M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Pierre Godefroy. … ni aux opérateurs des machines destinées à maintenir artificiellement en vie des patients : seule la volonté de ces derniers devrait être prise en compte.

Sur ces questions, il ne s’agit pas de savoir qui a définitivement raison : les avis sont divergents et le resteront. Laissons donc aux individus la possibilité de décider pour eux-mêmes. Ils sont le juge suprême de leur propre volonté.

Depuis 2002, le consentement libre et éclairé est requis pour les actes de soins. Le patient n’est plus contraint à subir passivement les traitements, il en est acteur à part entière. On doit les lui expliquer, et il peut les refuser ou les accepter. Il est un individu autonome, libre de ses choix et traité en tant que tel. L’écrivain suédois Stig Dagerman l’exprimait parfaitement : « Il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites. »

L’adoption d’une loi sur l’assistance médicalisée pour mourir marquera l’aboutissement du mouvement qui reconnaît la primauté du respect de la volonté individuelle comme principe fondamental de la mise en œuvre des soins. Elle mettra fin au paradoxe selon lequel une personne peut prendre l’ensemble des décisions qui orientent son existence, indiquer par testament ce qu’il doit advenir de ses biens après son décès, mais est privée d’un tel droit au moment de sa mort.

C’est donc un texte de liberté que nous souhaitons ! D’ailleurs, qu’il en soit fait usage ou non, le simple fait de disposer du droit de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir, lorsque des conditions strictes sont réunies, constituerait une liberté en soi, qui suffirait, parfois, à apaiser psychologiquement certains malades.

Bien sûr, nous entendons les craintes. Le débat sur la fin de vie met en cause deux principes fondamentaux qui peuvent sembler contradictoires : le respect de la vie, d’une part, le respect de la dignité et de la liberté de l’homme, d’autre part.

Il ne s’agit pas de revenir sur l’interdit éthique et social « Tu ne tueras point », qui concerne la mort imposée à ceux qui ne la désirent pas, mais bien, dans le prolongement de la loi de 2005, de regarder en face la question de la fin de vie et de cesser de nous réfugier derrière des faux-semblants. Dans la proposition de loi que j’ai déposée avec mes collègues socialistes, l’assistance médicalisée pour mourir est prévue comme une exception dans le code de la santé publique et ne modifie en rien le code pénal. Le Conseil d’État n’y avait vu aucun problème juridique.

L’irréversibilité de l’acte fait peur. Comme si c’était l’assistance à mourir qui rendait la mort irréversible ! Quoi de plus respectueux, de plus digne, de plus moral que d’interrompre, comme le permet la loi de 2005, les traitements d’un individu qui demande à ce que ses souffrances soient abrégées, en cessant son alimentation et son hydratation, en lui administrant des sédatifs pour pallier les douleurs qui en résultent ? Il s’agit bien d’une assistance médicale pour mourir, proche de celle que nous préconisons et qui s’effectuerait par un acte délibéré, exécuté à la demande du patient.

Quel sens moral peut-on trouver au fait de laisser un individu mourir dans des conditions contraires à sa volonté ? D’autant que l’omission ou l’interruption d’un traitement ne suffisent pas toujours. La sédation endort, elle ne sert qu’à faire perdre au patient la perception de la réalité, du temps et de sa propre fin de vie. Ne devrait-on pas plutôt l’accompagner dans ses derniers moments, conformément à ses souhaits les plus intimes ? Faut-il continuer à prolonger la vie de ceux qui ne le souhaitent pas ? Laisser mourir est parfois bien plus inhumain que ne le serait une assistance médicalisée active. D’ailleurs, la distinction morale entre assistance médicale active et passive me paraît bien ambiguë.

La seule question est de savoir si l’on reconnaît ou non à chacun le droit à disposer de sa mort. Le droit à une assistance active pour mourir n’est pas un choix entre la vie et la mort : c’est un choix entre deux façons de mourir.

