M. le président. Mes chers collègues, avec l’accord de tous les groupes, je vous propose d’aller au-delà de l’espace réservé au groupe socialiste, sans que ce léger dépassement soit regardé comme un précédent, car nous croyons tous essentiel d’entendre la réponse du ministre.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite d’avoir la possibilité de vous répondre et de vous exposer la position du Gouvernement sur la situation actuelle de la France au sein de l’Europe, qui est la zone dans laquelle nous avons choisi, d’un commun accord, de développer nos possibilités et de concevoir notre avenir.
Cher Richard Yung, je vous remercie d’avoir souhaité ce débat, qui se situe au cœur de l’actualité avec, d’une part, les difficultés que nous connaissons en France et en Europe, et, d’autre part, les discussions en cours au niveau européen. Ces dernières doivent déboucher, vers la fin du mois de décembre, sur des propositions dynamiques et efficaces – c'est du moins l’espoir que nous nourrissons tous.
En effet, l'Europe fait face à un risque économique majeur. Il ne s’agit plus de la crise des marchés financiers que nous avons connue en 2008, ni de celle des dettes souveraines et de la zone euro que nous avons affrontée à partir de 2010.
Non, nous faisons face ici à une autre menace, menace que peu d’observateurs avaient anticipée jusqu’à ces derniers mois, et qui est pourtant bien là : je veux parler d’une croissance beaucoup trop faible, couplée à une inflation elle-même beaucoup trop faible, et du risque que cette situation ne s’installe dans une durée beaucoup trop longue. Cela aurait des effets désastreux, avec un chômage qui s’enracinerait – ici comme ailleurs – et un tissu économique et social qui continuerait à se déliter.
On cite souvent le Japon, qui, entré dans une spirale de ce type dans les années quatre-vingt-dix, a beaucoup de peine à en sortir – je dirais même qu’il n'en sort toujours pas. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
L’Europe devra-t-elle subir le même sort ? Faut-il seulement accepter qu’elle en coure le risque ? Évidemment, la réponse est non ! Car la première leçon de l’expérience japonaise, c’est que, au moment où l’on se rend compte de cette situation, il est déjà trop tard. Il nous faut donc agir immédiatement – il y a urgence ! – pour éviter de tomber dans cette spirale, en utilisant tous les leviers dont nous-mêmes et l'Europe disposons.
C’est une réponse en cinq axes que la France appelle de ses vœux, une réponse cohérente pour permettre à l’Europe de sortir par le haut de la crise actuelle : la politique monétaire doit être accommodante ; la politique budgétaire doit assurer la poursuite du redressement budgétaire sans étouffer la croissance ; les réformes de structure doivent nous permettre d’augmenter nos perspectives de croissance à moyen terme ; le plan d’investissement européen est appelé à constituer une réponse à court terme mais aussi à moyen terme ; enfin, comme cela vient d'être souligné, il nous revient de tracer un cadre européen rénové au vu des enseignements du passé.
Premier axe, la politique monétaire : avec un taux de 0,4 % en octobre, l’inflation en zone euro s’inscrit durablement dans une dynamique très inférieure à la cible de 2 % fixée par la Banque centrale européenne, et elle ne devrait pas approcher cet objectif avant 2017.
Beaucoup d’entre vous l’ont rappelé, la Banque centrale européenne, prenant la mesure de la situation, a annoncé en juin et en septembre des mesures sans précédent, avec de nouveaux achats d’actifs et une nouvelle séquence de prêts ciblés aux banques. Si ces annonces ont largement contribué à la détente du cours de l’euro depuis l’été, leur mise en œuvre n’agira que graduellement sur l’inflation et l’offre de crédits.
Deuxième axe, la politique budgétaire : la défiance des investisseurs au cœur de la crise des dettes souveraines a conduit les États à se lancer à partir de 2010 dans une consolidation massive et prolongée de leurs finances publiques. Si nécessaire qu’elle ait été pour restaurer la confiance et éviter la dislocation de la zone euro, cette opération – en particulier son caractère simultané dans la plupart des pays – a lourdement pesé sur la croissance. La Commission européenne l’a elle-même reconnu en évaluant la perte d’activité résultant de trois années de consolidation simultanée des comptes publics, de 2010 à 2013, entre 3 % et 8 % du PIB selon les États, avec 5 % pour la France.
Nous devons bien sûr poursuivre l’assainissement de nos finances publiques. Mais nous devons aussi éviter que le spectre d’une « troisième crise », conjonction d’une période prolongée de faible croissance et d’une inflation anormalement basse, ne se matérialise. À Brisbane, le week-end dernier, nos partenaires du G20 nous ont appelés à réagir, et Jack Lew, le ministre des finances américain, s’est publiquement inquiété du risque d’une « décennie perdue » en Europe.
La réponse réside dans une application intelligente de nos règles, en usant de leur flexibilité, qui assure justement leur adéquation à des situations variées et contribue donc à leur crédibilité.
Au-delà de ces enjeux de très court terme, il nous faut donc adapter le cadre de gouvernance budgétaire, notre logiciel commun, qui ne doit plus être le logiciel de prévention du risque d’éclatement de la zone euro, mais un logiciel garant d’une croissance durablement équilibrée.
J’en viens au troisième axe, ce levier absolument indispensable que constituent les réformes de structure. Sous ce vocable, je ne désigne pas je ne sais quelles injonctions néolibérales : j’entends parler ici de réformes en profondeur des mécanismes de l’économie afin d’augmenter les possibilités de croissance pour l’avenir.
M. François Marc. Très bien !
M. Michel Sapin, ministre. Certains d’entre vous ont cité, à juste titre, l’accord national interprofessionnel sur l’emploi de 2012. Transcrit dans une loi, il constitue une réforme de structure évidente. (Marques de scepticisme sur quelques travées de l'UMP.)
Ces réformes de structure sont, elles aussi, discutées entre Européens – et elles doivent l’être. Mais nous devons accorder autant d’attention à ce que nous faisons pour créer les conditions d’une croissance plus forte qu’à ce que nous faisons aujourd'hui pour réduire nos déficits.
M. François Marc. Très bien ! !
M. Michel Sapin, ministre. Une monnaie commune crée des interdépendances et des intérêts communs. C’est vrai en matière budgétaire, certes, mais c’est tout aussi vrai des autres politiques économiques.
Je souhaite donc qu’il y ait plus de discussions et de coordination sur les orientations politiques des réformes, sur leur mise en œuvre effective et sur l’évaluation de leur impact, et ce pour chaque pays ainsi que pour la zone euro dans son ensemble. Pour prendre un exemple, le mois dernier, l’OCDE a estimé que les réformes déjà engagées ou annoncées en France pourraient permettre, sur dix ans, une augmentation de la croissance potentielle – c’est-à-dire, la croissance de demain – de l’ordre de 0,4 point de PIB par an.
Les réformes que nous menons sont aussi essentielles que les améliorations budgétaires. Il faut d’ailleurs que la Commission, lorsqu’elle quantifie les efforts budgétaires recommandés à chaque pays, prenne non seulement en compte les effets de l’inflation et de la croissance, mais aussi, pour évaluer le potentiel de croissance, l’impact réel des réformes de structure.
Quatrième axe, le plan européen d’investissement dit « plan Juncker ». On constate aujourd’hui un manque cruel d’investissements en Europe. Que chacun garde bien ce chiffre en tête : aujourd'hui, dans la zone euro, l’investissement public et privé est inférieur de 16 % à ce qu’il était en 2007, avant la crise. Dans de nombreux pays – bien entendu en France, mais aussi en Allemagne –, la faiblesse de l’investissement est l’un des principaux éléments expliquant la faiblesse de la croissance et de la demande. C’est une menace non seulement immédiate, pour la croissance d’aujourd’hui, mais aussi différée, pour les perspectives de croissance de demain.
L’investissement, c’est en quelque sorte ce qui réconcilie offre et demande, ce qui réconcilie court terme et long terme. Le plan Juncker doit comporter un volet à court terme comprenant des projets qui puissent démarrer tout de suite, dès 2015. Mais, pour l’essentiel, les effets de ce plan ne se feront sentir que sur le moyen terme. Nous souhaitons que soient prioritairement concernés des secteurs aussi cruciaux et porteurs de croissance que, par exemple, l'économie numérique, les infrastructures énergétiques, les infrastructures de transport – là où elles peuvent encore manquer –, la transition énergétique, le tout en portant une attention toute particulière au tissu des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire.
Concernant le volet financier de ce plan d’investissement, une articulation doit être trouvée entre financements publics et financements privés. Il ne faut pas les opposer, bien au contraire : l’intervention publique doit débloquer des projets, attirer des capitaux privés en prenant une part du risque et donner une perspective de temps plus long, quand les investisseurs privés sont parfois affectés d’une certaine myopie.
Pour cela, il ne faudra pas oublier de recourir à des actions de nature réglementaire.
Mais il est aussi besoin de ressources publiques, et, pour une initiative réellement ambitieuse, il sera nécessaire d’en mobiliser de nouvelles. Il faudra mieux utiliser le budget européen, les fonds structurels, mais je suis favorable à une réflexion sur l’utilisation d’autres outils de l’Union européenne dotés d’une capacité d’emprunt.
J’en arrive, enfin, au cinquième axe : nous devons nous placer dans des perspectives d’intégration pour donner cet avenir, ce devenir politique nécessaire à l'Europe que nous voulons.
Notre projet, certes, c'est l'Europe. Ce n’est pas seulement une question de projet politique, c'est aussi un enjeu économique de court terme : tracer une perspective pour le projet européen, c'est contribuer à redonner confiance dans ce projet, et donc à soutenir la reprise.
À cet égard, je souhaiterais insister sur l’existence de deux chantiers immédiats pour la nouvelle Commission européenne.
Le premier chantier concerne l’harmonisation fiscale. (M. Richard Yung acquiesce.) Vous savez que j’ai l’ambition, d’ici à la fin de l’année, de franchir une première étape pour la taxe sur les transactions financières européenne. Cette dernière sera non seulement un outil de lutte contre la spéculation, mais aussi la preuve qu’en matière fiscale des avancées, des coopérations renforcées sont possibles, malgré, par ailleurs, la règle dite « de l’unanimité ».
M. François Marc. Il y a en effet le Luxembourg…
M. Michel Sapin, ministre. Je fais confiance à la nouvelle Commission européenne pour porter cette ambition.
Un premier travail doit être lancé tout de suite, celui de la lutte contre l’optimisation fiscale des entreprises. À cet égard, je voudrais que la Commission formule très rapidement des propositions pour intégrer dans la législation de l'Union européenne l’ensemble des principes de l’agenda de travail de l’OCDE portant sur le sujet, connu sous l’acronyme « BEPS », pour base erosion and profit shifting, que ce soit en matière de transparence, d’imposition minimale des entreprises ou de pratiques dommageables.
Le second chantier est celui de l’intégration dans le secteur financier, avec l’union des marchés de capitaux, qui entraînera également une indispensable harmonisation fiscale.
Monsieur le président, en conclusion, et pour respecter les termes de notre contrat (Sourires.), je voudrais rappeler que notre politique économique est cohérente avec notre vision européenne. Contrairement au procès que certains ont voulu nous faire, il ne s’agit pas de demander à l’Europe plus de souplesse pour parer à une quelconque insuffisance des efforts nationaux, singulièrement en France. Nous avons trouvé des déficits creusés, et nous les réduisons. Depuis 2013, nous faisons ralentir la dépense publique comme cela ne s'est jamais vu en quinze ans. Enfin, nous menons des réformes que d’autres n’ont pas menées en dix ans, notamment pour restaurer la compétitivité de nos entreprises.
Mais nous devons être lucides sur la croissance européenne et sur les risques. Il est de notre responsabilité collective, aujourd’hui, d’appeler à une mobilisation de l’ensemble des leviers de croissance. Cela passe par une politique monétaire accommodante, une adaptation du rythme de consolidation budgétaire, un plan d’investissement ambitieux et des réformes qui assureront la croissance de demain. C’est ce que j’appelle, monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, prendre nos responsabilités, pour la France et pour l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’action de la France pour la relance économique de la zone euro.
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Prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote
Discussion d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles (proposition n° 802 rectifié [2013-2014], résultat des travaux de la commission n° 89, rapport n° 88, avis n° 85).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Aline Archimbaud, auteur de la proposition de loi.
Mme Aline Archimbaud, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, la mobilité est aujourd'hui un droit à protéger, un besoin presque aussi primordial que de se nourrir ou d’avoir un toit, mais elle ne doit pas se faire à n’importe quel prix, et surtout pas au prix de notre santé et de celle de nos enfants. S’il y a plusieurs manières de circuler ou de concevoir un moteur, il n’y a qu’une façon de respirer !
Notre groupe vous donc a proposé au printemps dernier une proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé. Je remercie celles et ceux d’entre vous qui ont activement pris part au débat auquel elle a donné lieu en commission et celles et ceux qui nous ont sollicités et nous ont fait part de leurs remarques, toujours constructives. Ces éléments m’ont amenée à déposer en septembre une nouvelle version du texte, retravaillée à la lumière de nos échanges et de ceux que j’ai pu avoir avec les différents acteurs du secteur.
C’est cette nouvelle version de la proposition de loi que nous examinons ce soir, relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote, ou NOx, et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles. Le dispositif a été largement revu. En outre, toujours dans le souci de prendre en compte vos remarques, j’ai déposé deux amendements supplémentaires, visant respectivement l’article 1er, qu’il s’agit de réécrire complètement, et l’article 3 ; j’aurai l’occasion de vous les détailler dans la suite de mon propos.
Tout cela prouve bien, s’il en était besoin, que notre groupe n’est ni obtus ni intransigeant. Nous sommes au contraire à l’écoute et prêts à accepter les remarques et les propositions, pourvu qu’on aille dans le bon sens. Notre objectif à tous est un objectif de fin et non de moyens. Ce qui nous importe, au bout du compte, n’est pas de nous arc-bouter sur notre idée initiale, mais de lutter contre le drame sanitaire des particules fines émises notamment par les moteurs diesel.
Le long combat des écologistes, dans toute leur diversité, contre la pollution de l’air, a donné et donne encore parfois lieu à un débat très animé.
Longtemps, ce débat a tourné autour de la question de savoir si le diesel était ou non dangereux. En 1988, les gaz d’échappement des moteurs diesel n’étaient classés que comme des « cancérigènes probables » par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS ; il n’y avait pas de certitude. Cependant, en juin 2012, le Centre international de recherche sur le cancer – une agence de l’OMS chargée d’évaluer les substances cancérigènes pour l’homme qu’elle classe en cinq catégories – a rangé les particules fines dans la première catégorie, celle qui regroupe les substances les plus dangereuses et dont il est prouvé qu’elles sont des « cancérigènes certains » pour l’homme.
La seule incertitude porte désormais, hélas, sur le nombre de morts prématurées que causent chaque année les particules fines. Des études – encore trop peu nombreuses – ont été réalisées. Le nombre annuel de morts prématurées en France serait compris entre 15 000, selon le résultat, que l’on sait sous-estimé, de l’Institut de veille sanitaire, et 42 000, selon l’autre résultat, que l’on sait surestimé, de la Commission européenne ; ces deux études ont été publiées en 2012. Même s’il n’y avait « que » 15 000 morts prématurées par an, cela représenterait quatre fois le nombre de morts sur la route, qui s’élève à environ 3 600. C’est énorme !
Reconnus responsables de cancers du poumon par l’OMS, les gaz d’échappement des moteurs diesel sont également à l’origine d’autres pathologies pulmonaires, comme certaines formes très sévères d’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive, la BPCO. C’est que les particules entrent dans les poumons, et, plus elles sont fines, plus elles pénètrent profondément… Les particules très fines peuvent également passer à travers la paroi des bronches et entraver la circulation sanguine, ce qui favorise les accidents cardiovasculaires.
L’argument principal des partisans du diesel est que, après tout, les moteurs diesel ne sont pas les seuls à émettre des particules fines ; ils ne mériteraient donc pas cette forme d’acharnement. C’est vrai, la combustion du diesel n’est pas la seule source de production de particules fines : le chauffage, les industries et l’agriculture en produisent également ; il faudra que les politiques publiques se mobilisent contre ces sources de pollution de l’air.
Néanmoins, dans les grandes agglomérations, la part du trafic routier dans l’émission des particules fines est prépondérante ; les études sont convergentes en la matière. Toutes les mesures de qualité de l’air démontrent d'ailleurs que les niveaux de pollution augmentent à mesure que l’on se rapproche des axes de circulation. En Île-de-France, 51 % des émissions de particules fines sont imputables au trafic automobile. D’autres études internationales établissent clairement et objectivement cette corrélation.
On nous a rétorqué que le respect des normes européennes nous protégeait. Oui, il devrait nous protéger. L’Union européenne a fixé une valeur limite de 50 milligrammes de particules fines par mètre cube d’air, qui ne doit pas être dépassée plus de trente-cinq jours par an. Cependant, la réalité, c’est que trois millions de Franciliens, par exemple, habitent dans des zones où il n’est pas rare de dépasser cette valeur limite plus de deux cents jours par an. Or – les médecins nous alertent à ce sujet – ce ne sont pas seulement les pics de pollution qui posent problème, mais aussi, et peut-être même plus encore, les longues périodes durant lesquelles ce que l’on appelle la « pollution de fond » dépasse la valeur limite.
En France, quinze zones, dont douze agglomérations de plus de 100 000 habitants, seraient ainsi exposées à des dépassements réguliers de la valeur limite, ce qui vaut à la France d’encourir une amende importante dans le cadre de poursuites engagées par la Commission européenne. L’étude la plus récente – l’étude Aphekom – a conclu à une diminution de 3,6 à 7,5 mois de l’espérance de vie à 30 ans pour les habitants des grandes villes françaises concernées.
Récemment, un nouvel argument est apparu : tous ces constats seraient fondés, mais, heureusement, grâce aux filtres à particules dont sont équipés les nouveaux véhicules diesel, le problème n’en serait plus un.
Certes, un véhicule équipé d’un filtre diffuse moins de particules que s’il n’en avait pas, mais l’argumentation des constructeurs, qui vont parfois jusqu’à affirmer que le problème des particules est désormais réglé en raison de l’efficacité des filtres, est totalement fallacieuse.
D’abord, s’ils émettent moins de particules, les véhicules dotés de filtres émettent en revanche davantage de NOx, qui sont tout aussi nocifs.
Ensuite, de plus en plus de spécialistes s’accordent à dire que les cycles de conduite qui servent de référence aux tests d’homologation des véhicules ne sont absolument pas représentatifs des conditions réelles de circulation et ne permettent donc pas du tout de rendre compte de la réalité des émissions polluantes.
Enfin, les filtres n’arrêtent pas les particules les plus fines, qui sont aussi les plus dangereuses au plan sanitaire, car elles pénètrent plus profondément dans les tissus, ni les composés organiques volatils, qui, une fois dans l’air, s’agglomèrent pour reformer des particules fines secondaires, que les tests d’homologation ne prennent pas en compte, puisque la reformation a lieu plusieurs mètres derrière le véhicule.
À cet égard, et il faut en prendre conscience, la méthodologie des tests d’émission est une question centrale : on ne peut trouver que ce que l’on cherche ! Si les tests sont conçus pour ne pas mesurer la pollution aux endroits et dans les conditions où l’on trouve les polluants, il devient aisé de prétendre que le diesel ne pollue pas !
On voit bien qu’il y a un important travail de recherche technique à réaliser pour objectiver les phénomènes et s’assurer que la définition des normes et des méthodes de mesure concoure à révéler la pollution, et non à l’escamoter.
La vraie question, c’est de savoir qui est chargé de la recherche. Lors de nos auditions, nous nous sommes rendu compte que, pour l’instant, ce sont tout simplement les constructeurs automobiles eux-mêmes et leurs sous-traitants...
Mes chers collègues, je vous invite à aller sur le site de l’Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle, l’UTAC, qui se définit elle-même comme le partenaire privilégié des industriels tournés vers la compétitivité. On peut, par exemple, lire que cette entreprise, l’une des rares références techniques en la matière, participe par ailleurs activement à l’élaboration et à l’évolution des règlementations nationales et internationales applicables aux véhicules en matière d’émissions polluantes !
On voit bien qu’il y a là un problème à régler. Face à un problème sanitaire extrêmement préoccupant, un véritable scandale, la seule expertise disponible est directement liée aux industriels. Les pouvoirs publics n’ont en effet pas encore développé de recherche indépendante dans ce domaine. Il n’est cependant pas possible d’être à la fois juge et partie. L’article 2 de la proposition de loi vise à remédier à cette situation.
Une autre critique nous est parfois adressée : nous en voudrions aux classes populaires, auxquelles le diesel procurerait une solution bon marché pour se déplacer. En réalité, contrairement à ce que beaucoup pensent, les moteurs diesel sont plus chers à l’achat et à l’entretien, et ne deviennent rentables qu’après de très longues distances, dans la mesure où le carburant est subventionné. En outre, si le prix du diesel à la pompe est plus bas que celui de l’essence, c’est au prix d’un artifice, grâce à une niche fiscale qui coûte 7 milliards d’euros par an aux contribuables, donc aux ménages.
Certains nous accusent également de faire de l’écologie « punitive ». C’est une curieuse tournure d’esprit : en l’espèce, c’est manifestement l’absence d’écologie qui est punitive !
Punitive, elle l’est d'abord – ce point n’est pas suffisamment souligné – pour les professionnels surexposés, ceux qui conduisent des véhicules ou ont à intervenir dessus – garagistes, mécaniciens, commerciaux, transporteurs… –, ceux qui utilisent ces engins dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, de l’industrie et de l’agriculture, ou encore ceux qui travaillent sur la voie publique, aux péages et dans les parkings.
Punitive, elle l’est également pour les personnes âgées, dont la capacité respiratoire est diminuée, ainsi que pour les enfants. Parlez-en à Jocelyne Just, professeur de pédiatrie spécialisée en pneumo-allergologie et chef de service en allergologie au Centre de l’asthme et des allergies de l’enfant de l’hôpital Trousseau, qui m’a autorisée à citer son nom. Elle m’a chargée de vous dire qu’elle espère que nous répondrons à son alerte, qui est partagée par nombre de ses collègues.
Ce professeur constate en effet que les enfants sont particulièrement victimes de la pollution aux particules fines. De nombreuses études internationales récentes – je pourrais vous en donner la liste – montrent notamment que c’est pour les enfants de moins de trois ans que la situation est la plus critique. Ces enfants sont en effet particulièrement exposés : non seulement ils sont plus près du sol, et donc des tuyaux d’échappement, et respirent plus vite, mais, en outre, leurs alvéoles pulmonaires sont encore en développement.
Jocelyne Just observe également un développement préoccupant de maladies chroniques très graves, avec des enfants marqués à vie – elle insiste sur ce point. Son service a été débordé de façon stupéfiante lors du pic de pollution de mars 2014, mais c’est toute l’année que son équipe soigne des troubles de plus en plus nombreux et de plus en plus graves.
Mes chers collègues, est-il punitif de s’indigner du fait que le risque de faire de l’asthme soit accru de 20 % pour les enfants vivant près des axes routiers ? Est-il punitif de s’indigner du fait que ce soient souvent les plus modestes qui habitent près des grands axes de circulation, qui sont aussi les plus pollués ? Des études ont établi des corrélations ; il faut maintenant avancer.
On nous oppose également des arguments financiers et économiques. Il faut y répondre tout aussi sérieusement. Le choix du diesel – la France possède un des parcs les plus « diésélisés » du monde, puisque deux tiers de nos véhicules immatriculés fonctionnent au diesel – coûte très cher à nos finances publiques. Peut-être serez-vous sensible à cet argument, monsieur le secrétaire d'État chargé du budget.
J’ai déjà évoqué la niche fiscale de sept milliards d’euros par an. Le choix du diesel nous oblige également à importer une grande quantité de ce carburant, que nous ne pouvons pas raffiner en quantité suffisante. Lorsqu’elle était ministre de l’écologie, Delphine Batho estimait à 13 milliards d’euros par an l’impact de l’importation de gasoil sur le déficit de la balance commerciale. Enfin, les coûts induits sur la santé sont faramineux : selon un rapport du Commissariat général au développement durable de juillet 2012, les pathologies liées à la pollution de l’air coûteraient entre 20 et 30 milliards d’euros par an à la société.
Ce sont donc plusieurs dizaines de milliards d’euros d’argent public qui sont engloutis chaque année par la filière diesel. Vous m’accorderez, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que l’on est plus proche d’une filière sous perfusion que d’une filière d’excellence !
La part du diesel baisse en France et en Europe. Tous les observateurs considèrent que cette baisse est tendancielle, puisqu’elle est principalement due au renchérissement du coût des motorisations et du carburant diesel ainsi qu’aux progrès des véhicules essence en matière de consommation. Comment imaginer que les constructeurs français, dont 60 % des véhicules à destination de l’Europe fonctionnent au diesel, pourront se tirer de cette situation, alors que cette part se situe entre 40 % et 50 % pour d’autres constructeurs européens ?
Il est donc temps, nous semble-t-il, d’investir de l’argent public pour aider les industriels à accomplir une véritable mutation en vue de la réalisation de véhicules plus sobres et moins polluants. Tout le monde y gagnerait.
Finalement, vous l’aurez compris, la question n’est plus tant de savoir si et quand nous devons agir, mais comment nous devons agir maintenant.
Je vous le dis d’emblée, ce texte n’est pas parfait, notamment parce que l’initiative parlementaire est encadrée. Ainsi, nous n’avons pas la possibilité, en tant que parlementaires, de proposer la création d’un fonds pour aider financièrement les personnes, souvent d’origine modeste, propriétaires de vieux véhicules diesel, les plus polluants, à remplacer leur véhicule par un autre, moins polluant.
Cependant, j’ai entendu récemment Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, indiquer qu’elle avait ce projet en tête. Le Gouvernement, lui, peut décider de créer un tel fonds, ce qui serait tout à fait complémentaire avec notre initiative.
Là encore, l’idée est de rassembler les énergies et les volontés, tant du côté parlementaire que du côté gouvernemental.
Notre texte a le mérite de contenir des propositions qui ne vont pas contre la filière automobile, au contraire.
Elles ne vont pas non plus contre l’action du Gouvernement ; au contraire, elles peuvent tout à fait la renforcer, la compléter.
Elles ne vont pas contre la qualité de vie des ménages ; au contraire, elles ont vocation à protéger leur santé.
L’article 1er, totalement réécrit, a pour objet de revoir les critères du malus automobile concernant les émissions de CO2, qui existent déjà pour lutter contre le dérèglement climatique, en y ajoutant une composante prenant en compte plus particulièrement les émissions de particules fines et de NOx.
Cet article présente l’avantage de prendre un dispositif qui existe déjà. Donc on ne complexifie pas la réglementation ; simplement, on l’enrichit, on l’infléchit pour répondre à ce drame sanitaire.
Par ailleurs, le dispositif du bonus-malus est moins brutal que la taxe que nous proposions dans la première version. Il s’agit d’une mesure beaucoup plus incitative pour encourager les bonnes pratiques et dissuader celles qui le sont moins.
À l’article 2, nous demandons un rapport pour avancer vers la mise en place en France d’expertises indépendantes en matière de pollution automobile.
Enfin, à l’article 3, il est proposé de créer un diagnostic d’éco-entretien.
Comme il me reste peu de temps de parole, j’en viens à la conclusion, avec quatre remarques.
Tout d’abord, je ne pense pas me tromper en disant que nous croyons tous en l’action politique, même lorsque l’on avance à petits pas. Mes chers collègues, dans un pays en pleine crise économique, sociale, mais aussi morale, dans lequel la population témoigne souvent d’une grande défiance vis-à-vis des acteurs politiques, montrons que nos paroles sont suivies d’actes concrets. Tel est le sens de cette proposition de loi.
Ensuite, je demande au Gouvernement de respecter l’initiative parlementaire. Elle est forcément contrainte et elle ne répond pas globalement au problème, mais, par cette proposition de loi, nous souhaitons enclencher une dynamique, peser dans le débat public grâce à une prise de position du Sénat, inciter à des comportements plus vertueux, contribuer à changer les mentalités et converger vers les initiatives du Gouvernement qui, lui, peut prendre des mesures beaucoup plus fortes et plus globales. C’est aussi une façon d’encourager nos concitoyens.
Par ailleurs, je voudrais remercier ceux de mes collègues qui ont déposé des amendements. Je les soutiendrai pratiquement tous, car ils participent de cette même logique d’avancer concrètement, même progressivement, par des actes. Ce qui compte, pour nous, c’est qu’un premier pas soit franchi et qu’une première initiative de santé environnementale, thématique qui a beaucoup de mal à être reconnue aujourd’hui en France, soit couronnée de succès.
J’en appelle à la responsabilité de chacun. Je pense que personne, parmi nous, ne veut vivre de nouveau des drames sanitaires, lesquels sont toujours la conséquence ultime de blocages dans la société qui interviennent lorsque l’on tente d’opposer emploi et santé. Je pense, par exemple, à l’amiante. Selon les chiffres de l’InVS, les vingt ans perdus pour interdire un produit déclaré cancérogène certain pour l’homme par l’OMS auront causé, en 2050, 100 000 morts. J’imagine que personne n’a envie de provoquer de telles catastrophes de nouveau !
Mes chers collègues, je vous en conjure, ne refaisons pas les mêmes erreurs. Il nous est possible de nous rassembler et de converger vers un objectif commun. J’espère que nous y parviendrons ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mmes Chantal Jouanno et Fabienne Keller applaudissent également.)