Sommaire
Présidence de Mme Isabelle Debré
Secrétaires :
M. Bruno Gilles, Mme Colette Mélot.
2. Mise au point au sujet d’un vote
M. Jean-Noël Cardoux, Mme la présidente
3. Journée des morts pour la paix et la liberté d'informer. – Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
Discussion générale (suite) :
Clôture de la discussion générale.
M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur de la commission des affaires étrangères
Mme Leila Aïchi, auteur de la proposition de loi
Rejet de l’article unique de la proposition de loi.
4. Pesticides. – Rejet d’une proposition de résolution
M. Joël Labbé, auteur de la proposition de résolution
M. Gérard Miquel, Mmes Aline Archimbaud, Évelyne Didier, MM. Gilbert Barbier, Henri Tandonnet, Mme Sophie Primas, MM. René-Paul Savary, Daniel Gremillet
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
Suspension et reprise de la séance
5. Usage contrôlé du cannabis. – Discussion d'une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de loi
M. Jean Desessard, rapporteur de la commission des affaires sociales
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
6. Candidatures à deux organismes extraparlementaires
7. Communication du Conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
8. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 12 et 13 février 2015
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes
MM. Éric Bocquet, Jean-Claude Requier, Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Simon Sutour, André Gattolin
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Jean-Patrick Courtois, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
Mme Nathalie Goulet, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Hervé Maurey, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Jean-Yves Leconte, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Pascal Allizard, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Michel Canevet, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Mathieu Darnaud, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Philippe Bonnecarrère, M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
9. Nominations de membres à deux organismes extraparlementaires
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Isabelle Debré
vice-présidente
Secrétaires :
M. Bruno Gilles,
Mme Colette Mélot.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Lors du scrutin n° 88 sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable, j’ai été déclaré comme votant contre, alors que je souhaitais voter pour.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Journée des morts pour la paix et la liberté d'informer
Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi relative à l’instauration d’une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer, présentée par Mme Leila Aïchi (proposition n° 231 [2013-2014], résultat des travaux de la commission n° 577 [2013-2014], rapport n° 576 [2013-2014]).
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avions commencé l’examen de ce texte le 19 novembre dernier.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Gournac. (M. Hubert Falco applaudit.)
M. Alain Gournac. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous reprenons en effet la discussion du 19 novembre dernier. Je voudrais en profiter pour attirer votre attention sur un point important.
Nous venons de connaître en France des événements tragiques, qui nous rappellent que la liberté d’expression est un pilier fondamental de notre démocratie.
Hier, la mise à prix de la tête du rédacteur en chef de Charlie Hebdo par un ancien ministre pakistanais, aujourd’hui député, démontre que, si la mondialisation permet et exige un plus grand échange d’informations, elle augmente considérablement les risques et les menaces qui pèsent sur les journalistes.
Nous avons eu encore à déplorer, voilà quatre jours, l’assassinat, dans des conditions affreuses, d’un journaliste japonais par l’État islamique.
Le groupe UMP est viscéralement attaché à la liberté d’expression. Il respecte et défend le travail des journalistes.
La période que nous traversons est troublée. L’émotion qui nous étreint encore vient d’être ravivée hier par l’agression à l’arme blanche de trois militaires en faction devant un centre communautaire juif à Nice. Nous avons une pensée pour chacun d’entre eux, même si nous devons nous concentrer maintenant sur le fond de la proposition de loi de Mme Aïchi.
L’objet de ce texte a trait à la mémoire de personnes qui sont décédées en exerçant leur métier. À cet égard, les dessinateurs de Charlie Hebdo ont été assassinés parce qu’ils incarnaient l’exercice même de la liberté d’expression.
Ma chère collègue, pour en venir au fond de votre proposition de loi, je tiens à vous dire qu’elle a le mérite de rappeler que, en 2014, en dépit des promesses et des efforts de paix, les guerres et les conflits se sont succédé, prenant de nouvelles formes de plus en difficiles à appréhender.
Vous mettez en avant la nécessaire liberté d’informer. Or, depuis ces dernières années, force est de constater que le nombre de journalistes tués ou assassinés a augmenté. Ils ont été pris pour cible à cause de ce qu’ils représentent, à savoir la liberté d’informer, et donc la Liberté tout court.
Ces hommes et ces femmes relaient et transmettent, au péril de leur vie, ce qui se passe un peu partout dans le monde. Aujourd’hui, leurs rapts et assassinats sont politisés, revendiqués et mis en scène de la façon la plus odieuse qui soit.
La France, avec ses alliés, au sein des Nations unies, se bat contre ces crimes et contre l’idéologie de leurs auteurs. C’est pour cette raison que nous tenons à saluer solennellement la démarche de notre pays : il a obtenu que soit instaurée une journée internationale dédiée à la liberté d’information.
Toutefois, mes chers collègues, je tiens à attirer votre attention sur le fait que cette journée, qui se tient désormais chaque année le 2 novembre, n’a pas seulement pour objet de soutenir les journalistes et de rappeler à la communauté internationale combien il est capital de défendre la liberté de la presse partout dans le monde ; la thématique de cette journée va beaucoup plus loin.
Au mois de décembre 2013, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution proclamant le 2 novembre « Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes ». Cette résolution exhorte les États membres à prendre des mesures pour combattre l’impunité de ceux qui prennent pour cible les journalistes.
Plus important encore, cette date a été choisie en mémoire de l’assassinat de deux journalistes français au Mali le 2 novembre 2013. Les membres du groupe UMP du Sénat veulent aujourd’hui saluer leur mémoire, leur travail, et n’oublient pas leurs familles et leurs proches.
De la même façon, nous pensons à tous ceux qui, en Irak, en Syrie, en République centrafricaine, au Mali, dans d’autres pays encore, continuent d’exercer leur métier de journaliste dans des conditions extrêmes, inhérentes aux zones de crises et de conflits.
Aussi, nous ne pouvons que nous réjouir que la proposition de loi de Leila Aïchi soit satisfaite à l’échelon international, grâce à la résolution de l’ONU.
Je tiens en cet instant à saluer vos engagements, ma chère collègue, et votre travail en faveur des journalistes. D’ailleurs, ce fut le message du Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, qui déclarait le 2 novembre dernier : « Mettre fin à l’impunité, c’est renforcer la liberté d’expression et encourager le dialogue. C’est promouvoir les droits de l’homme et consolider les sociétés. Aucun journaliste, où qu’il soit, ne devrait avoir à risquer sa vie pour informer le public. Ensemble, défendons les journalistes. Défendons la justice. »
La liberté de la presse et la liberté d’information sont des valeurs auxquelles nous sommes profondément attachés. Ce sont les fondements de la démocratie et de notre République.
La voix de la France a grandement pesé dans l’adoption de la résolution susvisée. Sur ce point, je le répète, la proposition de loi que nous examinons est déjà satisfaite.
Je souhaite maintenant m’arrêter sur l’expression retenue « morts pour la paix ».
Si nous en comprenons la force symbolique, si nous y sommes sensibles, ma chère collègue, nous estimons qu’il est cependant important de considérer la réalité qu’elle recouvre. Sont concernés tous ceux qui, par leur engagement professionnel, aident ceux qui souffrent et se retrouvent ainsi souvent exposés à des risques mortels.
Nous sommes des législateurs. Or cette expression, aussi forte soit-elle, ne peut trouver de traduction juridique précise pouvant nous amener à changer le droit.
Elle est beaucoup trop large et nous obligerait à modifier notre calendrier mémoriel à la lumière de ce que les philosophes appellent « l’extension de la notion », c’est-à-dire l’élargissement du champ des éléments qu’elle recouvre. Cela serait inapproprié et inopportun, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, cela reviendrait à minorer l’engagement militaire. Or l’engagement dans les armées comporte intrinsèquement, originellement, le sacrifice ultime.
Les travailleurs humanitaires ou les journalistes peuvent pratiquer leur activité au péril de leur vie. Ils exercent des professions à risque, comme le sont d’ailleurs celles des personnes qui participent au maintien de l’ordre ou qui sont chargées de la sécurité des citoyens. Ces activités sont fondées sur la décision de venir en aide à autrui, nullement sur l’acceptation par ces professionnels du sacrifice de leur propre vie.
Il s’agit là d’une différence fondamentale. N’établissons pas de hiérarchie entre les morts ! Ne brouillons pas la signification de l’engagement militaire !
Autre raison, moins essentielle : le calendrier mémoriel français est dense et très chargé en raison de la richesse de notre histoire nationale.
Mes chers collègues, je vous le rappelle, ce calendrier a vu le nombre de commémorations augmenter : en 2012, la France comptait douze commémorations publiques ou nationales au lieu de six seulement en 1996.
Les commémorations dans notre pays ont fait l’objet d’une nouvelle réflexion lors de l’adoption de la loi du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
Dans un chapitre de l’ouvrage Les lieux de mémoire intitulé L’ère de la commémoration, l’historien Pierre Nora rappelle l’un des fondements essentiels relatifs au calendrier mémoriel : « La commémoration est l’expression concentrée d’une histoire nationale, un moment rare et solennel. »
Aussi prenons garde de tomber dans l’inflation mémorielle. Plus une notion est élargie, plus sa compréhension s’amenuise ; plus elle recouvre d’éléments, plus elle devient vague.
Au final, la multiplication des dates de commémoration tend à dénaturer le calendrier mémoriel, à en estomper les contours et les significations, notamment si celui-ci intègre de nouveaux hommages n’ayant pas de liens directs avec l’histoire nationale.
L’adoption de la présente proposition de loi créerait une confusion en établissant un parallèle. Or l’engagement militaire, qui implique le sacrifice pour la France, est un engagement singulier, en rien comparable avec un engagement civil.
Aussi, l’expression « morts au combat » réservée à nos soldats ne peut coexister dans notre droit avec l’expression « morts pour la paix ».
Les soldats participant aux OPEX, les opérations extérieures, le font en ayant pour objectif la résolution des conflits et le rétablissement de la paix dans le cadre du droit international. L’expression « morts au combat » leur est réservée, je le répète, et doit le rester. Elle traduit un hommage de la nation précisément parce qu’ils ont péri en combattant pour la paix.
Madame Aïchi, une lecture attentive de l’exposé des motifs de votre proposition de loi laisse d’ailleurs entendre qu’il y aurait deux types de victoire : d’un côté, celle des militaires qui gagnent la guerre, de l’autre, celle de professionnels qui gagneraient la paix et la liberté d’informer.
Dans un monde d’une immense complexité et où la confusion gagne du terrain, il est salutaire que le langage puisse s’élever au-dessus des émotions et apporter des distinctions claires qui ne soient pas préjudiciables à la réalité des faits.
Enfin, mes chers collègues, j’attire votre attention sur les médecins, les infirmières et les travailleurs humanitaires qui sont partis aider les populations décimées par les pandémies. L’actualité nous amène immédiatement à penser aux victimes du virus Ebola.
Quid de tous ces anonymes qui, depuis des années, loin des médias et d’une actualité sélective, luttent contre le paludisme, le choléra, le sida dans des pays où il n’y a pas d’eau, sur des terres rongées par la famine ou touchées par des catastrophes naturelles ?
Nombre de ces personnes vivent dans des zones de conflits, apportant sans faire de bruit une pierre à l’édifice de la paix, en soignant et en participant au développement dans les pays les plus démunis. Certes, elles demeurent heureusement en vie, mais n’en mériteraient-elles pas moins une journée d’hommage ?
Ce fut le cas en 2014 avec le trentième anniversaire de la Déclaration sur les droits des peuples à la paix de l’Assemblée générale des Nations unies.
Mes chers collègues, vous comprendrez donc que le groupe UMP ne puisse voter la présente proposition de loi touchant aux fondements républicains par une redondance qui ne peut que semer la confusion dans le calendrier mémoriel et ébranler le socle républicain de la mémoire nationale.
Par ailleurs, il existe un calendrier international qui, au-delà des nations, permet de rendre hommage à ceux qui, épris de paix et de liberté, travaillent quotidiennement à la réalisation de ces idéaux partout à travers le monde.
Votre proposition de loi, madame Aïchi, a le mérite de nous en rappeler l’existence. Or ce calendrier « inter-national » n’est pas un mauvais calendrier pour rêver à la paix entre les nations et pour s’efforcer d’œuvrer à la réalisation de celle-ci. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’attentat criminel contre la rédaction de Charlie Hebdo et le meurtre de neuf personnes dans une épicerie juive le mois dernier ont créé un contexte qui donne à la proposition de loi de Leila Aïchi une signification particulière et une nouvelle portée.
À Paris, la grande manifestation du 11 janvier, ainsi que celles qui se sont déroulées dans les grandes villes de notre pays, a été l’expression d’un très large rassemblement populaire pour la défense des valeurs démocratiques et républicaines, dont la liberté d’expression en général, et celle de la presse en particulier pour informer, critiquer, voire caricaturer sans contraintes.
La présente proposition de loi traduit donc la louable intention d’associer, dans un même hommage, le travail remarquable qu’effectuent les salariés d’organisations non gouvernementales auprès des populations dans les zones de conflits et de guerre, et celui des journalistes qui assurent, coûte que coûte, leur mission d’informer et veulent préserver cette liberté.
D’autres orateurs ont rappelé avant moi, chiffres à l’appui, combien ces professions au service de leur engagement pour ces nobles causes ont été cruellement et mortellement frappées. Cette proposition de loi vise à leur consacrer, dans notre pays, une journée officielle dont la date a été fixée au 21 septembre. Celle-ci correspond à la Journée internationale de la paix décrétée par l’Organisation des Nations unies.
De prime abord, rendre hommage à ces activités, commémorer le sacrifice de leurs acteurs semble aller de soi et répondre à un impératif pédagogique, à savoir soutenir, partout dans le monde, tous les défenseurs des droits humains et des libertés fondamentales.
Toutefois, légiférer sur de tels sujets n’est pas anodin. Cela doit inciter à réfléchir au sens et à la portée de l’acte politique que l’on veut accomplir.
Je pense que la politique – au sens étymologique du terme – et les bons sentiments ne font pas nécessairement bon ménage. Le mélange n’aboutit pas forcément aux effets bénéfiques escomptés pour la société.
Je le dis donc avec franchise, la proposition de loi que nous examinons est généreuse, sincère, et j’en remercie son auteur. Néanmoins, elle soulève de nombreuses questions et quelques difficultés.
Elle est d’abord redondante. De fait, son adoption risquerait de banaliser les causes qu’elle tend à mettre en valeur et ferait aussi courir le risque de passer à côté des objectifs visés.
En effet, comme cela a été précisé tout à l’heure, avec la Journée internationale de la paix le 21 septembre, la Journée mondiale de l’aide humanitaire le 19 août, la Journée mondiale de la radio le 13 février, la Journée mondiale de la liberté de la presse le 3 mai et la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes le 2 novembre, il existe au total déjà cinq journées proposées par l’ONU sur des thèmes voisins.
Certes, Mme Aïchi souhaite donner une autre dimension à ces commémorations, en associant, d’une part, les humanitaires et les journalistes dans un même hommage, et en distinguant, d’autre part, les journées internationales créées par des résolutions des Nations unies de celles qui sont explicitement consacrées par le droit national.
J’estime également que l’objet de cette proposition de loi est trop large, car, si j’en crois l’exposé des motifs, « il importe que le peuple français rende hommage à ces femmes et ces hommes, de toutes nationalités, qui agissent à travers le monde ».
Sur le fond, je m’interroge donc sur la nécessité et l’efficacité de déterminer par le biais d’une loi ce type de journée commémorative.
Par ailleurs, créer par la loi une journée d’hommage au plan national soulève trop de questions : quelles nobles causes choisir et combien, afin qu’elles ne soient pas étouffées par le nombre et ainsi banalisées ? À quelle date se rattacher ?
Surtout, il faut apprécier à sa juste mesure l’effet normatif qui peut résulter en l’espèce d’un texte législatif. Étant donné la rédaction de l’article unique de la proposition de loi, vous conviendrez, mes chers collègues, que cet effet est très faible.
Au demeurant, cette proposition de loi représente avant tout d’un geste symbolique et politique visant à sensibiliser et à mobiliser l’opinion publique sur les besoins humanitaires et démocratiques dans le monde. Cela suffit-il à en faire une loi de la République ?
J’aurais plutôt tendance à penser que les activités bien connues des ONG et l’audience de ces dernières dans les médias en cas de crise ou de catastrophe suffisent pour que nos concitoyens reconnaissent et apprécient la valeur de leur contribution en faveur de la paix.
Pour ce qui concerne les journalistes, l’intention est sans doute d’appeler l’opinion à réfléchir au rôle des médias dans la promotion des libertés et de la démocratie, ainsi qu’aux équilibres à trouver entre la liberté de l’information et de la critique et le respect des règles nécessaires à toute vie dans nos sociétés démocratiques.
Je le dis clairement, je n’ai pas une conception aseptisée, angélique et béate de la liberté de la presse. Le rôle d’une presse libre, c’est également d’être partisane et de défendre des idées que l’on a le droit de combattre.
Au final, je crains que toutes ces questions ne dépassent l’objet et le cadre de la proposition de loi de Leila Aïchi.
L’instauration légale d’une nouvelle journée commémorative, telle qu’elle figure dans ce texte, ne me paraît en définitive guère judicieuse, pertinente ni vraiment efficace.
Cependant, je comprends et je partage le souci d’accomplir un geste politique pour sensibiliser les opinions publiques sur ces sujets importants en rendant hommage aux travailleurs humanitaires et aux journalistes.
En conclusion, eu égard au contexte actuel de grande sensibilité pour défendre la liberté de la presse, les membres du groupe communiste républicain et citoyen s’abstiendront lors du vote de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer l’initiative de Leila Aïchi prise voilà près d’un an et qui, en ces temps sombres de barbarie sanguinaire, a un écho et un relief particuliers. L’importance et la signification ultime de l’engagement des journalistes dans les zones de conflits comme de celui des humanitaires n’apparaissent, hélas, dans toute leur grandeur, leur humanisme que lorsque ces engagements sont au prix d’une vie humaine.
Le supplice et la mort intolérable, terriblement injustes, de ces femmes et de ces hommes de bonne volonté rappellent à tous, encore plus depuis le 7 janvier dernier, que les valeurs fondamentales de nos sociétés, le respect de la vie humaine, la dignité humaine sont des conquêtes récentes et fragiles qui ne sont malheureusement toujours pas partagées partout.
Qu’ils soient journalistes ou humanitaires, leur sacrifice rappelle la précarité de la vie, et au-delà, la précarité de nos sociétés pluralistes fondées sur la liberté, une conception du monde ouverte et tolérante, le partage au-delà des différences qui nous enrichissent…
Je profite donc de cet instant pour rendre hommage non seulement aux journalistes et aux humanitaires qui ont fait le sacrifice de leur vie et qui ont pu la perdre dans d’atroces souffrances, mais plus largement à toutes les personnes détenues et à toutes celles qui ont été exécutées.
Je tiens également à rendre hommage à nos soldats, aujourd’hui engagés sur l’ensemble des théâtres d’opération, et qui, à un titre différent mais non moins glorieux que les civils, combattent avec honneur et professionnalisme les projets obscurs d’esprits détraqués, perdus et malfaisants.
Je veux aussi rappeler que, sur notre territoire, trois de nos soldats, en raison du port de l’uniforme, ont été récemment les victimes du terrorisme.
À chacune de ces exécutions, et sans doute plus particulièrement lors de celles qui, de par leur mise en scène, ont pour vocation d’être des instruments de propagande, nous sommes indignés et scandalisés.
Mes chers collègues, ces femmes et ces hommes se sont engagés dans des territoires hostiles et dangereux par bienveillance, amour de l’autre, habités par la certitude qu’il fallait être aux côtés de ceux qui souffrent. Notre responsabilité est de faire en sorte que leur mort ne soit pas vaine, et que l’esprit qui accompagnait leur engagement inspire et guide nos réactions et nos décisions.
Oui, tous ces faits nous révoltent, et à raison, mais qu’ils ne nous fassent pas douter de nous-mêmes, n’instillent pas le germe de la méfiance, de la suspicion, de la division dans notre communauté nationale. Notre action doit viser non pas la vengeance, mais la mise en œuvre d’un monde plus sûr, notamment pour les plus faibles : les enfants, les femmes, les minorités.
Nous sommes confrontés à un défi grave : une poignée de nos jeunes, éperonnés par l’ennui conjugué à une fascination morbide pour l’apocalypse, convaincus d’être des justiciers, deviennent des assassins sans foi ni loi.
Cette stratégie de la tension a pour finalité de semer le doute, la discorde et le chaos dans nos sociétés. La commémoration doit cimenter l’unité nationale, et nous avons effectivement besoin de retrouver un sens collectif.
Aussi, cette proposition d’une journée d’hommage présente un fort contenu symbolique. Pour autant, elle n’a pas recueilli l’assentiment de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour des raisons qui tiennent, entre autres, à l’inflation commémorative qui la rend contre-productive et qui, même sous un certain angle, pourrait nous égarer.
Mes chers collègues, je vous invite à regarder, dans le baromètre de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, la nationalité des journalistes qui ont été tués parce qu’ils exerçaient leur métier passionnément : en Chine, des Chinois ; en Syrie, des Syriens ; en Iran, des Iraniens. Tels sont ceux qui paient le plus lourd tribut. Une journée de commémoration nationale présente ainsi le risque de rétrécir la force symbolique de l’hommage.
La présente proposition de loi, en donnant un contenu défini à la Journée internationale de la paix, qui se tient le 21 septembre, à la suite du vote d’une résolution par l’Assemblée générale des Nations unies, est contraire à l’esprit de cette dernière. En effet, je le rappelle, au travers de cette résolution, il est proposé aux États un thème qui varie chaque année et présente donc l’avantage d’être adapté à l’actualité, ou une thématique qui a une résonnance particulière. Cette année, le thème retenu est le droit des peuples à la paix. L’idée est de marquer le trentième anniversaire de la Déclaration sur les droits des peuples à la paix de l’Assemblée générale.
Par ailleurs, plusieurs commémorations ou textes concernant les journalistes et les travailleurs humanitaires existent également ou ont été adoptés à l’échelle internationale, souvent à l’instigation de la France.
En effet, considérant cette question comme symbolique et vitale, notre pays a préféré la traiter au sein des enceintes internationales plutôt que de se contenter d’une démarche commémorative nationale.
La France est, par exemple, particulièrement engagée en faveur de la protection et de la sécurité des journalistes, en temps de paix comme en situation de conflit. La question de la protection des journalistes et la lutte contre l’impunité des crimes commis à leur encontre sont en effet des enjeux essentiels de la liberté de la presse, dans un contexte où 90 % des crimes commis contre les journalistes restent impunis. Ces sujets ont fait l’objet d’un dialogue étroit entre le ministère des affaires étrangères et du développement international et Reporters sans frontières, organisation très mobilisée pour un renforcement de la protection des journalistes en droit international.
Au sein des enceintes internationales, notre pays s’est particulièrement mobilisé sur cette cause, afin qu’elle constitue une politique commémorative.
Ainsi, après l’assassinat des deux journalistes de Radio France internationale – RFI – au Mali le 2 novembre 2013, la France a obtenu que le Conseil de sécurité adopte une déclaration à la presse condamnant ces assassinats et rappelle les principes de la protection des journalistes dans les conflits armés. Ces principes, notre pays les avait portés à l’agenda du Conseil de sécurité dès 2006.
C’est aussi sur l’initiative de la France qu’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la sécurité des journalistes a instauré, à la fin de l’année 2013, la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, célébrée le 2 novembre, en mémoire de l’assassinat des journalistes de RFI. Celle-ci s’ajoute à la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, que notre pays célèbre également.
Très récemment, le 25 septembre dernier, la France s’est mobilisée à Genève, au Conseil des droits de l’homme, pour l’adoption d’une résolution invitant les États à renforcer la lutte contre l’impunité. Elle a notamment préconisé la mise en place d’un mécanisme d’alerte précoce et de réponse rapide, permettant aux journalistes menacés de contacter les autorités en vue de bénéficier de la protection nécessaire.
Quant aux travailleurs humanitaires, ils font déjà l’objet d’une journée : la Journée mondiale de l’aide humanitaire, qui est fixée au 19 août et que la France observe.
Le 29 août dernier, notre pays s’est mobilisé pour l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 2175 sur la protection des travailleurs humanitaires.
Enfin, tous les 10 décembre, la France célèbre la Journée internationale des droits de l’homme. C’est l’occasion de rendre hommage à ceux, morts mais aussi vivants, qui luttent pour la promotion et le respect des droits de l’homme.
Mes chers collègues, en définitive, il nous semble que les 21 septembre, 2 novembre, 3 mai, 19 août et 10 décembre constituent un arsenal commémoratif suffisant. Est-il nécessaire d’y ajouter une date ? Toutes celles que je viens de citer ont été adoptées à l’échelon international. Aussi ces commémorations ont-elles une vocation mondiale. De surcroît, nombre d’entre elles ont été créées sur l’initiative de notre pays, qui est très en pointe sur ces questions.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. C’est vrai !
M. Daniel Reiner. Il ne nous est pas paru nécessaire d’ajouter une commémoration supplémentaire. C’est la raison pour laquelle les membres du groupe auquel j’appartiens sont défavorables à ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue de cette discussion générale, je tiens à formuler quelques brèves remarques.
Le 19 novembre dernier, lorsque la Haute Assemblée a commencé à débattre de cette proposition de loi, j’ai eu l’occasion de m’exprimer en détail. Or nombre des interventions de nos deux journées de débats se sont révélées tout à fait en phase avec la position du Gouvernement.
À l’instar des orateurs des différents groupes, le Gouvernement souscrit bien entendu à la philosophie et à l’inspiration qui ont présidé à l’élaboration de ce texte.
En revanche, il est plus réservé quant aux modalités retenues. Ce constat vient d’être rappelé : plusieurs journées existent déjà, et elles ont été créées, notamment, sur l’initiative de la France.
Le 2 novembre, en mémoire des deux journalistes de Radio France internationale Ghislaine Dupont et Claude Vernon, a été instaurée la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes. La France est, avec d’autres pays, à l’origine de cette décision. Il s’agit, je le souligne, d’une journée internationale, avec toute la force qui s’attache aux manifestations de cette ampleur.
Le 3 mai est la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Les humanitaires, comme les journalistes, sont trop souvent exposés au danger et à la mort. Aussi, dans le monde entier, le 19 août est la journée de l’aide humanitaire.
En conséquence, comme le 19 novembre dernier, le Gouvernement s’en remet, au sujet de cette proposition de loi, à la sagesse de la Haute Assemblée. Je le répète, sur le fond, il adhère totalement à la philosophie qui a inspiré le présent texte : les orateurs qui se sont exprimés aujourd’hui, MM. Gournac, Billout et Reiner l’ont indiqué eux aussi, et je ne doute pas que Mme Aïchi y sera sensible.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
proposition de loi relative à l’instauration d’une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer
Article unique
Le 21 septembre, Journée internationale de la paix décidée le 30 novembre 1981 en vertu de la résolution 36/67 de l'Assemblée générale des Nations unies, il est rendu hommage aux travailleurs humanitaires morts pour la paix et aux journalistes morts pour la liberté d'informer.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son rapport écrit comme lors de la première phase d’examen de la présente proposition de loi, la commission a exposé sa position. La question posée n’est ni juridique ni technique. Elle est en fait politique, au sens noble du terme.
Cette proposition de loi ne crée ni jour férié, ni jour chômé, ni obligation d’organiser, dans les écoles, des manifestations pédagogiques. Sa portée est avant tout symbolique. C’est une des raisons pour lesquelles la commission n’a pas adopté de texte. Fidèle à la tradition de la Haute Assemblée quant à de telles initiatives sénatoriales, elle préfère laisser les groupes politiques prendre position.
Toutefois, les symboles ont leur force : commémorations, hommages, cérémonies structurent la mémoire collective des sociétés autour de valeurs partagées tout en contribuant à un sentiment d’appartenance commune ou à la promotion de nouveaux idéaux. Les gestes comptent, car ils parlent.
Le tribut payé par les travailleurs humanitaires et les journalistes est très lourd, à l’heure où une guerre totale est engagée contre un terrorisme obscurantiste. Les lâches attentats perpétrés le mois dernier à Paris l’ont illustré avec une force renouvelée, de même que l’odieuse exécution d’un journaliste japonais par Daech, acte que je dénonce avec force dans cet hémicycle.
L’analyse consacrée par la commission à l’inflation commémorative, que la commission Kaspi a dénoncée en 2008, reste pourtant valable. Parmi les journées mondiales, je mentionne derechef celles qui sont dédiées à la radio et à la liberté de presse, aux travailleurs humanitaires, sans oublier, naturellement, la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, le 2 novembre, et la Journée internationale de la paix, le 21 septembre.
Pour ces raisons, la commission n’a pas adopté la présente proposition de loi.
Néanmoins, à titre personnel, et au nom de la Haute Assemblée tout entière, je tiens à saluer la générosité de cœur et l’élégance d’esprit de Leïla Aïchi.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme la présidente. Je rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble de la présente proposition de loi.
Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Face à de tels sujets, il faut à mon sens rester très vigilant : si l’on se laisse aller, on finira par compter plus de commémorations que de jours dans l’année ! Dès que survient un problème d’actualité, dès qu’il arrive quoi que ce soit, les uns et les autres proposent une journée de commémoration ou de célébration nationale.
Voilà une vingtaine d’années, le préfet du département dont je suis l’élu a tenté de réduire le nombre de manifestations patriotiques, en les regroupant en une journée annuelle. Mais, en définitive, ce jour est venu allonger la liste de ceux qui existaient déjà, car les autres autorités ont continué à les organiser. Ainsi, les aveugles de guerre font toujours l’objet d’une journée spécifique. Aujourd’hui encore, la Moselle fait face à l’inflation des commémorations.
En toute honnêteté, cela ne me semble pas très raisonnable. On peut toujours, pour se faire plaisir, protester de son bon cœur. Mais il faut également faire preuve d’un peu de bon sens. Or le bon cœur est une chose, le bon sens en est une autre !
Pour ma part, je voterai très clairement contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi, auteur de la proposition de loi. Mes chers collègues, très honnêtement, il me semble que les humanitaires et les journalistes victimes de la barbarie méritaient mieux que trente minutes à Villacoublay…
Je me permets de vous rappeler le texte de l’article unique de la présente proposition de loi : « Le 21 septembre, Journée internationale de la paix, décidée le 30 novembre 1981 en vertu de la résolution 36/67 de l’Assemblée générale des Nations unies, il est rendu hommage aux travailleurs humanitaires morts pour la paix et aux journalistes morts pour la liberté d’informer. »
Ce texte fait involontairement écho aux événements dramatiques qui ont frappé la France en ce début d’année 2015 et qui ont profondément marqué notre pays. Le hasard du calendrier législatif a voulu que nous terminions aujourd’hui l’examen de cette proposition de loi, déposée voilà plus d’un an sur le bureau du Sénat. Je ne m’en réjouis pas, soyez-en sûrs.
Toutefois, la position du Gouvernement et celle des différents groupes politiques dont les orateurs se sont exprimés aujourd’hui me semblent regrettables. Nous nous sommes tous indignés, à raison, au lendemain des attentats. Pourquoi ne pas accorder cette journée, qui ne coûterait rien et qui signifierait beaucoup ?
Personne ne devrait mourir pour ses idées. Personne ne devrait mourir pour avoir voulu informer. Personne ne devrait mourir pour avoir voulu aider. Personne ne devrait mourir pour avoir défendu les valeurs qui sont les nôtres.
À travers ce texte, il s’agit de reconnaître et d’encourager le travail de tous les défenseurs des droits humanitaires et des libertés fondamentales, partout où ils se trouvent.
Gardons à l’esprit que près de 700 travailleurs humanitaires ont été tués entre 1990 et 2000. Entre janvier et novembre 2014, 58 journalistes ont perdu la vie. Nous le savons tous, et nous ne pouvons que nous en attrister, ce chiffre a encore augmenté depuis le début de cette année.
La commission des affaires étrangères a reconnu que cette proposition de loi était un geste symbolique, un acte de sensibilisation et une reconnaissance solennelle.
En ces temps troublés, je vous demande de regarder le monde tel qu’il est aujourd’hui. Il est de notre responsabilité de rendre hommage au courage de celles et ceux qui s’engagent, au quotidien, au service de la démocratie et du respect des droits de l’homme. Ces femmes et ces hommes sont engagés au service de la paix. Tous sont des défenseurs de la démocratie. Tous jouent un rôle central dans l’édification de sociétés moins violentes, en France et dans le monde.
Je conclus en citant un extrait de l’acte constitutif de l’UNESCO ayant inspiré la résolution 36/67 adoptée le 30 novembre 1981 par l’Assemblée générale des Nations unies : « De même que les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevés les défenseurs de la paix. »
Oui, mes chers collègues, c’est bien des défenseurs de la paix qu’il s’agit aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative à l’instauration d’une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 91 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l’adoption | 11 |
Contre | 311 |
Le Sénat n’a pas adopté.
M. Jean-Vincent Placé. Merci à nos collègues de l’UMP !
Mme Christiane Hummel. Nous ne sommes pas seuls à avoir voté contre !
4
Pesticides
Rejet d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de résolution relative à la préservation des insectes pollinisateurs, de l’environnement et de la santé et à un moratoire sur les pesticides de la famille des néonicotinoïdes présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Joël Labbé et plusieurs de ses collègues (proposition n° 643 [2013-2014]).
Dans le débat, la parole est à M. Joël Labbé, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Joël Labbé, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne ferai pas un discours de discussion générale, car je n’aime pas les discours. Je souhaite vous livrer un manifeste. Un manifeste pour le respect de la vie.
Je m’adresse directement à vous, mes chers collègues, car mon rôle, ma responsabilité, c’est de tout faire pour vous convaincre.
Je m’adresse aussi à tous ceux qui sont concernés par le sujet qui nous réunit aujourd’hui, en premier lieu le monde agricole, mais aussi à l’ensemble de cette nombreuse population de citoyennes et de citoyens directement intéressée par ces questions et qui forme une véritable foule sentimentale.
Ce manifeste pour la vie vise tout particulièrement nos jeunes, ces générations nouvelles qui ont soif d’idéal dans un monde qui tangue, ainsi que, bien sûr, les générations futures, en perspective.
Il n’est pas facile de présenter un texte qui dérange autant – je sais que c’est le cas -, qui dérange bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Vous commencez à me connaître : je vais le faire avec toute la force de mes convictions.
Il est pourtant tout simple, ce texte, et ne devrait gêner personne, bien au contraire. Je vous en lis la phrase essentielle, que vous devez connaître par cœur tant elle est simple et soft : « Le Sénat [...] invite le Gouvernement français à agir auprès de l’Union européenne pour une interdiction de toutes les utilisations de ces substances néonicotinoïdes tant que les risques graves pour la santé humaine, animale et l’environnement ne seront pas écartés. »
Sur la forme, c’est non pas une injonction, mais une invitation. En toile de fond, bien sûr, même s’il n’est pas écrit, se trouve le principe de responsabilité, qui est à la base de notre rôle politique, que l’on soit membre du Gouvernement, monsieur le ministre, ou parlementaire, mes chers collègues. Membres de la représentation nationale, ce n’est tout de même pas rien !
Il fallait évoquer ce principe à propos de cette invitation au Gouvernement à bien vouloir relayer auprès de l’Union européenne nos préoccupations concernant cette responsabilité, écho de celles d’une foule importante.
On appelle cela une résolution, ce n’est tout de même pas une révolution ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Michel Le Scouarnec. C’est dommage ! On la fera après.
M. Joël Labbé. Il s’agit pourtant bien d’une toute petite révolution, qui s’inscrit dans la logique de ce qu’Edgar Morin définit si joliment comme étant la « nécessaire métamorphose » de la société, qui inclut une part d’indignation, à laquelle nous invite son complice Stéphane Hessel.
M. François Bonhomme. Quelles références !
M. Joël Labbé. Il ne s’agit donc que d’une simple résolution, d’une invitation.
Après ce préambule nécessaire, venons-en au texte.
Je développerai mon propos en cinq parties : je vous exposerai tout d’abord par quel cheminement j’en suis arrivé là.
Ensuite, je développerai les raisons, scientifiques, agronomiques, environnementales et aussi économiques qui ont motivé cette résolution.
L’aspect essentiel de la santé humaine sera abordé tout à l’heure par ma collègue écologiste Aline Archimbaud, que chacun sait très impliquée sur les questions de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Le point suivant concernera les alternatives, qui ne peuvent se limiter au seul remplacement des substances en cause par des produits de substitution. L’agriculture doit faire sa transition en réintégrant les principes de l’agronomie. Ce que vous appelez « agroécologie », monsieur le ministre, ne peut porter ce nom si l’on persiste dans l’utilisation des néonicotinoïdes.
