M. Jean-Jacques Hyest. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Espérons qu’il n’en sera rien et que la pratique conduira bien à différencier témoin, suspect et gardé à vue.
En tout état de cause, un important effort d’accompagnement et de pédagogie sera nécessaire auprès de l’ensemble des personnels exerçant des missions de police judiciaire et qui, ne nous le cachons pas, sont inquiets des évolutions en cours. C’est notamment le cas des enquêteurs travaillant dans les commissariats de quartier ou dans les gendarmeries rurales. Les grands enquêteurs appartenant aux grands services, comme les SRPJ – services régionaux de police judiciaire – voient les choses un peu différemment des enquêteurs de base, des simples officiers de police judiciaire, pour qui la mise en œuvre de ces dispositions sera un peu plus difficile.
Sur l’ensemble de ces points, la commission des lois a apporté un certain nombre de modifications, en général d’ordre rédactionnel, mais touchant aussi, parfois, au fond. Le Gouvernement les a acceptées, ainsi que vient de l’indiquer M. le ministre.
Nous avons également prévu que la victime pourrait être assistée par un avocat lorsqu’elle est confrontée à un suspect entendu dans le cadre d’une audition libre. Nous avons en effet tenu à ce que les droits de la victime ne soient pas oubliés. Car, dans notre pays, il faut le dire clairement et hautement, les droits des victimes sont reconnus ! Le Gouvernement a d’ailleurs appuyé cette volonté en déposant deux amendements visant à permettre à la victime de bénéficier de l’aide juridictionnelle dans ce cas. Nous-mêmes ne pouvions pas le faire sans contrevenir à l’article 40 de la Constitution.
Au-delà, nous avons estimé, monsieur le ministre, qu’il était urgent de repenser rapidement la phase préparatoire du procès pénal. Ce n’est pas nouveau, et vous avez eu vous-même à connaître de cette nécessité lorsque vous siégiez dans l’autre assemblée. De nombreux rapports se sont succédé depuis vingt ans, ceux de Mme Delmas-Marty, de M. Truche, de M. Léger, notamment, auxquels on peut ajouter le rapport d’information que Jean-René Lecerf et moi-même avions fait au nom de la commission des lois du Sénat, sans que rien ne bouge… jusqu’à ce que nous soyons contraints d’agir pour répondre à nos obligations européennes !
Aujourd’hui, l’instruction est résiduelle : plus de 96 % des affaires pénales sont traitées à l’issue d’une phase d’enquête qui est écrite, secrète et non contradictoire.
En outre, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – CEDH – fragilise le statut du ministère public, notamment en estimant que l’autorité chargée des poursuites ne peut pas être considérée comme un magistrat indépendant au sens de l’article 5 de la Convention européenne.
Il faut donc repenser notre procédure pénale et revoir le statut du parquet. À cet égard, il me semble que le président de la commission des lois a récemment transmis au Gouvernement un certain nombre de propositions qui constituent un minimum. Il nous faut, certes, renforcer de façon importante les droits de la défense et le contradictoire, mais, selon moi, en laissant à l’autorité judiciaire la maîtrise totale de l’enquête.
Il ne faudrait pas tomber dans les travers de la procédure accusatoire à l’anglo-saxonne, qui pose de véritables difficultés au regard de la loyauté de la preuve et tend à favoriser le développement d’une justice à deux vitesses, selon que les mis en cause ont, ou non, les moyens d’avoir recours à un avocat. Ce n’est pas parce qu’ils ont une plus grande propension à la délinquance que les « Blacks », les « Latinos », les défavorisées et les pauvres remplissent les prisons américaines ! C’est bien plutôt parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer un bon cabinet d’avocats !
J’insiste : la procédure pénale doit continuer à reposer essentiellement sur l’autorité judiciaire et les services de police judiciaire, mais selon des modalités qu’il convient sans doute de repenser.
De ce point de vue, la commission des lois forme le vœu que la mission que la garde des sceaux a récemment confiée à M. le procureur général Jacques Beaume aboutisse rapidement, afin d’envisager concrètement des propositions équilibrées et viables, susceptibles d’être intégrées rapidement dans le code de procédure pénale quand elles nous auront été présentées et que nous les aurons votées.
J’en terminerai en disant quelques mots de l’article 10 de ce projet de loi. Il s’agit d’un article d’habilitation du Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance, un type d’article que le Sénat répugne à voter. Le Sénat est là pour voter la loi et le Gouvernement pour la préparer et l’exécuter.
Cet article tendait, en l’occurrence, à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à l’application du règlement Dublin II, relatif à la détermination du pays responsable de l’examen d’une demande d’asile. Il s’agit plus précisément de créer un recours suspensif – dans une optique de protection du demandeur – contre les décisions de transfert des demandeurs d’asile dans d’autres pays, en général le pays par lequel ces demandeurs sont entrés dans l’Union européenne.
Sur le principe, un vaste accord avait été trouvé au sein de la commission des lois en faveur d’un texte réglant cette question – mais qui ne soit pas une ordonnance – avant même que le Gouvernement ne présente un texte général sur ce droit constitutionnel qu’est le droit d’asile.
Je rappelle d’ailleurs que, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, en février 2011, le Sénat avait adopté un amendement de Richard Yung, cosigné par plusieurs de nos collègues, qui créait un tel recours.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il n’a pas été mis en œuvre, faute d’avoir été inclus dans le texte final.
C’est précisément parce que nous avons déjà voté de telles dispositions que nous aurions préféré aujourd’hui être saisis de la rédaction envisagée par le Gouvernement, afin de nous assurer qu’elle est conforme à ce que nous souhaitons. Nous l’obtiendrons vraisemblablement. C’est pourquoi, à l’unanimité de la commission des lois, l’article d’habilitation a été supprimé. Nous espérions ainsi inciter le Gouvernement à nous présenter la disposition qu’il prépare. Pour l’heure, toutefois, il a jugé que sa réflexion n’était pas suffisamment aboutie. Sans doute les discussions interministérielles ne sont-elles pas achevées. Il n’y a donc pas, aujourd’hui, d’article 10, et je m’en félicite au moins pour ce qui concerne la durée de nos débats ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc de la commission. – M. Jean-Jacques Hyest applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on se souvient que le gouvernement précédent a attendu d’être mis au pied du mur, avec les condamnations de la CEDH, notamment l’arrêt Brusco c. France, du 14 octobre 2010, suivis de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et des arrêts de la Cour de cassation du 19 octobre 2010, pour se décider à élaborer un projet de loi réformant la procédure pénale qui permettait, a minima, à l’avocat d’être présent lors des auditions des personnes placées en garde à vue.
La loi adoptée le 14 avril 2011, constitua, certes, un premier pas important, mais l’ensemble de la gauche, de même que les syndicats, avait dénoncé son insuffisance. Nous avions d’ailleurs déposé un certain nombre d’amendements pour pallier ses lacunes. Nos principaux griefs portaient alors sur deux points majeurs.
Le premier était relatif au fait que la personne suspectée, mais entendue sans être placée en garde à vue, c'est-à-dire placée sous le régime de l’audition dite « libre », ne bénéficiait d’aucun droit.
Le second concernait la personne placée en garde à vue, dont l’avocat n’avait toujours pas accès à l’intégralité du dossier et ne pouvait donc l’assister de manière efficace.
Mes chers collègues, les attentes sont donc fortes depuis la réforme inachevée de 2011 et ce texte aurait pu être l’occasion de les voir se réaliser. Mais il a été choisi de procéder par étapes.
Le texte est en effet présenté comme une « première étape dans le renforcement des droits de la défense au cours de la procédure pénale », une amélioration devant intervenir à partir des conclusions d’une mission chargée de mener une réflexion plus ample sur l’enquête pénale.
Comme notre rapporteur, nous regrettons la méthode employée. Nous déplorons que notre code de procédure pénale ne progresse que grâce à la pression des institutions européennes et à la jurisprudence de la CEDH.
La procédure d’urgence et les réformes au coup par coup empêchent toute remise à plat ambitieuse et cohérente de notre procédure pénale. Pourtant, celle-ci, parce qu’elle touche à la liberté des personnes mises en cause, doit être sûre et s’inscrire dans le temps, sous peine d’être sans cesse remise en question et donc de fragiliser les enquêtes en cours.
Ainsi, alors que le présent projet de loi se contente de transposer la directive B, il pouvait être plus ambitieux puisque son champ d’application recouvre celui de la directive C. Il aurait été plus logique, plus efficace et, surtout, plus sûr, de préparer une loi de transposition unique pour ces deux directives.
Ces remarques relatives à la forme étant faites, je dirai que le projet de loi qui nous est présenté contient des avancées, et les dispositions suivantes demandent une attention particulière.
Premièrement, le projet de loi introduit des avancées significatives pour les personnes mises en cause mais non placées en garde à vue. Quel que soit le cadre juridique de l’audition libre – enquête préliminaire ou de flagrance, information judiciaire, retenue douanière –, la personne mise en cause bénéficiera désormais d’un certain nombre de droits, notamment celui d’être informée de ce qui lui est reproché, de son droit de quitter les lieux à tout moment, de son droit de garder le silence, de son droit de bénéficier de conseils juridiques et, si elle est entendue pour un crime ou un délit puni d’emprisonnement, de son droit d’être assistée d’un avocat au cours de son audition ou de sa confrontation.
Ces dispositions viennent donc combler une lacune importante de notre droit. Jusqu’à présent, au regard de la loi de 2011, la personne entendue sous ce régime ne bénéficiait d’aucun droit particulier, hormis celui d’être informée « de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ».
Ce type d’audition, au cours de laquelle une personne est amenée à s’exprimer sur des faits pouvant donner lieu à des poursuites – elle est donc susceptible de s’auto-incriminer –, doit être strictement encadré. Tel était d’ailleurs le sens des amendements que nous avions déposés en 2011. C’est pourquoi nous ne pouvons que soutenir les avancées du texte en la matière.
Deuxièmement, le projet de loi marque une avancée significative dans le sens du renforcement du caractère contradictoire de notre procédure pénale, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Il s’agit là, en effet, d’une composante essentielle des droits de la défense et du procès équitable. À ce titre, chaque partie devrait avoir accès aux pièces du dossier, en obtenir copie, pouvoir présenter des observations sur chaque pièce et acte réalisé au cours de la procédure, pouvoir solliciter des investigations, avoir connaissance des observations et des demandes des autres parties et être en mesure d’y répondre.
Je ne reviens pas sur les autres avancées de ce projet de loi, notre rapporteur les ayant évoquées ; nous en reparlerons de toute façon dans la discussion des articles. Permettez-moi simplement de dire un mot sur l’impact budgétaire.
Vous le savez, l’actualité nous l’a malheureusement rappelé il y a quelques semaines, les juridictions connaissent d’importantes difficultés budgétaires, ne serait-ce que pour avoir du papier, voire de l’encre pour imprimer les fax !
Le texte dont nous débattons aura des conséquences matérielles et organisationnelles dans les ordres, ainsi que des effets sur le budget de l’aide juridictionnelle. Les syndicats que nous avons consultés attendent d’être rassurés sur ce point. Ils insistent sur les coûts de cette réforme, qu’ils estiment sous-évalués dans l’étude d’impact. Ainsi, n’est pas pris en compte le coût des copies des nouveaux formulaires de notification, qui n’intègre pas la nécessaire adaptation des logiciels de rédaction de procédure pour établir les procès-verbaux de notification, pas plus que ne le sont les frais de traduction dans toutes les langues, qui seront importants la première année. De même, l’impact de ce texte sur l’aide juridictionnelle sera très fort.
Il faut donner à notre justice les moyens de fonctionner, faute de quoi, toute réforme, aussi significative soit-elle, ne pourra être correctement appliquée.
Ces remarques étant faites et l’article 10 ayant été supprimé, nous voterons en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Union européenne nous incite à améliorer l’équité de notre procédure pénale, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. La Haute Assemblée, comme le groupe RDSE du reste, est très attachée à la protection des libertés et, plus précisément, à l’exigence d’un procès équitable. Cette exigence est au cœur de la directive que ce projet de loi tend à transposer.
Mes chers collègues, la démarche européenne vise à établir un socle commun de garanties procédurales, afin de permettre la reconnaissance mutuelle des décisions pénales. Elle prévoit également de compléter les obligations découlant de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais aussi de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 30 novembre 2009 une feuille de route comprenant six mesures, mais définie comme un tout.
Ainsi, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté des « règles minimales » tendant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Elles ont donné lieu à trois directives ; nous débattons aujourd'hui de la transposition de l’une d’entre elles.
