Mme Laurence Cohen. L’article 76 est censé fixer les contreparties accordées aux salariés privés du repos dominical.
L’ouverture dominicale dans les zones touristiques internationales, les zones touristiques et les zones commerciales est conditionnée à la conclusion d’un accord collectif prévoyant des contreparties pour les salariés privés d’un tel repos.
Cet article constitue donc, Mme David vient de le rappeler, le cœur de l’équilibre trouvé par le Gouvernement entre, d’un côté, l’extension généralisée du travail le dimanche et, de l’autre, les contreparties accordées aux salariés. Nous en demandons la suppression pour trois raisons.
Premièrement, nous sommes et demeurons opposés au travail le dimanche et à sa généralisation. Aussi, plutôt que de choisir la solution qui consiste à simplifier les règles de dérogation au repos dominical en le généralisant, il aurait mieux valu simplifier les règles en restreignant tout simplement les dérogations.
Deuxièmement, nous considérons que les salariés ne sont pas assez protégés et que l’État doit fixer un plancher minimal de contreparties. Nous avons proposé un doublement des salaires dans les zones touristiques et les zones commerciales et un triplement dans les zones touristiques internationales. Nous pensons que les accords collectifs doivent permettre d’aller au-delà de ce socle minimal en accordant d’autres contreparties. Pour nous, la règle du « plus protecteur et du mieux-disant » doit s’appliquer.
Troisièmement, l’équilibre vanté par le Gouvernement est rompu dans le texte présenté par la commission spéciale, dans la mesure où les entreprises de moins de onze salariés sont exonérées de l’obligation de conclure un accord collectif. Je voudrais insister sur ce dernier point, et relever une réalité : ce sont majoritairement des femmes qui travaillent le dimanche et en soirée, voire de nuit, dans les magasins en cause. Par ailleurs, 90 % des entreprises de vente au détail sont des petits magasins, avec des effectifs inférieurs à onze salariés.
Lorsque la droite a déposé un amendement à cette fin, elle savait très bien qu’elle remettait complètement en cause le prétendu équilibre trouvé par le Gouvernement.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons de supprimer l’article 76.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 477.
M. Jean Desessard. Je vous l’accorde, monsieur le ministre, votre démarche, à savoir « pas de contreparties, pas d’ouverture le dimanche » pouvait être considérée comme intéressante. Bien sûr, nous remettions en cause l’inégalité de telles contreparties. La précarité progressant dans le pays, les salariés ne sont pas toujours en mesure de s’opposer à telle ou telle proposition. Quoi qu’il en soit, le dispositif que vous défendiez se tenait. J’imagine d’ailleurs que certains amendements visent à réintroduire cette idée.
Pourtant, la commission spéciale est allée plus loin, décidant que, pour certaines entreprises, il n’y aurait pas de contreparties, parce que cela ferait peser sur elles des charges supplémentaires. On voit très bien le raisonnement ! Il y aura toujours une bonne raison économique pour ne pas accorder de droits sociaux ou pour revenir sur des droits sociaux.
À partir du moment où l’on a admis l’idée qu’il fallait développer au maximum l’économie, la concurrence ne peut que s’intensifier entre entreprises, entre communes, entre territoires, et on arrivera à ce que le travail dominical, qui entraînera des contreparties de moins en moins importantes, devienne la règle. En effet, pourquoi prévoir des contreparties si c’est la règle ?
Le présent amendement vise donc à supprimer l’article 76.
M. le président. L’amendement n° 785 n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 70 et 477 ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. L’article 76 conditionne l’ouverture le dimanche des commerces situés dans les zones commerciales, les zones touristiques et les zones touristiques internationales à la conclusion d’un accord fixant des contreparties en faveur des salariés.
Il impose également aux employeurs situés dans les zones touristiques d’offrir des contreparties à leurs salariés, ce qui, en l’état actuel du droit, n’est pas le cas.
Les débats se sont concentrés sur la question du niveau de ces contreparties et sur l’opportunité d’en fixer le seuil minimal dans la loi. La commission spéciale s’est opposée à cette dernière proposition.
En effet, l’objet de la mesure est de renforcer le dialogue social pour les dérogations pérennes au repos dominical et de privilégier un accord à des contreparties fixées par la loi, exception faite du doublement du salaire concernant les dimanches du maire déjà prévu.
Une fois ce principe établi, comme l’ont souligné plusieurs représentants des salariés et des employeurs que la commission spéciale a auditionnés, il appartient aux partenaires sociaux, dans le cadre du dialogue social au niveau de la branche, de l’entreprise, de l’établissement ou du territoire, de définir le contenu concret de ces contreparties, qui ne doivent pas se limiter à des considérations salariales ou à un repos compensateur ; on peut également imaginer qu’elles prennent la forme d’un accompagnement des salariés les plus précaires, d’un accès facilité à la formation professionnelle pour ceux qui seraient privés du repos dominical ou, dans le cadre des ZTI, pour ceux qui travaillent en soirée.
Le choix de responsabiliser les représentants des salariés et des employeurs est de nature à développer le dialogue social dans l’entreprise. Il s’inscrit dans la continuité des décisions prises depuis 2004, afin de donner un rôle central à la négociation collective dans la détermination des règles portant application des principes généraux du droit du travail.
Néanmoins, la commission spéciale a apporté deux modifications à l’article 76 dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Elle a en effet rétabli la possibilité, à titre subsidiaire, pour les commerces situés dans les ZTI, les zones touristiques et les zones commerciales d’ouvrir le dimanche sur la base d’une décision de l’employeur approuvée par un référendum organisé auprès des employés, en l’absence d’accord collectif. Je rappelle que cette faculté figurait dans le texte initial du projet de loi et a disparu lors de son examen par l’Assemblée nationale ; il ne s’agit donc pas d’une proposition totalement farfelue et qui ne serait mise en œuvre qu’en dernier recours.
La commission spéciale a considéré qu’il serait désastreux, en matière d’affichage, mais également d’activité, que le présent projet de loi offre des possibilités d’ouverture dominicale accrues dans des zones particulières où les conditions économiques le nécessiteraient, mais que ces facultés restent purement virtuelles en raison du blocage du dialogue social dans une branche, une entreprise ou un établissement. La décision de l’employeur sera soumise aux mêmes obligations de contreparties que les accords, en termes de salaire ou de compensation des charges induites par la garde des enfants, entre autres. Elle devra être approuvée, lors d’un référendum, par la majorité des salariés concernés. Il s’agit donc de donner le dernier mot, en cas de blocage, aux salariés et à l’employeur.
Enfin, conformément à l’une des recommandations du rapport Bailly, la commission spéciale a exonéré les commerces de moins de onze salariés situés dans les zones touristiques de l’obligation d’être couverts par un accord collectif – les restaurants conservent leurs dérogations dominicales en l’état. Elle a en effet tenu compte des observations des maires des communes de montagne ou des communes balnéaires, selon lesquels fixer trop de contreparties pourrait entraîner la fermeture de commerces qui participent à l’animation des centres-villes des communes touristiques.
Elle a donc exonéré les commerces de petite taille, en pensant que les autres, dans les trois ans qui viennent, devraient parvenir à déterminer les contreparties de toute nature dans le cadre du dialogue social.
La commission spéciale émet donc un avis défavorable sur ces amendements de suppression. Je m’exprimerai plus longuement sur les autres amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. L’article 76 définit les modalités des accords qui sont la condition de l’ouverture le dimanche dans les zones touristiques, les zones touristiques internationales et les zones commerciales. Il renvoie à ces accords la responsabilité de définir le niveau des compensations au travail dominical.
Le principe que nous avons retenu et constamment défendu est le suivant : dans tous les secteurs, ces accords sont la condition préalable à l’ouverture le dimanche, en raison de notre volonté d’homogénéiser et de simplifier les règles. Je comprends la préoccupation exprimée notamment par M. Desessard sur ce point, puisqu’il est vrai que la commission spéciale a rétabli une proposition initiale du Gouvernement.
J’insiste sur une difficulté : nous avons fini par estimer qu’il convenait que l’obligation de conclure un accord s’applique à tous les commerces, quelle que soit leur taille, parce que nous constatons que, dans beaucoup d’endroits, le seuil de onze salariés peut être un instrument de contournement – un amendement du groupe socialiste aborde ce point. Ainsi, certains points de vente, généralement détenus par de grandes enseignes, emploient moins de onze salariés. Si l’on renvoie la compensation à un accord, mais que les commerces de moins de onze salariés ne sont pas soumis à l’obligation de conclure un tel accord et peuvent décider de manière unilatérale d’ouvrir le dimanche, on crée de fait un biais qui peut profiter à de plus grandes structures.
Je suis tout à fait ouvert à l’idée que l’on puisse trouver une solution pragmatique plus intelligente que celle que prévoit le texte actuel, mais je pense que cette exemption crée un élément de fragilité au regard de la cohérence d’ensemble de ce projet de loi et de l’équité. En effet, nous proposons à tous les salariés qui travaillent le dimanche la protection que constitue l’accord collectif.
Nous pouvons avoir des différences d’appréciation, en fonction de nos différentes sensibilités, sur la réalité de l’accord collectif. Ces divergences sont tout à fait respectables et elles font partie de la discussion démocratique que nous menons depuis plusieurs semaines sur le présent texte. Il n’en demeure pas moins que la proposition de la commission spéciale renvoie les salariés des plus petits commerces à la décision unilatérale de leur employeur après référendum. Les accords fixeront les contreparties accordées, afin que celles-ci correspondent le mieux possible aux nécessités du terrain.
Comme nous souhaitons que les commerces de moins de onze salariés soient couverts par un accord, il a fallu prévoir la situation des entreprises ne disposant pas de parties pour discuter, faute de représentants du personnel. C’est pourquoi l’article 76 fait référence aux modalités de négociation des accords de maintien de l’emploi institués par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Ce texte prévoit que l’accord peut être négocié avec des représentants du personnel mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche ou, à défaut, au niveau national ou interprofessionnel. En l’absence de représentant élu du personnel, un salarié peut être mandaté et tout accord conclu selon ces modalités doit ensuite être approuvé par les salariés.
Nous nous sommes servis de cette disposition de la loi relative à la sécurisation de l’emploi comme d’une « accroche », sans qu’il y ait aucun rapport à établir quant au fond, pour nous assurer que, dans tous les cas, un accord pourra être négocié en s’appuyant sur une organisation, puisque nous vivons encore dans un régime où les entreprises de moins de onze salariés n’ont pas une couverture syndicale parfaite. Il faudra ensuite prendre en compte les modifications que le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi introduira, notamment la couverture à l’échelon régional qui sera offerte aux salariés des entreprises de moins de onze salariés. À ce stade, il était important d’indiquer une méthodologie claire applicable à ces entreprises.
Là aussi, il y aura un débat. Nous pouvons avoir des désaccords avec la commission spéciale, mais la référence aux accords de maintien de l’emploi n’a pour objet que d’indiquer le modus operandi. Je suis prêt à vous donner de plus amples précisions, monsieur le sénateur, si je n’ai pas parfaitement répondu à votre interrogation.
Reste enfin la question des modalités d’entrée en vigueur, que nous aborderons à l’occasion de l’examen de l’article 82. Je tiens cependant à préciser qu’un délai d’adaptation est prévu pour les entreprises qui sont couvertes, ou non, par des accords dans les zones où les commerces sont ouverts. Le texte initial du Gouvernement prévoyait un délai de trois ans, ramené à deux ans par l’Assemblée nationale ; la commission spéciale du Sénat propose de le rétablir à trois ans. Nous laissons donc aux entreprises un délai raisonnable pour leur permettre de s’adapter et de conclure partout des accords.
Cet élément me semble important, puisque nous avons vu s’exprimer, ces dernières années, des volontés successives, émanant de toutes les sensibilités politiques, de faire vivre le dialogue social dans ce pays pour accompagner la transformation économique. Je ne crois pas qu’une telle transformation soit possible sans que les acteurs sociaux puissent l’accompagner, avec les protections adéquates. Quand on essaie de faire passer une réforme sans prendre en considération la régulation sociale qui existe dans l’entreprise, on s’expose à ce qu’elle ne fonctionne pas et qu’il y ait un retour de balancier.