Puis, j’oserai aborder le spirituel, c’est une question majeure. Oui, le spirituel ! Ce n’est pas habituel en politique, mais je vais tout de même le faire, en sénateur inhabituel, improbable et imprévisible.
Mme Esther Benbassa. Ah oui !
M. Joël Labbé. Enfin, je vous parlerai de politique, unique raison de notre présence dans cette enceinte. Je vous expliquerai comment je vois la politique, comment je la vis, comment je la souhaite : une politique qui rime avec éthique.
Je n’oublie pas l’objectif : dénoncer les abominables criminels que sont les pesticides néonicotinoïdes. Oui, vous avez bien entendu : criminels ! Je développerai ce point et cette accusation ultérieurement.
Par quel cheminement en suis-je arrivé là ?
Après trente-sept ans d’une vie d’élu local très heureuse et très riche, alors que je n’ai jamais eu de projet de carrière politique et n’en ai toujours pas, j’ai pris le risque d’être candidat aux élections sénatoriales de 2011.
Ayant été élu avec surprise, de manière inattendue, je siège dans cet hémicycle depuis trois ans en qualité de sénateur du Morbihan et, comme nul n’est parfait, sur les travées écologistes. (Sourires.) Je suis heureux et fier d’être membre de ce groupe.
Dès mon arrivée en immersion dans cette majestueuse maison qu’est le Palais du Luxembourg, j’ai intégré la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement. Initialement, l’objet de la mission était donc double et incluait l’incidence de ces produits sur la santé humaine et sur l’environnement. Le volet consacré à la santé humaine a cependant été si lourd, que, en sept mois de travail, nous avons été contraints de nous en contenter. Il faudrait d’ailleurs étudier la suite à donner à ce travail.
Cette mission avait vu le jour sur l’initiative de Nicole Bonnefoy, sénatrice de Charente, qui en était la rapporteur, et était brillamment présidée par Sophie Primas, membre de l’UMP. Cette équipe pluri-politique a particulièrement bien travaillé en commun.
Lors de cette première mission, j’ai pu me rendre compte de la richesse du travail de notre assemblée hors les murs qui doit annoncer des suites législatives dans ses murs.
Comme tous les participants, j’ai été particulièrement touché par les propos de spécialistes : le professeur Charles Sultan, pédiatre endocrinologue à Montpellier, est spécialisé dans les questions de puberté précoce ; le professeur Rémi Besson est chirurgien au CHU de Lille, et, face à leur augmentation, il s’est spécialisé dans les malformations génitales des nouveau-nés masculins ; le docteur Nadine Houédé est spécialiste du cancer de la vessie. Il est avéré que, à l’origine de ces pathologies, on trouve les pesticides.
Près de la moitié des cent neuf recommandations que la mission a votées à l’unanimité ont déjà été adoptées par les ministères concernés. Les autres sont intégrées au fur et à mesure dans les projets de loi, dont la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, monsieur le ministre, ou font l’objet de propositions de loi d’initiative parlementaire.
J’en ai fait l’expérience en élaborant la proposition de loi visant à interdire l’usage des pesticides sur les espaces publics des collectivités à partir de 2020 et dans les jardins domestiques dès 2022. Celle-ci a été adoptée au mois de février 2014. Ce n’était pour moi qu’une étape : je ne cherche pas à inscrire mon nom au bas d’une loi.
Cela étant, comme je m’intéresse tout particulièrement aux domaines agricole et alimentaire, j’organise chaque année un colloque au Sénat. Le thème de celui qui a été mis en place au printemps 2013, juste avant l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, était l’agroécologie, ce que doit être l’agroécologie.
Le 5 juin 2014, le colloque que j’organisais en lien étroit avec l’UNAF, l’Union nationale de l’apiculture française, s’intitulait : « Pour une agriculture respectueuse des pollinisateurs. » À cette occasion étaient réunis un certain nombre d’experts et de chercheurs internationaux, de professionnels de l’apiculture, d’acteurs associatifs et de parlementaires. L’ensemble des intervenants avaient estimé que l’usage des néonicotinoïdes avait une incidence avérée sur le déclin des colonies d’abeilles.
« Les preuves sont très claires. Nous sommes face à une menace qui pèse sur la productivité de notre milieu naturel et agricole. Il convient de planifier leur suppression progressive à l’échelle mondiale. » Ainsi, s’exprime le Britannique Dave Goulson, biologiste et apidologue de l’université du Sussex.
C’est à la suite de ce colloque que j’ai déposé le 19 juin dernier, sur le bureau de la Haute Assemblée, la présente proposition de résolution. Simultanément, le député de Dordogne Germinal Peiro, rapporteur du projet de loi d’avenir pour l’agriculture précité, déposait un texte identique à l'Assemblée nationale.
Quelques jours après étaient publiées les conclusions d’une méta-étude reprenant l’ensemble de la littérature scientifique de quinze pays sur les néonicotinoïdes.
Cette étude transversale, réalisée par la Task force on systemic pesticides, visait à examiner les causes potentielles du déclin des insectes depuis les années cinquante. Ce travail gigantesque mené par vingt-neuf chercheurs, dont Dave Goulson et le Français Jean-Marc Bonmatin, chercheur en biophysique moléculaire au CNRS d’Orléans, a révélé un effondrement massif du nombre de certaines espèces d’insectes, bien au-delà des seuls pollinisateurs, à partir du début des années quatre-vingt-dix. Ce phénomène a commencé en Europe de l’Ouest, avant de s’étendre rapidement à l’est et au sud.
En tant que scientifiques indépendants, sans aucun a priori, ces professionnels ont découvert que l’effondrement de ces populations coïncide avec l’introduction des pesticides systémiques, persistants et neurotoxiques de la famille des néonicotinoïdes.
M. Ronan Dantec. Absolument !
M. Joël Labbé. L’étude démontre que ces néonicotinoïdes touchent également les oiseaux insectivores communs, qui accumulent des doses importantes de ces produits à la toxicité extrêmement forte. Ces pesticides ont aussi une incidence sur les petits mammifères qui se retrouvent exposés à cause, d’une part, de leur proximité avec les cultures et, d’autre part, de l’ingestion de graines enrobées et de plantes traitées. Mais c’est également l’ensemble de la faune et de la microfaune du sol agricole qui est concerné.
En première ligne, sont affectés les vers de terre, qui sont exposés à des niveaux élevés via le sol et les plantes. Vous le savez bien, monsieur le ministre, vous qui leur avez rendu un vibrant hommage lors de la troisième conférence environnementale. Celui que vous avez nommé votre « camarade », le ver de terre, est l’un des plus grands marqueurs de la bonne santé des sols et de la biodiversité.
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Joël Labbé. Vous avez déclaré : « Trois tonnes de vers à l’hectare, ça vous remue 280 tonnes de terre. »
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Plus !
M. Joël Labbé. « Pendant ce temps-là, vous n’avez pas besoin de labourer », avez-vous ajouté. C’est vrai ! Or l’étude montre que les vers de terre sont en première ligne de cet empoisonnement généralisé.
Pourtant, quand on a des camarades – moi, mes camarades, je les appelle mes « potes » ! –, de bons camarades, ou de bons potes, on fait tout pour qu’ils ne soient pas empoisonnés.
À propos du travail du sol, la taupe, qui a mauvaise réputation – et pourtant ! –,…
Mme Aline Archimbaud. Ah oui !
M. Joël Labbé. … véritable mineur de fond des sols, joue, elle aussi, un rôle essentiel dans la vie des sols.
Pour l’instant, je n’ai rien lu au sujet de la disparition des taupes, mais je sais que les vers de terre constituent 80 % de sa nourriture. Les taupes sont donc, elles aussi, forcément touchées. Tout cela donne le vertige, monsieur le ministre !
Le sol, la vie même du sol, est mis à mal. Lors d’un colloque organisé à la fin de l’année dernière à l'Assemblée nationale à l’occasion de la Journée mondiale des sols, on a pu constater à quel point les sols avaient perdu de leur fertilité à l’échelle mondiale.
On parle de la qualité de l’eau, qui, on le sait, va mal. On parle aussi de la qualité de l’air qui, on le sait, va mal. Mais on oublie la qualité du sol qui va très mal. Aussi, il va falloir faire quelque chose, et de manière globale. Sinon, dans quel état allons-nous laisser cette terre pourtant nourricière qu’est le sol ?
Lors de la journée mondiale précitée, j’ai entendu cette superbe formule : « La vie fait le sol … et le sol fait la vie. » Alors, faisons en sorte que cesse le massacre !
Je n’ai pas le temps d’évoquer la conférence internationale sur le climat, mais je tiens à dire que la fixation du carbone dans les sols ne peut se faire qu’à condition de maintenir ceux-ci vivants. Il faut donc arrêter de les empoisonner.
Je pèse mes mots, et j’accuse !
Enfin, s’il était encore besoin d’en rajouter à ce plaidoyer à charge, je rappelle que plusieurs espèces d’invertébrés aquatiques sont également touchées.
Voilà pour les études, monsieur le ministre. On peut encore en commander des tonnes. Mais dans quel but ? Attendre ? Attendre toujours et encore ?...
Bien sûr, il serait difficile de croire que tout se passe silencieusement, sans aucune incidence sur la santé humaine ; ma collègue Aline Archimbaud évoquera cette question ultérieurement.
Pour ma part, j’en viens maintenant aux motivations économiques de la présente proposition de résolution.
En ces temps difficiles que traverse notre économie, on entend dire : « l’environnement, les petites bêtes et les petites fleurs, c’est bien joli, mais il faut nourrir les populations de la planète et penser à l’emploi ! » C’est le grand discours classique que tient ce qu’on dénomme la « profession », en particulier son grand maître incontesté et incontournable, que certains appellent le « ministre de l’agriculture bis » ! – ça ne me plairait pas, monsieur le ministre ! – et, bien sûr, les firmes regroupées derrière l’UIPP, l’Union des industries de la protection des plantes, dont certains représentants sont peut-être dans les tribunes. Mais quelle protection des plantes, quelle protection des sols, quelle protection de la vie apportent-ils ?
Pourtant, pour parler économie, la valeur économique de la pollinisation a été estimée à 153 milliards d’euros par an. La seule Europe affiche un déficit de 13,4 millions de colonies d’abeilles. En France, comme en Allemagne, moins de 50 % des colonies nécessaires à la pollinisation sont encore présentes.
Pour ce qui concerne la valeur économique que représente la vie du sol agricole, celle qui fait sa fertilité renouvelable, à l’infini si on la respecte, elle est inestimable, même si je ne dispose pas encore des chiffres : à terme, elle sera équivalente au poids économique de l’ensemble de l’agriculture mondiale. N’allez pas imaginer que l’on pourra nourrir la planète en 2050 en se passant du sol : ce serait une folie !
À la fin de l’année dernière, de cette tribune, je vous avais fait une proposition cash, un peu à la volée, monsieur le ministre : faire réaliser une étude complète et chiffrée mesurant précisément – écoutez bien et notez-le ! – les coûts des externalités négatives de l’agriculture productiviste et les bénéfices chiffrés en termes de services rendus par les aménités apportées par les agricultures alternatives, notamment, l’agriculture biologique, dont on parle beaucoup trop peu.
M. Jean-Vincent Placé. Exactement !
M. Joël Labbé. Aujourd’hui, je vous le demande solennellement du haut de cette même tribune ! La population française, mais également européenne, doit pouvoir choisir l’agriculture qu’elle souhaite voir développer pour la soutenir, en vue de permettre la véritable transition tant attendue.
Je dirai maintenant quelques mots du nouveau plan Écophyto. Même si de petites choses sont bonnes, le premier plan est une catastrophe. Il s’agit d’un acte manqué. Quoi qu’il en soit, de bonnes intentions président à l’élaboration du deuxième plan. Mais si nous ne sommes pas aujourd'hui capables d’envoyer un premier signe en adoptant cette proposition de résolution, nous nous placerions déjà dans le renoncement !
Je retiendrai la citation d’André Pochon,…
M. Bruno Sido. Qui est-ce ?
M. Michel Le Scouarnec. Un agriculteur des Côtes-d’Armor !
M. Joël Labbé. Je vous invite à lire ce qu’il a écrit, monsieur Sido ! C’est un paysan, un vrai paysan !
Cette citation a été mise en avant dans le rapport de Dominique Potier : « Comment se fait-il donc que l’agriculture dite ″moderne″ ait oublié à ce point les règles élémentaires de l’agronomie ? Comment se fait-il qu’elle ait tourné le dos à une agriculture ″durable″, qui préserve l’avenir des hommes et de la terre sans sacrifier le présent ? » Tout est dit ! Il est tard, mais pas trop tard. En revanche, en 2025, ce sera trop tard !
Je vous l’ai annoncé, je prendrai quelques minutes, madame la présidente, pour aborder le volet spirituel.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Ah !
M. Joël Labbé. À la fin du siècle dernier, on paraphrasait souvent – c’est de moins en moins le cas ! – ce grand visionnaire qu’était André Malraux en disant : « Le XXIe siècle sera spirituel, ou ne sera pas. » On est au XXIe siècle, depuis déjà quinze ans, et le spirituel tarde à venir !
Le spirituel, que l’on soit croyant, athée ou agnostique – une qualification qui me convient –, mène vers le respect des équilibres naturels dans cette magnifique alchimie qui fait les équilibres de la vie.
À cet égard, je me référerai à une autre belle pensée contemporaine, celle d’Hubert Reeves.
Mme la présidente. Il va falloir conclure, mon cher collègue !
M. Bruno Sido. Allez-y !
M. Jean Desessard. On vous écoute, mon cher collègue !
M. Joël Labbé. Hubert Reeves a déclaré : « L’homme est l’espèce la plus insensée, il vénère un dieu invisible et massacre une nature visible ! Sans savoir que cette nature qu’il massacre est ce dieu invisible qu’il vénère. »
Voilà pour le volet spirituel.
Permettez-moi, en conclusion, d’aborder le volet politique.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Joël Labbé. Je ne saurais terminer mon intervention sans parler de politique. (Exclamations narquoises sur certaines travées de l'UMP.) Ricanez si vous voulez, cela ne m’empêchera pas de poursuivre mon propos !
Nous ne pourrons pas réussir notre transition, qu’elle soit climatique, écologique, agricole ou énergétique, sans réussir la transition politique. Or, là, nous avons du boulot !
Je vous ai dérangés…
M. François Bonhomme. Mais non !
M. Joël Labbé. Je sais que j’ai dérangé un certain nombre de mes collègues, en demandant un scrutin public sur cette proposition de résolution. Mais je veux que chacun vote en son âme et conscience. Vous l’aurez compris, c’est ma conscience qui me pousse à parler. Moi, je suis gêné par ma propre conscience : on ne peut laisser les choses en l’état, je le crierai ou, plutôt, je le dirai de plus en plus fort.
Monsieur le ministre, j’attends – je l’espère encore ! – que ce texte recueille au moins un avis de sagesse, avant que l’assemblée des sages ne se prononce. Moi, je vous apprécie et je vous respecte. En revanche, l’esprit qui règne dans cette maison commence à me déranger. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Il y a des symboles. Parfois, il faut poser des actes, madame la présidente. La cravate est obligatoire ici…
M. Henri de Raincourt. Heureusement !
M. Joël Labbé. J’ai fait des efforts, je n’avais pas l’habitude de la porter en arrivant au Sénat. Mais aujourd'hui, je ne me reconnais plus dans l’esprit qui règne actuellement au Sénat. Et la cravate, je vais la tomber ! Je ne la porterai plus ici ! (M. Joël Labbé joint le geste à la parole.)
M. François Bonhomme. Il faut la couper !
Mme la présidente. Mon cher collègue, vous pouvez poursuivre si vous le désirez, mais votre temps de parole sera imputé sur celui de votre groupe.
M. Joël Labbé. Je tiens à ce que mes collègues puissent s’exprimer à leur tour, madame la présidente ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Bruno Sido. La cravate est obligatoire ! Rappel au règlement !
M. Joël Labbé. Quant à vous, qui siégez sur les travées de l’UMP, vous pouvez continuer de ricaner !
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Miquel.
M. Gérard Miquel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui par M. Joël Labbé et un certain nombre de membres de la Haute Assemblée aborde une problématique très importante, qui prend une place de plus en plus grande dans nos débats et suscite toujours plus d’attente de la part de la société civile.
En effet, la question de l’incidence des pesticides sur notre santé et notre environnement est majeure. Elle se situe au carrefour de très nombreux enjeux et soulève des interrogations complexes qui nous concernent tous, en tant qu’élus et citoyens. Ainsi, comment faire face aux nouveaux défis environnementaux qui s’imposent à nous ? Quel modèle agricole et alimentaire voulons-nous ? Comment concilier protection de la biodiversité et productivité agricole ? Toutes ces questions, nous nous les posons tous, notamment au travers des différents textes législatifs que nous examinons.
Le groupe socialiste du Sénat est particulièrement sensible au sujet des pesticides et l’a démontré avec force ces dernières années. En 2011, à sa demande, une mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement a été créée. Au mois d’octobre 2012, Mme Nicole Bonnefoy rendait un rapport fort d’une centaine de recommandations. En juillet dernier, nous nous félicitions de voir de nombreuses préconisations être d’ores et déjà concrétisées dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Par ailleurs, toujours dans le cadre de ce dernier texte, de nombreuses avancées ont été soutenues par les sénateurs socialistes ; j’y reviendrai plus longuement tout à l’heure.
La présente proposition de résolution, quant à elle, aborde la question plus précise des néonicotinoïdes, une famille particulière d’insecticides utilisés en agriculture pour traiter des semences et des sols, ou en pulvérisation. Cette classe de produits intéresse plus singulièrement les apiculteurs, qui voient dans leur utilisation un danger majeur pour les abeilles. D’ailleurs, l’Union nationale de l’apiculture française a été particulièrement active lors de l’élaboration de cette proposition de résolution, ce que nous pouvons comprendre.
Depuis plusieurs années, le monde apicole traverse en effet une crise. La chute démographique de la population d’abeilles est très significative en France, comme dans le reste du monde. Les pertes hivernales sont largement supérieures à la normale et le taux de mortalité des abeilles serait passé de 5 % en 1995 à 40 % aujourd’hui. La production de miel s’en trouve mécaniquement affectée et atteint des niveaux historiquement bas. En vingt ans, elle aura été divisée par près de trois, passant de 35 000 tonnes par an dans les années quatre-vingt-dix à 15 000 tonnes en 2013 et, selon certaines projections, à 10 000 tonnes en 2014. Les apiculteurs subissent de plein fouet cette crise structurelle et incriminent particulièrement les néonicotinoïdes comme cause majeure du déclin des abeilles en France.
C’est pourquoi les auteurs de la présente proposition de résolution demandent au Gouvernement d’intervenir auprès de l’Union européenne pour « une interdiction de toutes les utilisations de ces substances néonicotinoïdes tant que les risques graves pour la santé humaine, animale et l’environnement ne seront pas écartés. »
Mes chers collègues, nous sommes tous conscients de la situation dramatique dans laquelle se trouvent plongés les apiculteurs. Nous sommes, j’en suis sûr, tous d’accord pour dire que des actions de soutien à la filière apicole doivent être mises en œuvre pour préserver ces professionnels, qui font vivre nos territoires et participent par là même à la préservation de la biodiversité.
Pour autant, si les néonicotinoïdes ont une incidence sur la santé des insectes pollinisateurs, il ne faut pas imputer à ces seules substances la responsabilité du déclin de la population de ces insectes depuis plusieurs années. Les études scientifiques tendent largement à démontrer que les causes de cette chute sont multifactorielles : pesticides, frelon asiatique, varois, prédateurs, champignon parasite, ou encore changement climatique.
C’est pourquoi, dans leur grande majorité, les membres du groupe socialiste du Sénat ne peuvent pas soutenir en l’état la présente proposition de résolution. Je tiens tout de suite à préciser que cette position tient à des raisons non pas de fond, mais bien de forme. En effet, nous partageons tous l’impérieuse nécessité de préserver les insectes pollinisateurs, indispensables à un bon équilibre écologique. Par ailleurs, et d’une manière générale, nous en sommes également tous d’accord, nous devons réduire significativement l’incidence des pesticides sur notre environnement et notre santé. Pour autant, nous sommes nombreux à penser que, s’il faut agir avec force et conviction, il faut également user de patience et de concertation.
M. Ronan Dantec. Ce sont les abeilles qui ont besoin de patience !
M. Gérard Miquel. Sur ces questions, la décision ne peut être unilatérale, car elle implique une multitude d’acteurs. À titre d’exemple, si nous avions la possibilité de voter une telle interdiction – nous ne le sommes pas, comme je vous l’indiquerai dans quelques instants –, quelles solutions alternatives serions-nous en mesure de proposer aux agriculteurs producteurs de maïs, de colza, d’orge ou de blé d’hiver qui ont aujourd’hui recours à ce type de produits ? Nombre d’entre eux s’inquiéteraient de cette interdiction de principe et dénonceraient une distorsion de concurrence entre eux et le reste des agriculteurs européens.
Bien évidemment, si un enjeu de santé publique majeur est constaté, il faut agir vite, et nous l’avons déjà fait. Mais si tel n’est pas le cas, il faut privilégier le dialogue pour faire bouger les lignes dans la durée. C’est en ce sens que s’est engagée la France depuis plusieurs années sur la scène européenne, et je tiens à saluer en cet instant votre travail à cet égard, monsieur le ministre.
Je rappelle que la réglementation européenne ne permet pas aux États membres d’autoriser ou d’interdire une substance active, en l’occurrence les néonicotinoïdes. Les États membres ont seulement la possibilité de se prononcer sur les produits en eux-mêmes. Et nous avons déjà usé de cette faculté ! Dès le mois de juin 2012 – les auteurs de la proposition de résolution l’admettent –, la France a été en première ligne sur ce sujet, en interdisant tout d’abord au plan national le Cruiser OSR, puis en introduisant à l’échelon européen une procédure visant à interdire les semis de colza traités par enrobage au thiaméthoxam.
En mai 2013, la réglementation européenne a encadré l’utilisation des néonicotinoïdes. Avec le fort soutien de la France, la Commission européenne a ainsi restreint l’utilisation de trois des cinq substances actives de cette famille de pesticides du fait de leur nocivité sur la population d’abeilles. Cette mesure est entrée en vigueur le 1er décembre 2013 et une révision de la dangerosité de ces produits doit avoir lieu d’ici à deux ans. Pour ce qui concerne les deux substances actives toujours autorisées en raison d’une dangerosité bien moindre à l’égard des insectes pollinisateurs, une réévaluation du risque de leur utilisation pour les abeilles sera conduite dans le cadre du réexamen général de l’approbation de ces substances à l’échelle européenne. Je crois savoir, monsieur le ministre, que vous vous engagerez afin que cette réévaluation intervienne rapidement, ce dont nous nous félicitons !
Par ailleurs, au mois de juin 2013, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a proposé un cadre révisé de l’évaluation du risque des produits phytosanitaires. Ce cadre prend en compte de manière plus large le risque pour les abeilles domestiques et certains pollinisateurs sauvages. Comme le ministre le confirmera certainement, les autorités françaises participent activement aux travaux s’orientant vers ces nouvelles lignes directrices.
La France est donc clairement engagée au plan européen sur la question des pesticides. Le dialogue est parfois difficile sur ce sujet, vous pourrez nous le confirmer, monsieur le ministre. II faut donc éviter d’envoyer des signaux radicaux qui pourraient être contreproductifs, notamment vis-à-vis de nos partenaires européens. En outre, conformément à l’engagement du Président de la République, il faut cesser de « surtransposer » les directives européennes. Nous sommes nombreux, sur toutes les travées de cet hémicycle, à partager ce constat. Le monde agricole y est aussi particulièrement attentif.
Parallèlement, à l’échelon national, une démarche globale du ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt a été engagée pour encadrer davantage les produits phytosanitaires et protéger les insectes pollinisateurs. Le plan de développement durable de l’apiculture, lancé le 8 février 2013, vise à diminuer la mortalité des abeilles, à soutenir la recherche dans le domaine apicole, à structurer le développement du cheptel français, à encourager l’installation et à organiser la filière. Le plan Écophyto, qui prévoit la réduction de l’usage des pesticides d’ici à 2018, sera également révisé et adapté dans le courant de la présente année. Dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, des avancées significatives ont été votées en matière d’encadrement de l’utilisation des pesticides et de promotion d’une agriculture plus durable.
J’évoquerai en cet instant l’une des plus emblématiques, à savoir le transfert de la compétence de délivrance des autorisations de mise sur le marché de produits phytosanitaires, des matières fertilisantes et des adjuvants à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, pour plus d’efficacité et d’objectivité. Les ministres chargés de l’agriculture, de l’environnement ou de la santé pourront continuer à prendre des mesures de restriction ou d’interdiction de ces produits en cas de risque avéré pour la santé publique et l’environnement. Ils garderont leur rôle pour ce qui concerne la définition des risques acceptables, l’approbation des substances actives au plan communautaire, ou encore la mise en œuvre de politiques publiques à travers le plan Écophyto.
Par ailleurs, un comité de suivi des autorisations de mise sur le marché est créé au sein de l’ANSES. Il aura vocation à faire la synthèse de l’ensemble des éléments d’appréciation permettant de prendre des décisions fondées sur l’intérêt public, tout en assurant la cohérence des actions à mener une fois les autorisations délivrées.
De plus, la loi précitée consacre le projet agroécologique, qui vous est cher, monsieur le ministre, dont la définition désormais inscrite dans le code rural est la suivante : un système de production qui doit privilégier « l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité […]en réduisant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques. » La création des groupements d’intérêt économique et environnemental incarne ce projet, et permettra une modification durable de nos systèmes de production.
Il faut également noter l’instauration, sur l’initiative du groupe socialiste du Sénat, d’un dispositif de phytopharmacovigilance, dont l’objet est de surveiller les effets indésirables des produits phytosanitaires sur l’homme et l’environnement. Toujours sur notre initiative, ce dispositif a été étendu à la santé des abeilles domestiques.
Le groupe socialiste du Sénat a également établi le principe d’une présentation par l’ANSES d’un rapport annuel au Parlement rendant compte de ses activités relatives à l’évaluation, la mise sur le marché et le suivi des effets sur la santé après leur mise sur le marché des produits.
La loi oblige par ailleurs les détenteurs d’agréments à participer à la réalisation des objectifs du plan Écophyto, renforce la traçabilité des produits phytosanitaires, ou encore exige que les distributeurs délivrent un conseil global, spécifique et individualisé à tous les utilisateurs professionnels.
Finalement, mon groupe a interdit l’usage de substances dangereuses pour la santé ou l’environnement dans les aires d’alimentation des captages d’eau potable. Des dispositions de protection ont également été prises pour les zones situées à proximité d’établissements recevant des publics sensibles, comme les hôpitaux et les maisons de santé.
En conclusion, je le répète, le groupe socialiste, dans sa grande majorité, ne soutiendra pas cette proposition de résolution.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Gérard Miquel. Si nous partageons totalement au fond son ambition, nous restons cependant très réservés quant à sa forme.
M. Ronan Dantec. C’est contradictoire !
Mme Aline Archimbaud. Des actes !
M. Gérard Miquel. Comme je viens de l’évoquer, des avancées significatives ont déjà été obtenues et M. Joël Labbé, qui a participé activement aux travaux sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, pourra le confirmer. Or, et certains pourront le regretter, nous ne pouvons pas agir seuls sur ces questions. La réglementation européenne ne nous le permet pas. Nous devons au contraire privilégier le dialogue et la pédagogie, comme le fait le Gouvernement français, et particulièrement M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, en demandant actuellement la réévaluation des substances actives de la famille des néonicotinoïdes. C’est en ce sens que la France a pris totalement part aux négociations européennes sur le sujet, et nous souhaitons que cette action soit poursuivie. C’est pourquoi, dans un souci de clarté et de lisibilité, le groupe socialiste du Sénat déposera prochainement une proposition de résolution pour expliciter davantage son positionnement.
Je voudrais, à la fin de mon propos, citer Victor Hugo, qui disait, à propos du manteau de Napoléon III parsemé d’abeilles : « Abeilles, piquez-le toutes en même temps ! » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Joël Labbé s’est forgé depuis le début de son mandat une expertise sur les questions agricoles. Son combat inlassable et crucial pour la protection des abeilles et des insectes pollinisateurs est connu de vous toutes et tous. Son intervention, à l’instant, l’a encore démontré avec force. Mon groupe soutient, bien évidemment et totalement, l’ensemble de sa démarche, que je tiens à compléter d’un point de vue sanitaire.
Si l’incidence dramatique des néonicotinoïdes sur les pollinisateurs, les macro-invertébrés et les oiseaux comme les dangers terribles qu’ils font donc courir à la pollinisation, et par voie de conséquence à toute la production agricole ne peuvent plus être niés, nous savons à présent que les risques graves que cette famille d’insecticides fait peser sur la santé humaine ne peuvent plus être exclus.
En effet, dans un communiqué du 17 décembre 2013, l’Agence européenne de sécurité des aliments a déclaré : « Deux insecticides néonicotinoïdes – l’acétamipride et l’imidaclopride – peuvent avoir une incidence sur le développement du système nerveux humain ». Elle a ainsi constaté que ces deux produits « peuvent affecter de façon défavorable le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l’apprentissage et la mémoire. »
En 2012 déjà, une étude menée par les chercheurs Komuta et Kuroda sur des rats avait suggéré que les néonicotinoïdes pourraient affecter défavorablement la santé humaine, et signalé, elle aussi, l’éventualité de risques particuliers pesant sur le développement du cerveau. Sur ce fondement, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire du Canada a, en 2013, classé trois néonicotinoïdes dans la catégorie des perturbateurs endocriniens potentiels.
Dès 2004, l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis a classé l’une de ces substances parmi les cancérogènes probables.
Quant au Parlement néerlandais, sur le fondement des études montrant le lien entre ces pesticides et la mortalité élevée des abeilles ainsi que l’apparition de lésions cérébrales chez les enfants, il a invité le gouvernement de son pays à adopter un moratoire sur l’ensemble des nicotinoïdes, jusqu’à ce que l’innocuité de ces derniers pour les abeilles et la santé humaine soit établie.
Tel est précisément l’objet de la proposition de résolution que nous soumettons à l’examen du Sénat. Il ne s’agit que d’une proposition de prise de position, extrêmement modérée au regard des enjeux. Vraiment, cette résolution est à nos yeux le minimum vital !
En effet, mes chers collègues, ayons bien à l’esprit que, si ces pesticides sont cancérogènes, une étude rendue publique au mois de juin 2013 par l’association Générations futures doit nous préoccuper : en recherchant des traces des cinq principaux néonicotinoïdes dans des aliments végétaux courants non concernés par les récentes restrictions d’usage de ces insecticides, les auteurs de cette étude ont constaté que les aliments testés contenaient, à des degrés divers, mais fréquemment, des résidus de pesticides.
Cette étude a fait apparaître que certaines limites maximales en résidus étaient largement dépassées à propos d’un certain nombre de fruits et légumes. Songez que 45 % des échantillons de courgettes, et pas moins de 80 % des échantillons de thés, contenaient des résidus de néonicotinoïdes !
Mes chers collègues, nous sommes clairement confrontés à un risque de dommages graves ou irréversibles. Or, en pareil cas, il résulte du principe de précaution que l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives. Ne commettons pas de nouveau des erreurs qui nous ont coûté cher par le passé !
Le groupe écologiste vous propose de nous rassembler pour dresser un constat, lancer une alerte et demander au Gouvernement d’agir auprès des autorités européennes ; la présente proposition de résolution ne contient rien de plus. Pourquoi ?
Parce que les études scientifiques sont extrêmement préoccupantes et nombreuses.
Parce qu’il s’agit non pas encore de se mettre d’accord sur des mesures concrètes, mais d’inciter le Gouvernement à alerter l’Europe.
Parce que le rapport de la table ronde Environnement et santé de la conférence environnementale qui s’est tenue au mois de novembre dernier, à laquelle j’ai participé, souligne dans son paragraphe 44 la dangerosité des néonicotinoïdes, sur laquelle nombre de participants ont insisté.
Parce que, dans son discours de clôture de cette même conférence, le Président de la République a déclaré qu’il voulait aller « plus loin » dans le sens de l’interdiction de ces produits ; c’est exactement l’évolution que cette proposition de résolution vise à appuyer.
Pendant des décennies, la réglementation sur les pesticides a été fondée sur des études de toxicité financées par l’industrie, tandis que le travail des scientifiques indépendants et des lanceurs d’alerte n’était généralement ni encouragé ni pris en compte. À l’évidence, il faut rompre avec ces pratiques si l’on veut réellement servir l’intérêt général.
Alors que près de 1 500 médecins de France ont lancé, l’an dernier, une alerte sur les pesticides en général, après avoir constaté une augmentation des troubles de la fertilité et des troubles neurologiques sur leurs patients exposés – agriculteurs, enfants d’agriculteurs, riverains des champs concernés –, il serait dramatique que le Sénat se refuse à lancer l’alerte sur les plus dangereux de ces produits.
L’adoption de la présente proposition de résolution ne serait qu’une première étape, encourageante, mais elle est indispensable. De plus, elle permettrait au Sénat de jouer son rôle d’avant-garde éclairée, de prouver son utilité et son sens de la responsabilité.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas, collectivement, faire moins qu’adopter cette proposition de résolution. Nous ne pouvons pas continuer à placer les intérêts économiques privés au-dessus de la santé de nos concitoyens, ni à opposer, de façon fallacieuse, l’emploi et le développement économique à la santé, alors que des solutions existent qui concilient les deux objectifs.
Si nous ne sommes pas au rendez-vous, il ne faudra pas s’étonner de la défiance croissante des citoyens à l’égard des politiques, à l’heure où, nous le constatons bien, cette perte massive de confiance vis-à-vis de l’action politique favorise la montée d’extrémismes au plus haut point dangereux pour la République.
Mes chers collègues, nous comptons sur vous et sur votre engagement au service de l’intérêt général. Monsieur le ministre, nous espérons que vous saisirez l’opportunité de l’initiative parlementaire et que vous vous appuierez sur elle pour aller de l’avant ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)
Mme Esther Benbassa. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à remercier Joël Labbé d’avoir présenté cette proposition de résolution commune, à laquelle nous nous sommes volontiers associés.
Je vous confirme qu’il ne vous propose pas de faire la révolution. Permettez-moi, pour vous en convaincre, de vous donner lecture de la fin de la proposition de résolution :
« Considérant que la France a joué un rôle déterminant dans la protection des pollinisateurs au niveau européen, et qu’il lui appartient de poursuivre cette action,
« Considérant que la protection des pollinisateurs, de l’environnement et de la santé humaine et que la préservation des rendements agricoles sont une impérieuse nécessité,
[Le Sénat]
« Invite le Gouvernement français à agir auprès de l’Union européenne pour une interdiction de toutes les utilisations de ces substances néonicotinoïdes tant que les risques graves pour la santé humaine, animale et l’environnement ne seront pas écartés. »
Vous le constatez, il ne s’agit pas du tout de prendre des initiatives strictement françaises. Vraiment, nous ne proposons pas de faire la révolution : nous proposons simplement d’œuvrer ensemble pour faire avancer cette cause.
Depuis de nombreuses années déjà, les sénateurs de mon groupe, comme bien d’autres, alertent les pouvoirs publics au sujet de l’incidence de nombreux pesticides sur les pollinisateurs. Nous avons demandé à plusieurs reprises l’interdiction du Gaucho et du Régent TS qui a fini par être décidée après que tout le monde eut admis la particulière nocivité de ces produits. On peut citer aussi le cas du Cruiser OSR.
Comme nombre de ceux qui participent à ce débat, je fais partie du comité de soutien des élus à l’abeille et aux apiculteurs. Nous pensons que la défense des abeilles est essentielle pour le développement de la biodiversité. C’est pourquoi j’ai cosigné, avec certains membres de mon groupe, la proposition de résolution soumise à notre examen.
Comme je l’ai expliqué en 2012 au cours de la discussion d’une question orale avec débat sur la lutte contre la prolifération du frelon asiatique, les abeilles, indispensables à la pollinisation des fleurs, forment un maillon essentiel de la chaîne qui contribue à maintenir l’équilibre des écosystèmes. Elles jouent un rôle primordial dans les diverses phases de la vie de nombreuses espèces végétales et animales. Par ailleurs, l’abeille mellifère est le seul insecte dont l’homme consomme la production : miel, pollen, propolis et gelée royale.
