Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin
Secrétaires :
MM. Jean Desessard, Alain Dufaut.
3. Saisine du Conseil constitutionnel
4. Communication du Conseil constitutionnel
6. Mise au point au sujet d’un vote
Mme Nathalie Goulet, M. le président.
7. Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : MM. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement ; Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois.
Mme Éliane Assassi, M. Robert Tropeano, Mme Hélène Lipietz, MM. Jean-Jacques Hyest, Yves Détraigne, Jean-Pierre Sueur.
M. Alain Vidalies, ministre délégué.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 2 de Mme Éliane Assassi. – MM. Christian Favier, le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Gérard Longuet. – Adoption.
Amendement n° 4 de Mme Éliane Assassi. – MM. Christian Favier, le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Retrait.
Amendement n° 3 de Mme Éliane Assassi. – MM. Christian Favier, le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; MM. Jean-Jacques Hyest, Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. – Adoption.
Amendement n° 1 de M. Jean-Jacques Hyest. – M. Jean-Jacques Hyest. – Retrait.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 18 du Gouvernement. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; M. le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 8 de Mme Éliane Assassi. – MM. Christian Favier, le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Rectification de l’amendement.
M. le rapporteur. – Adoption de l’amendement n° 8 rectifié.
Amendement n° 9 de Mme Hélène Lipietz. – Mme Hélène Lipietz, M. le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 10 rectifié de Mme Hélène Lipietz. – Mme Hélène Lipietz, M. le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; MM. Serge Dassault, Gérard Longuet, Jean-Jacques Hyest, Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Reprise de l’amendement n° 10 rectifié par M. Gérard Longuet. – M. Gérard Longuet. – Retrait.
Amendement n° 19 du Gouvernement. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; M. le rapporteur, Mme Nathalie Goulet. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 5 rectifié de Mme Éliane Assassi. – MM. Christian Favier, le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 11 de Mme Hélène Lipietz. – Mme Hélène Lipietz, M. le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Retrait.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 12 de Mme Hélène Lipietz. – Mme Hélène Lipietz, M. le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Retrait.
Amendement n° 22 de la commission. – M. le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 13 de Mme Hélène Lipietz. – Retrait.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 14 de Mme Hélène Lipietz. – Retrait.
Amendement n° 15 de Mme Hélène Lipietz. – Mme Hélène Lipietz, M. le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Retrait.
Amendement n° 16 de Mme Hélène Lipietz. – Retrait.
Adoption de l'article.
Article 6 bis (nouveau). – Adoption
Amendement n° 17 de Mme Hélène Lipietz. – Mme Hélène Lipietz, M. le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 20 du Gouvernement. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; M. le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 21 du Gouvernement. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; M. le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 23 de la commission. – M. le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Mme Nathalie Goulet.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
8. Géolocalisation. – Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire
Discussion générale : M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Robert Tropeano, Mme Hélène Lipietz, MM. Jean-Jacques Hyest, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Jean-Pierre Michel.
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Amendement n° 1 du Gouvernement. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, rapporteur.
Adoption définitive de l’ensemble du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire, modifié.
9. Communication relative à une commission mixte paritaire
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. Alain Dufaut.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Alphonse Arzel, qui fut sénateur du Finistère de 1980 à 1998.
3
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 février 2014, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
Le texte des saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
4
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le lundi 24 février 2014, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 728 du code de procédure pénale (Règlements intérieurs des établissements pénitentiaires) (2014-393QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
5
Renvoi pour avis multiple
M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (n° 279, 2013-2014), dont la commission des affaires économiques est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à leur demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique.
6
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, lors du scrutin n° 146 du 17 février 2014 sur la motion n° 1, présentée par M. Jean Bizet et les membres du groupe de l’UMP et tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à la proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié, MON 810, j’ai été déclarée comme n’ayant pas participé au vote, alors que j’entendais voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et il en sera tenu compte dans l’analyse politique du scrutin.
7
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du Gouvernement et après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (projet n° 303, texte de la commission n° 381, rapport n° 380).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Mme la garde des sceaux, actuellement retenue à l’Assemblée nationale pour la lecture définitive du texte relatif à la géolocalisation, amis qui nous rejoindra en cours de débat.
Ce projet de loi vise à transposer la directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, dite « directive B », et ainsi à renforcer les droits de la défense en matière de procédure pénale.
Notre droit positif est certes déjà largement conforme à la directive. Toutefois, ce projet de loi permet non seulement de consacrer dans la loi la jurisprudence du Conseil constitutionnel et des pratiques existantes, mais encore il crée, aux différents stades de la procédure pénale, de nouveaux droits pour les personnes suspectées ou poursuivies.
Il s’inscrit dans un plus vaste projet de réforme de la procédure pénale, dicté par le souci d’anticiper la transposition de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales, dite « directive C », qui doit intervenir avant décembre 2016. Cette seconde directive est, en effet, intimement liée à celle du 22 mai 2012, participant d’un dispositif commun de mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales en Europe.
Le projet vise ainsi à renforcer les droits des personnes, victimes et mis en cause, à tous les stades de la procédure.
Au stade de l’enquête, le projet de loi crée un véritable statut des personnes suspectées, en encadrant les modalités selon lesquelles elles pourront être entendues librement, sans être placées en garde à vue.
L’audition libre a donné lieu à de nombreux débats, notamment lors de l’adoption de la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, mais le gouvernement d’alors n’a pris aucune disposition encadrant les conditions d’une telle audition, si bien qu’aucun texte de loi ne garantit les droits de la défense dans ce cas. Seul le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 novembre 2011, avait imposé qu’une personne suspectée soit expressément informée de sa faculté de quitter à tout moment les locaux du service d’enquête, ainsi que de la nature et de la date de l’infraction pour laquelle elle est mise en cause.
Le projet tend à inscrire dans la loi ces deux droits et y ajoute, en application de la directive, le droit à l’interprète, le droit au silence et le droit à des conseils juridiques.
En outre, il prévoit que, dans le cas d’un crime ou d’un délit, les personnes suspectées pourront également être assistées par un avocat pendant l’audition libre. Ce droit très important n’est pas exigé par la directive de 2012, mais découle de celle du 22 octobre 2013. Il donne sa cohérence à l’ensemble du dispositif de création d’un statut du suspect libre, imposé par la directive B, et permet d’anticiper toute évolution de la jurisprudence européenne à cet égard.
La préoccupation du Gouvernement est en effet de sécuriser les procédures et de nous permettre d’avancer de façon concertée et réfléchie, sans avoir à réagir en urgence, au prix d’annulation de procédures ou de décisions des cours suprêmes.
L’entrée en vigueur de ce droit à l’avocat est fixée au 1er janvier 2015, de sorte qu’il puisse être budgétisé, étant précisé que, d’ici là, la réforme de l’aide juridictionnelle en cours d’élaboration aura abouti.
La commission des lois du Sénat a adopté un amendement du rapporteur qui vise à préciser, à l’article 63 du code de procédure pénale, le point de départ de la garde à vue décidée à la suite d’une audition libre. En effet, la Cour de cassation considère, selon une jurisprudence bien établie, que la durée d’une telle audition doit être imputée sur celle de la garde à vue. Il convient donc, dès lors, de consacrer cette pratique dans les textes.
En outre, la commission a adopté un amendement qui permet la présence de l’avocat de la victime dans le cas où celle-ci serait confrontée à un suspect libre, comme c’est déjà le cas lorsque la victime est confrontée au gardé à vue. C’est une extension à laquelle le Gouvernement est évidemment favorable. Même si ces situations sont assez rares, il ne serait pas concevable que le suspect ait droit à un avocat et pas la victime à ce stade de l’enquête. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement afin que l’avocat soit rétribué par l’État si la victime remplit les conditions pour bénéficier de l’aide juridictionnelle.
J’en profite pour remercier M. le rapporteur de la très grande qualité de son travail sur un texte de procédure, par nature technique et complexe, permettant à la commission d’apporter de très utiles précisions et clarifications.
Le projet de loi a également pour objet d’améliorer les droits des personnes gardées à vue. Celles-ci seront plus précisément informées de l’infraction qui leur est reprochée, ainsi que des motifs de la garde à vue, et elles auront directement accès aux mêmes pièces du dossier que l’avocat. Elles recevront, enfin, une déclaration écrite énonçant leurs droits.
La commission a modifié l’alinéa 8 de l’article 3, qui limite, en sa rédaction actuelle, la possibilité, pour le gardé à vue, de demander sa mise en liberté aux seuls cas de présentation au procureur de la République ou au juge des libertés et de la détention. Tenant compte du fait que cette présentation n’est pas systématique, la commission a jugé que la demande de mise en liberté devait pouvoir être introduite même en l’absence de présentation au procureur ou au juge. Parce que la disposition visée serait, en l’état, inégalitaire, le Gouvernement approuve pleinement cet apport.
Au cours de l’instruction, les personnes mises en examen et les témoins assistés se verront désormais expressément notifier, dans les cas où cela n’était pas encore prévu, notamment dans l’hypothèse où la personne comparaît pour la première fois devant le juge d’instruction sur convocation, le droit au silence et le droit à l’interprétariat.
Par ailleurs, le droit d’accès au dossier de l’ensemble des parties est renforcé, le projet de loi introduisant la possibilité, pour les justiciables, d’obtenir directement la copie du dossier, alors que seul leur avocat peut aujourd’hui l’obtenir.
Le projet de loi vise aussi à renforcer les droits des personnes poursuivies. Il tend ainsi à prévoir que les prévenus soient informés, lors de la délivrance de la citation directe ou de la convocation en justice par un officier de police judiciaire, de leur droit de se faire assister d’un avocat et de leur droit à des conseils juridiques.
Par ailleurs, sont clarifiés et encadrés les délais de la mise à disposition du dossier et de délivrance de la copie aux personnes poursuivies devant le tribunal correctionnel. La loi prévoit de façon expresse que les avocats des parties pourront consulter le dossier au greffe du tribunal de grande instance dès la délivrance de la citation et, au plus tard, deux mois après la notification de la convocation en justice. Les parties ou leurs avocats auront droit à ce que leur soient délivrées gratuitement les pièces de la procédure au plus tard dans les deux mois suivant leur demande.
Le projet de loi innove en renforçant la faculté, pour les personnes prévenues devant le tribunal correctionnel, de demander des actes d’investigations supplémentaires. Ainsi, ce droit sera désormais expressément énoncé dans le code de procédure pénale, alors qu’il n’est aujourd’hui qu’implicite, et le tribunal correctionnel devra demain, s’il refuse les demandes, rendre une décision spéciale et motivée.
En outre, si elle y fait droit, la juridiction pourra désormais confier à un juge d’instruction, et non plus seulement à l’un des membres de la formation de jugement, la réalisation du supplément d’information demandé, permettant ainsi de faciliter la possibilité, pour les justiciables, d’obtenir des investigations complémentaires.
En outre, les prévenus et les accusés seront désormais expressément informés, respectivement par le président du tribunal correctionnel et par le président de la cour d’assises, de leurs droits au silence et à l’interprétariat.
Le projet de loi renforce également de manière spécifique les garanties des personnes poursuivies en comparution immédiate ou selon la procédure dite « de comparution sur procès-verbal », à l’issue d’une présentation devant le procureur de la République. Ces personnes seront désormais assistées, lors de l’audition par le procureur, d’un avocat qui pourra présenter toutes observations utiles sur l’issue de la procédure.
En conséquence, le procureur de la République pourra, par exemple, modifier sa décision sur l’action publique initialement envisagée en ouvrant une instruction préparatoire, en prenant une mesure alternative aux poursuites ou même en abandonnant ces dernières. Il s’agit là, pour les droits de la défense, d’une avancée majeure que beaucoup réclamaient depuis longtemps et que certaines juridictions pratiquent d’ailleurs déjà.
Enfin, le tribunal correctionnel pourra désormais, comme en matière de comparution immédiate, décider de renvoyer le dossier à l’instruction s’il estime que des investigations complexes doivent être entreprises.
Votre commission des lois a voté la suppression de l’article 10. Le Gouvernement en prend acte et estime que la réflexion doit se poursuivre sur la procédure la plus adaptée pour la mise en œuvre de dispositions qui relèvent d’un règlement européen, et qui ne font pas débat quant au fond.
En résumé, ce projet de loi renforce, à chaque étape de la procédure, les droits de la défense, mais aussi ceux de la victime, et il met en conformité notre procédure pénale avec les standards du droit de l’Union européenne. Pour ces raisons, le Gouvernement vous invite à le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est la seconde fois que le Sénat est appelé à se prononcer sur les mesures de transposition nécessaires pour appliquer la « feuille de route de Stockholm ».
En effet, il y a quelques mois, le législateur a adopté la loi du 5 août 2013, qui avait été rapportée au Sénat par Alain Richard, et qui a notamment transposé la directive du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction des pièces du dossier.
Qu’entend-on par « feuille de route de Stockholm » ? Il s’agit du programme de travail que l’Union européenne s’est donné en 2009, sur la base du traité de Lisbonne – adopté par le Parlement après que le peuple français eut refusé la nouvelle Constitution européenne – pour rapprocher les législations des différents États membres en matière pénale et ainsi favoriser la reconnaissance mutuelle des décisions de justice.
Plusieurs mesures sont prévues dans ce cadre. La question du droit à l’interprétation a été réglée, ainsi que je viens de l’indiquer. Nous examinons aujourd’hui les points traités, d'une part, dans la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, d'autre part, par anticipation, dans une partie de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat. Plusieurs mesures sont encore attendues, notamment un texte sur la protection de la présomption d’innocence – une sorte d’habeas corpus inspiré du droit anglais – et sur les garanties à apporter aux personnes vulnérables ainsi qu’un texte sur l’aide juridictionnelle. Sur tous ces sujets, les discussions sont en cours.
L’objectif visé par cette « feuille de route » n’est guère contestable. Il s’agit en effet de rapprocher les systèmes judiciaires des États membres en renforçant les droits de la défense et le respect du débat contradictoire dans les procédures pénales, ce qui concourt à la création d’une Europe des citoyens. Le Sénat s’est souvent prononcé en faveur d’une telle évolution.
Ce qui est plus contestable, c’est la méthode retenue par la Commission européenne. De fait, en procédant mesure par mesure, par touches « impressionnistes », l’intervention de l’Union européenne en matière de procédure pénale ne permet pas d’avoir une réflexion d’ensemble, ni sur la nature et les équilibres de la procédure pénale des différents États membres ni sur ce que souhaite réellement la Commission européenne – ou plutôt le comité des ministres, car c’est lui qui, en fin de compte, décide. Or un certain nombre de mesures – pour ne pas dire un nombre certain –, directement inspirées de la procédure anglo-saxonne, qui laisse une large place à l’accusatoire et à l’oralité des débats, s’accommodent mal de notre procédure pénale française, laquelle s’en trouve de plus en plus fragilisée.
Ainsi, s’agissant de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat, la décision prise par la Commission européenne de délier la question de l’accès à l’avocat de celle de l’accès à l’aide juridictionnelle était très discutable. La France avait d’ailleurs émis plusieurs réserves sur ce projet de texte, réserves auxquelles le Sénat avait fait écho en adoptant le 28 janvier 2012 une résolution européenne à ce sujet. Le fait que la version finale de la directive n’ait que très partiellement répondu à ces préoccupations doit nous conduire à nous interroger plus largement sur notre capacité d’influence sur les institutions européennes.
J’en viens au texte même du projet de loi.
Je l’ai dit, ce texte vise à transposer la directive du 22 mai 2012 sur le droit à l’information et, pour partie, celle du 22 octobre 2013 sur le droit d’accès à un avocat. S’agissant de la première, nous sommes tenus par un délai relativement bref puisque la transposition doit être réalisée avant le 2 juin 2014. S’agissant de la seconde, nous avons davantage de temps, la transposition ne devant avoir lieu que d’ici au 27 novembre 2016.
Les mesures de transposition de la directive du 22 mai 2012, dite « directive B », ne posent pas de très grandes difficultés. Je souligne malgré tout que nous aurions souhaité en être saisis un peu plus tôt et ne pas être contraints, une nouvelle fois, d’examiner un projet de loi en procédure accélérée. C’est d’autant plus regrettable que l’actuel gouvernement disposait du texte à transposer dès son installation : le précédent gouvernement lui-même en disposait déjà !
Notre code de procédure pénale reconnaît un certain nombre de droits aux personnes mises en cause, mais il n’impose pas systématiquement, à ce jour, l’obligation de notifier ces droits. Aussi, les personnes mises en cause ne sont pas toujours en mesure de les exercer puisqu’elles n’en ont pas connaissance, surtout lorsqu’elles ne sont pas assistées d’un avocat.
En outre, durant les phases d’instruction et de jugement, le code de procédure pénale prévoit la possibilité de communiquer un certain nombre d’éléments à l’avocat de la personne poursuivie, mais pas à la personne elle-même, qui ne peut donc pas se défendre correctement lorsqu’elle n’est pas assistée d’un conseil.
Ce projet de loi prévoit donc que seront notifiés plus largement, à tous les stades de la procédure, les droits reconnus aux personnes mises en cause : droit d’être assisté par un interprète, droit de se taire, etc. Sous certaines réserves, il permet également aux parties elles-mêmes d’accéder aux éléments du dossier.
En revanche, il ne modifie pas les règles actuelles s’agissant du droit d’accès à l’intégralité du dossier en garde à vue. C’est certainement un point dont nous débattrons par la suite.
En l’état actuel des textes, les avocats qui assistent une personne placée en garde à vue ont uniquement le droit de consulter les procès-verbaux de notification de garde à vue, le certificat médical établi en cette circonstance et les procès-verbaux d’audition de la personne.
Les représentants de la profession d’avocat, ainsi qu’un certain nombre d’observateurs, considèrent que cet accès restreint ne permet pas d’assurer efficacement la défense de la personne placée en garde à vue. Ils demandent à ce que l’avocat puisse accéder à l’intégralité des pièces du dossier. Cette revendication est reprise dans des amendements, mais la commission les a rejetés, et cela par deux fois. En effet, si l’on comprend aisément que les avocats puissent la formuler, elle n’en suscite pas moins un certain nombre d’objections.
S’agissant de la nature même de la garde à vue, la procédure pénale française établit, à l’heure actuelle tout au moins, une nette distinction entre l’enquête, d’un côté, et la phase juridictionnelle du procès pénal, de l’autre. Du reste, dans le rapport que Jean-René Lecerf et moi-même avions cosigné il y a quelques années, nous insistions sur la nécessité de ne pas confondre ces deux phases.
Au stade de l’enquête, il n’y a encore que des présomptions, la personne n’est pas poursuivie, il n’y a pas encore contre elle « d’accusation en matière pénale », selon les termes qui figurent à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et que reprend, bien sûr, la Cour européenne des droits de l’homme.
Il n’en va plus tout à fait de même dès lors qu’une information judiciaire est ouverte ou que la personne est poursuivie devant un tribunal : à ce moment-là, il faut que la personne et son avocat puissent accéder à l’intégralité des pièces du dossier. Telle est d’ailleurs la position qu’avait défendue ici même par Robert Badinter lorsqu’il était membre de cette assemblée.
J’ajoute que cette question de l’accès au dossier en garde à vue se heurte à des difficultés pratiques.
Tout d’abord, à ce stade, toutes les pièces de l’enquête ne sont pas réunies, tous les procès-verbaux ne sont pas dactylographiés et certains actes d’enquête – comme les perquisitions ou les auditions de témoins – peuvent être réalisés au cours même de la garde à vue, au vu de ce que l’on apprend alors. Les officiers de police judiciaire ne peuvent pas à la fois procéder à ces actes d’enquête et les retranscrire immédiatement sous forme de procès-verbal !
De surcroît, nous sommes ici à un stade de l’enquête où il n’est pas possible de placer la personne sous contrôle judiciaire ou de prendre des mesures pour protéger les témoins. Il est donc essentiel de préserver l’identité d’un certain nombre de personnes qui auraient pu être conduites à témoigner contre celui ou celle qui est gardé à vue.
Pour ces raisons, le projet de loi maintient le statu quo sur cette question, et c’est une bonne chose. Au reste, la directive du 22 mai 2012 l’autorise et, dans un arrêt du 19 septembre 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que cela n’était pas contraire à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
J’en arrive à la directive du 22 octobre 2013, dite « directive C », qui concerne le droit d’accès à un avocat.
Ce texte pose, à l’évidence, davantage de problèmes. Pour l’essentiel, il va imposer la présence de l’avocat à tous les stades de la procédure, que la personne soit privée de liberté ou non, et ce pour tout acte d’enquête nécessitant la présence du suspect : interrogatoires, perquisitions, « tapissages », etc. Ces mesures auront un impact très important sur l’aide juridictionnelle, dont le financement soulève déjà de sérieuses difficultés. D’ailleurs, selon moi, une fois que la transposition complète sera acquise, les avocats devront être eux-mêmes sollicités.
Pour l’heure, le Gouvernement a fait le choix de transposer uniquement les dispositions relatives à l’audition libre des personnes suspectées d’avoir commis une infraction. Pour ma part, j’ai préféré m’en tenir là – et la commission a bien voulu me suivre –, avec une date d’application en 2015.
Cette solution me paraît heureuse.
Rappelez-vous la réforme la garde à vue que nous avons examinée en 2011 : le gouvernement d’alors avait prévu des dispositions pour encadrer ce que l’on appelait l’« audition libre ». L’Assemblée nationale puis le Sénat s’y étaient opposés, au motif que le suspect entendu en audition libre n’aurait pas accès aux droits reconnus à la personne gardée à vue, notamment au droit d’être assisté par un avocat.
Toutefois, en refusant de légiférer sur l’audition libre, le législateur n’a bien sûr pas supprimé la faculté d’entendre un suspect en dehors du cadre de la garde à vue. À l’heure actuelle, d’après les chiffres qui nous sont communiqués, on considère qu’environ un tiers des personnes suspectes sont entendues sous le régime de la garde à vue, contre deux tiers dans le cadre de cette « audition libre », soit un peu moins de 800 000 auditions chaque année.
En l’absence de dispositions légales, les enquêteurs entendent donc les suspects dans le cadre d’une audition libre de la même manière que les témoins. Or le suspect n’est pas un témoin ! J’aperçois ici des personnes qui voient très bien ce que je veux dire…
Un témoin, c’est quelqu’un « à l’encontre de qui il n’y a aucune raison plausible de penser qu’il a commis une infraction ». C’est, par exemple, une personne qui se trouve sur le bord d’une route où un accident se produit. Ce peut d’ailleurs être la victime elle-même !
Le suspect, lui, peut être confronté à une accusation en matière pénale, et ses déclarations peuvent contribuer à nourrir le dossier qui sera soumis à l’instruction puis à la juridiction de jugement.
En outre, les témoins font l’objet d’un certain nombre de dispositions spécifiques. Ils ne peuvent pas être placés en garde à vue. Ils peuvent être entendus soit librement, soit en étant retenu, mais alors pendant quatre heures au plus.
Dans des décisions de novembre 2011 et de juin 2012, le Conseil constitutionnel, qui s’était penché sur le sujet, a jugé qu’une personne suspecte ne pouvait pas être entendue librement par la police sans avoir été informée de la nature et de la qualification de l’infraction qu’on lui reproche ainsi que de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie.
Il était donc temps de clarifier les choses dans la loi.
En créant un régime de l’audition libre incluant une notification des droits, le projet de loi va permettre, enfin, dirai-je, de bien marquer la différence entre l’audition du suspect et l’audition du témoin. Il faut s’en féliciter.
Le témoin ne pourra pas être entendu plus de quatre heures et il ne pourra pas être considéré comme suspect sans être entendu dans le cadre d’une audition libre, ce qui entraînera la notification de ses droits. Dans ce cadre, il pourra garder le silence, comme un gardé à vue, ou, à tout moment, partir librement.
S’il souhaite partir, deux hypothèses sont envisageables : soit on le laisse partir parce que l’on considère, même si c’est un suspect en puissance, que la procédure n’ira peut-être pas à son terme ou que, de toute façon, son départ n’emporte pas de graves conséquences – d’autant qu’il peut s’agir d’une infraction d’ordre contraventionnel – et qu’on le convoquera simplement devant le tribunal ; soit on juge préférable de ne pas le laisser partir et on transforme la procédure d’audition libre en procédure de garde à vue.
En outre, en reconnaissant à ce suspect libre un certain nombre de droits, le texte répond aux objections qu’avaient conduit à soulever les dispositions proposées par le Gouvernement en 2011.
Ainsi, la personne suspectée de n’importe quelle infraction, y compris les moins graves, ne pourra plus être entendue par la police ou la gendarmerie sans avoir été informé au préalable, soit dans la convocation écrite, ainsi que l’a prévu la commission en adoptant un amendement que je lui ai soumis, soit oralement, à son arrivée dans les locaux de police ou de gendarmerie, de ce qui lui est reproché, de son droit de partir à tout moment, de son droit d’être assisté par un interprète, de son droit de se taire, de son droit de bénéficier d’une consultation juridique dans un point d’accès au droit et, s’agissant uniquement des personnes suspectées d’avoir commis un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, donc dans les cas les plus graves, de son droit d’être assisté par un avocat.
Il peut évidemment y avoir quelque chose d’un peu saugrenu à prévoir un droit à bénéficier d’une consultation juridique, car cela signifie que l’intéressé pourra, par exemple, se rendre à la maison du droit la plus proche, éventuellement au chef-lieu du département, si elle est ouverte. Et si elle ne l’est pas, quand reviendra-t-il ?
Du point de vue des principes, ces dispositions sont très bienvenues. Elles vont dans le sens d’un meilleur respect des droits de la défense dans le cadre de l’enquête préliminaire ou de l’enquête de flagrance. Elles vont également sécuriser les procédures éventuellement engagées par la suite, dès lors que les déclarations recueillies l’auront été en présence de l’avocat de la personne, le cas échéant durant l’audition libre.
Cependant, ne nous leurrons pas : dans la pratique, ces dispositions vont représenter une charge très lourde pour les services de police et de gendarmerie. L’étude d’impact évalue à trente minutes le temps nécessaire à la notification des droits, mais c’est sans compter toutes les hypothèses dans lesquelles l’audition devra être retardée ou reportée, pour permettre l’arrivée de l’avocat, pour laisser le temps à la personne concernée de se rendre à la maison du droit la plus proche…
Nous avons entendu l’ensemble des syndicats de police et de commissaires. Certains policiers affirment que l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions les incitera peut-être à placer plus de personnes en garde à vue, pour plus de sécurité.
M. Jean-Jacques Hyest. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Espérons qu’il n’en sera rien et que la pratique conduira bien à différencier témoin, suspect et gardé à vue.
