Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons pour la deuxième fois un projet de loi de programmation des finances publiques dans le cadre fixé par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’union économique et monétaire, ou TSCG ; je rappelle que notre assemblée a voté à une très large majorité en faveur de la ratification de ce traité, avec le soutien de mon groupe.
En permettant de mieux quantifier les efforts accomplis par les États membres pour réduire leur déficit public, le TSCG a le grand mérite d’encourager à une plus grande orthodoxie budgétaire. En effet, il impose des mesures de contrôle renforcé et une limitation du déficit public structurel à 0,5 % du PIB, ainsi qu’un dispositif de « frein à l’endettement ». Nous savons que c’est le prix à payer pour les interventions de la BCE qui, en 2012, avaient permis d’éviter l’éclatement de la zone euro.
Ces règles pourraient apparaître comme une contrainte supplémentaire, mais elles nous laissent en réalité une certaine latitude, plus grande que celle permise par le pacte de stabilité et de croissance. Ainsi, la règle du solde structurel inscrite dans le TSCG permet d’atteindre l’objectif de moyen terme, l’OMT, sans tenir compte des effets de la conjoncture. En outre, il est possible de repousser la réalisation de l’OMT.
Bien sûr, mes chers collègues, cette latitude ne nous exonère pas du volet correctif inhérent au pacte de stabilité et de croissance. C’est ainsi que la procédure pour déficit excessif engagée en 2009 contre la France court toujours. Notre pays a pu gagner du temps, mais Bercy a dû récemment fournir un effort supplémentaire de 3,6 milliards d’euros pour éviter le bras de fer avec Bruxelles.
Par conséquent, la France doit en tout état de cause s’inscrire dans une trajectoire contrainte pour honorer ses engagements européens, mais aussi parce que le seuil de soutenabilité de sa dette est atteint.
Que nous soyons eurosceptiques ou euroconvaincus, avons-nous d’autres choix que celui d’une certaine discipline ? En vérité, le déficit public, qui, hélas, fête cette année ses quarante ans, ne peut plus atteindre des proportions qui en font une menace permanente hypothéquant gravement l’avenir des jeunes générations.
Depuis quelques années, en particulier depuis la crise des dettes souveraines, il existe un relatif consensus pour considérer la dette comme un handicap majeur à une reprise économique sérieuse. À l’évidence, l’interdépendance croissante des économies oblige aussi à assainir les finances publiques.
Dès lors, la question est de savoir comment réduire la dette sans compromettre les chances d’un retour à une croissance significative. On mesure chaque année la difficulté de l’équation qui lie maîtrise des déficits publics et politique de soutien à l’économie.
Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 tient compte de cette réalité. Il conserve l’objectif de solde structurel, mais en le ramenant – c’est l’article 2 - à moins 0,4 % du PIB en 2019. Comme nous le savons, le Gouvernement utilise la marge offerte par le TSCG. Ainsi, afin de ne pas compromettre les réformes engagées, le plan d’économies ne portera que sur 50 milliards d’euros pour la période 2015-2017.
Dans ces conditions, le déficit effectif ne reviendra pas sous le seuil des 3 % du PIB avant 2017. On doit, bien sûr, le regretter, et nous le regrettons tous. En effet, comme M. le rapporteur général de la commission des finances l’a souligné, nous renonçons à la trajectoire du solde public définie dans la précédente loi de programmation des finances publiques.
En commission, la nouvelle majorité a décidé de supprimer la plupart des orientations pluriannuelles des finances publiques. Pourquoi pas, mais pour quelle alternative ? Je vous le demande, chers collègues !
Sincèrement, en effet, peut-on aller plus rapidement au-delà des efforts demandés aux administrations d’État,…
M. Philippe Dallier. Oui !
M. Yvon Collin. … aux collectivités territoriales et à la sécurité sociale ?
S’agissant des collectivités territoriales, nous savons quels sont les dommages collatéraux de la baisse de l’investissement public en termes de recettes fiscales, d’emploi et donc de dynamisme local. Il y a donc manifestement un seuil à ne pas franchir.