De plus, l’abeille et les pollinisateurs sont indispensables à la biodiversité et aux rendements des cultures agricoles. De fait, comme M. Labbé l’a fait remarquer, la valeur économique de la pollinisation se chiffre à plus de 150 milliards d’euros par an.
Certes, comme M. Miquel l’a souligné, les populations de pollinisateurs doivent faire face à de multiples menaces : frelon asiatique, produits phytosanitaires, maladies des ruches, pression urbaine, dégradation de l’habitat, climat, développement de la monoculture. Là est toute la difficulté : il n’y a jamais un seul facteur. (M. le ministre acquiesce.) Toutefois, il est aujourd’hui essentiel de faire un premier pas et d’interdire ce type d’insecticides agissant sur le système nerveux central des insectes.
Le plus grave est que l’un des principaux modes d’application de ces substances consiste à en enrober les semences avant leur mise en terre. La plante sécrète alors le toxique tout au long de sa vie, de sorte que le traitement n’intervient pas ponctuellement : il est permanent et transforme des millions d’hectares de grandes cultures en champs insecticides.
Cette proposition de résolution est d’autant plus importante que le Parlement européen a adopté, le 11 mars dernier, un texte, certes sans valeur contraignante, qui préconise de revenir sur la restriction de certains insecticides néonicotinoïdes actuellement en vigueur dans l’Union européenne. De toute évidence, il faudrait au contraire interdire tous ces produits, tant que les risques graves pour la santé humaine et animale et pour la biodiversité ne seront pas écartés, conformément au principe de précaution inscrit dans la Charte de l’environnement.
Cette proposition de résolution est d’autant plus importante aussi que la restriction européenne entrée en vigueur le 1er décembre 2013 est contestée devant la Cour de justice de l’Union européenne, fait guère étonnant, par deux fabricants de produits néonicotinoïdes, Syngenta et Bayer AG, bien que le thiaméthoxam et l’imidaclopride aient été épinglés par l’Autorité européenne de sécurité des aliments pour le risque qu’ils font peser « sur le développement du système nerveux humain ».
Si cette proposition de résolution n’était pas suivie d’effet, nous pensons qu’il serait impératif que la France fasse jouer la clause de sauvegarde. Je signale que cette clause est également prévue à l’échelon de l’Organisation mondiale du commerce : l’article 5 de l’accord sur l’agriculture permet à tout État membre de prononcer une interdiction de mise sur le marché de produits contenant des molécules néonicotinoïdes, même si cette mesure porte atteinte à la libre circulation des marchandises et des services.
De fait, comme le rappelle l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution, très complet et fondé sur de nombreuses études scientifiques, ces néonicotinoïdes ont une incidence sur les pollinisateurs, l’environnement et la santé humaine. C’est pourquoi nous invitons le Sénat à voter la proposition de résolution ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en prenant la parole sur cette proposition de résolution relative à un moratoire sur les néonicotinoïdes, je tiens à rappeler que le problème des pesticides en général est une préoccupation constante de notre assemblée. Comment ne pas évoquer le rapport de la mission commune d’information sur les pesticides, présidée par Sophie Primat et dont la rapporteur, Nicole Bonnefoy, a accompli un travail important ? Bien sûr, ce rapport aborde les problèmes d’une manière plus globale, mais je crois qu’il mérite d’être mentionné dans ce débat. Je vous rappelle aussi que j’ai présenté un rapport sur le rôle des perturbateurs endocriniens ; en l’espèce, l’implication des pesticides est indéniable.
Les auteurs de la proposition de résolution demandent au Gouvernement d’intervenir au plan européen au sujet d’une classe bien particulière de pesticides : les néonicotinoïdes, arrivés sur le marché après les organochlorés comme le DDT, les organophosphorés et les carbamates, et qui présentent la particularité d’agir en tant que synergiques et non plus en tant que substances toxiques.
Je vous signale que le « paquet pesticides » entré en vigueur le 14 juin 2011 comprend ces substances, et qu’elles doivent être évaluées au même titre que les phytoprotecteurs selon une procédure identique aux substances actives. Je reconnais néanmoins que les procédures d’évaluation à l’échelon européen sont peu rapides ; en particulier, la procédure REACH avance bien lentement.
Utilisés pour traiter les semences, les néonicotinoïdes présentent la particularité de réduire les applications foliaires et les contacts pour les utilisateurs. Toutefois, au printemps 2012, certaines études ont démontré que ces substances n’étaient pas sans conséquence sur la mortalité des abeilles. C’est ainsi que l’Autorité européenne de sécurité sanitaire des aliments, saisie du sujet, a rendu un avis faisant le constat positif de ce risque.
Tirant les conséquences de ces nouvelles données, la Commission européenne a décidé de limiter l’utilisation professionnelle de ces substances actives et d’interdire la mise sur le marché de certaines semences traitées, ainsi que les utilisations non professionnelles. Ces restrictions concernent trois substances et portent sur trois types d’usages : le traitement des semences, le traitement au sol et le traitement foliaire ; elles concernent déjà plus de soixante-quinze cultures différentes, parmi lesquelles les cultures fruitières, qui sont jugées attractives pour les abeilles.
Je voudrais rappeler que ces produits sont soumis à une autorisation de mise sur le marché, ou AMM, qui reste, à ma connaissance, de la compétence des États. En France, plusieurs produits ont déjà été interdits : le Gaucho en 1999 pour ce qui concerne les semences de tournesol et de maïs, le Régent TS en 2004 et le Cruiser plus récemment, en 2012. Bien sûr, ces interdictions sont loin d’être en vigueur dans de nombreux pays de l'Union européenne.
Le texte aujourd’hui soumis à notre examen s’inscrit entièrement dans cette démarche, et invite le Gouvernement à soutenir auprès de l’Union européenne l’instauration d’un moratoire sur l’ensemble des néonicotinoïdes en application du principe de précaution consacré à l’article 5 de la Charte de l’environnement qui ne cesse d’être invoqué.
Il vise ainsi à demander l’interdiction par le règlement européen de toutes les utilisations des néonicotinoïdes – céréales d’hiver et semences utilisées sous serre. La prohibition totale d’une catégorie d’insecticide n’est pas sans soulever certaines interrogations, non seulement sur l’existence de solutions alternatives, mais aussi – et surtout – sur les conséquences économiques d’une telle mesure.
Comment peut-on prendre en étant pleinement responsable une telle disposition sans en avoir au préalable anticipé l’incidence ?
La mise en œuvre du principe de précaution reste subordonnée à la réalisation, même incertaine, d’un dommage qui affecte de manière grave et irréversible l’environnement – en l’espèce la mortalité des abeilles – et enjoint ainsi aux autorités publiques de mettre en œuvre des procédures d’évaluation des risques et d’adopter des mesures provisoires et proportionnées afin d’éviter la réalisation du dommage. Aussi, les mesures adoptées doivent être proportionnées.
Alors que les études laissent subsister des incertitudes, une interdiction générale paraît donc disproportionnée par rapport aux risques qui ont pu être correctement évalués. Force est de constater que cette évaluation demeure encore insuffisante pour justifier l’interdiction des diverses utilisations de tous les néonicotinoïdes. À cet égard, l’ANSES avait constaté que certaines études avaient été réalisées en ayant recours à des méthodologies d’expertises controversées : les conditions s'éloignaient de la réalité du terrain, en particulier certaines doses administrées aux abeilles étaient supérieures à celles qui sont communément observées.
Par ailleurs, ainsi que le rappellent l’ANSES et l’Autorité européenne de sécurité des aliments, la mortalité des abeilles s’explique, comme cela a été dit, par une multiplicité de facteurs intervenant de manière combinée : les effets de l’agriculture intensive, la température, certains virus ou agents pathogènes, des espèces parasites comme le frelon asiatique ou le varroa, les plantes génétiquement modifiées. À propos de l’utilisation des pesticides, monsieur le ministre, vous annoncez un plan Écophyto 2, et vous n’allez pas manquer de nous en dire davantage dans quelques instants…
M. Gilbert Barbier. Ce problème n’échappe pas à l’Union européenne, et un programme Epilobee a été lancé pour étudier l’ensemble des causes de mortalité des abeilles. Aussi, nous pensons qu’une réévaluation des niveaux maximaux d’exposition pourrait être privilégiée à une interdiction totale.
Quoi qu’il en soit, la présente proposition de résolution aura au moins le mérite d’avoir permis une nouvelle discussion, même si les membres du RSDE ne la soutiendront pas. (MM. Henri de Raincourt et René-Paul Savary applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question que soulève la proposition de résolution déposée notamment par le groupe écologiste nous invite à une vraie réflexion sur l’utilisation des pesticides et sur l’équilibre à trouver entre une utilisation raisonnée qui ne pénalise pas l’agriculture et les effets indésirables pour les insectes pollinisateurs ou, indirectement, pour la santé humaine.
Cette question a animé très régulièrement les débats et les travaux de la mission commune d’information sur les pesticides présidée par Sophie Primas, mission dont la rapporteur était Nicole Bonnefoy et à laquelle j’ai participé.
Je pense que le rapport qui en est issu devrait être pour le Sénat la base essentielle de ses travaux sur toutes les questions relatives aux pesticides, tant notre tâche a été menée avec le plus d’ouverture et de précision possible.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement la proposition de résolution que nous examinons, je partage les inquiétudes de ceux d’entre vous, mes chers collègues, qui l’ont présentée, notamment quant à la survie des abeilles, dont le rôle n’est plus à démontrer ; néanmoins, je trouve votre démarche prématurée et déséquilibrée.
Les abeilles sont des acteurs de la biodiversité. Leur présence est indispensable non seulement à la production nationale de miel et d’autres produits de l’apiculture, mais aussi à la pollinisation, et donc à l’agriculture. Elles constituent un insecte référent, qui nous indique le niveau de santé de la biodiversité.
Comme cela a déjà été rappelé, voilà sept ans, l’apport des insectes pollinisateurs – dont l’abeille – aux principales cultures mondiales était évalué à 153 milliards d’euros, soit 9,5 % de la production alimentaire mondiale. L’abeille est donc un insecte nécessaire au bon état sanitaire de la flore. Par ailleurs, l’apiculture représente une activité significative. En France, on compte 800 000 ruches – réparties dans 12 000 exploitations sises en métropole –, qui produisent environ 14 000 tonnes de miel, quantité au demeurant inférieure à la consommation nationale.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui soulève une vraie question, car la mortalité importante des abeilles sur une grande partie du globe est un phénomène récent, et qui s’accentue. Les causes en sont diverses ; l’une d’entre elles est l’usage des pesticides.
Le premier constat de la mission commune d’information a d’ailleurs été que les dangers et les risques des pesticides pour la santé, humaine et animale, sont sous-évalués. Les conséquences en sont un manque de protection contre les pesticides et la nécessité de trouver une limitation à leur utilisation.
Face à cette situation, la France a lancé, voilà déjà deux ans, un plan de développement durable de l’apiculture. L’un de ses objectifs est de réduire l’exposition des ruches aux produits chimiques, en particulier phytosanitaires. En outre, il est manifeste que le ministère a renforcé la surveillance des troubles des colonies d’abeilles. Il faut en cela saluer votre action, monsieur le ministre ; nous la soutenons entièrement.
Dans le Lot-et-Garonne, les multiplicateurs de semences ont conclu un accord spécifique avec les apiculteurs, afin de permettre une cohabitation respectueuse des contraintes de chacun. C’est une démarche positive qu’il faut encourager.
Les études scientifiques démontrent aujourd’hui clairement le rôle de certains insecticides dans la mort des insectes pollinisateurs. C’est pourquoi trois insecticides de la famille des néonicotinoïdes ont déjà été interdits au plan européen. La présente proposition de résolution tend à une interdiction totale de toute cette famille de produits.
Avant d’en arriver là, nous estimons qu’il faut encore évaluer la véritable incidence de ceux-ci sur les insectes et sur la santé humaine. Nous devons, avant de proposer un moratoire, être parfaitement clairs quant aux conséquences sanitaires, et il n’est pas encore établi qu’une interdiction générale aurait un effet déterminant sur les troubles des colonies.
Outre les produits déjà interdits, l’utilisation par les agriculteurs de ceux qui sont autorisés est très fortement encadrée, que ce soit en termes de techniques, d’horaires d’épandage, de périodes d’utilisation, ou encore de types de cultures traitées.
Les agriculteurs connaissent déjà de fortes contraintes, et l’utilisation de ces insecticides constitue pour eux une nécessité. N’introduisons pas de nouvelles normes, au risque de faire peser sur ces professionnels une nouvelle contrainte qui serait fatale à l’équilibre économique de leur activité.
Les aléas sur les récoltes sont nombreux, et je crains qu’une telle démarche ne place nos agriculteurs dans des situations irréversibles, alors même que de nouvelles espèces nuisibles se développent avec le changement climatique et l’intensification des échanges internationaux.
Par ailleurs, les produits de substitution n’existent pas toujours. Il faut laisser un peu de temps aux laboratoires pour développer de nouvelles solutions, et donner à l’ANSES plus de moyens pour valider leur utilisation. L’Agence, aujourd’hui en surrégime, n’a pas la capacité de répondre à toutes les demandes qui lui sont soumises. Les délais de mise sur le marché de nouveaux produits sont de plus en plus longs.
À l’occasion de ce débat, monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer quelle est la situation de l’ANSES en termes financiers et du point de vue des délais d’examen des dossiers d’autorisation de mise sur le marché ? Je crois qu’un effort particulier s'impose pour débloquer la situation.
Enfin, je ne voudrais pas qu’une disparition de ces produits sur le marché se traduise par l’utilisation d’autres insecticides plus dangereux pour les abeilles, car moins adaptés aux cultures et aux insectes pollinisateurs.
J’estime donc que cette proposition de résolution est prématurée, eu égard à l’état d’avancement scientifique de l’évaluation de l’incidence sanitaire et au développement de nouveaux produits de substitution.
Enfin, je me demande si la mesure qu’elle tend à instaurer ne trouverait pas un meilleur écho dans le projet de loi relatif à la biodiversité qui a arrêté son parcours législatif à l’Assemblée nationale. À cet égard, pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser le calendrier d’examen de ce texte ?
Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, je m’abstiendrai, à titre personnel, sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cher Joël Labbé, vous avec j’ai cheminé à l’occasion de la mission commune d’information précitée, en effet, de nombreuses études établissent un lien entre la mortalité des abeilles et l’utilisation des néonicotinoïdes. Certaines sont naturellement contestées, et c’est la raison pour laquelle les législateurs que nous sommes doivent s’appuyer essentiellement sur les travaux effectués par les agences pour asseoir leur opinion : la science, rien que la science !
Or c’est bien sur la base de plusieurs avis de l’Agence européenne de sécurité des aliments que la Commission européenne, considérant les études de dangerosité probantes, a restreint fortement l’utilisation de trois substances. Aujourd’hui, la question est donc de savoir s’il faut aller plus loin.
Sans chercher le moins du monde à éluder le risque que font peser un certain nombre de substances chimiques sur les colonies d’abeilles, il est important de sortir du dogme et de rappeler, tout d’abord, que la mortalité des pollinisateurs est un phénomène d’origine multifactorielle.
À ce titre, une étude publiée en 2009 par l’AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, a recensé les principaux agents biologiques pathogènes de l’abeille. Il était alors dénombré dix-huit maladies dues à des prédateurs, parasites, champignons ou bactéries et douze virus pouvant occasionner la mort de ces insectes, dont bien entendu la varroose et le frelon asiatique, qui déciment des milliers de ruches.
Outre les agents biologiques et chimiques, les causes de mortalité des colonies d’abeilles peuvent être liées à l’environnement – alimentation, facteurs climatiques, champs électriques – ou aux pratiques apicoles elles-mêmes.
Par conséquent, c’est bien la coexistence de facteurs qui est à l’origine de la mortalité des abeilles. Et il est bien difficile, à cette date, de parvenir à une certitude scientifique sur la prédominance d’un facteur sur l’autre.
Une évaluation globale s’intéressant aux interactions entre ces facteurs est donc nécessaire. À cet égard, je tiens à saluer les travaux menés par l’ANSES sur ce sujet. Je mentionnerai, en premier lieu, le programme de surveillance Epilobee, qui établit une surveillance active de la mortalité des colonies d’abeilles dans dix-sept États membres – même si j’émets le souhait, monsieur le ministre, que la détection de produits phytosanitaires soit rapidement intégrée à ce programme.
En second lieu, je relèverai la mise en place par l’ANSES, depuis 2012, d’un groupe d’experts destiné à mieux comprendre les effets des co-expositions aux produits phytosanitaires et aux agents pathogènes sur le devenir des colonies. L’objet de cette étude, dont les résultats sont imminents – ils sont attendus au cours du deuxième semestre de cette année –, est d’émettre des propositions et des recommandations.
Ainsi, je déplore le positionnement des auteurs de cette proposition de résolution qui ont tendance à réduire à un seul facteur l’affaiblissement des colonies d’abeilles. Sur un sujet aussi important, qui mérite l’adhésion de tous, il s'impose de sortir du dogme politique. À cette fin, nous devrions patienter quelques mois pour obtenir les résultats de l’ANSES et nous appuyer sur ses recommandations. Je le répète : la science, rien que la science !
Pour conclure, je regrette également le sens unilatéral de la démarche, qui, me semble-t-il, n’a pas suffisamment associé les agriculteurs et les industriels, ces derniers considérant évidemment cette proposition de résolution comme une sanction à l’innovation et à la recherche.
En effet, nous ne pouvons pas occulter le fait que les substances néonicotinoïdes représentent un intérêt économique certain pour le secteur agricole. Elles ont démontré leur efficacité, notamment dans la lutte contre les ravageurs aériens et ceux du sol. Les interdire sans disposer de solution alternative efficace assurant l’équivalence des rendements me semble contreproductif du point de vue de l’acceptabilité de cette mesure par le monde agricole.
De plus, l’instauration, en l’état, d’un moratoire européen sur les produits néonicotinoïdes ne manquerait pas de provoquer le retour à une utilisation massive d’insecticides foliaires appliqués par pulvérisation, ce qui serait contraire aux objectifs du plan Écophyto.
Ainsi, il me semble prématuré d’engager un tel moratoire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je m’abstiendrai sur ce texte.
Cette abstention doit constituer un signal pour les industriels. Face à la multiplication des études analysant les risques des substances néonicotinoïdes, elle invite à poursuivre et intensifier les recherches sur les techniques agronomiques, les solutions de bio-contrôle ou les produits de substitution.
Elle doit constituer aussi un signal politique : les démarches entreprises sur ces sujets doivent impérativement associer étroitement les mondes scientifique, économique et associatif, afin que, réalistes, elles puissent être acceptées et, surtout, afin qu’elles soient, enfin, pérennes et efficaces. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier Joël Labbé de nous alerter sur un problème particulièrement délicat. Toutefois, je ne suis pas sûr que ses arguments aient été aussi convaincants qu’il le souhaitait.
En tant que scientifique, je me garderai bien de céder à la tentation de la caricature - des preuves scientifiques permettant d’étayer des points de vue en la matière très divergents -, et m’attacherai plutôt à présenter une position non pas partisane, mais constructive.
Votre proposition de résolution, mon cher collègue, fait allusion à une initiative du Parlement néerlandais, mais vous omettez de rappeler que, finalement, ses propositions ont été écartées, aucune preuve scientifique n’ayant été apportée. Il n’existait aucune base légale justifiant la révision, la restriction ou le retrait des autorisations existantes.
Ne tombons pas dans la caricature d’une écologie des interdits. Ce n’est pas ainsi que l’on fera avancer la réflexion. Pourtant, cette proposition de résolution vise à interdire les substances néonicotinoïdes, sans prendre en compte le fait que la recherche, en l’état actuel, ne permet pas encore de proposer de solutions alternatives.
Ne tombons pas non plus dans le panneau de l’écologie de la décroissance ! Certes, il convient de prendre en compte la dimension environnementale, mais il est également nécessaire de considérer un certain nombre de réalités, notamment en ce qui concerne les semences. Il s’agit tout de même d’une activité économique de plusieurs milliards d’euros, grâce à laquelle notre balance commerciale est positive. Il serait dommage que, du fait de telles propositions de résolution, adoptées trop rapidement, on aboutisse à un interdit remettant en cause toute une économie, sans que nous dispositions des garanties suffisantes justifiant une telle décision.
J’attire l’attention de mes collègues sur ce point, en réitérant ma volonté de considérer la question posée de manière non pas négative mais bien positive.
Mes chers collègues, il faut passer véritablement à l’écologie du XXIe siècle, une écologie moderne et non pas archaïque, qui prenne en compte l’ensemble des dimensions humaine, économique, environnementale et sociale. Or la proposition de résolution que vous défendez ne va pas dans ce sens.
M. Jean Desessard. Mais c’est bien cela, monsieur Savary ! Nous sommes modernes !
M. René-Paul Savary. Il faut faire confiance à l’innovation, sans oublier, bien sûr, le principe de précaution, mais, à l’inverse, ne menons pas une politique de précaution qui nous fermerait à l’innovation. Sachons plaçons le curseur au bon endroit !
Il nous appartiendra, dans les années qui viennent, d’adopter des mesures législatives précisant les garanties que rendent nécessaires les innovations.
Les agences sanitaires doivent être, c’est vrai, complémentaires et organisées de manière rationnelle, afin que leurs préconisations soient suivies d’effets. Ainsi le rapprochement des différentes agences – ANSES, déjà issue d’un regroupement, InVS, INPES et EPRUS – me paraît-il tout à fait intéressant.
Il faut travailler sur la toxico-pharmacovigilance et faire en sorte que les mêmes personnes assument les responsabilités, notamment au travers des autorisations de mise sur le marché, les AMM. Nous avons là aussi des efforts à faire.
Parlant d’innovation, je veux dire que, bien entendu, il faut miser sur la recherche de produits de substitution, d’autant plus dans la perspective d’une interdiction des néonicotinoïdes. On le sait, ces substances sont neurotoxiques, mais il existe une marge de sécurité importante en termes de précautions à prendre pour la santé humaine et la santé animale. Il nous appartiendra, lorsque l’on aura trouvé des produits de substitution dont on aura étudié l’impact, de prendre des mesures analogues à celles que vous proposez. Il sera encore temps, cher Joël Labbé !
Il faut, de même, miser sur l’innovation en matière de pratiques culturales. On le voit bien, des progrès ont été accomplis ; je pense au problème du dépoussiérage des semences.
Il existe aujourd'hui des pratiques culturales modernes. Le département de la Marne a un projet agro-environnemental tout à fait intéressant – M. le ministre connaît le dossier (M. le ministre le confirme.) – avec la création d’une ferme expérimentale, dite « ferme 112 », sur l’emplacement de l’ancienne base aérienne 112. Il s’agit d’améliorer les pratiques culturales et de mieux maîtriser ces produits. C’est de l’innovation au service de la production.
Chers collègues, ne rejetons pas l’innovation pour la transformation de nos matières agricoles. Ce n’est pas parce que l’on travaille sur les agroressources et la bio-économie – tout à fait essentiels pour l’avenir – qu’il faut argumenter sans cesse en faveur d’une production essentiellement réservée à l’alimentation. Il y a, là aussi, une complémentarité intelligente à trouver.
Pour ma part, je voterai contre cette proposition de résolution.
Pour conclure, permettez-moi de citer Nicolas Bouzou, économiste bien connu : « On entend l’arbre tomber, mais pas la forêt pousser. » Nous sommes dans un monde en pleine mutation. Avant de prendre des décisions, il nous faut bien réfléchir aux contre-propositions qui permettraient de remplacer ce que nous voulons supprimer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais dire d’emblée à Joël Labbé que sa proposition de résolution ne nous dérange pas. Pour ma part, je ne veux pas accuser. Je veux tout simplement que nous puissions réfléchir, ensemble, aux vraies questions.
L’agriculture française est confrontée depuis longtemps à différents enjeux qui ne cessent de complexifier son activité : il faut tout ensemble fournir une production agricole de qualité, répondre aux attentes tant des consommateurs que du marché et limiter les impacts sur l’environnement.
Notre agriculture ne cesse de s’adapter pour répondre aux enjeux écologiques, mais elle ne peut assumer seule le poids de mesures qui relèvent, au demeurant, de l’expérimentation.
Cette proposition de résolution semble découler d’un recours excessif au principe de précaution : elle n’est fondée sur aucune nouvelle étude scientifique susceptible de remettre en cause la technologie de protection insecticide des semences apportée par les néonicotinoïdes.
Quels avantages présentent les molécules en question pour l’environnement et l’utilisateur ? Les produits issus de la famille des néonicotinoïdes actuellement autorisés en grandes cultures sont utilisés pour les productions de betteraves, de céréales, de protéagineux, de maïs, de laitues et de chicorées. Ces molécules, qui ont l’avantage d’apporter une réponse non pas curative, mais préventive, constituent une solution bien meilleure en termes d’impact environnemental.
Permettez-moi de citer quelques chiffres. Ces substances concernent aujourd'hui environ 30 % des céréales d’hiver, et 15 % des surfaces de colza sont ainsi protégées sur notre territoire.
J’en viens à leur intérêt technique. Là encore, il convient de considérer les évolutions intervenues. Auparavant, on traitait systématiquement l’ensemble des surfaces, par exemple un hectare, soit 10 000 mètres carrés. Aujourd'hui, parce qu’on enrobe uniquement la graine, on se contente de traiter 50 mètres carrés. On est passé d’un dosage de plus de 600 grammes par hectare à 60 grammes par hectare. Ce sont les nouvelles techniques qui ont permis ces progrès considérables : l’impact environnemental est diminué et la production destinée à l’alimentation est garantie.
Cette proposition de résolution n’est en outre pas fondée, dans la mesure où nous ne disposons d’aucun travail scientifique dont les résultats permettraient de justifier les mesures ici proposées.
Nous avons besoin d’approfondir nos connaissances en la matière. Surtout, nous sommes confrontés à la nécessité absolue de ne pas placer l’agriculture européenne, et donc française, dans une situation de distorsion de concurrence : nous ne pouvons pas soumettre notre agriculture à des interdits, tout en important des produits qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles du jeu.
On peut, à cet égard, dresser un parallèle avec les OGM. On n’a pas souvent le courage de le dire, mais les impacts de certaines décisions sur la performance de notre agriculture sont absolument considérables.
La Commission européenne a pris des décisions. Ainsi, en 2013, elle a suspendu provisoirement trois néonicotinoïdes, et trois seulement. Cette proposition de résolution va donc à l’encontre des conclusions de l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments.
De surcroît, un certain nombre d’erreurs manifestes sont à relever dans les arguments avancés pour justifier la présente demande d’interdiction. Ainsi, vous mentionnez, mon cher collègue, une interdiction décidée par le Parlement néerlandais, en omettant de signaler que le gouvernement néerlandais l’a rejetée, faute de preuve scientifique.
Dans un de ses rapports, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, a passé en revue un certain nombre de travaux permettant d’avoir une meilleure connaissance de la mortalité des abeilles.
Notons aussi le projet EPILOBEE, évoqué précédemment, qui est financé par la Commission européenne. Il constitue la première surveillance épidémiologique de la mortalité des colonies d’abeilles domestiques. Il a été démontré dans ce cadre que la mortalité des abeilles est essentiellement due à d’autres facteurs que celui qui est retenu par ce texte.
De même, il faut citer l’étude COLOSS, menée par une association à but non lucratif de recherche sur les abeilles composée de plus de 360 scientifiques professionnels issus de 60 pays : il apparaît que le taux de mortalité des colonies, qui était auparavant de 37 %, est passé l’année dernière à 9 %. Le varroa destructor constitue en vérité la plus grande menace pour la santé des abeilles.
L’avis de l’ANSES va d’ailleurs dans le même sens.
J’évoquerai enfin l’énorme impact économique qu’aurait une interdiction pour l’industrie agricole : à l’échelle de l’Union européenne, la perte serait de 4,5 milliards d’euros et 50 000 emplois agricoles seraient menacés. Pour les cultures de pommiers, par exemple, la perte serait de 20 % et, pour l’ensemble de la filière, il s’agirait de 260 millions d’euros en moins chaque année.
L’abeille est un maillon essentiel de la vie. Il faut donc prendre des décisions, mais éclairées. En France, le plan ECOPHYTO en fait partie. Le plan Protéines végétales permettra également d’œuvrer en ce sens.
Monsieur le ministre, en matière d’agro-écologie, nous pourrions aller bien plus loin ! Permettez-moi de prendre un exemple personnel.
Le paysan des Vosges qui vous parle sait que, en 2015, notre pays compte 60 % de terres labourées de moins qu’il y a un siècle. La rotation est donc un élément essentiel pour la sécurité sanitaire en ce qu’elle favorise la diminution de l’utilisation d’insecticides.
Mme la présidente. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Gremillet. Pour toutes ces raisons, je m’oppose à cette proposition de résolution et j’en appelle au principe de précaution appliqué cette fois à la survie de notre agriculture. Je suis hostile au moratoire, mais je suis favorable à un travail approfondi de recherche consacré à l’impact des néonicotinoïdes sur l’environnement au sens large.
Nous nous sommes munis d’agences de recherche ; servons-nous en pour établir des chiffres sur la base desquels nous pourrons inventer l’agriculture de demain, via une démarche responsable à l’égard de notre agriculture et de notre écosystème.
Mon groupe votera majoritairement contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
(M. Jean-Pierre Caffet remplace Mme Isabelle Debré au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis cet après-midi pour discuter d’un sujet qui fait consensus en ce sens que nous sommes tous parfaitement conscients des risques liés à l’usage d’un certain nombre de pesticides, tant pour les insectes pollinisateurs que pour la santé humaine, car ces molécules agissent comme des perturbateurs endocriniens.
J’ai écouté le discours enflammé de Joël Labbé, marqué par sa sensibilité très forte sur le sujet. La proposition de résolution dont il est l’auteur invite donc logiquement le Gouvernement, sinon à interdire tous les néonicotinoïdes, du moins à agir en ce sens au niveau européen.
Au cours du débat, chacun a avancé des preuves scientifiques, mais, comme l’a souligné à juste titre M. Savary, il existe des arguments pour et des arguments contre l’utilisation de ces substances.
Je souhaite rappeler la position qui est celle du Gouvernement et expliquer pourquoi je ne suis pas favorable à l’adoption de cette proposition de résolution. Non que je n’aie pas conscience des risques encourus ou de la nécessité d’agir, mais parce que, pour agir efficacement, car tel doit être notre objectif, nous avons besoin d’ordre et de méthode, en particulier pour agir au niveau européen. En effet, lorsque l’on engage un débat à l’échelle européenne, il faut, pour atteindre la cible que l’on s’est fixée, disposer au bout du compte de la majorité nécessaire.
Prenons la question des pollinisateurs et en particulier des abeilles, qui ont été évoquées par beaucoup d’entre vous.
Il est vrai que la France a enregistré un fort accroissement du taux de mortalité des abeilles, qui s’est accompagné d’une chute de la production de miel. J’ai constaté à mon arrivée au ministère de l’agriculture que l’origine de cette mortalité était multifactorielle. Parmi les différentes causes, bien sûr, il faut compter les pesticides. C’est d’ailleurs pourquoi, convaincu de ce fait, j’ai interdit dès ma nomination le Cruiser OSR, pesticide de la famille des néonicotinoïdes à base de thiaméthoxame, utilisé pour l’enrobage du colza.
Un rapport de l’ANSES établissait de manière très claire que ce produit perturbait les abeilles au point de les empêcher de retrouver leur ruche, ce qui était l’une des causes de leur mortalité.
Néanmoins, afin d’éviter le reproche souvent fait dans notre pays que les produits interdits en France ne le sont pas à l’échelle européenne, nous avons engagé une démarche au sein de l’Union, en nous appuyant non seulement sur les recherches de l’ANSES, mais également sur les travaux de l’EFSA. Cela a conduit l’Europe à prendre une décision forte, au regard des risques que présentent pour les pollinisateurs trois néonicotinoïdes, et à réduire l’utilisation de ces molécules dans les cultures attractives pour les abeilles.
Aujourd'hui, donc, ces substances ne peuvent plus être utilisées dans l’Union européenne en période de floraison. Pour les cultures restantes et pour les céréales à paille, les semis ne peuvent avoir lieu en période de forte activité des abeilles. L’utilisation de ces molécules n’est désormais plus possible que durant des périodes bien précises, et l’interdiction d’employer des semences enrobées d’insecticide vaut entre janvier et juin.
Par conséquent, non seulement la France a pris des décisions en ce qui concerne le colza, mais de plus ces mesures ont trouvé un prolongement à l’échelle européenne. Tel est l’état des lieux de la législation européenne à l’heure actuelle en ce qui concerne trois néonicotinoïdes.
Reste tous les autres néonicotinoïdes. C’est le sujet auquel s’attaquent les auteurs de cette proposition de résolution, à la fois pour des raisons liées aux pollinisateurs, mais également parce que ces produits sont des perturbateurs endocriniens qui ne sont pas sans risques pour la santé humaine.
Pourquoi ne suis-je pas favorable à ce que le Sénat interdise l’usage de tous les néonicotinoïdes ? Tout simplement parce que le lien entre l’utilisation de ces produits et la mortalité des pollinisateurs n’est pas établi. Je l’ai souligné dès le début de mon propos, tous les spécialistes confirment que les décès des abeilles ont des causes multifactorielles. L’interdiction de tous les néonicotinoïdes serait donc une réponse trop simple pour un problème aussi complexe.
Sur un tel sujet, il est important de ne pas se raconter d’histoires. Je veux que l’on aille jusqu’au bout du processus. Voilà pourquoi j’ai mis en place le plan de développement durable de l’apiculture, qui mobilisera 40 millions d’euros sur trois ans. Il s’agit de structurer la filière apicole dans son ensemble, depuis la production jusqu’à l’organisation commerciale. Pour connaître l’origine des miels que l’on achète, il n’y a pas plus flou, plus contestable que la France ! Le ministère de l’agriculture a donc voulu remettre un peu d’ordre dans tout cela.
Le débat avec les professionnels complique les choses. J’en veux pour preuve les pétitions que vous avez tous reçues, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’occasion de cette proposition de résolution. Il était question, en particulier, de la mortalité des abeilles constatée, il y a deux ans, en hiver, dans les Pyrénées-Orientales et en Ariège.
Je veux être ferme et clair, transparent et objectif. Deux études ont été commandées – l’une par le ministère de l’agriculture, l’autre par les apiculteurs eux-mêmes – afin de connaître les raisons d’une telle mortalité.
Il n’a nullement été question d’incriminer les néonicotinoïdes, l’Ariège, département magnifique, et aujourd'hui sous la neige, ne comptant pas de grandes plaines céréalières ! Personne n’a évoqué non plus l’utilisation d’un certain nombre de vermifuges dans l’élevage. Les études ont révélé la présence de certaines molécules, notamment des acaricides, mais elles n’ont pas décelé la présence de molécules qui pourrait justifier le débat que nous avons aujourd’hui sur l’interdiction générale des néonicotinoïdes.
Mon intention est d’avancer, de trouver des solutions, et je suis tout disposé à engager le débat, à condition toutefois que les termes en soient correctement posés, en considération de la réalité des choses, au risque sinon d’aboutir à des solutions stériles. Je le dis d’autant plus volontiers que, si nous voulons réussir à l’échelle européenne, nous avons intérêt à bien nous préparer et à dérouler notre plan de manière coordonnée.
Je rappelle que la France, notamment le ministère de l’environnement, est très mobilisée sur le sujet des produits phytosanitaires auprès de nos partenaires, en particulier sur la question des perturbateurs endocriniens et des substances actives cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction. Nous sommes tous d’accord ici pour reconnaître qu’il convient de conduire une action en ce sens.
Au niveau de la Commission, la France est à l’origine d’une demande de restriction de toutes ces substances. Le travail est en cours. Il ne s’agit pas, en votant parallèlement une mesure d’interdiction, de nous mettre en position de faiblesse à l’échelle européenne, car le processus n’est pas achevé.
Vous avez cité les Pays-Bas : ils ont envisagé un moment d’interdire les néonicotinoïdes ; mais cela ne s’est pas fait. À l’échelle européenne, pour convaincre, pour avancer, il faut être sûr de ses arguments, et procéder avec ordre et méthode, comme je l’ai déjà souligné. À chaque fois, nous nous appuyons sur des études, certes, mais nous avons aussi un objectif politique.
M. Joël Labbé indique que la première version du plan ECOPHYTO a été un échec. C’est vrai, s’il s’agit de mesurer ses résultats, mais elle a néanmoins quelques vertus. D’abord, cette première version du plan ECOPHYTO a permis d’éliminer 80 % des substances les plus cancérigènes et mutagènes. C’est donc un acquis. Par ailleurs, l’initiative prise par mon prédécesseur, Michel Barnier, après le Grenelle de l’environnement, de créer des « fermes défis » prouve aujourd'hui que l’on peut réduire l’usage des produits phytosanitaires, quelles que soient les régions. C’est encore un acquis.