Dans son ouvrage Je ne suis pas un assassin, le docteur Chaussoy, malheureusement confronté à ce problème, écrit : « Il faut une sage-femme pour mettre l’homme au monde, il faut aussi des passeurs, des hommes et des femmes sages, pour l’accompagner dans ce monde et l’aider à bien le quitter. » C’est bien ainsi que je conçois l’acte d’assistance pour mourir.

Aussi, je souhaite insister sur un point : contrairement à ce que l’on entend souvent, l’assistance médicalisée pour mourir ne s’oppose pas aux soins palliatifs. Ce ne sont pas là les deux termes d’une alternative : assistance médicalisée pour mourir et soins palliatifs sont complémentaires. Ne pourrait-on pas admettre que l’assistance médicalisée pour mourir soit intégrée au parcours de soins, comme le suggère un rapport de la commission des affaires sociales du gouvernement du Québec ?

Je suis persuadé qu’une loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir apporterait une quadruple réponse.

Premièrement, elle garantirait le respect des souhaits de la personne en lui permettant de rester maîtresse de toutes les décisions concernant la fin de son existence et la manière dont elle souhaite la vivre avant de disparaître. La volonté du patient doit être absolument respectée.

Deuxièmement, elle répondrait aux besoins des médecins confrontés à ces cas douloureux, dans le respect de leur clause de conscience, en leur proposant un cadre juridique au sein duquel ils pourraient satisfaire cette demande d’une manière humaine, sans se mettre eux-mêmes dans l’illégalité. Car, nous le savons bien, il arrive que des médecins accèdent par compassion à la sollicitation pressante de leur patient.

Troisièmement, une telle loi répondrait aux besoins des proches, qui finissent parfois, par amour, par accéder au souhait de la personne malade, mais se mettent ainsi eux-mêmes en danger devant la justice. Si cette dernière fait généralement preuve de clémence dans son verdict, elle n’en poursuit pas moins les personnes concernées pour meurtre. Il faut mettre un terme à cette situation horrible : le malade, avant de fermer les yeux, réclamant ce geste d’amour, ignore ce qu’il adviendra judiciairement de celui qui l’aide.

Enfin, quatrièmement, elle satisferait les juges, qui sont souvent cléments, mais qui doivent être en mesure d’apporter une réponse au nom du peuple français, et non pas seulement en leur âme et conscience.

J’estime que c’est au législateur qu’il revient de fixer les règles autorisant un tel acte de compassion. Nous sommes donc déterminés à traiter les insuffisances de notre droit actuel. Les auditions qui ont été conduites ont d’ailleurs bien montré la nécessité de légiférer.

Dans l’attente d’un projet de loi qui devrait nous être présenté avant ou après l’été ou, à défaut, d’une proposition de loi qui serait le résultat d’un travail commun entre les différents auteurs de propositions de loi déposées devant notre assemblée, je défendrai, non pour le reporter mais pour disposer d’un texte commun, une motion de renvoi en commission.

Celle-ci ne dissimulera pas, comme trop souvent, un rejet, mais offrira une occasion d’approfondir la question en commission pour nous préparer à recevoir le texte du Gouvernement ou à étudier en commun le sujet, dans la perspective d’une nouvelle niche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Yann Gaillard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mourir dans la dignité est l’aspiration de tout individu. Cela a donné lieu à des débats depuis l’Antiquité, sinon avant. Sénèque écrivait d’ailleurs : « Si je puis opter entre une mort compliquée de tortures et une mort simple et douce, pourquoi ne prendrais-je pas cette dernière ? »

C’est là tout l’enjeu de ce débat, qui anime de manière récurrente notre société. Certes, la loi de 2005 relative aux droits des patients en fin de vie a constitué une grande avancée, reconnue par tous. Elle a affirmé le refus de l’acharnement thérapeutique et a permis aux patients de ne pas recevoir les soins nécessaires à une survie artificielle. Elle a conduit à la reconnaissance des directives anticipées et a consacré le droit au laisser mourir. Malheureusement, elle reste trop mal connue, trop mal comprise et trop mal appliquée, le plus souvent par manque de soins palliatifs.