Une part de la dépense publique est aussi garante de la cohésion sociale, et il faut trouver, là encore, le meilleur rapport entre la baisse des dépenses et le maintien des filets de sécurité pour nos concitoyens, en particulier pour ceux qui sont les plus fragilisés par la crise.
Le Gouvernement a fait le choix de la prudence. Ainsi, l’année prochaine, nous ne connaîtrons pas une diminution de la dépense publique, mais seulement un ralentissement de son augmentation : en 2015, la dépense publique devrait augmenter de 1,1 % en valeur et de 0,2 % en volume. Aux yeux de certains, cela peut paraître insuffisant, mais c’est mieux que les 2 % d’augmentation constatés jusqu’en 2011.
M. Claude Raynal. En effet !
M. Yvon Collin. Une trop grande brutalité de l’effort pourrait être contre-productive dans le contexte d’une croissance très fragile.
M. Claude Raynal. Très bien !
M. Yvon Collin. Le fait est que, malheureusement, il nous faudra encore compter avec un environnement économique dégradé : les tensions qui ont parcouru les marchés au cours des dernières semaines et l’accentuation du risque de déflation sapent la confiance, malgré l’intervention de la BCE.
Le ralentissement, qui est mondial, fragilise sans cesse nos prévisions de croissance. Oui, mes chers collègues, on peut discuter longtemps des hypothèses de croissance retenues dans le projet de loi de programmation ; c’est un débat que nous avons toujours eu, quelles que soient les majorités. Et le constat est toujours le même : un excès d’optimisme.
Dans ces conditions, il nous reste deux leviers pour tenter de maintenir le cap.
À défaut de pouvoir baisser drastiquement les dépenses publiques, il faut s’intéresser davantage à leur efficacité. L’évaluation des politiques publiques, posée à l’article 24 de la Constitution depuis 2008, doit être encore plus systématique, et plus offensive.
Il convient aussi de rechercher plus d’efficacité au sein des structures étatiques, même s'il serait très difficile d’en mesurer le poids en termes de PIB.
Dans cet esprit de rationalisation de la dépense publique, j’approuve donc certains des amendements adoptés par la commission des finances, en particulier au titre II. Je pense notamment à la durée limitée des niches fiscales et sociales nouvellement créées ou encore au renforcement de l’information du Parlement sur les opérateurs de l’État.
Enfin, ce sont naturellement les grandes réformes de structure…
M. Philippe Dallier. Lesquelles ?
M. Yvon Collin. … qui nous permettront de redonner à la France les marges de manœuvre nécessaires à la relance de son économie.
Au cœur de ces réformes, l’impératif de compétitivité est essentiel, et je félicite le Gouvernement d’en avoir saisi l’enjeu. Le Premier ministre a encore récemment rappelé la nécessité du soutien aux entreprises, une ligne qu’une majorité de membres du RDSE partage. Nous avons en effet approuvé le CICE – le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi –, si imparfait soit-il, et nous sommes favorables à la réduction de certaines contraintes réglementaires pesant sur les entreprises.
Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'État, en attendant que la politique du Gouvernement porte ses fruits et redonne confiance aux acteurs économiques,…
M. Philippe Dallier. En attendant !
M. Yvon Collin. … nous avons, dans l’immédiat, des décisions budgétaires à prendre. Vous pouvez compter sur le RDSE pour assumer ses responsabilités dans les prochains débats à la lumière du principe d’efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est un grand honneur de prendre la parole pour la première fois à la tribune de cette assemblée, et je mesure à cet instant le poids des responsabilités que m’ont confiées ceux qui m’ont amené à la rejoindre.
