M. le président. Mon cher collègue, il faut conclure.
M. Vincent Eblé. Monsieur le président, mon groupe étant loin d’avoir consommé le temps qui lui était imparti, je pense que je peux déborder un peu…
M. le président. Ce n’est pas ainsi que le règlement du Sénat l’entend, mon cher collègue ! (Sourires.)
M. Vincent Eblé. Toujours est-il que le texte adopté par l’Assemblée nationale modifie l’article 1er de la loi Lang pour imposer le prix éditeur pour tout achat en ligne de livres envoyés à domicile et pour encadrer les frais de port.
Le travail de notre rapporteur a permis d’affiner ce dispositif et l’idée de proscrire la livraison gratuite me paraît judicieuse. Cette mesure, même si elle ne changera certainement pas beaucoup la facture du client, empêchera toute communication fondée sur la gratuité du port. Dans la guerre de la communication commerciale, ce n’est pas rien !
La proposition de loi n’est qu’une pierre apportée à l’édifice ; elle s’inscrit dans une action globale. Aux libraires aussi de reprendre la main en améliorant toujours leurs services, en multipliant les conseils qu’ils donnent aux clients et les animations qu’ils organisent. C’est ainsi qu’ils augmenteront leurs ventes, d’une manière que la distribution imposée par le commerce en ligne ne pourra jamais concurrencer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, je suis, bien sûr, très favorable à la protection de notre riche réseau de librairies indépendantes et, plus encore, au développement de ces établissements, dont je connais les difficultés. Pourtant, je ne crois pas que la stigmatisation, voire la diabolisation de la vente de livres par Internet soit une solution à leur déclin, bien au contraire.
« Mon ennemi, c’est la finance », disait le candidat François Hollande... Aujourd’hui, je ne voudrais pas que notre ennemi soit Amazon !
N’oublions pas que les principaux concurrents des libraires traditionnels sont encore les grandes surfaces, et pas vraiment les plateformes internet. En outre, si concurrence déloyale par Amazon il y a, c’est davantage en raison des stratégies d’optimisation fiscale dont bénéficie en toute légalité cette plateforme que du fait de sa capacité à offrir les frais de port à ses clients.
Je doute que l’augmentation marginale du prix des livres vendus par Internet se traduise par un envol des ventes en librairies. De nombreux consommateurs continueront à commander en ligne, et cette loi nuira davantage à leur pouvoir d’achat qu’aux marges d’Amazon.
Surtout, dans nombre de situations, la vente en ligne est, non pas concurrente, mais complémentaire de celle des libraires. Elle permet de faire venir ou revenir aux biens culturels des personnes qui en sont éloignées ; je pense à celles qui vivent dans des quartiers ou villages dépourvus de librairie ou, simplement, aux personnes à mobilité réduite. En effet, mes chers collègues, plus on lit, et plus on a envie de lire ! L’achat d’un livre sur Internet peut donc donner envie d’aller ensuite en librairie.
Sénatrice des Français de l’étranger et défendant depuis toujours la francophonie, je pense aussi à tous ceux qui vivent dans des régions du monde où Internet est le seul moyen de se procurer des livres français. Réciproquement, en France, les plateformes internet sont souvent le meilleur canal pour acheter des ouvrages d’importation.
La vente à distance de livres, qu’il s’agisse d’ouvrages imprimés ou numériques, est une tendance de fond qu’il me semble relativement vain de vouloir contrer, et ce sans compter qu’elle ne profite pas qu’à des entreprises étrangères ou exilées fiscales : elle est tout aussi bénéfique à des groupes français comme la FNAC.
L’enjeu est plutôt de travailler à une meilleure complémentarité entre la vente en librairie, la vente à distance de livres imprimés et celle de livres numériques.
Il faut certainement mieux soutenir et valoriser les avantages comparatifs des libraires traditionnels : compétences des professionnels, atmosphère des lieux, animations proposées...
Dans un même temps, au lieu de brider les plateformes de vente en ligne, il vaudrait mieux les encourager à améliorer leurs services en direction de la clientèle que les libraires traditionnels sont de toute façon dans l’incapacité de toucher.