L’idée, pour l’an I de l’agro-écologie, est justement d’engager un processus large, global, afin de diffuser des pratiques agricoles et des modèles agronomiques permettant de se passer de produits phytosanitaires. Si le ministre de l’agriculture décide d’interdire ces produits sans proposer de solution alternative, le risque est grand de voir revenir des produits encore pires que ceux qui sont utilisés aujourd'hui. Je pense aux organochlorés ou aux organophosphorés, dont l’usage a été abandonné.
Nous devons continuer à progresser. Pour ce faire, nous devons trouver à mesure que nous avançons des solutions de remplacement. C’est tout l’enjeu du débat sur le biocontrôle, qui fait défaut jusqu’à présent.
Voilà pourquoi le plan ECOPHYTO, lié au débat sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, mettra en œuvre les certificats d’économie de produits phytosanitaires. J’ai bien noté d’ailleurs que certains n’étaient pas du tout favorables à la mise en place de ce plan, mais j’irai au bout de ce qui a été discuté et voté ici dans la loi d’avenir pour l’agriculture.
Chacun doit s’auto-responsabiliser pour réduire l’usage des produits phytosanitaires, en général. Derrière tout cela, il y a une question de modèle, comme l’a souligné Joël Labbé. Il s’agit d’avoir une pensée globale, de construire une démarche générale et transversale. Nous n’y parviendrons pas uniquement en votant à tel moment l’interdiction de tel produit.
Au contraire, nous y parviendrons en faisant la preuve que nous sommes capables à la fois de savoir où nous voulons aller, de construire le chemin pour nous y rendre et d’impulser la dynamique qui nous permettra d’atteindre notre objectif.
C’est tout l’intérêt de ce débat, comme de nombreux intervenants l’ont relevé. Après tout, le fait de jouer le lanceur d’alerte, de nous inviter à aller plus loin sur la voie de l’interdiction permet d’échanger les idées.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il est utile que le Sénat se préoccupe de ces sujets. Personne ici aujourd'hui n’y a trouvé matière à critique ou à caricature. Il ne faut donc pas caricaturer le débat.
C’est d’ailleurs justement pour éviter de tomber dans la caricature que le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de cette proposition de résolution. Nous voulons atteindre nos objectifs en termes de réduction des produits phytosanitaires et des néonicotinoïdes. Pour ce faire, nous devons être capables d’engager collectivement le débat, à la fois en assurant les transitions nécessaires et en menant au mieux les discussions à l’échelle européenne pour convaincre une majorité de pays membres.
C’est qu’il ne s’agit pas uniquement de réussir en France le projet d’agro-écologie, même si cela fait partie des objectifs que nous nous sommes fixés. Notre pays, pour être leader dans ce domaine et entraîner derrière lui tout le continent européen sur le chemin d’une agriculture durable, doit se montrer crédible et à la hauteur de l’enjeu, au-delà de la protection des insectes pollinisateurs et de la production de miel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne suis pas favorable à cette proposition de résolution, non pas que je sois contre l’esprit qui anime ses auteurs, non pas que je sois contre l’idée d’agir pour une interdiction, mais parce que nous avons pris des engagements à l’échelle européenne et qu’il nous faut encore du temps, ce temps nécessaire pour organiser, mettre en œuvre et assurer la réussite de ce que nous souhaitons tous, à savoir une agriculture qui soit tout à la fois productive et compétitive – nul ne le conteste, les débats sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt l’ont montré – mais aussi et surtout durable.
Oui, nous voulons tous une agriculture durable, c’est-à-dire soutenable à moyen terme et à long terme, et, parce que les agriculteurs sont des citoyens parfaitement conscients des enjeux, nous devons faire le pari de la réussite collective ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,
Vu la charte de l’environnement et notamment son article 5,
Vu le règlement européen sur la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques n° 1107/2009, et notamment ses articles 21 et 69,
Vu le règlement d’exécution (UE) n° 485/2013 de la Commission du 24 mai 2013,
Vu la résolution du Parlement européen du 15 novembre 2011 sur la santé des abeilles et les défis lancés au secteur apicole,
Vu le plan ECOPYTHO 2018 qui prévoit le retrait des pesticides contenant des substances préoccupantes,
Vu le plan de développement durable de l’apiculture qui vise notamment à réduire les mortalités du cheptel apicole,
Vu le rapport d'information de Mme Nicole BONNEFOY, fait au nom de la mission commune d'information sur les pesticides du Sénat,
Vu les avis de l’autorité européenne de sécurité des aliments du 23 mai 2012 sur l’évaluation de l’impact des pesticides sur les abeilles, et du 17 décembre 2013 sur l’impact de l’acétamipride et de l’imidaclopride sur la santé,
Vu les conclusions de l’autorité européenne de sécurité des aliments du 16 janvier 2013 sur le thiaméthoxam, l’imidaclopride et la clothianidine,
Considérant que le règlement d’exécution n° 485/2013 du 24 mai 2013 par lequel la Commission européenne a restreint l’utilisation de trois substances actives de la famille des néonicotinoïdes (la clothianidine, le thiaméthoxam et l’imidaclopride) ne permet pas de protéger de manière satisfaisante les abeilles, l’environnement et la santé humaine,
Considérant que ces trois molécules, ainsi que deux autres néonicotinoïdes, restent utilisées en France et en Europe sur de très larges surfaces,
Considérant que de plus en plus d’études scientifiques attestent de leurs impacts sur les pollinisateurs alors que les colonies d’abeilles fournissent grâce à la pollinisation un service indispensable pour la sécurité alimentaire et les rendements de l’agriculture,
Considérant que les impacts de ces molécules ne se limitent pas aux pollinisateurs mais concernent un ensemble de composantes de notre environnement,
Considérant que l’agence européenne de sécurité des aliments estime que ces molécules peuvent avoir une incidence sur le développement du système nerveux humain,
Considérant que l’agence américaine pour la protection de l’environnement et l’agence canadienne de réglementation sur la lutte antiparasitaire classent ces molécules comme perturbateurs endocriniens potentiels, ou comme cancérigène probable ou suspectent des effets sur la reproduction de l’animal,
Considérant que plusieurs rapports et publications font valoir que l’utilisation de ces molécules n’a pas permis une augmentation significative des rendements pour les agriculteurs,
Considérant que la France a joué un rôle déterminant dans la protection des pollinisateurs au niveau européen, et qu’il lui appartient de poursuivre cette action,
Considérant que la protection des pollinisateurs, de l’environnement et de la santé humaine et que la préservation des rendements agricoles sont une impérieuse nécessité,
Invite le Gouvernement français à agir auprès de l’Union européenne pour une interdiction de toutes les utilisations de ces substances néonicotinoïdes tant que les risques graves pour la santé humaine, animale et l’environnement ne seront pas écartés.
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 92 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Pour l’adoption | 64 |
Contre | 248 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
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Usage contrôlé du cannabis
Discussion d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis, présentée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues (proposition n° 317 [2013-2014], résultat des travaux de la commission n° 251, rapport n° 250).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de loi.
Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 28 janvier 2014, il y a donc un an, je déposais sur le bureau du Sénat, au nom du groupe écologiste, la première proposition de loi visant à autoriser l’usage contrôlé du cannabis.
L’idée et le texte de cette proposition de loi ont émergé dans le contexte des débats ayant accompagné les efforts accomplis dans cette direction par l’Uruguay, jusqu’à l’adoption, le 10 décembre 2013, de la loi 19172, qui confie à l’État le contrôle et la régulation de l’importation, de la production, de l’acquisition, du stockage, de la commercialisation et de la distribution du cannabis.
Peu après, en janvier 2014, l’État du Colorado adoptait à son tour des dispositions instituant une légalisation contrôlée. Allaient suivre, au printemps 2014, la légalisation dans l’État de Washington et, à l’automne 2014, l’entrée en vigueur de la loi uruguayenne, comme si un mouvement désormais inéluctable commençait à se dessiner, auquel se joignirent à leur tour l’Alaska, l’Oregon et Washington DC, capitale des USA.
La France n’était pas à l’abri de cette évolution. Dès 2011, Daniel Vaillant rédigeait un rapport significativement intitulé : « Pour mieux lutter contre le cannabis : sortir de l’hypocrisie ». D’autres l’ont suivi, y compris après le dépôt de la présente proposition de loi : le rapport d’information sur l’évaluation de la lutte contre l’usage des substances illicites, de nos collègues députés Mme Anne-Yvonne Le Dain et M. Laurent Marcangeli, en novembre 2014, puis celui de Terra Nova, en décembre 2014, sans compter, bien sûr, la riche documentation scientifique et statistique existant sur le sujet depuis des années.
L’initiative qui nous vaut d’ouvrir ici un débat effectivement crucial, qui interpelle toutes les strates de notre société et les pouvoirs publics eux-mêmes, n’est pas sortie de la tête embrumée, voire enfumée, d’une écologiste présumée amatrice de « joints », comme le voudraient certains clichés. Elle est le fruit d’un long cheminement.
Depuis leur entrée à la Haute Assemblée, les écologistes ont lancé maints débats, sur maints sujets, jouant le rôle d’aiguillon qu’ils affectionnent. Aiguillon, nous le sommes donc de nouveau aujourd’hui.
« Avec 13,4 millions d’expérimentateurs et près de 4 millions de consommateurs, le cannabis est devenu, malgré son interdiction, un produit de consommation courante comme le tabac et l’alcool. [...] L’hypocrisie du statu quo n’est plus tenable. La loi de 1970, censée protéger la société de la toxicomanie, a totalement échoué. […] En ce domaine, le laxisme consisterait à ne pas voir ce qui nous saute aux yeux et à s’interdire tout débat sur un sujet prétendument tabou, ce qui reviendrait à abandonner les Français sans leur offrir de véritables réponses alternatives. » Cette citation n’est ni de moi ni de quelque libertaire divagant, mais d’un ancien ministre de l’intérieur, Daniel Vaillant, dans l’introduction de son rapport de 2011.
En déposant la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, je n’ai eu d’autre objectif que de vous convaincre, mes chers collègues, de sortir de cette forme de « laxisme de fait » que dénonce Daniel Vaillant.
Le problème que le présent texte tente d’affronter comporte de multiples aspects. À cet égard, plus d’une commission de notre assemblée aurait pu légitimement en être saisie. Son examen a finalement été confié à la commission des affaires sociales. Ce choix ne saurait étonner : le cannabis est aussi, et peut-être avant tout, une question de santé publique.
Le rapporteur, Jean Desessard, a réalisé un remarquable travail, que je tiens à saluer. En ce qui me concerne, c’est précisément, entre autres motifs, la conviction que le cannabis n’est assurément pas un produit anodin et la conscience claire qu’il contient des substances psychotropes potentiellement dangereuses pour la santé, notamment celle des plus jeunes, dont le cerveau est encore en formation, qui m’ont décidée à m’atteler à la rédaction de la proposition de loi que j’ai l’honneur de défendre devant vous.
Reste que Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ne nous honore pas de sa présence. C’est Mme la secrétaire d’État chargée des droits des femmes qui la représente.
Chère Pascale Boistard, nous nous connaissons de longue date, et nous nous estimons mutuellement. (Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des droits des femmes, le confirme.) Mais quel rapport le cannabis a-t-il donc avec les droits des femmes, qui, soit dit en passant, sont moins consommatrices que les hommes ? (Rires et applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC.) De rapport, je n’en vois guère et, si je me réjouis de vous voir, je n’ai pas à chercher très loin les motifs de l’absence de Mme Touraine. Celle-ci déclarait en effet récemment sur BFM : « Je ne suis pas favorable à ce qu’on mette ce débat sur la table aujourd’hui. Maintenons le droit tel qu’il est. Il ne me semble pas judicieux, comme message à envoyer, de dire qu’au fond le cannabis, ce n’est pas si grave que cela. » (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Pourtant, le débat est bien sur la table ! Et le message que nous envoyons n’est pas celui que redoute Mme Touraine. Nous avons choisi, nous, écologistes, de regarder le problème en face. Les Françaises et les Français ont eux-mêmes brisé le tabou et s’interrogent, ce qui me semble très important.
Ainsi la part des personnes estimant que l’usage du cannabis comporte un risque dès l’expérimentation est-elle en baisse, avec un taux de 54 % actuellement, contre 62 % en 2008.
Les opinions des Français sur les politiques publiques menées ou à mener en matière de drogues traduisent un double mouvement : d’un côté, une plus forte adhésion aux mesures prohibitives concernant le tabac et l’alcool et, de l’autre, un suffrage moins marqué aux sanctions prévues par la loi pour les personnes interpellées pour usage ou détention de cannabis.
Les Français restent certes très majoritairement, à 78 %, opposés à une mise en vente libre du cannabis. La proportion de ceux qui sont favorables, soit 22 %, a pourtant nettement progressé depuis 2008, où elle était de 15 %.
La part d’opinions favorables à l’autorisation du cannabis sous certaines conditions, en maintenant l’interdiction pour les mineurs et avant de conduire, a, quant à elle, doublé sur la période, passant de 31 % à 60 %.
Même parmi les personnes opposées à la mise en vente libre du cannabis, une partie plus importante qu’en 2008 serait d’accord pour une mise en vente libre sous conditions. Enfin, d’après l’enquête EROPP, qui porte sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes, les Français apparaissent de plus en plus réservés à l’égard des différentes sanctions qui punissent la consommation simple sans revente, avec une préférence pour les solutions qui orientent vers les soins ou un rappel à la loi.
Assurer avant tout la santé et la sécurité des personnes et des collectivités requiert une réorientation fondamentale des priorités et des ressources des politiques mises en œuvre.
Les dépenses induites par les dispositions punitives en vigueur, qui sont inefficaces, contreproductives et coûteuses pour le contribuable, devraient cesser, alors que celles qui sont consacrées aux mesures éprouvées de prévention, de réduction des risques et de traitement devraient, au contraire, augmenter pour couvrir les besoins, immenses. N’oublions pas que 41,5 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté le cannabis et que 6,5 % sont des fumeurs réguliers ; 32,8 % des adultes de 18 à 64 ans ont expérimenté le cannabis et 2,1 % sont des fumeurs réguliers. Au moins 38 000 personnes sont prises en charge en raison de leur consommation de cannabis dans les structures spécialisées en addictologie.
Commençons par éradiquer quelques-uns des préjugés étayant la logique absurde de la prohibition.
Je pense d’abord à la théorie de l’escalade, selon laquelle le consommateur de cannabis, en cas de dépénalisation et/ou de légalisation du cannabis, aurait nécessairement recours à des substances plus dangereuses.
Cette théorie ne tient pas. La consommation de cannabis est ordinairement transitoire. Même en cas de dépendance, les deux tiers des usagers mettent fin à leur addiction entre 25 et 30 ans. « On nous disait : les ados vont se ruer sur le cannabis, les adultes vont se défoncer et ne plus aller travailler... Rien de tout cela ne s’est concrétisé » : voilà ce que constatait, il y a peu, Brian Vicente, l’un des rédacteurs de l’amendement 64 par lequel 55 % des électeurs du Colorado ont autorisé la production et la vente du cannabis aux adultes de plus de 21 ans.
L’autre idée à révoquer est celle de l’extrême dangerosité du cannabis.
Le cannabis ne tue quasiment pas en comparaison avec des drogues comme l’héroïne et la cocaïne. Sa dangerosité est moindre que celle du tabac et de l’alcool. Certes, conduire sous l’influence du cannabis multiplie par 1,8 le risque d’être responsable d’un accident mortel de la route. Mais ce risque est multiplié par près de 15 en cas de consommation conjointe de cannabis et d’alcool.
Selon les experts européens, l’alcool serait de loin le produit le plus dangereux, entraînant des dommages sanitaires et sociaux majeurs, suivi par l’héroïne et la cocaïne, puis par le tabac, qui causerait surtout des dommages sanitaires. Seulement ensuite viendrait le cannabis, susceptible de causer plutôt des dommages sociétaux.
Certes, et je l’ai déjà dit, le cannabis n’est pas un produit anodin. L’expertise de l’INSERM sur les conduites addictives chez les jeunes souligne qu’un excès de consommation entraîne chez eux déficit de l’activité, fatigue physique et intellectuelle, difficultés de mémorisation, difficultés relationnelles, décrochages scolaires, mal-être. Il peut également induire des troubles psychotiques, parfois également liés au parcours de vie de l’adolescent, notamment familial.
En revanche, il n’a pas été démontré que le cannabis pouvait être la cause unique de la schizophrénie.
Justement, chers collègues, pour lutter contre ces maux, il s’agit non pas d’interdire et de punir, mais de prévenir et de guérir. Mieux, on ne pourra jamais efficacement prévenir et guérir qu’en levant le tabou et en cessant d’interdire pour encadrer et contrôler.
La dangerosité du tabac et de l’alcool n’a pourtant pas induit leur interdiction ni leur pénalisation. On connaît les effets pervers de la prohibition de l’alcool aux États-Unis dans les années vingt. Les pouvoirs publics s’attellent aujourd’hui, avec raison bien sûr, à des campagnes de prévention probablement plus utiles. Pourquoi ne pas faire de même avec le cannabis ?
La guerre menée contre les drogues depuis quarante ans n’a réussi ni à limiter leur consommation ni à endiguer la criminalité liée à leur production et à leur commerce. Les interpellations pour usage de cannabis atteignent le chiffre annuel de 122 439 et représentent 90 % des interpellations pour usage de stupéfiants. Leur nombre a été multiplié par cinq depuis le début des années quatre-vingt-dix. En dehors des affaires d’usage, les services de police et de gendarmerie ont effectué 15 302 interpellations pour usage-revente et trafic de cannabis ; 31 000 personnes ont été condamnées en 2012 à des peines inscrites au casier judiciaire pour consommation de cannabis.
Le premier constat qui s’impose est celui du désastre du modèle répressif français. Notre police et notre justice n’ont-elles pas mieux à faire ? N’avons-nous donc aucun souci de l’usage des deniers publics ? Le niveau de prévalence du cannabis en France est parmi les plus élevés en Europe, avec le Danemark. Un collégien français sur dix a expérimenté le cannabis, et si cette consommation ne touche que 1,5 % des élèves en sixième, elle en touche un sur quatre en troisième.
Pire, notre stratégie de prévention nationale et d’accompagnement des usagers est quasi inexistante, faute de ressources ! Au Colorado, 33 millions d’euros du produit des taxes du cannabis légalisé ont été alloués aux écoles. « Nous sommes guidés par trois principes : éviter que la marijuana ne tombe entre les mains des enfants, des criminels et des autres États », a déclaré la directrice de l’administration fiscale de l’État du Colorado. N’y a-t-il donc pas lieu de s’inspirer d’une telle expérience ?
Au sein de l’Union européenne, on rencontre trois sortes de législations : celles qui considèrent l’usage de cannabis comme une infraction pénale, celles qui le considèrent comme une infraction administrative, passible de sanctions administratives ; celles encore, et c’est le cas dans quinze pays membres de l’Union européenne, qui n’interdisent pas l’usage du cannabis en tant que tel, mais qui font de sa détention en petite quantité pour usage personnel une infraction pénale ou administrative.
Aux Pays-Bas, la détention et la vente de cannabis ne sont pas légales, mais elles sont tolérées, sous certaines conditions. La Hollande n’a jamais légalisé la production du cannabis sur son territoire, et ne s’intéresse pas aux sources d’approvisionnement des coffee shops, qui relèvent d’une réglementation nationale. On dénombre moins de 9 000 interpellations pour infractions relatives aux drogues douces en 2012 pour l’ensemble du pays, 18 300 pour l’ensemble des drogues, soit dix fois moins qu’en France.
J’ajoute pour finir que la prévalence du cannabis est inférieure en Hollande à celle constatée chez nous : 13,7 % sur les douze derniers mois pour les 15-34 ans, contre 17,5 % en France, malgré une législation infiniment plus répressive et aucune tolérance pour la vente libre.
La présente proposition de loi a pour objet d’autoriser l’usage et d’encadrer de manière très rigoureuse la vente au détail aux personnes majeures et l’usage de plantes de cannabis et de produits dérivés issus de cultures et de pratiques culturales contrôlées, dont les caractéristiques et la teneur en principe psychoactif – le tétrahydrocannabinol ou THC - seraient réglementées.
Nous avons depuis peu plusieurs exemples de dépénalisation et de légalisation contrôlée du cannabis.
L’Uruguay a adopté un ensemble de lois légalisant et réglementant les usages non médicaux du cannabis. Le modèle uruguayen repose sur un degré d’intervention gouvernementale plus élevé que les modèles commerciaux des États de Washington et du Colorado, aux États-Unis, et ce dans tout le circuit allant de la production à la vente. Les recettes liées au cannabis ont atteint, à la fin de 2014, 570 millions d’euros au Colorado, selon une estimation.
Le rapport de Terra Nova envisage quant à lui la légalisation du cannabis et la structuration d’un monopole public, avec les meilleures garanties en termes de contrôle de la prévalence et de protection des populations les plus vulnérables. Il faudra également assécher le marché noir de quelque 100 000 personnes en baissant dans un premier temps le prix du gramme de cannabis légal, puis augmenter ce prix, comme pour le tabac, afin d’empêcher une progression de la prévalence.
Cette légalisation constituerait une source de revenus fiscaux considérables, entre 1,7 milliard et 2 milliards d’euros, et entraînerait la création d’au moins 13 000 emplois, hors ceux qui sont liés à la production, sans compter le coup porté aux réseaux de la drogue, à la criminalité qui leur est associée et à l’une des sources de financement du terrorisme.
Cette proposition de loi est la première du genre à être déposée et débattue dans l’histoire parlementaire française.
J’espère de tout cœur, chers collègues, que vous lui apporterez vos suffrages. Mais, quand bien même vous hésiteriez à le faire, l’examen de ce texte contribuera indéniablement à l’indispensable processus de sensibilisation de l’opinion publique et des responsables politiques à une question sociétale, sociale et sanitaire cruciale.
Le débat est donc ouvert, publiquement et au plus haut niveau. Voilà qui est fort bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier la commission des affaires sociales de m’avoir confié le rôle de rapporteur sur un tel sujet. J’ai ainsi pu réaliser 22 auditions, très intéressantes et ne reflétant effectivement pas les mêmes points de vue.
Comme l’a expliqué ma collègue Esther Benbassa, le débat ne fait que s’engager. J’espère qu’il aura aujourd'hui une issue positive. Mais, quoi qu’il advienne, j’ai bien ressenti un souhait de voir ce sujet abordé et documenté par une information complète.
La France fait partie des plus gros consommateurs de cannabis en Europe. Avec 13,4 millions d’expérimentateurs, 1,2 million d’usagers réguliers et 500 000 consommateurs quotidiens parmi la population âgée de 11 à 75 ans, ce produit s’est banalisé et son usage concerne désormais les milieux sociaux les plus divers.
La question du statut légal du cannabis est aujourd’hui clairement posée dans la société et nous avons d’ailleurs eu des échanges très intéressants à ce sujet en commission.
Les faits nous invitent en effet à nous abstraire de nos représentations courantes pour regarder la situation avec pragmatisme et nous interroger sur les changements nécessaires.
La disponibilité croissante de l’herbe de cannabis est en partie liée au développement de l’autoculture, le nombre de « cannabiculteurs » se situant entre 100 000 et 200 000, selon les estimations. Certes, la fourchette est large, mais on comprendra aisément que ces producteurs ne se déclarent pas !
La majeure partie du cannabis en circulation demeure toutefois issue du trafic international. Représentant les trois quarts du revenu du trafic de drogue, ce trafic s’est criminalisé, en lien avec la grande délinquance. Des réseaux mafieux entretiennent une véritable économie parallèle, déstabilisant la vie de certaines cités. Avec un chiffre d’affaires estimé à 832 millions d’euros à la fin des années deux mille, pour une quantité vendue évaluée à environ 200 tonnes, le cannabis draine des intérêts financiers considérables.
Dans ce domaine, notre pays a pourtant adopté, voilà plus de quarante ans, l’un des dispositifs répressifs les plus sévères en Europe : depuis la loi du 31 décembre 1970, l’usage de cannabis est pénalisé au même titre que l’usage de n’importe quel autre stupéfiant.
M. Gilbert Barbier. C’est bien normal !
M. Jean Desessard, rapporteur. C’est tout le sujet de notre discussion, mon cher collègue !
Cet usage constitue un délit et tout contrevenant s’expose à une peine d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. La détention est, quant à elle, punie de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 7,5 millions d’euros.
En pratique, l’application de ces règles mobilise des ressources considérables, sans toutefois parvenir à juguler la consommation. C’est là qu’il faut s’interroger, monsieur Barbier ! Nous sommes le plus grand consommateur européen, bien que nous disposions du système le plus répressif : c’est tout de même paradoxal !
En l’espace de quarante ans, le nombre d’interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants, ou ILS, a été multiplié par soixante. Ainsi, on dénombre environ 135 000 interpellations en 2010, le cannabis étant concerné dans neuf cas sur dix.
Cette explosion est à la source d’un contentieux de masse, conduisant périodiquement le ministère de la justice, dans ses circulaires de politique pénale, à recommander aux parquets de privilégier autant que possible les mesures alternatives aux poursuites. Sur 85 000 affaires d’usage orientées par les parquets, 62 %, soit 53 000, ont fait l’objet d’une procédure alternative en 2013.
Les dépenses publiques imputables à la défense, à l’ordre public et à la sécurité ainsi qu’à l’action des douanes étaient estimées à 676 millions d’euros en 2010. Elles sont encore beaucoup plus élevées si l’on y inclut les ressources utilisées pour répondre à la délinquance indirectement liée à la consommation de drogues.
La France est le pays européen où la proportion de personnes âgées de 15 à 34 ans qui déclarent avoir consommé du cannabis dans les douze derniers mois est la plus forte. Avec un niveau de 17,5 %, elle se situe devant la Pologne - 17,1 % - et la République tchèque - 16,1 %. Depuis le début des années deux mille, l’usage de cannabis s’est en effet stabilisé à des niveaux élevés, en particulier chez les jeunes. En 2011, 42 % des adolescents de 17 ans avaient déjà expérimenté le cannabis !
Or les risques sanitaires et sociaux liés à l’usage de cannabis sont indéniables. Ils apparaissent d’autant plus importants que l’initiation est précoce ou l’usage problématique en raison d’une forte dépendance.
Comme le rappelle l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, dans une récente revue de la littérature scientifique, les troubles les plus fréquents sont d’ordre cognitif et moteur. Ils peuvent favoriser ou aggraver le décrochage scolaire, voire la désinsertion sociale. Dans des cas beaucoup plus rares, mais graves, la consommation de cannabis peut favoriser la survenue de troubles psychotiques. Quant aux effets somatiques - pathologies respiratoires et vasculaires -, ils sont avérés chez les personnes qui en font un usage fréquent.
L’INSERM indique toutefois que les risques restent faibles pour les consommations occasionnelles et que la dépendance engendrée par le cannabis demeure limitée : moins de 5 % d’usagers souffriraient d’addiction. C’est autant que les consommateurs d’alcool.
Il semble effectivement que la dangerosité du cannabis doive être relativisée.
Dans son rapport préparatoire au nouveau plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives, le professeur Michel Reynaud souligne l’existence d’une discordance majeure entre la dangerosité des produits, telle qu’elle est évaluée par les experts scientifiques, et la perception que la population générale a de cette dangerosité. Il précise que « les experts nationaux et internationaux s’accordent sur les éléments suivants : l’alcool est le produit le plus dangereux, entraînant des dommages sanitaires et sociaux majeurs ; puis viennent l’héroïne et la cocaïne ; puis le tabac, causant surtout des dommages sur la santé ; puis le cannabis, causant prioritairement des dommages sociétaux ». Pourtant, mes chers collègues, l’alcool est autorisé !
M. Gilbert Barbier. Alors, interdisons-le !
M. Jean Desessard, rapporteur. Vous seriez au moins cohérent si vous alliez jusque-là !
En termes de mortalité, l’INSERM souligne qu’il n’existe pas de décès par surdose de cannabis décrits dans la littérature. Le sur-risque engendré par l’usage de cannabis est principalement lié à la sécurité routière, notamment parce que cet usage démultiplie les effets de l’alcool.
Toutefois, force est de constater une tendance vers des modes de consommation de plus en plus dommageables.
La teneur moyenne en THC, le principe actif principal, a tendance à s’accroître depuis le début des années deux mille. Elle a doublé en dix ans pour la résine. Il semble en outre que le phénomène d’adultération du cannabis se développe : la résine est coupée avec des substances très diverses, comme la paraffine, la colle, le sable ou le henné, dont les effets sont plus ou moins toxiques.
Autrement dit, le produit devient lui-même plus dangereux depuis quelques années.
Face au décalage croissant entre le cadre légal et la réalité sociale, de nombreuses voix se sont élevées dans la période récente pour inviter à un changement d’approche.
Je pense en particulier aux préconisations de la Commission mondiale pour la politique des drogues.
En France, outre l’étude très médiatisée de la fondation Terra Nova, qui souligne les avantages économiques et financiers d’une régulation publique du marché du cannabis,…
M. Gilbert Barbier. Des arguments bien scandaleux face aux impératifs de santé publique !
M. Jean Desessard, rapporteur. … un récent rapport d’information de l’Assemblée nationale reconnaît également la nécessité de changer de paradigme. Notre collègue députée socialiste Anne-Yvonne Le Dain y recommande de légaliser l’usage individuel de cannabis dans l’espace privé pour les personnes majeures et d’instituer une offre réglementée du produit sous le contrôle de l’État.
L’opinion des Français eux-mêmes a évolué. Selon l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, la part de nos concitoyens estimant que l’on pourrait autoriser l’usage de cannabis sous certaines conditions - seulement pour les personnes majeures, en maintenant l’interdiction d’un usage avant de conduire - s’élève aujourd’hui à 60 %, contre 30 % en 2008. On constate donc une évolution de l’opinion.
La proposition de loi qui nous réunit cet après-midi opte pour une stratégie de réduction des dommages à travers une régulation par l’État. Comme nous l’a indiqué son auteur, notre collègue Esther Benbassa, elle autorise la vente au détail dans le cadre d’un monopole de l’État, et l’usage, à des fins non thérapeutiques, de plantes de cannabis ou de produits du cannabis dont les caractéristiques seraient définies par décret.
Ce texte prévoit un strict encadrement sanitaire, en particulier l’interdiction de vente aux mineurs. Afin de renforcer la prévention des risques auprès des jeunes, le texte prévoit par ailleurs d’augmenter la fréquence des sessions d’information délivrées en milieu scolaire sur les conséquences de la consommation de drogues sur la santé.
J’insiste : il ne s’agit ni de libéraliser le cannabis – solution qui, de fait, ne changerait de fait pas grand-chose à la situation actuelle – ni de le dépénaliser. Il s’agit au contraire d’une légalisation contrôlée par l’État dont l’une des principales raisons d’être est de lutter contre les mafias et les trafics, et donc contre l’insécurité qui en découle.
Certains, en commission, se sont demandé pourquoi ne pas dépénaliser : tout simplement parce que cela ne réglerait pas le problème numéro un, celui des mafias et de la sécurité dans les quartiers ! En dépénalisant, on autorise les gens à consommer, alors que le marché, la production et le transport restent aux mains des mafias !
M. François Grosdidier. Qui se replient ensuite sur les drogues dures !
M. Jean Desessard, rapporteur. Vous allez dans mon sens : si tout se passe dans la clandestinité, le dealer n’hésitera pas à proposer d’autres substances.
M. Gilbert Barbier. Y compris du cannabis !
M. Jean Desessard, rapporteur. En revanche, si le marché est contrôlé, il ne le fera pas.
M. Gilbert Barbier. L’existence même d’un trafic de cigarettes démontre que vous avez tort !
M. Jean Desessard, rapporteur. La dépénalisation – nous en avons discuté en commission des affaires sociales – ne règle pas le problème des mafias ni celui de la sécurité. Seule la légalisation contrôlée, portée par cette proposition de loi, est à même de régler ce problème puisque la production et le transport seraient alors du ressort de l’État. Par ailleurs, si on légalise, on peut faire de la prévention, comme pour l’alcool ou le tabac aujourd’hui.
Sortir le marché du cannabis de la clandestinité permettra, en outre, de mieux accompagner les usagers et d’encadrer la consommation.
Je l’ai dit en commission, de l’ensemble des personnes avec lesquelles je me suis entretenu, ce sont les acteurs les plus étroitement en contact avec les usagers de cannabis qui accueillent le plus favorablement cette proposition de loi. La Fédération Addiction, par exemple, qui regroupe les professionnels du terrain, juge que la mise en place d’une politique de régulation, en limitant l’accès par une action sur les prix et les règles de publicité, serait « plus efficace qu’une action publique écartelée entre une prohibition théorique et un marché tout puissant » – j’insiste : il s’agit des mots de la Fédération Addiction, non ceux du rapporteur. Pourquoi parler d’une « prohibition théorique » ? Peut-être, chers collègues, faudrait-il s’interroger sur le fait que la plus grande sévérité dans la répression ne nous empêche pas d’être confrontés aux mafias ni d’être les plus gros consommateurs de cannabis en Europe. C’est là qu’est le problème !
La proposition de loi me semble constituer une réponse équilibrée, au-delà de l’alternative stérile entre simple dépénalisation, qui ne règle rien, et prohibition à tout prix, qui n’a pas réglé le problème jusqu’à maintenant.
Je suis donc favorable à la proposition de loi présentée par Mme Esther Benbassa, mais je me dois, en tant que rapporteur, de vous donner l’avis de la commission. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
M. Henri de Raincourt. Tout de même !
M. Jean-Vincent Placé. Nous sommes de vrais démocrates ! (Sourires.)
M. Jean Desessard, rapporteur. Mercredi dernier, les travaux menés par la commission des affaires sociales ont montré l’existence de divergences (Marques d’ironie amusée sur les travées de l'UMP.) sur les évolutions à apporter au système actuel.
La commission n’a pas souhaité donner une suite favorable à la proposition de loi, certains de ses membres estimant la prévention préférable à la légalisation. Selon eux, cette dernière enverrait un mauvais signal à nos concitoyens, dans une société en manque de repères.
M. Gérard Dériot. Voilà !
M. Jean Desessard, rapporteur. D’autres se félicitent de l’ouverture de ce débat et soulignent la difficulté de concilier enjeux d’ordre public et enjeux de santé publique.
M. Jean-Pierre Godefroy. Tout à fait !
M. Jean Desessard, rapporteur. La piste d’une transformation de la peine d’usage de cannabis en une simple contravention a été évoquée à plusieurs reprises, quand ce n’est pas la nécessité de traiter d’abord de ces questions au niveau international qui a été mise en avant.
Les multiples arguments ainsi avancés témoignent à mon sens de la richesse de nos débats…
Mme Catherine Procaccia. C’est gentil !
M. Jean Desessard, rapporteur. … sur une question qu’il est aujourd’hui permis d’aborder avec sérieux.
Toutefois, chers collègues, il y a urgence, après quarante ans de lutte stérile !
Mme Catherine Procaccia. Justement !...
M. Jean Desessard, rapporteur. Il y a urgence, parce que l’insécurité règne dans les quartiers, parce que les mafias se développent de plus en plus. Nous ne pouvons rester les bras ballants face à cette mafia organisée qui gangrène de multiples quartiers.
Il y a urgence, parce que la corruption est déjà là, comme on le voit avec la mise en cause ou même l’interpellation de douaniers et de policiers pour des affaires de cannabis. Certes, le phénomène n’est pas généralisable à l’ensemble des forces de police, mais le risque de corruption menace de prendre, dans les années qui viennent, une certaine acuité.
Pour toutes ces raisons, il nous faudra bien, un jour prochain, prendre une décision pragmatique, en toute lucidité.
Je me félicite que le constat des limites de la politique actuelle soit globalement partagé et que nos échanges sur cette question multifactorielle, et donc complexe, aient pu s’engager sur des bases communes.
La commission, dont je regrette la décision, n’est pas favorable à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste, du groupe CRC et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, longtemps, l’image du cannabis et de ses produits dérivés a été celle d’une drogue « douce », récréative, sans danger pour la santé.
Les nombreux travaux scientifiques menés au cours des dernières années ont cependant mis en lumière une tout autre réalité. Je souhaite revenir quelques instants sur ces risques sanitaires bien réels, en rappelant simplement l’état des connaissances médicales sur la nocivité du cannabis pour les personnes les plus fragiles.