On nous explique à longueur de journée et de matraquage médiatique que le projet économique de mon parti ruinerait la France, conduirait au chaos – j’en passe, et des meilleures... Mais il faut d’abord s'interroger : pourquoi en sommes-nous là aujourd’hui ? Quels choix politiques ont amené à cette situation ? Qui a porté ces politiques ?
Le déficit public est en passe d’atteindre 2 000 milliards d’euros. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP et du groupe socialiste.)
M. Philippe Dallier. Pas le déficit, la dette !
M. David Rachline. Or, lorsque je lis le projet du Gouvernement, je ne vois aucun changement radical de politique.
Je suis ici l’un des rares représentants de la jeunesse. Dans quel état nous avez-vous laissé la France ?
Je ne veux pas que, dans quarante ou cinquante ans, lorsque j’atteindrai l’âge moyen de notre assemblée, l’on puisse me dire : mais qu’avez-vous donc fait toutes ces années ? (Vives protestations sur la plupart des travées.)
M. Jean Germain. Ça commence bien !
M. Jean-Pierre Caffet. En effet !
M. David Rachline. Détendez-vous, mes chers collègues, cela va bien se passer !
Notez que ces 2 000 milliards de dette n’ont pas été perdus pour tout le monde. Le secteur bancaire s’est largement servi, grâce la loi Giscard-Pompidou de 1973 et aux différents traités européens, notamment celui de Maastricht.
Les uns nous disent que cette situation est due à la crise, les autres que c’est la faute de ceux qui étaient là avant. Eh bien, nous, nous, nous osons dire que vous avez tous raison, mais en oubliant deux choses : d’une part, « ceux qui étaient là avant » sont en fait les mêmes à tour de rôle depuis des dizaines d’années ; d’autre part, si la crise a accéléré la dégradation de nos finances publiques, c’est surtout le système financier mondialiste que vous avez mis en place, ou tout au moins cautionné, depuis des décennies qui l’a engendrée.
Je ne rentrerai pas dans le détail des mesures présentées par ce texte, puisque nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des articles, mais je proposerai plusieurs axes de réflexion qui devraient, selon moi, nous guider pour bâtir un budget répondant aux enjeux de notre pays et, surtout, aux attentes de nos concitoyens, plutôt que de bricoler ou détricoter ce qui fonctionne.
C'est sûr, il est nécessaire de faire des économies. Et le ralentissement économique est là. Nous ne pouvons plus et, surtout, nous n’aurions jamais dû vivre au-dessus de nos moyens, comme c’est le cas depuis des dizaines d’années. Mais, comme le Gouvernement ne connaît plus le « bon père de famille », qu’il a fait disparaître du code civil, il est difficile de lui reprocher de ne pas gérer les finances de la France comme tel…
En ce qui concerne les axes d’économies que vous nous proposez dans ce texte, j’ai de profondes divergences, car je refuse que ce soit aux Français de payer des années d’errements. Les fonctions régaliennes de l’État doivent être protégées, nos entreprises doivent être protégées, notre agriculture doit être protégée, notre culture doit être protégée (Mme Catherine Tasca s’exclame) et, surtout, l’avenir de notre pays doit être protégé !
C’est avant tout à cela que doit servir l’argent public, et non pas à accueillir la misère du monde, à enrichir des pays prétendument amis qui financent par derrière nos ennemis, ou à alimenter l'Union européenne, qui utilise notre argent pour nous taper sur les doigts ! Il ne faut pas oublier que l’argent public vient des Français et que, à ce titre, il est d’abord et avant tout au service des Français !
Au lieu de cela, par exemple, vous diminuez le budget de nos armées – vous sacrifiez nos armées, plus exactement ! - à l’heure où ses engagements sont toujours plus nombreux et complexes. Vous fermez le Val-de-Grâce, qui passe dans le monde entier pour être l’un des fleurons de notre médecine.
Vous laissez nos entreprises se battre à armes inégales dans un mondialisme à tout-va, où nous sommes les seuls à donner autant de contraintes à nos entreprises sans leur accorder aucune protection en retour.
Vous laissez les agriculteurs seuls face aux marchés.
Vous vous gargarisez devant de prétendues œuvres d’art.
Enfin, pour couronner le tout, vous déconstruisez le lieu où se construit l’avenir de notre pays, les familles, en remettant en cause le principe, si cher aux Français, d’universalité des allocations familiales ; mais, dans ce domaine, les exemples ne manquent pas ces derniers mois…
On entend souvent qu’il ne faut pas faire de « déclinisme ». Le Premier ministre a même créé le concept de french celebrating. Mais que répètent les économistes ? Que, pour que la croissance reparte, il faut de la confiance. Croyez-vous sincèrement que vous donnez confiance aux Français avec ce budget ?
Il faut reconnaître que ces choix ne sont pas toujours opérés de votre propre chef, et le diktat bruxellois inspire plus que jamais ce texte. Bruxelles a d’ailleurs une fâcheuse propension à vouloir nous faire faire des réformes dont le peuple ne veut pas.
En réalité, Bruxelles fait tout pour mettre à bas ce qui fonctionne dans notre pays. Or tout n’est pas à jeter, dans notre pays ! Je pense ici aux professions réglementées et à la casse qui en est organisée – nous aurons l’occasion d’y revenir au cours des prochaines semaines.
Cette année encore, la France a perdu davantage de souveraineté avec la soumission de notre budget aux injonctions de Bruxelles. Alors – sans doute est-ce le privilège du benjamin de cette assemblée – je vais être impertinent : que faisons-nous ici ? Participons-nous à une mascarade ? Faisons-nous semblant ? Je n’imagine pas que tous les sénateurs puissent avoir été élus juste pour entériner des décisions bruxelloises qui, soit dit en passant, sont prises par des personnes dont la légitimité démocratique n’est pas avérée.
Je me fais une autre idée de notre rôle de parlementaires, parce que nous sommes les représentants du peuple souverain. Malgré cela, nous votons selon les recommandations de Bruxelles, sans quoi nous serons sanctionnés. Où est donc notre liberté ?
Pour s'en tenir aux questions économiques, après la perte de notre souveraineté monétaire et de notre souveraineté commerciale, nous perdons notre souveraineté budgétaire ! Pouvez-vous me dire quels outils il nous reste pour proposer à notre pays une politique économique véritable ? Il ne faut pas s’étonner du désamour que les Français pourraient avoir de la classe politique : depuis des années, vous leur promettez tant de choses, alors que vous n’avez même plus sous votre contrôle les outils permettant de réaliser ces promesses !
Ce texte souligne une nouvelle fois que vous préférez mettre un emplâtre sur une jambe de bois plutôt que de vous attaquer aux causes de la gangrène.
Pour toutes ces raisons, je voterai contre ce texte.
M. Yannick Botrel. Quelle surprise !
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je reviens au sujet : nous examinons aujourd’hui ce qui sera la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.
Pourtant, les orientations pluriannuelles de nos finances sont d’ores et déjà encadrées – de 2012 à 2017 – par la précédente loi de programmation, que nous avons votée il y a deux ans. Sachant que l’esprit d’une programmation est de se projeter dans la durée pour y fixer un cadre, réviser ce cadre avant même d’avoir couvert ne serait-ce que la moitié de la période annoncée affaiblit quelque peu, vous en conviendrez, le concept de programmation...
Toutefois, on comprend mieux la démarche du Gouvernement lorsque l’on réalise que cette résiliation de la loi de programmation en vigueur permet de porter au processus d’ajustement structurel un coup aussi discret qu’efficace.
En effet, la loi organique transposant le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance a érigé la loi de programmation en véritable pivot du pilotage de nos finances publiques vers leur objectif de moyen terme. C’est par rapport à la loi de programmation que le Haut Conseil des finances publiques doit évaluer la cohérence des projets de loi de finances. C’est également par rapport à cette loi que le Haut Conseil doit identifier les écarts dits « importants » des exécutions budgétaires, ceux qui sont à même de déclencher le mécanisme de correction.