Par ailleurs, nous le savons, l’euthanasie se pratique en France de façon plus ou moins clandestine, ce qui empêche de savoir dans quelle mesure le patient a vraiment fait son choix. Ceux qui persistent à refuser de voir cette réalité se rendent complices de toutes les dérives, laissent les médecins et les juges seuls face à des questions auxquelles il nous appartient d’apporter des réponses claires. Et ce n’est pas le renvoi d’un médecin de Bayonne devant la cour d’assises qui pourra régler le problème !

Surtout, la loi Leonetti ne peut répondre à toutes les situations. J’entends bien les craintes et les réticences que certains peuvent exprimer. Il reste que la mort est pourtant avant tout une affaire personnelle. Je pense que la liberté de chacun doit être respectée.

De quel droit refuserions-nous à une personne de choisir une mort, sinon sans souffrance, au moins sans souffrance excessive ? Pourquoi contester sa volonté, alors qu’elle n’attend que la délivrance qui mettra un terme à son supplice ? Lorsqu’une personne prend la décision de céder face à une vie qui n’est plus qu’une longue agonie, ne laissant aucune place à l’espoir, il est important de lui en reconnaître le droit.

Il ne s’agit en aucun cas d’opposer les soins palliatifs à l’assistance médicale à mourir. II ne s’agit pas, non plus, de banaliser cette pratique, mais d’accepter, au nom de la solidarité, voire de la compassion et de l’humanisme, que des personnes malades puissent vouloir rester maîtresses de leur destin. Nous ne devons pas leur enlever cet ultime espace de liberté auquel a droit tout être humain.

C’est la raison pour laquelle les radicaux de gauche réclament depuis longtemps une loi pour encadrer le droit de mourir dans la dignité. En 1980, déjà, la Haute Assemblée examinait une proposition de loi du sénateur Henri Caillavet, dont je salue la mémoire, relative au droit de vivre sa mort. Malgré la ténacité du rapporteur, Jean Mézard – le père de qui vous savez… (Sourires.) –, le Sénat ne l’avait pas adoptée. Mais, plus de trente ans plus tard, à la suite de plusieurs drames particulièrement médiatisés, la question de l’expression de la volonté du malade en fin de vie est de nouveau posée, alors que les positions ont évolué au sein de la société.

Bien sûr, des réticences s’exprimeront, et pas forcément là où nous les attendons.

Pour autant, fallait-il inscrire aujourd'hui cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée ?

Pendant la campagne présidentielle, le candidat François Hollande s’est déclaré en faveur d’un texte sur la fin de vie, souhaitant que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». C’est donc tout naturellement qu’il a engagé un débat public dès juillet 2012.

Depuis lors, la Commission de réflexion sur la fin de vie en France, présidée par le professeur Didier Sicard, le Comité consultatif national d’éthique et la Conférence de citoyens ont rendu des avis. Dans les prochaines semaines, le Comité consultatif national d’éthique rendra un nouveau rapport, qui devrait faire la synthèse des propositions ayant émergé du débat public. Nous savons, madame la ministre, que vous travaillez de façon très active, et même ardente, pour qu’un projet de loi soit déposé au Parlement avant l’été prochain.

Dans ces conditions, j’avoue ne pas très bien comprendre la position de nos collègues écologistes. Cela dit, je me félicite de leur présence nombreuse aujourd'hui, un fait tellement rare qu’il mérite d’être relevé. (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.)

Mme Hélène Lipietz. Ce n’est pas rare du tout !

Mme Corinne Bouchoux. Nous sommes très présents !