Les obstacles pour commander des livres en ligne depuis l’étranger ou avec une carte bancaire étrangère sont complètement absurdes. Ils constituent un véritable anachronisme dans notre monde globalisé ! Pour les éditeurs et les diffuseurs, c’est tout un marché qui est négligé, et c’est aussi une terrible occasion manquée pour la francophonie.
J’ai à plusieurs reprises interpellé le Gouvernement à ce sujet, dont la dernière fois, voilà six mois, par une question orale adressée à Benoît Hamon. Celui-ci m’avait promis de travailler sur le sujet et je serai bien évidemment heureuse de connaître l’état d’avancement de ses réflexions.
Peut-être pourrait-on aussi envisager de donner un coup de pouce aux exportations de livres français, par exemple par une dérogation qui maintiendrait dans ce cas précis l’autorisation d’une décote ou de frais de port réduits, ou en soutenant des initiatives de promotion du livre francophone, telle la Culturethèque de l’Institut français.
La loi de 1981 prévoyait qu’un décret aménage les conditions d’application de la loi dans les départements d’outre-mer : un dispositif similaire ne serait-il pas souhaitable concernant la vente de livres français hors de France ? C’est l’objet d’un amendement que je défendrai tout à l’heure.
À mon sens, le problème des librairies vient davantage de la diminution du nombre de lecteurs que de la concurrence des vendeurs à distance. Au lieu de voir Internet comme un obstacle, il faut l’utiliser pour faire venir ou revenir aux livres des personnes qui en sont éloignées.
Dans cette période de mutation intense du secteur de la distribution culturelle, il ne faut pas que nous nous trompions d’ennemi. Nous devons surtout réfléchir, au-delà de mesures, comme celle dont nous débattons aujourd'hui, qui n’auront selon moi qu’une faible incidence sur le développement des librairies, à protéger ce bien si précieux – inestimable – qu’est le livre, en aidant les librairies à mieux se développer, mais aussi à promouvoir la diffusion de nos œuvres, de notre langue et de notre culture hors de nos frontières. C’est un défi immense, et il sera de notre honneur de le relever ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Aurélie Filippetti, ministre. Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de répondre brièvement aux interrogations formulées par les différents orateurs.
J’ai bien insisté, dans mon propos liminaire, sur le fait que cette mesure ne résoudrait pas tous les problèmes de nos libraires. C’est l’une des pierres d’un édifice plus vaste. J’ai rappelé l’importance du plan d’aide à la librairie que nous avons lancé, avec les deux fonds dédiés. J’aurais également pu mentionner les 2 millions d’euros supplémentaires que le Centre national du livre consacrera aux libraires, ou encore la mobilisation d’un fonds complémentaire de 7 millions d’euros par les éditeurs, ces derniers ayant bien conscience de l’importance du maillon des librairies dans la chaîne du livre.
La question des loyers, soulevée par M. Yvon Collin, sera traitée dans le cadre de la discussion du projet de loi que ma collègue Sylvia Pinel viendra prochainement défendre devant le Parlement. Ce texte tend à mettre en œuvre un lissage pour empêcher les hausses excessives des loyers des librairies, notamment de celles qui se trouvent dans les centres-villes des grandes agglomérations.
L’optimisation fiscale qu’un certain nombre d’orateurs ont dénoncée est évidemment une préoccupation majeure. Face aux géants de l’Internet, en particulier aux entreprises Google, Apple, Facebook et Amazon, que l’on surnomme les GAFA, nous nous mobilisons, aussi bien, d’ailleurs, pour le livre que pour d’autres domaines.
J’ai défendu l’exception culturelle à Bruxelles, l’année dernière, et je continuerai à prôner l’intégration de ces nouvelles entreprises diffusant des œuvres culturelles dans le financement de la création. Il faut aussi, de toute évidence, que celles-ci se soumettent aux règles fiscales.
L’actuelle évasion fiscale pratiquée par de grandes entreprises comme Amazon est néfaste, non seulement à la France, mais aussi à un grand nombre de pays européens. Même la Grande-Bretagne est aujourd'hui consciente du problème et travaille à des contre-mesures. Aux États-Unis, des dispositions viennent d’être prises permettant de récupérer les taxes à la consommation locales qui, jusqu’à présent, n’étaient pas payées par les acteurs de la vente en ligne.