En tout état de cause, un important effort d’accompagnement et de pédagogie sera nécessaire auprès de l’ensemble des personnels exerçant des missions de police judiciaire et qui, ne nous le cachons pas, sont inquiets des évolutions en cours. C’est notamment le cas des enquêteurs travaillant dans les commissariats de quartier ou dans les gendarmeries rurales. Les grands enquêteurs appartenant aux grands services, comme les SRPJ – services régionaux de police judiciaire – voient les choses un peu différemment des enquêteurs de base, des simples officiers de police judiciaire, pour qui la mise en œuvre de ces dispositions sera un peu plus difficile.
Sur l’ensemble de ces points, la commission des lois a apporté un certain nombre de modifications, en général d’ordre rédactionnel, mais touchant aussi, parfois, au fond. Le Gouvernement les a acceptées, ainsi que vient de l’indiquer M. le ministre.
Nous avons également prévu que la victime pourrait être assistée par un avocat lorsqu’elle est confrontée à un suspect entendu dans le cadre d’une audition libre. Nous avons en effet tenu à ce que les droits de la victime ne soient pas oubliés. Car, dans notre pays, il faut le dire clairement et hautement, les droits des victimes sont reconnus ! Le Gouvernement a d’ailleurs appuyé cette volonté en déposant deux amendements visant à permettre à la victime de bénéficier de l’aide juridictionnelle dans ce cas. Nous-mêmes ne pouvions pas le faire sans contrevenir à l’article 40 de la Constitution.
Au-delà, nous avons estimé, monsieur le ministre, qu’il était urgent de repenser rapidement la phase préparatoire du procès pénal. Ce n’est pas nouveau, et vous avez eu vous-même à connaître de cette nécessité lorsque vous siégiez dans l’autre assemblée. De nombreux rapports se sont succédé depuis vingt ans, ceux de Mme Delmas-Marty, de M. Truche, de M. Léger, notamment, auxquels on peut ajouter le rapport d’information que Jean-René Lecerf et moi-même avions fait au nom de la commission des lois du Sénat, sans que rien ne bouge… jusqu’à ce que nous soyons contraints d’agir pour répondre à nos obligations européennes !
Aujourd’hui, l’instruction est résiduelle : plus de 96 % des affaires pénales sont traitées à l’issue d’une phase d’enquête qui est écrite, secrète et non contradictoire.
En outre, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – CEDH – fragilise le statut du ministère public, notamment en estimant que l’autorité chargée des poursuites ne peut pas être considérée comme un magistrat indépendant au sens de l’article 5 de la Convention européenne.
Il faut donc repenser notre procédure pénale et revoir le statut du parquet. À cet égard, il me semble que le président de la commission des lois a récemment transmis au Gouvernement un certain nombre de propositions qui constituent un minimum. Il nous faut, certes, renforcer de façon importante les droits de la défense et le contradictoire, mais, selon moi, en laissant à l’autorité judiciaire la maîtrise totale de l’enquête.
Il ne faudrait pas tomber dans les travers de la procédure accusatoire à l’anglo-saxonne, qui pose de véritables difficultés au regard de la loyauté de la preuve et tend à favoriser le développement d’une justice à deux vitesses, selon que les mis en cause ont, ou non, les moyens d’avoir recours à un avocat. Ce n’est pas parce qu’ils ont une plus grande propension à la délinquance que les « Blacks », les « Latinos », les défavorisées et les pauvres remplissent les prisons américaines ! C’est bien plutôt parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer un bon cabinet d’avocats !
J’insiste : la procédure pénale doit continuer à reposer essentiellement sur l’autorité judiciaire et les services de police judiciaire, mais selon des modalités qu’il convient sans doute de repenser.
De ce point de vue, la commission des lois forme le vœu que la mission que la garde des sceaux a récemment confiée à M. le procureur général Jacques Beaume aboutisse rapidement, afin d’envisager concrètement des propositions équilibrées et viables, susceptibles d’être intégrées rapidement dans le code de procédure pénale quand elles nous auront été présentées et que nous les aurons votées.
J’en terminerai en disant quelques mots de l’article 10 de ce projet de loi. Il s’agit d’un article d’habilitation du Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance, un type d’article que le Sénat répugne à voter. Le Sénat est là pour voter la loi et le Gouvernement pour la préparer et l’exécuter.
Cet article tendait, en l’occurrence, à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à l’application du règlement Dublin II, relatif à la détermination du pays responsable de l’examen d’une demande d’asile. Il s’agit plus précisément de créer un recours suspensif – dans une optique de protection du demandeur – contre les décisions de transfert des demandeurs d’asile dans d’autres pays, en général le pays par lequel ces demandeurs sont entrés dans l’Union européenne.
Sur le principe, un vaste accord avait été trouvé au sein de la commission des lois en faveur d’un texte réglant cette question – mais qui ne soit pas une ordonnance – avant même que le Gouvernement ne présente un texte général sur ce droit constitutionnel qu’est le droit d’asile.
Je rappelle d’ailleurs que, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, en février 2011, le Sénat avait adopté un amendement de Richard Yung, cosigné par plusieurs de nos collègues, qui créait un tel recours.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il n’a pas été mis en œuvre, faute d’avoir été inclus dans le texte final.
C’est précisément parce que nous avons déjà voté de telles dispositions que nous aurions préféré aujourd’hui être saisis de la rédaction envisagée par le Gouvernement, afin de nous assurer qu’elle est conforme à ce que nous souhaitons. Nous l’obtiendrons vraisemblablement. C’est pourquoi, à l’unanimité de la commission des lois, l’article d’habilitation a été supprimé. Nous espérions ainsi inciter le Gouvernement à nous présenter la disposition qu’il prépare. Pour l’heure, toutefois, il a jugé que sa réflexion n’était pas suffisamment aboutie. Sans doute les discussions interministérielles ne sont-elles pas achevées. Il n’y a donc pas, aujourd’hui, d’article 10, et je m’en félicite au moins pour ce qui concerne la durée de nos débats ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc de la commission. – M. Jean-Jacques Hyest applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on se souvient que le gouvernement précédent a attendu d’être mis au pied du mur, avec les condamnations de la CEDH, notamment l’arrêt Brusco c. France, du 14 octobre 2010, suivis de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et des arrêts de la Cour de cassation du 19 octobre 2010, pour se décider à élaborer un projet de loi réformant la procédure pénale qui permettait, a minima, à l’avocat d’être présent lors des auditions des personnes placées en garde à vue.
La loi adoptée le 14 avril 2011, constitua, certes, un premier pas important, mais l’ensemble de la gauche, de même que les syndicats, avait dénoncé son insuffisance. Nous avions d’ailleurs déposé un certain nombre d’amendements pour pallier ses lacunes. Nos principaux griefs portaient alors sur deux points majeurs.
Le premier était relatif au fait que la personne suspectée, mais entendue sans être placée en garde à vue, c'est-à-dire placée sous le régime de l’audition dite « libre », ne bénéficiait d’aucun droit.
Le second concernait la personne placée en garde à vue, dont l’avocat n’avait toujours pas accès à l’intégralité du dossier et ne pouvait donc l’assister de manière efficace.
Mes chers collègues, les attentes sont donc fortes depuis la réforme inachevée de 2011 et ce texte aurait pu être l’occasion de les voir se réaliser. Mais il a été choisi de procéder par étapes.
Le texte est en effet présenté comme une « première étape dans le renforcement des droits de la défense au cours de la procédure pénale », une amélioration devant intervenir à partir des conclusions d’une mission chargée de mener une réflexion plus ample sur l’enquête pénale.
Comme notre rapporteur, nous regrettons la méthode employée. Nous déplorons que notre code de procédure pénale ne progresse que grâce à la pression des institutions européennes et à la jurisprudence de la CEDH.
La procédure d’urgence et les réformes au coup par coup empêchent toute remise à plat ambitieuse et cohérente de notre procédure pénale. Pourtant, celle-ci, parce qu’elle touche à la liberté des personnes mises en cause, doit être sûre et s’inscrire dans le temps, sous peine d’être sans cesse remise en question et donc de fragiliser les enquêtes en cours.
Ainsi, alors que le présent projet de loi se contente de transposer la directive B, il pouvait être plus ambitieux puisque son champ d’application recouvre celui de la directive C. Il aurait été plus logique, plus efficace et, surtout, plus sûr, de préparer une loi de transposition unique pour ces deux directives.
Ces remarques relatives à la forme étant faites, je dirai que le projet de loi qui nous est présenté contient des avancées, et les dispositions suivantes demandent une attention particulière.
Premièrement, le projet de loi introduit des avancées significatives pour les personnes mises en cause mais non placées en garde à vue. Quel que soit le cadre juridique de l’audition libre – enquête préliminaire ou de flagrance, information judiciaire, retenue douanière –, la personne mise en cause bénéficiera désormais d’un certain nombre de droits, notamment celui d’être informée de ce qui lui est reproché, de son droit de quitter les lieux à tout moment, de son droit de garder le silence, de son droit de bénéficier de conseils juridiques et, si elle est entendue pour un crime ou un délit puni d’emprisonnement, de son droit d’être assistée d’un avocat au cours de son audition ou de sa confrontation.
Ces dispositions viennent donc combler une lacune importante de notre droit. Jusqu’à présent, au regard de la loi de 2011, la personne entendue sous ce régime ne bénéficiait d’aucun droit particulier, hormis celui d’être informée « de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ».
Ce type d’audition, au cours de laquelle une personne est amenée à s’exprimer sur des faits pouvant donner lieu à des poursuites – elle est donc susceptible de s’auto-incriminer –, doit être strictement encadré. Tel était d’ailleurs le sens des amendements que nous avions déposés en 2011. C’est pourquoi nous ne pouvons que soutenir les avancées du texte en la matière.
Deuxièmement, le projet de loi marque une avancée significative dans le sens du renforcement du caractère contradictoire de notre procédure pénale, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Il s’agit là, en effet, d’une composante essentielle des droits de la défense et du procès équitable. À ce titre, chaque partie devrait avoir accès aux pièces du dossier, en obtenir copie, pouvoir présenter des observations sur chaque pièce et acte réalisé au cours de la procédure, pouvoir solliciter des investigations, avoir connaissance des observations et des demandes des autres parties et être en mesure d’y répondre.
Je ne reviens pas sur les autres avancées de ce projet de loi, notre rapporteur les ayant évoquées ; nous en reparlerons de toute façon dans la discussion des articles. Permettez-moi simplement de dire un mot sur l’impact budgétaire.
Vous le savez, l’actualité nous l’a malheureusement rappelé il y a quelques semaines, les juridictions connaissent d’importantes difficultés budgétaires, ne serait-ce que pour avoir du papier, voire de l’encre pour imprimer les fax !
Le texte dont nous débattons aura des conséquences matérielles et organisationnelles dans les ordres, ainsi que des effets sur le budget de l’aide juridictionnelle. Les syndicats que nous avons consultés attendent d’être rassurés sur ce point. Ils insistent sur les coûts de cette réforme, qu’ils estiment sous-évalués dans l’étude d’impact. Ainsi, n’est pas pris en compte le coût des copies des nouveaux formulaires de notification, qui n’intègre pas la nécessaire adaptation des logiciels de rédaction de procédure pour établir les procès-verbaux de notification, pas plus que ne le sont les frais de traduction dans toutes les langues, qui seront importants la première année. De même, l’impact de ce texte sur l’aide juridictionnelle sera très fort.
Il faut donner à notre justice les moyens de fonctionner, faute de quoi, toute réforme, aussi significative soit-elle, ne pourra être correctement appliquée.
Ces remarques étant faites et l’article 10 ayant été supprimé, nous voterons en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Union européenne nous incite à améliorer l’équité de notre procédure pénale, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. La Haute Assemblée, comme le groupe RDSE du reste, est très attachée à la protection des libertés et, plus précisément, à l’exigence d’un procès équitable. Cette exigence est au cœur de la directive que ce projet de loi tend à transposer.
Mes chers collègues, la démarche européenne vise à établir un socle commun de garanties procédurales, afin de permettre la reconnaissance mutuelle des décisions pénales. Elle prévoit également de compléter les obligations découlant de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais aussi de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 30 novembre 2009 une feuille de route comprenant six mesures, mais définie comme un tout.
Ainsi, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté des « règles minimales » tendant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Elles ont donné lieu à trois directives ; nous débattons aujourd'hui de la transposition de l’une d’entre elles.
Il s’agit de faire progresser le droit à l’information des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. La question est fondamentale, et force est de constater que notre droit est lacunaire en ce domaine. Toutefois, permettez-moi de douter quelque peu, monsieur le ministre, de la justesse de l’exposé des motifs du projet de loi, qui affirme étrangement le contraire.
Le sujet est essentiel, car l’information délivrée à la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction ou qui est poursuivie à ce titre est indéniablement au cœur du procès équitable. Il n’y a pas de jugement contradictoire, ni d’égalité des armes ni de défense digne de ce nom si le principal intéressé ignore les droits qui lui sont reconnus par la loi, les chefs d’accusation retenus, ainsi que les charges rassemblées contre lui par les autorités.
Bien que la directive ne nous impose que des règles a minima, et alors que l’effacement progressif de l’instruction au profit de l’enquête conduit à une régression du contradictoire dans la mise en état des affaires pénales, notre combat pour une justice équitable doit nous conduire à aller plus loin.
Reconnaissons que notre procédure pénale progresse même si les évolutions – tardives ! – se font sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous devons nous appuyer sur les règles minimales définies par la directive, qui tiennent compte des différences entre les systèmes juridiques des États membres pour renforcer les droits du justiciable, sans compromettre l’efficacité de la procédure. C’est bien cette démarche pragmatique qui doit nous guider.
Le texte proposé par la commission des lois traduit un progrès nécessaire : il renforce, comme la directive l’exige, les droits de la défense dans l’ensemble des phases de la procédure. Mais l’approche pragmatique qui consiste à rechercher l’équité, tout en maintenant l’efficacité de la procédure, met en exergue un paradoxe, voire une incohérence. Le projet de loi va parfois au-delà des exigences immédiates de la directive, alors qu’il se limite à une lecture stricte des règles minimales pour ce qui concerne d’autres dispositions.
Il nous semble que deux articles du projet de loi méritent qu’on s’y attarde.
L’article 1er renforce de manière considérable les garanties offertes à la personne entendue dans le cadre de l’audition libre. En effet, si les droits de la personne placée en garde à vue ont été renforcés, en particulier au travers de la réforme du 14 avril 2011, le suspect entendu librement ne bénéficie d’aucune garantie. Le Conseil constitutionnel a exigé que la personne placée en garde à vue soit informée de la nature et de la date de l’infraction dont on la soupçonne et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie.
Le choix du Gouvernement a été d’aller bien au-delà de la simple légalisation de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, en prévoyant que seront notifiés au suspect son droit au silence, le droit à un interprète, ainsi que les droits à des conseils juridiques et, surtout, à l’assistance d’un avocat. Le projet de loi anticipe ainsi la transposition de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat. Le progrès est important et fait apparaître un contraste avec la limitation de l’accès aux pièces dans le cadre de la garde à vue.
La transposition de la directive du 22 mai 2012 a suscité de nombreux espoirs, notamment en ce qui concerne l’article 7 de celle-ci. Il semblait raisonnable d’attendre une ouverture de la liste des pièces accessibles à l’avocat durant la garde à vue ; il s’agit là d’une demande des avocats. Or les pièces que peut consulter l’avocat dans le cadre de la garde à vue sont limitativement énumérées. Cette limitation entame l’efficacité de la mission de défense, l’avocat n’ayant pas accès, notamment, aux procès-verbaux d’audition des victimes ou de perquisition.
Cependant, si le projet de loi permet aux personnes gardées à vue d’accéder aux mêmes pièces que l’avocat, la liste de ces pièces n’est pas élargie. Il semble que le texte ait omis le deuxième paragraphe de l’article 7, qui exige que les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient accès au minimum à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge des suspects ou des personnes poursuivies.
En s’appuyant notamment sur ce texte, le tribunal correctionnel de Paris a annulé une garde à vue au motif qu’un avocat n’avait pas pu consulter le dossier de son client pendant son déroulement.
Rappelons, enfin, que la directive est censée compléter les obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme et que la CEDH exige, dans son arrêt Dayanan c. Turquie du 13 octobre 2009, un accès au dossier bien plus large.
De ce point de vue, la transposition de la directive semble limitée aux règles minimales et paraît également incomplète.
Le présent texte, dans son ensemble, améliore indéniablement notre procédure pénale. C’est la raison pour laquelle nous le soutenons. Il s’agit d’une première avancée, avant même de connaître les conclusions de la mission confiée au procureur général Jacques Beaume. Surtout, la réforme attendue de la procédure pénale devra être l’occasion de renforcer solidement l’équité du procès.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’enjeu est de taille, nous devons en avoir conscience, et il ne nous faudra pas rater ce rendez-vous. En attendant, posons ensemble la première pierre en adoptant ce projet de loi portant transposition de la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France essaie – pour une fois ! – de voter en temps et en heure la transposition d’une directive européenne. Encore que… Est-il normal d’attendre le dernier trimestre avant la date limite de la transposition ? (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.)
Nous devons donc voter en urgence un projet de loi dont nous savons, depuis les conclusions du Conseil européen du 11 décembre 2009, qu’il modifiera grandement notre procédure pénale. Il en était déjà de même voilà un an avec la loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France ou, pis encore, avec le règlement Dublin III, le Gouvernement nous proposant à l’article 10 de l’autoriser à procéder par ordonnance pour adapter certaines dispositions, article que la commission a supprimé à ma demande. Cette directive conférait pourtant un droit supplémentaire aux étrangers, qui devaient être reconduits dans le pays d’entrée de l’espace Schengen lorsqu’ils demandaient l’asile.
Ainsi, pour protéger les droits du Parlement, les droits des étrangers demandeurs d’asile ont dû être sacrifiés ; je le regrette.
Notre processus d’intégration du droit européen se fait toujours au détriment du Parlement français, à l’avantage de commissions administratives qui, fussent-elles présidées par de hautes personnalités reconnues de tous, « remue-méningent » dans leur coin, en secret et, en fin de compte, privent le Parlement d’une navette – c’est le cas ici – pour les grandes lois garantes de nos libertés que sont les lois de procédure pénale.
Pourtant, la transposition d’une directive devrait être un acte banal, prévu de longue date, d’autant qu’une feuille de route européenne existe aujourd’hui, qui nous permet de savoir que notre système d’aide juridictionnelle est à revoir ou que la présomption d’innocence est à renforcer.
La France, patrie des droits de l’homme, pourrait être le moteur de l’évolution commune et ne pas être à la traîne de l’Europe : elle court après des directives et donne ainsi à ses partenaires l’impression qu’elle n’en saisit pas l’importance. Cela explique peut-être que l’Europe ne retienne pas notre théorie du droit – M. le rapporteur l’a regretté – et justifie sans doute la perte de prestige de notre droit.
La jeune parlementaire que je suis peut avoir des rêves, elle peut encore croire que le Parlement est là pour réfléchir, puis légiférer, et non l’inverse, et qu’il est déraisonnable de procrastiner, d’attendre la date limite pour transposer une directive, sauf à croire et faire accroire que le Parlement ne sert à rien, qu’une seule lecture suffit et, donc, que la procédure accélérée est la quintessence de la modernité dans l’art de gouverner…
Au travers de ce projet de loi, nous sommes invités à transposer la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, ainsi que, partiellement, celle du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales. S’agissant de cette seconde directive, pour une fois, nous sommes en avance. Toutefois, comme cela vient d’être souligné, son point le plus important, à savoir le droit d’accès de l’avocat à l’intégralité du dossier dès le début de la garde à vue, n’est pas encore traité.
Certes, on peut toujours demander à une commission de réfléchir à la transposition intégrale de la seconde directive. Mais pourquoi ne pas solliciter, pour ce faire, les instances les mieux à même de de procéder à cette transposition, à savoir les deux chambres du Parlement et leurs commissions des lois ?
En vérité, un rapport parlementaire est aussi propre que tout autre à éclairer le législateur !
M. Gérard Longuet. C’est bien vrai !
Mme Hélène Lipietz. Pour que la séparation des pouvoirs soit vraiment assurée, il aurait fallu que, à partir du socle européen et du projet de loi présenté par le Gouvernement, le Parlement puisse élaborer un véritable texte de procédure pénale.
Au-delà de la question du temps de transposition se pose celle de la manière de procéder : doit-on transposer une directive de façon très stricte, sans s’en écarter d’un millimètre, ou bien doit-on essayer d’aller plus loin que les dispositions qu’elle comporte ? Dans certains domaines seulement, il est raisonnable et préférable d’opérer une transposition a minima.
Permettez-moi, pour finir, d’aborder le droit de se taire. Dans nos démocraties actuelles, et c’est heureux, il est évident qu’il n’y a aucun moyen de contraindre à parler une personne qui s’y refuse. Bel et bien, nous savons tous que certaines personnes gardent le silence pendant toute la procédure. Reste à tirer les conséquences de ce droit.
En droit français, la règle est claire : le silence ne vaut pas reconnaissance de culpabilité. Notre procédure est en effet inquisitoire, ce qui signifie que la culpabilité doit être démontrée par l’autorité judiciaire. J’espère que nous conserverons ce modèle encore un temps, et même que nous convaincrons nos amis européens de l’adopter : c’est ce type de procédure qui assure le plus sûrement l’égalité des armes, dans la mesure où l’incrimination vient de l’État et non, comme dans la procédure accusatoire, des parties.
Alors que, dans le système accusatoire, il incombe aux parties de démontrer la réalité de l’accusation, cette charge pèse sur l’État dans la procédure inquisitoire : le droit de se taire est le corollaire nécessaire de cette obligation faite à l’État de démontrer la culpabilité du suspect. Reconnaître en premier le droit fondamental de se taire permet donc de réaffirmer en droit européen la pertinence de notre procédure inquisitoire.
En définitive, les sénateurs écologistes voteront le présent projet de loi, même s’ils constatent avec regret que nous ne savons pas encore suffisamment anticiper la transposition des directives européennes. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter M. le rapporteur pour son important travail et pour ses efforts d’explication.
Je ne reviendrai pas sur tous les aspects du projet de loi, M. le ministre l’ayant présenté de façon détaillée. Du reste, nous nous accordons sur la nécessité de l’adopter, ne serait-ce que parce qu’il opère la transposition de directives européennes et qu’il vaut tout de même mieux ne pas nous faire condamner trop régulièrement par la Cour de justice de l’Union européenne.
Pour ce qui concerne la directive du 22 octobre 2013, on procède à la transposition anticipée de certaines de ses dispositions ; mais, comme M. le rapporteur l’a souligné, il faudra bien reprendre le travail pour le mener à bien.
Il faut constater que, petit à petit, par petites touches, notre procédure pénale est bouleversée par les modifications que lui apporte le droit communautaire et, quelquefois, des décisions de jurisprudence.
Les réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel ne soulèvent pas de problème, mais il faut tout de même en tenir compte. Quant à la Cour de cassation, elle nous joue parfois des tours qui nous obligent à aller vite. Souvenez-vous, mes chers collègues, de l’affaire de la géolocalisation : les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi rendu nécessaire par la position de la Cour de cassation seront examinées tout à l’heure. Et je ne parle pas de ce qui s’est passé pour la garde à vue !
En vérité, je pense qu’une refonte globale de notre procédure pénale est à terme inévitable ; M. le rapporteur l’a d’ailleurs très bien expliqué.
Le travail de la commission des lois a permis d’apporter au projet de loi des modifications de nature à le rééquilibrer. En effet, si l’on veut que les poursuites soient efficaces, il faut bien tenir compte aussi des difficultés que rencontrent la police nationale et la gendarmerie : la presse s’en fait l’écho et les représentants des services d’enquête auditionnés par la commission les ont décrites.
Cela dit, le droit à l’information doit être amélioré, non seulement parce que les normes européennes nous y contraignent, mais aussi parce que cela est normal. Du reste, nous avons tort quand nous disons que nous faisons telle ou telle chose parce que l’Europe nous l’impose : nous avons signé les traités, même si nous avons émis un certain nombre de réserves dont nous ne tenons pas toujours compte.
Le présent projet de loi vise à transposer la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales et, pour partie, la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales.
Pour ce qui concerne le droit reconnu à la personne gardée à vue d’accéder à l’intégralité de son dossier, M. le rapporteur a fait toutes les remarques nécessaires ; pour ma part, je mentionnerai seulement, dans quelques instants, quelques inconvénients supplémentaires.
Le projet de loi prévoit un renforcement important des droits de la défense dans l’ensemble des phases de la procédure. En particulier, il tend à encadrer le déroulement des auditions libres en rendant plus systématique le droit de la personne suspecte à être assistée d’un avocat.
Ces mesures me rappellent tous les dispositifs que nous avons essayé de fabriquer : après l’inculpation, on a parlé de détention préventive, puis de détention provisoire, avant d’inventer le témoin assisté, qui est un semi-suspect, voire très largement un suspect, et qui a droit à un avocat. Comment tous ces systèmes s’articulent-ils ? Preuve en est que nous devrons encore réfléchir à l’homogénéisation de la procédure pénale !
J’en reviens à mon propos. Les forces de l’ordre ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de tirer les conséquences de l’assistance par un avocat du suspect libre. En effet, pour des raisons pratiques qui tiennent à l’organisation des services de police – il sera nécessaire d’attendre l’arrivée de l’avocat ou de reporter l’audition, voire, comme l’a dit élégamment M. le rapporteur, d’aller consulter la maison de justice et du droit d’à côté –, cette mesure pourrait avoir pour effet d’inciter les forces de police à recourir plus volontiers à la garde à vue, alors même que celle-ci n’est pas toujours justifiée.
Par ailleurs, un flou persiste sur le statut de témoin dans la mesure où, si le témoin devient suspect, la procédure pourrait être entachée d’irrégularité. J’insiste : du fait de la création du suspect libre, nous devrons faire très attention. Si, à la fin de l’audition, on s’aperçoit que la personne entendue comme témoin, les services de police étant de bonne foi, est en réalité l’auteur de l’infraction, que fera-t-on ?
L’article 5 du projet de loi prévoit que le témoin assisté aura copie du dossier, sans que cette communication passe nécessairement par l’avocat. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous le demande : avec un tel dispositif, qui protégera le secret de l’instruction ?
Au demeurant, l’obligation de communiquer à la personne gardée à vue tous les éléments de son dossier, alors que dans le même temps sont peut-être menées des perquisitions ou d’autres investigations, posera également des problèmes. Supposez, mes chers collègues, que, grâce à des écoutes téléphoniques, on sache que cette personne a communiqué avec telle ou telle personne : devra-t-on le lui dire, alors que les transcriptions ne sont pas forcément faites ? Pour ma part, je ne vois pas comment, en pratique, cela sera possible.