Les dommages se traduisent essentiellement par des troubles cognitifs et psychiatriques dont la sévérité varie selon les quantités consommées, l’âge d’exposition et les vulnérabilités particulières de chaque individu.
À cet égard, la jeunesse constitue une période particulièrement critique. Le processus de maturation cérébrale, lequel « bat son plein » à l’adolescence et se poursuit au-delà, permet au jeune d’acquérir les compétences physiques et intellectuelles qui lui seront indispensables dans sa vie d’adulte. Or le THC, principe actif principal du cannabis, interagit avec ce développement, ce qui peut conduire à des anomalies de la substance grise et de la substance blanche, c’est-à-dire du système cérébral et neurologique.
Si des troubles de l’attention et de la mémoire peuvent survenir dans les six heures suivant une prise unique, ils sont d’autant plus importants que la consommation a débuté précocement. Or la première expérimentation de l’usage de cannabis se fait de plus en plus précocement.
Lorsqu’elles s’accompagnent d’un syndrome « amotivationnel » – désintérêt, manque d’engagement –, ces difficultés sont susceptibles, en cas de consommation régulière, de causer ou d’aggraver le décrochage scolaire, voire la désinsertion sociale.
Les conséquences sont graves lorsque ces troubles sont à l’origine d’accidents de la voie publique. Je le rappelle, mais vous le savez tous, l’usage conjoint de cannabis et d’alcool multiplie par 14 le risque de se rendre responsable d’un accident mortel de la route !
En ce qui concerne les effets du cannabis sur le psychisme, le risque de survenue d’états d’angoisse aiguë est avéré. Une constatation clinique fréquente est celle de symptômes psychotiques tels que des idées de persécution ou d’hostilité de l’entourage, voire des sensations de dépersonnalisation, et, plus rarement, des hallucinations. Une étude portant sur des étudiants indique que ces effets sont plus importants lorsque les sujets présentent une vulnérabilité particulière à la psychose.
Les liens entre le cannabis et la schizophrénie, quant à eux, ont longtemps été controversés. Une première étude, célèbre, réalisée en 1987 par Andreasson sur une large population de conscrits suédois établissait un lien statistique entre exposition au cannabis et risque ultérieur de schizophrénie.
Cette étude a été critiquée pour ses biais. Des travaux épidémiologiques ultérieurs ont néanmoins permis d’affiner les résultats. Il en résulte que l’augmentation du risque de troubles psychotiques dépend de nombreux facteurs et que, au total, le cannabis pourrait révéler, ou aggraver, une schizophrénie latente.
Enfin, comme pour le tabac et l’alcool, la plupart des conséquences somatiques surviennent généralement plusieurs dizaines d’années après le début d’une consommation régulière. Les effets carcinogènes induits par le cannabis sont indépendants de ceux qui sont liés au tabac. Plusieurs études récentes ont en outre montré que la consommation de cannabis pouvait favoriser la survenue d’infarctus du myocarde. Elle peut aussi être à l’origine d’accidents vasculaires cérébraux, ou AVC, par angiopathie cérébrale.
Enfin, il faut souligner que l’appétence des usagers pour des produits de plus en plus dosés en THC, ainsi que l’émergence de cannabinoïdes synthétiques n’augurent rien de bon quant à l’évolution de la dangerosité, bien au contraire.
Voici, en quelques mots, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les éléments en notre possession sur l’impact sanitaire de la consommation de cannabis.
Dès lors, faut-il revoir le régime légal et pénal applicable, en France, à l’usage du cannabis ? Cette question a suscité de riches débats en commission, comme l’a souligné notre rapporteur. Je tiens d’ailleurs à remercier Jean Desessard pour la très grande qualité de son rapport : son travail, à la fois documenté, précis et objectif, a suscité un vif intérêt et permis à chacun d’entre nous de faire avancer ses réflexions à partir du constat largement partagé des limites du cadre actuel.
De solides arguments ont été avancés de part et d’autre sur une question difficile, qui n’appelle pas de réponse totalement évidente, en témoigne la diversité des législations nationales. Un assouplissement du cadre légal – certains l’ont souligné – paraîtrait contradictoire avec le message de prévention et rendrait tout retour en arrière particulièrement difficile. Mais il est vrai aussi que la réponse pénale actuelle conduit à des impasses.
Notre collègue Laurence Cohen, ancienne rapporteur des crédits de ce qui était à l’époque la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, la MILDT, nous a rappelé son travail avec les fédérations d’addictologie. Vous l’avez dit, les professionnels du terrain appellent de leurs vœux un grand débat public sur la question des drogues, laquelle reste trop souvent traitée de manière superficielle, sous l’angle du sensationnel. Il semble en effet que la criminalisation des usagers fasse obstacle à l’accès aux soins et à la prévention.
Je tiens également à saluer, pour sa contribution avisée, Gilbert Barbier, l’actuel rapporteur pour avis des crédits de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la MILDECA. Dans le prolongement de son excellent rapport d’information de 2011 sur la question des toxicomanies, notre collègue a pointé la nécessité de changer de système et d’approfondir la démarche de sensibilisation des jeunes et de leurs familles aux dangers encourus.
Au terme d’une discussion nourrie, la commission des affaires sociales n’a pas approuvé le dispositif proposé par notre collègue Esther Benbassa. Elle n’en reconnaît pas moins le besoin d’une stratégie cohérente, madame la secrétaire d’État, à l’égard d’un produit dont la consommation est loin d’être anodine, notamment pour les jeunes.
Je ferai une dernière remarque. M. le rapporteur justifie cette proposition de loi en invoquant la légalisation ancienne du tabac et de l’alcool. Je rappelle d’abord que la consommation d’alcool, traditionnelle en France et dans toute l’Europe, n’a jamais fait l’objet, à l’origine, d’une légalisation.
Quant au tabac, ceux qui l’ont légalisé n’en connaissaient pas les dangers.
Mme Catherine Procaccia. C’est vrai !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Ils considéraient que cette substance était sans danger pour la santé.
À cet égard, je voudrais rappeler quelques chiffres figurant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 que nous avons voté en automne dernier.
Certes, la légalisation du cannabis pourrait rapporter jusqu’à 1,5 milliard d’euros à l’État. Le tabac, lui, rapporte 11 milliards d’euros. Mais, dans le même temps, chaque année, il est responsable de 73 000 décès (M. Jean-Pierre Godefroy acquiesce.), de 20 milliards d’euros de dépenses de santé, soit 9 milliards d’euros de plus que les recettes,…
M. Gilbert Barbier. Tout à fait !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. … et les économistes estiment que son coût global pour l’économie française s’élève à 47 milliards d’euros !
Ce sont des chiffres considérables qu’il faut sans cesse avoir en tête. Légaliser une drogue parce que l’on ne voit pas d’autre moyen de lutter contre et parce que cela pourrait rapporter de l’argent ne me semble pas être une bonne solution !
À titre personnel, je voterai contre cette proposition de loi, même si je concède qu’il est juste et important d’avoir soulevé le problème.
Mes chers collègues, n’allons pas adopter un texte auquel peut-être, dans quelques années, nous regretterons d’avoir apporté nos suffrages, si nous sommes encore en vie…
M. Jean Desessard, rapporteur. À condition de ne pas fumer trop de cannabis ! (Sourires.)
M. Gilbert Barbier. Pour ma part, je ne fume pas ! (Nouveaux sourires.)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Avec le groupe UMP, je voterai donc contre ce texte, tout en reconnaissant qu’il fallait soulever le problème et que d’autres solutions doivent être trouvées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Corinne Bouchoux et M. Gilbert Barbier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la consommation de substances psychoactives, si elle est présentée comme culturelle, signe d’émancipation, usage récréatif, est particulière en ce sens qu’elle génère une dépendance chez les consommateurs, vous l’avez tous souligné.
Chaque substance a ses propres caractéristiques, qu’il s’agisse de la vitesse d’entrée dans la dépendance ou des conséquences directes de la consommation sur les comportements, notamment.
Néanmoins, nul ne peut ignorer les conséquences sanitaires dramatiques des conduites addictives, en particulier de la consommation de drogue. Les consommations de drogues évoluent, et nous sommes confrontés de plus en plus aux polyconsommations.
Le cannabis est de loin la substance illicite la plus consommée, dix fois plus que la cocaïne ou l’ecstasy. Les substances psychoactives les plus consommées en France restent toutefois le tabac et l’alcool.
Est-il encore nécessaire de rappeler à cette tribune les nombreuses maladies chroniques générées par ces comportements : cancers, maladies cardio-vasculaires et respiratoires, maladies du foie, maladies neurologiques, troubles psychiatriques ? N’oublions pas les conséquences que peut avoir l’injection de drogues intraveineuses, notamment la transmission de virus tels que le VIH, le virus de l’immunodéficience humaine, et les hépatites.
Nous sommes réunis cet après-midi pour examiner la proposition de la loi, déposée par le groupe écologiste, visant à autoriser un usage contrôlé du cannabis.
Ce texte part d’un constat que nous partageons : le véritable problème de santé publique que représente cette consommation de cannabis. Les chiffres évoqués à l’appui de ce texte, nous les connaissons tous : le cannabis est la substance psychoactive la plus utilisée par les Français entre 11 et 75 ans. Quelque 13,8 millions de Français ont expérimenté le produit, et 1,2 million en consomment au moins dix fois par mois.
Mais c’est le niveau de consommation de cannabis chez les jeunes qui place la France aux premiers rangs des pays d’Europe : parmi les jeunes de 17 ans, plus de 40 % ont expérimenté le cannabis, et 6,5 % en font un usage régulier et une consommation problématique.
Aucun expert, aucun addictologue ne nie ce que confirment les dernières études scientifiques : la consommation de cannabis est nocive, en particulier chez les jeunes. Les liens entre consommation précoce de cannabis et risques de troubles psychotiques sont désormais largement documentés.
Face à cet enjeu de santé publique, nous poursuivons tous les mêmes objectifs : réduire les risques et prévenir le plus tôt possible l’entrée dans la consommation. Mais il s’agit également de lutter contre les trafics en s’attaquant aux réseaux criminels qui se cachent derrière le petit trafic. C’est un enjeu à part entière qui est indissociable de la politique de prévention.
Le Gouvernement s’est saisi de ce sujet. Le plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017, lancé par le Premier ministre en septembre 2013, comporte des mesures fortes.
Ce plan, mis en œuvre par la MILDECA avec tous les départements ministériels, mobilise l’ensemble des leviers : la prévention, la prise en charge conjointe tant sanitaire que sociale, le développement de la recherche multidisciplinaire, mais aussi la lutte contre les trafics.
Je veux citer : la priorisation d’actions de prévention et d’information en direction des jeunes et de leurs parents ; le renforcement des partenariats entre les professionnels au contact des jeunes – enseignants et personnels de la protection judiciaire de la jeunesse – et les consultations « jeunes consommateurs » ; la prise en charge des jeunes consommateurs les plus en difficulté dans le cadre des structures de recours spécialisées, avec en particulier le déploiement de l’approche thérapeutique familiale dite « MDFT » ; l’encouragement des recherches sur les motivations et les pratiques sociales de consommation de cannabis chez les jeunes.
S’agissant maintenant de la lutte contre le trafic, je citerai l’intensification de la lutte contre l’implication des mineurs dans le trafic, tant sur le plan de la prévention que sur celui de la réponse pénale ; le renforcement du partenariat entre les forces de sécurité et les établissements scolaires pour mieux lutter contre le trafic aux abords de ces derniers ; la mise en place d’une surveillance particulière sur les canaux d’accès à la cannabiculture – magasins spécialisés, sites internet, fret postal et express ; la mobilisation de l’ensemble des acteurs, forces de sécurité, élus locaux et citoyens afin de lutter contre les effets déstabilisateurs du trafic local ; la poursuite de l’effort en matière de saisie du patrimoine des trafiquants, dans l’objectif de les priver du produit de leurs trafics.
La mise en œuvre de ce plan s’appuie notamment sur les professionnels de santé et les travailleurs sociaux qui œuvrent dans le champ des addictions.
Ce sont ces mesures, ces actions qui doivent nous permettre de lutter plus fortement encore contre ce fléau et, demain, de mieux protéger la jeunesse de notre pays.
Madame Benbassa, vous préconisez que la vente de cannabis à des fins non thérapeutiques, pour ne pas dire « récréatives », soit contrôlée par l’État : elle serait assurée par des débitants, comme c’est le cas pour le tabac, mais la publicité et la vente aux mineurs seraient interdites.
Cela étant rappelé, les solutions que vous proposez peuvent avoir des effets contre-productifs par rapport aux objectifs, que nous partageons.
Tout d’abord, alors que nous luttons résolument contre les additifs, banaliser la consommation de cannabis nous semble inopportun, voire dangereux. Ne prenons pas le risque qu’une libéralisation de l’usage de cannabis n’entraîne une hausse de la consommation de ce produit.
M. Jean Desessard, rapporteur. Mais non !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Ensuite, toute tentative de dépénalisation ou de légalisation est susceptible de se heurter à des stratégies d’adaptation des organisations criminelles : baisse des prix, diversification vers de nouvelles drogues, augmentation de la concentration du principe actif…
Une légalisation ou une dépénalisation de l’usage de cannabis entraîneraient-elles une réduction du niveau des trafics ? C’est méconnaître les motivations du crime organisé, dont le but est le profit, sans considération pour le statut juridique des produits. La contrebande de cigarettes, produit légal dont le trafic génère plusieurs milliards d’euros par an, est là pour l’attester. Les filières régulées par la puissance publique via des normes et des taxes peuvent aussi générer leur propre criminalité.
Le statut de produit légal ou illicite ne peut donc à lui seul expliquer ou empêcher l’existence de trafics sur cette marchandise.
Mme Esther Benbassa. J’ai compris !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Des initiatives récentes de légalisation à l’étranger ont visé à changer de stratégie dans la lutte contre certaines drogues et à libéraliser l’usage du cannabis.
Ainsi, l’Uruguay a été le premier pays au monde à mettre en place un monopole d’État sur tout le processus, de la production jusqu’à la consommation de cannabis. De même, les États de Washington et du Colorado ont procédé à une légalisation du cannabis pour usage récréatif.
Ces expériences, qui mériteront d’être resituées dans le contexte de chaque État, sont trop récentes pour permettre d’en mesurer les conséquences, mais elles sont dans le débat.
En 2016, la session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies dédiée à la question des politiques en matière de drogues constituera une occasion de débattre au plus haut niveau sur ces questions. La MILDECA est chargée de la coordination pour la France. Ce sera donc l’occasion d’une discussion ouverte à partir des expériences étrangères.
Aujourd’hui, deux questions doivent animer nos débats : d’une part, la prévention des conduites addictives et, d’autre part, la lutte contre les réseaux criminels. C’est le choix du Gouvernement.
Il convient de faire de la prévention des conduites addictives un axe prioritaire de la politique publique, comme l’est celui de la sécurité routière. Il s’agit de promouvoir des programmes de prévention évalués, sur le long terme, en direction des jeunes, en misant sur le développement des compétences psychosociales et sur les capacités de résistance aux pairs.
La France dispose en effet d’atouts importants dans l’organisation de la prise en charge des comportements addictifs.
Chaque personne concernée par une conduite addictive, quel que soit son âge, quelle que soit son addiction, peut bénéficier d’une réponse accessible et adaptée (Mme Esther Benbassa s’exclame.) : médecins généralistes et soins spécialisés pour les usagers de substances psychoactives dans les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, les CSAPA ; consultations « jeunes consommateurs » – ceux-ci sont d’ailleurs actuellement la cible, avec leurs parents, d’une importante campagne d’information ; centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, les CAARUD ; et enfin, bientôt, salles de consommation à moindre risque.
Est-il opportun de dire que, au fond, le cannabis, ce n’est pas si grave que cela ? Le cannabis a un impact sur la santé, évidemment moins important que celui d’autres drogues. Mais, en plus des effets que j’ai déjà mentionnés, notamment chez les jeunes, l’usage de cannabis augmente les risques de décrochage scolaire et d’accidents de la route, d’autant plus s’il est associé à l’alcool.
Cela suffit à justifier la politique que nous menons pour mettre en œuvre des actions et des programmes de réduction des risques. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons besoin de stabilité et de cohérence. Maintenons le droit tel qu’il est.
Comme vous l’aurez compris, mesdames et messieurs les sénateurs, le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme Esther Benbassa. Voilà le véritable laxisme !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat suscité par la proposition de loi du groupe écologiste est un débat de société dont les enjeux de santé publique sont majeurs.
Rapporteur pour avis, de 2011 à 2013, des crédits de la MILDT, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, aujourd’hui rebaptisée « MILDECA », j’ai pu constater l’inefficacité de la politique de guerre contre les drogues. Élue de terrain, j’ai été et suis témoin, comme beaucoup d’entre vous, des dégâts occasionnés par la drogue dans un certain nombre de quartiers : escalade de la violence, trafics, réseaux qui dictent leur loi…
Ces constatations ont abouti à l’élaboration, en juillet 2012, d’une charte intitulée « Pour une autre politique des addictions » reposant sur quatre piliers : prévention, réduction des risques, soins et réduction de l’offre de drogues. Signée par près de deux mille personnes, elle a permis de formaliser, entre les principales fédérations et associations d’addictologie, une base commune de diagnostic, d’état des lieux et de recommandations, aboutissant à un consensus sur la dépénalisation de l’usage des drogues.
Pour les signataires, il faut en finir avec les dérives sécuritaires et avec une prévention lacunaire, donc inefficace.
Cette proposition de loi répond-elle à ces constatations ? Est-il juste de se focaliser sur le cannabis quand nombre d’autres addictions à des substances, légales ou illégales, font tout autant, si ce n’est plus de ravages?
J’aurais préféré que l’on aborde la question des addictions de manière plus globale. Mais nous ne nions évidemment pas le problème. Je citerai à cet égard les chiffres de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, l’OFDT : en 2010, entre 1 et 2 millions de Français consommaient régulièrement du cannabis. La consommation de cannabis, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes, est donc un véritable problème de santé publique.
À la suite de M. le rapporteur, nous pouvons relever un paradoxe : alors que nous avons l’une des législations européennes les plus répressives en la matière, la France est le pays d’Europe où la consommation des personnes âgées de 15 à 24 ans est l’une des plus élevées.
Selon la MILDT, 41,5 % des jeunes de 17 ans et 32,8 % des adultes de 18 à 64 ans ont expérimenté le cannabis, ce qui situe la France derrière le Danemark et devant les Pays-Bas.
Les fumeurs réguliers de cannabis représentent 6,5 % des jeunes et 2,1 % des adultes.
La consommation de substance par les jeunes s’inscrit dans une démarche d’expérimentation et de socialisation. Cependant, cette situation les expose à une consommation sauvage, qui touche les écoles et les quartiers et met les adolescents en relation directe avec les réseaux criminels.
Depuis la loi du 31 décembre 1970, donc depuis plus de quarante ans, la seule politique publique a été la surenchère répressive, qui n’a contribué ni à la diminution du nombre de consommateurs ni à celle des trafics, tout en encombrant les tribunaux et les prisons.
Je rappelle que, selon l’article L. 3421-1 du code de la santé publique, « l’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ». L’usage est donc considéré comme un délit, alors même que, dans certains pays où le cannabis est autorisé, le nombre de consommateurs est moins important qu’en France.
La pénalisation de l’usage de stupéfiants est une politique répressive qui se veut rassurante mais, dans les faits, elle ne traite pas le problème, en plus de coûter cher : un milliard d’euros par an. Pire, la criminalisation de l’usage fait obstacle à la protection de la santé, en rendant plus difficile l’accès aux services de prévention et de soins, et en accroissant les prises de risque par la clandestinité qu’elle impose.
M. Jean Desessard, rapporteur. Absolument !
Mme Laurence Cohen. Il est temps de modifier ces dispositions, qui ne correspondent plus aux réalités du terrain.
Pour ma part, après le travail que j’ai pu mener auprès des professionnels, je suis convaincue de la nécessité d’une politique de réduction des risques. On le voit, en effet, les gouvernements successifs n’ont pas réussi à faire diminuer la consommation ni davantage à enrayer le développement de l’économie alternative mafieuse engendrée par la production et la vente illégales.
Les quartiers sont gangrénés par ce phénomène, qui constitue, pour les organisateurs et les intermédiaires, une source de revenus extrêmement importante. Tout un réseau est en place qui met à mal le mieux vivre ensemble, la sécurité, la tranquillité. Les maires sont particulièrement impuissants ; ils sont laissés bien seuls. Il faut donc agir au plus vite : bon nombre de règlements de compte qui défraient la chronique sont liés à ces trafics.
Les pays qui se sont livrés à une véritable guerre contre la drogue, comme les États-Unis, en reviennent désormais. Quant à la France, les politiques de prévention, fragmentées, sans continuité, focalisées sur l’information et sur les produits, n’ont pas réussi à modifier les comportements. Il faut donc s’attaquer prioritairement à la mise en œuvre d’un véritable programme national de prévention.
Nous partageons le constat du groupe écologiste sur les enjeux de santé publique posés par cette question et sur l’inefficacité d’une législation répressive. Nous sommes favorables aux actions d’information et de prévention en direction du public, notamment dans les établissements scolaires.
Encore faut-il s’en donner les moyens : cesser de réduire les crédits de prévention des agences régionales de santé, ou ARS ; financer les associations qui militent en faveur de la prévention à la hauteur des actions à mener ; redonner des moyens humains et financiers à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Qu’il me soit permis, à cette occasion, de dénoncer une nouvelle fois la réduction du budget de la MILDECA pour 2015, réduction qui s’inscrit, hélas, dans la droite ligne de l’affaiblissement des crédits de la mission interministérielle.
Avec cette proposition de loi, le groupe écologiste pose donc les termes du débat, mais il apporte une réponse – la légalisation – qui est loin de faire l’unanimité.
Je voudrais d’ailleurs revenir, brièvement, compte tenu du temps qui m’est imparti, sur la définition de la légalisation et de la dépénalisation.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
Mme Laurence Cohen. Il semble extrêmement prématuré de parler de « légalisation ». Légaliser, en effet, c’est donner un cadre légal à un produit ou à un acte qui n’en avaient pas.
M. Jean Desessard, rapporteur. Oui !
Mme Laurence Cohen. Cela implique donc de substituer à la prohibition un système de contrôle par l’État, de la production jusqu’à la vente.
Sachant que, en France, le débat sur ce sujet est tronqué et que nous ne parvenons pas à élaborer une réflexion de fond qui échappe au sensationnel et aux faits divers, la légalisation est-elle vraiment la bonne réponse ?
En accord avec les signataires de la charte précédemment évoquée, le groupe CRC estime qu’il faudrait plutôt dépénaliser l’usage du cannabis, ce qui revient à supprimer la sanction pénale attachée à un comportement individuel, en l’espèce l’usage, la possession ou la détention pour usage personnel de ce produit.
Dépénaliser, c’est renoncer à punir pénalement l’acte de consommer des stupéfiants. Contrairement à la légalisation, elle implique le maintien de l’interdit.
Je me permettrai de citer à ce titre l’exemple du Portugal. Depuis près de quinze ans, ce pays mène une politique de dépénalisation : l’achat, la détention et l’usage de stupéfiants pour une consommation individuelle ont ainsi été décriminalisés. Les résultats sont très probants, et montrent une réelle diminution des consommations !
En tout état de cause, je suis convaincue qu’il faut faire appel à l’intelligence collective, partager l’information sur le bilan, les risques et les échecs des politiques répressives. Il faut poursuivre le travail pluridisciplinaire et complémentaire entre professionnels de santé, sociologues, magistrats, policiers, élus, citoyens et usagers de drogues, afin d’aboutir à un grand débat public renseigné.
Dès lors, pour notre part, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi qui, certes, va dans le bon sens en ce qu’elle cherche à modifier la règlementation de l’usage du cannabis, mais ne dote pas la France des bons outils, qui demeurent, pour nous, la dépénalisation et la réduction des risques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Corinne Bouchoux et M. Gilbert Barbier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, au moment d’aborder cette proposition de loi, je voudrais avant tout, pour faire écho aux propos de M. le rapporteur, faire part de mon étonnement devant la proposition d’un club de réflexion honorablement connu, qui suggère de légaliser l’usage du cannabis en France pour récolter une nouvelle recette fiscale de 1,5 milliard d’euros, somme qui serait affectée à la prévention.
M. Jean Desessard, rapporteur. C’est Terra Nova !
M. Gilbert Barbier. Comme si, depuis la vignette auto de Paul Ramadier, le fléchage des taxes était crédible et respecté ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Gilbert Barbier. Le texte qui nous est présenté aujourd’hui apparaît comme un « bruit de fond » récurrent, qui avait déclenché, en 2011, la création d’une mission d’information commune aux deux assemblées sur les toxicomanies, dont j’avais eu l’honneur d’être le rapporteur avec Françoise Branget.
Peu d’éléments ont évolué depuis, si ce n’est que des études étrangères – M. le président de la commission des affaires sociales l’a souligné – démontrent d’une manière irréfutable l’extrême dangerosité du cannabis, notamment chez les jeunes. Je dois d’ailleurs saluer l’honnêteté intellectuelle de M. le rapporteur ; bien que cosignataire de la proposition de loi, il confirme d’une manière dépourvue de toute ambiguïté la nocivité de cette drogue illicite.
Ce point ne fait plus débat ; les effets psychotropes du cannabis fortement dosé en principe actif, comme il est possible de s’en procurer, y compris sur internet, ne font que conforter la nécessité d’avoir un discours clair sur les risques en matière de santé publique, de santé physique, de santé psychique et d’insertion sociale.
Il serait d’ailleurs souhaitable que notre pays, notamment parce qu’il est l’un des plus touchés par le phénomène, mène une enquête épidémiologique d’envergure sur ce fait de société.
Alors que la dangerosité du cannabis est reconnue, je trouve pour le moins surprenant que l’on veuille en autoriser la consommation. Cela n’aurait pour effet, au vu de l’inconsistance des avantages allégués, que de rendre illisible et incohérente toute la politique menée en matière de lutte contre les drogues et la toxicomanie.
Il me paraît également important de revenir sur les approximations sémantiques – constatées notamment lors de nos discussions en commission – à partir desquelles les auteurs de la proposition de loi construisent leur argumentation. Il serait, selon eux, moins question de « dépénaliser » que de « légaliser ». Or dépénaliser signifie supprimer les sanctions pénales actuellement en vigueur, ce qui revient à lever l’interdit pesant sur cette consommation.
M. Jean Desessard, rapporteur. Oui !
M. Gilbert Barbier. Dans notre tradition juridique libérale, ce qui n’est pas interdit est permis, et ce qui est permis est légal. Dépénalisation et légalisation se rejoignent donc. Il ne pourrait en être autrement que s’il était proposé de remplacer les sanctions pénales, c’est-à-dire criminelles, délictuelles ou contraventionnelles, par d’autres sanctions, administratives, par exemple, ce qui n’est pas le cas ici.
Dépénaliser ou légaliser nécessiterait à tout le moins la construction d’un système juridique ad hoc : définition juridique des drogues concernées, précision des conditions de consommation admises, lieux de vente, approvisionnement, prix, modalités de contrôle, notamment ; toute une série de contraintes à la marge desquelles les trafics que l’on prétend asphyxier se reconstruiraient sans grande difficulté. J’ajoute que le texte présenté renvoie le tout à des décrets, sans aucun encadrement législatif. Cela est difficilement acceptable pour un sujet aussi sensible.
Nous sommes de fait dans un débat de fond sur la société que nous voulons. L’objectif d’une société sans drogues – commun à l’ensemble des pays européens – est-il irréaliste, fantasmatique ou encore infantilisant au regard de l’existant, au regard des politiques de réduction des risques, qu’ils soient somatiques ou sociétaux ?
À ce jour, aucun pays européen n’a renoncé à construire une société sans drogues. Il est d’ailleurs possible de mener cette politique de réduction des risques sans pour autant renier cet idéal. Il n’est pas concevable de risquer la démission de l’État et du corps social devant les dangers que représente la drogue.
L’usage du cannabis, comme d’autres drogues, doit rester une transgression.
Alors, plutôt que dépénaliser ou légaliser – vous l’aurez compris, c’est pour moi la même chose –, je pense qu’il serait préférable de moduler l’échelle des peines. Certes, la modulation existe déjà : rappel à la loi, injonction thérapeutique, amende ou peine d’emprisonnement, sont prévus par le code pénal. Mais la réponse pénale, nous le voyons bien, est inefficace et inapplicable, parce qu’inadaptée aux réalités quotidiennes de la consommation de drogues illicites.
Si le nombre d’interpellations a connu une croissance spectaculaire, il n’en reste pas moins faible au regard du nombre de consommateurs réguliers ou occasionnels.
Par ailleurs, les études le montrent bien, les interpellations épargnent des catégories entières de consommateurs, notamment les plus jeunes, ce que j’avais déjà dénoncé dans mon rapport d’information.
J’avais d’ailleurs déposé, avec plusieurs sénateurs du RDSE, une proposition de loi visant à punir d’une peine contraventionnelle toute interpellation au premier usage. Cette proposition, que la Haute Assemblée avait adoptée, fera peut-être un jour son chemin…
Pour toutes ces raisons, la voie qu’il nous est ici suggéré d’emprunter ne nous semble pas être la bonne. Aussi, le groupe du RDSE ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, non, la drogue n’est pas une fatalité, contrairement à ce que tenteraient de nous faire croire les auteurs de cette proposition de loi.
La dépénalisation est évidemment une duperie. Non seulement elle n’arrange pas les problèmes, mais, de surcroît, elle les aggrave considérablement.
Dépénaliser revient en effet à présenter le cannabis comme un produit de consommation, au même titre que l’alcool ou le tabac, alors qu’il est un véritable danger ; il s’agit d’un produit totalement déstructurant, qui est la porte d’entrée vers l’héroïne et la cocaïne.
M. Jean Desessard, rapporteur. C’est faux !
M. David Rachline. Dans beaucoup de cas, il va même jusqu’à tuer.
Il n’existe pas de consommation de drogues sans risque, pas même s’agissant du cannabis. Cela a été dit, le cannabis perturbe les fonctions cérébrales, réduit le jugement, la concentration et la mémoire à court terme, ainsi que la capacité d’accomplir des tâches routinières.
Il est bien connu que, en matière de drogue, le consommateur régulier, toujours à la recherche de sensations plus fortes, va de plus en plus loin. Les héroïnomanes et les cocaïnomanes ont toujours commencé par le cannabis !
Dès lors, face à ces dangers pour la santé, on ne saurait présenter le cannabis comme un produit de consommation courante, que l’on achèterait au supermarché. Dépénaliser, c’est mettre la drogue à la portée de tous. C’est de l’inconscience totale ; je parlerais même d’irresponsabilité.
À chaque levée de prohibition des stupéfiants, davantage de personnes prennent de la drogue ; celles qui sont déjà toxicomanes en consomment même en plus grandes quantités. Cela revient donc à mettre en grand danger nos jeunes, qui sont très influençables et très vulnérables face au cannabis : 42 % des jeunes de 17 ans l’ont en effet déjà expérimenté. Nous oserions donc penser porter remède à cette vulnérabilité en leur offrant du cannabis sur un plateau d’argent ?
Dépénaliser, c’est prendre le problème complètement à l’envers. Quelle cohérence y a-t-il à sensibiliser le jeune public aux effets néfastes du cannabis si, parallèlement, nous en faisons un produit légal, qui s’achète librement ?
Il faut vraiment être naïf pour croire que les groupes criminels vont se laisser si facilement retirer les gains immenses de leur trafic. Une légalisation accroît de façon vertigineuse les profits du crime organisé, nous le savons bien pour en voir à l’étranger de nombreux exemples.
M. Jean Desessard, rapporteur. Ah bon ?...
M. David Rachline. En légalisant le cannabis, l’État deviendra en réalité le partenaire commercial des groupes criminels.
La vérité, c’est qu’avec cette proposition de loi, le parti écologiste sombre une nouvelle fois dans la démagogie, cédant à une idéologie libertaire qui est un vrai danger pour notre société.
Face à la drogue, il ne faut pas baisser les bras. Nous devons réaffirmer qu’elle est un fléau et qu’il faut la combattre, lutter sans relâche contre les trafiquants dont les activités gangrènent nos villes, nos quartiers, nos écoles.
Pour réduire le marché du cannabis, il faut démoder cette substance, par le biais d’une plus grande prévention dès le plus jeune âge, axée sur la santé,…
M. Jean Desessard, rapporteur. C’est ce que nous faisons déjà !
M. David Rachline. … sur les dangers de la consommation du cannabis, qui ouvre les portes à celle d’autres drogues. Il faut expliquer, à travers l’intervention des éducateurs de rue et les témoignages d’anciens toxicomanes, que la drogue n’est qu’un cache-misère, que les joies éphémères qu’elle apporte sont un leurre et ne laissent trop souvent que de la détresse derrière elles.
Nous voterons évidemment contre la présente proposition de loi.
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je rappelle que la proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis, présentée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues, a été inscrite par la conférence des présidents dans le cadre de l’espace réservé au groupe écologiste, d’une durée totale de quatre heures.
À dix-huit heures trente, les quatre heures sont écoulées. Je suis donc dans l’obligation d’interrompre l’examen de ce texte. Il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire la suite de la discussion de cette proposition de loi à l’ordre du jour d’une prochaine séance.
6
Candidatures à deux organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, en application du décret n° 2010-1048 du 1er septembre 2010.
La commission des affaires européennes a présenté des candidatures pour un titulaire et un suppléant.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
Je rappelle également au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de la commission nationale d’agrément des associations représentant les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique.
La commission des affaires sociales a présenté des candidatures pour un titulaire et un suppléant.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
7
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 4 février 2015, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 465-1, L. 466-1, L. 621-15, L. 621-15-1, L. 621-16, L. 621-16-1 et L. 621-20-1 du code monétaire et financier et sur l’article 6 du code de procédure pénale (délit d’initié) (2015-462 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 12 et 13 février 2015
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 12 et 13 février 2015.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me recevoir à la veille d’une semaine où se tiendront un conseil Affaires générales et une réunion informelle des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne.
Initialement conçue pour traiter de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, cette réunion portera en réalité sur la réponse de l’Union européenne au défi du terrorisme.
Voilà près d’un mois, les 7, 8 et 9 janvier, des attentats frappaient Paris. La solidarité européenne s’est immédiatement exprimée. Dans un élan de fraternité et de solidarité qui s’est incarné par la participation de très nombreux chefs d’État et de gouvernement à la marche du 11 janvier à Paris, l’Europe a montré que, comme la France elle-même, elle se sentait touchée au cœur.
Il est alors apparu évident que l’Europe unie devait faire face pour défendre une communauté de nations solidaires et une communauté de valeurs.
Depuis lors, les ministres de l’intérieur de l’Union européenne, qui, pour beaucoup d’entre eux, avaient déjà été réunis par Bernard Cazeneuve à Paris le 11 janvier, se sont retrouvés à Riga. Ils ont adopté une déclaration commune qui servira de matrice à celle que devraient adopter les chefs d’État et de gouvernement le 12 février à Bruxelles.
Le travail que nous menons vise à obtenir que le Conseil européen prenne des décisions et des orientations dans trois directions : la sécurité de nos concitoyens, la prévention de la radicalisation et l’action extérieure de l’Union.
En premier lieu, en vue d’assurer la sécurité de nos concitoyens à l’échelle européenne, le Conseil européen demandera que le Conseil et le Parlement européen adoptent le plus rapidement possible la directive Passenger name record, ou PNR, sur les dossiers des passagers des transports aériens.
Mon collègue Bernard Cazeneuve et moi-même sommes très mobilisés sur le sujet. Nous avons multiplié les rencontres avec les parlementaires européens au cours des dernières semaines, afin de les convaincre d’agir rapidement sur ce dossier. Nous avons indiqué que nous étions prêts à apporter des réponses à certaines de leurs inquiétudes. Je pense en particulier à la question de la protection des données personnelles. En tout état de cause, nous avons absolument besoin de pouvoir disposer d’un système PNR à l’échelle européenne. À défaut, nous en serions réduits à une addition de systèmes PNR nationaux ; la France adoptera d’ailleurs le sien au mois de septembre. Cela poserait des problèmes de cohérence, d’efficacité dans la transmission des informations sur les données des passagers. En outre, les garanties espérées et attendues par le Parlement européen à l’échelle européenne ne pourraient pas être établies.
Par ailleurs, le cadre de Schengen doit être pleinement utilisé et les frontières extérieures renforcées, en particulier via une modification ciblée du code Schengen, afin de permettre des contrôles systématiques aux frontières externes. La liberté de circulation à l’intérieur de la zone Schengen sera d’autant mieux assurée que les garanties concernant les mouvements suspects de personnes, notamment de combattants étrangers terroristes, aux frontières extérieures de l’Union européenne seront renforcées.