Donc, on le voit bien, le mouvement n’est pas simplement franco-français : tous les États réagissent, estimant que cette situation de non-droit fiscal des grandes entreprises de l’internet, dont les conséquences, désastreuses, affectent jusqu’à nos libraires, ne peut plus durer.
Mais, madame Garriaud-Maylam, nous ne sommes évidemment pas là pour stigmatiser Amazon. Dans le même temps, nous sommes conscients des pratiques de cette entreprise, en particulier de ses pratiques sociales, qui ont été dénoncées à plusieurs reprises. Je vous renvoie à l’ouvrage d’un journaliste intitulé En Amazonie : infiltré dans le « meilleur des mondes ». Des mouvements de grève ont éclaté, en Allemagne, notamment, au mois de décembre dernier. Partout, des protestations s’élèvent face aux conditions sociales faites aux salariés du groupe. Ce sont des pratiques inacceptables.
Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, le travail que nous réalisons ce soir ne sera qu’une pierre apportée à l’édifice. Mme la rapporteur a bien insisté sur l’importance du caractère symbolique de cette démarche. Celle-ci ne portera pas atteinte au pouvoir d’achat de nos concitoyens – les sommes en jeu sont vraiment minimes –, mais le fait que des entreprises ne puissent plus se prévaloir de certains arguments commerciaux aura en revanche un impact significatif.
D’ailleurs, nous ne sommes pas là non plus pour entraver, de quelque manière que ce soit, la vente à distance de livres. Notre préoccupation est de garantir que la concurrence soit la plus juste possible entre les différents acteurs du secteur. Nous souhaitons aussi permettre à nos libraires, que nous aimons, qui défendent le livre et la lecture, qui animent nos centres-villes en y tenant des « lieux de sociabilité », de constituer, eux aussi, des réseaux de vente en ligne, car c’est bien sûr un service que nous pouvons rendre à nos concitoyens que de leur donner la possibilité de commander des livres sur Internet et de se les faire livrer.
Il faut donc que nos libraires puissent se positionner sur ce marché de la vente en ligne sans être étouffés par des méthodes de dumping empêchant l’émergence de tout autre acteur.
À ce titre, l’échec du site 1001libraires.com a bien évidemment été analysé, que ce soit par les libraires eux-mêmes ou dans un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles, et je crois que les leçons ont été tirées.
Des sites mutualisés sont donc développés à l’heure actuelle qui conservent véritablement le lien avec le libraire. Quand, par exemple, vous commandez sur les sites lalibrairie.com ou leslibraires.fr, vous savez à qui vous allez acheter votre livre. En effet, vous faites un achat par Internet, mais auprès de la librairie de votre choix. Vous bénéficiez donc des mêmes conseils et du même accompagnement qui font la force du métier de libraire, avec, en plus, les avantages de la vente en ligne.
Mme la rapporteur a également insisté sur la question des livres d’occasion. Nous avons pu constater, notamment dans le cadre de la fonction de place de marché que le site d’Amazon exerce aussi – Amazon vend des livres pour son propre compte, mais aussi pour celui d’autres entreprises –, que certains produits, présentés comme des livres d’occasion, étaient en fait des livres neufs, ce qui permettait de contourner la loi sur le prix unique.
Désormais, notre médiateur du livre ainsi que les agents assermentés du ministère de la culture chargés de contrôler l’application de la loi sur le prix unique vérifieront que l’on ne vend pas des livres neufs au prix de l’occasion.
J’en viens à l’intervention de Corinne Bouchoux et à son évocation du rôle et de la diversité des librairies. Ce que nous constatons, c’est une baisse assez importante de la vente de livres physiques – un peu plus de 3 % – et, simultanément, une hausse de la vente en ligne de livres.
Vous m’avez interrogée, madame Goulet, sur le caractère substituable ou non des lectorats : ce mouvement de vases communicants et les études qui sont à notre disposition tendent effectivement à prouver la réalité d’un mouvement de substitution. Des achats qui auraient pu se faire dans le réseau physique se retrouvent désormais sur le réseau de vente en ligne.