Il s’agit de faire progresser le droit à l’information des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. La question est fondamentale, et force est de constater que notre droit est lacunaire en ce domaine. Toutefois, permettez-moi de douter quelque peu, monsieur le ministre, de la justesse de l’exposé des motifs du projet de loi, qui affirme étrangement le contraire.
Le sujet est essentiel, car l’information délivrée à la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction ou qui est poursuivie à ce titre est indéniablement au cœur du procès équitable. Il n’y a pas de jugement contradictoire, ni d’égalité des armes ni de défense digne de ce nom si le principal intéressé ignore les droits qui lui sont reconnus par la loi, les chefs d’accusation retenus, ainsi que les charges rassemblées contre lui par les autorités.
Bien que la directive ne nous impose que des règles a minima, et alors que l’effacement progressif de l’instruction au profit de l’enquête conduit à une régression du contradictoire dans la mise en état des affaires pénales, notre combat pour une justice équitable doit nous conduire à aller plus loin.
Reconnaissons que notre procédure pénale progresse même si les évolutions – tardives ! – se font sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous devons nous appuyer sur les règles minimales définies par la directive, qui tiennent compte des différences entre les systèmes juridiques des États membres pour renforcer les droits du justiciable, sans compromettre l’efficacité de la procédure. C’est bien cette démarche pragmatique qui doit nous guider.
Le texte proposé par la commission des lois traduit un progrès nécessaire : il renforce, comme la directive l’exige, les droits de la défense dans l’ensemble des phases de la procédure. Mais l’approche pragmatique qui consiste à rechercher l’équité, tout en maintenant l’efficacité de la procédure, met en exergue un paradoxe, voire une incohérence. Le projet de loi va parfois au-delà des exigences immédiates de la directive, alors qu’il se limite à une lecture stricte des règles minimales pour ce qui concerne d’autres dispositions.
Il nous semble que deux articles du projet de loi méritent qu’on s’y attarde.
L’article 1er renforce de manière considérable les garanties offertes à la personne entendue dans le cadre de l’audition libre. En effet, si les droits de la personne placée en garde à vue ont été renforcés, en particulier au travers de la réforme du 14 avril 2011, le suspect entendu librement ne bénéficie d’aucune garantie. Le Conseil constitutionnel a exigé que la personne placée en garde à vue soit informée de la nature et de la date de l’infraction dont on la soupçonne et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie.
Le choix du Gouvernement a été d’aller bien au-delà de la simple légalisation de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, en prévoyant que seront notifiés au suspect son droit au silence, le droit à un interprète, ainsi que les droits à des conseils juridiques et, surtout, à l’assistance d’un avocat. Le projet de loi anticipe ainsi la transposition de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat. Le progrès est important et fait apparaître un contraste avec la limitation de l’accès aux pièces dans le cadre de la garde à vue.
La transposition de la directive du 22 mai 2012 a suscité de nombreux espoirs, notamment en ce qui concerne l’article 7 de celle-ci. Il semblait raisonnable d’attendre une ouverture de la liste des pièces accessibles à l’avocat durant la garde à vue ; il s’agit là d’une demande des avocats. Or les pièces que peut consulter l’avocat dans le cadre de la garde à vue sont limitativement énumérées. Cette limitation entame l’efficacité de la mission de défense, l’avocat n’ayant pas accès, notamment, aux procès-verbaux d’audition des victimes ou de perquisition.
Cependant, si le projet de loi permet aux personnes gardées à vue d’accéder aux mêmes pièces que l’avocat, la liste de ces pièces n’est pas élargie. Il semble que le texte ait omis le deuxième paragraphe de l’article 7, qui exige que les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient accès au minimum à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge des suspects ou des personnes poursuivies.
En s’appuyant notamment sur ce texte, le tribunal correctionnel de Paris a annulé une garde à vue au motif qu’un avocat n’avait pas pu consulter le dossier de son client pendant son déroulement.
Rappelons, enfin, que la directive est censée compléter les obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme et que la CEDH exige, dans son arrêt Dayanan c. Turquie du 13 octobre 2009, un accès au dossier bien plus large.
De ce point de vue, la transposition de la directive semble limitée aux règles minimales et paraît également incomplète.
Le présent texte, dans son ensemble, améliore indéniablement notre procédure pénale. C’est la raison pour laquelle nous le soutenons. Il s’agit d’une première avancée, avant même de connaître les conclusions de la mission confiée au procureur général Jacques Beaume. Surtout, la réforme attendue de la procédure pénale devra être l’occasion de renforcer solidement l’équité du procès.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’enjeu est de taille, nous devons en avoir conscience, et il ne nous faudra pas rater ce rendez-vous. En attendant, posons ensemble la première pierre en adoptant ce projet de loi portant transposition de la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France essaie – pour une fois ! – de voter en temps et en heure la transposition d’une directive européenne. Encore que… Est-il normal d’attendre le dernier trimestre avant la date limite de la transposition ? (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.)
Nous devons donc voter en urgence un projet de loi dont nous savons, depuis les conclusions du Conseil européen du 11 décembre 2009, qu’il modifiera grandement notre procédure pénale. Il en était déjà de même voilà un an avec la loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France ou, pis encore, avec le règlement Dublin III, le Gouvernement nous proposant à l’article 10 de l’autoriser à procéder par ordonnance pour adapter certaines dispositions, article que la commission a supprimé à ma demande. Cette directive conférait pourtant un droit supplémentaire aux étrangers, qui devaient être reconduits dans le pays d’entrée de l’espace Schengen lorsqu’ils demandaient l’asile.
Ainsi, pour protéger les droits du Parlement, les droits des étrangers demandeurs d’asile ont dû être sacrifiés ; je le regrette.
Notre processus d’intégration du droit européen se fait toujours au détriment du Parlement français, à l’avantage de commissions administratives qui, fussent-elles présidées par de hautes personnalités reconnues de tous, « remue-méningent » dans leur coin, en secret et, en fin de compte, privent le Parlement d’une navette – c’est le cas ici – pour les grandes lois garantes de nos libertés que sont les lois de procédure pénale.
Pourtant, la transposition d’une directive devrait être un acte banal, prévu de longue date, d’autant qu’une feuille de route européenne existe aujourd’hui, qui nous permet de savoir que notre système d’aide juridictionnelle est à revoir ou que la présomption d’innocence est à renforcer.
La France, patrie des droits de l’homme, pourrait être le moteur de l’évolution commune et ne pas être à la traîne de l’Europe : elle court après des directives et donne ainsi à ses partenaires l’impression qu’elle n’en saisit pas l’importance. Cela explique peut-être que l’Europe ne retienne pas notre théorie du droit – M. le rapporteur l’a regretté – et justifie sans doute la perte de prestige de notre droit.
La jeune parlementaire que je suis peut avoir des rêves, elle peut encore croire que le Parlement est là pour réfléchir, puis légiférer, et non l’inverse, et qu’il est déraisonnable de procrastiner, d’attendre la date limite pour transposer une directive, sauf à croire et faire accroire que le Parlement ne sert à rien, qu’une seule lecture suffit et, donc, que la procédure accélérée est la quintessence de la modernité dans l’art de gouverner…
Au travers de ce projet de loi, nous sommes invités à transposer la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, ainsi que, partiellement, celle du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales. S’agissant de cette seconde directive, pour une fois, nous sommes en avance. Toutefois, comme cela vient d’être souligné, son point le plus important, à savoir le droit d’accès de l’avocat à l’intégralité du dossier dès le début de la garde à vue, n’est pas encore traité.
Certes, on peut toujours demander à une commission de réfléchir à la transposition intégrale de la seconde directive. Mais pourquoi ne pas solliciter, pour ce faire, les instances les mieux à même de de procéder à cette transposition, à savoir les deux chambres du Parlement et leurs commissions des lois ?
En vérité, un rapport parlementaire est aussi propre que tout autre à éclairer le législateur !
M. Gérard Longuet. C’est bien vrai !
Mme Hélène Lipietz. Pour que la séparation des pouvoirs soit vraiment assurée, il aurait fallu que, à partir du socle européen et du projet de loi présenté par le Gouvernement, le Parlement puisse élaborer un véritable texte de procédure pénale.
Au-delà de la question du temps de transposition se pose celle de la manière de procéder : doit-on transposer une directive de façon très stricte, sans s’en écarter d’un millimètre, ou bien doit-on essayer d’aller plus loin que les dispositions qu’elle comporte ? Dans certains domaines seulement, il est raisonnable et préférable d’opérer une transposition a minima.
Permettez-moi, pour finir, d’aborder le droit de se taire. Dans nos démocraties actuelles, et c’est heureux, il est évident qu’il n’y a aucun moyen de contraindre à parler une personne qui s’y refuse. Bel et bien, nous savons tous que certaines personnes gardent le silence pendant toute la procédure. Reste à tirer les conséquences de ce droit.
En droit français, la règle est claire : le silence ne vaut pas reconnaissance de culpabilité. Notre procédure est en effet inquisitoire, ce qui signifie que la culpabilité doit être démontrée par l’autorité judiciaire. J’espère que nous conserverons ce modèle encore un temps, et même que nous convaincrons nos amis européens de l’adopter : c’est ce type de procédure qui assure le plus sûrement l’égalité des armes, dans la mesure où l’incrimination vient de l’État et non, comme dans la procédure accusatoire, des parties.
Alors que, dans le système accusatoire, il incombe aux parties de démontrer la réalité de l’accusation, cette charge pèse sur l’État dans la procédure inquisitoire : le droit de se taire est le corollaire nécessaire de cette obligation faite à l’État de démontrer la culpabilité du suspect. Reconnaître en premier le droit fondamental de se taire permet donc de réaffirmer en droit européen la pertinence de notre procédure inquisitoire.
En définitive, les sénateurs écologistes voteront le présent projet de loi, même s’ils constatent avec regret que nous ne savons pas encore suffisamment anticiper la transposition des directives européennes. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter M. le rapporteur pour son important travail et pour ses efforts d’explication.
Je ne reviendrai pas sur tous les aspects du projet de loi, M. le ministre l’ayant présenté de façon détaillée. Du reste, nous nous accordons sur la nécessité de l’adopter, ne serait-ce que parce qu’il opère la transposition de directives européennes et qu’il vaut tout de même mieux ne pas nous faire condamner trop régulièrement par la Cour de justice de l’Union européenne.
Pour ce qui concerne la directive du 22 octobre 2013, on procède à la transposition anticipée de certaines de ses dispositions ; mais, comme M. le rapporteur l’a souligné, il faudra bien reprendre le travail pour le mener à bien.
Il faut constater que, petit à petit, par petites touches, notre procédure pénale est bouleversée par les modifications que lui apporte le droit communautaire et, quelquefois, des décisions de jurisprudence.
Les réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel ne soulèvent pas de problème, mais il faut tout de même en tenir compte. Quant à la Cour de cassation, elle nous joue parfois des tours qui nous obligent à aller vite. Souvenez-vous, mes chers collègues, de l’affaire de la géolocalisation : les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi rendu nécessaire par la position de la Cour de cassation seront examinées tout à l’heure. Et je ne parle pas de ce qui s’est passé pour la garde à vue !
En vérité, je pense qu’une refonte globale de notre procédure pénale est à terme inévitable ; M. le rapporteur l’a d’ailleurs très bien expliqué.
Le travail de la commission des lois a permis d’apporter au projet de loi des modifications de nature à le rééquilibrer. En effet, si l’on veut que les poursuites soient efficaces, il faut bien tenir compte aussi des difficultés que rencontrent la police nationale et la gendarmerie : la presse s’en fait l’écho et les représentants des services d’enquête auditionnés par la commission les ont décrites.
Cela dit, le droit à l’information doit être amélioré, non seulement parce que les normes européennes nous y contraignent, mais aussi parce que cela est normal. Du reste, nous avons tort quand nous disons que nous faisons telle ou telle chose parce que l’Europe nous l’impose : nous avons signé les traités, même si nous avons émis un certain nombre de réserves dont nous ne tenons pas toujours compte.
Le présent projet de loi vise à transposer la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales et, pour partie, la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales.
Pour ce qui concerne le droit reconnu à la personne gardée à vue d’accéder à l’intégralité de son dossier, M. le rapporteur a fait toutes les remarques nécessaires ; pour ma part, je mentionnerai seulement, dans quelques instants, quelques inconvénients supplémentaires.
Le projet de loi prévoit un renforcement important des droits de la défense dans l’ensemble des phases de la procédure. En particulier, il tend à encadrer le déroulement des auditions libres en rendant plus systématique le droit de la personne suspecte à être assistée d’un avocat.
