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Modification de l’ordre du jour
M. le président. Par lettre en date du 26 mai 2014, M. François Zocchetto, président du groupe UDI–UC, a demandé l’interversion de l’ordre d’examen des propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe de demain, mercredi 28 mai, après-midi.
En conséquence, l’ordre du jour de la séance du mercredi 28 mai 2014 s’établit comme suit :
De 14 heures 30 à 18 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe UDI-UC :
1°) Proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles ;
2°) Suite de la proposition de loi relative à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers.
Acte est donné de cette demande.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Schéma régional des crématoriums
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 252, texte de la commission n° 546, rapport n° 545).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les questions relatives au droit funéraire ne suscitent pas toujours un intérêt soutenu. Pourtant, chaque famille de ce pays est, hélas, confrontée au sujet.
Lorsque j’ai été nommé secrétaire d’État aux collectivités locales, il y a de cela quelque temps, j’ai trouvé sur mon bureau un projet de réforme des pompes funèbres. Dans un premier temps, je me suis interrogé sur ce texte. Puis, à force de travail, et avec l’appui d’un ami qui, malheureusement, nous a quittés, Pierre Bérégovoy, nous avons réussi à faire adopter à une très grande majorité, en 1992, un texte, qui, devenu la loi du 8 janvier 1993, a réformé le droit des obsèques dans notre pays.
Cette loi était nécessaire : trois inspections, l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales, avaient conclu dans un rapport conjoint que nous vivions dans un système aberrant où un monopole faussé cohabitait, de fait, avec une concurrence biaisée. Nous subissions donc tous les inconvénients du monopole, avec des situations où les mêmes prestations pouvaient voir leur prix varier de un à cinq dans la même entreprise, en fonction du territoire concerné, et ce au détriment des familles.
Si je me suis intéressé depuis à cette question, en prenant l’initiative de six ou sept textes de loi relatifs à ce domaine, c’est toujours avec la même idée, partagée par notre collègue et ami Jean-René Lecerf, avec lequel j’ai rédigé un rapport d’information sur le sujet : défendre les familles de ce pays lorsqu’elles sont éprouvées.
En effet, lors de la perte d’un être cher, les personnes touchées par ce deuil, qui se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité, doivent prendre de nombreuses décisions en moins de vingt-quatre heures. S’intéresser à ce sujet, aux modalités des obsèques, à leur formalisme, à leur dimension juridique mais aussi psychologique, et à la question du coût, aussi, est alors absolument nécessaire.
La première loi, celle de 1993, a créé les conditions d’une mise en concurrence. Il était en effet plus sain qu’il y eût enfin une concurrence claire, plutôt qu’une concurrence totalement faussée par la réalité d’un monopole. Toutefois, à cette époque, le non-respect du monopole ne pouvait pas être sanctionné, en raison de règles européennes. La situation n’était donc pas bonne.
On oublie souvent que la loi de 1993 avait deux objets : d’une part, instaurer le pluralisme parmi les entreprises, tout en maintenant les régies et les sociétés d’économie mixte, qui travaillaient dès lors dans un contexte concurrentiel ; d’autre part, et indissociablement, redéfinir les règles du service public. En effet, que l’on ait affaire à une entreprise privée, à une régie, à une société d’économie mixte ou à une association, dans tous les cas, il était nécessaire d’appliquer des règles strictes de service public, en rapport avec la décence, l’hygiène, le respect dû aux familles, la transparence, etc.
Ensuite, il y eut bien d’autres textes, que je ne veux pas tous détailler.
En 2004, notamment, un texte a défini les contrats d’obsèques, précisant notamment que les contrats qui n’étaient pas affectés strictement au financement à l’avance des obsèques étaient nuls. En effet, il existait une confusion entre contrat d’assurance vie et contrat d’obsèques qui se traduisait, en fait, par une financiarisation du dispositif et pouvait porter atteinte à l’intérêt des familles.
Nous avons également adopté un texte relatif à l’autopsie judiciaire. C’est en effet après avoir reçu un habitant du Pas-de-Calais auquel on avait rendu le corps de son épouse dans un état innommable, à la suite d’une autopsie judiciaire, que nous avons pris l’initiative de fixer des règles dans un domaine où il n’y en avait pas.
La loi de 2008 est venue consacrer le principe selon lequel les restes humains, notamment les cendres après crémation, devaient être traités avec respect, dignité et décence, principe qui a ensuite été repris par les tribunaux dans leur jurisprudence. C’est en s’appuyant sur cet article de la loi qu’un tribunal a pu interdire, dans notre pays, une exposition utilisant des éléments de cadavres d’origine chinoise. Cette règle est importante par rapport à l’idée que nous nous faisons de la civilisation et du respect dû à la personne humaine.
Dans la même loi, nous avions envisagé deux avancées qui, malheureusement, n’ont pu se concrétiser comme nous l’aurions souhaité.
Tout d’abord, nous avions inscrit dans la loi que les sommes versées dans le cadre des contrats d’obsèques étaient revalorisées chaque année au taux d’intérêt légal. Cette disposition avait été adoptée par l’Assemblée nationale et par le Sénat – il avait fallu attendre quelque temps avant que le texte adopté à l’unanimité par le Sénat arrive devant l’Assemblée nationale.
Nous pensions que l’affaire était réglée, mais les assurances veillaient… et elles ont découvert que notre législation n’était pas conforme aux règles européennes. Il a donc fallu remettre l’ouvrage sur le métier : après cinq ans d’efforts – grâce, notamment, au travail d’un administrateur du Sénat que je ne citerai pas, conformément à nos usages, mais que je tiens à remercier –, nous sommes parvenus à introduire cette revalorisation dans la récente loi de séparation et de régulation des activités bancaires. L’arrêté ministériel est paru et tous les contrats d’obsèques qui seront souscrits à l’avenir donneront lieu désormais à une revalorisation au bénéfice des souscripteurs.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre action s’inspire toujours de la même idée : défendre les familles ou les personnes confrontées à ces réalités.
Depuis 1993, un autre sujet donne lieu à un débat avec les entreprises funéraires et je veux l’évoquer brièvement : il s’agit de la question des prix.
Quand on est éprouvé, quand on doit prendre des décisions immédiates sur les modalités des obsèques, mais aussi sur les prestations et les fournitures, on n’est pas toujours en situation de faire les meilleurs choix. C’est pourquoi je défends, depuis 1993, la conception des « devis modèles », que l’on a longtemps appelés « devis types ». Il s’agit d’un ensemble de prestations définies pour lesquelles chaque entreprise habilitée – j’en profite pour souligner l’importance de l’habilitation – est amenée à indiquer des prix qu’elle s’engage à respecter pendant une année.
Toutes les entreprises étant habilitées dans un secteur défini donneront, pour des prestations équivalentes, les mêmes indications, lesquelles pourront figurer, par exemple, sur le site internet de la mairie.
Les professionnels sont toujours quelque peu réticents. En 1993, ils avaient accepté que ces indications figurent dans le règlement national des pompes funèbres ou dans les règlements locaux, mais cela n’avait pas eu d’effet. Il a donc fallu revenir à la charge, et cela a pris du temps.
Nous sommes parvenus, en 2008, à une rédaction qui me semblait tout à fait satisfaisante, et qui a pourtant été contestée. C’est pourquoi nous avons adopté une nouvelle formulation dans le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
Votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, cette formulation me semble tout à fait claire : elle ne pourra être ni contournée ni détournée - comme vous le savez, ce n’est pas le cas d’autres articles de ce projet de loi. Il faudra donc attendre encore quelques semaines. Mais, dès lors que l’article en question a été adopté dans les mêmes termes, il n’y a plus de problème !