Le fait qu’une bonne partie de la vente à distance concerne Paris, alors que nous avons tout de même, dans la capitale, un réseau de libraires extrêmement dense, dont nous sommes d’ailleurs très fiers et très heureux, est un signe de cette évolution. Inversement, d’ailleurs, nos territoires ruraux accueillent aussi des librairies formidables – je pense, par exemple, à la librairie Le Bleuet, dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, mais il y en a beaucoup d’autres… – et nous devons les encourager.
Nous travaillons par ailleurs, cela implique toute une réflexion, sur le code des marchés publics, afin de permettre aux collectivités locales de s’approvisionner auprès des libraires.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a énormément de dispositions différentes, de pierres que nous devons rassembler pour rebâtir et consolider notre politique du livre à l’ère du numérique. La proposition de loi que nous examinons ce soir, j’insiste sur ce point, est l’une de ces pierres mais ne pourra pas, à elle seule, constituer la solution de tous les problèmes.
Je souhaite également répondre à M. Legendre, qui propose notamment de faire distribuer le livre par des porteurs. Pourquoi ne pas réfléchir à cette idée ? Presstalis a fait des propositions en ce domaine. C’est évidemment un sujet qui peut être discuté.
J’en viens à l’absence d’harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne. À compter de 2015, la TVA sera due au pays de résidence de l’acheteur, et non plus au pays du vendeur. Toutefois, en matière d’optimisation fiscale, la TVA n’est pas seule en jeu, l’impôt sur les sociétés entrant également en ligne de compte. Si la réforme de la TVA est une bonne chose – je rappelle que sa mise en œuvre s’étalera tout de même sur quatre ans –, elle ne résoudra pas tout.
Quoi qu’il en soit, je remercie Vincent Eblé d’avoir rappelé que le Gouvernement a appliqué la baisse de la TVA sur le prix du livre, désormais fixée à 5,5 %, dès sa prise de fonction, en juin 2012. Il s’agissait d’un engagement, et d’une exigence extrêmement forte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article unique
Le quatrième alinéa de l’article 1er de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Lorsque le livre est expédié à l’acheteur et n’est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu’il établit, sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit. »
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, sur l'article unique.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je comptais intervenir sur l’évasion fiscale, ayant déjà produit un rapport, voilà quelque temps, sur ce sujet, la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable n’ayant d’ailleurs pas abouti. Mais de nombreuses librairies ayant été citées au cours de la discussion, j’évoquerai à mon tour Le Bleuet, que je vous remercie d’avoir mentionné, madame la ministre.
Le Bleuet a au moins prouvé une chose : la concurrence ne provient pas obligatoirement des grandes surfaces. Le Bleuet, c’est le pari de créer une librairie dans le village de Banon, connu pour le fromage du même nom, et qui compte quelque 1 000 âmes.
Aujourd'hui, Le Bleuet est l’une des plus grandes librairies de France : on y vend en moyenne 500 ouvrages par jour. Le pari a donc été gagné. On vient d’un peu partout pour découvrir ce lieu. C’est bien la preuve que l’on peut vendre des livres dans des librairies appartenant au monde réel, y compris dans de petits villages.
Cette librairie a eu l’idée de copier, si je puis dire, l’un des grands groupes de vente en ligne précédemment cités. Mais elle rencontre des difficultés dans ce domaine. Pourtant, la vente en ligne pourrait constituer un atout en milieu rural. Et même alors que cette activité de vente en ligne ne donne pas toutes les satisfactions souhaitables, la librairie dont je parle représente tout de même déjà dix-sept emplois. C’est très important pour une petite commune de 1 000 habitants !
Ma foi, si vous passez en Provence et que vous vous trouvez près d’Apt ou de Manosque, allez au Bleuet ! Vous serez surpris par le nombre d’ouvrages disponibles ! (Sourires.)
M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue, de cette belle intervention, qui incitera sans doute toutes les sénatrices et tous les sénateurs à se rendre en Provence. (Nouveaux sourires.)
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Legendre, Bordier, Carle et Chauveau, Mme Duchêne, MM. Dufaut, A. Dupont et Duvernois, Mme Farreyrol, MM. B. Fournier, J.C. Gaudin, Humbert, Leleux et Martin, Mme Mélot, M. Nachbar, Mme Primas et MM. Savin, Soilihi et Vendegou, est ainsi libellé :
A. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le présent article entre en vigueur trois mois après la publication de la présente loi.
B. – En conséquence, faire précéder le premier alinéa de la mention :
I. –
La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Avant de défendre cet amendement, je veux rappeler qu’il existe aussi en France des villages du livre et des libraires qui se battent pour faire rayonner l’amour du livre. Il y en a un dans le Nord, à Esquelbecq, Mme Blandin doit le connaître comme moi. Partis de la Provence, mes chers collègues, laissez-vous entraîner vers un autre territoire que je connais mieux ! (Sourires.)
L’amendement n° 1 rectifié prévoit, dans un souci de conférer au dispositif un caractère plus opérationnel dans la mesure où il nécessitera des adaptations techniques, que la proposition de loi prendra effet trois mois après sa publication.
Cette question a fait l’objet d’un débat avec Mme le rapporteur, qui a proposé un délai de trois mois, alors que j’avais au départ suggéré six mois. Le problème étant uniquement d’ordre opérationnel, nous sommes tombés d’accord et la commission a approuvé un délai de trois mois.
Cette disposition ne change rien au fond : elle a simplement pour objet de rendre le texte facilement applicable par les libraires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Bariza Khiari, rapporteur. Monsieur Legendre, je comprends tout à fait la portée de cet amendement. Vous êtes préoccupé par la mise en œuvre de la loi, s’agissant notamment des contraintes qu’elle entraînera pour les opérateurs.
Effectivement, des ajustements techniques seront nécessaires, notamment pour ce qui concerne les logiciels des plateformes concernées.
Cet amendement vise donc à retarder l’application du dispositif proposé en prévoyant un délai entre la promulgation du texte et sa mise en œuvre effective.
Nous en avons discuté, mon cher collègue, et je suis tout à fait d’accord avec une telle disposition. Il convient cependant que ce délai n’excède pas trois mois. En effet, ce texte est partie prenante d’un dispositif plus large de soutien aux librairies indépendantes.
L’ensemble du dispositif est cohérent : il comprend une enveloppe de 11 millions d’euros destinée à aider les commerçants en difficulté, ainsi qu’un renforcement du contrôle de l’application de la législation relative au prix du livre. Or ces mesures entreront en vigueur au cours du premier semestre de l’année 2014. Il serait donc fâcheux que la mise en œuvre du volet de cette politique relatif au commerce de livres en ligne s’écarte de cette cohérence et ne s’inscrive pas dans un calendrier similaire.
Enfin, les librairies indépendantes, en faveur desquelles le dispositif a été pensé, ont hâte que s’équilibre la concurrence sur le marché du livre, afin de retrouver les marges financières indispensables à leur modernisation, et partant au maintien du maillage de notre territoire.
Il semble donc tout à fait légitime d’appliquer un délai de trois mois entre la promulgation et la mise en œuvre du texte, à condition, madame la ministre, que la navette parlementaire s’inscrive dans un calendrier raisonnable.
La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Aurélie Filippetti, ministre. Le Gouvernement est favorable à l’accord qui a été trouvé au sein de votre commission de la culture, mesdames, messieurs les sénateurs. Cette disposition permettra, sans introduire un délai excessif, la bonne mise en œuvre de la loi.
Je veillerai, en usant, auprès de vos collègues de l’Assemblée nationale, de tous les moyens de persuasion possibles (Sourires.), à ce que la navette se déroule le plus rapidement, madame la rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, il conviendrait tout de même de mettre en concordance le texte de l’amendement et son objet. Les délais prévus diffèrent !
Quoi qu’il en soit, je voterai cet amendement.
M. le président. Je vous remercie de votre vigilance, mon cher collègue. Je précise toutefois que l’amendement a été rectifié, ce qui explique cette discordance avec son objet, qui, lui, n’a pas pu l’être.
Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article unique, modifié.
(L'article unique est adopté.)
Articles additionnels après l'article unique
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Après l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 10 de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, il est inséré un article 10-... ainsi rédigé :
« Art. 10-... - Un décret détermine les modalités d'application de la présente loi aux ventes de livres imprimés et numériques à des clients établis hors de France, compte tenu des sujétions dues à l'absence de commerce de vente au détail de livres français à l’étranger. »
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je l’ai dit au cours de la discussion générale, les Français établis hors de France et les étrangers francophones rencontrent d’importantes difficultés pour acquérir des livres en français, en particulier lorsqu’il s’agit d’ouvrages récents. Et quand ils ont la possibilité d’en acheter, les tarifs sont souvent prohibitifs ! Je pense en particulier à Madagascar, pays francophone, où il n’existe pas une seule libraire et où les prix des livres sont très élevés pour les Malgaches souhaitant lire en français.
Hors de France, le problème de la concurrence déloyale exercée par les sites internet à l’égard des librairies traditionnelles ne se pose pas. Au contraire, si aucune dérogation n’est prévue à la présente loi, les plateformes de vente en ligne françaises seront indûment pénalisées par rapport à leurs concurrentes hébergées à l’étranger, pour les transactions concernant des clients établis hors de France.
Il serait donc utile qu’un décret prévoie, comme cela avait été autorisé en 1981 par la loi Lang pour les DOM-TOM, une exception autorisant les plateformes de vente de livres en ligne à pratiquer une décote sur le tarif du service de livraison lorsque celle-ci a lieu à l’étranger.
Un tel décret pourrait également clarifier le problème de l’accessibilité aux plateformes françaises de vente en ligne de livres numériques pour les acheteurs situés hors de France.
Par cet amendement, il s’agit encore une fois de défendre la francophonie et notre langue française.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Bariza Khiari, rapporteur. Ma chère collègue, je comprends qu’en tant que sénatrice des Français établis hors de France vous portiez un intérêt à l’accès aux livres en langue française et, partant, à la promotion de la francophonie. Le français, à travers le livre, reste tout de même la langue de la liberté. Sa diffusion est également vecteur de valeurs, comme nous l’avons vu récemment dans des pays en pleine évolution dont les peuples ont fait d’un mot français le symbole de leur démarche.
Néanmoins, la loi de 1981 sur le prix du livre imprimé et la loi de 2011 sur le prix du livre numérique sont d’application territoriale. Il serait donc particulièrement curieux qu’elles fassent l’objet d’exceptions en fonction de la nationalité des consommateurs. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam s’exclame.)
Un dispositif dérogatoire, par ailleurs difficile à appliquer, n’aurait en outre que peu d’impact sur l’activité des plateformes françaises de vente de livres en ligne, pour lesquelles la clientèle dont il est question ne représente qu’une très faible part du chiffre d’affaires.
Enfin, s’il est exact que des difficultés existent dans certains pays en matière de disponibilité d’ouvrages en langue française, le présent texte ne constitue en aucun cas une réponse adéquate pour nos compatriotes vivant à l’étranger.
Je suis donc amenée, ma chère collègue, à vous demander de retirer cet amendement. À défaut, je me verrai contrainte d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Aurélie Filippetti, ministre. Madame la sénatrice, si la question que vous posez est tout à fait légitime, la réponse que vous y apportez ce soir n’est pas pertinente.
En effet, ce texte concerne la loi de 1981, dont l’application est territorialisée, comme vient de le rappeler Mme la rapporteur, puisqu’elle ne concerne que les acheteurs résidant en France. Il en est d’ailleurs de même pour la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, dont l’application est aussi uniquement territoriale.
L’accessibilité des livres à l’étranger se heurte à plusieurs obstacles. Tout d’abord, les éditeurs ne bénéficient pas toujours des droits d’exploitation mondiaux leur permettant de diffuser leurs livres ailleurs que sur le territoire national, dans les zones ou pays que vous venez de citer.
Il existe également des difficultés d’ordre technique, les vendeurs devant payer les taxes afférentes à la transaction dans le pays de l’acheteur.
Si ces questions doivent bien évidemment être traitées, ce texte n’en constitue pas moins un support inapproprié.
Je rappelle toutefois qu’il existe des aides à l’export, notamment pour ce qui concerne les livres universitaires destinés aux pays du Sud.
Enfin, une partie du coût du transport est prise en charge, ce qui représente, par le ministère de la culture, une aide de plusieurs millions d'euros chaque année.
Toujours est-il que le présent texte n’est pas le support adapté pour traiter ces questions techniques et juridiques.