Rendre obligatoire la présence d’un avocat dès le stade de l’audition libre, nous en sommes d’accord ; mais comment l’aide juridictionnelle sera-t-elle financée ? De fait, de nombreux citoyens vont avoir recours à cette aide, dont le budget va exploser sous l’effet de la nouvelle procédure alors même qu’elle est un point faible de la politique judiciaire de notre pays.
Monsieur le ministre, selon l’étude d’impact du projet de loi, cette mesure coûtera entre 13 161 720 et 29 534 900 euros. La précision n’est-elle pas remarquable ? En vérité, j’admire ceux qui ont rédigé cette étude ! (MM. Gérard Longuet et Serge Dassault rient.)
Pour ce qui concerne le droit de se taire, Mme Lipietz souhaite qu’il soit systématiquement rappelé aux personnes concernées. Je vous rappelle que le code de procédure pénale garantit déjà ce droit à la personne entendue.
Enfin, à propos de la rédaction initiale de l’article 10 du projet de loi, je dois reconnaître, monsieur le ministre, que nous n’aimons pas les ordonnances. On peut certes les accepter quand il s’agit d’adapter la législation ; je pense en particulier aux dispositions relatives à l’outre-mer, qui sont souvent oubliées.
Du reste, j’ai voté le recours aux ordonnances, mais en protestant toujours – plus ou moins fort… (Rires.) Je l’ai fait, notamment pour la transposition de directives communautaires, parce que notre retard était tel qu’il fallait bien recourir à des trains d’ordonnances pour éviter d’être condamné.
Pour ce qui concerne le droit d’asile, il est urgent, sans doute, que le problème soit réglé ; mais je regrette que le Gouvernement ne nous ait pas fourni le texte envisagé, ce qui aurait peut-être été relativement simple. Songez, mes chers collègues, que, voilà quinze jours, on prétendait carrément nous faire passer tout le titre III du code civil sous forme d’ordonnance ! Ce n’était pas concevable, et la commission des lois s’y est opposée ; le Sénat l’a suivie, à l’unanimité moins une voix.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Toujours est-il, monsieur le ministre, que la question doit être réglée ; nous en sommes bien d’accord.
La commission des lois a proposé au Gouvernement de lui présenter les dispositions envisagées, lesquelles ne doivent pas être très compliquées ; bien que le texte soit un cavalier, elle aurait été tout à fait disposée à l’examiner. Je regrette que le Gouvernement n’ait pas donné suite à cette offre. Souhaitons que la réforme nécessaire de l’ensemble du droit d’asile puisse néanmoins avoir lieu dans de bonnes conditions.
Monsieur le ministre, les membres du groupe UMP voteront le présent projet de loi, surtout compte tenu des modifications que lui a apportées la commission des lois.
Reste que, comme M. le rapporteur, je m’interroge sur l’évolution de notre procédure pénale. Dans les années quatre-vingt-dix, nous avons accompli une œuvre législative importante en réformant le code pénal ; au demeurant, je trouve qu’il faudrait réviser la révision, car ce code, qui est resté assez longtemps inchangé, comporte désormais certaines incohérences, notamment en ce qui concerne l’échelle des peines.
Aujourd’hui, il est évident qu’il faut adapter la procédure pénale, notamment pour ce qui est de l’enquête, en tenant compte de l’évolution du principe du contradictoire – notion qu’il ne faut pas confondre avec l’accusatoire. Devons-nous garder notre procédure inquisitoire ? Les différentes formules proposées pour rénover notre parquet peuvent-elles convenir à la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui nous permettrait de poursuivre une grande construction juridique française fondée sur le souci de l’égalité des droits et de l’efficacité de la justice ?
Nous devons réfléchir à ces grandes questions et je souhaite que nous nous y employions tous ensemble.
Quant au projet de loi que nous examinons, il apporte des améliorations ; il suscitera certes un certain nombre de questions touchant à son application pratique, mais je pense qu’il faut le voter, ne serait-ce que pour ne pas être condamné. Je n’aime pas que notre pays soit condamné par l’Europe, parce que je crois en elle, mais je souhaiterais qu’elle s’occupe prioritairement de ce qui la regarde ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’exercice auquel nous nous livrons cet après-midi est difficile et contraignant, comme à chaque fois qu’il s’agit de transposer en droit interne des directives européennes : difficile, il l’est parce que, cette fois-ci comme le plus souvent, les dispositions en débat sont complexes et techniques ; contraignant, il l’est parce que, la transposition devant être fidèle, le rôle des Parlements nationaux est en réalité très limité.
Cela a été justement rappelé en commission par M. Gélard, nous devons nous garder de « profiter » de cette transposition pour réformer des dispositions connexes à celles que modifie la directive. Une telle dérive, malheureusement courante, est parfois due à l’initiative du Gouvernement. Et je ne vise pas uniquement le gouvernement actuel !
Autrement dit, dans cet exercice de transposition, nous avons assez largement les mains liées. En l’espèce, il est d’autant plus périlleux que nous examinons des dispositions visant à modifier l’un des domaines les plus sensibles de notre corpus juridique, à savoir la procédure pénale.
Année après année, nous constatons bien la tendance qui se dessine : elle tend à faire prévaloir une procédure accusatoire, d’inspiration anglo-saxonne, sur notre modèle traditionnel fondé sur une procédure inquisitoire, comme vient de le rappeler M. Hyest.
Évidemment, il ne s’agit pas de dénigrer les avancées récentes en matière de droits de la défense ! La réforme de la garde à vue, pour ne citer qu’elle, était indispensable et fait indéniablement progresser notre législation répressive.
Pour autant, faisons attention à ne pas aller trop loin, en préservant une forme d’équilibre entre les droits de la défense et les moyens d’enquête destinés à permettre la manifestation de la vérité.
Je pense que nous devons continuer à défendre ce qui fait la spécificité de la procédure pénale française. Cela ne signifie pas que celle-ci ne nécessite pas d’être réformée Au contraire, les membres de mon groupe sont convaincus que les innombrables lois pénales que le Parlement a adoptées ces dernières années – nous les avons souvent votées ! – n’ont pas permis d’aboutir à un corpus juridique réellement cohérent, et ce pour une raison simple : aucune réflexion sur l’ensemble de la chaîne pénale n’a été proposée à cette occasion.
En la matière, nous en sommes restés au stade des rapports, forts nombreux et de qualité, tels les rapports Delmas-Marty ou Léger.
Comme l’ont évoqué en commission M. Pillet et M. le rapporteur, il serait peut-être utile que le Sénat s’empare de cette question, non pas pour produire un énième rapport, mais pour passer à l’action en tentant de proposer une réelle modernisation de notre procédure pénale.
Il est impératif d’entamer cette démarche de fond si l’on veut stopper la tendance actuelle, selon laquelle, trop souvent, on attend d’être à quelques mois de l’échéance d’une transposition de directive pour légiférer au coup par coup, dans l’urgence, sans vision d’ensemble.
Globalement, le travail réalisé par M. le rapporteur va dans le bon sens, et je salue les améliorations qu’il a introduites lors des travaux de la commission. Mais je serais presque tenté de dire qu’il a juste limité les dégâts.
Car si nous nous devons de transposer toutes les directives, je suis assez sceptique, à titre personnel, sur les améliorations réelles du fonctionnement de la justice pénale que l’on prétend introduire par le biais du présent projet de loi. Et je suis encore plus sceptique lorsque je pense aux directives déjà adoptées que nous allons devoir transposer dans les années à venir, lesquelles, si vous me permettez l’expression, vont « en remettre une couche ».
Prenons simplement le cas de l’accès au dossier. Le texte que nous examinons va déjà assez loin ; d’autres diraient peut-être trop loin. Mais si j’en crois M. le rapporteur, qui s’est exprimé sur ce point en commission, nous savons déjà que ce sera pire demain ! D’autant qu’il n’est plus simplement question d’un accès au dossier réservé à l’avocat, lequel est soumis à des obligations déontologiques, mais d’un accès ouvert au suspect. Et j’aurais pu citer d’autres exemples, témoignant, me semble-t-il, de la dénaturation profonde et peut-être inévitable de notre procédure pénale.
Je formulerai maintenant quelques observations sur l’article 10 du projet de loi. Tel que rédigé initialement, il visait à habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances pour assurer l’application du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit « Dublin III ».
En clair, il s’agissait d’introduire un droit au recours suspensif pour les demandeurs d’asile. Or cette question ne faisait pas l’objet de ce projet de loi. C’est donc sagement que la commission a décidé d’exclure du texte qui nous est soumis cet article 10, en adoptant l’amendement proposé par notre collègue Hélène Lipietz.
Première remarque, il s’agissait évidemment d’un pur cavalier législatif, puisque le texte que nous examinons ne traite absolument pas de l’asile.
Seconde remarque, cet article traduisait la volonté du Gouvernement, une fois encore, de traiter un sujet important par voie d’ordonnance. Selon nous, une telle démarche n’est pas respectueuse du Parlement, surtout lorsque sont en cause des thèmes aussi sensibles. Fort heureusement, vous y avez renoncé, monsieur le ministre.
Dans ces conditions, s’agissant d’un texte de transposition, nous le voterons, même si, vous l’aurez compris, nous sommes assez réservés quant aux améliorations qu’il apporte au fonctionnement et à l’efficacité de notre justice pénale. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris totalement aux excellents propos tenus par M. le rapporteur et M. Hyest s’agissant de l’article 10. Vous savez, monsieur le ministre, à quel point nous sommes réticents au recours aux ordonnances. Si le Gouvernement avait présenté les mesures qu’il entend mettre en œuvre sous forme de dispositions législatives, mon groupe aurait pu adopter une attitude favorable à leur égard. En effet, dans ce cas, il aurait ouvert un droit de recours suspensif, qui n’existe pas aujourd'hui.
J’en viens aux dispositions essentielles du présent texte qui visent à renforcer les droits de la défense, ce qui est incontestablement positif. Il s’agit de transposer la directive du 22 mai 2012 et, partiellement, celle du 22 octobre 2013. Trois apports principaux doivent être soulignés. Je ne les rappellerai que brièvement, dans la mesure où tout a déjà été dit par les orateurs précédents.
Tout d’abord, s’agissant de l’audition libre, vous le savez, mes chers collègues, la réforme de la garde à vue, instaurée par la loi du 14 avril 2011, a laissé en suspens la question de l’audition d’une personne par la police ou la gendarmerie alors qu’elle n’est pas placée en garde à vue.
Il est vrai que, aujourd'hui, aucune disposition du code de procédure pénale ne définit le déroulement d’une audition libre. Or, selon votre rapport, monsieur Michel, environ 780 000 auditions dites « libres » sont réalisées chaque année, ce qui est tout de même considérable.
À la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, et pas seulement des directives que je viens d’évoquer, il a été établi qu’une personne dans ce cas ne pourra être entendue par les services de police ou de gendarmerie qu’après avoir été expressément informée de ses droits et, le cas échéant, mise en mesure de les exercer.
Ces droits sont au nombre de cinq.
Premièrement, la personne devra connaître la qualification de l’infraction. Deuxièmement, elle aura le droit de quitter les locaux. Troisièmement, elle aura également droit, le cas échéant, à un interprète. Quatrièmement, elle aura le droit de se taire, droit auquel Mme Lipietz est très attachée. Cinquièmement, elle sera informée de la possibilité de bénéficier de conseils juridiques.
À cet égard, je note, monsieur le ministre, que le présent projet de loi va plus loin que le Conseil constitutionnel, puisqu’il donne la possibilité à toute personne suspectée d’avoir commis une infraction susceptible de conduire à un an d’emprisonnement ou plus d’être assistée d’un avocat dans le cadre de cette audition et de bénéficier par conséquent de l’aide juridictionnelle.
Ensuite, ces droits seront mieux notifiés. Si le droit français satisfait les directives sur de nombreux points, il ne répond pas à deux exigences européennes. Il s’agit, d’abord, du droit de garder le silence, dont on peut considérer qu’il découle de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi de l’arrêt du 8 février 1996 de la Cour européenne des droits de l’homme Affaire John Murray c. Royaume-Uni.
Avec ce projet de loi, vous allez plus loin, monsieur le ministre, puisque vous instaurez la notification du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de ne pas le faire, que ce soit dans le cadre des auditions libres, de l’instruction, devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises. C’est un progrès tout à fait net.
De même, pour ce qui concerne le droit à l’interprète, le présent texte parachève la transposition de la directive du 20 octobre 2010, en précisant les modalités du droit à l’interprétariat, dans les quatre cas que je viens de citer.
Enfin, et c’est le troisième apport du texte, l’accès au dossier est étendu. Pendant la garde à vue, l’accès par un avocat à un certain nombre de pièces – procès-verbal notifiant le placement en garde à vue, certificat médical et compte rendu des auditions – est prévu. Même si l’on peut aller au-delà, je note que cet état de droit, comme vous l’écrivez dans votre rapport, monsieur Michel, a été jugé conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Je souligne aussi que le dispositif proposé est cohérent avec les conclusions du rapport que vous aviez cosigné, monsieur le rapporteur, avec notre collègue Jean-René Lecerf, qui préconise de bien distinguer – c’est une proposition d’une grande clarté – ce qui relève de la phase policière de ce qui relève de la phase judiciaire, ce qui explique le renforcement de l’accès au dossier durant les phases de l’instruction et du jugement.
Aujourd'hui, les articles 114 et 197 du code de procédure pénale prévoient cet accès uniquement pour les avocats. Or les dispositions du présent texte visent à renforcer l’information non seulement de l’avocat, mais aussi de la personne mise en cause sur la procédure au cours de la garde à vue et de l’instruction. Elles tendent également à améliorer l’accès au dossier ainsi que le contradictoire dans la phase précédant le jugement et dans la phase de jugement elle-même.
Tels sont donc les apports du projet de loi que nous examinons. Les membres du groupe socialiste souscrivent bien entendu à l’ensemble de ces avancées.
Cela étant, je veux souligner, monsieur Michel, que, dans votre rapport, vous avez fait preuve d’abord d’une grande fidélité aux directives, ensuite d’un souci de pragmatisme absolument nécessaire. Ainsi, vous avez insisté à juste titre sur l’indispensable information, et même formation, des policiers et des gendarmes s’agissant des nouvelles procédures de mise en œuvre des auditions dites « libres ».
Vous avez également déposé en commission des amendements visant à préciser que des auditions libres ne pourraient avoir lieu à la suite de l’arrestation d’une personne.
Vous avez en outre introduit une disposition « simple et pratique », pour reprendre les termes de M. Chevènement, prévoyant la notification des droits par écrit associée à la convocation.
Vous avez par ailleurs prévu l’articulation entre l’audition libre et la garde à vue, étant entendu que la durée de la première sera imputée sur la seconde. Vous avez aussi ajouté de nouvelles dispositions relatives aux droits des victimes, ces dernières pouvant désormais être assistées d’un avocat lors d’une confrontation.
Enfin, vous avez proposé l’élargissement des droits d’une personne gardée à vue, qui pourra demander au magistrat de se prononcer sur le renouvellement d’une telle mesure.
Tout a été dit – je n’y reviendrai pas – sur la procédure accusatoire et la procédure inquisitoire. Les dispositions que nous sommes amenés à transposer sont plutôt en cohérence avec la procédure accusatoire au sein d’une procédure inquisitoire. À cet égard, monsieur le ministre, je me permets, par votre intermédiaire, d’attirer l’attention du Gouvernement sur les décisions qui sont prises dans les instances européennes et d’en appeler à sa grande vigilance.
Il n’est pas nécessaire que les procédures judiciaires ou juridiques anglo-saxonnes l’emportent sur la logique qui caractérise la justice de notre pays. Certes, il est nécessaire de parvenir à des compromis, mais, dans les discussions, il est non moins nécessaire de défendre les principes qui fondent le droit français, de manière que lesdits compromis prennent également en considération nos règles de fonctionnement, protectrices des libertés, garantes de la clarté de la procédure, et auxquelles nous sommes attachés.
En outre, et ce n’est guère original puisque M. Hyest et d’autres collègues m’ont devancé, je voudrais revenir sur les conséquences financières de cette transposition, qu’il est normal d’évoquer.
J’ai été frappé de lire, à la page 34 de l’étude d’impact, que deux chiffrages ont été établis, le second représentant plus du double du premier. Or, quel que soit le montant retenu – 13 161 720 euros ou le double –, il faudra bien trouver l’argent.
Poursuivant la lecture de cette étude d’impact, j’ai aussi trouvé cette phrase sibylline en bas de la même page 34 : « Par ailleurs, le rapport de mission de M. Carre-Pierrat sur l’aide juridictionnelle attendu est susceptible de préconiser des modalités nouvelles de participation de la profession d’avocat aux missions d’aide juridique de nature à modifier la présente étude d’impact établie sur la base d’un paiement à l’acte. » En bon français, cela signifie qu’une manière de trouver ces 13 millions d’euros – voire ces 29 534 900 euros – consisterait peut-être à demander aux avocats de payer à due concurrence selon des « modalités nouvelles de participation », comme il est joliment écrit. Simplement, craignant quelques réactions au sein de la profession, du Conseil national des barreaux et dans les autres instances – nous connaissons parfaitement les oppositions –, je considère qu’il faut rester très prudent et ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, même si l’on peut envisager divers systèmes par lesquels les professions juridiques dans leur ensemble apporteraient leur contribution.
Nous en sommes bien d’accord, monsieur le ministre, il faut faire des efforts budgétaires. À cet égard, le Président de la République a annoncé des objectifs très ambitieux. Pour ce qui est du ministère de la justice, son budget reste bien en deçà de ce qui serait nécessaire, en dépit, je tiens à le souligner, des efforts notables qui ont été engagés depuis deux ans. Il n’en demeure pas moins que le prochain projet de loi de finances devra prévoir des moyens supplémentaires pour financer l’aide juridictionnelle, qui bien évidemment montera en puissance et de manière significative à la suite de l’adoption du présent texte.
En conclusion, je félicite à la fois le Gouvernement d’avoir présenté ce projet de loi nécessaire et M. le rapporteur d’avoir fait preuve d’une vision réaliste et pragmatique et d’avoir pris en compte les logiques à l’œuvre dans notre pays. Le groupe socialiste – au nom duquel je m’exprime exceptionnellement puisque, habituellement, j’interviens en ma qualité de président la commission des lois – votera ce texte et je vous invite à faire de même, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je remercie tout d’abord l’ensemble des orateurs, dont les interventions ont été d’une grande homogénéité puisque, au nom de leur groupe respectif, ils ont tous annoncé qu’ils voteront ce texte.
Tous ont souligné les avancées que celui-ci permettra, tout en soulevant un certain nombre d’interrogations, et ils l’ont inscrit dans une perspective, démarche identique à celle qu’a suivie le Gouvernement.
Au fond, nous sommes face à un problème bien connu, que nos concitoyens ignorent parfois : je veux parler de la spécificité de notre procédure pénale et de notre droit pénal, à laquelle nous tenons. Nos concitoyens ont tendance à penser que, dans les autres pays, les droits des victimes sont largement pris en compte, alors même, ce qu’ils ne savent pas, que, dans nombre de pays, celles-ci ne sont pas parties au procès pénal. Dès lors, l’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés quand il s’agit de transcrire des règles européennes dans notre législation, c’est la place qu’accorde notre droit pénal à la victime. Encore faudrait-il que nos concitoyens se départent de l’idée que la victime, partout, est au premier rang. Eh bien non, tel n’est pas le cas : je le répète, elle n’est pas systématiquement partie au procès pénal.
En outre, différents orateurs l’ont souligné, notre procédure pénale se heurte aux principes de la procédure accusatoire, auxquels les personnes sont attachées là où elle prévaut. L’Europe nous obligeant à progressivement mettre en œuvre un certain nombre de principes, auxquels nous adhérons néanmoins, ces deux procédures, accusatoire et inquisitoire, finissent par se rencontrer à un moment donné. Trouver une solution définitive n’est pas si facile et, en la matière, mesdames, messieurs les sénateurs, vous serez saisis d’autres dossiers encore plus importants.
Je voudrais maintenant répondre aux propos des différents orateurs.
Le rapport du procureur général Jacques Beaume a été évoqué. Il sera rendu au mois de mai et soumis au débat public.
Madame Assassi, la question des moyens est tout à fait légitime. Cependant – et je m’adresse également à Jean-Pierre Sueur –, il ne faut pas tirer de l’étude d’impact des conclusions hâtives. Attendons que le rapport en cours soit rendu public et que les négociations actuellement menées soient conclues. Ne suscitons pas des problèmes en amont alors que, pour l’instant, nous sommes dans une démarche de réflexion, d’expertise et de concertation.
S’agissant de la question particulière – et légitime – de l’incidence du droit à un interprète, sachez que le coût de cette mesure a déjà été pris en compte, notamment dans la loi du 5 août 2013.
Monsieur Tropeano, je veux vous préciser que la Cour européenne des droits de l’homme impose des droits, mais uniquement pour les personnes gardées à vue. Pour le reste, je vous renvoie aux précisions qu’a apportées M. le rapporteur. De ce point de vue, il faut bien faire la distinction.
Madame Lipietz, vous avez souligné à la fois les difficultés de transposition, mais, en même temps, le progrès que représente le texte examiné ce jour. Je sais bien que les parlementaires ont toujours le sentiment que les mesures nécessaires sont prises trop tardivement ou au dernier moment. En l’espèce, à la fois nous sommes tenus par la nécessité de transposer la directive du 22 mai 2012 avant le 2 juin prochain, et nous avons également anticipé en inscrivant dans le présent projet de loi la transposition partielle de la directive du 22 octobre 2013, dont l’échéance est plus lointaine. Je vous remercie d’en avoir donné acte au Gouvernement.
Monsieur Hyest, vous avez abordé ce débat en rappelant notre histoire récente et en vous interrogeant sur l’avenir. Le fait le plus intéressant et le plus frappant est que votre réflexion rejoint celle du Gouvernement et conclut à la nécessité à la fois de procéder à cette transposition et de faire avancer les droits de la défense, les droits de la victime, conformément à nos engagements. Vous avez également soulevé des interrogations largement partagées, que M. Détraigne a résumées, y compris sur la question complexe de l’accès au dossier et la nécessité de préserver l’équilibre entre les droits de la défense et l’efficacité des enquêtes. Ce sont des principes que chacun à l’esprit.
Il ne doit y avoir aucune crainte à garantir davantage les droits des personnes mises en cause au cours d’une procédure. Pour avoir tous ici pris part à des débats de cette nature, nous savons bien que, chaque fois que nous avons amélioré les droits de la défense, des inquiétudes sont apparues quant à l’efficacité de la procédure, ou la possibilité de voir des personnes échapper à la justice. Eu égard à l’expérience, nous devons aborder ce débat d’une manière beaucoup plus apaisée : l’amélioration des droits de la défense n’a rendu en rien inefficace l’action policière ou répressive. Et personne ne pourra démontrer le contraire ! C’est un faux débat et je vous remercie tous de ne pas nous avoir entraînés dans cette impasse. Ainsi, telles qu’elles se déroulent ce jour, les discussions sont beaucoup plus intéressantes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Yann Gaillard applaudit également.)
M. le président. Je salue Mme la garde des sceaux.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Chapitre Ier
Dispositions relatives à l’audition des personnes suspectées et ne faisant pas l’objet d’une garde à vue
Article 1er
I (nouveau). – L’article 61 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« S’il apparaît, au cours de l’audition d’une personne qui n’est pas gardée à vue, des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, les informations prévues aux 1° à 6° de l’article 61-1 lui sont communiquées sans délai. »
II. – Après l’article 61 du même code, il est inséré un article 61-1 ainsi rédigé :
« Art. 61-1. – La personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n’est pas gardée à vue ne peut être entendue sur ces faits qu’après avoir été avisée :
« 1° De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;
« 2° Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;
« 3° Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;
« 4° Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;
« 5° Si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats ; l’intéressé est informé que les frais seront à sa charge sauf s’il remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle ;
« 6° De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit.
« Lorsque la personne a été convoquée par l’officier de police judiciaire, les informations prévues aux 2° à 6° du présent article peuvent figurer sur la convocation qui lui est adressée.
« Le présent article n’est pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
III (nouveau). – Le premier alinéa du III de l’article 63 du même code est complété par les mots: « ou, si elle a été entendue librement dans les conditions prévues à l’article 61-1, à l’heure à laquelle cette audition a débuté. »
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer le mot :
avisée
par le mot :
informée
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Il s'agit d'un amendement rédactionnel. Le verbe « informer » étant habituellement utilisé, notamment dans les textes régissant la garde à vue, il est préférable d'employer le même terme pour l'audition libre, afin d'éviter toute ambiguïté.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur cet amendement cohérent avec la rédaction retenue pour l’article 63-1 du code de procédure pénale pour la garde à vue.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord remercier mon collègue Alain Vidalies, qui a consenti à me remplacer dans cet hémicycle pendant que j’étais à l’Assemblée nationale pour l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la géolocalisation.
Cela dit, pour des raisons identiques à celles qu’a avancées la commission, le Gouvernement émet également un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Madame la garde des sceaux, M. Vidalies vous a suppléée et non remplacée, car vous êtes irremplaçable ! (Exclamations amusées.)
M. le président. Cette discussion s’annonce sous de bons auspices… (Sourires.)
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Lorsqu'elle sollicite l’exercice de ce droit, elle est convoquée à une date ultérieure ne pouvant être inférieure à cinq jours.
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Cet amendement vise à permettre un exercice effectif du droit prévu au 6° de l’article 1er, à savoir la possibilité de bénéficier de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit. Il nous paraît opportun de laisser un délai raisonnable pour la mise en œuvre de ce droit dès lors que la personne concernée le sollicite. Le présent amendement a surtout pour objet d’ouvrir le débat sur cette question ; en effet, si ce 6° est intéressant et créateur d’un droit utile, il pose en même temps des problèmes concrets.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’une structure d’accès au droit ? À quel moment et dans quels délais pourra-t-on s’y rendre ? Avant la convocation à l’audition lorsque l’on se trouve déjà dans les locaux de police ou de gendarmerie ?
Dans cette dernière hypothèse, afin que les choses soient claires, ne faudrait-il pas que la personne concernée soit expressément informée de la possibilité de quitter momentanément les locaux pour bénéficier de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit ? Enfin, ce droit peut-il concrètement être mis en œuvre pendant l’enquête de flagrance ?
