M. Daniel Reiner. Il ne nous est pas paru nécessaire d’ajouter une commémoration supplémentaire. C’est la raison pour laquelle les membres du groupe auquel j’appartiens sont défavorables à ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue de cette discussion générale, je tiens à formuler quelques brèves remarques.
Le 19 novembre dernier, lorsque la Haute Assemblée a commencé à débattre de cette proposition de loi, j’ai eu l’occasion de m’exprimer en détail. Or nombre des interventions de nos deux journées de débats se sont révélées tout à fait en phase avec la position du Gouvernement.
À l’instar des orateurs des différents groupes, le Gouvernement souscrit bien entendu à la philosophie et à l’inspiration qui ont présidé à l’élaboration de ce texte.
En revanche, il est plus réservé quant aux modalités retenues. Ce constat vient d’être rappelé : plusieurs journées existent déjà, et elles ont été créées, notamment, sur l’initiative de la France.
Le 2 novembre, en mémoire des deux journalistes de Radio France internationale Ghislaine Dupont et Claude Vernon, a été instaurée la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes. La France est, avec d’autres pays, à l’origine de cette décision. Il s’agit, je le souligne, d’une journée internationale, avec toute la force qui s’attache aux manifestations de cette ampleur.
Le 3 mai est la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Les humanitaires, comme les journalistes, sont trop souvent exposés au danger et à la mort. Aussi, dans le monde entier, le 19 août est la journée de l’aide humanitaire.
En conséquence, comme le 19 novembre dernier, le Gouvernement s’en remet, au sujet de cette proposition de loi, à la sagesse de la Haute Assemblée. Je le répète, sur le fond, il adhère totalement à la philosophie qui a inspiré le présent texte : les orateurs qui se sont exprimés aujourd’hui, MM. Gournac, Billout et Reiner l’ont indiqué eux aussi, et je ne doute pas que Mme Aïchi y sera sensible.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
proposition de loi relative à l’instauration d’une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer
Article unique
Le 21 septembre, Journée internationale de la paix décidée le 30 novembre 1981 en vertu de la résolution 36/67 de l'Assemblée générale des Nations unies, il est rendu hommage aux travailleurs humanitaires morts pour la paix et aux journalistes morts pour la liberté d'informer.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son rapport écrit comme lors de la première phase d’examen de la présente proposition de loi, la commission a exposé sa position. La question posée n’est ni juridique ni technique. Elle est en fait politique, au sens noble du terme.
Cette proposition de loi ne crée ni jour férié, ni jour chômé, ni obligation d’organiser, dans les écoles, des manifestations pédagogiques. Sa portée est avant tout symbolique. C’est une des raisons pour lesquelles la commission n’a pas adopté de texte. Fidèle à la tradition de la Haute Assemblée quant à de telles initiatives sénatoriales, elle préfère laisser les groupes politiques prendre position.
Toutefois, les symboles ont leur force : commémorations, hommages, cérémonies structurent la mémoire collective des sociétés autour de valeurs partagées tout en contribuant à un sentiment d’appartenance commune ou à la promotion de nouveaux idéaux. Les gestes comptent, car ils parlent.
Le tribut payé par les travailleurs humanitaires et les journalistes est très lourd, à l’heure où une guerre totale est engagée contre un terrorisme obscurantiste. Les lâches attentats perpétrés le mois dernier à Paris l’ont illustré avec une force renouvelée, de même que l’odieuse exécution d’un journaliste japonais par Daech, acte que je dénonce avec force dans cet hémicycle.
L’analyse consacrée par la commission à l’inflation commémorative, que la commission Kaspi a dénoncée en 2008, reste pourtant valable. Parmi les journées mondiales, je mentionne derechef celles qui sont dédiées à la radio et à la liberté de presse, aux travailleurs humanitaires, sans oublier, naturellement, la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, le 2 novembre, et la Journée internationale de la paix, le 21 septembre.
Pour ces raisons, la commission n’a pas adopté la présente proposition de loi.