M. François Fortassin. Je ne comprends pas très bien, disais-je, leur démarche, qui consiste à vouloir à tout prix débattre de ce texte, alors même que nous savons pertinemment qu’un projet de loi est en préparation. À moins que ce ne soit qu’une pure opération de communication, dont nos collègues écologistes sont d’ailleurs, nous le savons depuis longtemps, très friands ! Toutefois, je me demande si une telle démarche sert le travail parlementaire… J’en doute même vivement !

Il est également très regrettable que nous soyons amenés à débattre d’un texte déposé en décembre 2013 et qui, de ce fait, n’a pas pu être examiné par le Conseil d’État, contrairement aux cinq propositions de loi déposées en 2012 par plusieurs sénateurs de divers groupes, dont le nôtre.

Si l’on ajoute à cela que les auteurs de la présente proposition de loi sont favorables à la motion tendant au renvoi à la commission, comment ne pas conclure à une opération dont l’honorabilité est douteuse, revenant à tirer la couverture à soi pour se mettre en avant médiatiquement, …

Mme Hélène Lipietz. Et vous, jamais ?

M. François Fortassin. … quand d’autres ont entamé un travail de fond depuis longtemps ? Un tel sujet ne mérite pas qu’on recoure à de tels procédés.

À cet égard, permettez-moi une métaphore agricole à laquelle, j’en suis sûr, certains d’entre vous, chers collègues, seront sensibles : vous êtes en train de récolter le regain que d’autres ont fauché ! À chacun ses méthodes !

Pour toutes ces raisons, notre groupe, à la pointe du combat politique en faveur d’une fin de vie dans la dignité, votera à l’unanimité la motion tendant au renvoi à la commission que le rapporteur nous présentera tout à l'heure.

Rappel au règlement

 
 
 

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, je tiens à répondre, avec beaucoup de sympathie et de respect, bien sûr, à notre collègue François Fortassin.

Notre débat est très important et il est empreint, depuis le début, d’une grande dignité. À cet égard, je remercie l’ensemble des intervenants, notamment Mme la ministre.

Entre autres remarques peu amènes que notre collègue François Fortassin, que j’ai connu mieux inspiré, a faites à l’instant sur l’attitude du groupe écologiste, il en est une, concernant notre prétendue fainéantise ou notre faible présence en séance publique, qui relève peut-être d’une sorte de gauloiserie radicale,…

M. Jean-Vincent Placé. … mais qui me semble appeler des excuses de sa part. D’autant que, si j’en crois le site internet www.nossenateurs.fr, c’est le groupe écologiste qui est le plus présent dans l’hémicycle !

J’ai cru comprendre que certains membres du groupe radical aimaient bien engager, de façon qu’on pourrait qualifier de « virile », des polémiques personnelles avec leurs collègues écologistes. Nous sommes connus pour être pacifiques et non violents : nous ne répondrons donc pas sur le même ton ; nous sommes même prêts à tendre l’autre joue ! François Fortassin, même s’il n’est pas imprégné de christianisme, comprendra certainement mon allusion...

Monsieur le président, je tenais à faire cette mise au point, pour que notre débat se poursuive dans la sérénité.

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

M. François Fortassin. Monsieur le président, puis-je répondre à M. Placé ?

M. le président. Monsieur Fortassin, je vous accorde quelques secondes.

M. François Fortassin. Je devrais m’excuser auprès de nos collègues écologistes si j’avais lancé des attaques inqualifiables. Mais je n’ai fait que souligner la présence nombreuse, aujourd'hui, des membres du groupe écologiste, parce qu’elle n’est pas habituelle. Ce n’était pas un reproche qui leur était adressé !

Par ailleurs, j’ai le droit de porter une appréciation sur ce texte, qui n’apporte pas grand-chose, sinon qu’il nous permet d’avoir ce débat.