La coopération policière et judiciaire au niveau européen doit également être renforcée, que ce soit sur le plan opérationnel ou en termes d’échange d’informations, en particulier via Europol et Eurojust. Elle est déjà de bonne qualité, tout comme la coopération entre les services de renseignement, mais nous sommes évidemment mobilisés pour intensifier encore les échanges d’informations.
Toutes les autorités compétentes en matière de lutte contre le trafic illégal des armes à feu doivent accroître leur coopération. Si nécessaire, les États membres doivent également adapter rapidement leur législation nationale en ce domaine.
Enfin, la traçabilité des flux financiers doit être renforcée. La France souhaite – Michel Sapin a inscrit ce point à l’ordre du jour de la dernière réunion du Conseil Ecofin – que des mesures supplémentaires soient adoptées en matière de traçabilité des paiements et d’harmonisation du contrôle des flux financiers dans les pays à risque. Les États membres devront également rapidement mettre en œuvre le cadre renforcé de lutte contre le blanchiment d’argent.
La deuxième direction, c’est la prévention de la radicalisation et la promotion de nos valeurs.
Nous avons besoin d’un cadre global au niveau européen, afin de combattre le phénomène de la radicalisation. Ce cadre doit notamment comprendre la mise en place d’un dialogue structuré avec les grands opérateurs d’internet aux niveaux européen et international. En effet, internet est un espace à la fois de radicalisation et de recrutement, mais aussi de communication entre terroristes. C’est pourquoi la France souhaite que la Commission européenne propose une législation pour assurer, chaque fois que nécessaire, la suppression des contenus visant à l’apologie et à l’incitation au terrorisme diffusés sur les plateformes et les sites ou l’impossibilité d’y accéder.
Nous devons aussi diffuser des « contre-discours » facilement accessibles aux publics cibles, notamment les jeunes. Il faut promouvoir la vérité contre la propagande mensongère – le Gouvernement a lancé le site « stop djihadisme » –, mais aussi défendre les valeurs de tolérance, de démocratie, de liberté, de non-discrimination et de solidarité.
Les activités du réseau européen de sensibilisation à la radicalisation, le RAN, qui réunit des praticiens européens autour d’une approche transversale et pluridisciplinaire du phénomène de la radicalisation, doivent être renforcées.
Enfin, des initiatives devront être prises dans le domaine de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’intégration sociale, à la fois dans les États membres et au niveau européen, notamment en mobilisant les fonds structurels.
La troisième direction est le renforcement de nos coopérations avec nos partenaires internationaux.
Les conflits dans le voisinage de l’Union européenne, en particulier dans notre voisinage sud, doivent être traités à travers une approche plus stratégique.
La place des questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme dans nos échanges avec les États tiers, en particulier ceux du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, doit être renforcée, notamment en mobilisant les différents instruments financiers de l’action extérieure de l’Europe.
Ces trois volets forment un tout, une approche globale. Ce Conseil européen informel constituera donc une étape importante, qui ne sera pas la dernière. D’ores et déjà, la Commission a indiqué qu’elle publiera en mai une communication relative à une stratégie en matière de sécurité européenne.
Je voudrais maintenant évoquer la situation en Ukraine, sujet qui était à l’ordre du jour du conseil Affaires étrangères extraordinaire organisé la semaine dernière à Bruxelles sur l’initiative de Mme Federica Mogherini, Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne. J’y ai représenté Laurent Fabius, alors en déplacement en Chine.
L’Ukraine sera probablement à l’ordre du jour de la réunion des ministres des affaires étrangères qui se tiendra le 9 février. Il est possible que les chefs d’État et de gouvernement évoquent eux aussi ce sujet.
Lors du conseil Affaires étrangères extraordinaire, nous avons décidé de reconduire jusqu’en septembre 2015 les sanctions individuelles adoptées en mars 2014 à l’encontre des séparatistes et de leurs soutiens, qui contribuent à mettre en cause l’intégrité et la souveraineté de l’Ukraine.
Ces sanctions seront étendues s’il le faut, puisque nous avons demandé la préparation de nouvelles sanctions individuelles, qui pourraient être adoptées par le conseil Affaires étrangères du 9 février.
Enfin, il a été demandé à la Commission et au Service européen pour l’action extérieure, le SEAE, de mener des travaux préparatoires sur toute action appropriée en vue d’assurer la mise en œuvre rapide et complète des accords de Minsk.
Au travers du renforcement des sanctions, l’Union européenne entend faire pression en vue d’un retour à une solution politique négociée du conflit opposant l’Ukraine aux séparatistes et à la Russie, qui les soutient.
Les débats ont été évidemment marqués par l’aggravation de la situation sur le terrain. Il est apparu clairement que la prise de Marioupol représenterait un changement de nature et d’échelle du conflit pour l’ensemble des États membres.
Le compromis trouvé sur le renforcement des sanctions individuelles a été le fruit d’une intense coopération entre la France et l’Allemagne. C’est nous qui avons proposé la rédaction sur laquelle se sont accordés les ministres des affaires étrangères. Ce compromis maintient un équilibre entre la fermeté à l’égard de la Russie et la détermination à poursuivre nos efforts diplomatiques, en particulier dans le cadre du « format Normandie ».
De ce point de vue, les conclusions adoptées offrent en principe une large gamme de possibilités – soutien économique, sanctions, action humanitaire – pour obtenir une désescalade et la pleine mise en œuvre des accords de Minsk. Cependant, à ce stade, nous n’avons pas décidé de passer à un degré supérieur en matière de sanctions économiques. Celles qui sont en vigueur ont un effet très important sur la Russie. Les accords de Minsk, que la Russie a signés avec l’Ukraine et les séparatistes, constituent la seule feuille de route pour trouver une solution à cette crise.
Il est fort vraisemblable qu’un point relatif au conflit en Ukraine soit ajouté à l’ordre du jour du conseil Affaires étrangères afin d’évoquer la situation sur le terrain. Les efforts diplomatiques en cours vont se poursuivre. Les chefs d’État et de gouvernement devraient aussi échanger sur le sujet, sans être appelés à prendre de nouvelles décisions à ce stade.
Enfin, je voudrais évoquer la situation de la Grèce.
Mme Nathalie Goulet. Ah ! Timeo Danaos…
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Lors des élections du 25 janvier, le peuple grec a choisi une nouvelle orientation. Il a exprimé une aspiration au changement, à la justice sociale, à la croissance, ainsi qu’à la réforme. Dans le même temps, il a manifesté sa volonté de rester dans la zone euro. C’est sur cette base que M. Alexis Tsipras avait fait campagne.
Le nouveau Premier ministre grec était à Paris en début d’après-midi pour rencontrer, à son invitation, le Président de la République.
Notre objectif est d’aider la Grèce à retrouver le chemin de la croissance, de l’investissement, de l’emploi, et à nouer une relation partenariale avec l’ensemble des pays de l’Union européenne.
Si la dette de ce pays s’élève à 175 % de son PIB, c’est aussi parce que celui-ci a reculé de 25 % en cinq ans. Apporter une réponse à la situation financière de la Grèce, c’est d’abord apporter une réponse à sa situation économique. L’enjeu, pour ce pays, c’est de se remettre sur le chemin de la croissance, en mettant en œuvre un certain nombre de réformes. Le nouveau gouvernement grec s’est d’ailleurs engagé, pendant la campagne, à mener des réformes, notamment dans le domaine de la fiscalité – problème qui n’a pas été traité par les gouvernements précédents –, pour rendre plus efficace l’administration fiscale, mieux lutter contre la corruption, moderniser l’État.
Notre réponse doit consister à aider et à accompagner ce gouvernement. C’est bien le rôle que la France entend jouer, conformément à la tradition d’amitié entre nos deux pays.
Cette action sera guidée par trois principes : la solidarité, la responsabilité et l’unité européenne.
Sur le plan de la solidarité, tout d’abord, la France, amie et partenaire de la Grèce, l’accompagnera dans la recherche de solutions conformes à nos intérêts communs : parmi eux, l’appartenance de la Grèce à la zone euro ne fait pas question.
Concernant la responsabilité, ensuite, la Grèce est membre de l’Union européenne et de la zone euro : il faut trouver des solutions conformes à nos règles communes. Des questions sont posées : quel chemin emprunter pour permettre à la Grèce de retrouver une croissance durable ? Comment assurer la soutenabilité de la dette grecque ? Comment poursuivre les réformes jugées nécessaires ?
C’est dans un dialogue entre la Grèce et ses partenaires européens que sera définie la stratégie que les Grecs souhaiteront suivre et que l’Europe pourra accompagner.
Ces réponses devront être élaborées au cours des prochaines semaines, en même temps que la Grèce devra préparer la définition de cette stratégie, qui devra naturellement tenir compte des engagements pris.
Il n’est pas question d’annuler la dette grecque, mais il faut créer les conditions de la reprise économique, de la croissance, d’un retour des investissements et de l’emploi qui permettront son remboursement le moment venu.
Enfin, il existe un principe d’unité européenne. Le ministre des finances grec l’a dit lors de sa rencontre avec Michel Sapin : il ne s’agit pas de négocier les uns contre les autres, il s’agit de travailler ensemble. Le gouvernement grec doit œuvrer avec les autres gouvernements de l’Union européenne pour que l’ensemble de l’Europe et de la zone euro permette à la Grèce de sortir de la situation dans laquelle elle se trouve plongée.
L’objectif est d’éviter que l’ensemble de la zone euro soit fragilisée par cette situation, qu’elle puisse au contraire retrouver la stabilité et le dynamisme nécessaires au moment où tous nos efforts sont tournés vers le soutien à la croissance, de manière que l’économie européenne bénéficie à plein de la décision prise par la Banque centrale européenne d’injecter massivement de nouvelles liquidités, d’un cours de l’euro plus favorable à nos exportations et de la mise en œuvre du plan d’investissements stratégiques de Jean-Claude Juncker, devant permettre de lever 315 milliards d’euros.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire à titre liminaire. L’ordre du jour européen est dense et, plus que jamais, sur tous les sujets essentiels, le rôle de la France est central pour permettre à l’Europe d’aller de l’avant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
La commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs. Puis, pour une durée d’une heure au maximum, nous aurons une série de questions, avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, compte tenu des événements dramatiques qui ont touché notre pays il y a quelques semaines, il est légitime de s’interroger sur les moyens mis en œuvre au sein de l’Union européenne afin de lutter contre le terrorisme.
L’ensemble des responsables européens ont fermement condamné ces actes barbares. Depuis lors, nous assistons à une vague déferlante de mesures sécuritaires prises un peu en ordre dispersé au sein de l’Union.
Ces réactions multiples et peu coordonnées illustrent la difficulté de définir une réponse commune de l’Union européenne. Cela va de la confiscation des papiers d’identité des personnes considérées comme potentiellement dangereuses à l’accélération des accords sur le partage des données des passagers des transports aériens, en passant par le renforcement ou la réforme de l’espace sans frontières de Schengen.
La plus grande difficulté, actuellement, est d’analyser de façon concrète la situation. Au regard de ce que nous avons connu ces dernières décennies, nous pourrions qualifier cette forme de terrorisme de « nouvelle », sous un certain angle. Elle est nouvelle dans le sens où elle s’est totalement adaptée aux technologies de notre temps, ce qui la rend d’autant plus difficile à appréhender, à anticiper et donc à combattre.
L’année dernière, la Commission estimait le nombre de combattants islamistes européens à 1 200 environ, principalement présents en Syrie. Mais, en réalité, leur nombre pourrait aujourd’hui osciller entre 3 000 et 5 000, selon diverses estimations.
Selon la commissaire européenne Cecilia Malmström, les lois actuelles « sont importantes, mais pas suffisantes ». C’est pourquoi il est demandé à l’Union européenne de ne faire qu’une face à ce fléau.
Déjà, certains gouvernements proposent diverses solutions à l’échelon national.
Certains mettent en place des formations pour les travailleurs sociaux, qui sont en première ligne dans la lutte contre les groupes radicaux. D’autres mesures visent à proposer des « stratégies de sortie » aux membres de ces groupes terroristes.
La lutte contre la propagande terroriste sur internet se met désormais en place.
Par ailleurs, l’exécutif européen compte consacrer 20 millions d’euros à la création d’un « pôle européen de connaissance ». Celui-ci, qui devrait être opérationnel dès cette année, contribuera à la détermination et à la diffusion des bonnes pratiques parmi les États membres.
Mais rappelons que l’Union européenne n’a pas attendu ces terribles événements pour mettre en œuvre le projet de réseau européen de sensibilisation à la radicalisation, dont le budget s’élève à 8 millions d’euros et au travers duquel les experts européens et des acteurs issus de la société civile coopèrent et confrontent leurs expériences.
Il s’agit donc d’une question récurrente, à laquelle il est compliqué d’apporter des réponses purement législatives.
Lors de la réunion des ministres des affaires étrangères du 19 janvier dernier, différentes pistes ont été abordées, comme la création d’un réseau d’agents de sécurité à l’étranger, dans le cadre d’une réponse commune à la menace djihadiste.
La cybersécurité est également une thématique prioritaire, mais il faut s’assurer du respect de la vie privée, droit fondamental que l’Union européenne doit garantir.
La proposition de directive sur la cybersécurité, en cours de négociation au Conseil des ministres, devrait également voir le jour assez rapidement. Cette dernière obligerait certaines entreprises à déclarer les cyberattaques dont elles sont victimes. Pour le moment, c’est justement la définition des entreprises devant être concernées par cette mesure qui fait débat.
Je m’interroge cependant sur la pertinence de certaines mesures. Je ne pense pas que le « toujours plus sécuritaire » soit la seule solution pour lutter contre le terrorisme. Si nous voulons de véritables résultats, il est nécessaire de s’attaquer aussi aux réelles sources du terrorisme. Pouvons-nous prévenir de futures attaques terroristes seulement en renforçant le contrôle aux frontières, en conservant les données du PNR durant cinq ans ? Ces mesures ne créent pas mécaniquement plus de sécurité.
En revanche, nous pourrions nous assurer qu’il n’y ait pas d’exportations d’armes vers les zones de conflit. Cela risque de déplaire fortement à certains marchands d’armes, mais ce serait tout aussi efficace, voire davantage. Quelle sera la position de la Commission par rapport au commerce des armes dans sa stratégie de lutte contre le terrorisme ?
Je pense que ce dont l’Union européenne a véritablement besoin, c’est d’un débat et d’un dialogue honnête sur l’anti-islamisme, l’antisémitisme, la xénophobie et la marginalisation, plus que de restrictions supplémentaires et de législations d’urgence.
Le terrorisme trouve ses racines, pour partie, là où les États ont failli : la pauvreté, la misère intellectuelle et culturelle sont de fertiles terreaux, facilement exploitables !
Je voudrais, à cet instant, citer le philosophe et théologien Ghaleb Bencheikh, qui disait, au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo : « Le fondamentalisme n’est que le culte sans la culture, la religiosité sans la spiritualité, c’est une forme de fanatisme, c’est une croyance sans la connaissance. »
Il est donc nécessaire de donner aux États les moyens financiers et humains de mener, dans ce domaine comme dans bien d’autres, des politiques ambitieuses. Pour ce faire, l’austérité n’est pas la bonne voie. Il faut créer l’espoir d’un horizon meilleur pour nos jeunes générations. Sans cet espoir, la multiplication des politiques sécuritaires n’aura, au fond, que peu d’effet.
Monsieur le secrétaire d’État, il me paraît difficile, à l’occasion de ce débat, de ne pas aborder d’autres sujets qui font l’actualité européenne. Concernant la situation de la Grèce, j’avoue avoir un peu hésité à en parler, mais je m’y suis décidé en vous entendant l’évoquer.
Le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, était aujourd’hui même à Paris. Il est essentiel que la Commission prenne en compte la nouvelle donne dans ce pays. Après des années d’austérité, de chômage de masse et de dette colossale, le peuple grec, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, a choisi une autre voie. Il a ainsi clairement exprimé son rejet des politiques d’austérité imposées par la « troïka ».
Oui, l’action du nouveau gouvernement sera scrutée jour après jour par ceux qui l’ont porté au pouvoir, mais aussi par l’ensemble du peuple grec et par les autres peuples européens. Les citoyens ont envoyé un message, mais ils n’ont pas signé un chèque en blanc, comme l’a dit lui-même Alexis Tsipras.
Oui, il faut aider la Grèce à se réformer ; donnons-lui un peu d’espace budgétaire pour lui permettre de se reconstruire, donnons un peu d’oxygène à ce peuple qui a tant souffert ces dernières années, mais aussi à l’Europe. Voilà des questions qui se posent à nous.
Vous avez parlé d’un « accompagnement », monsieur le secrétaire d’État, mais il y a lieu de préciser ce que l’on entend exactement par là.
Au début de la semaine, Margaritis Schinas, porte-parole de la Commission, a confirmé que, « à terme », la « troïka » devrait évoluer. Qu’elle doive fortement évoluer dans les prochains mois n’est, en soi, ni une nouveauté ni une surprise. Même le Parlement européen s’est montré très critique à son égard, dans un rapport d’enquête qui mentionnait que la « troïka » avait privilégié, en Grèce, les coupes budgétaires aux réformes de structures. Quelles propositions la France formulera-t-elle dans ce domaine ?
Enfin, je voudrais aborder aujourd’hui un autre point d’actualité qui me semble incontournable, comme vous l’avez fait vous-même à juste titre, monsieur le secrétaire d’État. Je veux évidemment parler de la situation dans l’est de l’Ukraine, pays voisin de notre ensemble européen.
Les affrontements ont repris et la crise humanitaire se durcit dans l’est du pays. Depuis le début des affrontements, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, le conflit ukrainien a provoqué le déplacement de 600 000 personnes environ et aurait fait près de 5 000 morts et de 10 000 blessés.
Selon certaines sources, les séparatistes russes ne seraient pas les seuls fauteurs de troubles. D’après Amnesty International, les combattants pro-Kiev bloquent l’aide humanitaire dans l’est de l’Ukraine. On le voit, tous les foyers de tension sur notre continent peuvent engendrer des menées terroristes. Les injustices de toute nature, où qu’elles se produisent, constituent à l’évidence un terreau fécond pour le terrorisme.
La Commission européenne et les États membres préparent actuellement un « paquet » humanitaire commun. Quelle sera, dans ce cadre, la participation de la France ? Comment la France et l’Union européenne comptent-elles intervenir dans ce conflit ? Quelle est la stratégie pour permettre une paix durable, surtout quand on sait que l’administration américaine débat de l’opportunité de fournir des armes à l’Ukraine ?
Il est nécessaire que l’Union européenne soit garante d’une paix durable sur le vieux continent. Nous devons donc tout mettre en œuvre pour qu’il en soit ainsi et ouvrir de nouveaux horizons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. François Fortassin et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les attentats qui se sont déroulés à Paris en ce début d’année ont replacé tragiquement la lutte antiterroriste au cœur de l’actualité, sur les plans tant national qu’international.
Par leur présence à la marche républicaine du 11 janvier, de nombreux chefs d’État ont exprimé leur solidarité à l’égard de la France touchée en plein cœur. Il s’agissait aussi, pour eux, de démontrer leur détermination à lutter contre la barbarie, où qu’elle se manifeste.
Pour les dirigeants européens, plus particulièrement, ce fut l’occasion de relancer le chantier de la coordination contre le terrorisme en Europe. C’est une bonne chose, même si l’on ne peut que regretter qu’il ait fallu un drame de plus pour accélérer le débat.
Nous le savons, les pays européens travaillent depuis longtemps sur cette question. Malheureusement, plusieurs États membres ont une expérience ancienne du terrorisme. Chaque pays a adapté sa propre législation en conséquence, mais ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui ont entraîné la mise en place d’un plan d’action coordonnée.
Je rappellerai que la lutte contre le terrorisme ne figurait pas dans le « programme de Tampere » élaboré en 1999, qui définissait les priorités du premier plan relatif à l’« espace de liberté, de sécurité et de justice ».
Le caractère transnational de la menace djihadiste nous pousse, depuis, à mettre en place une coopération renforcée. C’est bien évidemment un progrès pour la sécurité des Européens, qui partagent les mêmes valeurs de liberté et de tolérance.
Cela a été rappelé, l’Union européenne dispose de plusieurs instruments de lutte contre le terrorisme. Parmi ceux-ci figurent évidemment Europol et Eurojust, qui jouent un rôle prépondérant. Toutefois, leurs moyens sont-ils aujourd’hui adaptés à la montée en puissance de leurs missions ? Je ne le pense pas. D’ailleurs, l’année dernière, une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat a fait le constat d’une progression des activités de ces deux entités dans un cadre budgétaire inchangé depuis plusieurs années.
Quant à la stratégie de lutte contre le terrorisme développée par l’Union européenne, elle coïncide, dans ses grands axes, avec celle qui anime notre propre politique sur le territoire national. Nous partageons donc l’essentiel de cette stratégie, développée depuis 2001 et intensifiée depuis 2007.
Entraver la radicalisation violente, protéger les infrastructures et les transports, tarir les moyens financiers des terroristes, améliorer les échanges d’informations, soutenir les victimes ou encore encourager le développement technologique : ce sont là quelques-uns des axes qui ont déjà été mis en exergue mais qu’il nous faut encore approfondir. Le ministre de l’intérieur les a d’ailleurs rappelés, le 11 janvier dernier, devant plusieurs de ses homologues européens.
Le groupe du RDSE partage toutes ces orientations. Nous approuvons aussi les deux premières avancées entérinées par les vingt-huit États membres : l’installation d’un expert de la lutte antiterroriste dans une douzaine d’ambassades de l’Union européenne dans les pays « sensibles » et le lancement d’une offensive en langue arabe sur internet pour tenter de contrer les radicaux. Utiles, ces mesures sont toutefois limitées… Disons-le, il faudra faire plus sans porter atteinte aux libertés publiques !
Comme vous le savez, mes chers collègues, plusieurs grands sujets font débat actuellement : le fichier PNR européen, la diffusion de la propagande sur internet et l’espace Schengen, qui se trouve aussi au cœur des discussions.
Sur ces trois thèmes, le RDSE est favorable à des évolutions.
Comme l’a rappelé le président Mézard lors de l’examen du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, l’espace Schengen « autorise la libre circulation des personnes et des biens, que le retrait de la carte d’identité nationale n’arrêtera pas ». Mon collègue avait ajouté que la coordination entre services répressifs et judiciaires au sein de l’Union européenne et la coopération internationale étaient la clé pour assurer l’efficacité de la lutte contre un phénomène qui se joue des frontières.
Sans remettre en cause l’espace de circulation cher aux citoyens européens, il faudra adapter le code Schengen pour permettre les contrôles systématiques aux frontières.
Autre point, le blocage de la mise en place de la base européenne PNR par le Parlement européen doit être levé. Apportons les garanties nécessaires en matière de protection des données personnelles, afin que puissent être rapidement mis en œuvre des contrôles plus efficaces des passagers dans les aéroports. Ce système permettra de repérer les mouvements suspects et facilitera ainsi le travail des services de renseignement.
Enfin, sur internet, on sait que les obligations imposées aux hébergeurs ne suffisent plus à filtrer le contenu des sites. L’année dernière, des rencontres ont eu lieu entre chefs d’État et représentants des fournisseurs d’accès. Depuis, où en sommes-nous sur ce sujet fondamental ? En effet, nous le savons, c’est par cette voie que des milliers de jeunes Européens se radicalisent et trouvent les contacts pour partir en Irak ou en Syrie.
Comme je l’ai dit, le groupe du RDSE est ouvert à l’adaptation de ces dispositifs afin de répondre aux mutations du terrorisme, dès lors qu’est respecté l’équilibre entre, d’une part, l’attribution à la puissance publique de prérogatives renforcées, indispensables pour assurer la sécurité collective, et, d’autre part, la préservation des libertés publiques.
Pour conclure, j’ajouterai que la lutte contre le terrorisme passe par une appréciation commune des risques extérieurs. C’est une évidence, certes, mais il n’est pas inutile de la rappeler au regard du faible engagement des États membres sur les théâtres extérieurs, en particulier sur le plus sensible d’entre eux aujourd’hui, l’Irak. Au Sénat, nous avons eu l’occasion de le souligner lors du dernier débat sur l’intervention des forces françaises dans la région. Je ne dis pas que l’Europe ne fait rien, puisqu’elle a notamment mis sur pied une mission de police pour former des garde-côtes libyens, mais il faut faire plus eu égard aux dangers croissants au Sud et à l’Est. Les frontières de la Lybie sont de véritables passoires, qui n’arrêtent pas les trafics d’armes ni les djihadistes.
Il faut que l’Europe s’approprie davantage le concept de continuum entre sécurité extérieure et sécurité intérieure, que la France a pour sa part validé dans son dernier Livre blanc.
Mes chers collègues, le débat sur la nécessaire coordination de l’action contre le terrorisme s’est accéléré dans un contexte dramatique. L’Union européenne avait déjà pris la mesure des dangers, mais il est clair que les attentats à Paris ont lancé un terrible avertissement et montré la vulnérabilité des démocraties dans ce combat.
C’est pourquoi j’espère que des mesures fortes seront prises lors du prochain Conseil européen, même s’il est de notre responsabilité de tenir un langage de vérité en rappelant que, malheureusement, le « risque zéro » n’existe pas.
Mon temps de parole étant écoulé, j’évoquerai en une autre occasion d’autres sujets qui méritent d’être traités, tels que l’Ukraine, la Grèce ou les normes européennes, dont je suis un grand pourfendeur ! (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen n’est en rien une réunion de circonstance. En effet, la problématique sécuritaire que nous affrontons aujourd’hui ne peut pas être traitée strictement par les États membres. Plus encore, l’approche sécuritaire ne sera pas suffisante si elle ne s’accompagne d’une véritable initiative en matière de politique extérieure commune. Ces enjeux sont communs à l’ensemble des États et certaines questions doivent nécessairement trouver une réponse européenne.
Posons le cadre. Le terrorisme islamiste a pendant longtemps été traité comme un problème strictement sécuritaire, notamment par l’administration américaine sous la présidence de George W. Bush. Il est pourtant apparu, à la lecture des documents découverts dans la cache de Ben Laden, que celui-ci concevait le djihadisme comme un projet politique global. Cette idéologie bouscule en premier lieu le monde arabe, mais aussi l’ensemble du monde musulman et donc la majeure partie du globe.
Nos démocraties occidentales ont une part de responsabilité dans la situation actuelle. Nous avons déstabilisé les États les plus forts du monde arabo-musulman, qui ne peuvent plus réguler eux-mêmes la menace : je pense à l’Irak et à la Libye, auxquels on peut ajouter la Syrie, en dépit des crimes de Bachar el-Assad.
En premier lieu, le péril est global, et peut donc frapper partout. Nous pouvons l’observer en Libye, donc, mais aussi en Syrie, en Afrique – si nos troupes sont présentes au Mali, c’est en grande partie parce que l’on a déstabilisé la Lybie –, en Afghanistan, en Indonésie, aux Philippines, au Pakistan. La menace n’est donc pas exclusivement dirigée contre l’Europe.
En second lieu, nous devons affronter cette menace dans l’urgence. Cette forme de terrorisme ne cesse de nous frapper, à Montauban, à Bruxelles, à Paris, à Vincennes ou encore, hier, à Nice.
La situation est d’autant plus urgente que les terroristes ne sont pas des agents étrangers ; ils ressemblent moins aux pirates de l’air du 11 septembre qu’aux auteurs des attentats de Londres de juin 2005 : ce sont des compatriotes. Ils sont le funeste résultat de la rencontre entre les problématiques d’un monde arabo-musulman qui souffre de la modernité et de la globalisation, qui évolue vers la démocratie mais avec des retards, et celles de notre propre quart-monde, en France et en Europe.
Ainsi, nos pays sont ponctuellement traversés par une noria de citoyens européens qui cherchent parfois, via l’espace Schengen, à gagner la frontière syrienne. Il faut apprécier le risque à sa juste mesure. De 3 000 à 5 000 ressortissants de l’Union européenne sont partis en Syrie : près d’un tiers d’entre eux sont revenus. Beaucoup sont traumatisés ou du moins révulsés par ce qu’ils y ont vu, mais il reste quelques dizaines d’individus capables de passer à l’acte, sans compter ceux qui cherchent encore à partir. Le voyage en Syrie n’est donc pas un critère suffisant pour évaluer la menace réelle : que nos services ne s’y trompent pas !
Nous avons besoin d’un meilleur renseignement pour identifier les « apprentis Coulibaly ». Or ces personnes ne relèvent pas d’un type idéal unique. On ne peut pas réduire l’audience de l’appel au djihad à un simple public de désaxés sociaux : il existe plusieurs cercles.
Parmi les plus dangereux se trouvent ceux qui, du fait de leur intégration et de leur formation, savent se rendre discrets et « échapper au radar ». Certains des terroristes de Londres avaient reçu une solide formation universitaire au Royaume-Uni. Autour de ces individus gravite tout un groupe informe de personnes pouvant souffrir de divers troubles psychiatriques ou sociaux, de convertis de la veille qui, excités par un spectacle abject, se rêvent en poseurs de bombes.
Face à cette situation, comment l’Europe peut-elle réagir ? Nous avons besoin d’une réponse européenne forte, sur les plans tant sécuritaire que préventif.
Depuis le traité d’Amsterdam, l’Union travaille dans trois directions : la prévention, l’échange d’informations et la définition d’une stratégie globale d’action. Cela n’est plus adapté à la situation. Nous avons besoin d’une réponse beaucoup plus réactive. Je le répète, il est urgent d’agir. Notre collègue Delebarre l’a rappelé devant la commission des affaires européennes : on ne peut pas se permettre d’attendre encore quatre ou cinq ans pour mettre en place le PNR. Les procédures sont trop longues, trop lourdes, tandis que la menace est réelle et immédiate.
Comme l’a dit le Premier ministre, « il est nécessaire de prendre des mesures exceptionnelles mais pas de prendre des mesures d’exception ». Tout en évitant cet écueil, il faut agir avec pragmatisme pour trouver un équilibre entre le droit et la sécurité. Ce n’est pas simple !
Tout d’abord, la définition européenne des infractions terroristes figurant dans la décision-cadre du Conseil de 2002, actualisée en 2008, ne tient pas compte du phénomène des « combattants étrangers ». L’ONU a d’ores et déjà révisé sa propre définition. Nous gagnerions à faire évoluer le texte de cette décision-cadre lors du prochain Conseil, afin que le champ d’action des États et de l’Union bénéficie d’un cadre clair et partagé. Mentionnons, à cet égard, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne d’avril 2014, qui a son importance dans la réflexion.
Au reste, ce n’est là qu’une première étape. Nous devrons ensuite avancer en matière d’échange d’informations. Il faut briser les flux qui alimentent notre propension à exporter le terrorisme en Syrie. Nous savons que les impétrants djihadistes transitent parfois par un ou plusieurs aéroports étrangers, dans le but de brouiller les pistes. Ainsi, il semble que les éventuels complices de Coulibaly ont transité par l’Espagne ou par la Bulgarie.
Le renforcement de notre sécurité aérienne et, à ce titre, la création d’un fichier européen des passagers permettant de consolider le contrôle aux frontières ne doivent pas rester à l’état de projets. Des PNR existent déjà dans de nombreux États membres ou sont en cours de préparation : le Royaume-Uni a créé un tel outil il y a dix ans, le fichier français devrait être prêt en septembre. Toutefois, il est nécessaire de déterminer rapidement un cadre commun permettant de renforcer l’échange d’informations entre les États tout en garantissant au plus grand nombre une véritable protection des données personnelles, et donc des libertés individuelles.
Ce point est la pierre d’achoppement majeure au Parlement européen et faisait l’objet d’une importante réunion, aujourd’hui, entre les experts, les coordinateurs de la commission Libé du Parlement européen et M. Cazeneuve.
En effet, depuis la conférence organisée par le ministre de l’intérieur le 11 janvier dernier avec ses homologues européens et la récente conférence de Riga, une volonté commune de progresser sur cette question se manifeste.
Au-delà des flux, il faut aussi briser les chaînes de commandement. Il y a des inspirateurs et des donneurs d’ordres. Les loups ne sont jamais solitaires, ils chassent en meute. La coopération européenne des services de police et de renseignement est donc incontournable.
Toutefois, l’action européenne ne saurait se priver du travail accompli au quotidien par les États membres et d’une stratégie de politique extérieure à long terme.
Ce sont les États qui sont au plus près des réalités de la menace terroriste. À ce titre, je tiens à saluer le travail mené depuis plusieurs mois par la commission d’enquête sénatoriale sur l’organisation et les moyens de lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, sous l’égide de sa présidente, Nathalie Goulet. Une instance jumelle a récemment été créée à l’Assemblée nationale : je regrette que celle-ci ait préféré doubler cet organe plutôt que de venir renforcer celui du Sénat. Un travail en commun se serait sans doute révélé beaucoup plus enrichissant…
Je salue également l’ouverture d’un important chantier de réflexion par la commission des affaires européennes, en lien avec le Bundesrat allemand et le coordinateur européen contre le terrorisme.
Sous la houlette de son président, M. Bizet, la commission des affaires européennes travaille actuellement à élaborer des propositions sur le renforcement d’Eurojust, l’élargissement des compétences du parquet européen à la criminalité transfrontalière et aux mouvements suspects de capitaux, le renforcement d’Europol, et donc de la coopération policière transfrontalière, sans oublier les questions soulevées par le fonctionnement actuel de l’espace Schengen au regard de ces flux migratoires très spécifiques. Nous venons précisément d’adopter une proposition de résolution européenne relative au PNR.
Ces deux commissions d’enquête auront bien des sujets à traiter. Nous attendons d’elles une analyse de la menace et des moyens de la contrer. Un renforcement ou une réforme administrative des services seront-ils nécessaires ? Peut-être faudra-t-il modifier le droit positif ? On ne peut, pour l’heure, répondre à ces interrogations. Quoi qu’il en soit, j’espère que nous nous entendrons sur la nécessité de donner davantage de moyens à Europol et à Eurojust.
Au-delà, au niveau des gouvernements, du Conseil et du Haut représentant pour la politique extérieure, nous devons doubler les aspects sécuritaires de la réponse au défi djihadiste d’un effort de prospective en matière de politique extérieure.
L’analyse sécuritaire ne suffira pas : elle ne traitera au mieux que des symptômes du péril terroriste. Ne renouvelons pas les erreurs que les États-Unis ont commises il y a dix ans. Combattre le terrorisme, ce n’est pas nécessairement contraindre les sociétés arabo-musulmanes à mûrir sur le plan démocratique. La transition démocratique a demandé des siècles à l’Europe. Combattre le terrorisme, c’est rendre la démocratie en Europe plus attrayante que la barbarie. C’est certes un combat international, mais c’est avant tout une exigence intérieure ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – MM. André Reichardt et Simon Sutour applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour le groupe UMP.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les attentats des 7, 8 et 9 janvier nous ont rappelé à quel point le terrorisme était un mal barbare et sournois. Nous tous, en France, avons compris l’urgente nécessité de lutter contre ce phénomène. Il s’agit désormais d’engager une guerre contre le terrorisme ; mais quel type de guerre, avec quels moyens et avec quels alliés ?
Bien entendu, il ne s’agit pas d’une guerre au sens classique du terme, nation contre nation. Il s’agit d’une guerre contre un mal invisible, diffus, qui gangrène notre société, nos propres jeunes, nés sur notre territoire, partant faire le djihad.
On le sait, la mondialisation et internet ont considérablement développé la puissance du terrorisme. À cet égard, l’objectif est clair : il faut traquer les actuels combattants djihadistes lorsqu’ils rentrent dans leur pays d’origine et, si possible, empêcher l’enrôlement de nouvelles jeunes recrues françaises.
Les moyens nécessaires pour conduire ces opérations sont bien entendu budgétaires, notamment pour le renseignement et les forces de police, mais aussi juridiques et politiques. Tous nos moyens doivent être réévalués à l’aune du risque terroriste, qui pourrait frapper à nouveau en France et partout en Europe.
Les attentats de Paris n’ont pas seulement touché la France : tout l’Occident se sent vulnérable. Dans le combat contre le terrorisme, l’Europe doit pouvoir constituer un atout majeur.
Au cours des jours ayant suivi les attentats de Paris, le débat sur la coordination européenne contre le terrorisme s’est accéléré.
Tout d’abord, les ministres de l’intérieur européens et américain se sont retrouvés à Paris le 11 janvier pour une première réunion d’urgence contre le terrorisme.