Néanmoins, à titre personnel, et au nom de la Haute Assemblée tout entière, je tiens à saluer la générosité de cœur et l’élégance d’esprit de Leïla Aïchi.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme la présidente. Je rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble de la présente proposition de loi.
Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Face à de tels sujets, il faut à mon sens rester très vigilant : si l’on se laisse aller, on finira par compter plus de commémorations que de jours dans l’année ! Dès que survient un problème d’actualité, dès qu’il arrive quoi que ce soit, les uns et les autres proposent une journée de commémoration ou de célébration nationale.
Voilà une vingtaine d’années, le préfet du département dont je suis l’élu a tenté de réduire le nombre de manifestations patriotiques, en les regroupant en une journée annuelle. Mais, en définitive, ce jour est venu allonger la liste de ceux qui existaient déjà, car les autres autorités ont continué à les organiser. Ainsi, les aveugles de guerre font toujours l’objet d’une journée spécifique. Aujourd’hui encore, la Moselle fait face à l’inflation des commémorations.
En toute honnêteté, cela ne me semble pas très raisonnable. On peut toujours, pour se faire plaisir, protester de son bon cœur. Mais il faut également faire preuve d’un peu de bon sens. Or le bon cœur est une chose, le bon sens en est une autre !
Pour ma part, je voterai très clairement contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi, auteur de la proposition de loi. Mes chers collègues, très honnêtement, il me semble que les humanitaires et les journalistes victimes de la barbarie méritaient mieux que trente minutes à Villacoublay…
Je me permets de vous rappeler le texte de l’article unique de la présente proposition de loi : « Le 21 septembre, Journée internationale de la paix, décidée le 30 novembre 1981 en vertu de la résolution 36/67 de l’Assemblée générale des Nations unies, il est rendu hommage aux travailleurs humanitaires morts pour la paix et aux journalistes morts pour la liberté d’informer. »
Ce texte fait involontairement écho aux événements dramatiques qui ont frappé la France en ce début d’année 2015 et qui ont profondément marqué notre pays. Le hasard du calendrier législatif a voulu que nous terminions aujourd’hui l’examen de cette proposition de loi, déposée voilà plus d’un an sur le bureau du Sénat. Je ne m’en réjouis pas, soyez-en sûrs.
Toutefois, la position du Gouvernement et celle des différents groupes politiques dont les orateurs se sont exprimés aujourd’hui me semblent regrettables. Nous nous sommes tous indignés, à raison, au lendemain des attentats. Pourquoi ne pas accorder cette journée, qui ne coûterait rien et qui signifierait beaucoup ?
Personne ne devrait mourir pour ses idées. Personne ne devrait mourir pour avoir voulu informer. Personne ne devrait mourir pour avoir voulu aider. Personne ne devrait mourir pour avoir défendu les valeurs qui sont les nôtres.
À travers ce texte, il s’agit de reconnaître et d’encourager le travail de tous les défenseurs des droits humanitaires et des libertés fondamentales, partout où ils se trouvent.
Gardons à l’esprit que près de 700 travailleurs humanitaires ont été tués entre 1990 et 2000. Entre janvier et novembre 2014, 58 journalistes ont perdu la vie. Nous le savons tous, et nous ne pouvons que nous en attrister, ce chiffre a encore augmenté depuis le début de cette année.
La commission des affaires étrangères a reconnu que cette proposition de loi était un geste symbolique, un acte de sensibilisation et une reconnaissance solennelle.
En ces temps troublés, je vous demande de regarder le monde tel qu’il est aujourd’hui. Il est de notre responsabilité de rendre hommage au courage de celles et ceux qui s’engagent, au quotidien, au service de la démocratie et du respect des droits de l’homme. Ces femmes et ces hommes sont engagés au service de la paix. Tous sont des défenseurs de la démocratie. Tous jouent un rôle central dans l’édification de sociétés moins violentes, en France et dans le monde.
Je conclus en citant un extrait de l’acte constitutif de l’UNESCO ayant inspiré la résolution 36/67 adoptée le 30 novembre 1981 par l’Assemblée générale des Nations unies : « De même que les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevés les défenseurs de la paix. »
Oui, mes chers collègues, c’est bien des défenseurs de la paix qu’il s’agit aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative à l’instauration d’une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 91 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l’adoption | 11 |
Contre | 311 |
Le Sénat n’a pas adopté.