L’idée que je défends, congrès après congrès, devant les organisations professionnelles, c’est que tout le monde a intérêt à la transparence. Bien entendu, le fait d’afficher des prix pour des prestations définies n’empêche pas de proposer d’autres prestations. Pour autant, les familles doivent avoir la certitude que, pour telle prestation, tel prix sera appliqué par telle entreprise pendant une année. Cela ne voudra pas forcément dire qu’elles choisiront les prestations les moins chères, mais, en tout état de cause, la transparence sera totale.
On nous a rétorqué cent fois que l’obligation existait déjà de fournir un devis.
Je vous le demande, mes chers collègues, qui donc, le jour du décès d’un être cher, ou même le lendemain, ira lire des devis de cinquante pages écrits en petits caractères, après les avoir retirés auprès de toutes les agences existantes aux fins de comparaison ? Personne !
En revanche, l’idée selon laquelle la puissance publique, en l’espèce la commune ou l’intercommunalité, doit fournir l’information aux familles en toute transparence, est, je crois, protectrice.
J’ai cité ces quelques textes – j’aurais pu être beaucoup plus long ! – pour montrer que cette proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums s’inscrit dans une longue histoire.
Mais de quoi s’agit-il ici ? Je me permettrai d’être assez succinct, car Jean-René Lecerf développera le contenu des différentes dispositions ; nous n’allons pas répéter les mêmes choses ! Il s’agit tout simplement, alors même que la crémation s’est considérablement développée, de prévoir les équipements les mieux adaptés possible.
Quand nous travaillions, quelques mois avant son adoption, sur la loi de 1993, les crémations représentaient 1 % des obsèques en France. Aujourd’hui, dans les grandes villes, ce pourcentage est de l’ordre de 50 %. L’évolution est donc considérable.
Il a fallu créer des équipements, toujours sous l’autorité de la puissance publique – vous le savez, monsieur le secrétaire d’État –, c’est-à-dire de la commune ou de l’intercommunalité. Les crématoriums peuvent être gérés directement par la commune ou être confiés, par une délégation de service public, à une société spécialisée ; il en existe un certain nombre de ce type.
Nous avions constaté qu’il existait des situations tout à fait étranges. Cependant, nous n’avions pas pu en tenir compte dans la loi de 2008, même si nous l’avions souhaité à l’époque. À Roanne, par exemple, on compte deux crématoriums à quelques kilomètres de distance. On observe une situation comparable en Moselle et en Seine-et-Marne. Quatre départements, en revanche, sont dépourvus de tout équipement : la Lozère, le Cantal, la Haute-Marne et le Territoire de Belfort. Dans certains cas, les familles doivent donc accomplir un trajet de deux heures, voire deux heures et demie, à l’aller et au retour, pour participer à la cérémonie. Ce n’est ni rationnel ni respectueux des familles.
Par ailleurs, comme toujours, des considérations économiques sont en jeu. Lorsqu’il existe trop d’équipements, donc une offre supérieure à la demande, la situation n’est pas toujours très saine sur le plan économique. Elle ne l’est pas plus lorsqu’il manque des équipements, ce qui contraint, de surcroît, aux déplacements que je viens d’évoquer.
Il est donc apparu sage de prévoir un schéma régional, établi par le préfet après consultation des conseils régionaux et des intercommunalités compétentes, consultation que notre rapporteur a d’ailleurs proposé d’élargir.
Il s’agit d’un schéma révisable tous les cinq ou six ans, selon les amendements qui seront adoptés, et qui permettra de maîtriser la situation, étant entendu qu’un crématorium ne peut exister que dès lors qu’une commune le décide ou choisit de faire appel à une société dans le cadre d’une délégation de service public.
Je conclurai mon propos en évoquant la question des cérémonies.
Il est très fréquent, vous le savez, mes chers collègues, que les cérémonies aient lieu dans l’enceinte des crématoriums. On se rend compte, ainsi, de la nécessité de disposer d’une salle spécialement aménagée et susceptible d’accueillir des participants, parfois en grand nombre.