Autant de questions qui révèlent les difficultés d’application de ce nouveau droit et qui nous laissent penser qu’il serait peut-être plus simple d’ouvrir le droit à l’assistance de l’avocat à l’ensemble des auditions libres et de ne pas le cantonner au seul cas des auditions concernant des crimes ou des délits punis de peines d’emprisonnement, comme le prévoit l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Le caractère « libre » de l’audition rend inutile la précision que vous proposez d’introduire, mon cher collègue, puisque la personne convoquée a le droit de se taire ou de partir si elle le souhaite, notamment pour exercer son droit de bénéficier d’une consultation juridique auprès d’un point d’accès au droit ou d’un avocat. Il n’est donc pas opportun d’accroître le formalisme de ces auditions libres.
Pour ces raisons, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi l’avis de la commission sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement partage les arguments que vient de présenter M. le rapporteur.
Je rappelle que pour les gardes à vue existent des permanences d’avocat qui pourront servir pour assister les personnes convoquées à une audition libre. Par ailleurs, comme l’a indiqué M. le rapporteur, celles-ci se verront notifier leur droit de conserver le silence ou de quitter les locaux.
Je crains qu’à trop compliquer la procédure on n’incite à recourir à la garde à vue plutôt qu’à l’audition libre. Je le répète, ce dispositif souple permet aux personnes d’être entendues librement, de se voir notifier leurs droits de garder le silence, de bénéficier de conseils juridiques, d’être assistées par un avocat et de quitter les lieux immédiatement. Il doit favoriser la progression des enquêtes tout en assurant la protection des libertés individuelles.
Je ne souhaite pas voir se multiplier les gardes à vue comme cela a été le cas ces dernières années au cours desquelles on voulait « faire du chiffre ». Il faut armer correctement les enquêteurs, mais ne pas compliquer les choses au point qu’ils soient obligés de recourir à des armes inutilement lourdes.
Sous le bénéfice de ces explications, je vous invite à retirer cet amendement, monsieur le sénateur.
M. le président. Monsieur Favier, l'amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. Christian Favier. Non, je le retire, monsieur le président ; nous ne voulons pas alourdir inutilement les procédures.
M. le président. L'amendement n° 4 est retiré.
L'amendement n° 3, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer la référence :
2°
par la référence :
1°
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Afin de permettre à la personne concernée un exercice effectif de ses droits, notamment celui qui est prévu au 6° de l’article 1er, il est nécessaire que la convocation fasse mention de la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction pour laquelle elle sera entendue. Il s’agit donc d’un amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. C’est un peu plus qu’une précision, monsieur Favier ! (Sourires.)
Lors de sa première séance de travail, la commission, à la demande de M. Hyest, avait souhaité que la convocation à une audition libre ne mentionne pas la nature de l’infraction. Néanmoins, à la faveur de la présentation du présent amendement, il lui a paru intéressant que cette précision soit introduite.
Qui n’a pas reçu de courrier de convocation au commissariat « pour affaire vous concernant », selon la formule en vigueur ? Si, dans l’espoir d’obtenir quelques précisions, vous téléphonez au commissariat et que par chance vous obtenez un interlocuteur, celui-ci vous répond en général : « Je ne suis pas au courant ; ce n’est pas moi qui traite ce dossier ; c’est mon collègue de la énième section. » C’est donc les jambes tremblantes que vous vous rendez au commissariat.
En l’espèce, la mention de la qualification des faits reprochés concernera toutes les infractions, y compris les contraventions, comme les troubles du voisinage, les abandons de famille ou de déchets ménagers, ou encore les excès de vitesse. Ainsi, avant l’audition, en toute connaissance de cause, les personnes convoquées pourront consulter un avocat ou une maison de la justice et du droit, notamment pour savoir quelles pièces apporter. Si, par exemple, la personne est l’objet d’une plainte pour abandon de famille, elle saura qu’elle doit produire les relevés de banque prouvant le paiement de la pension alimentaire.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis favorable, estimant qu’il ne s’agit pas d’une mauvaise mesure.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mieux : c’est une bonne mesure !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le sujet n’est pas mineur. Le Gouvernement y a réfléchi au cours des travaux préparatoires et ne s’est pas déclaré favorable à une telle disposition.
Je comprends néanmoins les raisons pour lesquelles M. le rapporteur a changé d’avis. Moi aussi, j’ai été parlementaire et, comme tous les parlementaires, j’ai été sollicitée par des citoyens ordinaires ayant reçu une convocation au commissariat et qui, pris de panique, n’ont pas songé à consulter un avocat.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons le souci de préserver les libertés individuelles et nous ne pouvons donc pas négliger le fait que ces convocations portant la mention « pour affaire vous concernant » sont de nature à traumatiser, à paniquer sans raison.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quand nous légiférons dans ces matières, la difficulté constante est de trouver le bon équilibre entre la protection des libertés individuelles et l’efficacité des enquêtes, c’est-à-dire la nécessité de faire en sorte que les enquêteurs ne soient pas démunis face à des délits ou des crimes.
Du reste, lorsque des auteurs d’infraction reçoivent un courrier les convoquant « pour affaire vous concernant », ils savent très bien de quoi il s’agit !
Mme Éliane Assassi. Effectivement !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour ces raisons, mais aussi par égard aux travaux préparatoires, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Bien évidemment, si le présent amendement est adopté, je retirerai l’amendent n° 1, puisque la mention sur le courrier de convocation des faits reprochés sera facultative, le texte de la commission précisant à l’alinéa 11 que ces informations « peuvent » y figurer.
Madame la garde des sceaux, s’il est vrai que, en général, les auteurs de crimes et de délits savent pour quelles raisons ils sont convoqués, ce n’est pas toujours le cas, car certains en commettent tellement (Sourires.) ! En tout cas, ils peuvent avoir quelques hésitations : pensons à ces voleurs de voitures ayant dérobé jusqu’à quatre-vingts véhicules…
Je comprends les préoccupations qui ont été exprimées, mais il ne faudrait pas que les officiers de police se retrouvent les mains liées dans la suite de l’enquête en raison d’une qualification pénale des faits trop précise. Une trop grande précision pourrait se retourner contre cette procédure d’audition libre, car, pour les faits un peu plus graves, mais qui pourraient faire l’objet d’une telle audition, les enquêteurs risquent de préférer systématiquement la garde à vue.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. J’ai bien écouté le débat et la prise de position de Mme le garde des sceaux.
Néanmoins, l’amendement présenté par M. Favier me paraît très opportun, étant donné la description de la réalité faite par M. le rapporteur : le sentiment de panique que suscite chez le justiciable la réception d’une convocation au commissariat dénuée de la moindre précision quant au motif d’une telle convocation.
Du reste, l’autre raison pour laquelle je me rallie à cet amendement a été indiquée par M. Hyest, qui a bien fait remarquer que la mention des informations en cause restera facultative. (Mme Éliane Assassi approuve.) Il s’agit donc, madame le garde des sceaux, d’une simple possibilité laissée à l’officier de police judiciaire de donner une information utile. Si, pour des raisons liées à la justice et à la sécurité, il juge qu’il ne faut pas le faire, il pourra s’en dispenser.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Hyest, Pillet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer le mot :
peuvent
par le mot :
doivent
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je vous confirme, monsieur le président, que je retire cet amendement à partir du moment où la mention de l’infraction est seulement facultative.
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
Après l’article 61 du même code, il est inséré un article 61-2 ainsi rédigé:
« Art. 61-2. – Si la victime est confrontée avec une personne entendue dans les conditions prévues à l’article 61-1 pour un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle peut demander à être également assistée, selon les modalités prévues à l’article 63-4-3, par un avocat choisi par elle ou par son représentant légal si elle est mineure, ou, à sa demande, désigné par le bâtonnier.
« La victime est informée de ce droit avant qu’il soit procédé à la confrontation.
« Les frais d’avocat sont à la charge de la victime. »
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Elle est également informée que les frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle.
II. - En conséquence, alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La commission des lois a très heureusement introduit la possibilité pour la victime d’être assistée par un avocat lorsqu’elle est confrontée avec un suspect faisant l’objet d’une audition libre et étant lui-même assisté par un avocat. C’est une bonne mesure, qui établit un parallèle avec le régime de la garde à vue.
Le présent amendement vise à préciser que la victime est informée que les frais d’avocat sont à sa charge, sauf si elle remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je sais gré à Mme la garde des sceaux d’avoir déposé cet amendement – il en est de même de deux amendements de coordination que nous examinerons à la fin de la discussion du projet de loi –, qui vise à permettre à la victime de bénéficier de l’aide juridictionnelle en cas de confrontation avec un suspect lors d’une audition libre.
En effet, et je tiens à l’affirmer avec force en cet instant, dans notre procédure pénale inquisitoire, la victime est partie au procès ; elle y a toute sa place. Il est donc normal qu’elle puisse être assistée d’un avocat lors d’une audition libre à laquelle elle est convoquée par le magistrat souhaitant la confronter avec le suspect.
On nous fait l’éloge des procédures accusatoires, mais je rappelle que, dans ces procédures, la victime n’est pas partie au procès, elle n’existe pas ! Elle peut bien sûr avoir recours à un avocat pour négocier avec la partie adverse, moyennant des sommes très importantes, le retrait de la plainte ou encore inciter le procureur à agir dans tel ou tel sens. On l’a vu à la télévision dans une récente affaire célèbre. Mais en l’espèce, la victime n’était pas partie au procès pénal. Ce n’est qu’ensuite qu’elle a demandé des dommages et intérêts au cours d’un procès civil. En Grande-Bretagne, la situation est exactement la même : la victime n’est pas partie au procès pénal.
Je fais cette remarque, parce que notre procédure pénale présente un avantage pour les victimes. Oui, la justice se préoccupe des victimes,…
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … parce qu’elles sont parties au procès.
En outre, désormais, dans le cadre de l’audition libre nouvellement créée, elles pourront bénéficier de l’assistance d’un avocat et, le cas échéant, de l’aide juridictionnelle.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er bis, modifié.
(L'article 1er bis est adopté.)
Article 2
I. – À l’article 77 du même code, après les mots : « Les dispositions », sont insérés les mots : « des articles 61-1 et 61-2 relatives à l’audition d’une personne suspectée ainsi que celles ».
II. – L’article 154 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « Les dispositions », sont insérés les mots : « des articles 61-1 et 61-2 relatives à l’audition d’une personne suspectée ainsi que celles » ;
2° À la seconde phrase du second alinéa, la référence : « à l’article 63-1 » est remplacée par les références : « aux articles 61-1 et 63-1 », et après les mots : « précisé que » sont insérés les mots : « l’audition ou ». – (Adopté.)
Chapitre II
Dispositions relatives aux personnes faisant l’objet d’une privation de liberté
Section 1
Dispositions relatives à la garde à vue
Article 3
I. – L’article 63-1 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « , le cas échéant au moyen de formulaires écrits » sont supprimés ;
2° Au 2°, les mots : « De la nature et de la date présumée » sont remplacés par les mots : « De la qualification, de la date et du lieu présumés » et sont ajoutés les mots : « ainsi que des motifs justifiant son placement en garde à vue en application des 1° à 6° de l’article 62-2 » ;
3° Le 3° est ainsi modifié :
a) Au deuxième alinéa, après le mot : « employeur », sont insérés les mots : « ainsi que, si elle est de nationalité étrangère, les autorités consulaires de l’État dont elle est la ressortissante » ;
b) Après le quatrième alinéa, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« - s’il y a lieu, du droit d’être assistée par un interprète ;
« - du droit de consulter, au plus tard avant l’éventuelle prolongation de la garde à vue, les documents mentionnés à l’article 63-4-1 ;
« - de la possibilité de demander au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge des libertés et de la détention, lorsque ce magistrat se prononce sur l’éventuelle prolongation de la garde à vue, que cette mesure ne soit pas prolongée. » ;
4° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Conformément aux dispositions de l’article 803-6, un document énonçant ces droits est remis à la personne. »
II. – L’article 63-4-1 du même code est ainsi modifié:
1° (nouveau) À la première phrase, les mots : « du dernier » sont remplacés par les mots : « de l’avant-dernier » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La personne gardée à vue peut également consulter les documents prévus au présent article ou une copie de ceux-ci. »
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Remplacer les mots :
au plus tard avant l’éventuelle prolongation de la garde à vue
par les mots :
dans les meilleurs délais
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Afin d’éviter tout retard dans l’exercice du droit prévu à l’alinéa 8 de l’article 3, il convient de permettre à la personne concernée de consulter dans les meilleurs délais les documents mentionnés, sans attendre une éventuelle prolongation de la garde à vue.
Si la rédaction initiale du texte, qui prévoyait la consultation ces documents « en temps utile », était trop imprécise, les termes « meilleurs délais » ne devraient pas soulever de difficultés et devraient permettre un exercice de ce droit dès que possible, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En effet, dans sa décision du 11 août 1993 relative à la garde à vue, ce dernier a considéré que les termes « dans les meilleurs délais » « doivent s'entendre comme prescrivant une information qui, si elle ne peut être immédiate pour des raisons objectives tenant aux nécessités de l'enquête, doit s'effectuer dans le plus bref délai possible de manière à assurer la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Dans le domaine du droit, je n’aime pas que l’on recoure aux termes « meilleurs délais ».
M. Jean-Jacques Hyest. Tiens donc !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mais en l’occurrence, comme l’a rappelé M. Favier, ces termes sont mentionnés dans la décision susvisée du Conseil constitutionnel, même si les interprétations de celui-ci ne me paraissent pas toujours formidables, et c'est un euphémisme. (Sourires.) Cela étant, la commission est favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La position du Gouvernement est plus nuancée, car, indépendamment de la périphrase qui vient d’être relevée, l’expression « dans les meilleurs délais » ne me semble pas suffisamment précise.
La rédaction résultant des travaux de la commission – « au plus tard avant l’éventuelle prolongation de la garde à vue » – me paraît préférable.
J’ai bien noté le souci que vous avez exprimé, monsieur Favier. Peut-être serait-il possible de trouver un compromis en écrivant « dans les meilleurs délais et au plus tard avant l’éventuelle prolongation de la garde à vue » ?
M. le président. Monsieur Favier, que pensez-vous de la suggestion de Mme la garde des sceaux ?
M. Christian Favier. La précision souhaitée par Mme la garde des sceaux est tout à fait utile. Par conséquent, j’y souscris et je rectifie mon amendement en ce sens.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 8 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et ainsi libellé :
Alinéa 8
Après les mots :
de consulter,
insérer les mots :
dans les meilleurs délais et
Quel est l’avis de la commission sur cet amendement rectifié ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission émet un avis favorable, puisque son texte est repris.
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 9, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Remplacer les mots :
que cette mesure ne soit pas prolongée
par les mots :
la fin de cette mesure
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. C’est un amendement « balai », qui vise à unifier les termes retenus en commission.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur cet amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je m'étonne de la position de la commission, car sa rédaction me semblait préférable : c'est lorsque la garde à vue sera prolongée que le justiciable pourra faire valoir des observations utiles pour, précisément, éviter la prolongation.
Au bénéfice du doute, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. L'amendement n° 10 rectifié, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
1° La première phrase est ainsi rédigée :
« À sa demande l’avocat peut consulter l’ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l'exercice des droits de la défense. » ;
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Nous en arrivons au point dur de ce débat : quels sont les documents accessibles, et quelle est la place de l’avocat lors de la garde à vue ? Peut-on continuer à accorder à l’avocat un droit a minima de consultation du dossier, alors même que l’article 7, alinéa 1, de la directive que nous devons entièrement appliquer avant le 2 juin prochain précise : « Lorsqu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les États membres veillent à ce que les documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l’arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat » ? Et cette disposition concerne également la garde à vue.
J’estime qu’il convient de reprendre, dans le présent projet de loi, la formulation de cette directive.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ma chère collègue, vous avez beaucoup contribué aux travaux de la commission et présenté de nombreux amendements, malheureusement, la commission ne pourra pas vous satisfaire.
En l’occurrence, nous retrouvons le grand débat relatif à la possibilité pour l’avocat d’accéder à l’intégralité des pièces du dossier lors de la garde à vue.
Lorsqu’il s’agira de transposer complètement la directive C, nous en discuterons de nouveau, mais, pour l’instant, disposant d’un laps de temps supplémentaire, le Gouvernement s'est limité à une transposition partielle de cette directive.
À ce stade de nos travaux, la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame la sénatrice, il s'agit là d’un vrai sujet, qui mérite débat et qui arrive à point nommé dans notre discussion, puisqu’il va nous permettre d’apporter des précisions. Il semble toutefois que mon collègue Alain Vidalies vous ait déjà donné quelques éléments de réponse par anticipation, compte tenu du travail que vous aviez produit.
J’en profite pour vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de vos interventions au cours de la discussion générale. Je les lirai très attentivement dans le Journal officiel, ou même avant sa parution si vous me faites l’amabilité de m’en remettre dès aujourd'hui une copie. Vos propos me seront utiles dans la perspective de la lecture du présent texte à l’Assemblée nationale. Je pense alors ne pas être soumise à une obligation d’ubiquité, comme cet après-midi.
On peut comprendre et que la défense veuille avoir accès à l’intégralité du dossier, et que les enquêteurs ne refusent cet accès. Je le répète, c'est un vrai sujet.
Nous améliorons substantiellement l’état du droit actuel en permettant au justiciable d’accéder à la partie du dossier qui était déjà mise à disposition de l’avocat : le procès-verbal de notification des droits, le procès-verbal d’audition, toutes ces pièces indispensables pour garantir que la garde à vue ou l’audition sont pratiquées dans des conditions conformes au droit.
Les données juridiques se composent du droit actuel, des arrêts du Conseil d'État, des décisions du Conseil constitutionnel, de la directive B, que nous sommes en train de transposer, et de la directive C. Les textes européens prescrivent que le justiciable ou son avocat aient accès aux éléments du dossier permettant, le cas échéant, une contestation effective de la légalité de la procédure, donc de la garde à vue ou de l’audition libre.
Or c’est bien cette disposition que nous allons introduire dans notre droit et même en anticipant par rapport à la date de transposition de la directive C – elle est fixée à la fin de l’année 2016 –, puisque nous permettons à l’avocat d’accéder à un plus grand nombre d’éléments qu’à l’heure actuelle.
Pourquoi ce débat dérangeant est-il récurrent ? Ces dernières années, notre procédure pénale a été modifiée sous le coup des directives européennes (M. Gérard Longuet approuve.), sans rechercher forcément la cohérence de la procédure pénale et sans anticiper, c'est-à-dire sans vraiment garder la main sur l’évolution de notre droit.
Selon moi, il faut arrêter d’introduire des dispositions les unes après les autres en provoquant le mécontentement des avocats, qui voudraient plus, et des enquêteurs, qui se plaignent d'être désarmés pour travailler efficacement.
C'est pourquoi j'ai souhaité, avant la transposition de la directive C, dont la logique est identique à celle de la directive B, à savoir la reconnaissance mutuelle des procédures et des décisions judiciaires, l’introduction d’une dose de contradictoire dans la procédure pénale.
Le parquet à la française n’existe pas en tant que tel dans les autres pays européens et, nous le savons, un combat est constamment livré au sein de l'Union européenne entre les tenants de notre droit continental et ceux de la common law.
Néanmoins, aucune raison ne justifie d'être sur la défensive et d’avancer dans le chaos.
J'ai donc pris l’initiative de charger le procureur général près la cour d’appel de Lyon, Jacques Beaume, d’une mission. Il est entouré d’un haut fonctionnaire de police – le directeur adjoint de la direction de la police judiciaire –, d’un avocat, d’un magistrat du parquet, d’un procureur, ainsi que d’un magistrat du siège.
Cette mission, que j’ai mise en place depuis deux semaines, va étudier, dans une logique d’anticipation, les modalités d’une introduction du contradictoire dans nos enquêtes pénales. En France, 97 % des affaires restent entre les mains du parquet car elles ne nécessitent pas une information judiciaire et ne relèvent pas de la cour d’assises.
Or, au cours d’une information judiciaire, la phase contradictoire arrive assez vite, tandis qu’elle survient beaucoup plus tard lors d’une enquête préliminaire.
Pour ne pas continuer à rester sur la défensive, la mission susvisée, qui me remettra son rapport au début du mois de juin, fera probablement des propositions de nature à introduire le contradictoire de façon plus efficace.
En l’état, nous faisons non seulement une transposition fidèle de la directive B, mais nous anticipons partiellement pour ce qui concerne la directive C et espérons être en mesure, à l’issue des conclusions des travaux de cette mission, d’organiser de manière complète et cohérente l’architecture de nos enquêtes pénales et d’introduire le contradictoire avec efficacité.
L’examen du présent amendement aura donc eu l’avantage de susciter ce débat, de me permettre de clarifier les choses et d’en dire plus sur le chantier lancé par le Gouvernement. Je vous en remercie, madame la sénatrice.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous suggère de bien vouloir le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault, pour explication de vote.
M. Serge Dassault. Je voudrais signaler en cet instant que je suis le seul, dans cet hémicycle, à avoir subi une garde à vue, laquelle a duré deux jours tout récemment. Je peux donc vous donner quelques précisions sur la façon dont cela se passe.
Mme Éliane Assassi. Vous parlez d’expérience...
M. Serge Dassault. Durant ces deux jours, mon avocat n’a pas eu accès à mon dossier. Il a pu le consulter aujourd’hui seulement, alors que ma garde à vue s’est achevée vendredi dernier.
Je n’ai, moi-même, jamais été informé de ce qui m’était reproché.
J’ai répondu à toutes les questions qui m’ont été posées, et j’ai finalement compris que toute l’affaire tournait autour de prétendus achats de voix, ce que j’ai contesté puisqu’il n’y a jamais rien eu de tel ; tous les témoignages qui l’affirment sont des mensonges.
Cela dit, j’indique que suis tout à fait favorable à l’amendement présenté par Mme Lipietz.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je voudrais, tout d’abord, démentir mon excellent collègue Serge Dassault : il n’est pas le seul membre de cette assemblée à avoir subi une garde à vue.
Il m’est également arrivé à plusieurs reprises, en qualité de trésorier du parti politique auquel j’appartenais au cours du siècle dernier, d’être placé en garde à vue. C’est donc une expérience que je connais, même si cette procédure était alors encadrée par une loi antérieure.
Madame le garde des sceaux, vous avez dit des choses très importantes et très justes. Pour autant, j’ai envie de défendre – une fois n’est pas coutume ! – l’amendement de Mme Lipietz, laquelle joue dans ce débat exactement le même rôle que les écologistes dans la vie publique et dans votre majorité : celui d’empêcheur de tourner en rond. En posant la question de l’accès de l’avocat à l’entièreté du dossier, afin qu’il puisse accompagner et soutenir son client placé en garde à vue, notre collègue soulève un problème de fond.
Vous répondez avec conviction, madame le garde des sceaux, et avec une certaine habileté, qu’il s’agit d’un véritable problème, que la directive du 22 octobre 2013 sera bientôt transposée et qu’il faut tout resituer dans une réflexion globale. Vous avez tout à fait raison, parce qu’il y a en réalité trois étapes.
La première, l’enquête préliminaire, est totalement unilatérale et à la charge, à la responsabilité et à la discrétion du parquet.
Le problème est que le parquet n’est pas nécessairement discret et que vous pouvez être « mis en examen » par la presse au bénéfice d’une enquête préliminaire parfaitement unilatérale, à laquelle vous n’avez strictement aucun accès. Il y a là, déjà, une première injustice, un premier déséquilibre, dans cette rencontre entre le simple particulier et l’autorité, la majesté et la puissance de l’État, qui s’expriment au travers du parquet et des services de police judiciaire.
La deuxième étape, inaugurée voilà quelques décennies, est la garde à vue, par laquelle le magistrat instructeur délègue à la police judiciaire une procédure contraignante, qui a le mérite de faire éclater d’éventuelles contradictions, dès lors que les événements sont suffisamment récents. D’ailleurs, quel est le sens d’une garde à vue intervenant deux, trois, cinq ans, voire davantage, après les faits, lesquels ont changé de nature ? L’interrogation simultanée et séparée de différents comparses n’a simplement aucune valeur d’instruction, puisque tout a pu être reconstitué entretemps.
En autorisant la présence de l’avocat auprès de la personne gardée à vue, on crée un droit nouveau. En effet, de deux choses l’une : soit l’avocat constate simplement le caractère formel de la garde à vue, ce qui présente peu d’intérêt ; soit il accède au dossier, comme le demande Mme Lipietz. Dans ce dernier cas, la garde à vue marque le commencement d’une instruction inquisitoire, laquelle tend à prendre, au travers de cet amendement, un caractère contradictoire.
Car il est vrai que notre instruction inquisitoire, qui devrait être à charge et à décharge, est en réalité le plus souvent seulement à charge et ne donne pas le sentiment au justiciable, en particulier lorsqu’il fait l’objet d’une garde à vue, d’être équilibrée.
En admettant la présence de l’avocat durant la garde à vue, ce dont je me réjouis, nous ouvrons donc, non pas la boîte de Pandore, mais une nouvelle procédure, au terme de laquelle nous ne sommes pas allés. Je comprends votre malaise, madame le garde des sceaux : vous vous rendez compte que cette situation intermédiaire n’est pas satisfaisante.
Je soutiendrai, non pas au nom du groupe UMP, mais à titre personnel, l’amendement de Mme Lipietz, car il a le mérite de mettre le pied dans la porte. Nous aurions la certitude, s’il était adopté, que ce problème ne sera pas éternellement différé.
Vous nous dites, madame le garde des sceaux, qu’une mission a été mise en place, avec un magistrat qui préside, des gens compétents.... Je m’en réjouis, mais « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » !
Nous avons l’occasion, avec l’examen de cet amendement, de ne pas laisser se refermer ce dossier difficile. Je suggère donc que nous l’adoptions, tout en sachant qu’il ne réglera pas – bien au contraire – l’entièreté du problème et que nous devrons mener une réflexion collective sur la signification, aujourd’hui, de l’instruction inquisitoire dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je prends acte des expériences personnelles de nos collègues, lesquelles, bien sûr, n’ont pas été de nature à les réjouir. Nous devons cependant être très attentifs à ce que nous allons faire.
Lorsqu’une personne est placée en garde à vue, elle n’est ni inculpée, ni mise en examen, ni coupable ; ...
M. Gérard Longuet. Pour la presse, si !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … elle est interrogée.
La phase judiciaire n’est alors pas commencée, monsieur Longuet. Elle le sera lors de la traduction devant le tribunal correctionnel, ou devant le juge d’instruction.