Puis la Lettonie, qui assume pour la première fois la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, a accueilli la semaine dernière à Riga un conseil Justice et affaires intérieures qui a réuni vingt-huit ministres de l’intérieur et de la justice pour examiner les réponses que peut apporter l’Union européenne afin de prévenir le terrorisme ou de lutter contre lui.
Enfin, le Conseil européen des 12 et 13 février prochains, qui, à l’origine, devait porter sur l’Union économique et monétaire, sera finalement consacré, pour l’essentiel, au terrorisme.
Ce débat préalable à la réunion du Conseil européen, demandé par la commission des affaires européennes du Sénat, va nous permettre d’aborder différents aspects de la lutte contre le terrorisme.
Mes chers collègues, avant tout, je tiens à apporter une précision. La commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, que j’ai l’honneur de coprésider, a décidé que ses réunions se tiendraient, pour l’essentiel, à huis clos et ne remettra son rapport que le mois prochain. Ainsi, je m’exprime ici non pas en son nom, mais au nom du groupe UMP.
Pour lutter contre ce fléau qu’est le terrorisme, les mesures que peut mettre en œuvre l’Union européenne sont de divers types.
Tout d’abord, la création d’un PNR européen, permettant la collecte et l’échange des données des dossiers des passagers, est envisagée.
L’échange de ces données entre États, de même que leur utilisation, pose un certain nombre de problèmes aux yeux de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et de son homologue européen, au regard du droit au respect de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel. Ce sujet doit être examiné avec attention, particulièrement pour ce qui concerne les échanges de données avec les États-Unis : il semble que les données en question soient moins bien protégées par la législation américaine que par celles des États de l’Union européenne.
Cela étant, en matière de lutte contre le terrorisme, les partenariats entre États européens devraient s’organiser aussi dans d’autres domaines. Je songe notamment à la lutte contre les trafics d’armes à feu ou à la lutte contre les sites internet djihadistes.
On le sait, ces sites djihadistes foisonnent sur la « toile ». Ils sont modernes et extrêmement bien faits. Leur vocation première est de séduire les jeunes. Du reste, les recruteurs pour le djihad sont partout : qu’il s’agisse de Facebook ou de Twitter, ils ont compris l’intérêt que présentent pour eux les réseaux sociaux.
Dès lors, le signalement et la suppression des sites faisant l’apologie de la violence terroriste constituent un enjeu majeur. La décision-cadre du 13 juin 2002 permet déjà d’incriminer l’incitation publique à commettre une infraction terroriste. Néanmoins, même si la situation s’améliore progressivement, le blocage des sites reste difficile à obtenir de la part des fournisseurs d’accès à internet.
En application de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme adoptée par notre pays en novembre dernier, un décret va permettre aux services de police de demander aux fournisseurs d’accès à internet de bloquer ces sites. Un autre projet de décret portera sur les moteurs de recherche. La véritable solution consisterait à nouer des partenariats entre opérateurs internet pour signaler tout contenu faisant l’apologie du terrorisme.
Par ailleurs, l’élaboration à l’échelon européen d’un contre-discours s’opposant à la propagande terroriste, à l’instar de ce qui vient d’être entrepris en France, est naturellement indispensable.
Je voudrais maintenant évoquer le nécessaire renforcement de la coopération opérationnelle.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. André Reichardt. La coordination entre Europol et Eurojust, d’une part, et entre Europol et Interpol, d’autre part, a déjà été évoquée durant ce débat et elle le sera encore.
En effet, la coopération opérationnelle pourrait être développée à travers les deux agences européennes Europol et Eurojust. L’association plus systématique de ces deux instances aux équipes communes d’enquête et le développement des échanges d’informations par leur intermédiaire sont naturellement des pistes à explorer.
De même, la coordination devrait être renforcée à l’échelle internationale entre Europol et Interpol. Europol pourrait jouer un rôle spécifique dans la détection des djihadistes ou le suivi de leurs déplacements à l’intérieur de l’Union européenne. En conséquence, il semble nécessaire d’accroître significativement les moyens alloués à cette agence européenne.
Nous le savons, le contrôle des déplacements des combattants djihadistes au sein de l’Union doit être fortement renforcé. Certains de mes collègues du groupe UMP ne manqueront pas d’y revenir dans la suite de nos débats : le renforcement du système d’information Schengen, le SIS, devra être envisagé. En effet, c’est là un dispositif essentiel pour assurer la sécurité de l’espace Schengen.
Enfin, je mentionnerai quelques dernières pistes à explorer concernant certains des points qui viennent d’être abordés.
L’identification des personnes suspectées de terrorisme et la détection de leurs déplacements apparaissent aujourd’hui comme un impératif majeur. Nous devons donc nous orienter vers une révision ciblée du code Schengen. (M. le président de la commission des affaires européennes acquiesce.)
Il s’agirait d’abord de renforcer le contrôle aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Quant aux frontières entre États membres, sans revenir à des contrôles systématiques, il conviendrait à mon avis de donner plus de latitude aux États membres pour effectuer des contrôles ponctuels en cas de menace à l’ordre public.
Par ailleurs, n’y a-t-il pas lieu d’harmoniser, à l’échelle européenne, la mise en œuvre du droit d’asile ?
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. André Reichardt. Quelle position adopter à l’égard des fondamentalistes poursuivis pour terrorisme dans leur pays ? Ces derniers sont-ils réellement, comme on pouvait l’affirmer jusqu’à présent dans certains pays de l’Union, des combattants de la liberté ? Et, une fois accordé, l’asile confère-t-il le droit de proférer les discours les plus hostiles, y compris à l’encontre du pays d’accueil ?
À défaut d’avoir une véritable politique étrangère et une défense qui lui soit propre, l’Europe, sur ce sujet crucial, doit imaginer et mettre en place des stratégies. Elle doit sortir de sa posture traditionnelle, qui consiste à produire de la réglementation ou, pis encore, à bloquer des réglementations en vertu d’un angélisme qui, en la matière, n’est absolument pas de mise…
Monsieur le secrétaire d’État, sur tous ces points, ou sur d’autres encore, pouvez-vous nous indiquer quelles demandes le Président de la République va présenter devant ses homologues lors du prochain Conseil européen ? Quelles nouvelles dispositions compte-t-il proposer ? Plus généralement, quelle stratégie forte à l’échelle européenne entend-il promouvoir ?
Le groupe UMP souhaite contribuer à l’unité nationale dans la lutte contre le terrorisme et mener un dialogue constructif avec le Gouvernement. Nous appelons de nos vœux un engagement fort de la France et de l’Europe dans la lutte contre ce nouveau fléau mondial du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, pour le groupe socialiste.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat préalable au Conseil européen des 12 et 13 février revêt une importance toute particulière, près d’un mois après les terribles attaques terroristes qui ont frappé notre pays.
D’abord le choc, la colère et une infinie tristesse : dix-sept personnes assassinées, des blessés, des familles dans la peine et un pays touché au cœur, au plus profond de ses valeurs. Puis la réaction du peuple français, avec une mobilisation populaire historique pour dire son attachement aux valeurs de la République, au premier rang desquelles la liberté, et sa volonté de vivre paisiblement.
Les droits à la liberté et à la sécurité sont indissociables et sont d’ailleurs inscrits comme tels dans la Charte des droits fondamentaux adoptée par l’Union européenne en 2010.
La formidable mobilisation des citoyens européens et de leurs gouvernements s’est justement faite autour de ces valeurs communes. Certains reprochent parfois à la France et à l’Union européenne de vouloir imposer leurs valeurs, mais, il faut le dire, celles-ci ont vocation à être universelles !
C’est pour nous l’occasion de réaffirmer notre soutien au Président de la République et au Gouvernement, de saluer l’excellence de leur gestion de la crise et leur réponse qui rassure par son équilibre entre renforcement de la sécurité, protection des libertés et défense des valeurs de la République.
Si la menace terroriste impose de prendre des mesures fortes, à l’instar de celles que le Premier ministre et le ministre de l’intérieur ont exposées, il faut également rappeler qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème national, propre à la France. Au contraire, l’Europe et le monde entier y sont eux aussi confrontés.
Le Conseil européen qui se déroulera la semaine prochaine a donc vu son ordre du jour modifié. Il sera presque exclusivement consacré à la recherche d’une réponse commune de l’Europe au terrorisme, réponse qui doit bien évidemment s’inscrire dans la durée.
En effet, seule une réponse européenne forte, globale et coordonnée sera à même de contrer cette menace en combinant des mesures opérationnelles en matière de coopération policière et judiciaire, des actions de promotion de nos valeurs communes, une politique étrangère commune et une meilleure coordination en matière de lutte contre les foyers de terrorisme.
Le formidable élan de solidarité des Européens à l’égard des victimes de ces odieux attentats doit maintenant se traduire en actes. Comme je l’ai déjà dit à cette tribune lors du débat sur le prélèvement européen, au mois de novembre dernier, je regrette vraiment, par exemple, que l’Europe ne soit pas plus solidaire, en particulier, de la France, qui consacre un budget substantiel à des actions militaires extérieures au Mali, au Moyen-Orient ou ailleurs. Si elles ne sont pas financées par l’Europe, ces actions sont en phase avec les valeurs européennes.
Les attaques terroristes qu’a connues la France comme, hier, le Royaume-Uni, l’Espagne ou encore la Belgique, font ressortir la nécessité d’une coopération accrue, prenant en compte le fait que nous sommes passés d’une menace extérieure à une menace intérieure. En effet, si les actes terroristes étaient hier le fait d’étrangers, ils sont aujourd’hui celui de citoyens européens.
La France est très en avance dans ce domaine, car, dans de nombreux pays de l’Union européenne, il est impossible de poursuivre et de condamner des personnes qui préparent un attentat sans en avoir encore commis. L’harmonisation des textes réprimant le terrorisme ou organisant le contrôle des armes devrait constituer une priorité.
Les outils pour lutter contre ce nouveau fléau existent, et si la France dispose d’un arsenal législatif plutôt complet en la matière, l’Europe n’est pas pour autant dépourvue. Il est même possible d’affirmer que le maillon faible de la lutte antiterroriste européenne est le partage et l’échange d’informations entre États membres. Les obstacles ne sont donc pas insurmontables !
Europol, Eurojust, Interpol, Frontex, mandat d’arrêt européen, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, réseau de sensibilisation à la radicalisation… Entre les instruments spécifiques que l’on connaît et ceux que l’on découvre ou redécouvre, les moyens de lutter contre le terrorisme sont là !
Cependant, l’Europe se heurte à un certain nombre de difficultés pour avancer plus efficacement dans cette lutte. L’accent doit être mis sur le partage des compétences, sur l’intégration des différents systèmes législatifs et leur transposition en droit interne, ainsi que sur la mise en œuvre effective des textes et des directives.
La politique européenne visant à lutter contre le terrorisme, mise en place en conséquence des attentats du 11 septembre 2001 à New York, est organisée depuis 2002 par une série de textes. Il a fallu ensuite les attentats de Madrid et de Londres pour que l’Europe définisse une véritable stratégie en la matière.
S’articulant selon quatre volets – prévention, protection, poursuites et réactions –, cette stratégie nécessite tout de même des ajustements profonds pour faire face, à traités constants, à la réalité actuelle du terrorisme, dans le respect des domaines régaliens, comme le maintien de l’ordre public et la sécurité intérieure.
À la veille du Conseil européen, il convient d’envoyer un message fort et d’identifier les pistes sur lesquelles il faut rapidement progresser : modification du code Schengen, mise en place d’un PNR européen, renforcement de la coopération policière, développement de la coopération judiciaire, ou encore amélioration de la coopération internationale dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité commune.
Il faut dans le même temps, j’y insiste, garder à l’esprit la nécessité de préserver les libertés fondamentales des citoyens européens. Notre ancien collègue Robert Badinter le dit très justement : il faut répondre au terrorisme sans pour autant créer la société voulue par les terroristes.
Je souhaite mettre l’accent sur deux points en particulier : le renforcement du traité de Schengen et le PNR.
Concernant l’espace Schengen, il faut d’abord souligner qu’il sert très souvent de bouc émissaire à une partie de la droite et de l’extrême droite, plus par anti-européanisme que pour de véritables raisons objectives ; néanmoins, des ajustements sont bien sûr possibles et même nécessaires.
Il est urgent d’approfondir deux points en particulier : le développement et la facilitation de la consultation du système d’information Schengen « SIS II » et l’amélioration du contrôle des entrées et des sorties par des frontières dites « intelligentes ». Il faut également rappeler que l’espace Schengen est d'ores et déjà assez souple, puisqu’il est possible d’introduire des contrôles aux frontières intérieures en cas d’urgence.
Pour résumer, je le répète, les outils sont là, il convient désormais de mieux les employer. Il n’est pas question de supprimer Schengen, mais au contraire de l’approfondir pour permettre de mieux maîtriser nos frontières et d’aller plus loin dans le partage des systèmes d’information.
Concernant le PNR, la proposition de directive relative à l’utilisation des données des dossiers des passagers pour la prévention et la détection des infractions terroristes a été présentée par la Commission européenne en 2007 et refondue en 2011.
Des accords bilatéraux avec les États-Unis existent. Dans les faits, les compagnies aériennes sont tenues de transmettre des données pour avoir la possibilité de faire atterrir leurs avions sur le territoire américain.
Le PNR existe donc bel et bien. Le danger, s’il n’est pas mis en place au niveau européen, est d’aboutir à une situation d’opacité, avec de multiples PNR non encadrés et une absence totale de contrôle des données échangées, emportant une atteinte très grave à nos droits fondamentaux.
Le débat oppose, d’un côté, la Commission européenne et la majorité des États membres, qui souhaitent l’adoption rapide d’un PNR européen, et, de l’autre, un Parlement européen réticent, craignant pour les droits fondamentaux et ayant déjà rejeté, en avril 2013, la proposition de directive. Ce débat est utile, mais il ne doit pas tout bloquer.
J’ai présenté cet après-midi, en commission des affaires européennes, une proposition de résolution qui a été adoptée à l’unanimité, tous groupes politiques confondus, indiquant que, eu égard à la gravité des menaces terroristes de toute nature qui pèsent sur nos sociétés, il est impératif de mettre en place rapidement un système PNR européen. Seule la mise en œuvre d’un tel système est propre à assurer une coordination efficace entre les PNR nationaux, tout en apportant les garanties indispensables en matière de protection des données personnelles.
Aujourd’hui, mes chers collègues, il est temps pour l’Europe de donner des réponses à ses citoyens, qui la voient trop souvent comme une somme de contraintes – votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d’État, évoquait parfois une « maison de correction ». La vocation de l’Europe est également de leur assurer la sécurité, ainsi qu’un haut niveau de garantie de leurs droits fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. –M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen sera donc très largement consacré à la lutte contre le terrorisme. C’est une bonne chose. Les sanglants attentats qui ont secoué notre pays obligent en effet à repenser la coopération européenne dans ce domaine.
Compte tenu de l’ampleur et de la nature transnationale de cette menace, la réponse ne peut être uniquement nationale, et une action au niveau européen, sans être suffisante, apparaît néanmoins indispensable pour tenter de relever ce défi.
Dès 2002, l’Union européenne s’est dotée de certains moyens en la matière. Jusqu’à présent, elle a cependant surtout agi en réaction à des vagues d’attentats, et les avancées observées demeurent assez modestes. Le risque, aujourd’hui, est que, une fois apaisée la très forte émotion suscitée par les attaques de Paris, l’attention portée par l’Europe à ces questions ne s’amenuise et que la volonté de retourner aux traditionnelles affaires économiques – business as usual – ne reprenne le dessus.
C’est pourquoi le Gouvernement français fait pression pour qu’un pas réellement décisif soit accompli pour renforcer l’action à mener.
Quatre grands axes de coopération souhaités par le Gouvernement ont été évoqués la semaine passée par M. Jean-Yves Le Drian devant le Sénat. Permettez-moi de les rappeler ici, en les commentant.
Il s’agit, tout d’abord, de la détection, du contrôle ou de l’empêchement des déplacements des combattants terroristes étrangers. La mise en œuvre des mesures voulues par le Gouvernement implique une modification du code Schengen pour rendre systématique la consultation de son système d’information lors du franchissement des frontières extérieures de l’espace Schengen par les ressortissants européens concernés.
On peut comprendre, dans le contexte actuel, l’intérêt d’une telle disposition, contrevenant à la libre circulation des personnes. Sa mise en place suppose toutefois, a minima, que ce contrôle extérieur soit limité dans le temps et réellement homogène entre les pays membres de l’espace Schengen.
Il faut aussi souligner qu’une telle action ne concernerait qu’une toute petite partie du phénomène terroriste actuel, le danger auquel nous faisons face actuellement étant de plus en plus endogène, difficilement détectable, et ne relevant pas des filières terroristes classiques.
En deuxième lieu, l’établissement d’un PNR européen en vue d’un meilleur repérage des mouvements des djihadistes a été évoqué. L’instauration d’un tel système d’échange de données des passagers est depuis longtemps en débat et reste, pour l’heure, bloquée par le Parlement européen et par un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne.
Les positions actuelles pourraient évoluer, mais je rappelle que le principal point d’achoppement concerne la durée de rétention des données collectées.
Par ailleurs, si ces données de masse peuvent parfois s’avérer utiles, leur collecte et leur échange ne constituent en rien la solution universelle à laquelle certains voudraient nous faire croire. Ce type de mesure, dont l’efficacité n’est pas mirobolante, conduit souvent à l’établissement d’un système très lourd de profilage de masse qui mobilise des moyens pouvant être plus utilement employés.
Le troisième axe est la mise en place d’un partenariat avec les grands opérateurs de l’internet pour permettre le signalement rapide de contenus incitant à la haine et à la terreur. Il s’agit là d’une mesure sans doute nécessaire, mais qui suppose une coopération active et étroite, au-delà de l’espace européen, avec les grands acteurs américains du secteur.
Par ailleurs, si l’internet constitue l’un des vecteurs de radicalisation dans nos pays européens, il est loin d’être le seul. En outre, les techniques toujours plus sophistiquées employées par les réseaux peuvent assez rapidement rendre obsolètes les moyens de contrôle mis en place.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. André Gattolin. Nous assistons là à une course entre le chat et la souris dans laquelle le chat est souvent handicapé par sa morphologie…
Enfin, le quatrième axe concerne le renforcement de la lutte contre le trafic d’armes à feu en Europe.
Cette initiative est particulièrement salutaire et stratégique, mais sa mise en œuvre suppose une très forte coopération entre les polices européennes. Elle nécessite aussi, bien en amont, une meilleure collaboration en matière de politique de ventes d’armes, alors même que la concertation en la matière est à peine embryonnaire.
Que se passerait-il si, demain, la Grèce n’était plus en mesure d’assurer les salaires des membres de ses très imposantes forces armées ? Qu’adviendrait-il des volumes incroyablement élevés d’armes que nos pays, en particulier la France et l’Allemagne, ont vendus à cet État au cours des quinze dernières années ? La question est posée ! Souvenons-nous des trafics d’armes en provenance d’Allemagne de l’Est observés au moment de la réunification allemande.
Mme Corinne Bouchoux. Oui !
M. André Gattolin. Les moyens mis en œuvre et l’accroissement de la coopération au sein de l’Union européenne sont donc aujourd’hui au cœur de l’action que nous devons engager à l’échelle communautaire pour mieux lutter contre le terrorisme.
Dans les domaines de la coopération judiciaire et de la coopération policière, nous disposons de certains instruments, notamment des deux agences emblématiques que sont Europol et Eurojust. Avec l’instauration du mandat d’arrêt européen, ces agences constituent trois des plus belles réussites de l’Union européenne dans l’édification de « l’espace de liberté, de sécurité et de justice ».
L’an passé, j’ai eu l’honneur de conduire, au nom de la commission des affaires européennes, une mission d’étude auprès de ces deux agences installées à La Haye. Les auditions conduites sur place ont fait ressortir deux problèmes majeurs, qui entravent aujourd’hui le renforcement de la coopération européenne.
Le premier, rappelé par notre collègue Jean-Claude Requier, a trait à la faiblesse des moyens budgétaires alloués à Europol et à Eurojust dans le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020.
À l’heure où la criminalité transfrontalière en tout genre explose et où les missions de ces agences s’élargissent, notamment en ce qui concerne la cybercriminalité, la vision comptable ultra-orthodoxe de l’Union européenne et des pays qui la composent relève, à notre sens, d’une irresponsabilité politique totale, bloquant tout renforcement de la coopération opérationnelle. Monsieur le secrétaire d'État, j’aimerais connaître votre point de vue sur ce sujet.
Le second problème tient au fait que les textes législatifs sont insuffisants pour que la coordination en matière judiciaire et policière puisse être efficace. Dans ces domaines régaliens, une pratique durable de la coopération et une confiance mutuelle entre les polices et les justices des différents États sont requises. Or la confiance et l’esprit de coopération ne se décrètent pas ! Soulignons au passage que la France n’est pas toujours exemplaire à cet égard : depuis 2013, sur trente-six cours d’appel, une seule s’est acquittée de son obligation d’information à l’égard d’Eurojust ! Devant un tel constat, comment pouvons-nous sensibiliser nos administrations et nos autorités judiciaires à la nécessité de développer une culture de coopération ?
Pour conclure, je voudrais évoquer une dimension qui me semble totalement absente des discussions actuelles : l’établissement d’une véritable politique européenne en matière de renforcement de la sécurité informatique.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. André Gattolin. La France – mais pas seulement elle ! – connaît depuis quelques semaines un développement sans précédent d’attaques informatiques fomentées par les réseaux de la mouvance islamiste radicale.
Le rapport Akamai de janvier 2015 souligne que les attaques DDoS, c’est-à-dire par déni de service distribué, ont pratiquement doublé en un an. Le site du Sénat lui-même a été attaqué le mois dernier, lors des débats relatifs à la mission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Et je ne parle pas du site de Charlie Hebdo, qui a fait l’objet d’innombrables attaques au cours de ces dernières semaines, à tel point que l’un de ses hébergeurs américains, parmi les plus puissants sur le marché, a dû jeter l’éponge, obligeant le site à passer en forme statique…
Monsieur le secrétaire d'État, n’est-il pas urgent de mettre en place une solution européenne, très rapidement opérationnelle, pour répondre à ce déni de démocratie consistant à censurer de fait des titres de presse européens sur leur propre territoire ?
La lutte contre le terrorisme de demain passe d’abord par la prévention. Cette indispensable prévention passe aussi par un meilleur arbitrage entre nos intérêts économiques immédiats et les risques que certains de ces choix nous font courir à moyen et à long terme.
Le développement de l’industrie numérique et la mise en place d’une législation plus unifiée en matière de données personnelles figurent parmi les grands objectifs de la Commission européenne pour 2015. C’est une bonne chose, mais ces questions sont, le plus souvent, abordées sous le seul angle de l’efficacité économique, sans jamais tenir compte du grand défi de la sécurité informatique.
En matière de politique européenne, il faut avoir une vue d’ensemble et veiller à ne pas cantonner la question de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme au seul domaine très circonscrit de la stricte coopération policière et judiciaire. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réunion informelle du Conseil européen qui se déroulera le 12 février prochain intervient au lendemain des attentats qui ont frappé la France. Aussi cette rencontre des chefs d’État et de gouvernement sera-t-elle essentiellement consacrée à la lutte contre le terrorisme.
Toutefois, selon l’ordre du jour, les discussions devraient également porter sur « les moyens de renforcer la coordination dans le domaine économique et le fonctionnement de l’Union économique et monétaire ».
À cet égard, je souhaiterais souligner l’étroitesse des liens unissant ces deux sujets, qui paraissent, de prime abord, éloignés.
En effet, le siècle passé nous a enseigné que les extrémismes, quels qu’ils soient, se nourrissent souvent de situations de crise économique et de chômage élevé. Dans ces conditions, les engagements pris par la nouvelle Commission européenne en faveur de la croissance et de l’emploi n’en revêtent que plus d’importance.
Au cours des dernières années, les institutions européennes avaient dû s’attacher à « sauver » l’Union, durement atteinte par la crise économique et la crise des dettes souveraines dans la zone euro. Le Parlement européen élu l’année passée, la nouvelle Commission et chacun des États membres auront, quant à eux, pour mission de préserver le « goût de vivre ensemble » au sein de l’Union européenne, dans un contexte marqué par une instabilité internationale accrue et les coups portés au lien social. Or la sauvegarde du « vivre ensemble européen » nécessite que l’Union puisse être associée, dans l’esprit de chacun, à la perspective d’une amélioration des conditions de vie.
Le cas de la Grèce a montré qu’une dégradation des conditions matérielles et les incertitudes pesant sur l’avenir pouvaient être à l’origine d’un désamour à l’égard de l’Europe. Le gouvernement dirigé par Alexis Tsipras a, semble-t-il, renoncé à une annulation pure et simple de tout ou partie de la dette publique grecque. Le ministre des finances a proposé de substituer des « obligations perpétuelles » aux emprunts auprès de la Banque centrale européenne, afin d’éviter au budget grec d’avoir à supporter des remboursements massifs lorsque les titres arrivent à échéance, et des obligations « indexées sur la croissance » aux emprunts auprès des programmes d’assistance financière européens.
Quel accueil le Gouvernement français souhaite-t-il réserver au plan de restructuration de la dette publique proposé par la Grèce ? Quels éléments lui paraissent pouvoir être retenus, écartés ou modifiés ?
Par ailleurs, différentes voix s’élèvent, dont celle du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, pour demander la suppression ou la réforme de la « troïka ». Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous apporter des précisions sur la position qu’entend adopter la France sur cette question ?
Tout cela intervient alors que la Commission européenne a rendu publique une communication intitulée « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance ». Il s’agissait, pour reprendre les termes de cette communication, de mettre « l’accent sur la marge d’interprétation laissée à la Commission conformément aux règles du pacte, sans modifier la législation existante ». Aussi souhaiterais-je que puisse nous être indiqué dans quelle mesure cette « interprétation » des règles du pacte de stabilité concerne la France, qui est dans l’attente d’un avis de la Commission sur sa situation budgétaire, devant être rendu en mars prochain.
En outre, la Commission a placé au cœur de son projet en faveur de la croissance économique le plan d’investissement pour l’Europe, communément appelé « plan Juncker ». Celui-ci doit reposer sur trois piliers : la mobilisation de 315 milliards d’euros au cours des trois prochaines années pour financer des investissements stratégiques ; le renforcement de la visibilité des projets d’investissement européens, par la constitution d’une « réserve de projets » et la mise en place d’une assistance technique au profit des entités à la recherche de financements et des investisseurs ; enfin, l’instauration d’un environnement propice à l’investissement.
Le premier volet de ce plan d’investissement sera mis en œuvre par le Fonds européen pour les investissements stratégiques, qui devrait recevoir 16 milliards d’euros de garanties de l’Union européenne et 5 milliards d’euros de la Banque européenne d’investissement. De la mobilisation de ces 21 milliards d’euros devraient donc résulter 315 milliards d’euros d’investissements, grâce à l’effet multiplicateur du Fonds européen pour les investissements stratégiques, dont la capacité à supporter une partie des risques devrait attirer des investisseurs. Il est prévu que chaque euro mobilisé par ce fonds entraîne 15 euros d’investissements : il s’agit là d’un effet multiplicateur tout à fait significatif. Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous indiquer sur quelle base cet effet multiplicateur prévisionnel a été déterminé ?
Dans le cadre du plan d’investissement, les banques nationales de développement devraient occuper une place importante, en particulier pour la constitution de la « réserve de projets d’investissements ». Monsieur le secrétaire d'État, selon quelles modalités Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations devraient-elles être associées à la mise en œuvre du plan d’investissement ?
Je vous remercie des réponses que vous pourrez apporter à ces différentes interrogations. Elles sont plus financières que politiques, mais je partage, on l’aura compris, les préoccupations exprimées par la majorité de nos collègues quant à l’avenir de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il était très important que le Sénat organise ce débat préalable au Conseil européen des 12 et 13 février. À cet égard, je remercie le président du Sénat et la conférence des présidents de l’avoir inscrit à l’ordre du jour des travaux de notre assemblée, ainsi que M. le secrétaire d’État pour sa disponibilité.
Les attentats terroristes odieux qui ont endeuillé notre pays ont, en effet, abouti à modifier l’ordre du jour de ce Conseil européen, qui devait initialement être consacré aux questions économiques : la lutte contre le terrorisme y occupe désormais la plus grande place.
La dimension européenne du combat contre le terrorisme est évidemment très importante. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, puis ceux de Madrid en 2004 et de Londres en 2005, l’Union européenne s’est dotée d’une stratégie et d’outils en vue de renforcer la lutte contre le terrorisme. On a malheureusement le sentiment que l’Europe pèche encore dans la concrétisation opérationnelle des objectifs qu’elle affiche dans ce domaine. Pourtant, les attaques menées à Paris et celles qui ont été déjouées en Belgique ont souligné l’importance d’apporter une réponse européenne coordonnée et approfondie.
La commission des affaires européennes a décidé de procéder à un recensement de ce qui existe, de procéder à une évaluation et d’examiner les pistes pour un renforcement. Nous regrouperons nos contributions dans une proposition de résolution européenne que nous adopterons avec la commission des lois le 25 mars prochain, selon toute vraisemblance.
Nous avons aujourd’hui même adopté, sur le rapport de Simon Sutour, une proposition de résolution européenne demandant la création d’un PNR européen, tout en l’assortissant des garanties indispensables en matière de protection des données personnelles. La proposition de directive qui est négociée depuis déjà quelque temps doit être adoptée. Nombre des garanties que le Sénat avait réclamées y ont été intégrées. Si nécessaire, il est possible d’aller plus loin, mais la discussion doit aboutir au plus vite. Nous lançons un appel en ce sens au Parlement européen ! L’établissement d’une nouvelle proposition n’est pas justifié. Cela ne ferait que retarder un peu plus encore l’adoption d’un dispositif dont l’utilité est avérée.
Notre collègue André Reichardt a formulé des propositions sur l’espace Schengen. Nous voulons des gardes-frontières européens et des contrôles plus systématiques aux frontières extérieures, y compris pour les titulaires de passeports européens, pratiqués de façon ciblée à certains postes-frontière. Il faut également envisager la possibilité, pour les États membres, de réaliser des contrôles inopinés aux frontières intérieures si les circonstances l’exigent.
Nos collègues Jean-Jacques Hyest et Philippe Bonnecarrère travaillent sur la mise en place d’un parquet européen, dont les compétences seraient élargies à la criminalité grave transfrontalière. On voit bien l’intérêt d’une telle avancée : il faut agir au niveau européen contre les réseaux criminels, car ce sont bien souvent eux qui financent le terrorisme.
Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Delebarre étudieront les moyens de renforcer la coopération policière. Beaucoup de choses sont faites dans ce domaine, mais on peut aller plus loin encore, en utilisant davantage l’outil d’analyse et de coopération que constitue Europol.
Mes chers collègues, je pose la question : peut-on continuer à admettre que nos polices et nos systèmes judiciaires restent cloisonnés, tandis que les réseaux criminels et terroristes se jouent des frontières ?
Colette Mélot et André Gattolin examineront l’action de l’Union européenne dans la lutte contre l’incitation à la violence terroriste sur internet. On ne peut plus tolérer qu’internet soit une source essentielle d’endoctrinement et de recrutement pour le terrorisme. Les attaques ciblées conduites contre différents sites sont aussi un sujet de préoccupation ; l’Union européenne doit agir vite et de manière forte.
Fort de son expérience d’ancien garde des sceaux, notre collègue Michel Mercier nous présentera son analyse sur la déchéance de nationalité au regard de nos engagements européens et internationaux. Qu’en est-il exactement ? Beaucoup d’affirmations peu étayées circulent. C’est le rôle du Sénat de procéder à un examen scrupuleux des textes et d’en tirer toutes les conséquences. Nous ne devons rien nous interdire a priori ; nos concitoyens ne le comprendraient pas, et ils auraient raison !
Monsieur le secrétaire d'État, nous avons tous vécu avec émotion ce moment de deuil et d’union nationale, mais aujourd’hui nos concitoyens nous demandent d’agir, et d’agir vite. Ne les décevons pas, et mobilisons l’ensemble de nos partenaires européens dans ce combat qui nous concerne tous ! Pour sa part, le Sénat, sa commission des affaires européennes et sa commission des lois seront prêts, le 25 mars, à faire des propositions d’ensemble.
L’Union économique et monétaire sera aussi à l’ordre du jour du Conseil européen. Les résultats des élections législatives en Grèce nous interpellent. La Grèce a mené des efforts importants, très lourds pour sa population. Ces efforts commencent juste à porter leurs fruits. Le programme de la nouvelle coalition soulève beaucoup d’interrogations. On sait que la Banque centrale européenne refusera toute réduction de la dette qui toucherait les titres grecs qu’elle détient. L’annulation de la dette grecque serait en réalité supportée par les contribuables des pays prêteurs, dont la France. On ne peut l’accepter. Ce sont plus de 60 milliards d’euros qui sont en cause ! Pour avoir assisté à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, la COSAC, qui s’est tenue à Riga voilà quarante-huit heures, je puis vous certifier que l’ensemble des États membres de l’Union européenne, hors la Grèce, sont sur la même ligne.
Il faut donc réfléchir à d’autres scénarios. Nous souhaitons examiner la situation de la Grèce de façon réaliste, afin de bâtir des solutions crédibles. C’est ce que fera la commission des affaires européennes, qui a désigné notre collègue Simon Sutour pour faire un rapport sur ce sujet.
J’ai bien noté les trois principes affirmés par le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État : la solidarité, la responsabilité et l’unité européenne.
On voit bien que l’Union européenne est à la recherche d’un bon équilibre entre le nécessaire assainissement des comptes publics et la réunion des conditions requises pour un redémarrage de la croissance. À partir du rapport de nos collègues Jean-Paul Emorine et Didier Marie, nous formaliserons dans quelques jours notre position sur le plan d’investissement pour l’Europe. Le Sénat est pleinement mobilisé sur ce dossier. Les collectivités territoriales doivent pouvoir prendre toute leur part dans la décision et la sélection des projets. Nous serons aussi très vigilants sur les sources de financement.
Une plus grande flexibilité dans l’application des règles du pacte de stabilité et de croissance est envisageable, mais cela ne doit pas dispenser de la nécessaire discipline collective sans laquelle la zone euro ne peut fonctionner. Notre pays doit, en particulier, mener les réformes structurelles dont il a impérativement besoin, qui sont parfaitement identifiées. L’assainissement budgétaire est indispensable. Nous étudierons avec attention les analyses que la Commission européenne rendra en mars sur le budget de la France. Nous souhaitons qu’elle vienne expliquer sa position devant le Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC. – M. Simon Sutour applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la qualité et du ton de ce débat. Je me réjouis de la très forte convergence qui s’est manifestée pour affirmer votre détermination à répondre au défi de la menace terroriste.
La France est en pointe dans la lutte contre le risque terroriste, même si celui-ci concerne tous les pays de l’Union européenne, comme en attestent les attentats contre le musée juif de Bruxelles, l’an dernier, ceux de Londres ou de Madrid, plus anciennement, et d’autres encore. Ce sont les valeurs de liberté et de démocratie fondatrices de nos sociétés, de l’Europe même, qui sont mises en cause.
La réaction de l’Europe a montré une détermination à rejeter la logique de haine dans laquelle voulaient nous entraîner les terroristes. Nous n’accepterons ni l’intimidation ni la haine. L’un d’entre vous a cité, à cet égard, une phrase de Robert Badinter. Nous devons être capables de la plus grande unité, de la plus grande fermeté pour combattre les terroristes, pour assurer la sécurité des citoyens, mais aussi pour protéger les valeurs démocratiques de l’Union européenne, l’existence d’une société de tolérance et de fraternité.
C’est pourquoi le plan que nous avons proposé et qui est en discussion en vue de la réunion des chefs d’État et de gouvernement porte sur l’ensemble des aspects de ce combat.
Il est bien sûr nécessaire de renforcer la coopération policière et judiciaire. Nous souhaitons que les États membres s’appuient davantage encore sur Europol et sur Eurojust, que les informations et les outils d’analyse soient mieux partagés. Pour l’heure, en effet, les informations sur les ressortissants de pays tiers ayant fait l’objet de condamnations, par exemple, ne sont pas systématiquement transmises au sein des réseaux européens. Il importe de mieux prendre en compte les derniers éléments que nos services de renseignement, de police, de justice peuvent détenir sur l’évolution des réseaux terroristes.
Nous avons aussi besoin d’un outil tel que le PNR. Je voudrais convaincre ceux qui pourraient rester réticents qu’il s’agit là d’un dispositif qui vraiment fait défaut dans la lutte antiterroriste à l’échelle européenne.