Lorsque j’étais président de la communauté d’agglomération d’Orléans, j’ai moi-même conçu, avec mes collègues, un équipement doté d’une salle « omniculte » - ou laïque, je ne sais comment dire - pouvant accueillir des cérémonies civiles ou religieuses. Eh bien, contrairement à ce que nous avions pensé au départ, l’expérience a montré que cette salle n’était pas assez grande !
Bien entendu, la prise en compte d’une large capacité d’accueil pour les cérémonies augmente le coût des crématoriums. Pour autant, il me semble que ce sujet récurrent devrait être intégré dans la réflexion sur le schéma régional. Lors de nombreuses obsèques, en effet, la seule cérémonie a lieu dans la salle annexée au crématorium.
De la même manière, il faut veiller à la question des sites cinéraires attenants aux crématoriums, qui ne peuvent être installés qu’au sein des cimetières et à l’immédiate proximité des crématoriums.
J’en profite pour rappeler que, dans la loi de 2008, nous avions également traité de la fameuse question du statut des cendres, en prenant en compte les principes de respect, de dignité et de décence que j’ai énoncés précédemment.
Tout cela implique une grande attention. En outre, mais Jean-René Lecerf reviendra sur ce sujet, des questions d’environnement se posent. Tous les crématoriums devront en effet être équipés en 2018 de nouvelles installations conformes aux règles relatives aux fumées. Certes coûteuses, ces installations sont nécessaires au respect de l’environnement.
Autrement dit, vous le voyez, ce texte, qui vient après d’autres, a pour objet de faire progresser encore le droit funéraire, afin qu’il soit le plus respectueux possible des personnes et des familles éprouvées. Dans une société humaine et humaniste, celle-là même où nous souhaitons tous vivre, c’est une nécessité ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes saisis, sur l’initiative du groupe socialiste, d’une proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums.
On sait l’attention que porte la commission des lois, et tout particulièrement son président, à la législation funéraire. Je rappellerai simplement, pour la période récente, la mission d’information que nous avons conduite ensemble sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire, que nous avions intitulée Sérénité des vivants et respect des défunts, et qui s’est très vite concrétisée par le dépôt d’une proposition de loi : adopté à l’unanimité par le Sénat, le texte est devenu, après quelques aléas liés à son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire.
La présente proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur s’inscrit dans le même mouvement, en s’attachant toutefois à la seule question de la création et de l’extension des crématoriums. Il est vrai que de nombreux problèmes ont été réglés par la loi de 2008, tandis que ceux qui, à mon avis, perdurent, comme la qualité des sites cinéraires ou le déficit de carrés confessionnels, soit relèvent de la compétence réglementaire, soit font craindre des reproches d’inconstitutionnalité. Quant aux devis type ou devis modèles, ou à la moralisation des contrats d’obsèques, ils n’ont pas échappé à la nécessaire vigilance du président de notre commission des lois.
Rappelons d’abord quel est le paysage français de la crémation.
Si la loi du 15 novembre 1887, qui a consacré la liberté des funérailles, a placé la crémation sur un pied d’égalité avec l’inhumation, cette pratique concernait moins de 1 % des décès jusqu’en 1980. Mais la progression a été, depuis, très importante : 10 % en 1993 ; 23,5 % en 2004 ; 32,15 % en 2011. Dans notre rapport de 2006, nous observions déjà que la crémation figurait alors dans les intentions de 40 % à 50 % des souscripteurs de contrats en prévision d’obsèques.
Dans ce contexte, l’adaptation de l’offre de crémation aux besoins de la population se révèle donc plus que jamais d’actualité.
La loi du 19 décembre 2008 a doté la pratique de la crémation d’un encadrement juridique complet, en trois volets.
Le premier volet portait sur la qualification juridique des cendres, lesquelles cessaient d’être considérées comme des choses pour devenir des restes humains exigeant respect, dignité, décence.
Dans le deuxième volet, relatif à la destination juridique de ces cendres, qui est en quelque sorte la conséquence juridique du premier, il était mis fin à l’appropriation privative des urnes ainsi qu’à certaines situations totalement inacceptables.
Enfin, le troisième volet portait sur l’encadrement de la création, de l’extension et de la gestion des crématoriums et des sites cinéraires.
Mettant fin à la détention de tels équipements par des entreprises privées, le législateur a confié aux seules communes ou établissements publics de coopération intercommunale la compétence pour les créer et les gérer, tout en les autorisant cependant à en déléguer la gestion à un opérateur funéraire dûment habilité. En tout état de cause, crématorium et site cinéraire sont la propriété de la collectivité, ou y font retour au terme de la gestion déléguée.
La création ou l’extension d’un crématorium sont, par ailleurs, soumises à l’autorisation préalable du préfet de département, précédée d’une enquête publique destinée à associer les citoyens et à évaluer l’impact du projet sur l’environnement.
La jurisprudence invite également le préfet à examiner l’intérêt de l’opération au regard des besoins de la population, comme la pertinence de l’implantation précise de l’équipement au vu, notamment, de ses facilités d’accès.
Pourquoi convient-il, aujourd’hui, de mieux réguler l’implantation des crématoriums ?
Lors de l’examen de la proposition de loi adoptée en 2008, dont j’étais également le rapporteur, je relevais déjà de nombreuses lacunes dans ces implantations. En 2006, on comptait 115 crématoriums, gérés en régie pour moins d’un tiers, et en gestion déléguée pour le reste. En étaient totalement dépourvus dix-sept départements métropolitains. Certains choix d’implantation étaient déraisonnables, comme Roanne, qui en comptait deux à moins de 8 kilomètres de distance, au prix d’une concurrence préjudiciable.
Si la couverture du territoire a progressé, avec aujourd’hui 167 crématoriums et 32 en projet, quatre départements métropolitains et deux d’outre-mer en restent toujours dépourvus.
Demeurent surtout des problèmes d’implantation concurrente, sans lien avec les besoins réels de la population. Il en va ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, des crématoriums de Sarrebourg et Saint-Jean-Kourtzerode, en Moselle, de ceux de Beaurepaire et de Marcilloles, en Isère, ou du projet de Mareuil-lès-Maux, à proximité du crématorium de Saint-Soupplets, en Seine-et-Marne.
La Direction générale des collectivités locales ne semble pas disposer d’une carte des implantations à jour. Le législateur a pourtant expressément confié au préfet, dans la loi de 2008, le soin de délivrer les autorisations, ce que le Gouvernement avait alors jugé suffisant pour organiser adéquatement l’offre. Or une relative anarchie persiste, dont les conséquences se révèlent redoutables tant pour les citoyens que pour les collectivités territoriales.
Certaines zones restent dépourvues de tout équipement, tandis que d’autres sont saturées. Dans ce dernier cas, les gestionnaires, pour préserver leur rentabilité malgré la faiblesse de l’activité, fixent des frais de crémation très élevés. Or la demande est largement, et par nature, captive, d’autant plus qu’il s’agit de familles endeuillées, donc vulnérables.
Par ailleurs, cette pratique s’est intégrée au rituel du deuil. Au Père-Lachaise, la cérémonie civile organisée dans ce cadre est, dans 66 % des cas, la seule qui soit prévue au titre des funérailles. Ainsi que le souligne notre collègue Jean-Pierre Sueur dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, « le souci de la rentabilité des équipements créés peut conduire à privilégier des crématoriums mal dimensionnés, ce qui peut se traduire par la diminution des surfaces des salles dédiées à l’accueil des familles et au déroulement des cérémonies civiles ».
En outre, le risque financier d’une exploitation non rentable pèse, en dernier lieu, sur les collectivités locales, auxquelles revient la gestion du crématorium quand le délégataire l’abandonne.
Ajoutons que l’évolution de la réglementation européenne en matière de protection de l’environnement alourdit les contraintes de rentabilité de ces équipements, puisque les gestionnaires sont tenus de mettre aux normes avant 2018 leur dispositif de filtrage des effluents toxiques, pour des coûts très significatifs.
Il est donc apparu nécessaire à la commission des lois d’élaborer un nouveau modèle de régulation pour une meilleure adéquation entre les besoins et l’offre de crémation, tout en veillant à ne pas privilégier à l’excès les situations acquises au détriment de l’entrée de nouveaux acteurs. C’est la finalité essentielle de cette proposition de loi.
Ce texte renoue ainsi avec l’inspiration initiale de la proposition de loi qui avait abouti à la loi relative à la législation funéraire de 2008. En effet, un schéma régional des crématoriums, proposé dans le rapport d’information, avait été adopté par le Sénat en première lecture, avant d’être supprimé par l’Assemblée nationale. Les députés s’étaient rangés à l’avis du Gouvernement et avaient estimé qu’il était préférable d’éviter d’ajouter les contraintes d’un schéma, dans la mesure où la procédure d’autorisation après enquête publique leur paraissait suffisante pour réguler harmonieusement les projets d’implantation de crématoriums.
Cette espérance a été déçue. Elle reposait sur une mauvaise appréhension de l’enquête publique, qui porte sur l’impact environnemental du projet et non sur son adéquation avec les besoins de la population en matière de crémation.
Cette proposition de loi compte trois articles.
L’article 1er est consacré à la définition de l’objet du schéma ainsi qu’à sa procédure d’élaboration. Le schéma découpera le territoire d’une région en zones géographiques en indiquant pour chacune d’entre elles le nombre et la dimension des crématoriums nécessaires. La référence à la dimension des équipements vise à la fois leur capacité, c’est-à-dire le nombre des crémations qu’ils permettront d’accomplir, et la taille des bâtiments.
La commission des lois a précisé qu’il fallait tenir compte des équipements funéraires existants, par exemple une vaste salle de cérémonie, qui peuvent justifier que le crématorium ne soit pas nécessairement doté d’une salle de même taille.
Ce schéma serait délibéré par le préfet de région en collaboration avec les préfets de département. La procédure d’adoption débuterait par une consultation du conseil régional.
La commission des lois a précisé que le schéma devrait prendre en compte les exigences environnementales liées à la pollution, ce qui conforte la compétence régionale.
La consultation concernerait également les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de crématoriums, mais ils ne sont que 52 dans les 15 communautés urbaines pour lesquels la compétence est obligatoire.
Aussi la commission des lois a-t-elle ajouté la consultation des communes de plus de 2 000 habitants – elles sont environ 5 000 –, ce chiffre correspondant au seuil à partir duquel la commune doit prévoir un site cinéraire.
Enfin, la commission a prévu l’avis du Conseil national des opérations funéraires, le CNOF, ce qui permettra non seulement d’associer tant les professionnels du funéraire que les représentants des familles, mais aussi de prendre en compte la cohérence des éventuelles implantations à la frontière de deux régions. Si le nombre des régions est appelé à diminuer, monsieur le secrétaire d’État, il en restera tout de même quelques-unes ! (Sourires.)
Au terme de ces consultations, il reviendrait au préfet de région d’arrêter le schéma, qui devrait être révisé tous les six ans, délai qui permettrait de « caler » cette révision sur le mandat des élus municipaux et intercommunaux auxquels ce schéma s’imposera.
Pour répondre à un souhait exprimé de manière insistante par l’ensemble des professionnels, la commission a également prévu que le premier schéma ferait l’objet d’une révision à plus brève échéance, au terme de trois années.
L’article 2 subordonne la délivrance de l’autorisation de création ou d’extension du crématorium à sa compatibilité avec les dispositions du schéma régional, exigence de compatibilité bien distincte d’une obligation de conformité et qui est habituelle en matière de planification.
Enfin, l’article 3 organise la mise en œuvre du dispositif.
Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’essentiel de cette proposition de loi que la commission des lois a adoptée à l’unanimité. (Applaudissements.)