Le droit en vigueur autorise la présence de l’avocat durant la garde à vue. Je remarque d’ailleurs, que lorsque cette mesure a été introduite, mes collègues siégeant sur les travées de droite n’y étaient pas tellement favorables, mais passons...
L’avocat est présent durant la garde à vue pour aider son client, l’assister et l’informer. Il a accès à un certain nombre de pièces : le certificat médical, les procès-verbaux des interrogatoires et des auditions...
Sans doute faudra-t-il aller plus loin, mais on ne peut admettre qu’il puisse accéder à tout. Il se peut en effet que, pendant la garde à vue, à la suite des propos tenus par la personne entendue, on décide de procéder à des perquisitions ou d’entendre des témoins, lesquels ne sont pas protégés.
On ne peut pas transmettre à l’avocat de la personne gardée à vue toutes les pièces du dossier. Cela fragiliserait considérablement l’enquête, tout comme le témoignage de personnes extérieures au dossier.
M. Hyest posait cette question : produira-t-on le résultat d’écoutes téléphoniques légales ? Il faut faire attention !
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je considère donc qu’il n’est pas possible de voter en l’état l’amendement de Mme Lipietz. En revanche, comme l’a dit Mme le garde des sceaux, lorsque le rapport de M. le procureur général Jacques Beaume sera rendu – et j’ai demandé qu’il soit alors rapidement soumis au Parlement –, nous pourrons aller plus loin et envisager d’autoriser la production d’autres pièces.
M. Gérard Longuet. Ce sera difficile !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Si l’amendement de Mme Lipietz était adopté aujourd’hui – je suis certain, monsieur Longuet, que vous serez particulièrement sensible à cet argument –, nous devrions faire face aux nombreuses réactions, non pas des procureurs, mais des officiers de police judiciaire, des policiers et des gendarmes, qui font un travail difficile et auxquels il n’est pas possible de demander, à l’heure actuelle, de tout communiquer.
C’est la raison pour laquelle, même si je suis très favorable aux droits de la défense, notamment à ceux des personnes qui ne sont pas encore inculpées, et donc toujours innocentes, je pense qu’il faut mesure garder et, pour cela, ne pas adopter l’amendement de Mme Lipietz.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Je note que le droit en vigueur prévoit, y compris au niveau de l’instruction, un certain nombre de restrictions, de garanties et d’obligations concernant les pièces du dossier. Avec cet amendement, qui vise les pièces « utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense », tout est généralisé : on aurait accès à l’ensemble des pièces, je dis bien toutes les pièces !
Je vais reprendre l’exemple que je citais antérieurement. Imaginez que, dans un cas de suspicion de terrorisme, les services de police aient procédé, sous l’autorité du procureur, à des écoutes avant le placement en garde à vue. Va-t-on communiquer l’identité des complices à l’avocat ? C’est inimaginable !
On peut certes aller plus loin, dans la perspective de la transposition de la directive, et c’est ce que nous finirons par faire. Mais, je le répète, l’adoption du présent amendement conduirait à une généralisation de la communication des pièces, sans que soit prévue la moindre précaution... Je ne suis donc pas disposé à voter cet amendement en l’état, car je le trouve très dangereux.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je suivrai l’avis de Jean-Jacques Hyest et de Mme le garde des sceaux. Ce n’est pas parce que je trouve l’inspiration de cet amendement critiquable : je considère, bien au contraire, qu’il part d’une intention heureuse et nécessaire.
Mais il est apparu à plusieurs occasions – nous en avons encore eu récemment la démonstration lors des travaux de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale constituée à la demande de notre excellent collègue Éric Bocquet –, que certaines personnes mises en examen ou convoquées devant la justice disposaient d’une batterie d’avocats qui déstabilisaient les magistrats instructeurs et les enquêteurs et rendaient leur travail très difficile. Dans une affaire célèbre, le montant des honoraires des avocats dépassait même de loin le budget de fonctionnement des services d’instruction du tribunal de grande instance de Paris...
Imaginons que la personne gardée à vue ait plusieurs avocats : dans le cas d’un dossier très complexe, la proposition de Mme Lipietz pourrait créer une grande insécurité et de sérieux problèmes dans le fonctionnement de l’instruction. Or si nous voulons assurer la protection des personnes gardées à vue, nous cherchons surtout à garantir le bon fonctionnement des enquêtes. Il est très important de maintenir cet équilibre.
C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas cet amendement.
M. Gérard Longuet. Je demande la parole.
M. le président. Mon cher collègue, vous avez déjà expliqué votre vote, vous ne pouvez donc vous exprimer à nouveau, sauf si vous étiez mis en cause à un moment ou à un autre par Mme la garde des sceaux qui, vous citant, pourrait vous permettre de lui répondre.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’ai aucune raison de mettre en cause M. Longuet ni aucun autre sénateur ici présent. Je veux simplement insister sur les progrès accomplis dans ce nouveau texte de loi.
En l’état actuel du droit, l’avocat a déjà accès à un certain nombre d’informations, notamment au procès-verbal de notification des droits. Or nous améliorons encore la notification des droits à travers ce texte : il aura accès aux procès-verbaux d’audition et au certificat médical. Dans ce texte, nous permettons aussi au justiciable lui-même d’avoir accès à ces éléments. De plus, les motifs pour lesquels la personne est gardée à vue seront énoncés dans le formulaire de notification des droits.
Mais que signifie avoir accès à l’intégralité du dossier ? Ce dernier continue de se constituer au cours de la garde à vue. (M. Gérard Longuet opine.) À partir de quel moment peut-on parler d’accès à l’intégralité du dossier et quelle est-elle ?
Vous évoquiez mon malaise, monsieur Longuet. Il ne s’agit pas d’un malaise personnel. J’ai expliqué, argumenté et dit comment les choses ont été faites jusqu’à maintenant. Je crois qu’il nous faut aujourd’hui changer de méthode.
En l’instant, nous transposons la directive B strictement, c’est-à-dire en garantissant les conditions dans lesquelles l’avocat ou le justiciable directement peuvent mettre en cause, contester cette garde à vue. Nous mettons à leur disposition tous les éléments nécessaires pour le faire. Notre droit positif sera ainsi en conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. Nous allons encore progresser grâce aux conclusions de la mission chargée de travailler en profondeur sur la question du principe du contradictoire.
J’entends aussi – mais ce sont là les inconvénients de la démocratie – la presse qui condamne avant l’heure (Mme Nathalie Goulet opine), j’entends aussi la presse qui met en examen avant l’heure. À cet égard, je rappellerai que les parties sont libres de donner un certain nombre d’informations pour rétablir la vérité (M. Gérard Longuet s’exclame.) et que le procureur de la République lui-même, dans certaines circonstances, peut également donner des informations afin d’éviter tout discrédit pouvant s’abattre sur le justiciable. Mais ne confondons pas la phase policière, au cours de laquelle l’enquête se construit et les éléments sont collectés, avec la phase judiciaire et l’ensemble des procédures juridictionnelles et des garanties qui l’accompagnent.
Je ne suis pas gênée de dire qu’il s’agit d’un vrai sujet. Je ne suis pas gênée non plus de dire que nous avons progressé et que nous continuons à progresser. Grâce à la mission Beaume, les modifications que nous allons introduire dans le cadre de la transposition de la directive C seront plus cohérentes et permettront de consolider l’architecture de notre procédure pénale.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz, pour explication de vote.
Mme Hélène Lipietz. Premièrement, je m’étonne, car je suis persuadée que le droit d’accès de l’avocat aux pièces du dossier est déjà inscrit dans la directive B, à l’article 7 alinéa 1, dont je vous ai donné lecture voilà quelques instants.
Deuxièmement, je pense que l’accès de l’avocat aux pièces du dossier ne relève pas du respect du principe du contradictoire, mais de quelque chose d’encore plus profond et plus vaste, à savoir le respect des droits de la défense. Il s’agit non seulement du droit de savoir réellement ce que l’on vous reproche, mais aussi du droit au respect de la présomption d’innocence. C’est pourquoi l’avocat doit réellement savoir ce qu’il y a dans le dossier au moment où il intervient ! (Mme Nathalie Goulet opine.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il le sait !
Mme Hélène Lipietz. Il est évident que de nouvelles pièces vont apparaître. C’est donc au moment où l’avocat – et uniquement l’avocat – va voir son client qu’il doit pouvoir accéder à l’ensemble des pièces du dossier.
Troisièmement, je pense que la présence d’un avocat en garde à vue est un droit quelque peu dispendieux au regard du peu de chose que peut faire ce dernier, n’ayant pas accès aux pièces du dossier et ignorant ce qui s’y trouve. La majorité des gardes à vue, comme vous le savez, est financée par l’aide juridictionnelle. Ce dispositif coûte très cher, alors que les avocats se disent eux-mêmes incapables d’agir utilement en raison du peu d’éléments auxquels ils ont accès.
Je vais retirer mon amendement, et j’en suis désolée, car j’ai vraiment apprécié l’appui de M. Longuet. Je suis bien consciente qu’il faut protéger à la fois les victimes, les coïnculpés ou co-mis en examen et toutes les personnes qui sont concernées par les éléments établis par la police.
J’avais préparé un amendement de repli visant à placer sous le contrôle du juge des libertés et de la détention la possibilité qu’a la police de demander au procureur de la République de limiter le droit d’accès. J’ai finalement renoncé à déposer cet amendement, car il est extrêmement difficile à rédiger de manière simple (M. Jean-Jacques Hyest opine.).
Je suis ravie que la discussion ait eu lieu. Il me paraît évident que nous nous honorerons, en tant que pays démocratique, le jour où nous aurons enfin accordé aux avocats un véritable droit d’accès au dossier. Il ne faut pas avoir peur des avocats : ils ont une déontologie, ce qui est fondamental.
Lorsque ces derniers ont eu le droit d’intervenir au cours des gardes à vue, on a craint que les services de police ne puissent plus mener cette procédure comme ils l’entendaient. Or il y a toujours des gardes à vue, et toujours des mises en examen à l’issue de ces gardes à vue. Garantir l’accès des avocats au dossier n’y fera pas obstacle non plus.
M. le président. L'amendement n° 10 rectifié est retiré.
M. Gérard Longuet. Je le reprends, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 10 rectifié bis, présenté par M. Longuet, et dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 10 rectifié.
Vous avez la parole pour le défendre, mon cher collègue.
M. Gérard Longuet. Je ne voterai pas cet amendement (Sourires.) et me contenterai d’adresser un conseil au groupe de travail du procureur général Beaume : si le secret de l’instruction était enfin respecté, toute une série de préventions contre les méthodes nécessaires pour progresser dans l’établissement de la vérité, tant au cours de l’enquête préliminaire que durant la garde à vue, tomberait. On ne trouverait plus, en effet, cette culpabilité prévendue dans la presse et si lourde à porter. (Mme Nathalie Goulet et M. Serge Dassault applaudissent.)
M. Jean-Jacques Hyest. C’est l’idéal !
M. Gérard Longuet. Cela étant dit, je retire mon amendement.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Quelle maîtrise de la procédure ! (Sourires.)
M. le président. C’est une bonne gestion du temps de parole.
L’amendement n° 10 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 19, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
III. - L’article 706–73 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions de l’article 706–88 permettant une garde à vue de quatre jours ne sont toutefois pas applicables au délit prévu par le 8° bis du présent article ou, lorsqu’elles concernent ce délit, aux infractions mentionnées aux 14°, 15° et 16° du présent article. »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement tend à tirer conséquence de la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013 sur la loi du 13 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Le Conseil constitutionnel a censuré une disposition ouvrant la possibilité de porter la durée d’une garde à vue à quatre-vingt-seize heures pour des délits de corruption, de trafic d’influence et de fraude fiscale. Le Conseil a estimé que ces délits n’étaient pas susceptibles en eux-mêmes de porter atteinte à la dignité, à la sécurité, à la vie des personnes et, se référant au principe de proportionnalité, il a considéré qu’une garde à vue de quatre-vingt-seize heures ne se justifiait pas.
Nous en tirons les conséquences pour le délit d’escroquerie en bande organisée auquel peut s’appliquer l’observation du Conseil constitutionnel sur le principe de proportionnalité. Ce délit n’est en effet pas susceptible de porter en lui-même directement atteinte à la sécurité, à la dignité et à la vie des personnes. Cet amendement, qui tend à modifier l’article 706–73 du code de procédure pénale, permettra de sécuriser les procédures en cours et d’éviter que des enquêtes pénales ne soient censurées sur la base de cette décision du Conseil constitutionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission a émis, avec regret, un avis favorable sur cet amendement.
Je dis avec regret, car le considérant du Conseil constitutionnel est critiquable. Nous sommes engagés dans une lutte contre la fraude fiscale, dans une lutte contre des délits financiers à ramification internationale.
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Et le Conseil constitutionnel prétend qu’en quarante-huit heures seulement les agents spécialisés de la police judiciaire auront le temps de faire toutes les investigations nécessaires ? C’est faux, radicalement faux !
Mme Éliane Assassi. C’est tout simplement impossible !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je laisse au Conseil constitutionnel la responsabilité de son considérant qui, selon moi, offre une éventuelle protection à d’importants fraudeurs.
Mais, madame la ministre, nous sommes bien obligés d’accepter cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne m’aventurerai évidemment pas sur le terrain de l’appréciation des décisions du Conseil constitutionnel. Pour ma part, ayant le souci de la sécurité des procédures, je serais très très malheureuse et perturbée – politiquement et moralement – si, demain, des enquêtes pénales conduites dans le cadre de ces articles et concernant des faits graves étaient censurées et donc les procédures annulées parce que le Conseil constitutionnel dans sa logique, sa cohérence et sa continuité affirmait que ce qu’il a censuré en décembre, il le censure de nouveau.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il suffirait d’une simple question prioritaire de constitutionnalité défendue par un très bon avocat !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout à fait, monsieur le rapporteur : une question prioritaire de constitutionnalité, et c’en est fait de ces procédures !
Aujourd’hui, non seulement les actes doivent être conformes aux lois, mais les lois elles-mêmes doivent être conformes, a posteriori, à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme.
Il s’agit d’une précaution de procédure afin d’éviter que le Conseil constitutionnel, dans la logique de son raisonnement, ne censure ces dispositions et que des enquêtes ne soient pénalisées.
Par ailleurs, je voudrais rappeler que nous avons beaucoup travaillé sur ce texte relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière qui a notamment permis d’améliorer le statut de ceux que l’on appelle officiellement les « collaborateurs de justice », c’est-à-dire les « repentis ».
Lors de la discussion, en première lecture, du projet de loi relatif à la géolocalisation, vous avez d’ailleurs adopté un amendement visant à donner une base légale au financement par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’AGRASC, des collaborateurs de justice.
Le statut créé par la loi du 9 mars 2004 pour ces derniers n’a en effet jamais pu être mis en œuvre, aucun décret d’application n’ayant été publié, faute d’accord entre les trois ministères concernés, à savoir le ministère de la justice, le ministère de l’intérieur et le ministère des finances.
Sur mon initiative, les discussions entre ces trois ministères ont repris en septembre 2012. Elles ont abouti et un projet de décret a été validé en décembre 2013 par le Conseil d’État, à l’exception de la disposition permettant à l’AGRASC de prendre en charge financièrement les collaborateurs de justice ou repentis.
Les textes de loi que nous avons adoptés, cette disposition relative à l’AGRASC que vous avez votée, tout cela nous arme davantage. Nous sommes donc en mesure de compenser ces difficultés.
Il est vrai que l’escroquerie en bande organisée n’engendre pas d’atteinte à la vie des personnes. Il ne s’agit que d’histoires de sous, grossièrement et vulgairement. Or les collaborateurs de justice nous permettent de gagner du temps dans ces affaires difficiles, où nous sommes confrontés à des procédés et techniques complexes fonctionnant par étapes et faisant intervenir des sociétés écrans et d’autres dispositifs à l’étranger.
Ce sont souvent les repentis – appelons-les ainsi –, grâce aux divers éléments qu’ils fournissent, qui permettent aux enquêtes d’avancer très vite ou qui aident à démanteler des réseaux, beaucoup plus qu’une garde à vue prolongée de vingt-quatre heures. Je ne dis pas que cette dernière n’est pas nécessaire, je souligne seulement qu’elle ne suffit pas toujours pour repérer toutes les sophistications techniques des actions criminelles.
Par conséquent, avec les mesures que nous avons prises, nous sommes un peu mieux armés que ne l’étaient les enquêteurs ou les juridictions avec les articles 706 et suivants du code de procédure pénale. Je le dis aussi pour vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs : ces dispositifs, que nous avons introduits, permettent de faire face à la suppression de la garde à vue de quatre-vingt-seize heures.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Une fois de plus, je suivrai la position de Mme le garde des sceaux et voterai cet amendement.
J’ai été vice-présidente de la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, et membre de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. À ce titre, il me semble préférable que les procédures se déroulent dans les conditions que vous venez de nous indiquer, madame le garde des sceaux, plutôt qu’elles ne soient annulées pour un problème ultérieur.
Je comprends bien la position de M. le rapporteur, pour qui le présent amendement ne peut être adopté qu’à regret. Je lui signale néanmoins que la législation en matière de fraude fiscale évolue. Je pense – en tout cas j’espère – que l’on n’a pas fini d’introduire des mesures additionnelles en la matière, afin d’améliorer le dispositif. Le dernier G20, où les questions d’évasion et d’optimisation fiscales ont été mises à l’honneur, peut faire penser que des mesures d’harmonisation pourraient – enfin ! – être prises.
Dès lors, il me semble plus sage de suivre des procédures qui se tiennent, plutôt que de courir le risque de les voir annulées parce que nous n’aurions pas respecté la décision du Conseil constitutionnel, décision qui, d’ailleurs, s’impose à nous.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Section 2
Dispositions relatives à la déclaration des droits devant être remise aux personnes privées de liberté
Article 4
I. – Après l’article 803–5 du même code, il est inséré un article 803–6 ainsi rédigé :
« Art. 803–6. – Toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté en application d’une disposition du présent code se voit remettre, après la notification de cette mesure, un document énonçant, dans des termes simples et accessibles et dans une langue qu’elle comprend, les droits suivants tels qu’ils s’appliquent au cours de la procédure en vertu des dispositions du présent code :
« - le droit d’être informée de l’infraction qui lui est reprochée ;
« - le droit, lors des auditions ou interrogatoires, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;
« - le droit à l’assistance d’un avocat ;
« - s’il y a lieu, le droit à l’interprétation et à la traduction ;
« - s’il y a lieu, le droit d’accès aux pièces du dossier ;
« - le droit qu’au moins un tiers ainsi que, le cas échéant, les autorités consulaires du pays dont elle est ressortissante, soient informés de la mesure privative de liberté dont elle fait l’objet ;
« - le droit d’être examinée par un médecin ;
« - le nombre maximal d’heures ou de jours pendant lesquels elle peut être privée de liberté avant de comparaître devant une autorité judiciaire ;
« - les conditions dans lesquelles elle a la possibilité de contester la légalité de l’arrestation, d’obtenir un réexamen de sa privation de liberté ou de demander sa mise en liberté.
« La personne est autorisée à conserver ce document pendant toute la durée de sa privation de liberté.
« Si le document n’est pas disponible dans une langue comprise par la personne, celle-ci est informée oralement des droits prévus au présent article dans une langue qu’elle comprend. L’information donnée est mentionnée sur un procès-verbal. Une version du document dans une langue qu’elle comprend est ensuite remise à la personne sans retard. »
II. – Au deuxième alinéa du I de l’article 4 de l’ordonnance n° 45–174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, après les mots : « du présent article », sont insérés les mots : « et de l’article 803–6 du code de procédure pénale ».
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
après
par les mots :
lors de
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. L’article 4 prévoit que toute personne suspectée ou poursuivie et soumise à une mesure privative de liberté se voit remettre, après notification de cette mesure, un document l’informant de ses droits. Le mot « après » peut être interprété largement et conduire à ce que le document soit remis des heures après la notification. Pour éviter cela, il est proposé de préciser que la remise du document doit se faire « lors de » la notification de la mesure privative de liberté.
Cet amendement, s’il était adopté, ne devrait pas poser de problème particulier, puisque les officiers de police judiciaire, les OPJ, disposeront de formulaires pré-imprimés, dans leurs véhicules ou dans leurs locaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur cet amendement, tel qu’il a été rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette rédaction semble logique, et apporte une réelle amélioration à la rédaction du présent article. Par conséquent, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« - le droit de conserver...
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. L’article 4 prévoit que toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté – une arrestation ou une garde à vue, par exemple – est autorisée à conserver sur elle, pendant toute la durée de sa privation de liberté, un document contenant la liste de ses droits, lequel doit lui être obligatoirement remis à la notification de la mesure.
Cet amendement tend à faire de cette autorisation un droit en tant que tel, qu’il vous est proposé d’ajouter à la liste des droits contenus dans le document remis.
L’article 3 de la directive que nous allons transposer détaille une liste de droits. L’article 4 de la même directive dispose que les personnes poursuivies sont autorisées à garder la déclaration des droits qui leur a été remise pendant toute la durée où elles sont privées de liberté.
Par conséquent, ces personnes doivent savoir qu’elles ont l’autorisation de garder ce document en leur possession : elles en ont le droit. Si ce droit n’apparaissait pas dans la déclaration, qui doit être obligatoirement notifiée par écrit – en cela, c’est, pour nous, une mesure importante –, les personnes poursuivies ne sauraient pas qu’elles peuvent la garder sur elles. Il me paraît donc logique de l’écrire noir sur blanc.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mme Lipietz commet une confusion regrettable. L’article 4 du projet de loi prévoit en effet que « la personne est autorisée à conserver ce document pendant toute la durée de sa privation de liberté ». C’est écrit dans la loi !
Pour autant, il ne s’agit pas de l’un des droits devant être obligatoirement notifiés, et figurant dans la liste prévue dans la directive et le texte.
Votre amendement est donc satisfait, ma chère collègue. La personne en question pourra conserver ce document durant tout le temps de sa privation de liberté – le moins longtemps possible, j’espère –, mais cette possibilité ne figurera pas dans la liste de droits ; pas plus, d’ailleurs, que le droit de la personne gardée à vue à être alimentée, même s’il est évident !
Aussi, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement, mais peut-être aurez-vous l’intelligence de le retirer, ma chère collègue.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement tend à établir un parallèle entre deux catégories de droits différentes. Dans le présent article, en effet, on trouve des droits procéduraux – le droit à l’assistance d’un avocat, le droit de prévenir un tiers, le droit d’être examiné par un médecin, par exemple –, d’un côté, et des droits à caractère pratique, de l’autre.
M. le rapporteur vient de le rappeler, l’autorisation de conservation du document pendant toute la durée de la privation de liberté figure dans le texte du projet de loi, et sera mentionnée dans le formulaire remis à la personne.
J’imagine assez volontiers qu’une personne gardée à vue ou en audition libre, se voyant notifier ses droits dans un document – qu’il s’agisse du droit au silence, du droit de s’en aller, pour l’audition libre uniquement, du droit à l’assistance d’un avocat, du droit de prévenir un tiers, ou encore du droit de disposer de documents qui, jusqu’alors, n’étaient accessibles qu’à son avocat – va conserver ce document, par réflexe. J’en conviens, il ne s’agit pas de développer ici une philosophie des réflexes !
Cette possibilité est indiquée dans la loi et elle sera mentionnée sur le formulaire. À mon sens, il n’est pas nécessaire de mettre sur le même plan des droits procéduraux importants et des droits à caractère pratique. Le droit à l’assistance d’un avocat est différent du droit à conserver un formulaire énonçant les droits des personnes poursuivies.
Dès lors, le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement.
M. le président. Madame Lipietz, l’amendement n° 11 est-il maintenu ?
Mme Hélène Lipietz. Sans cet amendement, la transposition de la directive se fera a minima. J’aurais aimé que ce droit apparaisse comme tel. Savoir que l’on peut toujours garder sur soi la liste de ses droits est, à mes yeux, un droit important.
Cela dit, vous venez de dire, madame la garde des sceaux, que l’autorisation de conserver la liste des droits apparaîtra bien sur le formulaire. J’en prends acte, et je retire donc cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 11 est retiré.
Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Chapitre III
Dispositions relatives aux personnes poursuivies devant les juridictions d’instruction ou de jugement
Section 1
Dispositions relatives à l’information du droit à l’interprétation et à la traduction et du droit au silence et à l’accès au dossier au cours de l’instruction
Article 5
I. – L’article 113–3 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le témoin assisté bénéficie également, s’il y a lieu, du droit à l’interprétation et à la traduction des pièces essentielles du dossier. » ;
2° Le dernier alinéa est supprimé.
II. – À la première phrase du premier alinéa de l’article 113–4 du même code, les mots : « l’informe de ses droits » sont remplacés par les mots : « l’informe de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ainsi que des droits mentionnés à l’article 113–3 ».
III. – L’article 114 du même code est ainsi modifié :
1°A (nouveau) Le troisième alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « La procédure est mise » sont remplacés par les mots : « Le dossier de la procédure est mis » ;
b) Les mots : « la procédure est également mise » sont remplacés par les mots : « le dossier est également mis ».
1° Le quatrième alinéa est ainsi rédigé :
« Après leur première comparution ou leur première audition, les parties ou leurs avocats peuvent se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier. La délivrance de cette copie doit intervenir dans le mois qui suit la demande. Si le dossier a fait l’objet d’une numérisation, cette copie est remise sous forme numérisée, le cas échéant par un moyen de télécommunication selon les modalités prévues à l’article 803–1. La délivrance de la première copie de chaque pièce ou acte de la procédure est gratuite. » ;
2° Le cinquième alinéa est ainsi rédigé :
« Lorsque la copie a été directement demandée par la partie, celle-ci doit attester par écrit avoir pris connaissance des dispositions de l’alinéa suivant et de l’article 114–1. Lorsque la copie a été demandée par les avocats, ceux-ci peuvent en transmettre une reproduction à leur client, à condition que celui-ci leur fournisse au préalable cette attestation. » ;
3° Au septième alinéa, les mots : « L’avocat doit » sont remplacés par les mots : « Lorsque la demande de copie émane de l’avocat, celui-ci doit le cas échéant » ;
4° Au huitième alinéa, les mots : « de tout ou partie de ces reproductions » sont remplacés par les mots : « aux parties de tout ou partie des copies demandées ou de leurs reproductions » ;
5° Le neuvième alinéa est ainsi modifié :
a) Les deux premières phrases sont supprimées ;
b) À la troisième phrase, les mots : « Il peut » sont remplacés par les mots : « Cette décision est notifiée par tout moyen et sans délai aux parties ou à leurs avocats qui peuvent » ;
c) La dernière phrase est ainsi rédigée :
« Lorsque la demande émane de l’avocat, à défaut de réponse notifiée dans le délai imparti, l’avocat peut communiquer à son client la reproduction des pièces ou actes mentionnés sur la liste. » ;
6° Au dixième alinéa, les mots : « ces documents peuvent être remis par son avocat » sont remplacés par les mots : « les copies sont remises ».
7° (nouveau) À la première et à la dernière phrase du onzième alinéa, les mots : « de la procédure » sont remplacés par les mots : « du dossier ».
IV. – L’article 116 du même code est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, les mots : « Après l’avoir informé, s’il y a lieu, de son droit d’être assisté par un interprète » sont insérés avant les mots : « Le juge d’instruction » ;
1°bis (nouveau) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La personne est également informée, s’il y a lieu, de son droit à la traduction des pièces essentielles du dossier. » ;
2° Au troisième alinéa, après les mots : « le juge d’instruction », sont insérés les mots : « , après l’avoir informée de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, ».
V (nouveau). – À la première phrase de l’article 120–1 du même code, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « troisième ».
VI (nouveau). – 1. Aux premier et deuxième alinéas de l’article 113–8 du même code, les mots : « septième et huitième » sont remplacés par les mots : « huitième et neuvième ».
2. Au dernier alinéa de l’article 118 et à la première phrase du premier alinéa de l’article 175–1 du même code, le mot : « huitième » est remplacé par le mot : « neuvième ».
3. Au premier alinéa de l’article 148–3 du même code, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième ».
4. Aux articles 818 et 882 du même code, le mot : « cinquième » est remplacé par le mot : « sixième ».
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire
par les mots :
soit de se taire, soit de faire des déclarations, soit d’être interrogé,
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. On pourrait dire de cet amendement s’explique par son texte même, mais c’est un peu plus compliqué que cela !
Aux termes de l’article 5 du présent projet de loi, la personne doit savoir qu’elle a le « droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ». Le droit de se taire n’arrive donc qu’à la fin de la liste, quand l’article 3 de la directive mentionne le « droit de garder le silence » ; nous aurions pu, d’ailleurs, reprendre cette expression. La rédaction actuelle de l’article revient donc à noyer le poisson ; ce faisant, on ne transpose pas correctement la directive.
Je l’ai souligné lors de la discussion générale, il me paraît fondamental de rappeler que le premier droit, au sens où la directive que nous transposons l’entend, est bien le droit de se taire.
Enfin, je rappelle que l’alinéa 4 de l’article 116 du code de procédure pénale, article lu devant l’avocat lorsque la personne poursuivie se présente devant le juge d’instruction, dispose que celle-ci « a le choix soit de se taire, soit de faire des déclarations, soit d’être interrogée ». C’est le seul paragraphe où le droit de se taire est placé avant les autres. À mon sens, il serait normal que cela soit le cas, à l’occasion de la transposition de cette directive, dans toutes nos formulations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. J’indique à Mme Lipietz qu’il y a plusieurs stades dans une procédure.
Il y a d’abord l’audition libre. À la rigueur, j’aurais pu comprendre que votre amendement ait trait à ce cas de figure. Il y a ensuite la garde à vue ; mais cela n’est pas votre propos. Il y a enfin la situation qui nous intéresse : le juge d’instruction, saisi par le procureur de la République, convoque la personne. Franchement, quel droit a celle-ci de se taire ?
Vous êtes une avocate distinguée, madame Lipietz ; j’imagine que, lorsque vous accompagnez votre client devant le juge d’instruction, vous ne le forcez pas à se taire. Il lui est possible de faire des déclarations, de répondre à des questions, et, éventuellement, de se taire. Il n’en va pas autrement devant un tribunal ou une cour d’assises.
Je vous signale que, si une personne passe devant un juge d’instruction, c’est qu’elle est déjà mise en examen : elle court donc le risque d’être condamnée. Si elle se tait, je ne vois pas très bien comment elle pourra se défendre.
J’aurais pu comprendre que cet amendement tende à modifier les dispositions relatives à l’audition libre, d’où la personne peut partir à tout moment. Elle peut donc d’emblée se taire.
Avec Jean-René Lecerf, nous nous sommes rendus à Berlin, afin de voir ce qui se pratiquait en Allemagne en la matière. La police nous a indiqué qu’elle signifiait immédiatement à la personne son droit au silence. Tout cela est parfait, mais on ne peut envisager de faire de même devant un juge d’instruction.
Dès lors, la commission vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, ma chère collègue. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je rappelle qu’il s’agit d’une énumération de droits. Il est indiqué à la personne qu’elle peut faire des déclarations, qu’elle peut répondre aux questions, ou qu’elle peut se taire. Ce ne sont pas trois séquences séparées ; il s’agit bien du même énoncé.
M. le rapporteur vient de le souligner, s’il est évident que l’on doit dire à la personne qu’elle a le droit de se taire, il me paraît plus probable que, dans les situations dont nous parlons, elle ait tout intérêt à s’exprimer.
Dans la mesure où l’énoncé énumère seulement ces droits, je ne vois pas pourquoi on en inverserait l’ordre, même si je peux entendre l’argument selon lequel dire d’abord à la personne qu’elle a le droit de se taire relève d’une philosophie différente.
Pour une audition libre, il est important que la personne sache qu’elle peut se taire ou s’en aller ; mais, dans le cas qui nous intéresse, il lui est notifié qu’elle peut faire des déclarations, répondre à des questions ou bien se taire. Je ne vois vraiment pas où est la difficulté. Aussi, l’avis est défavorable.
M. le président. Madame Lipietz, l’amendement n° 12 est-il maintenu ?
Mme Hélène Lipietz. Je veux expliquer pourquoi je retire cet amendement, avant de me taire ! (Sourires.)
Je tiens simplement à faire remarquer à M. le rapporteur qu’il m’avait tenu un tout autre argument en commission. Il m’avait en effet indiqué qu’il n’était pas besoin de prévoir la possibilité d’informer la personne de son droit au silence lors de l’audition libre, puisqu’il lui suffisait de ne pas venir pour l’exercer !
Voilà pourquoi, convaincue par votre argumentation, monsieur le rapporteur, je n’avais pas déposé d’amendement similaire sur l’audition libre.
Mais je regrette tout de même que le droit de se taire ne soit pas mentionné en premier.
M. le président. L'amendement n° 12 est retiré.
L'amendement n° 22, présenté par M. J.P. Michel, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 11, dernière phrase
Remplacer les mots :
de la procédure
par les mots :
du dossier
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 27
Remplacer les mots :
de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire,
par les mots :
soit de se taire, soit de faire des déclarations, soit d’être interrogée,
Mme Hélène Lipietz. Je le retire, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 13 est retiré.
Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Section 2
Dispositions relatives à l’information du droit à l’interprétation et à la traduction et du droit au silence, à l’accès au dossier et à l’exercice des droits de la défense des personnes poursuivies devant les juridictions de jugement
Article 6
I. – Au début de l’article 273 du même code, les mots : « Le président interroge l’accusé » sont remplacés par les mots : « Après avoir, s’il y a lieu, informé l’accusé de son droit d’être assisté par un interprète, le président l’interroge ».
II. – Au début de l’article 328 du même code, sont ajoutés les mots : « Après l’avoir informé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, ».
III. – Le paragraphe 1er de la section 1 du chapitre Ier du titre II du livre II du même code est complété par des articles 388–4 et 388–5 ainsi rédigés :
« Art. 388–4. – En cas de poursuites par citation prévue à l’article 390 ou convocation prévue à l’article 390–1, les avocats des parties peuvent consulter le dossier de la procédure au greffe du tribunal de grande instance dès la délivrance de la citation ou au plus tard deux mois après la notification de la convocation.
« À leur demande, les parties ou leurs avocats peuvent se faire délivrer copie des pièces du dossier. Cette copie peut être remise sous forme numérisée, le cas échéant par un moyen de télécommunication selon les modalités prévues à l’article 803-1. La délivrance de cette copie intervient dans le mois qui suit la demande. Toutefois, en cas de convocation en justice et si la demande est faite moins d’un mois après la notification de cette convocation, cette délivrance intervient au plus tard deux mois après cette notification. La délivrance de la première copie de chaque pièce du dossier est gratuite.
« Art. 388–5. – En cas de poursuites par citation prévue à l’article 390 ou convocation prévue à l’article 390–1, les parties ou leur avocat peuvent, avant toute défense au fond ou à tout moment au cours des débats, demander par conclusions écrites, qu’il soit procédé à tout acte qu’ils estiment nécessaires à la manifestation de la vérité.
« Ces conclusions peuvent être adressées avant le début de l’audience, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par remise au greffe contre récépissé.
« Le tribunal statue sur cette demande et peut commettre par jugement l’un de ses membres ou l’un des juges d’instruction du tribunal désigné dans les conditions de l’article 83 pour procéder à un supplément d’information ; les dispositions de l’article 463 sont applicables. S’il refuse d’ordonner ces actes, le tribunal doit spécialement motiver sa décision. Le tribunal peut statuer sur cette demande sans attendre le jugement sur le fond, par un jugement qui n’est susceptible d’appel qu’en même temps que le jugement sur le fond. »
IV. – (Non modifié) Après le premier alinéa de l’article 390 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La citation informe le prévenu qu’il peut se faire assister d’un avocat de son choix ou, s’il en fait la demande, d’un avocat commis d’office, dont les frais seront à sa charge sauf s’il remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, et qu’il a également la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit. »
V. – L’article 390–1 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le délai de convocation peut être inférieur à celui prévu par l’article 552 en cas de renonciation expresse de l’intéressé en présence de son avocat. » ;
2° La deuxième phrase du deuxième alinéa est complétée par les mots : « de son choix ou, s’il en fait la demande, d’un avocat commis d’office, dont les frais seront à sa charge sauf s’il remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle et qu’il a également la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit ».
VI. – L’article 393 du même code est ainsi modifié :
1° Les deux premiers alinéas sont ainsi rédigés :
« En matière correctionnelle, le procureur de la République peut faire déférer devant lui la personne qu’il envisage de poursuivre conformément aux articles 394 et 395.
« Après avoir constaté l’identité de la personne et lui avoir fait connaître les faits qui lui sont reprochés ainsi que leur qualification juridique, le procureur de la République l’informe qu’elle a le droit à l’assistance d’un avocat de son choix ou commis d’office. L’avocat choisi ou, dans le cas d’une demande de commission d’office, le bâtonnier de l’ordre des avocats, en est avisé sans délai. » ;
2° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La personne comparaît alors en présence de son avocat devant le procureur de la République qui, après avoir entendu ses déclarations et les observations de son avocat, soit procède comme il est dit aux articles 394 à 396, soit requiert l’ouverture d’une information, soit ordonne la poursuite de l’enquête, soit prend toute autre décision sur l’action publique conformément à l’article 40–1. S’il ordonne la poursuite de l’enquête et que la personne est à nouveau entendue, elle a le droit d’être assistée lors de son audition par son avocat, conformément aux dispositions de l’article 63–4–3. »
VIII. – (Non modifié) À l’article 393–1 du même code, les mots : « Dans les cas prévus à l’article 393 » sont remplacés par les mots : « Si le procureur de la République procède comme il est dit aux articles 394 à 396, ».
IX. – (Non modifié) L’article 394 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le tribunal correctionnel a été saisi conformément aux dispositions du présent article, il peut, à la demande des parties ou d’office, commettre par jugement l’un de ses membres ou l’un des juges d’instruction du tribunal désigné dans les conditions de l’article 83 pour procéder à un supplément d’information ; les dispositions de l’article 463 sont applicables. Le tribunal peut, dans les mêmes conditions, s’il estime que la complexité de l’affaire nécessite des investigations supplémentaires approfondies, renvoyer le dossier au procureur de la République afin que celui-ci requière l’ouverture d’une information. »
X. – La première phrase de l’article 406 du même code est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :
« Le président ou l’un des assesseurs, par lui désigné, après avoir, s’il y a lieu, informé le prévenu de son droit d’être assisté par un interprète, constate son identité et donne connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal. Il informe le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire. »
XI. – À l’article 533 du même code, après la référence : « 388-3 » est insérée la référence : « 388–4, ».
XII. – Le premier alinéa de l’article 552 et la première phrase de l’article 854 du même code sont complétés par les mots : « ; toutefois, ce délai est d’au moins trois mois en cas de citation directe ou de convocation en justice du prévenu devant le tribunal correctionnel ».
XIII. – (Non modifié) L’article 706–106 du même code est abrogé.
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire,
par les mots :
soit de se taire, soit de faire des déclarations, soit d’être interrogé,
Mme Hélène Lipietz. Je le retire, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 14 est retiré.
L'amendement n° 15, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 6
1° Supprimer les mots :
avant toute défense au fond ou
2° Supprimer les mots :
au cours des débats
3° Après le mot :
écrites
insérer les mots :
, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par remise au greffe contre récépissé,
II. - Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Cet amendement vise à clarifier le dispositif prévu à l’article 6.
Je propose, à l’alinéa 6, de rédiger ainsi l’article 388-5 du code de procédure pénale : « En cas de poursuites par citation prévue à l’article 390 ou convocation prévue à l’article 390–1, les parties ou leur avocat peuvent, à tout moment, demander par conclusions écrites, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par remise au greffe contre récépissé, qu’il soit procédé à tout acte qu’ils estiment nécessaires à la manifestation de la vérité. » L’alinéa suivant, c'est-à-dire l’alinéa 7, serait, lui, supprimé.
Cette rédaction me paraît plus claire que la version proposée dans le texte de la commission.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission, qui préfère le texte issu de ses travaux, émet un avis défavorable sur cet amendement. Mais nous connaissons tous la sagesse du Sénat. (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ignore ce que serait alors la sagesse du Gouvernement. (Nouveaux sourires.)
J’estime également que la rédaction proposée par la commission est meilleure. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme Hélène Lipietz. Je retire mon amendement, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 15 est retiré.
L'amendement n° 16, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 25, seconde phrase
Remplacer les mots :
de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire
par les mots :
soit de se taire, soit de faire des déclarations, soit d’être interrogé
Mme Hélène Lipietz. Je le retire, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 16 est retiré.
Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 6 bis (nouveau)
I. –L’article 279 du même code est ainsi rédigé :
« Art 279. – L’accusé et la partie civile ou leurs avocats peuvent faire prendre copie de toutes pièces de la procédure. »
II. – L’article 280 du même code est abrogé. – (Adopté.)
Chapitre IV
Dispositions diverses
Article 7
I. – (Non modifié) Après l’article 67 E du code des douanes, il est inséré un article 67 F ainsi rédigé :
« Art. 67 F. – La personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n’est pas placée en retenue douanière ne peut être entendue sur ces faits qu’après la notification des informations prévues à l’article 61–1 du code de procédure pénale.
« S’il apparaît au cours de l’audition d’une personne des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ces informations lui sont communiquées sans délai. »
II. – L’article 323-6 du même code est ainsi modifié :
1° Au 2°, les mots : « De la nature et de la date présumée » sont remplacés par les mots : « De la qualification, de la date et du lieu présumés » et sont ajoutés les mots : « ainsi que des motifs justifiant son placement en retenue douanière en application de l’article 323–1 » ;
2° Après le 4°, sont insérés des 5° à 7° ainsi rédigés :
« 5° S’il y a lieu, du droit d’être assistée par un interprète ;
« 6° Du droit de consulter, au plus tard avant l’éventuelle prolongation de la retenue douanière, les documents mentionnés à l’article 63–4–1 du code de procédure pénale ;
« 7° De la possibilité de demander au procureur de la République, lorsque ce magistrat se prononce sur l’éventuelle prolongation de la retenue douanière, que cette mesure ne soit pas prolongée. » ;
3° il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Conformément aux dispositions de l’article 803–6 du code de procédure pénale, un document énonçant ces droits est remis à la personne. »
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Remplacer les mots :
ne soit pas prolongée
par les mots :
soit levée
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, sachant qu’un amendement similaire a déjà été adopté précédemment.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Un amendement similaire, sur lequel j’avais émis un avis de sagesse, ayant été adopté, il convient de faire preuve de cohérence.
M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Article 8
(Non modifié)
La troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique est ainsi modifiée :
1° L’intitulé est ainsi rédigé : « L’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles » ;
2° Avant l’article 64–1, il est rétabli un article 64 ainsi rédigé :
« Art. 64. – L’avocat assistant, au cours de l’audition ou de la confrontation mentionnée à l’article 61–1 du code de procédure pénale ou à l’article 67 F du code des douanes, la personne suspectée qui remplit les conditions pour bénéficier de l’aide juridictionnelle a droit à une rétribution.
« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’attribution de cette aide. »
M. le président. L'amendement n° 20, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il en est de même de l'avocat qui intervient pour assister une victime lors d'une confrontation en application de l’article 61–2 du code de procédure pénale, lorsque la victime remplit les conditions pour bénéficier de l'aide juridictionnelle.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Amendement de cohérence avec le dispositif que j’ai proposé tout à l’heure et que le Sénat a adopté sur l’aide juridictionnelle et l’assistance aux victimes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article 9
I. – Les articles 1er à 7 et 11 sont applicables en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et en Polynésie française. L’article 8 est applicable en Polynésie française.
II. – (Non modifié) Les articles 814 et 880 du code de procédure pénale sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du présent article sont applicables à l’assistance par un avocat prévue au 5° de l’article 61–1 ».
II bis (nouveau). – Au second alinéa de l’article 842 du même code, le mot : « dernier » est remplacé par le mot : « quatrième ».
III. – Le titre V de l’ordonnance n° 92–1147 du 12 octobre 1992 relative à l’aide juridictionnelle en matière pénale en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna est ainsi modifié :
1° Avant l’article 23–2, il est ajouté un article 23–1–1 ainsi rédigé :
« Art. 23–1–1. – L’avocat ou, dans les îles Wallis et Futuna, la personne agréée qui assiste, au cours de l’audition ou de la confrontation prévue à l’article 61–1 du code de procédure pénale ou à l’article 67 F du code des douanes, la personne suspectée qui remplit les conditions pour bénéficier de l’aide juridictionnelle a droit à une rétribution.
« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’attribution de cette aide. » ;
2° Au premier alinéa de l’article 23–2, le mot : « dernier » est remplacé par le mot : « quatrième ».
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il en est de même de l'avocat qui intervient pour assister une victime lors d'une confrontation en application de l’article 61–2 du code de procédure pénale, lorsque la victime remplit les conditions pour bénéficier de l'aide juridictionnelle.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 9, modifié.
(L'article 9 est adopté.)
Article 10
(Supprimé)
Article 11
(Non modifié)
I. – La présente loi entre en vigueur le 1er juin 2014.
Toutefois, le 5° de l’article 61–1 du code de procédure pénale résultant de l’article 1er, l’article 8 et les II à III de l’article 9 de la présente loi entrent en vigueur le 1er janvier 2015.
II. – Le délai de trois mois prévu aux articles 552 et 854 du code de procédure pénale n’est applicable qu’aux poursuites engagées après le 1er juin 2014.
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par M. J.P. Michel, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après la référence :
l'article 1er,
insérer les mots :
l'article 61–2 du code de procédure pénale résultant de l'article 1er bis
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Amendement de coordination avec l'article 1er bis, qui a été introduit par la commission des lois.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 11, modifié.
(L'article 11 est adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Madame le garde des sceaux, je suivrai l’exemple des deux collègues qui nous ont fait part de leur expérience personnelle tout à l’heure.
Il y a aura demain sept ans jour pour jour, j’ai vécu un calvaire épouvantable, avec des procédures innommables.
Tout ce qui pourra renforcer la sécurité du justiciable et des victimes dans le cadre des procédures est utile.
Je pense aux dispositions que vous avez prévues pour que l’on cesse d’attendre les directives ou les décisions du Conseil constitutionnel et pour que l’on appréhende la procédure pénale de manière globale, car elle est extrêmement difficile à supporter pour ceux qui ne sont pas correctement informés.
J’aimerais également témoigner de la détresse dans laquelle peuvent se trouver des personnes, même aguerries, dans des moments difficiles, lors d’une convocation devant un magistrat ou d’une audition dans le cadre d’une enquête préalable. L’individu est extrêmement fragilisé. Tout ce qui peut être fait au niveau législatif pour donner un peu de cohérence à toute la procédure est positif.
J’attire aussi l’attention du Gouvernement sur les problèmes des délais. Avec toutes les fuites, notamment sur internet, il n’y a évidemment plus de secret de l’instruction, ni d’ailleurs de présomption d’innocence.
Le sujet mérite, me semble-t-il, un véritable débat. Vous avez indiqué qu’une commission y travaillait. Il me paraît extrêmement important d’œuvrer pour que la justice soit rendue dans des délais raisonnables. En effet, en cas de violation du secret de l’instruction et d’atteinte aux droits de l’une des parties, les procédures en dénonciation calomnieuse ou les procédures récurrentes arrivent à leur terme des mois, voire des années plus tard, obligeant les victimes à revenir sur leur dossier pour le plaider de nouveau, au risque de rouvrir des plaies difficilement refermées.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
(Le projet de loi est adopté.) – (M. le rapporteur et M. Claude Dilain applaudissent.)
M. le président. Je constate que le projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur le président, je sollicite une brève suspension de séance.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures quinze, sous la présidence de M. Didier Guillaume.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Géolocalisation
Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du Gouvernement, l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la géolocalisation (texte de la commission n° 375, rapport n° 374).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, comme vous l’avez sans doute appris, la commission mixte paritaire qui s’est réunie au Sénat la semaine dernière a abouti à un accord entre les représentants des deux assemblées sur le projet de loi relatif à la géolocalisation.
Je me réjouis de cet accord, qui est le fruit d’un dialogue approfondi. Je tiens à saluer l’écoute et l’initiative du rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Sébastien Pietrasanta, ainsi que du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Jean-Jacques Urvoas.
Mes chers collègues, ce texte sur la géolocalisation vise à tirer les conséquences de l’arrêt du 22 octobre 2013 de la Cour de cassation, lequel est lui-même la résultante de l’arrêt Uzun c. Allemagne de la Cour européenne des droits de l’homme. D’ailleurs, dans une certaine mesure, la Cour de cassation est allée au-delà des prescriptions de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Cela nous renvoie toujours à la même question, que vous connaissez parfaitement, madame la ministre, puisque vous avez déjà consenti des efforts à cet égard, tout comme nous, je veux parler de la nécessaire réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui permettrait de répondre à l’objection récurrente de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle les membres du parquet n’auraient pas l’indépendance des juges.
Je forme le vœu – je sais que c’est aussi votre souhait ; c’est l’intention qui a été manifestée par le Président de la République il y a encore quelques semaines – que nous puissions parvenir à un texte dont la rédaction soit susceptible de recueillir la majorité requise au Congrès afin d’avancer sur ce sujet et que la France cesse d’être condamnée.
Je reviendrai brièvement sur les différents points que nous avons abordés au Sénat et dont il a été question à l’Assemblée nationale, ainsi qu’en commission mixte paritaire.
Premièrement, dans quels cas est-il licite de faire appel à la géolocalisation ?
Notre position, madame la ministre, a été très claire dès la première lecture. Nous avons pris à la lettre la prescription de la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que cette technique doit être réservée aux infractions d’une particulière gravité. C’est pourquoi nous avons adopté au Sénat une disposition qui concerne les infractions correspondant à un quantum de cinq années d’emprisonnement, et non pas de trois années, comme le prévoyait le projet de loi initial.
Bien entendu, madame la ministre, nous avons pris en compte les infractions sanctionnées de trois ans d’emprisonnement s’il s’agit des atteintes aux personnes présentant une certaine gravité.
En résumé, après beaucoup de travail, la position de la commission mixte paritaire a finalement été la suivante : la géolocalisation est réservée en règle générale pour des infractions punies de cinq ans d’emprisonnement, ou pour des infractions punies de trois ans d’emprisonnement s’il s’agit d’un délit d’atteinte aux personnes visé par le livre II du code pénal, du recel de criminel prévu par l’article 434–6 du code pénal et de l’évasion prévue par l’article 434–27 du code pénal. Sur ce point, la commission mixte paritaire a totalement suivi la position du Sénat, puisque l’Assemblée nationale était revenue au quantum initial de trois ans.
Deuxièmement, à quel moment le juge des libertés et de la détention doit-il intervenir ?
Le texte initial prévoyait un délai de quinze jours de géolocalisation. Notre collègue Jacques Mézard, par la voie d’un amendement qui fut adopté par le Sénat, a proposé de le porter à huit jours. Les députés sont revenus à une durée de quinze jours. Finalement, après discussion, nous avons donné notre accord, dans le cadre d’un compromis, pour fixer ce délai à quinze jours, car la Cour européenne des droits de l’homme a validé le fait que le juge du siège puisse intervenir au bout d’un mois. Quinze jours, c’est naturellement plus court qu’un mois, délai jugé parfaitement légitime par la Cour européenne des droits de l’homme. Voilà pourquoi nous avons considéré qu’il était possible de maintenir le délai à quinze jours, d’autant que les huit jours prévus par le Sénat entraînaient un droit à prolongation de huit jours, soit un total de seize jours.
Troisièmement, pour ce qui est des dispositions relatives au domicile privé, nous avons maintenu le dispositif prévu par le Sénat, qui a été repris par l’Assemblée nationale, en apportant néanmoins quelques précisions afin que le domicile privé soit parfaitement respecté en cas d’intrusion nocturne pour la mise en place d’une géolocalisation. Le texte présente toutes les garanties puisqu’il prévoit l’accord préalable du juge des libertés et de la détention. Nous avons toutefois ajouté une précision relative aux lieux couverts par le secret de la défense nationale. Il est assez logique que toute géolocalisation y soit en effet interdite.
Pour ce qui est d’une question qui a fait débat, à savoir celle de la pose d’une balise en cas d’urgence par l’officier de police judiciaire, l’OPJ, le Sénat a considéré qu’il était possible de laisser cette initiative à l’OPJ dès lors qu’il en informe immédiatement, par tout moyen, le procureur de la République. Il nous a semblé nécessaire que ce dernier valide la procédure au bout de douze heures. S’il ne le fait pas, nous avions explicitement considéré que le dispositif matériel était nul et non avenu, et que par conséquent il ne pouvait produire aucun effet. On peut, bien entendu, tout à fait désactiver une balise.
L’Assemblée nationale, après discussion avec vous-même, madame la garde des sceaux, a estimé qu’il était préférable de prévoir un délai de vingt-quatre heures : le procureur de la République ne peut pas prendre l’acte depuis son domicile, il est nécessaire que celui-ci soit enregistré au greffe du tribunal. Il peut arriver que des problèmes se posent à cet égard le week-end.