M. Jean-Vincent Placé. Merci à nos collègues de l’UMP !
Mme Christiane Hummel. Nous ne sommes pas seuls à avoir voté contre !
4
Pesticides
Rejet d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de résolution relative à la préservation des insectes pollinisateurs, de l’environnement et de la santé et à un moratoire sur les pesticides de la famille des néonicotinoïdes présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Joël Labbé et plusieurs de ses collègues (proposition n° 643 [2013-2014]).
Dans le débat, la parole est à M. Joël Labbé, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Joël Labbé, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne ferai pas un discours de discussion générale, car je n’aime pas les discours. Je souhaite vous livrer un manifeste. Un manifeste pour le respect de la vie.
Je m’adresse directement à vous, mes chers collègues, car mon rôle, ma responsabilité, c’est de tout faire pour vous convaincre.
Je m’adresse aussi à tous ceux qui sont concernés par le sujet qui nous réunit aujourd’hui, en premier lieu le monde agricole, mais aussi à l’ensemble de cette nombreuse population de citoyennes et de citoyens directement intéressée par ces questions et qui forme une véritable foule sentimentale.
Ce manifeste pour la vie vise tout particulièrement nos jeunes, ces générations nouvelles qui ont soif d’idéal dans un monde qui tangue, ainsi que, bien sûr, les générations futures, en perspective.
Il n’est pas facile de présenter un texte qui dérange autant – je sais que c’est le cas -, qui dérange bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Vous commencez à me connaître : je vais le faire avec toute la force de mes convictions.
Il est pourtant tout simple, ce texte, et ne devrait gêner personne, bien au contraire. Je vous en lis la phrase essentielle, que vous devez connaître par cœur tant elle est simple et soft : « Le Sénat [...] invite le Gouvernement français à agir auprès de l’Union européenne pour une interdiction de toutes les utilisations de ces substances néonicotinoïdes tant que les risques graves pour la santé humaine, animale et l’environnement ne seront pas écartés. »
Sur la forme, c’est non pas une injonction, mais une invitation. En toile de fond, bien sûr, même s’il n’est pas écrit, se trouve le principe de responsabilité, qui est à la base de notre rôle politique, que l’on soit membre du Gouvernement, monsieur le ministre, ou parlementaire, mes chers collègues. Membres de la représentation nationale, ce n’est tout de même pas rien !
Il fallait évoquer ce principe à propos de cette invitation au Gouvernement à bien vouloir relayer auprès de l’Union européenne nos préoccupations concernant cette responsabilité, écho de celles d’une foule importante.
On appelle cela une résolution, ce n’est tout de même pas une révolution ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Michel Le Scouarnec. C’est dommage ! On la fera après.
M. Joël Labbé. Il s’agit pourtant bien d’une toute petite révolution, qui s’inscrit dans la logique de ce qu’Edgar Morin définit si joliment comme étant la « nécessaire métamorphose » de la société, qui inclut une part d’indignation, à laquelle nous invite son complice Stéphane Hessel.
M. François Bonhomme. Quelles références !
M. Joël Labbé. Il ne s’agit donc que d’une simple résolution, d’une invitation.
Après ce préambule nécessaire, venons-en au texte.
Je développerai mon propos en cinq parties : je vous exposerai tout d’abord par quel cheminement j’en suis arrivé là.
Ensuite, je développerai les raisons, scientifiques, agronomiques, environnementales et aussi économiques qui ont motivé cette résolution.
L’aspect essentiel de la santé humaine sera abordé tout à l’heure par ma collègue écologiste Aline Archimbaud, que chacun sait très impliquée sur les questions de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Le point suivant concernera les alternatives, qui ne peuvent se limiter au seul remplacement des substances en cause par des produits de substitution. L’agriculture doit faire sa transition en réintégrant les principes de l’agronomie. Ce que vous appelez « agroécologie », monsieur le ministre, ne peut porter ce nom si l’on persiste dans l’utilisation des néonicotinoïdes.
Puis, j’oserai aborder le spirituel, c’est une question majeure. Oui, le spirituel ! Ce n’est pas habituel en politique, mais je vais tout de même le faire, en sénateur inhabituel, improbable et imprévisible.
Mme Esther Benbassa. Ah oui !
M. Joël Labbé. Enfin, je vous parlerai de politique, unique raison de notre présence dans cette enceinte. Je vous expliquerai comment je vois la politique, comment je la vis, comment je la souhaite : une politique qui rime avec éthique.
Je n’oublie pas l’objectif : dénoncer les abominables criminels que sont les pesticides néonicotinoïdes. Oui, vous avez bien entendu : criminels ! Je développerai ce point et cette accusation ultérieurement.
Par quel cheminement en suis-je arrivé là ?
Après trente-sept ans d’une vie d’élu local très heureuse et très riche, alors que je n’ai jamais eu de projet de carrière politique et n’en ai toujours pas, j’ai pris le risque d’être candidat aux élections sénatoriales de 2011.
Ayant été élu avec surprise, de manière inattendue, je siège dans cet hémicycle depuis trois ans en qualité de sénateur du Morbihan et, comme nul n’est parfait, sur les travées écologistes. (Sourires.) Je suis heureux et fier d’être membre de ce groupe.
Dès mon arrivée en immersion dans cette majestueuse maison qu’est le Palais du Luxembourg, j’ai intégré la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement. Initialement, l’objet de la mission était donc double et incluait l’incidence de ces produits sur la santé humaine et sur l’environnement. Le volet consacré à la santé humaine a cependant été si lourd, que, en sept mois de travail, nous avons été contraints de nous en contenter. Il faudrait d’ailleurs étudier la suite à donner à ce travail.
Cette mission avait vu le jour sur l’initiative de Nicole Bonnefoy, sénatrice de Charente, qui en était la rapporteur, et était brillamment présidée par Sophie Primas, membre de l’UMP. Cette équipe pluri-politique a particulièrement bien travaillé en commun.
Lors de cette première mission, j’ai pu me rendre compte de la richesse du travail de notre assemblée hors les murs qui doit annoncer des suites législatives dans ses murs.
Comme tous les participants, j’ai été particulièrement touché par les propos de spécialistes : le professeur Charles Sultan, pédiatre endocrinologue à Montpellier, est spécialisé dans les questions de puberté précoce ; le professeur Rémi Besson est chirurgien au CHU de Lille, et, face à leur augmentation, il s’est spécialisé dans les malformations génitales des nouveau-nés masculins ; le docteur Nadine Houédé est spécialiste du cancer de la vessie. Il est avéré que, à l’origine de ces pathologies, on trouve les pesticides.
Près de la moitié des cent neuf recommandations que la mission a votées à l’unanimité ont déjà été adoptées par les ministères concernés. Les autres sont intégrées au fur et à mesure dans les projets de loi, dont la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, monsieur le ministre, ou font l’objet de propositions de loi d’initiative parlementaire.
J’en ai fait l’expérience en élaborant la proposition de loi visant à interdire l’usage des pesticides sur les espaces publics des collectivités à partir de 2020 et dans les jardins domestiques dès 2022. Celle-ci a été adoptée au mois de février 2014. Ce n’était pour moi qu’une étape : je ne cherche pas à inscrire mon nom au bas d’une loi.
Cela étant, comme je m’intéresse tout particulièrement aux domaines agricole et alimentaire, j’organise chaque année un colloque au Sénat. Le thème de celui qui a été mis en place au printemps 2013, juste avant l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, était l’agroécologie, ce que doit être l’agroécologie.
Le 5 juin 2014, le colloque que j’organisais en lien étroit avec l’UNAF, l’Union nationale de l’apiculture française, s’intitulait : « Pour une agriculture respectueuse des pollinisateurs. » À cette occasion étaient réunis un certain nombre d’experts et de chercheurs internationaux, de professionnels de l’apiculture, d’acteurs associatifs et de parlementaires. L’ensemble des intervenants avaient estimé que l’usage des néonicotinoïdes avait une incidence avérée sur le déclin des colonies d’abeilles.
« Les preuves sont très claires. Nous sommes face à une menace qui pèse sur la productivité de notre milieu naturel et agricole. Il convient de planifier leur suppression progressive à l’échelle mondiale. » Ainsi, s’exprime le Britannique Dave Goulson, biologiste et apidologue de l’université du Sussex.
C’est à la suite de ce colloque que j’ai déposé le 19 juin dernier, sur le bureau de la Haute Assemblée, la présente proposition de résolution. Simultanément, le député de Dordogne Germinal Peiro, rapporteur du projet de loi d’avenir pour l’agriculture précité, déposait un texte identique à l'Assemblée nationale.
Quelques jours après étaient publiées les conclusions d’une méta-étude reprenant l’ensemble de la littérature scientifique de quinze pays sur les néonicotinoïdes.
Cette étude transversale, réalisée par la Task force on systemic pesticides, visait à examiner les causes potentielles du déclin des insectes depuis les années cinquante. Ce travail gigantesque mené par vingt-neuf chercheurs, dont Dave Goulson et le Français Jean-Marc Bonmatin, chercheur en biophysique moléculaire au CNRS d’Orléans, a révélé un effondrement massif du nombre de certaines espèces d’insectes, bien au-delà des seuls pollinisateurs, à partir du début des années quatre-vingt-dix. Ce phénomène a commencé en Europe de l’Ouest, avant de s’étendre rapidement à l’est et au sud.
En tant que scientifiques indépendants, sans aucun a priori, ces professionnels ont découvert que l’effondrement de ces populations coïncide avec l’introduction des pesticides systémiques, persistants et neurotoxiques de la famille des néonicotinoïdes.
M. Ronan Dantec. Absolument !
M. Joël Labbé. L’étude démontre que ces néonicotinoïdes touchent également les oiseaux insectivores communs, qui accumulent des doses importantes de ces produits à la toxicité extrêmement forte. Ces pesticides ont aussi une incidence sur les petits mammifères qui se retrouvent exposés à cause, d’une part, de leur proximité avec les cultures et, d’autre part, de l’ingestion de graines enrobées et de plantes traitées. Mais c’est également l’ensemble de la faune et de la microfaune du sol agricole qui est concerné.
En première ligne, sont affectés les vers de terre, qui sont exposés à des niveaux élevés via le sol et les plantes. Vous le savez bien, monsieur le ministre, vous qui leur avez rendu un vibrant hommage lors de la troisième conférence environnementale. Celui que vous avez nommé votre « camarade », le ver de terre, est l’un des plus grands marqueurs de la bonne santé des sols et de la biodiversité.
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Joël Labbé. Vous avez déclaré : « Trois tonnes de vers à l’hectare, ça vous remue 280 tonnes de terre. »
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Plus !
M. Joël Labbé. « Pendant ce temps-là, vous n’avez pas besoin de labourer », avez-vous ajouté. C’est vrai ! Or l’étude montre que les vers de terre sont en première ligne de cet empoisonnement généralisé.
Pourtant, quand on a des camarades – moi, mes camarades, je les appelle mes « potes » ! –, de bons camarades, ou de bons potes, on fait tout pour qu’ils ne soient pas empoisonnés.
À propos du travail du sol, la taupe, qui a mauvaise réputation – et pourtant ! –,…
Mme Aline Archimbaud. Ah oui !
M. Joël Labbé. … véritable mineur de fond des sols, joue, elle aussi, un rôle essentiel dans la vie des sols.
Pour l’instant, je n’ai rien lu au sujet de la disparition des taupes, mais je sais que les vers de terre constituent 80 % de sa nourriture. Les taupes sont donc, elles aussi, forcément touchées. Tout cela donne le vertige, monsieur le ministre !
Le sol, la vie même du sol, est mis à mal. Lors d’un colloque organisé à la fin de l’année dernière à l'Assemblée nationale à l’occasion de la Journée mondiale des sols, on a pu constater à quel point les sols avaient perdu de leur fertilité à l’échelle mondiale.
On parle de la qualité de l’eau, qui, on le sait, va mal. On parle aussi de la qualité de l’air qui, on le sait, va mal. Mais on oublie la qualité du sol qui va très mal. Aussi, il va falloir faire quelque chose, et de manière globale. Sinon, dans quel état allons-nous laisser cette terre pourtant nourricière qu’est le sol ?
Lors de la journée mondiale précitée, j’ai entendu cette superbe formule : « La vie fait le sol … et le sol fait la vie. » Alors, faisons en sorte que cesse le massacre !
Je n’ai pas le temps d’évoquer la conférence internationale sur le climat, mais je tiens à dire que la fixation du carbone dans les sols ne peut se faire qu’à condition de maintenir ceux-ci vivants. Il faut donc arrêter de les empoisonner.
Je pèse mes mots, et j’accuse !
Enfin, s’il était encore besoin d’en rajouter à ce plaidoyer à charge, je rappelle que plusieurs espèces d’invertébrés aquatiques sont également touchées.
Voilà pour les études, monsieur le ministre. On peut encore en commander des tonnes. Mais dans quel but ? Attendre ? Attendre toujours et encore ?...
Bien sûr, il serait difficile de croire que tout se passe silencieusement, sans aucune incidence sur la santé humaine ; ma collègue Aline Archimbaud évoquera cette question ultérieurement.
Pour ma part, j’en viens maintenant aux motivations économiques de la présente proposition de résolution.
En ces temps difficiles que traverse notre économie, on entend dire : « l’environnement, les petites bêtes et les petites fleurs, c’est bien joli, mais il faut nourrir les populations de la planète et penser à l’emploi ! » C’est le grand discours classique que tient ce qu’on dénomme la « profession », en particulier son grand maître incontesté et incontournable, que certains appellent le « ministre de l’agriculture bis » ! – ça ne me plairait pas, monsieur le ministre ! – et, bien sûr, les firmes regroupées derrière l’UIPP, l’Union des industries de la protection des plantes, dont certains représentants sont peut-être dans les tribunes. Mais quelle protection des plantes, quelle protection des sols, quelle protection de la vie apportent-ils ?
Pourtant, pour parler économie, la valeur économique de la pollinisation a été estimée à 153 milliards d’euros par an. La seule Europe affiche un déficit de 13,4 millions de colonies d’abeilles. En France, comme en Allemagne, moins de 50 % des colonies nécessaires à la pollinisation sont encore présentes.
Pour ce qui concerne la valeur économique que représente la vie du sol agricole, celle qui fait sa fertilité renouvelable, à l’infini si on la respecte, elle est inestimable, même si je ne dispose pas encore des chiffres : à terme, elle sera équivalente au poids économique de l’ensemble de l’agriculture mondiale. N’allez pas imaginer que l’on pourra nourrir la planète en 2050 en se passant du sol : ce serait une folie !
À la fin de l’année dernière, de cette tribune, je vous avais fait une proposition cash, un peu à la volée, monsieur le ministre : faire réaliser une étude complète et chiffrée mesurant précisément – écoutez bien et notez-le ! – les coûts des externalités négatives de l’agriculture productiviste et les bénéfices chiffrés en termes de services rendus par les aménités apportées par les agricultures alternatives, notamment, l’agriculture biologique, dont on parle beaucoup trop peu.
M. Jean-Vincent Placé. Exactement !
M. Joël Labbé. Aujourd’hui, je vous le demande solennellement du haut de cette même tribune ! La population française, mais également européenne, doit pouvoir choisir l’agriculture qu’elle souhaite voir développer pour la soutenir, en vue de permettre la véritable transition tant attendue.
Je dirai maintenant quelques mots du nouveau plan Écophyto. Même si de petites choses sont bonnes, le premier plan est une catastrophe. Il s’agit d’un acte manqué. Quoi qu’il en soit, de bonnes intentions président à l’élaboration du deuxième plan. Mais si nous ne sommes pas aujourd'hui capables d’envoyer un premier signe en adoptant cette proposition de résolution, nous nous placerions déjà dans le renoncement !
Je retiendrai la citation d’André Pochon,…