Aujourd’hui, la présence dans un avion reliant un pays de l’Union européenne et un territoire proche d’une zone de conflit d’une personne signalée comme suspecte par un service de renseignement n’est pas forcément notifiée à la police des frontières, faute d’un système commun de transmission, selon des formes harmonisées, des dossiers des passagers à partir de la réservation.
Le PNR permet précisément de savoir, dès la réservation, qui se trouve dans un avion, et donc d’utiliser le temps du vol pour signaler aux services de police, au point d’arrivée, le passage d’un individu dangereux. Ceux-ci pourront alors le contrôler, éventuellement interrompre son voyage, voire le livrer à la justice.
Le PNR permet aussi de retracer les parcours, voire d’identifier des tentatives de masquer la destination réelle. Beaucoup de combattants étrangers de retour des zones de combat en Irak et en Syrie qui ont pu être identifiés avaient fait des détours, par l’Asie par exemple, pour ne pas attirer l’attention. L’identification de ce type de parcours destinés à brouiller les pistes permet de détecter des personnes cherchant à se rendre dans les zones de combat ou à en revenir.
Toutes les garanties sont offertes pour que le PNR ne serve qu’à la lutte contre la criminalité grave, le terrorisme, les trafics d’armes, les trafics de personnes. Il ne s’agit en aucun cas de mettre en œuvre un fichage général : les services dédiés à la lutte contre le terrorisme et ses réseaux n’ont pas d’autre objectif que d’assurer la sécurité de nos concitoyens.
Cela a été souligné, il faut aussi lutter contre les racines mêmes du terrorisme. Cette lutte devant être menée à l’échelle internationale, il s’agit d’un volet très important de notre mobilisation avec les autres États membres de l’Union européenne. Il faut vraiment que notre politique de coopération à l’égard des pays du sud du bassin méditerranéen, en particulier de ceux qui sont déstabilisés par la propagation des groupes djihadistes, prenne en compte le risque terroriste. Un certain nombre de pays ayant réussi leur transition démocratique doivent être soutenus dans leur développement économique. D’autres connaissent encore une très forte instabilité sur le plan sécuritaire : pensons à la Lybie ou à des pays comme le Nigeria ou le Tchad, aux prises avec Boko Haram.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Et le Cameroun !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Toute l’Union européenne doit s’engager dans cette action extérieure.
Il faut également se donner les moyens de lutter de façon préventive contre la radicalisation, au sein même de nos sociétés, de jeunes qui sont recrutés, en particulier via internet, soit pour aller combattre dans les zones de guerre, soit pour rejoindre des groupes et des terroristes plus chevronnés en vue de commettre des actes terroristes sur notre sol. Les terroristes utilisent les réseaux sociaux ordinaires. Outre le développement de l’échange de bonnes pratiques, un cadre législatif doit être posé pour, tout en respectant le principe de la liberté d’expression, mettre fin à la propagande de haine et aux appels au meurtre.
Les législations diffèrent entre pays européens, mais nous ne serons efficaces que si nous menons le combat à l’échelle internationale. Il faut donc adapter, faire évoluer et renforcer la législation européenne. Nous sommes déjà parvenus à mettre en œuvre des dispositions à l’échelle européenne et internationale, par exemple en matière de lutte contre la pédopornographie, pour bloquer la diffusion de certains contenus et interdire certains sites. Il est donc possible d’en faire autant dans le domaine de la lutte contre la propagande terroriste et la radicalisation sur internet. Il nous faut développer, parallèlement, un contre-discours positif à destination des publics les plus concernés, en particulier les jeunes.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué la situation en Ukraine, notamment son aspect humanitaire. Je voudrais souligner à quel point l’urgence est grande, puisque l’on compte plus d’un million de personnes déplacées, plusieurs centaines de milliers de réfugiés, tandis que la situation humanitaire n’a cessé de se dégrader au cours des dernières semaines.
M. Stylianides, commissaire européen à l’aide humanitaire et à la gestion des crises, a annoncé le 26 janvier la mobilisation d’une aide d’urgence supplémentaire de 15 millions d’euros, pour fournir des biens de première nécessité. Cela porte à 95 millions d’euros au total l’effort de l’Union européenne pour l’aide d’urgence et la reconstruction depuis le début de la crise. Quatre-vingt-dix tonnes de matériel ont été livrées au cours de la dernière semaine.
La France, en plus de sa contribution à l’aide européenne, a pris sa part à cet effort sur le plan bilatéral, en dépêchant sur place le centre de crise du ministère des affaires étrangères et du développement international et en livrant six tonnes de matériel : deux cents sacs de couchage, des couvertures, des appareils de chauffage thermique, des citernes, des groupes électrogènes. Nous avons également envoyé sur place un expert de la sécurité civile, pour assurer le déploiement logistique de cette aide.
En ce qui concerne la Grèce, nous devons l’accompagner dans ses réformes, pour lui permettre de retrouver de la croissance, et en même temps nous assurer du respect des règles européennes, ce pays ayant lui-même confirmé sa volonté de rester dans la zone euro.
C’est dans cet état d’esprit que doit se nouer, selon nous, le dialogue entre le nouveau gouvernement grec et l’ensemble de ses partenaires de l’Union européenne. Le Gouvernement français s’efforce d’œuvrer dans ce sens. Le ministre des finances, Michel Sapin, a d’ores et déjà reçu son homologue grec, M. Varoufakis.
Les trois principes que j’ai présentés dans mon propos liminaire et que M. Bizet a rappelés ont également présidé à la rencontre qui s’est déroulée, aujourd’hui même, entre le Président de la République, François Hollande, et le Premier ministre grec, Alexis Tsipras : la solidarité, la responsabilité et le respect des règles communes et des engagements pris, l’unité européenne.
Nous serons au côté de la Grèce pour lui donner la bouffée d’oxygène, le temps et les marges qui lui sont nécessaires pour remettre à flot son économie. L’objectif est que ce pays présente une stratégie permettant, dans le cadre d’un partenariat avec les autres pays de l’Union européenne, le respect des engagements pris de part et d’autre, y compris en ce qui concerne la dette : un engagement de solidarité pour les autres États membres de l’Union européenne ; pour la Grèce, l’engagement de rembourser, sa situation s’améliorant, les emprunts qu’elle a contractés auprès de ces derniers, c’est-à-dire auprès des citoyens de l’Union européenne.
Ce partenariat est nécessaire non seulement pour la Grèce, mais aussi pour l’Union européenne, qui, comme Mme la présidente de la commission des finances l’a souligné, doit être synonyme de protection, de solidarité et de croissance pour tous ses citoyens.
Lorsque l’un des États membres de l’Union européenne est en difficulté, les autres se portent à son secours : c’est l’esprit même de l’histoire européenne et des liens qui unissent nos pays, qui ont tant de défis à relever en commun, en particulier celui de défendre un modèle de société démocratique et de liberté. C’est dans cet esprit, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous allons travailler avec le nouveau gouvernement grec !
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. La commission des affaires européennes ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.
La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé que le dispositif français d’échange de données sur les passagers aériens serait opérationnel d’ici au mois de septembre. À ceux qui s’inquiètent inutilement de savoir si ce système satisfait aux impératifs en matière de libertés publiques, rappelons qu’il est déjà passé sous les fourches caudines de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Cet outil, précieux pour les services, intégrera pour chaque voyageur vingt-quatre types de données, fournies par les compagnies aériennes. Anonymisées au bout de deux ans et détruites trois ans plus tard, ces données permettront de contrôler avec minutie les voyageurs ciblés avant l’embarquement. Ce système national est très attendu, de même que le système PNR européen.
Quoi de plus important, en effet, que le renseignement ?
Après le 10 janvier dernier, l’ensemble des gouvernements européens ont insisté sur la création d’un tel système facilitant l’échange d’informations à partir d’une organisation décentralisée, sur le modèle des dispositifs issus des accords conclus avec les États-Unis, le Canada et l’Australie. Nous ne pouvons que nous en satisfaire.
Une quinzaine de pays se sont déjà dotés de systèmes nationaux, mais le Parlement européen exige, préalablement à la mise en place d’un dispositif commun, l’adoption d’une législation européenne sur la protection des données. Or l’affaire reste bloquée depuis 2013.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous présenter un bilan de la dernière rencontre de Riga, au cours de laquelle la France devait tenter de convaincre ses partenaires européens d’opter pour un contrôle renforcé des voyageurs, afin de mieux détecter les mouvements des djihadistes ?
Nous avons besoin de reconstruire une coopération efficace entre les services étrangers et de doter nos États de moyens de contrôle efficients, sans entraver la fluidité de la circulation des passagers des compagnies aériennes au moment de leur embarquement ; utilisons, pour cela, l’ensemble des outils juridiques existants.
Pourquoi ne pas envisager aussi une consultation systématique du système d’information Schengen, dit SIS, qui recèle notamment d’intéressantes données sur les personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen ou étant parties combattre en Syrie ? En effet, hormis certains cas particuliers de voyageurs sans bagage ou munis d’un aller simple, les Européens ne sont pas soumis, en théorie, à la consultation automatique de cette base.
Monsieur le secrétaire d’État, je crois profondément que, pour faire avancer ces différentes questions, l’État français peut jouer un rôle prépondérant en Europe.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Sachez, monsieur Courtois, que le PNR français, qui sera mis en œuvre à partir du mois de septembre prochain, a été établi sur le fondement de l’accord européen conclu en 2012, et que nous cherchons maintenant à faire entériner par le Parlement européen. Le PNR français sera donc compatible avec le futur PNR européen. De fait, nous devons absolument nous assurer, pour des raisons d’efficacité, que les PNR nationaux pourront être intégrés dans le PNR européen.
En ce qui concerne les décisions prises au cours de la réunion des ministres de l’intérieur à Riga, elles seront reprises par le Conseil européen de la semaine prochaine, notamment pour ce qui touche à la modification du code Schengen.
À cet égard, vous avez eu parfaitement raison de souligner que nous devions veiller à assurer un contrôle aussi efficace que possible des frontières extérieures de l’Union européenne. Il convient en particulier que, à l’entrée dans l’espace Schengen, on ne se contente pas de contrôler les documents de transport et les passeports, mais que l’on puisse également consulter les dossiers des personnes. Aujourd’hui, le contrôle systématique est en principe interdit. Il faut donc que les règles en vigueur cessent de faire obstacle à ce contrôle, même lorsqu’il s’agit de ressortissants des États membres de l’Union européenne ou de l’espace Schengen qui reviennent dans ledit espace.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le secrétaire d’État, la Jordanie vient de connaître connu un drame abominable : un de ses pilotes a été brûlé vif par Daesh.
Ce pays, qui fait partie de la coalition contre Daesh, se trouve dans une situation extrêmement difficile, confronté qu’il est à la présence sur son sol de 2 millions de réfugiés palestiniens et de plusieurs centaines de milliers de réfugiés syriens.
La Jordanie est un pays fragilisé, dans un environnement géopolitique extrêmement compliqué, qui a conclu avec Israël un accord de paix séparée et avec les États-Unis un accord de défense.
L’Union européenne, pour sa part, a signé avec la Jordanie un certain nombre de partenariats qui l’ont conduite à verser à ce pays 223 millions d’euros d’aides entre 2011 et 2013, à quoi se sont ajoutés 115 millions d’euros d’aide humanitaire.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, veiller à ce que l’Union européenne tienne ses engagements à l’égard de la Jordanie ? En effet, il ne faut pas attendre pour soutenir ce pays que la situation s’y dégrade encore, comme on l’a fait pour des pays voisins. Il faut conforter le gouvernement jordanien avant que la rue jordanienne ne s’agite. Songeons que 2 089 combattants jordaniens ont rejoint les rangs de Daesh. En vérité, ce pays a absolument besoin que toutes les fées européennes se penchent sur lui.
Pensez-vous, monsieur le secrétaire d'État, mettre la Jordanie en tête de vos préoccupations en vue du prochain Conseil européen ? (MM. Michel Canevet et André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Goulet, je vous remercie d’attirer notre attention sur la situation de la Jordanie. Je tiens à exprimer toute la solidarité de la France au peuple de Jordanie et au gouvernement jordanien, après le lâche assassinat d’un pilote de ce pays par le groupe État islamique.
L’Union européenne entretient de longue date avec la Jordanie des relations très étroites. En effet, la Jordanie a signé avec la Communauté européenne un accord de coopération dès 1977, puis, en 1997, un accord d’association entré en vigueur en 2002. Elle est, avec le Maroc, le seul pays du voisinage sud de l’Union européenne auquel celle-ci reconnaît le statut de pays avancé, ce qui les incite à se rapprocher de l’acquis européen.
La Jordanie est confrontée depuis longtemps à l’accueil de très nombreux réfugiés palestiniens et, désormais, de réfugiés liés à la guerre en Irak et en Syrie ; aujourd’hui, les réfugiés syriens y sont probablement plus de 600 000.
Mme Nathalie Goulet. Et nous en accueillons 500 !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Il est vrai que, comparé au nombre de réfugiés accueillis en Europe, le nombre de réfugiés présents en Jordanie est considérable : les seuls réfugiés liés à la guerre civile en Syrie représentent près de 10 % de la population du pays ! (Mme Nathalie Goulet acquiesce.)
La Jordanie bénéficie largement des instruments de la politique européenne de voisinage : 589 millions d’euros lui ont été versés entre 2007 et 2013 et 600 millions d’euros environ doivent lui être versés entre 2014 et 2020. Par ailleurs, l’Union européenne a déclenché, à la suite des crises actuelles, des mécanismes de soutien humanitaire ; ainsi, plusieurs centaines de millions d’euros supplémentaires seront mises à la disposition de ce pays pour l’accueil des réfugiés.
L’accord d’association et les accords de partenariat économique doivent permettre à la Jordanie, malgré les problèmes auxquels elle est confrontée et un environnement particulièrement difficile, de connaître un dynamisme, une croissance suffisante et de ne pas être déstabilisée par les crises extérieures.
Nous sommes également très proches de la Jordanie sur le plan de la sécurité. D’ailleurs, ce pays participe activement à la coalition internationale pour la lutte contre Daesh ; des aviateurs français sont présents en Jordanie et mènent leurs opérations depuis ce pays, dans le cadre de notre coopération militaire.
La Jordanie est un allié politique très proche de la France et de l’Union européenne. Nous sommes très mobilisés pour assurer sa stabilité !
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. En ma qualité de président du groupe interparlementaire d’amitié France-Ukraine, je souhaite interroger le Gouvernement sur l’accord d’association signé entre l’Union européenne et l’Ukraine le 27 juin dernier.
À ma connaissance, le projet de loi autorisant la ratification de cet accord n’a pas été inscrit à l’ordre du jour du Parlement, ni même à l’ordre du jour du conseil des ministres. C’est d’autant plus étonnant que le conseil des ministres a examiné, le 17 décembre dernier, le projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie, conclu le même jour que l’accord avec l’Ukraine.
Je n’ai pas besoin, mes chers collègues, de vous décrire la situation de l’Ukraine. Ce pays manifeste une volonté très forte de s’arrimer à l’Europe, comme en témoignent les événements de Maïdan ou les résultats de la dernière élection présidentielle et des élections législatives du 26 octobre dernier.
J’ai récemment reçu un certain nombre de représentants de la société civile ukrainienne, ainsi que le nouvel ambassadeur d’Ukraine en France. Je crois qu’il y a, de la part de l’Ukraine, une très forte attente vis-à-vis de la France pour que celle-ci s’engage concrètement sur la voie de la ratification de l’accord conclu en juin dernier.
Monsieur le secrétaire d’État, mes questions seront donc les suivantes : premièrement, quelles initiatives le Gouvernement entend-il proposer au Conseil européen dans le dossier ukrainien ? Deuxièmement, pourquoi le projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association n’a-t-il toujours pas été soumis au Parlement ? Troisièmement, selon quel calendrier le sera-t-il ? (M. le président de la commission des affaires européennes ainsi que MM. Michel Canevet et Jean-Yves Leconte applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Maurey, la ratification de l’accord d’association avec l’Ukraine est évidemment une priorité pour le Gouvernement. Nous mettons tout en œuvre pour que l’ensemble de la procédure se déroule le plus rapidement possible et aboutisse avant le sommet du partenariat oriental, qui se tiendra à Riga les 21 et 22 mai prochain.
Actuellement, le projet de loi autorisant la ratification est en cours de transmission au Conseil d’État. Il sera présenté en conseil des ministres dès que possible. Nous comptons sur le Parlement pour l’adopter ensuite dans les meilleurs délais.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Le 11 janvier dernier, le Premier ministre turc, M. Davutoglu, se trouvait parmi les quarante chefs d’État et de gouvernement présents pour proclamer, avec le peuple français, leur refus de la barbarie et leur amour de la liberté.
La Turquie est, avec l’Iran, l’un des deux pays qui vivent avec Daech à leur frontière. C'est aussi l’un des deux pays dont l’engagement est absolument essentiel pour compléter l’action de la coalition qui conduit des frappes aériennes.
Je veux d'abord souligner la volonté des gouvernements français et turc de renforcer leur dialogue dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Je veux aussi saluer l’action de la Turquie, qui doit prendre, dans les circonstances présentes, des positions heurtant à la fois ses habitudes et son opinion publique, notamment en ce qui concerne le PKK.
Force est de constater dans le même temps que des inquiétudes se font jour en Turquie sur des questions de justice et de liberté de la presse. Ce sont là des sujets que nous devons aborder franchement avec la Turquie, tout en gardant bien entendu à l’esprit que la sécurité en Europe, donc en France, ne peut être envisagée indépendamment de la sécurité en Turquie et que nous nous situons du même côté dans la guerre contre le terrorisme et la barbarie.
Pour traiter de ces sujets fondamentaux qui suscitent des interrogations en Europe, il est important d’ouvrir aujourd'hui les discussions sur les chapitres 23, « Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux », et 24, « Justice, liberté et sécurité », des négociations entre la Turquie et l'Union européenne.
Ma question est donc la suivante, monsieur le secrétaire d'État : pensez-vous qu’il soit possible de dépasser le blocage de Chypre et de parvenir rapidement à des discussions sur ces chapitres 23 et 24 ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous avez raison, le partenariat avec la Turquie est extrêmement important dans la lutte contre le terrorisme en raison de sa situation géographique – on l’a vu dans la bataille de Kobané. La Turquie est en outre un point de passage important non seulement pour les informations, mais aussi pour les personnes : celles qui passent par ce pays pour se rendre en Syrie et celles qui tentent d’en sortir pour rejoindre des aéroports turcs afin de regagner l'Europe. On mesure ainsi tout l’enjeu d’une bonne coopération entre la Turquie et les pays de l'Union européenne.
Par ailleurs, la Turquie est liée à l'Union européenne par une union douanière, par un processus de négociations, ainsi que par une perspective à proprement parler européenne.
Dans ce contexte, nous suivons attentivement l’évolution parfois préoccupante de la situation de la presse et des libertés dans ce pays, avec lequel nous entretenons des relations très intenses. Nous sommes favorables, dans le cadre des négociations d’adhésion, à une discussion sur les sujets relevant des chapitres 23 et 24, c'est-à-dire ceux qui concernent l’état de droit, le système judiciaire, la lutte contre la corruption, les valeurs fondamentales de l'Europe.
Cependant, comme vous-même l’avez souligné, cela suppose un accord unanime des États membres de l'Union européenne – c'est la règle pour l’ouverture de chacun des chapitres. Or Chypre oppose aujourd'hui un veto en raison de la dégradation de la situation dans la partie nord de l’île ainsi que de ses relations avec la Turquie à propos des eaux territoriales.
Nous essayons d’amener les pays concernés à renouer le dialogue et nous pensons qu’il faut parallèlement intensifier nos discussions avec la Turquie sur ces questions de liberté et de valeurs fondamentales, sans se priver des instruments que pourrait représenter l’ouverture des chapitres 23 et 24. En tout cas, nous continuerons à travailler étroitement avec la Turquie sur tous les autres champs de coopération.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Les récents attentats qui ont endeuillé la France nous ont cruellement rappelé la vulnérabilité des démocraties face à la détermination absolue des individus auxquels nous sommes confrontés.
Après les attaques de Paris, les interpellations qui ont notamment eu lieu en France, en Belgique, en Grèce et en Bulgarie illustrent le caractère transnational de la menace.
On l’a dit, la fin des frontières dans l’espace européen procure un avantage certain à ceux qui veulent se rendre sur les zones de combats et en revenir, ou qui veulent tout simplement échapper à la justice.
Les différences entre les législations des États membres créent aussi de grandes difficultés. Ainsi, la bienveillante Bruxelles serait devenue une plaque tournante des réseaux islamistes radicaux, après le « Londonistan » des années 2000.
Quant à internet, ce terreau fertile de la propagande de Daech, d’AQPA, d’AQMI et de leurs zélateurs, il se joue encore plus facilement des frontières et des lois.
Monsieur le secrétaire d'État, même si des progrès ont été accomplis, nous devons mieux nous défendre et mieux anticiper les menaces. Cet effort passe par le renforcement de la coopération entre services de police – de manière bilatérale aussi bien que par le biais d’Europol –, de justice et de renseignement européens. Mais cet effort doit surtout passer par l’adoption rapide, pour ne pas dire urgente, de mesures communes : fichier commun des passagers à risque – j’évite d’utiliser un acronyme anglophone ! –, renforcement des contrôles aux frontières et de l’utilisation du système d’information Schengen.
Mais c’est aussi d’harmonisation que nous avons besoin, car la coopération demeurera vaine tant que des gardes à vue dureront quatre-vingt-seize heures dans un pays et vingt-quatre heures dans un autre, tant que les moyens d’investigation et les peines encourues divergeront d’un État à l’autre. Il ne saurait y avoir, me semble-t-il, de maillon faible.
De plus, s’il nous faut respecter les libertés individuelles, nos services ne doivent pas être entravés par des procédures excessives, parfois éloignées des réalités du terrain. Je rappelle que la France vient d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour n’avoir pas respecté à la lettre les procédures de présentation à la justice de pirates somaliens qui avaient pris d’assaut un navire français avant d’être appréhendés, tout cela à 6 000 km de Paris !
Alors que l’essentiel est menacé, n’est-il pas temps pour les Européens de dépasser leurs divisions ?
La France a un rôle moteur à jouer : ses services de police et de renseignement sont reconnus, ses magistrats antiterroristes comptent parmi les plus qualifiés en Europe. Quant à son armée, elle mène sur de nombreux théâtres une guerre implacable aux terroristes. Si la volonté de la France est nettement perceptible, un soutien plus marqué des Européens serait le bienvenu.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Allizard. Monsieur le secrétaire d'État, dans ce contexte inédit, quelles mesures fortes proposerez-vous à l’Union européenne pour préserver et défendre nos valeurs, et surtout selon quel calendrier ?
Sans résultat et sans calendrier contraint, ce débat ne serait qu’un exercice théorique.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, la France est effectivement à l’initiative. C'est précisément à celle du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, que, dès le 11 janvier, se sont réunis les ministres de l’intérieur de plusieurs pays de l'Union européenne – ainsi que, d'ailleurs, le procureur général des États-Unis – pour engager un renforcement des mesures internationales et, en particulier, des mesures européennes.
C'est à notre demande que la feuille de route de la lutte contre le terrorisme à l’échelle européenne a été établie. C'est encore sur la base de la contribution française que les ministres de l’intérieur réunis à Riga ont adopté ce qui constitue désormais le plan d’action de l'Union européenne. Enfin, c'est sur la base de ces propositions, présentées par la France, que se tiendra la réunion des chefs d’État et de gouvernement du 12 février, réunion initialement prévue pour débattre de l'Union économique et monétaire, mais qui sera donc principalement consacrée à la lutte contre le terrorisme, et qui reprendra à son compte les axes et le calendrier proposés par la France : lutter contre la radicalisation ; intensifier la coopération policière et judiciaire, ainsi que l’action extérieure commune ; assurer la sécurité par des mesures concernant Schengen et le dossier des passagers.
Nous sommes aujourd'hui dans l’urgence, avec la volonté de faire avancer plus rapidement un certain nombre de procédures et d’harmoniser effectivement les systèmes d’échange d’information. Mais ne posons pas les problèmes dans des termes d’harmonisation judiciaire qui iraient au-delà de ce que permettent les traités. Les codes pénaux et les systèmes judiciaires ne sont en effet, pas les mêmes… En revanche, rien n’empêche la coopération.
Finalement, sur la base de la volonté commune de lutter efficacement contre le terrorisme, il faut s'assurer que chacun des États membres utilise les outils mis en place : Europol, Eurojust, le système d’information de Schengen et le système PNR. Si la coopération entre les services de renseignement est déjà très importante, les autres services doivent faire en sorte d’éviter toute faille dans ce dispositif.
Chacun le sait, c'est là un combat difficile, acharné. Certes, on ne pourra jamais prétendre avoir atteint le « risque zéro ». Mais, parce que la menace est importante, parce qu’une prise de conscience a eu lieu et que la mobilisation européenne s'est immédiatement exprimée – la participation des chefs d’État et de gouvernement à la grande marche aux côtés des Français et du Président de la République le 11 janvier l’atteste –, le temps de l’action est venu. Croyez à la détermination de la France pour que cette action soit effectivement menée.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. La lutte contre le terrorisme constituera certainement l’essentiel des travaux du Conseil européen des 12 et 13 février. Il y sera aussi question de la situation issue de l’élection en Grèce, qui relance le débat européen sur la croissance.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué dans votre propos introductif la mise en œuvre du grand plan d’investissement européen prévu par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. D’un montant supérieur à 300 milliards d’euros, ce plan sera de nature, je l’espère, à relancer l’emploi et l’activité.
Des potentialités existent certainement dans ce domaine, et j’espère que le Conseil européen aura l’occasion de les évoquer. Ainsi se tient actuellement à Paris le salon Euromaritime, qui réunit les professionnels de la construction navale. Ayant eu l’occasion de le visiter hier pour prendre le pouls de la profession, j’ai constaté des attentes extrêmement fortes de la part des entreprises pour que la relance de l’investissement intervienne dans la construction navale, en particulier dans celle des navires de pêche.
En la matière, on se trouve au cœur des discussions et les décisions susceptibles d'être prises à Bruxelles – l’Europe a la compétence maritime –, et j’espère que le Gouvernement français entendra appuyer les mesures qui sont nécessaires au renouvellement de la flottille de pêche. Nos marins-pêcheurs travaillent aujourd'hui sur des navires extrêmement vétustes. Les professionnels peuvent rendre les rendre beaucoup plus performants grâce aux considérables progrès technologiques qui sont désormais susceptibles d’être intégrés aux navires de pêche afin d’optimiser l’exploitation économique de ces outils de production.
Il est donc indispensable, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement français appuie la possibilité de renouveler au plus vite la flottille de pêche.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je ne pense pas qu’il existe un lien direct entre le sujet des navires de pêche, au demeurant très important, et le plan Juncker. Je tiens à le préciser d’emblée : qu’il s'agisse d’apporter des aides aux pêcheurs pour qu’ils puissent renouveler leur flotte et l’adapter aux nouvelles réglementations ou de maintenir des activités et des savoir-faire, aussi bien dans la pêche que dans la construction navale– c’est effectivement un enjeu majeur –, ces sujets relèvent de la politique de la pêche.
Il y a en France, mais aussi ailleurs en Europe, des chantiers navals d’excellence, dont la production ne se limite pas à la flottille de pêche. S'il n’existe pas a priori d’obstacles à une mobilisation du plan Juncker pour ce type de projets, le principe de ce plan est plutôt d’apporter un financement ou une garantie publique dans des domaines où les investisseurs privés font défaut.
Dans le domaine de la construction navale, il importe d'abord, selon moi, que nous gardions les savoir-faire, que l’on veille aux conditions de la concurrence – notamment avec les chantiers d’autres zones du monde qui peuvent bénéficier d’aides d’État ou de subventions – et que cette industrie, qui a incontestablement de l’avenir, puisse continuer à se développer sur le territoire européen, en particulier en France.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le secrétaire d’État, selon des sources journalistiques, il apparaît que les armes des frères Kouachi auraient pu avoir été achetées à Bruxelles par Amedy Coulibaly, lui-même ayant acquis son fusil-mitrailleur dans cette ville.
Se pose donc la question de la circulation frauduleuse des armes à l’intérieur de l’Union européenne. Au demeurant, l’usage de ces armes ne se borne pas aux seuls faits de terrorisme, comme le montre la recrudescence des règlements de comptes menés avec des d’armes de guerre.
Que des individus relativement isolés, n’étant pas en tout cas intégré dans une structure criminelle organisée, puissent se munir aussi facilement de fusils d’assaut et d’armes de poing doit nous faire réagir.
Ces armes, comme l’a indiqué l’étude du pôle interministériel contre la criminalité organisée en Europe du sud-est, proviennent le plus souvent des pays balkaniques.
Lors de la réunion des ministres européens de l’intérieur, autour de Bernard Cazeneuve, le 11 janvier dernier, il a été question de réfléchir à la manière de mieux appréhender les déplacements des individus dangereux.
Toutefois, la question de la circulation des armes à l’intérieur de l’Union est également essentielle et mérite d’être mise au centre des travaux du Conseil européen.
Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, où en est l’harmonisation législative en la matière et quelles seront les propositions faites par la France, pour briser le plus en amont possible les filières de trafic d’armes ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Nous souhaitons effectivement, cela a été mentionné notamment dans la déclaration des ministres de l’intérieur, que les États membres renforcent le système d’identification et de traçabilité des armes, depuis le lieu de production, et qu’ils harmonisent leur législation en la matière. Vous le savez, nous avons renforcé la nôtre et nous sommes évidemment en lutte permanente contre le marché illégal d’armes qui se développe dans nombre de pays de l’Union européenne. Ce trafic a parfois, vous l’avez dit, un lien avec des zones marquées par des conflits.
Il s’agit évidemment d’une dimension très importante de la lutte contre le terrorisme et les risques d’attentats, même si certaines attaques ont pu être commises avec des moyens très rudimentaires, on l’a encore vu hier. Nous sommes évidemment tout à fait convaincus de la nécessité d’une coopération beaucoup plus intense à l’échelle européenne pour lutter contre le trafic illégal d’armes. Ce point figure à l’ordre du jour de la réunion des chefs d’État et de gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous nous apportiez quelques précisions concernant la Grèce.
Vous avez énoncé trois principes concernant la position de la France à l’égard de ce pays : solidarité, responsabilité et unité. Ce sont bien sûr des principes tout à fait louables, que nous ne saurions qu’approuver.
Notre pays est, chacun le sait, créancier de la Grèce à hauteur de 47 milliards d’euros. Nous sommes nous-mêmes un pays endetté, dont la situation économique est peu aisée, c’est le moins qu’on puisse dire. Aussi notre pays ne peut-il se permettre de perdre ne serait-ce qu’une partie de ces 47 milliards d’euros.
Je souhaiterais donc avoir la confirmation de la détermination du Gouvernement à faire en sorte que les engagements pris par la Grèce à l’égard des pays de l’Union européenne, dont la France, soient respectés, de manière que nous puissions avoir la garantie que notre pays ne subira pas de pertes à cet égard.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, il n’y a évidemment aucun projet d’annulation de la dette contractée, soit directement soit indirectement, par la Grèce auprès de la France.
Cette dette, qui se monte plutôt à 42 milliards d’euros, est constituée, d’une part, d’un prêt bilatéral, d’autre part, des emprunts contractés par la Grèce auprès du Fonds européen de stabilité financière et des aides provenant du FMI. Dans l’ensemble de ces dispositifs, la France apporte évidemment des garanties, même si le FMI fonctionne d’une façon différente. Je vous le rappelle, le FMI n’a jamais annulé aucune dette. S’agissant de l’Union européenne, l’objectif n’est nullement de procéder à une annulation de la dette grecque.
Vous l’avez dit, il s’agit pour nous d’aider la Grèce. Quel qu’eût été le résultat des élections, le nouveau gouvernement aurait demandé à rediscuter des conditions de son partenariat avec l’Union européenne, les plans précédents n’ayant pas été efficaces. Ils sont en effet rejetés non seulement en raison de l’austérité et des conséquences sociales qu’ils entraînent, mais aussi pour leur absence d’efficacité dans le cadre de la réduction de la dette.
Alors que celle-ci devait passer à 120 %, conformément à l’objectif fixé au moment où les programmes ont été convenus avec les précédents gouvernements grecs, elle est passée à 175 %. Une telle évolution est principalement due, je l’ai rappelé, à la baisse de 25 % du PIB. Évidemment, la proportion d’une même masse d’endettement ne peut qu’augmenter si le PIB s’écroule.
Il faut donc à la fois que la Grèce puisse dégager un excédent budgétaire primaire, avant remboursement de sa dette, et qu’elle connaisse une croissance économique. C’est en effet la seule perspective politique qu’on puisse se fixer. Le chômage est aujourd'hui extrêmement élevé, touchant plus de 25 % des actifs et plus de 50 % des jeunes. Les investissements n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant la crise. La Grèce doit donc d’abord régler ses problèmes économiques.
Ainsi, même s’il peut y avoir une discussion sur les délais, la maturité des prêts ou les taux d’intérêt, comme cela avait d’ailleurs déjà été le cas sous les gouvernements précédents, l’annulation de la dette grecque n’est pas à l’ordre du jour.
Vous le savez, il s’agit d’une dette contractée auprès des autres États membres et non pas auprès de banques et du système financier. Ce sont donc les contribuables européens qui auraient, en définitive, à subir les conséquences d’une telle décision, ce que nous ne souhaitons pas. Nous allons donc aider la Grèce à sortir de cette situation de crise.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Je tiens à vous remercier, monsieur le secrétaire d’État, de votre disponibilité et des réponses que vous avez pu apporter sur un certain nombre de points.
J’insiste sur le sujet du terrorisme, qui revêt aujourd'hui un caractère d’urgence non seulement dans la société française, on l’a vu avec l’élan républicain du 11 janvier dernier, mais aussi pour l’ensemble des sénateurs et sénatrices, comme en a témoigné cet après-midi la réunion de la commission des affaires européennes.
Nous souhaitons une mise en œuvre rapide des différentes mesures que nous avons listées. La commission des affaires européennes et la commission des lois proposeront, le 25 mars prochain, une résolution regroupant l’ensemble de ces dispositions et qui pourrait être un European security Act. Il s’agit de bien faire comprendre à la population française notre souci d’une réponse et d’une réactivité très forte sur ce sujet.
Je voudrais vous remercier également d’avoir accepté de venir désormais régulièrement nous voir après les réunions des conseils européens. Notre première rencontre aura lieu le 17 février à l’Assemblée nationale. Nous sommes à une période cruciale pour l’Europe et la France. Un certain nombre de sujets ont été évoqués tout à l’heure, notamment le plan Juncker. Le Parlement souhaite avoir le maximum de précisions en la matière, afin d’informer les territoires des différentes possibilités de réinjecter des fonds privés adossés à certaines garanties de fonds publics. Il est indispensable que le Parlement serve de relais en la matière.
Autre sujet très important, qui a fait l’objet cet après-midi même d’un engagement de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques : la création d’un groupe de suivi sur le traité transatlantique. Il s’agit d’un traité mixte, qui devra être ratifié par les différents parlements nationaux. Nous devons donc être informés le plus largement possible en vue de cette ratification. C’est un travail qui nous prendra beaucoup de temps. Je souhaite par conséquent que nous ayons des rapports réguliers sur ce sujet, de façon à pouvoir éclairer l’ensemble des sénateurs.
Merci de tout cela, monsieur le secrétaire d’État, et rendez-vous le 17 février. Nous avons besoin de savoir comment se comportera le Gouvernement sur les différents sujets que j’ai abordés tout à l’heure.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 12 et 13 février prochain.
9
Nominations de membres à deux organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires européennes a présenté des candidatures pour la désignation d’un membre titulaire et d’un membre suppléant au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame Mme Nicole Duranton membre titulaire et Mme Gisèle Jourda membre suppléant de cet organisme extraparlementaire.
Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame Mme Catherine Procaccia membre titulaire de la Commission nationale d’agrément des associations représentant les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique et M. Michel Amiel membre suppléant du même organisme.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 5 février 2015 :
De neuf heures à treize heures :
1. Débat sur la politique du logement ;
2. Débat sur la transparence dans le transport aérien.
De quinze heures à quinze heures quarante-cinq :
3. Questions cribles thématiques sur la situation de l’emploi.
De seize heures à vingt heures :
4. Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, autorisant l’accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire (n° 203, 2014-2015) ;
Rapport de Mme Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois (n° 252, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 253, 2014-2015) ;
5. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse (n° 202, 2014-2015) ;
Rapport de M. Philippe Bonnecarrère, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 258, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 259, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART