Mme la présidente. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Gremillet. Pour toutes ces raisons, je m’oppose à cette proposition de résolution et j’en appelle au principe de précaution appliqué cette fois à la survie de notre agriculture. Je suis hostile au moratoire, mais je suis favorable à un travail approfondi de recherche consacré à l’impact des néonicotinoïdes sur l’environnement au sens large.
Nous nous sommes munis d’agences de recherche ; servons-nous en pour établir des chiffres sur la base desquels nous pourrons inventer l’agriculture de demain, via une démarche responsable à l’égard de notre agriculture et de notre écosystème.
Mon groupe votera majoritairement contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
(M. Jean-Pierre Caffet remplace Mme Isabelle Debré au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis cet après-midi pour discuter d’un sujet qui fait consensus en ce sens que nous sommes tous parfaitement conscients des risques liés à l’usage d’un certain nombre de pesticides, tant pour les insectes pollinisateurs que pour la santé humaine, car ces molécules agissent comme des perturbateurs endocriniens.
J’ai écouté le discours enflammé de Joël Labbé, marqué par sa sensibilité très forte sur le sujet. La proposition de résolution dont il est l’auteur invite donc logiquement le Gouvernement, sinon à interdire tous les néonicotinoïdes, du moins à agir en ce sens au niveau européen.
Au cours du débat, chacun a avancé des preuves scientifiques, mais, comme l’a souligné à juste titre M. Savary, il existe des arguments pour et des arguments contre l’utilisation de ces substances.
Je souhaite rappeler la position qui est celle du Gouvernement et expliquer pourquoi je ne suis pas favorable à l’adoption de cette proposition de résolution. Non que je n’aie pas conscience des risques encourus ou de la nécessité d’agir, mais parce que, pour agir efficacement, car tel doit être notre objectif, nous avons besoin d’ordre et de méthode, en particulier pour agir au niveau européen. En effet, lorsque l’on engage un débat à l’échelle européenne, il faut, pour atteindre la cible que l’on s’est fixée, disposer au bout du compte de la majorité nécessaire.
Prenons la question des pollinisateurs et en particulier des abeilles, qui ont été évoquées par beaucoup d’entre vous.
Il est vrai que la France a enregistré un fort accroissement du taux de mortalité des abeilles, qui s’est accompagné d’une chute de la production de miel. J’ai constaté à mon arrivée au ministère de l’agriculture que l’origine de cette mortalité était multifactorielle. Parmi les différentes causes, bien sûr, il faut compter les pesticides. C’est d’ailleurs pourquoi, convaincu de ce fait, j’ai interdit dès ma nomination le Cruiser OSR, pesticide de la famille des néonicotinoïdes à base de thiaméthoxame, utilisé pour l’enrobage du colza.
Un rapport de l’ANSES établissait de manière très claire que ce produit perturbait les abeilles au point de les empêcher de retrouver leur ruche, ce qui était l’une des causes de leur mortalité.
Néanmoins, afin d’éviter le reproche souvent fait dans notre pays que les produits interdits en France ne le sont pas à l’échelle européenne, nous avons engagé une démarche au sein de l’Union, en nous appuyant non seulement sur les recherches de l’ANSES, mais également sur les travaux de l’EFSA. Cela a conduit l’Europe à prendre une décision forte, au regard des risques que présentent pour les pollinisateurs trois néonicotinoïdes, et à réduire l’utilisation de ces molécules dans les cultures attractives pour les abeilles.
Aujourd'hui, donc, ces substances ne peuvent plus être utilisées dans l’Union européenne en période de floraison. Pour les cultures restantes et pour les céréales à paille, les semis ne peuvent avoir lieu en période de forte activité des abeilles. L’utilisation de ces molécules n’est désormais plus possible que durant des périodes bien précises, et l’interdiction d’employer des semences enrobées d’insecticide vaut entre janvier et juin.
Par conséquent, non seulement la France a pris des décisions en ce qui concerne le colza, mais de plus ces mesures ont trouvé un prolongement à l’échelle européenne. Tel est l’état des lieux de la législation européenne à l’heure actuelle en ce qui concerne trois néonicotinoïdes.
Reste tous les autres néonicotinoïdes. C’est le sujet auquel s’attaquent les auteurs de cette proposition de résolution, à la fois pour des raisons liées aux pollinisateurs, mais également parce que ces produits sont des perturbateurs endocriniens qui ne sont pas sans risques pour la santé humaine.
Pourquoi ne suis-je pas favorable à ce que le Sénat interdise l’usage de tous les néonicotinoïdes ? Tout simplement parce que le lien entre l’utilisation de ces produits et la mortalité des pollinisateurs n’est pas établi. Je l’ai souligné dès le début de mon propos, tous les spécialistes confirment que les décès des abeilles ont des causes multifactorielles. L’interdiction de tous les néonicotinoïdes serait donc une réponse trop simple pour un problème aussi complexe.
Sur un tel sujet, il est important de ne pas se raconter d’histoires. Je veux que l’on aille jusqu’au bout du processus. Voilà pourquoi j’ai mis en place le plan de développement durable de l’apiculture, qui mobilisera 40 millions d’euros sur trois ans. Il s’agit de structurer la filière apicole dans son ensemble, depuis la production jusqu’à l’organisation commerciale. Pour connaître l’origine des miels que l’on achète, il n’y a pas plus flou, plus contestable que la France ! Le ministère de l’agriculture a donc voulu remettre un peu d’ordre dans tout cela.
Le débat avec les professionnels complique les choses. J’en veux pour preuve les pétitions que vous avez tous reçues, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’occasion de cette proposition de résolution. Il était question, en particulier, de la mortalité des abeilles constatée, il y a deux ans, en hiver, dans les Pyrénées-Orientales et en Ariège.
Je veux être ferme et clair, transparent et objectif. Deux études ont été commandées – l’une par le ministère de l’agriculture, l’autre par les apiculteurs eux-mêmes – afin de connaître les raisons d’une telle mortalité.
Il n’a nullement été question d’incriminer les néonicotinoïdes, l’Ariège, département magnifique, et aujourd'hui sous la neige, ne comptant pas de grandes plaines céréalières ! Personne n’a évoqué non plus l’utilisation d’un certain nombre de vermifuges dans l’élevage. Les études ont révélé la présence de certaines molécules, notamment des acaricides, mais elles n’ont pas décelé la présence de molécules qui pourrait justifier le débat que nous avons aujourd’hui sur l’interdiction générale des néonicotinoïdes.
Mon intention est d’avancer, de trouver des solutions, et je suis tout disposé à engager le débat, à condition toutefois que les termes en soient correctement posés, en considération de la réalité des choses, au risque sinon d’aboutir à des solutions stériles. Je le dis d’autant plus volontiers que, si nous voulons réussir à l’échelle européenne, nous avons intérêt à bien nous préparer et à dérouler notre plan de manière coordonnée.
Je rappelle que la France, notamment le ministère de l’environnement, est très mobilisée sur le sujet des produits phytosanitaires auprès de nos partenaires, en particulier sur la question des perturbateurs endocriniens et des substances actives cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction. Nous sommes tous d’accord ici pour reconnaître qu’il convient de conduire une action en ce sens.
Au niveau de la Commission, la France est à l’origine d’une demande de restriction de toutes ces substances. Le travail est en cours. Il ne s’agit pas, en votant parallèlement une mesure d’interdiction, de nous mettre en position de faiblesse à l’échelle européenne, car le processus n’est pas achevé.
Vous avez cité les Pays-Bas : ils ont envisagé un moment d’interdire les néonicotinoïdes ; mais cela ne s’est pas fait. À l’échelle européenne, pour convaincre, pour avancer, il faut être sûr de ses arguments, et procéder avec ordre et méthode, comme je l’ai déjà souligné. À chaque fois, nous nous appuyons sur des études, certes, mais nous avons aussi un objectif politique.