Or, en mai dernier, dans son avis sur le projet de loi de règlement pour 2013, le Haut Conseil avait précisément mis en évidence un écart important de l’exécution par rapport à la programmation. Il avait donc appelé à une correction.
Désireux d’échapper à ce traitement – ce que l’on peut tout à fait comprendre, par ailleurs –, le Gouvernement a préféré modifier le thermomètre en annulant la loi de programmation. Ce contournement de nos engagements européens ne s’est toutefois pas opéré sans avoir préalablement sollicité, et obtenu, la mansuétude de la Commission et du Conseil européens.
Certes, comme Michel Sapin le rappelait hier devant notre commission des finances, pour ce qui est des errements entourant les prévisions de croissance économique en France, la Commission européenne n’est pas innocente. En effet, elle prévoyait elle-même, il n’y a pas si longtemps, une reprise de l’activité dans la zone euro courant 2014 et son amplification en 2015…
Malheureusement, les concessions qui nous été récemment accordées par le Conseil et la Commission ne sont pas gratuites. En l’occurrence, elles nous coûtent même un peu plus de 40 milliards d’euros par an…
Dans le rapport annexé au présent projet de loi, le Gouvernement explique en effet que, s’il peut se permettre de modifier son objectif de moyen terme et sa trajectoire d’ajustement structurel, c’est parce qu’il a introduit cette réforme structurelle d’ampleur qu’est le pacte de compétitivité – il consiste, rappelons-le, à diminuer les impôts et les cotisations sociales de toutes les entreprises, sans poser véritablement de conditions ni de critères.
Les bénéfices attendus de cette mesure sont pourtant assez hypothétiques.
Alors qu’au deuxième trimestre les dividendes versés par les entreprises françaises s’établissaient à 40,7 milliards de dollars, en hausse de 30 %, le Gouvernement, après avoir initialement parlé de 300 000 emplois créés, puis seulement de 150 000, n’ose désormais plus s’engager sur les retombées. Le ministre des finances et des comptes publics, Michel Sapin, a récemment laissé entendre qu’il n’y aurait finalement pas de lien direct et automatique entre CICE et emploi.
En attendant, les recettes de l’État et de la sécurité sociale sont profondément grevées par ce manque à gagner fiscal. Pourtant, pour faire face au déficit, on préfère toujours stigmatiser et incriminer les dépenses publiques et le modèle social plutôt que la fonte des recettes.
C’est ainsi que, forts d’une vieille collusion, austérité et libéralisme excessifs se justifient et se renforcent, dans un cercle vicieux assez mortifère. C’est de l’excès de libéralisme, en l’occurrence financier, que provient la stagnation actuelle de nos économies en Europe. Rappelons en effet que c’est bien la crise financière qui a provoqué la crise de la dette publique : au sein de la zone euro, la dette publique stagnait autour de 70 % du PIB en 2008, alors qu’elle atteint près de 93 % en 2014. Aujourd’hui, le balancier revient, et c’est désormais l’austérité qui nous impose le libéralisme...
Après le financement des entreprises par les ménages, voilà que se profilent ou se poursuivent une baisse des prestations sociales, un durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs, une révision des seuils sociaux et une réduction des protections environnementales. Nous n’en sommes donc pas sortis !
Les hypothèses que nous propose le Gouvernement dans la nouvelle loi de programmation, censée nous porter jusqu’en 2019, semblent à peine plus crédibles que celles qui avaient présidé à l’élaboration de l’ancienne.
Le Haut Conseil juge en effet ces hypothèses « trop favorables », notamment en ce qui concerne le scénario d’une reprise internationale qui viendrait démultiplier la demande et l’empressement supposé des entreprises françaises à investir – on vient de voir ce qu’il en était à propos des dividendes…
La Commission européenne a, quant à elle, évalué la croissance française à 0,7 % en 2015, là où le projet de loi de programmation et le projet de loi de finances à venir tablent sur 1 %.
Compte tenu de la grande sensibilité des finances publiques à ces hypothèses, il est à craindre, pour l’année prochaine et la suivante, que ne se reproduise le même cycle : de nouveaux écarts, de nouvelles mesures, une nouvelle loi de programmation et ainsi de suite...
Nous nous enferrons, et l’Europe avec nous, dans une logique dont le FMI lui-même a reconnu avant-hier – pour la deuxième fois – qu’il s’était laissé prendre à ses effets néfastes. Cette situation est un désastre pour l’Europe ! Et c’est un désastre pour l’image qu’en ont nos concitoyens ! Faut-il rappeler qu’ils ont placé en tête du dernier scrutin européen le parti le plus europhobe de notre échiquier politique ?
La Suède vient également de connaître une poussée historique de son extrême droite, tandis que le débat public en Grande-Bretagne a rarement été aussi hostile à l’Union européenne.
Si je me suis toujours défié des méfaits de l’austérité, j’ai néanmoins fait partie, au sein de ma famille politique, des rares parlementaires à avoir voté pour le traité sur la stabilité, la cohérence et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Il me semblait alors que refuser ce traité, négocié de longue date et déjà ratifié par plusieurs pays, aurait durablement brisé la construction européenne.
À l’inverse, j’espérais qu’en l’adoptant nous serions en mesure de restaurer la confiance avec l’Allemagne et d’engager avec elle un dialogue constructif. J’ai cru qu’il nous permettrait de regagner du leadership politique sur la scène européenne en mobilisant nos partenaires sur de nouveaux axes, de nouvelles dynamiques. Hélas, force est de constater, plus de deux ans après, que nous n’avons pas su réellement emprunter ce chemin !
Pendant trop longtemps, la France n’a pas été assez présente ni assez active sur la scène politique européenne. Quant à la relation franco-allemande, il suffit, pour se faire une idée de son caractère déséquilibré, de savoir que l’Allemagne a demandé à la Commission un contrôle encore plus strict des budgets nationaux, et ce pas plus tard que le 20 octobre dernier, le jour même où les ministres de l’économie et des finances allemands recevaient, monsieur le secrétaire d’État, leurs homologues français !
Nous ne pouvons pas accepter que la réduction des dépenses publiques, la libéralisation effrénée du modèle social et la course sans fin à la baisse du prix du travail constituent le ciment irréfragable de la politique européenne. Contre cette Europe sans véritable projet, il nous faut construire ensemble l’Europe de la solidarité et de la coopération.
Monsieur le secrétaire d’État, demande-t-on à la région Lorraine de réduire ses services publics afin d’être compétitive avec la région d’Île-de-France ? Cela n’aurait aucun sens et il en va évidemment de même à l’échelle de l’Union.
C’est bien l’Europe de la coopération qu’il nous faut aujourd’hui construire. Comment peut-on sérieusement envisager de bâtir un projet commun quand certains États, qui ne sont d’ailleurs pas les derniers à réclamer le respect des ratios de déficit, organisent tranquillement l’évasion fiscale des multinationales au détriment de leurs voisins ?
Ne pourrait-on pas imaginer, monsieur le secrétaire d’État, que le dialogue entre la Commission et les États aborde la question de l’harmonisation fiscale avec autant d’énergie que celle du solde budgétaire ?
Il nous faut reconstruire l’idée d’une intégration européenne fondée sur une véritable gouvernance stratégique commune en matière économique, dotée d’un budget propre et prenant en compte les spécificités des États, leurs forces et leurs faiblesses. Mener dans ce cadre une transition écologique et énergétique de notre modèle de développement permettrait de construire de grandes filières industrielles européennes d’avenir, notamment dans l’énergie et les transports, et d’éviter une catastrophe climatique au coût exorbitant.