Lorsque l’on se fixe des objectifs ambitieux, mais dans des délais trop courts, on n’arrive à rien. Nous l’avons vécu cruellement nous-mêmes au sujet du travail à temps partiel : nous nous étions donné six mois pour mener à bien cette réforme ; ce délai n’était pas tenable et nous avons repoussé cette réforme de six mois en six mois, ce qui n’est pas bon pour la vie des entreprises.
Lorsque l’on fait confiance au dialogue social, tout en se fixant des objectifs, mais sans éléments de contrainte, ce dialogue prend du temps, ses acteurs ayant parfois tendance à la procrastination, qu’il s’agisse des représentants patronaux ou des syndicats, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître. Le pacte de responsabilité et de solidarité prévoyait de conclure des accords de branche et, j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, la couverture n’est pas encore satisfaisante aujourd’hui.
Nous sommes dans un cas typique où prendre le risque du dialogue social peut s’avérer judicieux. Le principe « pas d’accord, pas d’ouverture » est une bonne règle, parce qu’il met chacun face à ses responsabilités.
Il faudra dénoncer celles et ceux qui, voulant ouvrir le dimanche, ne sont pas capables d’obtenir le consensus dans leur entreprise, leur branche, leur territoire ou leur groupe pour trouver les voies et moyens de compenser cette ouverture et de convaincre les salariés. Il faudra aussi dénoncer celles et ceux qui, par principe, veulent tout bloquer : en effet, il faut bien le dire, certains employeurs qui voudraient ouvrir le dimanche et sont prêts à accorder des compensations se heurtent à des partenaires sociaux qui ne veulent rien entendre. Ces deux types de blocage devront donc être dénoncés.
Je constate cependant que, partout où l’on a laissé sa chance au dialogue social, la démocratie sociale a fait gagner les réformistes. Partout où l’on a permis à des accords de compétitivité ou à des accords de maintien de l’emploi d’être conclus, les réformistes ont gagné. C’est ce principe de respiration démocratique qui fait que j’adhère profondément à la philosophie de l’article 76 – même s’il faudra bien sûr aller le plus vite possible !
Pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Ces deux amendements visent à supprimer un article annoncé il n’y a guère comme très important. L’article 76 donne son sens à toutes les dispositions relatives au travail dominical dont nous débattons depuis ce matin.
En effet, cet article fixe le cadre de la négociation sur les contreparties à l’ouverture du dimanche. Il est donc très paradoxal de vouloir le supprimer, même si c’est en raison d’une opposition de principe. Je veux pouvoir débattre avec Mme la corapporteur qui propose, au nom de la commission spéciale, de renvoyer à une décision unilatérale de l’employeur, après référendum, en cas d’échec des négociations. Nous ne sommes pas d’accord, mais nous voulons en discuter, à l’intérieur d’un cadre.
Par ailleurs, j’adhère au plaidoyer que vient de faire M. le ministre en faveur d’une double avancée, économique et sociale, et je veux que cette double préoccupation subsiste. C’est sur ce point que la discussion va se concentrer, mais rien ne serait pire que d’en rester au statu quo parce que des blocages existent de part et d’autre.
Reste ensuite à savoir où placer le curseur, c’est vrai ! C’est souvent le cas, d’ailleurs, lors de la discussion de textes aussi importants. La position du Gouvernement, que nous soutenons, consiste à protéger les salariés – c’est là que le curseur doit être bien placé, notamment en ce qui concerne la compensation salariale – en privilégiant l’accord et la négociation, tout en se préoccupant aussi de la microéconomie, car il est vrai que certains commerces ne sont pas en mesure de supporter les compensations et risquent d’être obligés de cesser leur activité. L’exercice est délicat, mais il est passionnant !
Il n’est donc pas cohérent de demander la suppression de l’article 76, parce que le reste des dispositions relatives au travail dominical perdrait son sens, de même que la démarche politique du Gouvernement, qui consiste à avancer sur deux jambes, l’économie et le social. Nous privilégions la voie de l’équilibre, même si celui-ci n’est pas facile à tenir, car il faut avancer sur une ligne de crête, mais c’est le seul moyen de faire progresser la société française, tout en produisant quelques dixièmes de point de croissance et d’emploi supplémentaires. Il faut donc emprunter cette voie et rejeter la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Comme vous l’imaginez, mes chers collègues, je vais développer des arguments quelque peu différents. La croissance dépend plus de l’évolution de facteurs macroéconomiques mondiaux, comme la baisse du prix du pétrole ou la parité entre l’euro et le dollar, que de mesures d’assouplissement évoquées !
Mme Nicole Bricq. Il faut les deux !
Mme Évelyne Didier. Pour notre part, nous défendons une définition claire des contreparties accordées aux salariés. Comme nous l’avions indiqué dans l’exposé des motifs de notre proposition de loi qui, je le rappelle, avait été adoptée à l’époque par tous les groupes de gauche, nous sommes pour la garantie d’un repos compensateur et d’un salaire double pour les heures travaillées le dimanche.
De plus, nous sommes fermement opposés à la mesure proposée par la droite sénatoriale qui vise à exempter les entreprises de moins de onze salariés de compensation.
Dans le secteur du commerce, deux tiers des salariés, soit 2,8 millions, sont employés dans des TPE. Nous ne pouvons pas accepter qu’ils doivent travailler le dimanche sans compensation ! Cela créerait une différence de traitement entre les salariés des diverses catégories d’entreprises. Surtout, nous connaissons l’ingéniosité de certains quand il s’agit de moins-disant social ! Ainsi, ce seraient beaucoup plus de 2,8 millions de salariés qui seraient amenés à travailler le dimanche en l’absence d’accord garantissant les contreparties.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous souhaitons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Une fois n’est pas coutume, je suis en désaccord avec la suppression de cet article ! Pour moi, la question des compensations est en effet centrale au regard du travail du dimanche. Par ailleurs, ceux qui travaillaient en zone touristique n’avaient jusqu’à présent pas droit à des compensations. Le fait d’ouvrir le champ des compensations à l’ensemble du territoire constitue en soi un progrès. Il reste à savoir comment analyser et définir ces compensations.
Je suis pour ma part assez favorable à ce que le dialogue social soit la base des discussions et de la négociation sociales. Mais quel est le bon cadre ? On tend aujourd’hui à nous démontrer que le monde est tellement complexe qu’il faut mener les négociations au niveau de chaque entreprise plutôt que de fixer un cadre collectif par des accords de branche. Et chacun de nous expliquer que les organisations syndicales sont tellement compétentes que, dans chaque entreprise, elles défendront au mieux les intérêts des travailleurs, ce dont je ne doute pas.
Le problème, c’est que ces travailleurs se trouvent eux-mêmes mis en concurrence les uns par rapport aux autres entre entreprises. Et il n’est pas difficile d’expliquer aux salariés d’une petite structure que, à défaut d’accepter des compensations moindres, l’entreprise va perdre en compétitivité par rapport à sa voisine qui ouvre le dimanche… Cette logique a d'ailleurs amené les libéraux à préférer d’une manière générale les accords d’entreprise aux accords de branche ou aux accords interprofessionnels.
Pour ce qui me concerne, je n’approuve pas du tout le principe selon lequel la négociation d’entreprise serait le cadre privilégié pour définir les compensations. En revanche, celle-ci peut être complémentaire à la loi. Et je reste convaincue que le doublement du salaire doit être une obligation légale. On nous indique qu’une telle disposition ne sera pas rentable pour certains commerces, ce qui prouve bien la fragilité de l’argument consistant à défendre l’ouverture des commerces le dimanche ! De plus, s’agissant du doublement de la rémunération, le secteur du commerce est, je le rappelle, l’un de ceux qui bénéficient du CICE et il n’est pas réellement confronté à la concurrence mondiale. C’est dans ce secteur que l’on trouve souvent les entreprises qui ont fait le moins d’efforts pour stimuler les salaires et créer des emplois.