M. Joël Labbé indique que la première version du plan ECOPHYTO a été un échec. C’est vrai, s’il s’agit de mesurer ses résultats, mais elle a néanmoins quelques vertus. D’abord, cette première version du plan ECOPHYTO a permis d’éliminer 80 % des substances les plus cancérigènes et mutagènes. C’est donc un acquis. Par ailleurs, l’initiative prise par mon prédécesseur, Michel Barnier, après le Grenelle de l’environnement, de créer des « fermes défis » prouve aujourd'hui que l’on peut réduire l’usage des produits phytosanitaires, quelles que soient les régions. C’est encore un acquis.
L’idée, pour l’an I de l’agro-écologie, est justement d’engager un processus large, global, afin de diffuser des pratiques agricoles et des modèles agronomiques permettant de se passer de produits phytosanitaires. Si le ministre de l’agriculture décide d’interdire ces produits sans proposer de solution alternative, le risque est grand de voir revenir des produits encore pires que ceux qui sont utilisés aujourd'hui. Je pense aux organochlorés ou aux organophosphorés, dont l’usage a été abandonné.
Nous devons continuer à progresser. Pour ce faire, nous devons trouver à mesure que nous avançons des solutions de remplacement. C’est tout l’enjeu du débat sur le biocontrôle, qui fait défaut jusqu’à présent.
Voilà pourquoi le plan ECOPHYTO, lié au débat sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, mettra en œuvre les certificats d’économie de produits phytosanitaires. J’ai bien noté d’ailleurs que certains n’étaient pas du tout favorables à la mise en place de ce plan, mais j’irai au bout de ce qui a été discuté et voté ici dans la loi d’avenir pour l’agriculture.
Chacun doit s’auto-responsabiliser pour réduire l’usage des produits phytosanitaires, en général. Derrière tout cela, il y a une question de modèle, comme l’a souligné Joël Labbé. Il s’agit d’avoir une pensée globale, de construire une démarche générale et transversale. Nous n’y parviendrons pas uniquement en votant à tel moment l’interdiction de tel produit.
Au contraire, nous y parviendrons en faisant la preuve que nous sommes capables à la fois de savoir où nous voulons aller, de construire le chemin pour nous y rendre et d’impulser la dynamique qui nous permettra d’atteindre notre objectif.
C’est tout l’intérêt de ce débat, comme de nombreux intervenants l’ont relevé. Après tout, le fait de jouer le lanceur d’alerte, de nous inviter à aller plus loin sur la voie de l’interdiction permet d’échanger les idées.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il est utile que le Sénat se préoccupe de ces sujets. Personne ici aujourd'hui n’y a trouvé matière à critique ou à caricature. Il ne faut donc pas caricaturer le débat.
C’est d’ailleurs justement pour éviter de tomber dans la caricature que le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de cette proposition de résolution. Nous voulons atteindre nos objectifs en termes de réduction des produits phytosanitaires et des néonicotinoïdes. Pour ce faire, nous devons être capables d’engager collectivement le débat, à la fois en assurant les transitions nécessaires et en menant au mieux les discussions à l’échelle européenne pour convaincre une majorité de pays membres.
C’est qu’il ne s’agit pas uniquement de réussir en France le projet d’agro-écologie, même si cela fait partie des objectifs que nous nous sommes fixés. Notre pays, pour être leader dans ce domaine et entraîner derrière lui tout le continent européen sur le chemin d’une agriculture durable, doit se montrer crédible et à la hauteur de l’enjeu, au-delà de la protection des insectes pollinisateurs et de la production de miel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne suis pas favorable à cette proposition de résolution, non pas que je sois contre l’esprit qui anime ses auteurs, non pas que je sois contre l’idée d’agir pour une interdiction, mais parce que nous avons pris des engagements à l’échelle européenne et qu’il nous faut encore du temps, ce temps nécessaire pour organiser, mettre en œuvre et assurer la réussite de ce que nous souhaitons tous, à savoir une agriculture qui soit tout à la fois productive et compétitive – nul ne le conteste, les débats sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt l’ont montré – mais aussi et surtout durable.
Oui, nous voulons tous une agriculture durable, c’est-à-dire soutenable à moyen terme et à long terme, et, parce que les agriculteurs sont des citoyens parfaitement conscients des enjeux, nous devons faire le pari de la réussite collective ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,
Vu la charte de l’environnement et notamment son article 5,
Vu le règlement européen sur la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques n° 1107/2009, et notamment ses articles 21 et 69,
Vu le règlement d’exécution (UE) n° 485/2013 de la Commission du 24 mai 2013,
Vu la résolution du Parlement européen du 15 novembre 2011 sur la santé des abeilles et les défis lancés au secteur apicole,
Vu le plan ECOPYTHO 2018 qui prévoit le retrait des pesticides contenant des substances préoccupantes,
Vu le plan de développement durable de l’apiculture qui vise notamment à réduire les mortalités du cheptel apicole,
Vu le rapport d'information de Mme Nicole BONNEFOY, fait au nom de la mission commune d'information sur les pesticides du Sénat,
Vu les avis de l’autorité européenne de sécurité des aliments du 23 mai 2012 sur l’évaluation de l’impact des pesticides sur les abeilles, et du 17 décembre 2013 sur l’impact de l’acétamipride et de l’imidaclopride sur la santé,
Vu les conclusions de l’autorité européenne de sécurité des aliments du 16 janvier 2013 sur le thiaméthoxam, l’imidaclopride et la clothianidine,
Considérant que le règlement d’exécution n° 485/2013 du 24 mai 2013 par lequel la Commission européenne a restreint l’utilisation de trois substances actives de la famille des néonicotinoïdes (la clothianidine, le thiaméthoxam et l’imidaclopride) ne permet pas de protéger de manière satisfaisante les abeilles, l’environnement et la santé humaine,
Considérant que ces trois molécules, ainsi que deux autres néonicotinoïdes, restent utilisées en France et en Europe sur de très larges surfaces,
Considérant que de plus en plus d’études scientifiques attestent de leurs impacts sur les pollinisateurs alors que les colonies d’abeilles fournissent grâce à la pollinisation un service indispensable pour la sécurité alimentaire et les rendements de l’agriculture,
Considérant que les impacts de ces molécules ne se limitent pas aux pollinisateurs mais concernent un ensemble de composantes de notre environnement,
Considérant que l’agence européenne de sécurité des aliments estime que ces molécules peuvent avoir une incidence sur le développement du système nerveux humain,
Considérant que l’agence américaine pour la protection de l’environnement et l’agence canadienne de réglementation sur la lutte antiparasitaire classent ces molécules comme perturbateurs endocriniens potentiels, ou comme cancérigène probable ou suspectent des effets sur la reproduction de l’animal,
Considérant que plusieurs rapports et publications font valoir que l’utilisation de ces molécules n’a pas permis une augmentation significative des rendements pour les agriculteurs,
Considérant que la France a joué un rôle déterminant dans la protection des pollinisateurs au niveau européen, et qu’il lui appartient de poursuivre cette action,
Considérant que la protection des pollinisateurs, de l’environnement et de la santé humaine et que la préservation des rendements agricoles sont une impérieuse nécessité,
Invite le Gouvernement français à agir auprès de l’Union européenne pour une interdiction de toutes les utilisations de ces substances néonicotinoïdes tant que les risques graves pour la santé humaine, animale et l’environnement ne seront pas écartés.
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 92 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Pour l’adoption | 64 |
Contre | 248 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Usage contrôlé du cannabis
Discussion d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis, présentée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues (proposition n° 317 [2013-2014], résultat des travaux de la commission n° 251, rapport n° 250).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de loi.
Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 28 janvier 2014, il y a donc un an, je déposais sur le bureau du Sénat, au nom du groupe écologiste, la première proposition de loi visant à autoriser l’usage contrôlé du cannabis.
L’idée et le texte de cette proposition de loi ont émergé dans le contexte des débats ayant accompagné les efforts accomplis dans cette direction par l’Uruguay, jusqu’à l’adoption, le 10 décembre 2013, de la loi 19172, qui confie à l’État le contrôle et la régulation de l’importation, de la production, de l’acquisition, du stockage, de la commercialisation et de la distribution du cannabis.
Peu après, en janvier 2014, l’État du Colorado adoptait à son tour des dispositions instituant une légalisation contrôlée. Allaient suivre, au printemps 2014, la légalisation dans l’État de Washington et, à l’automne 2014, l’entrée en vigueur de la loi uruguayenne, comme si un mouvement désormais inéluctable commençait à se dessiner, auquel se joignirent à leur tour l’Alaska, l’Oregon et Washington DC, capitale des USA.
La France n’était pas à l’abri de cette évolution. Dès 2011, Daniel Vaillant rédigeait un rapport significativement intitulé : « Pour mieux lutter contre le cannabis : sortir de l’hypocrisie ». D’autres l’ont suivi, y compris après le dépôt de la présente proposition de loi : le rapport d’information sur l’évaluation de la lutte contre l’usage des substances illicites, de nos collègues députés Mme Anne-Yvonne Le Dain et M. Laurent Marcangeli, en novembre 2014, puis celui de Terra Nova, en décembre 2014, sans compter, bien sûr, la riche documentation scientifique et statistique existant sur le sujet depuis des années.
L’initiative qui nous vaut d’ouvrir ici un débat effectivement crucial, qui interpelle toutes les strates de notre société et les pouvoirs publics eux-mêmes, n’est pas sortie de la tête embrumée, voire enfumée, d’une écologiste présumée amatrice de « joints », comme le voudraient certains clichés. Elle est le fruit d’un long cheminement.
Depuis leur entrée à la Haute Assemblée, les écologistes ont lancé maints débats, sur maints sujets, jouant le rôle d’aiguillon qu’ils affectionnent. Aiguillon, nous le sommes donc de nouveau aujourd’hui.
« Avec 13,4 millions d’expérimentateurs et près de 4 millions de consommateurs, le cannabis est devenu, malgré son interdiction, un produit de consommation courante comme le tabac et l’alcool. [...] L’hypocrisie du statu quo n’est plus tenable. La loi de 1970, censée protéger la société de la toxicomanie, a totalement échoué. […] En ce domaine, le laxisme consisterait à ne pas voir ce qui nous saute aux yeux et à s’interdire tout débat sur un sujet prétendument tabou, ce qui reviendrait à abandonner les Français sans leur offrir de véritables réponses alternatives. » Cette citation n’est ni de moi ni de quelque libertaire divagant, mais d’un ancien ministre de l’intérieur, Daniel Vaillant, dans l’introduction de son rapport de 2011.
En déposant la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, je n’ai eu d’autre objectif que de vous convaincre, mes chers collègues, de sortir de cette forme de « laxisme de fait » que dénonce Daniel Vaillant.
Le problème que le présent texte tente d’affronter comporte de multiples aspects. À cet égard, plus d’une commission de notre assemblée aurait pu légitimement en être saisie. Son examen a finalement été confié à la commission des affaires sociales. Ce choix ne saurait étonner : le cannabis est aussi, et peut-être avant tout, une question de santé publique.
Le rapporteur, Jean Desessard, a réalisé un remarquable travail, que je tiens à saluer. En ce qui me concerne, c’est précisément, entre autres motifs, la conviction que le cannabis n’est assurément pas un produit anodin et la conscience claire qu’il contient des substances psychotropes potentiellement dangereuses pour la santé, notamment celle des plus jeunes, dont le cerveau est encore en formation, qui m’ont décidée à m’atteler à la rédaction de la proposition de loi que j’ai l’honneur de défendre devant vous.