Restons calmes, mes chers collègues ! Au demeurant, si nos joutes oratoires devaient dégénérer, notre immunité parlementaire nous couvrirait. (Sourires.)

Discussion générale (suite)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix libre et éclairé d'une assistance médicalisée pour une fin de vie digne
Demande de renvoi à la commission (début)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gérard Dériot.

M. Gérard Dériot. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe écologiste traite d’un sujet extrêmement sensible, qui renvoie chacun d’entre nous à ses peurs les plus intimes : l’abandon, la souffrance, la mort. Il ne s’agit donc pas d’un débat comme un autre.

Ce texte, qui vise à mettre en place l’assistance médicalisée pour mourir, reprend les principales dispositions de celui qui avait été présenté en 2011 par notre collègue Jean-Pierre Godefroy, lequel avait en outre été rapporteur de trois propositions de loi similaires.

Ce sujet est d’autant plus malaisé à aborder que nos sociétés contemporaines ont manifestement un problème avec la mort. L’allongement de la durée de vie, l’amélioration des soins et de l’hygiène, l’accoutumance à une forme de confort que n’avaient pas connus les générations précédentes ont rendu insupportables la mort, la maladie, voire le handicap. Désormais, nous avons malheureusement le réflexe de détourner les yeux, alors que ces phénomènes sont toujours aussi présents qu’avant.

Chacun l’a rappelé, c’est maintenant à l’hôpital que l’on meurt le plus souvent : deux décès sur trois y surviennent. Si l’hôpital offre, en principe, le meilleur accompagnement en termes de prise en charge de la douleur, il symbolise surtout la mort solitaire, anonyme et surmédicalisée que redoute l’immense majorité d’entre nous. Le mourant des siècles passés, entouré de ses proches, dans le silence du recueillement, semble céder la place au défunt anonyme, abandonné dans l’indifférence de l’hôpital en raison de l’impossibilité de l’entourer dans laquelle se trouvent les siens. Bien sûr, il n’est pas question pour moi, en disant cela, de remettre une seconde en cause le travail des personnels soignants, non plus que l’organisation hospitalière, même s’il reste encore beaucoup à faire à cet égard.

Toutes ces angoisses n’étant pas nouvelles, un cadre législatif a été mis en place pour organiser la prise en charge médicale de la fin de vie. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est le fruit du consensus recueilli par la commission spéciale présidée par Gaëtan Gorce, et dont le rapporteur était Jean Leonetti. Je souhaite d’ailleurs rendre un hommage tout particulier à son travail, et je suis fier d’avoir été rapporteur de cette loi au Sénat.

Aujourd’hui, je persiste à penser que ce texte constitue la réponse la plus appropriée au problème de la fin de vie dans notre pays. Il est vrai que la loi a été adoptée à l’unanimité par l'Assemblée nationale, où vous siégiez alors, madame le ministre, tandis que ce fut plus difficile au Sénat, comme l’a rappelé notre collègue Jean-Pierre Godefroy. Mais il fallait un texte : c’était une nécessité absolue. Si ce texte n’avait pas été adopté conforme – il le fut, ici, à l’unanimité des présents –,…

M. Jean-Pierre Godefroy. Des présents seulement !

M. Gérard Dériot. … nous serions repartis pour de nouvelles discussions, et la loi Leonetti n’existerait pas !

M. Gérard Dériot. Je plaisante, bien sûr, mais force est de constater que nous éprouvons tous la nécessité de parler, de parler toujours et encore. Du reste, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, personne ne peut jamais dire qu’il a absolument raison.

Reste que cette loi existe. J’en suis conscient, moi aussi, elle est malheureusement trop peu connue et, surtout, elle n’est pas assez appliquée. Aussi me semble-t-il indispensable d’en rappeler ici les grandes lignes.

La loi Leonetti consacre le principe déontologique du refus de « l’obstination déraisonnable », définie selon trois critères : l’inutilité des traitements, leur disproportion au regard du bénéfice pour le malade, une finalité exclusivement tournée vers le maintien artificiel de la vie.

De ce principe découlent, d’une part, le droit pour la personne malade de refuser tout traitement et, d’autre part, lorsque la personne ne peut pas elle-même exprimer sa volonté, la possibilité, dans le cadre d’une procédure collégiale, d’une décision médicale de limitation ou d’arrêt des traitements.

En outre, toute personne majeure dispose de la faculté de donner des directives anticipées pour faire connaître ses intentions quant à sa fin de vie, avant de ne plus être en état de le faire.

L’équilibre global du texte repose sur le développement parallèle des soins palliatifs.

La loi s’inscrit dans le cadre préétabli des principes posés par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Elle comporte non seulement des dispositions spécifiques aux situations de fin de vie, définies comme « la phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable », mais également des dispositions applicables à toute situation de soins : tous les traitements, quels qu’ils soient, sont concernés, y compris les soins de suppléance vitale. La loi prend donc en compte l’ensemble des cas, que la personne soit ou non en état d’exprimer sa volonté.

Lorsque la personne malade est consciente, et alors même qu’elle n’est pas en fin de vie au sens de la loi, son refus de tout traitement, à condition d’être réitéré et après consultation éventuelle d’un autre praticien, s’impose au médecin, même lorsqu’il y a un risque pour la vie du patient.

Toutefois, c’est en situation de fin de vie que le refus de traitement s’impose pleinement, sans consultation d’un autre médecin, ni délai de réflexion, ni procédure collégiale. Le médecin doit alors respecter la volonté de la personne, tout en l’informant des conséquences de son choix.

Ces principes méritaient d’être rappelés, car les travaux d’évaluation de la loi ont montré que celle-ci reste méconnue du grand public.

La Commission de réflexion sur la fin de vie, présidée par le professeur Sicard, fait le constat suivant dans son rapport de décembre 2012 : selon les personnes interrogées, la loi ne permettrait pas aux patients d’exiger l’arrêt ou la limitation des soins, tout comme elle n’interdirait pas l’acharnement thérapeutique, une pratique pourtant interdite par la loi Leonetti et déjà proscrite auparavant par le code de déontologie médicale.

La loi prend donc position en faveur du « laisser mourir », mais refuse l’aide active à mourir. En tout état de cause, donner la mort, que ce soit de manière « active » ou « passive », cela reste de l’euthanasie : l’acte est là, qu’il soit ou non désigné comme tel. Et nous, nous refusons cet acte.

Après ces brefs rappels, j’aborderai le point qui nous réunit aujourd’hui : est-il nécessaire de légiférer de nouveau sur ce sujet ?

M. Gérard Dériot. La question a été posée à l’occasion de la médiatisation de différents cas dramatiques. Nous avons tous en mémoire le combat de Chantal Sébire, atteinte d’une tumeur évolutive qui lui a causé de terribles souffrances et l’a défigurée. Nous avons tous salué sa très grande dignité face aux douleurs, tant physiques que morales, qu’elle a dû affronter avant sa disparition.

Chantal Sébire demandait l’euthanasie, une possibilité qui n’est effectivement pas prévue par la loi Leonetti. Mais était-ce la seule solution qui lui était offerte ? Eh bien non ! Comme son avocat l’avait expliqué, Chantal Sébire refusait la solution proposée par la loi, c’est-à-dire le coma artificiel et la mort qui peut s’ensuivre au bout de quelques jours. Nous ne pouvons donc pas prétendre que la loi n’avait pas prévu la situation dans laquelle s’est retrouvée Chantal Sébire.

Je demeure très humble devant ces problématiques si complexes et je me garderai bien de tout jugement. Mais nous devons malgré tout avoir le courage de dire à nos concitoyens que notre société doit aborder le débat sur la fin de vie et sur les soins contre la souffrance en refusant les schémas simplistes qui nous sont trop souvent présentés dans les débats médiatiques.

Le droit actuel affirme solennellement que tout malade a le droit d’être accompagné en fin de vie et d’être aidé par des soins destinés à soulager sa douleur physique, à apaiser ses souffrances morales et à sauvegarder sa dignité.

La loi n’omet pas de préciser que ces soins doivent être accessibles en institution médicale comme à domicile et qu’ils ont aussi pour objectif de soutenir l’entourage du malade.

Prenons du recul et reconnaissons que, en la matière, les craintes les plus diverses entraînent des réactions paradoxales : la peur de souffrir et celle de se voir voler sa mort par l’administration excessive de sédatifs ; le refus de l’acharnement thérapeutique et l’inquiétude de se voir jugé, par les médecins, inéligible à certains traitements ; la crainte de sa propre déchéance, qu’elle corresponde à sa conception personnelle de la dignité ou à celle que l’on pensera lire dans le regard de l’autre.

Face à ces sentiments mêlés, chacun se forge sa propre opinion, infiniment variable selon qu’il s’agit d’une éventualité abstraite et à venir ou d’une réalité vécue et subie.

Face à ces interrogations et à ces craintes, certains militent pour le droit à l’euthanasie, au suicide assisté ou encore à l’aide active à mourir. Le contexte émotionnellement dramatique de telle ou telle affaire qui bouleverse nos concitoyens leur donne l’occasion de faire valoir leurs arguments.

Comme je l’ai rappelé, la loi actuelle permet, par une approche globale, d’appréhender de façon humaine et structurée les différentes hypothèses selon lesquelles peut se dérouler la fin d’une vie, tout en respectant une vision profondément morale et éthique de notre société.

En 2005, le Parlement a pris le parti de ne pas modifier le code pénal et de confirmer l’interdit de tuer, interdit dont le respect constitue le fondement de notre société et qui demeure la règle absolue des trois grandes religions monothéistes. Comme nombre de mes collègues, je demeure personnellement très attaché à cette limite, que je me refuse à voir franchie.

Le professeur Didier Sicard, dans le rapport dont j’ai déjà parlé, met en garde le législateur contre la tentation de légiférer pour autoriser l’euthanasie, concluant : « L’euthanasie engage profondément l’idée qu’une société se fait des missions de la médecine, faisant basculer celle-ci du devoir universel d’humanité de soins et d’accompagnement à une action si contestée d’un point de vue universel. La commission ne voit pas comment une disposition législative claire en faveur de l’euthanasie, prise au nom de l’individualisme, pourrait éviter ce basculement. »

En revanche, la commission Sicard fait une recommandation particulière sur la pratique de la sédation, interprétant de façon contestable la loi de 2005. En effet, elle propose l’administration d’une sédation à but terminal : « Lorsque la personne en situation de fin de vie, ou en fonction de ses directives anticipées figurant dans le dossier médical, demande expressément à interrompre tout traitement susceptible de prolonger sa vie, voire toute alimentation et hydratation, il serait cruel de la "laisser mourir" ou de la "laisser vivre", sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort. »

Jean Leonetti, dans son rapport d’avril 2013 fait au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, met en garde contre l’extension de l’interprétation de la « sédation terminale » et rappelle : « La sédation en phase terminale prévue par l’article L. 1110-5 du code de la santé publique vise à soulager le malade, en aucun cas à le faire mourir. Si l’on devait accepter cette double intentionnalité, soulager et accélérer la mort, le risque de confusion et de dérive existerait lors de la mise en place de toute sédation profonde en phase terminale. »

Je suis par ailleurs convaincu que la médecine n’est pas faite pour tuer. Tous les professionnels de santé ont été formés pour faire l’inverse ! Le pharmacien de profession que je suis ne souhaite pas que l’on confonde un jour les officines avec une armurerie vendant de quoi tuer. Certes, j’exagère un peu !