Autant de chantiers qui permettraient, mieux que l’austérité, de conduire l’Europe sur la voie d’une économie durable et solidaire, la seule qui puisse emporter l’adhésion des peuples.
La toute récente entrée en fonctions de la nouvelle Commission européenne, qui s’accompagne de la remise en marche concrète de l’ensemble des institutions de l’Union, nous offre justement l’occasion institutionnelle et politique de formuler de semblables propositions.
Ce projet de loi de programmation, monsieur le secrétaire d’État, n’est malheureusement pas le reflet d’une telle vision. C’est pourquoi les écologistes ne sont pas prêts à le voter.
Pour autant, nous pouvons nous accorder sur le fait que, jusqu’à présent, la nouvelle majorité sénatoriale ne nous aura pas particulièrement éclairés sur sa propre vision de la trajectoire de nos finances publiques. Peut-être trouvera-t-elle l’occasion, lors du débat sur le projet de loi de finances, de nous expliquer comment elle compte réduire les dépenses publiques de 100 milliards d’euros tout en préservant les ressources des collectivités territoriales…
Quoi qu’il en soit, en attendant, elle ne nous propose qu’un texte bancal, vidé de ses éléments constitutifs. Cette alternative, vous l’aurez compris, ne nous satisfait pas davantage que le projet présenté par le Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dois vous confier ma déception – un Anglais parlerait de « lassitude » – celle-là même que beaucoup de Français que je croise me confient également, quand ce n’est pas de la colère.
Depuis que j’ai été élu sénateur, voilà trois ans, de loi de programmation en programme de stabilité, de budget en budget, la seule prévision qui ait été vraiment vérifiée, de texte en texte, c’est celle que nous avons faite à l’UDI, certains que nous étions que vos objectifs ne seraient pas tenus, car ils péchaient systématiquement par optimisme. Et, chaque fois, les scénarios émis pour bâtir un projet de budget ont été démentis par les suivants. Je crains malheureusement que ce texte ne déroge pas à la règle.
Si je reprends les chiffres d’il y a six mois, ceux du dernier programme de stabilité – on ne pas peut dire que cela soit vieux ; six mois, depuis avril 2014, ce n’est pas une éternité ! – l’écart de croissance, l’écart de déficit nominal, l’écart de déficit structurel, bref, quel que soit le bout par lequel on prend le problème, ils sont tous revus à la baisse ou à la hausse. L’objectif est repoussé de deux ans – excusez du peu ! –, à peine six mois après qu’un retour à l’équilibre en 2017 a été affirmé.
Non, la seule prévision qui tienne, monsieur le secrétaire d’État, c’est que nous ne tiendrons pas nos engagements, cette fois-ci pas plus que les précédentes, et que nous pouvons préparer dès aujourd’hui les documents qui nous seront fournis dans six mois – ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Haut Conseil des finances publiques, que vous avez créé et qui juge « optimistes » vos prévisions de croissance, notamment sur 2016 et 2017. Et, avant même d’être examiné par le Parlement, votre projet de loi de finances est déjà contredit par la Commission de Bruxelles, qui révise la croissance à la baisse et le déficit à la hausse !
Depuis trois ans, quatre lois de finances, deux lois de programmation, trois programmes de stabilité, et autant d’aveux que ce gouvernement – je suis triste d’en faire le constat ici – n’a de prise sur rien. Et, pendant ce temps, le Président fait comme Pénélope qui attendait Ulysse, il regarde la mer, se disant que la croissance finira bien par rentrer au port…
Bon nombre de Français, pour ceux qui s’intéressent encore à ce type de débat – s’il y en a ! – doivent se demander : « À quoi bon ? » À quoi bon tant de débats, tant de mots, tant de courbes, tant de temps passé en vain, quand chacun sait bien que la réalité nous échappe et qu’aucune des mesures qui ont été prises par ce gouvernement n’a permis d’inverser la courbe du chômage, pas plus qu’elles n’ont réussi à améliorer l’état économique du pays ou le moral des Français !
La vraie question qui se pose à nous est de savoir comment reprendre la main, comment trouver ce qui peut redonner confiance aux Français et leur faire dire que, oui, cette fois, les prévisions affichées sont justes et que nous avons des chances de les réaliser.
D’abord, il ne faut pas leur mentir ! Il est fini ce temps où prévalait le principe selon lequel l’optimisme entraînait l’optimisme tandis qu’un surcroît de croissance provoquait un sursaut de consommation et d’élan entrepreneurial. Il est fini le temps de la méthode Coué !
Bien au contraire, les Français attendent qu’on leur tienne un langage de vérité. Ils attendent que les prévisions, même modestes, se réalisent enfin.
Mieux vaut donc un excès de prudence, mieux vaut de bonnes surprises à la fin qu’un excès d’optimisme et des déceptions supplémentaires, qui sont, chaque fois, un coup de plus sur la tête des Français, un coup de plus qui fait beaucoup plus mal que le précédent !
Renoncez donc, monsieur le secrétaire d’État, à la stabilité des emplois publics. Ce n’est pas en vous contentant de maintenir stables des dépenses qui représentent à elles seules 40 % des dépenses du budget général de l’État que nous pourrons amener les dépenses publiques à passer en dessous d’un niveau aujourd’hui élevé au point d’en être insupportable. Le bon sens commande de réduire les effectifs de l’État en ne rendant pas tabou le retour aux 39 heures dans la fonction publique.
Il faut également sans tarder remettre le débat des retraites sur la table. Il y a deux ans, vous n’avez pas eu le courage d’aller assez loin et nous savons tous qu’il faudra y revenir. Pourquoi attendre ?
Il faut remettre en discussion les conditions d’attribution des allocations chômage. Tout le monde sait qu’il faudra y venir. Pourquoi attendre ?
Le Président de la République s’était engagé pendant la campagne à fusionner l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée. (M. Jean-Pierre Caffet s’exclame.)
Il s’était engagé pour un impôt sur les sociétés modulé selon le chiffre d’affaires. Il s’était engagé à une remise à plat du système fiscal. Pourquoi attendre ?
En réalité, cinq réformes structurelles fondamentales sont à mener : la réforme du marché du travail ; la réforme des retraites, pour tendre à la convergence du public et du privé et instituer la retraite à points ; la réforme de l’État et de la carte administrative territoriale ; la réforme de la formation, de l’enseignement et de la recherche, pour adapter nos savoirs à l’évolution d’une économie mondialisée ; la réforme fiscale, pour des impôts lisibles, simples, à assiette large et à taux faibles, prélevés à la source.
C’est sur la base de ces réformes qu’une véritable programmation peut être construite. Sans ces réformes, pas de baisse de la dépense, pas de retour de l’initiative privée, pas de vivier de croissance, donc, pas de recettes fiscales dynamiques et un déficit et une dette qui se creusent inexorablement.
Pourquoi attendre, monsieur le secrétaire d’État ?
Vous avancez des circonstances exceptionnelles pour retarder de deux ans le retour à un petit équilibre, qui était l’objectif. Pour ma part, je ne vois pas ces circonstances « exceptionnelles » : la faible inflation était tout à fait prévisible. Il est parfaitement normal qu’avec une croissance aussi faible, les prix soient tirés vers le bas. C’est l’inverse qui serait surprenant ! Comment avoir de la croissance avec 57 % de dépenses publiques, un poids qui est beaucoup trop lourd pour notre économie !
Vous prétendez poursuivre, dans cette loi de programmation, l’assainissement budgétaire. C’est faux, monsieur le secrétaire d’État ! Pour le poursuivre, il faudrait qu’il ait commencé ! En fait, depuis deux ans et demi, vous avez maintenu à un niveau élevé le déficit de nos finances publiques.