Ces mesures me rappellent tous les dispositifs que nous avons essayé de fabriquer : après l’inculpation, on a parlé de détention préventive, puis de détention provisoire, avant d’inventer le témoin assisté, qui est un semi-suspect, voire très largement un suspect, et qui a droit à un avocat. Comment tous ces systèmes s’articulent-ils ? Preuve en est que nous devrons encore réfléchir à l’homogénéisation de la procédure pénale !
J’en reviens à mon propos. Les forces de l’ordre ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de tirer les conséquences de l’assistance par un avocat du suspect libre. En effet, pour des raisons pratiques qui tiennent à l’organisation des services de police – il sera nécessaire d’attendre l’arrivée de l’avocat ou de reporter l’audition, voire, comme l’a dit élégamment M. le rapporteur, d’aller consulter la maison de justice et du droit d’à côté –, cette mesure pourrait avoir pour effet d’inciter les forces de police à recourir plus volontiers à la garde à vue, alors même que celle-ci n’est pas toujours justifiée.
Par ailleurs, un flou persiste sur le statut de témoin dans la mesure où, si le témoin devient suspect, la procédure pourrait être entachée d’irrégularité. J’insiste : du fait de la création du suspect libre, nous devrons faire très attention. Si, à la fin de l’audition, on s’aperçoit que la personne entendue comme témoin, les services de police étant de bonne foi, est en réalité l’auteur de l’infraction, que fera-t-on ?
L’article 5 du projet de loi prévoit que le témoin assisté aura copie du dossier, sans que cette communication passe nécessairement par l’avocat. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous le demande : avec un tel dispositif, qui protégera le secret de l’instruction ?
Au demeurant, l’obligation de communiquer à la personne gardée à vue tous les éléments de son dossier, alors que dans le même temps sont peut-être menées des perquisitions ou d’autres investigations, posera également des problèmes. Supposez, mes chers collègues, que, grâce à des écoutes téléphoniques, on sache que cette personne a communiqué avec telle ou telle personne : devra-t-on le lui dire, alors que les transcriptions ne sont pas forcément faites ? Pour ma part, je ne vois pas comment, en pratique, cela sera possible.
Rendre obligatoire la présence d’un avocat dès le stade de l’audition libre, nous en sommes d’accord ; mais comment l’aide juridictionnelle sera-t-elle financée ? De fait, de nombreux citoyens vont avoir recours à cette aide, dont le budget va exploser sous l’effet de la nouvelle procédure alors même qu’elle est un point faible de la politique judiciaire de notre pays.
Monsieur le ministre, selon l’étude d’impact du projet de loi, cette mesure coûtera entre 13 161 720 et 29 534 900 euros. La précision n’est-elle pas remarquable ? En vérité, j’admire ceux qui ont rédigé cette étude ! (MM. Gérard Longuet et Serge Dassault rient.)
Pour ce qui concerne le droit de se taire, Mme Lipietz souhaite qu’il soit systématiquement rappelé aux personnes concernées. Je vous rappelle que le code de procédure pénale garantit déjà ce droit à la personne entendue.
Enfin, à propos de la rédaction initiale de l’article 10 du projet de loi, je dois reconnaître, monsieur le ministre, que nous n’aimons pas les ordonnances. On peut certes les accepter quand il s’agit d’adapter la législation ; je pense en particulier aux dispositions relatives à l’outre-mer, qui sont souvent oubliées.
Du reste, j’ai voté le recours aux ordonnances, mais en protestant toujours – plus ou moins fort… (Rires.) Je l’ai fait, notamment pour la transposition de directives communautaires, parce que notre retard était tel qu’il fallait bien recourir à des trains d’ordonnances pour éviter d’être condamné.
Pour ce qui concerne le droit d’asile, il est urgent, sans doute, que le problème soit réglé ; mais je regrette que le Gouvernement ne nous ait pas fourni le texte envisagé, ce qui aurait peut-être été relativement simple. Songez, mes chers collègues, que, voilà quinze jours, on prétendait carrément nous faire passer tout le titre III du code civil sous forme d’ordonnance ! Ce n’était pas concevable, et la commission des lois s’y est opposée ; le Sénat l’a suivie, à l’unanimité moins une voix.