C’est donc pour des raisons pratiques, et seulement pour des raisons pratiques, que nous nous sommes ralliés à ce dispositif. Cependant, je précise que, dans l’esprit de la commission mixte paritaire – que je ne pense pas trahir ici –, il est essentiel, premièrement, que l’OPJ prévienne instantanément le procureur de la République et, deuxièmement, que le procureur valide la procédure dans les vingt-quatre heures au plus tard.
Restait la question du dossier séparé. C’est un sujet que nous avions traité au cours de la première lecture, en prenant en compte ce que nous avaient dit les représentants de la police et de la gendarmerie, lesquels avaient affirmé que certains informateurs pouvaient se trouver menacés et être en danger dès lors qu’apparaîtraient dans le dossier leur nom, la date et le lieu où la géolocalisation a été mise en place, et la balise posée. Je parle toujours de balise ; j’en profite pour préciser que le texte concerne à la fois les géolocalisations par balise, mais également les géolocalisations par téléphone portable.
En ce qui concerne cette question importante, nous avons considéré qu’il était possible de s’inspirer de l’article du code de procédure pénale relatif aux témoins anonymes pour exclure du dossier certaines pièces, lesquelles seraient versées dans un dossier séparé. Toutefois, nous avons défini des conditions très précises.
Tout d’abord, cette exclusion ne pourra se faire que sur décision du juge : l’autorité judiciaire, à cet égard, est pleine et entière. De manière à bien préciser les choses, puisque, je le sais, à l’Assemblée nationale un débat s’est fait jour sur la constitutionnalité du dispositif, la commission mixte paritaire a inscrit noir sur blanc dans le texte que le juge ne peut prendre cette décision que si l’information n’est « ni utile à la manifestation de la vérité ni indispensable à l’exercice des droits de la défense ».
Nous avons veillé à trouver une formulation nouvelle, ne maintenant pas en l’état le 3° du texte proposé par l’Assemblée nationale pour l’article 230–41 du code de procédure pénal : il est donc possible d’enregistrer dans un autre dossier ou d’exclure du dossier principal les données de localisation, « la date, l’heure et le lieu » et « les éléments permettant d’identifier une personne ayant concouru à l’installation ou au retrait du moyen technique ». Cette procédure est extrêmement claire, précise, cadrée, restrictive et, à notre sens, parfaitement constitutionnelle.
Voilà, mes chers collègues, quel a été le travail de la commission mixte paritaire. Il s’est déroulé dans un excellent climat. Je dois vous dire que nous avons été guidés par la recherche d’un nécessaire équilibre.
Il est essentiel, nous le savons tous, de disposer des moyens pour lutter contre le terrorisme, la violence et les menaces intolérables portant sur l’intégrité de nos concitoyens. Dans le même temps, nous savons bien qu’il y a là un problème, car ces moyens peuvent porter atteinte à la vie privée, aux données personnelles, aux libertés individuelles, que nous nous attachons tous à défendre. Par conséquent, il ne faut y toucher qu’avec grande prudence, dans le cadre de la loi, et uniquement lorsque c’est nécessaire pour lutter contre le terrorisme, la violence ou les menaces à l’égard de nos concitoyens et des autres personnes vivant en France.
Plus qu’une position de compromis, nous avons atteint un point d’équilibre en commission mixte paritaire en retenant le meilleur du travail des deux assemblées. Nous avons abouti à un texte qui n’est peut-être pas le meilleur possible, mais qui constitue un bon travail parlementaire.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite, au nom de la commission mixte paritaire, ainsi qu’au nom de la commission des lois qui en a débattu cet après-midi, à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz et M. Robert Tropeano applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je serai brève, puisque M. le président-rapporteur a rappelé les principales dispositions de ce texte.
Je tiens d’abord à saluer la qualité du travail effectué par la commission mixte paritaire qui résulte de votre implication personnelle, en votre double qualité de président de la commission des lois et de rapporteur de ce texte, ainsi que de la forte implication du président et du rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Le texte auquel vous êtes ensemble parvenus est constitué de ce que j’appellerai de « beaux compromis » dans la mesure où, en dépit des divergences qui étaient apparues au cours de la lecture dans chaque chambre de ce projet de loi, vous avez su trouver une convergence.
Je rappelle que si ce texte, qui vise à encadrer les techniques de géolocalisation, a fait l’objet d’une procédure accélérée, c’est parce qu’il était très attendu depuis les arrêts de la Cour de cassation d’octobre 2013.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est évidemment très attendu par les juridictions, par les services d’enquête, qu’il s’agisse des policiers, des gendarmes, des douaniers ou des agents fiscaux, qui font office en l’occurrence d’officiers de police judiciaire.
Ces arrêts de la Cour de cassation ont confirmé l’existence d’un vide juridique puisque la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà énoncé la nécessité, dans un arrêt de 2010, de disposer d’une loi qui soit suffisamment précise pour éviter tout arbitraire. Cette loi devra également prendre en compte – et là, nous trouvons des éléments conjoints à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme et aux arrêts de la Cour de cassation – la gravité des infractions concernées de façon que les dispositions législatives soient de nature à préserver les libertés individuelles tout en garantissant l’efficacité des enquêtes.
La commission mixte paritaire a donc trouvé un accord sur un certain nombre de dispositions.
Ainsi, vous êtes revenus au quantum de peine de cinq ans, avec, pour exception, trois années dans les cas d’atteinte aux personnes, auxquels vous avez ajouté les faits d’évasion et de recel de criminel. Évidemment, le Gouvernement s’en félicite puisqu’il avait plaidé devant votre assemblée, qui l’avait entendu, et devant l’Assemblée nationale, laquelle l’avait moins entendu, la nécessité de tenir compte en particulier de ces infractions d’atteinte aux personnes.
Cet accord constitue un bel équilibre dans la mesure où l’efficacité des enquêtes est préservée et qu’il est tenu compte des observations de la Cour de cassation qui a qualifié la géolocalisation d’ingérence grave dans la vie privée, même si la Cour d’appel de Paris, le 21 février dernier, a rendu un arrêt d’une autre nature. Nous savons toutefois que les choses ne sont pas parvenues à leur terme. En tout cas, cette divergence d’appréciation de la Cour de cassation et de la Cour d’appel montre la nécessité urgente de disposer d’un cadre juridique stable, qui soit une référence pour toutes nos juridictions et pour toutes les procédures concernées.
Par ailleurs, vous êtes revenus sur le délai de quinze jours. Le texte du Gouvernement prévoyait que les opérations de géolocalisation seraient autorisées par le parquet, donc par le procureur de la République, pour une durée initiale de quinze jours. Or le Sénat avait souhaité ramener ce délai à huit jours. L’Assemblée nationale avait retenu quinze jours, délai qui a finalement été rétabli.
Je répète une fois de plus, au risque de paraître ressasser toujours les mêmes choses, que le parquet appartient à l’autorité judiciaire, qu’il protège les libertés individuelles, même si c’est dans un champ moins large que celui des juges du siège, et qu’il veillera, dans le cadre de ce délai de quinze jours, à la protection des libertés individuelles et en même temps à l’efficacité de l’enquête. Nous nous étions en effet fondés sur la durée d’une enquête de flagrance prolongée pour retenir ce délai de quinze jours.
Vous avez également prévu, dans le cas où l’officier de police judiciaire décidera lui-même dans l’urgence d’une mesure de géolocalisation, qu’il doit prévenir immédiatement le parquet, qui peut valider ou invalider cette décision. Le parquet doit confirmer par écrit son autorisation et, pour ce faire, dispose d’un délai que le Sénat avait fixé à douze heures, l’Assemblée nationale l’ayant étendu à vingt-quatre heures. La commission mixte paritaire a maintenu le délai adopté par l'Assemblée nationale.
Il reste la question, plus sensible à mon avis, de ce que vous appelez le « dossier séparé », que nous avons longtemps appelé le « dossier occulte », appellation que nous sommes fondés à maintenir puisque ce dossier est destiné à ne pas être mis à la disposition de la défense. Il comportera des pièces dont la communication est susceptible, dans certains cas, de faire peser un risque sur l’intégrité physique des personnes qui ont apporté des informations à la justice. On comprend donc tout à fait l’esprit d’un tel dossier, à savoir veiller à la protection de ces personnes. Les informations qu’elles ont transmises ont permis d’identifier, de repérer, de démanteler et, en tout cas, ont accru l’efficacité des enquêtes. Il s’agit de protéger ces personnes ainsi que leur entourage.
Nous sommes évidemment très sensibles à cet argument, à telle enseigne d’ailleurs que nous avions introduit dans le projet de loi initial des dispositions proches de celles de la procédure qui permet aujourd’hui d’entendre un témoin anonyme. Je rappelle, comme je l’ai dit en première lecture, que la personne mise en cause peut néanmoins demander à être confrontée au témoin anonyme. Nous ne sommes donc pas exactement dans le même dispositif, où des pièces sont totalement soustraites au principe du contradictoire.
Le Conseil d’État avait souhaité disjoindre cette disposition considérant qu’elle n’était pas satisfaisante. Le Sénat comme l’Assemblée nationale ont souhaité y revenir. Le texte issu des travaux de la commission des lois de l’Assemblée nationale comportait, à l’article 1er, dans le texte proposé pour l’article 230–41 du code de procédure pénale, un 3° dont vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, qu’il avait été supprimé. Ce 3° définissait de façon très large toutes les pièces pouvant nécessiter d’être soustraites à la défense.
Nous pensons néanmoins que, même dans la rédaction issue de la commission mixte paritaire, le dispositif adopté est complètement inédit, qu’il n’en existe aucun équivalent actuellement dans notre droit. Le 2° de ce même article 230–41, tel qu’il est rédigé, permet tout de même encore au juge – et vous venez de le confirmer à la tribune, monsieur le président-rapporteur – d’apprécier les pièces qui pourraient entrer dans ce dossier séparé.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est exact !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il y a donc bien cette part d’appréciation pour laquelle nous plaidons à longueur de temps en disant qu’il faut faire confiance à la justice et permettre au magistrat de librement apprécier les situations qui lui sont soumises. Il n’en demeure pas moins que, dans ces procédures pénales, non seulement le magistrat appréciera les pièces qui sont à sa disposition mais il le fera unilatéralement, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de contradictoire, la défense n’ayant pas son mot à dire. Par ailleurs, son appréciation sera peut-être différente selon les territoires et les enquêtes concernées.
Nous estimons donc qu’il y a là un petit espace d’incertitude en matière de sécurité juridique. Le magistrat peut estimer que la divulgation de ces pièces – ces pièges – peut menacer la sécurité des personnes qui ont contribué à éclairer la justice. La pièce de procédure qui a permis de déterminer l’heure et la date de pose d’une balise peut en effet permettre d’identifier la personne qui a informé la justice. Mais la date et l’heure de pose de la balise peuvent être aussi des éléments de la procédure, en tout cas de régularité de la procédure.
Nous pensons donc que subsiste tout même encore un risque que soit contestée la régularité d’une procédure dans la mesure où la défense n’aura pas accès à toutes les pièces qui lui permettent d’apprécier sa régularité.
Vous avez toutefois pris la précaution d’écrire que ces pièces ne doivent pas être essentielles à la manifestation de la vérité ni de nature à mettre en cause la procédure. Il n’empêche que, au nom du principe du procès équitable et du respect des droits de la défense, un risque demeure. C'est la raison pour laquelle je réitère la suggestion, que j’ai faite tout à l’heure devant l’Assemblée nationale, que, par anticipation avant la promulgation de la loi, le Conseil constitutionnel soit saisi par le président de l'Assemblée nationale ou par celui du Sénat, ou par les deux.
Deux hypothèses sont envisageables : ou bien le Conseil constitutionnel considère que la manière dont est conçu ce dispositif totalement inédit est satisfaisante, qu’il n’y a pas de risques, et, dès lors, le texte est conforté, consolidé, la sécurité est totale sur les procédures pénales ; ou alors le Conseil exprime une réserve d’interprétation ou suggère une réécriture. Dans ce cas-là, nous aurons évité, avant la promulgation de la loi, une censure a posteriori d’une disposition pouvant éventuellement mettre en cause des enquêtes pénales.
Évidemment, les enquêtes seraient conduites conformément à la loi mais nous savons parfaitement que, aujourd’hui, il ne suffit pas que les actes soient conformes à la loi : avec la question prioritaire de constitutionnalité, la loi elle-même, après bien sûr l’étape de la recevabilité par le Conseil d’État et la Cour de cassation, est passée au crible du Conseil constitutionnel, qui s’assure de sa conformité vis-à-vis de la Constitution, mais sa conventionalité, c’est-à-dire sa conformité vis-à-vis de la Convention européenne des droits de l’homme, est également contrôlée.
Telles sont les raisons pour lesquelles cette précaution, qui vous semble peut-être superfétatoire, me paraît utile avant la promulgation du texte. Cela nous prendrait huit jours de plus puisque, conformément à l’article 61 de la Constitution, en cas d’urgence, le Conseil constitutionnel peut statuer en huit jours et non en un mois. Ce délai supplémentaire permettrait d’obtenir une sécurité totale sur le texte et éviterait toute censure a posteriori.
À une assemblée aussi sensible aux questions de droit que la vôtre, je rappellerai ce qu’écrivait John Locke : « Là où il n’y a de droit, il n’y a pas de liberté ».
Notre volonté est donc de consolider le droit, c’est-à-dire de créer un cadre juridique qui définisse les conditions et les limites dans lesquelles la géolocalisation peut se pratiquer. Nous voulons surtout a posteriori sécuriser les procédures et éviter qu’une enquête bien conduite, conforme à la loi, ne soit censurée parce que la loi elle-même aura été considérée comme n’étant pas conforme à la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Éliane Assassi et Hélène Lipietz ainsi que M. Robert Tropeano applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre Parlement s’apprête à remédier au vide législatif qui entourait la géolocalisation. Il se conforme en cela aux critères fixés par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, qui impose que de telles mesures soient prévues par la loi.
La géolocalisation était jusqu’alors régie par les dispositions générales du code de procédure pénale, si bien que la question de sa validité pouvait être posée à tous les stades de la procédure. Nous pouvons nous féliciter de cette clarification.
L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 février 2014 qui a explicitement désavoué l’interprétation de la Cour de cassation nous confirme la nécessité de mettre fin à une incertitude dommageable à la sécurité juridique. Il ne peut échoir à chaque tribunal la tâche d’infirmer ou de confirmer les mesures de géolocalisation, selon une interprétation plus ou moins claire de la validité de ces mesures.
À l’Assemblée nationale comme au Sénat, a sans cesse été recherché le point d’équilibre entre le respect de la vie privée de chacun et le maintien de l’ordre face à une insécurité croissante et incontestable. Il s’agissait de donner les moyens aux forces de police de mener leurs investigations tout en ne négligeant pas les dérives actuelles autour des données personnelles et de la vie privée.
Il nous semblait ainsi que le Sénat avait trouvé un bon compromis, tant sur le champ d’application que sur la fameuse question du délai de saisine du juge des libertés et de la détention. La chambre basse a pourtant cédé aux sirènes si attrayantes de la sécurité à tout prix sans que l’on en comprenne les raisons.
Aujourd’hui, le groupe RDSE s’inquiète de ce choix par une majorité de gauche qui, lorsqu’elle était dans l’opposition, semblait toujours se positionner à la pointe de la défense des libertés publiques.
M. Jean-Jacques Hyest. Ça, c’est vrai !
M. Robert Tropeano. C’est pourquoi notre groupe déplore la suppression de son amendement adopté à une très large majorité et qui constituait une garantie supplémentaire dans le dispositif juridique de la géolocalisation.
Mes chers collègues, la technique de la géolocalisation constitue une ingérence grave dans la vie privée. Ce délai de huit jours était pourtant conforme à la recommandation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui a été saisie pour avis.
Le ministère de la justice a choisi une durée de quinze jours, autorisée par le procureur de la République, en la justifiant par le fait que ce délai correspond à la durée maximale de l’enquête de flagrance prolongée.
Nous rappelons, à cet égard, que la CNIL, dans sa délibération du 19 décembre 2013 portant avis sur ce projet de loi, a rappelé que la durée de la flagrance, telle que prévue à l’article 53 du code de procédure pénale, est de huit jours, renouvelable une fois sur décision du procureur de la République. Elle a ainsi considéré que, pour être en adéquation avec cet article 53, la mesure de géolocalisation devait être de la même durée de huit jours, et renouvelable dans les mêmes conditions.
Cette autorité administrative, chargée de préserver les éventuelles atteintes à la vie privée et aux libertés individuelles, a également relevé que, dans le cadre des autres enquêtes menées par le procureur de la République, le délai de quinze jours prévu par le projet de loi ne correspondait à aucune durée prévue lors du déroulement des enquêtes préliminaires, ainsi qu’à aucune des procédures prévues aux articles 74 à 74–2 du code de procédure pénale.
Par ailleurs, je voudrais revenir sur ce qui a été dit lors des débats sur le satisfecit donné par la Cour européenne des droits de l’homme à la procédure allemande dans l’arrêt Uzun c. Allemagne, notamment sur les contresens qui ont été faits, peut-être à dessein.
L’article 100 c du code de procédure pénale allemand, qui constitue précisément la base légale des mesures de géolocalisation, ne requérait pas une décision judiciaire pour la géolocalisation jusqu’en 2000. En novembre 2000 est entré en vigueur l’article 163 f sur la surveillance systématique de longue durée de suspects.
La Cour s’est félicitée, dans son arrêt, de ce renforcement de la protection des droits d’un suspect au respect de sa vie privée. Une telle surveillance durant plus de vingt-quatre heures d’affilée ou opérée plus de deux jours au total ne peut être ordonnée qu’à l’égard de personnes soupçonnées d’infractions extrêmement graves et lorsque d’autres moyens d’enquête destinés à établir les faits de l’affaire ou à localiser le suspect ont nettement moins de chances d’aboutir ou sont considérablement plus difficiles à mettre en œuvre. La mesure peut être ordonnée par le parquet. Selon le paragraphe 4, qui a été abrogé en 2007, sa mise en œuvre ne pouvait dépasser un mois et toute prolongation devait être ordonnée par un juge.
C’est cette dernière disposition, pourtant abrogée, qui a fondé tout l’argumentaire, du dépôt du projet de loi initial jusqu’à la discussion en commission mixte paritaire, à tout le moins de ceux qui ont défendu un délai de saisine du juge fixé à quinze jours.
Ainsi, vous l’avez bien compris, mes chers collègues, il s’avère aujourd’hui, à l’heure où nous débattons, que les mesures de géolocalisation en Allemagne ne peuvent être ordonnées que par un juge, ce qui est donc parfaitement conforme à la jurisprudence européenne. C’est en cas d’urgence seulement que le procureur ou les fonctionnaires de police peuvent ordonner de telles mesures. Ces dernières deviennent illégales si elles ne sont pas validées dans les trois jours ouvrables par un tribunal.
La France, en 2014, s’apprête à se doter d’une réglementation moins respectueuse des données personnelles et plus attentatoire aux libertés individuelles, alors même que l’Allemagne, il y a déjà sept années, a offert aux suspects la garantie de l’autorisation d’un juge au bout de trois jours de surveillance.
En outre, force est de constater que les débats ne se sont à aucun moment portés sur la question de l’autorisation de telles mesures par le procureur de la République, qui ne constitue pas un juge impartial et indépendant au sens de la jurisprudence européenne. Sans jouer les Cassandre, nous pouvons à juste titre nous inquiéter une nouvelle fois de ce flou juridique autour du caractère non conventionnel des magistrats du parquet.
Le rapport Nadal, que vous avez commandé, madame la garde des sceaux, préconise un alignement des régimes statutaire et disciplinaire de ces magistrats sur ceux de leurs homologues du siège. Je pense notamment à la réforme de la garde à vue, intervenue à la suite de l’arrêt Brusco en 2010, et vous pose la question suivante : quand cesserons-nous d’attendre les condamnations des cours européennes pour réformer notre droit ? La France ne doit pas être le cancre de l’Europe en matière de défense des libertés et droits individuels.
Dans les prochains mois, nous examinerons la réforme pénale. À cet égard, nous espérons que le débat démocratique sera plus soucieux de nos engagements conventionnels comme des droits et libertés de chacun.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les écologistes ont une position commune – pour une fois ! –, sur la géolocalisation, comme le prouvent l’intervention, que j’avais lue en première lecture, de Jean Desessard, et aujourd’hui celle d’André Gattolin, à laquelle j’ai, bien sûr, apporté ma touche personnelle.
L’équilibre global du texte – les éléments positifs et négatifs que nous avions listés en première lecture – n’a pas vraiment été modifié par la procédure parlementaire. De manière logique, notre position n’a donc pas changé sur le fond.
Il eût été préférable de confier au juge du siège toute décision relative à ces procédures, et ce dès le premier jour, tant l’enjeu procédural et/ou symbolique est fort. Il s’agit tout de même de la garantie de nos libertés individuelles et du respect de notre vie privée, qui ne doivent pas être sacrifiés à la sécurité à laquelle chacun aspire.
Nos lois doivent protéger ces deux droits et cette attente, sans hiérarchiser l’un par rapport aux autres.
Le président de la commission des lois a annoncé l’organisation d’une journée de travail sur les questions touchant au numérique et au traitement des données privées. Cette journée s’appuierait – je n’en doute pas ! – sur les rapports de la mission commune d’information sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques, dont la rapporteur est notre collègue écologiste Corinne Bouchoux, ou de la mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet, à laquelle participe notamment mon collègue André Gattolin.
Nous ne pouvons que saluer ces initiatives, qui vont évidemment bien au-delà de ce seul texte.
Le droit au respect de la vie privée est un principe déjà ancien. Il est pourtant remis en question quotidiennement, de manière imperceptible, par les évolutions technologiques et les habitudes prises par chacune et chacun. Il est également remis en question devant les craintes de terrorisme ou d’atteinte aux biens et surtout aux personnes, qui constituent des menaces pour notre citoyenneté même, pour notre indépendance sociétale et étatique.
En ce début d’année 2014, la moitié de nos concitoyennes et concitoyens disposent d’un smartphone sur lequel ils reçoivent leurs appels, consultent leurs mails et internet, et interviennent sur les réseaux sociaux.
L’institut Médiamétrie indique que les foyers français disposent chacun, en moyenne, de six écrans et demi, si l’on compte à la fois les ordinateurs, les tablettes, les téléphones et la télévision. Pour ma part, je fais baisser la moyenne n’ayant ni smartphone, ni tablette, ni télévision…
Et je ne parle pas des montres, des lunettes, des voitures ou même des cartables, qui, tous, peuvent désormais être également connectés.
Il paraîtrait que ces évolutions, encore inimaginables il y a un ou deux ans, présenteraient – j’utilise à dessein le conditionnel ! – de multiples intérêts. Il me semble que l’on parle surtout des intérêts des firmes qui les commercialisent et des géants du numérique, qui vivent en très grande partie du commerce des données collectées via tous ces objets.
Et les gouvernements – démocratiques ou non – trouvent dans cette très vaste toile d’échanges volontaires et d’empreintes laissées sans y prendre garde un moyen de lutter contre toute une série de menaces.
Or qui décide quelles sont les menaces dont le risque est tel qu’on peut y sacrifier notre vie privée ?
Ainsi, le plan Vigipirate, qui déroge à la Constitution en instituant un état d’exception, est activé depuis 1996 ! S’il a été réduit la semaine dernière à deux niveaux, il garde la France depuis dix-huit ans sous surveillance militaire permanente. Est-ce réellement justifié ?
À quand une réflexion sur ce que nous, citoyens et citoyennes, parlementaires ou membres du Gouvernement, police et justice, souhaitons comme degré de sécurité et comme respect de notre vie privée ?
Nous ne devons pas confisquer ce débat à nos concitoyens en augmentant les droits de la police, des douanes ou de l’armée, sauf à ce que nos lois soient contestées, comme l’a été le fameux article 20 de la loi de programmation militaire.
La question est donc de savoir comment canaliser tout cela pour restaurer un équilibre qui semble aujourd’hui, aux yeux des écologistes, bien précaire, sinon perdu, au détriment des citoyennes et des citoyens.
Il faut également s’interroger sur la façon d’adapter nos sociétés, nos institutions, et donc nos lois, à cette révolution qui est déjà derrière nous.
Nous sommes en retard par rapport à l’évolution des systèmes informatisés. Ces questions ne sont encore pas suffisamment au cœur des débats publics et nous ne les prenons pas assez en compte dans notre façon de légiférer.
Nous n’en sommes encore, me semble-t-il, qu’au début de la réflexion, alors que le temps presse.
Néanmoins, les écologistes s’abstiendront sur ce texte pour que le vide laissé par les décisions juridiques soit comblé, en espérant qu’un texte plus performant soit proposé au plus vite. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Éliane Assassi et M. Claude Dilain applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, de nombreux sujets ont été évoqués. Revenons à la géolocalisation qui est, je le rappelle, un moyen technique permettant la localisation en temps réel d’un individu.
Monsieur le président Sueur, nous avons eu récemment quelques difficultés avec la géolocalisation dans le domaine des écoutes administratives. Une polémique s’est développée. Il n’y avait pas de réglementation, car la géolocalisation n’existait pas il y a encore quelques années. À l’inverse, les écoutes téléphoniques sont très réglementées, dans le domaine du renseignement comme dans le domaine judiciaire.
La Cour de cassation s’en est rendu compte. Le problème vient du fait que le contrôle de constitutionnalité n’empêche pas le contrôle de conventionalité. Il peut arriver que le Conseil constitutionnel juge une loi conforme à la Constitution, et que la Cour de cassation, davantage que le Conseil d’État d’ailleurs, estime qu’elle est contraire aux conventions internationales, notamment à la Convention européenne des droits de l’homme.
Derrière tout cela se pose la question plus large que nous avons évoquée cet après-midi, madame le garde des sceaux, du statut du parquet. En effet, on nous dit que les membres du parquet ne sont ni impartiaux ni indépendants.
En l’espèce, nous nous sommes retrouvés face à la décision de la Cour de cassation, comme cela avait d’ailleurs été le cas voilà deux ans sur la garde à vue. À l’époque, la Cour avait exigé la présence immédiate des avocats, alors que le Conseil constitutionnel avait accordé un délai de six mois.
Il en va de même pour la géolocalisation. Les procédures ont été interrompues. Vous avez dû, madame le garde des sceaux, donner des instructions pour arrêter les mesures de géolocalisation, qui auraient pu, sinon, conduire à l’annulation des enquêtes. Or les services d’enquête ont besoin de recourir à ces techniques pour exercer convenablement leur mission. Il y a donc véritablement urgence.
Les parlementaires ont, me semble-t-il, trouvé un consensus s’agissant de l’encadrement du recours à ces techniques. M. le rapporteur nous a présenté les conclusions de la commission mixte paritaire : le consensus consiste d’abord à prendre rapidement une décision en ce domaine. Notre collègue François Pillet avait d’ailleurs pris l’initiative de proposer une réforme du dispositif de géolocalisation censuré par la Cour de cassation, qui allait dans le même sens que le projet gouvernemental.
La jurisprudence indique à raison que la géolocalisation constitue une ingérence dans la vie privée des citoyens. Le recours à ce dispositif doit donc être strictement encadré.
Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, cette géolocalisation doit être limitée aux faits les plus graves et placée sous le contrôle strict du « magistrat compétent » – ce qui, à nos yeux, englobe le parquet.
Sur ces deux points essentiels du dispositif, quelques divergences s’étaient fait jour entre le Sénat et l’Assemblée nationale. La commission mixte paritaire a permis de faire émerger un compromis, puisque le texte qui est sorti de ses travaux retient deux cas de figure : d’une part, les crimes ou les délits punis d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement et, d’autre part, les délits d’atteinte aux personnes punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, auxquels ont été ajoutés l’évasion et le recel de criminel.
Cela dit, madame le garde des sceaux, je m’interroge. On fait exploser l’échelle des peines,…
M. Jean-Jacques Hyest. … cette échelle que l’on avait eu tant de difficultés à établir lors de l’élaboration du code pénal. Ainsi, on ne comprend pas pourquoi tel délit reste puni de trois ans d’emprisonnement, quand tel autre, moins grave mais défini à la suite d’un fait divers, est puni de cinq ans d’emprisonnement. Il n’y a plus d’homogénéité.
Pendant deux ans et demi, j’ai participé, aux côtés d’autres parlementaires, dont Jean-Pierre Michel, à l’élaboration de ce code pénal. Notre travail avait permis d’aboutir à une échelle des peines conforme à l’état de la société. Peut-être ce dernier a-t-il évolué depuis. En tout état de cause, nous aurions intérêt à reprendre le dossier, car il n’est plus du tout vrai que l’échelle des peines dit ce qui est grave, et ce qui l’est moins. (Mme la garde des sceaux opine.)
Au reste, cela explique pourquoi nous avons rencontré cette difficulté.
Néanmoins, le compromis qui a été trouvé me paraît raisonnable et conforme à la jurisprudence. Méfions-nous cependant, car la Cour de cassation s’empare désormais de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et veille à son application.
Pour terminer, madame le garde des sceaux, je reviendrai sur le dossier séparé, que vous avez évoqué à la fin de votre intervention. Ce point est très important car, comme on l’a vu cet après-midi sur un autre sujet, les dossiers peuvent contenir des informations susceptibles de nuire aux personnes qu’elles concernent. À cet égard, le dispositif retenu dans le projet de loi me paraît satisfaisant.
S’agissant des enquêtes de flagrance et des enquêtes préliminaires, si la CEDH autorise un délai pouvant aller jusqu’à trente jours, la commission mixte paritaire a retenu un délai de quinze jours. Je rappelle que le Sénat, lui, avait voté un délai de huit jours.
Puis la CNIL est arrivée comme les carabiniers. (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Après la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation, la CNIL, cette nouvelle instance juridique…
M. Jean-Jacques Hyest. Certes, madame le garde des sceaux, mais c’est un nouvel acteur dans ce domaine !
La CNIL nous explique désormais qu’un délai de huit jours renouvelable une fois serait plus approprié. C’est quand même épatant, surtout que son avis nous est parvenu un peu tard !
Avec tous ces conseils que l’on nous donne, et qui, d’ailleurs, se contredisent, on ne pourra bientôt plus légiférer.
J’ai beaucoup de respect pour la CNIL. Je l’ai toujours soutenue… quand elle intervenait dans son champ d’attribution.
Cela étant dit, je considère que la commission mixte paritaire a bien travaillé. Bien entendu, nous soutiendrons le texte qui est issu de ses travaux. Madame le garde des sceaux, nous voterons aussi votre amendement de coordination, comme l’ont fait nos collègues députés.
M. Jean-Jacques Hyest. Au reste, si nous ne le votions pas, cela ferait un peu désordre… (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. Pour terminer, s’agissant des procédures applicables aux enquêtes judiciaires, toutes les garanties de protection des libertés me semblent apportées par les parquets, par les juges et, permettez-moi de l’ajouter, par les enquêteurs, qui, normalement, sont sous contrôle. Si, dans quelques cas, les procédures n’ont pas été respectées, c’est regrettable.
En revanche, nous aurons à réfléchir au débat qu’a ouvert Mme Lipietz, sur l’évolution des techniques et sur l’utilisation qui peut être faite de certaines données. Peut-être devrons-nous un jour légiférer pour protéger les libertés publiques de risques bien plus grands, pour elles, que les conditions de fonctionnement de la justice ! (Mme Hélène Lipietz ainsi que MM. Claude Dilain et Jean-Claude Frécon applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen de ce projet de loi, ce qui va permettre aux forces de police et aux magistrats de reprendre une activité « normale » en matière de lutte contre la délinquance.
Les décisions du 22 octobre 2013 de la chambre criminelle de la Cour de cassation avaient porté un coup d’arrêt à la géolocalisation lorsque celle-ci est mise en œuvre dans une enquête, sur autorisation du procureur de la République.
L’intervention du législateur était indispensable afin de rendre à nouveau possible l’utilisation des moyens de géolocalisation dans le cadre des enquêtes préliminaires et des enquêtes de flagrance. Elle était également indispensable pour améliorer l’encadrement de ces moyens techniques : en effet, l’absence d’un texte répressif suffisamment clair et précis est la porte ouverte à des pratiques occultes, au bord ou même en dehors de toute légalité, ce qui ne peut être toléré dans un État de droit.
C’est donc dans l’intérêt de la sécurité de nos concitoyens, mais aussi pour un bon fonctionnement de notre justice pénale que le législateur se devait de réagir rapidement après les arrêts rendus par la Cour de cassation en octobre dernier – d’autant que les délinquants, eux, se préoccupent peu de la jurisprudence de la CEDH ou de la Cour de cassation et continuent allégrement à utiliser ces moyens de géolocalisation !
Le texte qui ressort des travaux de la CMP nous paraît équilibré.
Bien évidemment, nous aurions préféré que la rédaction finale du projet de loi retienne une durée maximale de quinze jours consécutifs pour le recours à la géolocalisation sous la seule responsabilité du procureur de la République. Comme l’a justement rappelé Jacques Mézard lors de la CMP, notre Haute Assemblée avait adopté un délai de huit jours avant l’intervention du juge des libertés et de la détention, ce qui nous semblait plus pertinent.
En revanche, nous sommes satisfaits du seuil retenu pour le recours à la géolocalisation, laquelle sera finalement autorisée pour les délits d’atteinte aux personnes, de recel de criminel et d’évasion punis d’au moins trois ans d’emprisonnement ainsi que pour tout autre crime ou délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Cette rédaction est conforme aux exigences posées par la CEDH, qui n’a admis la géolocalisation que pour des faits d’une particulière gravité.
Nous tenons à saluer l’excellent travail réalisé sur ce projet de loi par notre commission des lois, en particulier par son président, Jean-Pierre Sueur, rapporteur du texte. Nous aboutissons, ainsi, à un texte équilibré, précis, qui permettra aux policiers, aux gendarmes et aux magistrats de s’appuyer à nouveau sur ces moyens technologiques, avec la sécurité juridique nécessaire.
Le groupe UDI-UC soutiendra ce projet de loi, dans sa rédaction issue de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme toute technologie, la géolocalisation n’est pas bonne ou mauvaise en soi. (Mme la garde des sceaux opine.) : elle peut présenter des avantages.
Nous avons la responsabilité de légiférer dans tous les domaines où elle est utilisée et de trouver le juste équilibre en chaque matière.
C’est ce que nous ont précisément invités à faire les arrêts rendus le 22 octobre 2013 par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Dans ces arrêts, la haute juridiction judiciaire se prononce sur la question de la légalité de la géolocalisation et sur celle du contrôle judiciaire du recours à cette technologie en matière pénale. Considérant que notre législation est trop imprécise, elle nous invite à nous prononcer sur la question, afin de trouver un juste équilibre entre les nécessités de l’enquête et la protection de la vie privée.
Les membres de mon groupe et moi-même considérons que ce juste équilibre avait été trouvé avec le texte adopté par le Sénat le 20 janvier dernier.
Alors que le texte initial donnait aux forces de l’ordre la possibilité d’utiliser la géolocalisation pour des infractions punies d’au moins trois ans d’emprisonnement, la commission des lois du Sénat avait porté ce seuil à cinq ans, conformément à la jurisprudence de la CEDH, qui considère que cette technique doit être réservée aux faits d’une particulière gravité.
La commission mixte paritaire n’est pas revenue sur la position adoptée en séance publique par le Sénat, laquelle restait satisfaisante dans la mesure où le seuil de cinq ans était conservé et abaissé à trois ans pour les délits prévus au livre II du code pénal, ainsi que le rapporteur vient de l’indiquer.
Concernant le contrôle judiciaire du recours à cette technologie, la CMP a retenu la position adoptée par l’Assemblée nationale, qui nous semble moins protectrice que celle qu’avait votée le Sénat. En effet, en cas de flagrance, le procureur de la République donnera une instruction valable quinze jours consécutifs, et non huit jours, solution qu’avait retenue le Sénat.
Quoi qu’en dise Jean-Jacques Hyest, la position du Sénat était conforme à l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés : cette dernière avait rappelé que l’utilisation de dispositifs de géolocalisation doit être encadrée avec précaution, car « particulièrement sensible au regard des libertés individuelles, dans la mesure où ils permettent de suivre de manière permanente et en temps réel des personnes, aussi bien dans l’espace public que dans des lieux privés ».
La CNIL a notamment attiré l’attention sur le fait que, « dans le cadre des procédures de flagrance, la durée de l’autorisation du procureur de la République devrait être de huit jours, reconductible éventuellement une fois, conformément à l’article 53 du code de procédure pénale ».
Surtout, elle a considéré que « des mesures spécifiques [devaient] être prévues par la loi pour protéger certaines professions exposées par leur activité ou par le secret des sources ». On pense principalement aux magistrats, aux journalistes ou encore aux avocats.
Certes, un compromis a été trouvé avec nos collègues députés. Cependant, la procédure accélérée a été engagée sur ce texte, ne nous permettant pas d’aller au bout des débats. Au demeurant, je regrette que le Gouvernement ait recouru si souvent à cette procédure ces derniers temps. Je ne nie pas l’urgence qu’il y avait à légiférer pour éviter de nuire aux enquêtes en cours. Cela dit, le recours à la procédure accélérée nous empêche d’envisager toutes les hypothèses. Sur des sujets attentatoires aux libertés individuelles, il me semble qu’une deuxième lecture aurait été très utile.
C’est d’autant plus vrai que la CNIL, saisie le 5 décembre 2013 par le Gouvernement, n’a rendu public son avis qu’après le passage du texte au Sénat. Je rappelle quand même que l’avis de cette instance ne peut être rendu public que sur demande du président de l’une des commissions permanentes des deux assemblées. En l’occurrence, cette demande a été formulée le 7 février dernier par le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, expliquant pourquoi l’avis de la CNIL n’a été publié qu’à cette date.
Il serait peut-être utile et sage de systématiser la publication des avis rendus par la CNIL. En tout cas, c’est une demande que je formule !
Malgré toutes ces remarques, madame la ministre, nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Gavroche chantait : « C’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau » Là, c’était la faute à l’Europe, ici, c’est la faute à la chambre criminelle de la Cour de cassation. (Sourires.) C’est moins noble, c’est surtout moins bien écrit (M. Yves Détraigne sourit.), mais il faut s’y faire !
M. Jean-Pierre Michel. De quoi s’agit-il ?
Madame Lipietz, le débat que vous avez ouvert sur la géolocalisation devra avoir lieu. En l’occurrence, nous sommes saisis uniquement d’une atteinte aux libertés dans le cadre d’une procédure judiciaire qui a tout de même pour objectif la poursuite de délinquants, de criminels, de malfaiteurs, de truands, de trafiquants ! À côté des atteintes classiques aux libertés individuelles comme les écoutes téléphoniques, les perquisitions, les arrestations et la détention provisoire, il existe maintenant, car nous nous adaptons aux techniques, la géolocalisation.
Madame la garde des sceaux, un compromis a été trouvé. Il est d’abord intervenu sur la procédure accélérée. Pour ce qui est du texte précédent, peut-être aurait-on pu nous saisir plus tôt. Concernant le présent projet de loi, nous avons été saisis dès que la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu son arrêt.
La raison d’être de ce compromis est de permettre la reprise des enquêtes qui ont été interrompues. Toutefois, certaines d’entre elles ont été stoppées de façon un peu rapide et elles ne pourront sans doute pas être redémarrées.
Ensuite, le compromis a été obtenu sur un certain nombre de votes qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale et au Sénat. En commission mixte paritaire – j’y ai insisté –, les rapporteurs ont exposé leurs points de vue et nous sommes parvenus à un certain nombre de convergences qui ont semblé protectrices : un accord a été trouvé et la commission mixte paritaire a réussi, selon l’expression consacrée.
Enfin, comme le dit Jean-Jacques Hyest, et je partage son point de vue, ces procédures sont encadrées par un magistrat, madame Lipietz. Pour l’instant, je regrette de vous le dire, en France, nous n’avons pas à distinguer entre un juge et un procureur : parmi les magistrats, certains sont procureurs, et, à ce titre, chargés de la poursuite, tandis que d’autres sont chargés de l’instruction et du jugement ; mais ce sont tous des magistrats. Ils ont pratiquement le même statut et sont soumis aux mêmes obligations. Ils doivent, les uns et les autres, respecter les libertés individuelles et les libertés publiques, dont ils sont le garant aux termes de la Constitution.
Donc, toutes les garanties sont réunies. La comparaison avec l’Allemagne est aberrante ! Mon cher collègue, ceux qui vous ont soumis ce texte – car il faut dire les choses ainsi – se sont-ils rendus outre-Rhin afin de s’informer du fonctionnement de la procédure judiciaire ? Non, certainement pas. J’y suis allé avec M. Lecerf et, aujourd’hui, le directeur des services de la commission des lois. En Allemagne, les procureurs sont des fonctionnaires, et non des magistrats. Peut-être présentent-ils des garanties, parce qu’ils sont élus par les assemblées locales pour un certain temps, parfois très long, mais ce sont des fonctionnaires. Donc, en Allemagne, toutes les décisions qui portent atteintes aux libertés individuelles, c’est-à-dire non seulement la géolocalisation, mais aussi la détention provisoire, les perquisitions, les écoutes téléphoniques, doivent être immédiatement, dans les plus brefs délais, prises par le juge. La procédure et les acteurs concernés ne sont pas les mêmes que chez nous. En l’occurrence, comparaison n’est pas raison !
Le présent dispositif nous paraît équilibré. Le groupe socialiste se félicite de la réussite de la commission mixte paritaire, qui doit beaucoup au travail de notre président-rapporteur, qui a beaucoup œuvré en ce sens.
Bien entendu, nous voterons le texte tel qu’il résulte des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :
projet de loi relatif à la géolocalisation
Article 1er
Le titre IV du livre Ier du code de procédure pénale est complété par un chapitre V ainsi rédigé :
« Chapitre V
« De la géolocalisation
« Art. 230-32. – Il peut être recouru à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne, à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, si cette opération est exigée par les nécessités :
« 1° D’une enquête ou d’une instruction relative à un délit prévu au livre II ou aux articles 434–6 et 434-27 du code pénal, puni d’un emprisonnement d’au moins trois ans ;
« 1° bis D’une enquête ou d’une instruction relative à un crime ou à un délit, à l’exception de ceux mentionnés au 1° du présent article, puni d’un emprisonnement d’au moins cinq ans ;
« 2° D’une procédure d’enquête ou d’instruction de recherche des causes de la mort ou de la disparition prévue aux articles 74, 74-1 et 80-4 ;
« 3° D’une procédure de recherche d’une personne en fuite prévue à l’article 74-2.
« La géolocalisation est mise en place par l’officier de police judiciaire ou, sous sa responsabilité, par l’agent de police judiciaire, ou prescrite sur réquisitions de l’officier de police judiciaire, dans les conditions et selon les modalités prévues au présent chapitre.
« Art. 230-33. – L’opération mentionnée à l’article 230-32 est autorisée :
« 1° Dans le cadre d’une enquête de flagrance, d’une enquête préliminaire ou d’une procédure prévue aux articles 74 à 74-2, par le procureur de la République, pour une durée maximale de quinze jours consécutifs. À l’issue de ce délai, cette opération est autorisée par le juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République, pour une durée maximale d’un mois renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée ;
« 2° Dans le cadre d’une instruction ou d’une information pour recherche des causes de la mort ou des causes de la disparition mentionnées aux articles 74, 74-1 et 80-4, par le juge d’instruction, pour une durée maximale de quatre mois renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée.
« La décision du procureur de la République, du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction est écrite. Elle n’a pas de caractère juridictionnel et n’est susceptible d’aucun recours.
« Art. 230–34. – Dans les cas mentionnés aux 1° et 2° de l’article 230-33, lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction l’exigent, le procureur de la République ou le juge d’instruction peut, aux seules fins de mettre en place ou de retirer le moyen technique mentionné à l’article 230-32, autoriser par décision écrite l’introduction, y compris en dehors des heures prévues à l’article 59, dans des lieux privés destinés ou utilisés à l’entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel, ou dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans de tels lieux, à l’insu ou sans le consentement du propriétaire ou de l’occupant des lieux ou du véhicule ou de toute personne titulaire d’un droit sur ceux-ci.
« S’il s’agit d’un lieu privé autre que ceux mentionnés au premier alinéa du présent article, cette opération ne peut intervenir que dans les cas mentionnés aux 2° et 3° de l’article 230–32 ou lorsque l’enquête ou l’instruction est relative à un crime ou un à délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Si ce lieu privé est un lieu d’habitation, l’autorisation est délivrée par décision écrite :
« 1° Dans les cas prévus au 1° de l’article 230-33, du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le procureur de la République ;
« 2° Dans les cas prévus au 2° du même article 230-33, du juge d’instruction ou, si l’opération doit intervenir en dehors des heures prévues à l’article 59, du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le juge d’instruction.
« La mise en place du moyen technique mentionné à l’article 230-32 ne peut concerner ni les lieux mentionnés aux articles 56-1 à 56-4, ni le bureau ou le domicile des personnes mentionnées à l’article 100-7.
« Art. 230-35. – En cas d’urgence résultant d’un risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens, les opérations mentionnées à l’article 230-32 peuvent être mises en place ou prescrites par un officier de police judiciaire. Celui-ci en informe immédiatement, par tout moyen, le procureur de la République ou le juge d’instruction dans les cas mentionnés aux articles 230–33 et 230-34. Ce magistrat peut alors ordonner la mainlevée de la géolocalisation.
« Toutefois, si l’introduction dans un lieu d’habitation est nécessaire, l’officier de police judiciaire doit recueillir l’accord préalable, donné par tout moyen :
« 1° Dans les cas prévus au 1° de l’article 230-33, du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le procureur de la République ;
« 2° Dans les cas prévus au 2° du même article, du juge d’instruction ou, si l’introduction doit avoir lieu en dehors des heures prévues à l’article 59, du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le juge d’instruction.
« Ces magistrats disposent d’un délai de vingt-quatre heures pour prescrire, par décision écrite, la poursuite des opérations. À défaut d’une telle autorisation dans ce délai, il est mis fin à la géolocalisation. Dans les cas prévus au premier alinéa du présent article, l’autorisation comporte l’énoncé des circonstances de fait établissant l’existence du risque imminent mentionné à ce même alinéa.
« Art. 230-36. – Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui ou autorisé par le procureur de la République peut requérir tout agent qualifié d’un service, d’une unité ou d’un organisme placé sous l’autorité du ministre de l’intérieur et dont la liste est fixée par décret en vue de procéder à l’installation et au retrait du moyen technique mentionné à l’article 230-32.
« Art. 230–37. – Les opérations prévues au présent chapitre sont conduites sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées ou qui a autorisé leur poursuite.
« Le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision de ce magistrat ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.
« Art. 230-38. – (Supprimé)
« Art. 230-39. – L’officier de police judiciaire ou l’agent de police judiciaire agissant sous sa responsabilité dresse procès-verbal de chacune des opérations de mise en place du moyen technique mentionné à l’article 230-32 et des opérations d’enregistrement des données de localisation. Ce procès-verbal mentionne la date et l’heure auxquelles l’opération a commencé et celles auxquelles elle s’est terminée.
« Les enregistrements sont placés sous scellés fermés.
« Art. 230-40. – L’officier de police judiciaire ou l’agent de police judiciaire agissant sous sa responsabilité décrit ou transcrit, dans un procès-verbal qui est versé au dossier, les données enregistrées qui sont utiles à la manifestation de la vérité.
« Art. 230-41. – Lorsque, dans une instruction concernant l’un des crimes ou délits entrant dans le champ d’application de l’article 706-73, la connaissance de ces informations est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne, des membres de sa famille ou de ses proches et qu’elle n’est ni utile à la manifestation de la vérité ni indispensable à l’exercice des droits de la défense, le juge des libertés et de la détention, saisi à tout moment par requête motivée du juge d’instruction, peut, par décision motivée, autoriser que n’apparaissent pas dans le dossier de la procédure :
« 1° La date, l’heure et le lieu où le moyen technique mentionné à l’article 230-32 a été installé ou retiré ;
« 2° L’enregistrement des données de localisation et les éléments permettant d’identifier une personne ayant concouru à l’installation ou au retrait du moyen technique mentionné à ce même article ;
« 3° (Supprimé)
« La décision du juge des libertés et de la détention mentionnée au premier alinéa du présent article est jointe au dossier de la procédure. Les informations mentionnées aux 1° et 2° sont inscrites dans un autre procès-verbal, qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure, dans lequel figure également la requête du juge d’instruction prévue au premier alinéa. Ces informations sont inscrites sur un registre coté et paraphé, qui est ouvert à cet effet au tribunal de grande instance.
« Art. 230-42. – La personne mise en examen ou le témoin assisté peut, dans les dix jours à compter de la date à laquelle il lui a été donné connaissance du contenu des opérations de géolocalisation réalisées dans le cadre prévu à l’article 230-41, contester, devant le président de la chambre de l’instruction, le recours à la procédure prévue à ce même article. S’il estime que les opérations de géolocalisation n’ont pas été réalisées de façon régulière, que les conditions prévues audit article 230-41 ne sont pas remplies ou que les informations mentionnées à ce même article sont indispensables à l’exercice des droits de la défense, le président de la chambre de l’instruction ordonne l’annulation de la géolocalisation. Toutefois, s’il estime que la connaissance de ces informations n’est pas ou n’est plus susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne, des membres de sa famille ou de ses proches, il peut également ordonner le versement au dossier de la requête et du procès-verbal mentionnés au dernier alinéa de l’article 230-41. Le président de la chambre de l’instruction statue par décision motivée, qui n’est pas susceptible de recours, au vu des pièces de la procédure et de celles figurant dans le dossier mentionné au même alinéa.
« Art. 230-43. – Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des éléments recueillis dans les conditions prévues à l'article 230–41, sauf si la requête et le procès-verbal mentionnés au second alinéa de ce même article ont été versés au dossier en application de l'article 230–42.
« Art. 230-44. – Les enregistrements de données de localisation sont détruits, à la diligence du procureur de la République ou du procureur général, à l'expiration du délai de prescription de l'action publique.
« Il est dressé procès-verbal de l'opération de destruction.
« Art. 230-45. – Le présent chapitre n’est pas applicable lorsque les opérations de géolocalisation en temps réel ont pour objet la localisation d’un équipement terminal de communication électronique, d’un véhicule ou de tout autre objet dont le propriétaire ou le possesseur légitime est la victime de l’infraction sur laquelle porte l’enquête ou l’instruction ou la personne disparue au sens des articles 74-1 ou 80-4, dès lors que ces opérations ont pour objet de retrouver la victime, l’objet qui lui a été dérobé ou la personne disparue.
« Dans les cas prévus au présent article, les opérations de géolocalisation en temps réel font l’objet de réquisitions conformément aux articles 60-1, 60-2, 77-1-1, 77-1-2, 99-3 ou 99-4. »
Article 2
La section 7 du chapitre IV du titre II du code des douanes est complétée par un article 67 bis-2 ainsi rédigé :
« Art. 67 bis-2. – Si les nécessités de l’enquête douanière relative à la recherche et à la constatation d’un délit douanier puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à trois ans l’exigent, tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne, à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, peut être mis en place ou prescrit par les agents des douanes habilités par le ministre chargé des douanes dans des conditions fixées par décret, sur autorisation, dans les conditions et selon les modalités prévues au chapitre V du titre IV du livre Ier du code de procédure pénale, du procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel la mise en place du moyen technique est envisagée ou du juge des libertés et de la détention de ce tribunal. »
Article 2 bis
Le troisième alinéa de l’article 706-161 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« L’agence peut également verser à l’État des contributions destinées à participer au financement de la lutte contre la délinquance et la criminalité. »
Article 3
La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
M. le président. Nous allons maintenant examiner l’amendement déposé par le Gouvernement.
article 1er
M. le président. Sur l’article 1er, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur cet article ?...
Le vote est réservé.
article 2
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
trois
par le mot :
cinq
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit d’un amendement de coordination, puisque nous modifions le code des douanes. Conformément aux dispositions que nous avons introduites dans le projet de loi, nous établissons un seuil de cinq ans, afin de couvrir toute une série d’atteintes aux biens, y compris certaines escroqueries organisées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. La commission est très favorable à cet amendement. Je tiens à vous féliciter, madame la garde des sceaux, car cette coordination est nécessaire. À l’évidence, elle a échappé à la vigilance des deux assemblées ! Heureusement, vous étiez là pour nous proposer cet amendement salutaire.
M. le président. Sur les articles 2 bis et 3, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?...
Le vote est réservé.
Personne ne demande la parole ?...
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement du Gouvernement.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
9
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 25 février 2014 :
À quatorze heures trente :
1. Débat sur la justice de première instance.
À dix-sept heures :
2. Débat et vote sur la demande du Gouvernement d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en République centrafricaine, en application du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution.
À vingt et une heures trente :
3. Proposition de résolution relative à la transition énergétique, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution (n° 194, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART