discussion en sont parfaitement conscients, nous débattons aujourd’hui du bicamérisme équilibré, qui est au cœur de notre tradition républicaine depuis 1875 et qui s’appuie sur l’existence d’une chambre haute, élue au suffrage universel indirect, pour un mandat d’une durée différente de celui de l’Assemblée nationale. Les membres de cette chambre haute ont pour mission d’être des législateurs complets et non spécialisés, dont l’apport spécifique est une réflexion et une vision à long terme dans l’élaboration de la loi.
Dans l’ensemble, nous partagions tous le constat : nous étions dans l’obligation d’améliorer la situation. Je ne décrirai pas longuement les symptômes, plusieurs collègues l’ont fait avec justesse. Disons simplement que se sont additionnés l’encombrement législatif, le risque de confusion, les effets de la médiatisation sur la vie parlementaire et la façon dont chaque parlementaire est amené à s’y adapter – nous sommes des personnages publics et donc en partie les jouets de mécanismes de communication qui nous dépassent –, sans parler des effets inattendus de la révision constitutionnelle de 2008 – mais Jean-Jacques Hyest a rappelé qu’il les avait, lui, prévus –…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Alain Richard. … réforme dont l’inspiration, partagée par tous, était d’augmenter le temps réservé à l’initiative parlementaire et au contrôle, ainsi que le rôle des commissions dans la production des textes législatifs.
Toutes ces causes externes ont concouru à créer la situation délicate dans laquelle nous nous trouvons et à laquelle nous avons entrepris de remédier.
Nous ne pouvions simplement nous répandre en lamentations et adresser des reproches à d’autres. En effet, cette réforme est d’abord de l’intérêt du Sénat lui-même, et de chaque sénateur et sénatrice en tant que personnalité politique amenée à participer à la vie institutionnelle du pays.
Notre institution a donc pris l’initiative d’une évolution pour une meilleure adaptation. Comme le président a eu l’élégance de le souligner, cette réflexion avait été conduite pendant le mandat précédent, sur l’initiative de M. Jean-Pierre Bel, mais les conditions du débat politique entre les groupes n’avaient pas permis qu’elle aboutisse.
Le groupe de réflexion a mené un travail commun, loyal et approfondi, et les idées qui figurent aujourd’hui dans cette proposition de résolution, progressivement partagées par presque tous ses membres, traduisent notre décision collective. M. Roger Karoutchi pourra en témoigner, au sein de ce groupe de réflexion, qui a beaucoup travaillé - sous la présidence du président du Sénat, qui s’est fortement impliqué -, nous avons vécu de beaux moments d’échanges politiques et de réflexion sur l’évolution souhaitable de nos institutions.
Lorsque l’on s’intéresse à l’histoire de nos institutions, ce qui est le cas de plus d’un ici, on se rend compte que les évolutions, les recadrages ne sont pas forcément le fait des grandes réformes inscrites dans les livres d’histoire. C’est parfois le retour sur elle-même d’une institution pour s’évaluer et se projeter dans l’avenir qui permet de réels progrès, et c’est ce que nous sommes en train de réaliser.
La rationalisation de la semaine parlementaire compte parmi les décisions principales sur lesquelles nous allons statuer. Il s’agit, dans le fond, de la volonté de limiter notre propre dispersion et de réguler, d’encadrer l’ensemble des sollicitations auxquelles nous sommes confrontés.
Les auditions sont presque toutes très intéressantes et fructueuses. Toutefois, si nous n’arrivons pas à les sélectionner davantage, elles deviennent un facteur d’absorption de temps que nous ne parvenons plus à gérer. Les groupes d’intérêt et les délégations, chacun pris isolément, ont leur justification et nous sommes tous tentés de nous impliquer dans beaucoup d’entre eux. Simplement, si nous dressons un tableau d’ensemble, nous voyons le risque que le Sénat devienne un deuxième conseil économique, social et environnemental ; c’est une pente à laquelle nous devons résister.
J’ajoute, sujet que nous ne traitons pas ici mais qui reste en suspens, la multiplicité des représentations extérieures que nous avons acceptées, que pour beaucoup nous souhaitons, dans lesquelles nous trouvons un intérêt, mais dont l’empilement pose tout simplement le problème de la séparation des pouvoirs. Dans la grande majorité des institutions où nous siégeons, nous sommes en réalité des auxiliaires de l’exécutif…
M. Bruno Retailleau. C’est vrai !
M. Alain Richard. … et nous participons parfois à la conduite de ses missions.
Pour la préparation du mandat suivant, à l’horizon de 2017, il faudra, me semble-t-il, que nous sachions opérer des choix et, pour commencer, que nous cessions d’introduire nous-mêmes, dans un débat législatif sur deux, des cas supplémentaires de représentation des parlementaires dans des institutions dépendant de l’exécutif.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Alain Richard. Bien sûr, ces propositions ne sont pas fantaisistes ; elles répondent à chaque fois à de bonnes raisons et l’arbitrage collectif sera toujours difficile à opérer.
Cette réforme nous pousse cependant à nous concentrer sur l’activité législative. C’est un sain réflexe de se rappeler qu’historiquement et institutionnellement le cœur de métier du Sénat est de légiférer et de parfaire la législation.
Cela signifie que cette réforme s’engage dans la voie d’une activité d’initiative et de contrôle sénatorial, certes maintenue, mais plus sobre. Il paraît maintenant évident que la répartition formelle de deux semaines sur quatre attribuées pleinement à ces fonctions et de deux semaines sur quatre seulement dévolues à la fonction législative ne correspond pas aux besoins de la vie de la République.
Heureusement, la rédaction de la Constitution sur ce point avait été prudente et se borne à dire que les deux semaines d’initiative et de contrôle sont réservées « par priorité » à ces fonctions. Il nous faudra avoir la sagesse de discuter positivement avec le Gouvernement, quel qu’il soit, afin de réutiliser une partie du temps d’initiative et de contrôle pour poursuivre et achever notre travail législatif.
Cela ne nous empêchera pas de conduire un travail de contrôle et d’initiative satisfaisant, mais il convient de rendre celui-ci plus sobre. Une bonne partie des commissions d’enquête, des missions d’information ou des débats spécialisés pourraient parfaitement se dérouler en dehors de l’hémicycle et se conclure autrement que par un défilé d’orateurs à la tribune, lequel n’est sans doute pas la meilleure façon de rendre compte d’un travail collectif et partagé. La réforme du règlement nous permet d’évoluer positivement en ce sens.
Je souligne que deux hésitations demeurent au sujet de l’initiative et du contrôle. Nous avons suivi le président Mézard en commission et renoncé à toute forme d’encadrement du droit d’initiative au sujet des commissions d’enquête. Celles-ci resteront donc l’objet d’un droit de tirage non encadré. Simplement, observons notre propre bilan : nous mobilisons-nous suffisamment et consacrons-nous le temps que nous souhaiterions aux commissions d’enquête que nous créons ? Nous n’avons pas encore trouvé de solution satisfaisante sur ce point.
Il nous faut maintenir et respecter le droit de tirage. La conduite des opérations au sein d’une commission d’enquête, quant à elle, demandera une réflexion supplémentaire afin d’être moins consommatrice de temps pour les parlementaires. Le nombre de parlementaires qui s’y consacrent devra probablement être réduit.
Nous avons, en outre, eu le sentiment, au sein du groupe de réflexion, et je me tourne de nouveau vers nos collègues du RDSE, que l’évolution que nous souhaitions sur le déroulement des séances de questions d’actualité au Gouvernement n’avait pas abouti. Trop souvent, même en deux minutes au lieu de deux minutes et demie, nos questions d’actualité sont de petits discours et non de véritables questions. Le déroulement actuel, avec une réponse du Gouvernement, qui est ce qu’elle est et tient compte bien sûr d’éléments de tactique politique, sans réponse du parlementaire ne permet pas une véritable dynamique. La solution qui se dégage à la suite de la discussion me semble constituer une bonne évolution.
Nous avons amélioré la gestion du temps législatif afin d’inciter chaque sénateur à assister davantage et à participer davantage à la séance publique, qui est à la base de notre mission partagée.
Les discussions générales et la défense des motions seront plus brèves, ce qui favorisera une attention plus soutenue. Nous savons bien que la succession de discours unilatéraux, pour l’essentiel lus et qui ne se répondent pas, conduit beaucoup de parlementaires à suivre avec une certaine distraction…
M. Bruno Retailleau. Pour ne pas dire « avec peu d’attention » !
M. Alain Richard. … une discussion générale trop prolongée.
Je crois donc que nous avons fait œuvre de sagesse. Les temps d’expression sur chaque thème de discussion - amendements, prises de position, etc. -, seront plus courts. C’est un choix partagé, parce que c’est le moyen de dynamiser la discussion et de faire en sorte que chacun s’y intéresse et s’y sente participant.
Puis – nous en avons peu parlé –, nous avons introduit, après réflexion, un mécanisme de temps concerté, dont nous avons vu, par exemple avec le projet de loi sur la croissance et l’activité, qu’il aurait pu être utile. Quand on sait que l’on va utiliser dix ou douze jours de séance sur un texte qui comprend 200 articles, comment s’organiser pour que les cinquante derniers articles ne soient pas expédiés en une séance de nuit ? Eh bien, en se concertant entre groupes de façon préliminaire pour essayer loyalement, entre partenaires du débat, de partager le temps de séance de façon équitable entre les différents objets de la loi. Je crois que nous avons bien fait également de retenir cette solution.
Il reste des sujets qui seront soumis à l’autorégulation, qui ne peuvent pas être tranchés dans le règlement : c’est le nombre d’amendements qui seront déposés, qui souvent se reproduisent les uns les autres et qui tendent aussi à reproduire des amendements dont on a discuté et sur lesquels il a été statué en commission ; c’est la répétition entre commission et séance plénière ; c’est le nombre de scrutins publics qui ne sont évidemment pas un élément propre à dynamiser la discussion et à la rendre vivante.
L’exercice d’introspection et de prospective auquel nous nous sommes livrés conduira, je crois, à ce que nous soyons les uns et les autres plus prudents.
Un dernier mot, puisque j’ai parlé des médias, pour dire que, évidemment, une partie de l’effet de cette réforme dépend de notre capacité à les aider à évoluer et à faire eux aussi un travail un petit plus exigeant.
Si les médias faisaient un effort pour tenter d’évaluer l’apport politique de chaque sénatrice et de chaque sénateur autrement qu’en fonction de critères purement quantitatifs ? Qu’ils essayent de s’intéresser et donc d’intéresser le public au fond de ce que nous disons et aux changements que nous sommes capables d’apporter à un projet une fois que nous en sommes saisis !
S’ils faisaient un effort pour rendre compte au public, que cela intéresse, de la réelle fabrication de la loi et pas simplement des effets de séance momentanés qui font un petit écho et qui disparaissent dans l’oubli, je crois qu’ils rendraient justice à une institution républicaine qui le mérite.
Nous avons une volonté, je crois, largement partagée de rationalisation et je voudrais conclure par un constat politique. Malgré le flot de commentaires défavorables qui accablent souvent cette institution, nous constatons, dans les enquêtes, qu’une large majorité de citoyens français souhaitent le maintien et l’amélioration du rôle de notre assemblée parlementaire, ce qui est, me semble-t-il, une façon de remettre à leur juste place les hypothèses hasardeuses qui peuvent être imaginées ici ou là. Raison de plus pour que, collectivement, nous progressions avec détermination dans l’évolution de nos méthodes, et on peut considérer, à cet égard, le choix commun que nous allons faire ce soir comme un réel progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, que je veux également remercier pour le copilotage du groupe de réflexion.
M. Jean-Vincent Placé. Excellent Roger Karoutchi !
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, mes chers collègues, sommes-nous là pour défendre le Sénat ? Sommes-nous là dans une démarche corporatiste ?
Nous avons la conviction, pleinement partagée par le président de notre assemblée, que le bicamérisme est un « plus ». Dans le débat législatif, compliqué, long, parfois déconnecté des réalités du quotidien, disposer de la capacité de réflexion et du temps de la commission, pouvoir en quelque sorte améliorer la sensibilité des textes, est une nécessité absolue.
Les lois de circonstance, les lois d’urgence, les lois opportunistes encombrent le calendrier législatif et n’apportent rien, ou pas grand-chose.
Nous avons besoin d’un bicamérisme, certes raisonné, mais complet. Or les attaques dirigées contre le Sénat, d’où qu’elles viennent et quelles qu’elles soient, parfois partisanes, parfois politiciennes, sont assez peu centrées sur la qualité du travail parlementaire : le travail parlementaire de qualité nécessite le bicamérisme et la réflexion qu’il permet.
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. Roger Karoutchi. Pour ce qui est du temps législatif, j’étais au cabinet de Philippe Séguin lorsque les deux sessions ont été remplacées par la session continue, nouveauté qui était présentée à l’époque comme la merveille absolue.
M. Christian Cambon. Ce n’est pas une réussite ! (Marques d’approbation sur certaines travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Avec la session unique, disait-on, nous ne siégerions plus que le mardi, le mercredi et le jeudi, mais plus jamais le lundi et le vendredi, plus jamais le soir… Bref, le travail serait absolument cadré ! (Sourires.)
Et puis, la nature ayant horreur du vide, les gouvernements, de gauche comme de droite, ont rempli l’agenda.
Et puis, les parlementaires, de droite comme de gauche, se disant qu’en tout état de cause ils étaient au Sénat en permanence, ont multiplié les amendements
Finalement, en vingt ans, on est passé de la discussion de textes législatifs relativement courts, assez peu amendés et centrés sur l’essentiel, à des débats de plus en plus longs sur des lois de plus en plus bavardes, mélangeant dispositions réglementaires et législatives.
Résultat des courses : le Parlement – et pas seulement le Sénat, monsieur le président – travaille mal et prend beaucoup de temps pour ce faire. Or l’opinion publique croit qu’une mesure annoncée par un ministre au journal de 20 heures sera applicable le lendemain ! Lorsqu’on explique à nos concitoyens qu’un texte examiné selon la procédure accélérée sera adopté dans quatre à cinq mois, ils trouvent que nous sommes vraiment lents ; quand on leur annonce qu’un texte relevant de la procédure normale sera peut-être voté d’ici à un an, ils estiment que l’on se moque d’eux et se demandent à quoi nous pouvons bien occuper notre temps !
Les Français souffrent ; alors qu’ils attendent que nous votions des lois, ils pensent que le Parlement passe son temps à bavarder, sans s’occuper d’eux : voilà la vérité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Le président Larcher a souhaité cette réforme, qu’Alain Richard et moi-même avons mise en musique, en concertation notamment avec les présidents de groupe et les présidents de commission.
Cette réforme n’est pas destinée à entraver le travail parlementaire. Elle est conçue pour répondre à une seule et unique obsession : comment rendre le travail parlementaire plus lisible ? Il faut que le citoyen qui assiste à une séance dans l’hémicycle ou qui suit nos travaux sur internet se dise que les choses avancent, que cela donne des résultats. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans l’excès. Il ne s’agit en aucun cas de travailler sous la pression constante du temps et l’œil rivé sur le chronomètre, à la minute près.
Dans le même temps, si nous ne voulons pas que l’opinion publique verse dans l’antiparlementarisme que nous avons si souvent connu dans ce pays, si nous voulons que, au sein du rapport de force et d’équilibre avec l’Assemblée nationale, le Sénat puisse jouer tout son rôle dans la fabrication de la loi, il faut que la séance publique porte sur l’essentiel.
Je ne vais pas revenir longuement sur la question des temps de parole pour présenter les amendements, les explications de vote, ou sur le temps tout court. Simplement, nous devons faire passer cette idée que nous sommes capables de faire la loi dans cet hémicycle de manière rapide et claire, en traitant les problèmes essentiels, et non ceux qui sont secondaires ou d’ordre réglementaire. Cela signifie que le temps du travail en commission est essentiel. C’était d’ailleurs le sens de la réforme de 2008.
Le travail des commissions doit donc être mieux organisé, mieux centré, pour permettre d’aboutir à une proposition de la commission qui soit globale et politique, proposition dont on débattra ensuite dans l’hémicycle.
Il est indispensable de rendre au Parlement le pouvoir politique, le pouvoir de faire la loi – et pas seulement sur des aspects secondaires ! – si l’on veut que l’exécutif, qu’il soit de gauche ou de droite, ne soit pas toujours plus puissant face à un législatif qui apparaît toujours plus divisé ou toujours plus mobilisé par des considérations circonstancielles ou mineures.
Tel est l’objet de cette réforme. Je le dis au président Mézard, il n’est aucunement question de réduire le droit d’amendement, c'est-à-dire le pouvoir de chaque parlementaire d’affirmer sa part de vérité, de dire comment il voit la loi, parce qu’il est essentiel.
Si l'on veut une bonne loi, il faut que chacun puisse s’exprimer sur le fond et faire éventuellement adopter ses propositions, car c’est le vote qui est la base de la démocratie parlementaire. Je le redis, ce droit est essentiel.
Mais nous devons d’abord nous en convaincre nous-mêmes : les sénateurs doivent se dire qu’il faut être plus présent dans l’hémicycle, car c'est là qu’a lieu le véritable débat politique, après le travail de fond mené en commission.
Il ne faut pas penser que nous allons perdre des centaines d’heures dans l’hémicycle. Au contraire, le débat en séance publique sera centré et l’on pourra exprimer ses propres idées politiques et sa part de vérité, tout ce qui nous a conduits à être candidats pour représenter le peuple français.
Le temps parlementaire, c'est celui des commissions et celui de l’hémicycle. Nous avons tous là, quelles que soient nos appartenances politiques, un véritable sujet.
Lorsque l’on est membre d’un gouvernement, comme je l’ai été – et je parle devant mes collègues de gauche ou de droite qui ont comme moi été ministres –, on a le sentiment que le débat au Parlement va faire traîner les choses et qu’il va falloir y passer des heures, à l’exception de celui qui est chargé des relations avec le Parlement, qui est, lui, obligé « d’arranger les bidons ». (Sourires.)
En réalité, il faut établir un rapport non pas de force, mais d’équilibre. Car l’exécutif peut se tromper, préparer de mauvaises lois, avoir une vision qui n’est pas suffisamment éclairée par le peuple français et par ses représentants. Cet équilibre doit se traduire par un travail approfondi en commission, pour un débat plus rapide en séance.
À partir de ce constat, Alain Richard et moi-même avons formulé, sous la houlette du président du Sénat, des propositions qui vont dans le sens d’un meilleur équilibre entre la séance plénière et les commissions.
Des sanctions, nous en avons prévu. Je n’en suis pas absolument fanatique, car il faut en réalité faire en sorte que les parlementaires aient davantage envie de participer à l’élaboration de la loi. Mais ces sanctions sont nécessaires, au moins dans un premier temps, pour que des rythmes s’installent et que des habitudes se prennent.
Le meilleur partage de l’agenda, pour éviter que ne se tiennent en même temps des réunions de délégation ou de commission et la séance dans l’hémicycle, doit permettre de rendre le Sénat plus visible et plus lisible, et son travail plus performant.
Chaque sénateur doit pouvoir se dire que son mandat au sein de la Haute Assemblée n’est pas juste un « plus » dont il a besoin par rapport à son mandat local auquel il serait préférable de se consacrer parce que l’on perdrait décidément trop de temps au Sénat.
Non ! Chacun doit avoir le sentiment, lorsqu’il est dans l’hémicycle, qu’il existe, qu’il compte, qu’il apporte sa « part » politique. C'est à ce résultat que nous devons aboutir grâce à la meilleure répartition du travail entre commissions et séance publique, grâce aussi aux sanctions, qui permettront aux sénateurs de prendre de nouveaux rythmes et l’habitude d’être présents.
Monsieur le président, pour répondre à la question que je posai en commençant, ce n’est pas par corporatisme que nous défendons notre assemblée, mais pour chercher cet équilibre qui nous est nécessaire dans notre démocratie, de plus en plus contestée, et dans notre République, de plus en plus fragilisée par les égoïsmes. Pour cela, nous avons besoin que le bicamérisme fonctionne. Avec cette réforme, le Sénat retrouvera clarté, lisibilité et visibilité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)