Reste que Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ne nous honore pas de sa présence. C’est Mme la secrétaire d’État chargée des droits des femmes qui la représente.
Chère Pascale Boistard, nous nous connaissons de longue date, et nous nous estimons mutuellement. (Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des droits des femmes, le confirme.) Mais quel rapport le cannabis a-t-il donc avec les droits des femmes, qui, soit dit en passant, sont moins consommatrices que les hommes ? (Rires et applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC.) De rapport, je n’en vois guère et, si je me réjouis de vous voir, je n’ai pas à chercher très loin les motifs de l’absence de Mme Touraine. Celle-ci déclarait en effet récemment sur BFM : « Je ne suis pas favorable à ce qu’on mette ce débat sur la table aujourd’hui. Maintenons le droit tel qu’il est. Il ne me semble pas judicieux, comme message à envoyer, de dire qu’au fond le cannabis, ce n’est pas si grave que cela. » (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Pourtant, le débat est bien sur la table ! Et le message que nous envoyons n’est pas celui que redoute Mme Touraine. Nous avons choisi, nous, écologistes, de regarder le problème en face. Les Françaises et les Français ont eux-mêmes brisé le tabou et s’interrogent, ce qui me semble très important.
Ainsi la part des personnes estimant que l’usage du cannabis comporte un risque dès l’expérimentation est-elle en baisse, avec un taux de 54 % actuellement, contre 62 % en 2008.
Les opinions des Français sur les politiques publiques menées ou à mener en matière de drogues traduisent un double mouvement : d’un côté, une plus forte adhésion aux mesures prohibitives concernant le tabac et l’alcool et, de l’autre, un suffrage moins marqué aux sanctions prévues par la loi pour les personnes interpellées pour usage ou détention de cannabis.
Les Français restent certes très majoritairement, à 78 %, opposés à une mise en vente libre du cannabis. La proportion de ceux qui sont favorables, soit 22 %, a pourtant nettement progressé depuis 2008, où elle était de 15 %.
La part d’opinions favorables à l’autorisation du cannabis sous certaines conditions, en maintenant l’interdiction pour les mineurs et avant de conduire, a, quant à elle, doublé sur la période, passant de 31 % à 60 %.
Même parmi les personnes opposées à la mise en vente libre du cannabis, une partie plus importante qu’en 2008 serait d’accord pour une mise en vente libre sous conditions. Enfin, d’après l’enquête EROPP, qui porte sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes, les Français apparaissent de plus en plus réservés à l’égard des différentes sanctions qui punissent la consommation simple sans revente, avec une préférence pour les solutions qui orientent vers les soins ou un rappel à la loi.
Assurer avant tout la santé et la sécurité des personnes et des collectivités requiert une réorientation fondamentale des priorités et des ressources des politiques mises en œuvre.
Les dépenses induites par les dispositions punitives en vigueur, qui sont inefficaces, contreproductives et coûteuses pour le contribuable, devraient cesser, alors que celles qui sont consacrées aux mesures éprouvées de prévention, de réduction des risques et de traitement devraient, au contraire, augmenter pour couvrir les besoins, immenses. N’oublions pas que 41,5 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté le cannabis et que 6,5 % sont des fumeurs réguliers ; 32,8 % des adultes de 18 à 64 ans ont expérimenté le cannabis et 2,1 % sont des fumeurs réguliers. Au moins 38 000 personnes sont prises en charge en raison de leur consommation de cannabis dans les structures spécialisées en addictologie.
Commençons par éradiquer quelques-uns des préjugés étayant la logique absurde de la prohibition.
Je pense d’abord à la théorie de l’escalade, selon laquelle le consommateur de cannabis, en cas de dépénalisation et/ou de légalisation du cannabis, aurait nécessairement recours à des substances plus dangereuses.
Cette théorie ne tient pas. La consommation de cannabis est ordinairement transitoire. Même en cas de dépendance, les deux tiers des usagers mettent fin à leur addiction entre 25 et 30 ans. « On nous disait : les ados vont se ruer sur le cannabis, les adultes vont se défoncer et ne plus aller travailler... Rien de tout cela ne s’est concrétisé » : voilà ce que constatait, il y a peu, Brian Vicente, l’un des rédacteurs de l’amendement 64 par lequel 55 % des électeurs du Colorado ont autorisé la production et la vente du cannabis aux adultes de plus de 21 ans.
L’autre idée à révoquer est celle de l’extrême dangerosité du cannabis.
Le cannabis ne tue quasiment pas en comparaison avec des drogues comme l’héroïne et la cocaïne. Sa dangerosité est moindre que celle du tabac et de l’alcool. Certes, conduire sous l’influence du cannabis multiplie par 1,8 le risque d’être responsable d’un accident mortel de la route. Mais ce risque est multiplié par près de 15 en cas de consommation conjointe de cannabis et d’alcool.
Selon les experts européens, l’alcool serait de loin le produit le plus dangereux, entraînant des dommages sanitaires et sociaux majeurs, suivi par l’héroïne et la cocaïne, puis par le tabac, qui causerait surtout des dommages sanitaires. Seulement ensuite viendrait le cannabis, susceptible de causer plutôt des dommages sociétaux.
Certes, et je l’ai déjà dit, le cannabis n’est pas un produit anodin. L’expertise de l’INSERM sur les conduites addictives chez les jeunes souligne qu’un excès de consommation entraîne chez eux déficit de l’activité, fatigue physique et intellectuelle, difficultés de mémorisation, difficultés relationnelles, décrochages scolaires, mal-être. Il peut également induire des troubles psychotiques, parfois également liés au parcours de vie de l’adolescent, notamment familial.
En revanche, il n’a pas été démontré que le cannabis pouvait être la cause unique de la schizophrénie.
Justement, chers collègues, pour lutter contre ces maux, il s’agit non pas d’interdire et de punir, mais de prévenir et de guérir. Mieux, on ne pourra jamais efficacement prévenir et guérir qu’en levant le tabou et en cessant d’interdire pour encadrer et contrôler.
La dangerosité du tabac et de l’alcool n’a pourtant pas induit leur interdiction ni leur pénalisation. On connaît les effets pervers de la prohibition de l’alcool aux États-Unis dans les années vingt. Les pouvoirs publics s’attellent aujourd’hui, avec raison bien sûr, à des campagnes de prévention probablement plus utiles. Pourquoi ne pas faire de même avec le cannabis ?
La guerre menée contre les drogues depuis quarante ans n’a réussi ni à limiter leur consommation ni à endiguer la criminalité liée à leur production et à leur commerce. Les interpellations pour usage de cannabis atteignent le chiffre annuel de 122 439 et représentent 90 % des interpellations pour usage de stupéfiants. Leur nombre a été multiplié par cinq depuis le début des années quatre-vingt-dix. En dehors des affaires d’usage, les services de police et de gendarmerie ont effectué 15 302 interpellations pour usage-revente et trafic de cannabis ; 31 000 personnes ont été condamnées en 2012 à des peines inscrites au casier judiciaire pour consommation de cannabis.
Le premier constat qui s’impose est celui du désastre du modèle répressif français. Notre police et notre justice n’ont-elles pas mieux à faire ? N’avons-nous donc aucun souci de l’usage des deniers publics ? Le niveau de prévalence du cannabis en France est parmi les plus élevés en Europe, avec le Danemark. Un collégien français sur dix a expérimenté le cannabis, et si cette consommation ne touche que 1,5 % des élèves en sixième, elle en touche un sur quatre en troisième.
Pire, notre stratégie de prévention nationale et d’accompagnement des usagers est quasi inexistante, faute de ressources ! Au Colorado, 33 millions d’euros du produit des taxes du cannabis légalisé ont été alloués aux écoles. « Nous sommes guidés par trois principes : éviter que la marijuana ne tombe entre les mains des enfants, des criminels et des autres États », a déclaré la directrice de l’administration fiscale de l’État du Colorado. N’y a-t-il donc pas lieu de s’inspirer d’une telle expérience ?
Au sein de l’Union européenne, on rencontre trois sortes de législations : celles qui considèrent l’usage de cannabis comme une infraction pénale, celles qui le considèrent comme une infraction administrative, passible de sanctions administratives ; celles encore, et c’est le cas dans quinze pays membres de l’Union européenne, qui n’interdisent pas l’usage du cannabis en tant que tel, mais qui font de sa détention en petite quantité pour usage personnel une infraction pénale ou administrative.
Aux Pays-Bas, la détention et la vente de cannabis ne sont pas légales, mais elles sont tolérées, sous certaines conditions. La Hollande n’a jamais légalisé la production du cannabis sur son territoire, et ne s’intéresse pas aux sources d’approvisionnement des coffee shops, qui relèvent d’une réglementation nationale. On dénombre moins de 9 000 interpellations pour infractions relatives aux drogues douces en 2012 pour l’ensemble du pays, 18 300 pour l’ensemble des drogues, soit dix fois moins qu’en France.
J’ajoute pour finir que la prévalence du cannabis est inférieure en Hollande à celle constatée chez nous : 13,7 % sur les douze derniers mois pour les 15-34 ans, contre 17,5 % en France, malgré une législation infiniment plus répressive et aucune tolérance pour la vente libre.
La présente proposition de loi a pour objet d’autoriser l’usage et d’encadrer de manière très rigoureuse la vente au détail aux personnes majeures et l’usage de plantes de cannabis et de produits dérivés issus de cultures et de pratiques culturales contrôlées, dont les caractéristiques et la teneur en principe psychoactif – le tétrahydrocannabinol ou THC - seraient réglementées.
Nous avons depuis peu plusieurs exemples de dépénalisation et de légalisation contrôlée du cannabis.
L’Uruguay a adopté un ensemble de lois légalisant et réglementant les usages non médicaux du cannabis. Le modèle uruguayen repose sur un degré d’intervention gouvernementale plus élevé que les modèles commerciaux des États de Washington et du Colorado, aux États-Unis, et ce dans tout le circuit allant de la production à la vente. Les recettes liées au cannabis ont atteint, à la fin de 2014, 570 millions d’euros au Colorado, selon une estimation.
Le rapport de Terra Nova envisage quant à lui la légalisation du cannabis et la structuration d’un monopole public, avec les meilleures garanties en termes de contrôle de la prévalence et de protection des populations les plus vulnérables. Il faudra également assécher le marché noir de quelque 100 000 personnes en baissant dans un premier temps le prix du gramme de cannabis légal, puis augmenter ce prix, comme pour le tabac, afin d’empêcher une progression de la prévalence.
Cette légalisation constituerait une source de revenus fiscaux considérables, entre 1,7 milliard et 2 milliards d’euros, et entraînerait la création d’au moins 13 000 emplois, hors ceux qui sont liés à la production, sans compter le coup porté aux réseaux de la drogue, à la criminalité qui leur est associée et à l’une des sources de financement du terrorisme.
Cette proposition de loi est la première du genre à être déposée et débattue dans l’histoire parlementaire française.
J’espère de tout cœur, chers collègues, que vous lui apporterez vos suffrages. Mais, quand bien même vous hésiteriez à le faire, l’examen de ce texte contribuera indéniablement à l’indispensable processus de sensibilisation de l’opinion publique et des responsables politiques à une question sociétale, sociale et sanitaire cruciale.
Le débat est donc ouvert, publiquement et au plus haut niveau. Voilà qui est fort bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)