Donc, des marges de manœuvre existent pour faire en sorte que ce doublement de la rémunération en cas du travail le dimanche soit acquis.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je serai moins lyrique que Nicole Bricq sur le côté novateur de l’article 76 ! J’y vois non une deuxième jambe mais une prothèse. Elle me paraît bonne à saisir et pour une fois qu’un article nous propose quelque chose qui va dans le sens qui nous convient le plus, il serait quand même dommage de le supprimer!
M. Jean Desessard. Alors, il est de gauche le ministre !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Il serait d’autant plus dommage d’avoir un débat caricatural que nous sommes dans le cœur du sujet et pouvons être utiles aux salariés.
Il s’agit de sanctuariser, à travers le présent article, qui peut être modifié – j’ai d'ailleurs déposé un amendement à cette fin –, l’idée de n’autoriser l’ouverture d’un établissement que si un accord a été conclu.
À partir du moment où on ne veut pas mettre de côté les commerces de moins de onze salariés, il faut trouver le cadre qui unifie, et ce n’est pas évident. En effet, tout le monde sait que dans une entreprise de grande dimension, le rapport de force syndicale et les possibilités propres à l’entreprise peuvent permettre une compensation salariale suffisamment importante, en tous les cas très notable.
Il n’en va pas de même dans certaines branches : dans certains territoires, des petits commerces ne peuvent faire autrement qu’ouvrir le dimanche tout simplement parce qu’ils réalisent leur chiffre d’affaires ce jour-là. Je pense notamment aux petits magasins de sport qui sont proches des pistes de ski et dont la clientèle afflue le samedi et le dimanche, alors qu’elle les déserte en milieu de semaine. La situation est la même dans les stations balnéaires et pour un certain nombre de secteurs d’activité. Si vous décrétez, mes chers collègues, une majoration de salaire de l’ordre du doublement, ces petites boutiques de sport vont fermer brutalement, du jour au lendemain.
À cet égard, à l’Assemblée nationale, certains ont fait avancer le débat en admettant qu’on ne peut pas aller jusqu’au doublement et en proposant de fixer un montant minimal de compensation salariale. Pourtant, une telle mesure peut tourner au désavantage de ceux qui auront la capacité de négocier un montant maximal. En effet, si un curseur est déterminé dans la loi, je vois mal le patronat accepter d’aller plus loin. Qui veut le plus obtient parfois le moins !
Par ailleurs, il est évident, je l’ai entendu dire dans le débat public, que personne n’engagera de négociation, que personne ne signera d’accord s’il n’y a pas de compensation. Et sans accord, il ne pourra pas y avoir d’ouverture le dimanche. Puisqu’il y a ce doute, il faut prendre acte du fait que la base minimale, c’est la compensation. Ensuite, elle sera fixée dans le cadre de l’accord.
Pour autant, si on décide de l’établir à 10 % ou 20 %, on empêche ceux qui peuvent aller au-delà d’obtenir plus. Et si on impose le doublement de la rémunération, quantité d’entreprises – notamment celles de moins de onze salariés – ne pourront pas tenir le choc. Souvent, elles remplacent les majorations salariales par des repos compensateurs pendant la semaine. C’est notamment le cas en montagne – madame David, vous connaissez la situation dans ces régions. C’est leur mode de vie, elles sont organisées ainsi.
Je voulais recadrer les choses et ainsi préparer la défense de l’amendement que j’ai déposé afin de tenter de répondre à cette difficulté. Je veux qu’il soit pris acte de la détermination d’une compensation. Cette précision est importante, car la rédaction actuelle peut donner à penser qu’il sera possible de donner la même rémunération le dimanche qu’en semaine. C’est impossible à accepter. Cette crainte, je la comprends, et je pense pouvoir faire avancer le débat en précisant ainsi davantage les choses.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. La dernière intervention de David Assouline démontre bien que la rédaction actuelle du texte qui nous est soumis ne répond pas à cette inquiétude. Lui-même va en effet présenter un amendement destiné à répondre aux difficultés d’interprétation que suscite cette rédaction.
M. David Assouline. Alors, votez-le !