M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !
M. Laurent Fabius, ministre. Et c’est cela la réponse à toute une série de questions comme : qu’allons-nous faire en Genève ? Est-ce possible ? Quid de l’Iran ?
Pour ce qui est de l’Iran, nous avons dit à nos amis iraniens qu’ils pouvaient venir à Genève, à condition d’accepter les principes de Genève. Si on vient pour Genève, on ne va pas discuter d’autre chose. Les Iraniens ont répondu, usant de formules ambiguës pour le moment. Mais peut-être vont-ils changer de position ; il reste encore quelques jours. Si leur réponse peut être différente, peut-être la proposition aura-t-elle lieu. Pour le moment, ils disent qu’ils ne veulent pas de « conditions ».
Mais ce qu’ils appellent des conditions n’en sont pas : fixer l’objectif d’une rencontre, ce n’est pas en fixer les conditions. Ils ont dit qu’ils allaient aider. J’espère qu’ils le feront, puisqu’ils sont partie prenante, ne serait-ce que parce qu’ils ont beaucoup de personnes sur le terrain, soit directement, soit par l’intermédiaire du Hezbollah.
Voilà donc quelle est la réponse à l’Iran, puisque Mme Durrieu m’interrogeait sur la position de la France : nous souhaitons que l’Iran soit utile mais, pour être utile, encore faut-il que les Iraniens acceptent l’objectif de la conférence.
Pour ce qui est de la Syrie, la Syrie de M. Bachar El-Assad va se trouver dans une situation paradoxale. Nous verrons bien ce qu’il dit. Mais s’il envoie – ce serait souhaitable – des représentants, l’acceptation de l’invitation, c’est l’acceptation du mandat. Or le mandat précise « gouvernement transitoire doté de tous les pouvoirs exécutifs », c’est-à-dire des pouvoirs de M. Bachar El-Assad.
Quant à l’opposition modérée, celle que nous soutenons, pourquoi la soutenons-nous ? Nous n’allons pas soutenir M. Bachar El-Assad, criminel contre l’humanité. Il ne va pas être l’avenir de son peuple. Nous n’allons pas non plus soutenir les terroristes de Al-Nosra. Nous soutenons donc l’opposition modérée, qui rencontre de grandes difficultés parce qu’elle est attaquée des deux côtés, elle est divisée, mais qui acceptera peut-être de venir si le mandat est celui-là. Mais si on lui demande de venir pour discuter du sexe des anges, elle ne viendra pas.
La situation en Syrie est difficile. La position de la France, je la rappelle, car j’entends dire que nous n’avons pas de position. C’est la position que nous avons prise depuis le début, et qui est juste. On peut simplement regretter qu’elle n’ait pas été suivie par d’autres dès le début. Mais de même que j’ai dit que la France n’était pas l’Europe à elle toute seule, pour le regretter, de même, la France n’est pas le Conseil de sécurité des Nations unies à elle seule.
Nous l’avons dit dès le début. C’était, je crois, l’un de mes premiers actes en tant que ministre des affaires étrangères, en juin ou début juillet de l’année précédente. J’avais alors réuni au Quai d’Orsay l’ensemble de ceux que l’on appelle les « amis de la Syrie », une centaine de ministres des affaires étrangères, et nous avons dit que nous soutenions l’opposition modérée et que nous voulions Genève dans ces conditions. Nous avons même reconnu la coalition.
Que s’est-il passé ensuite ?
C’était une époque où il n’y avait pas de groupes terroristes en Syrie, pas d’Iraniens en Syrie, pas de Hezbollah en Syrie. On dit que nous avons fait une erreur d’analyse. Pas du tout ! C’était une époque où M. Bachar El-Assad était sur le fil. Seulement, il aurait fallu pousser un peu…
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Eh oui ! Nous lui avons au contraire redonné une légitimité.
M. Laurent Fabius, ministre. C’était le début des élections américaines, les divisions que l’on connaît régnaient entre des pays arabes. Moyennant quoi l’affaire a été « gelée », si l’on peut dire, jusqu’au mois de février. Seulement en février, il y avait les Russes, les Iraniens, le Hezbollah, les terroristes, et la situation était tout autre !
Ce n’est pas pour autant qu’il faut changer de position ; la position est juste. Nous n’allons pas nous mettre à dire, comme on dit pour d’autres, que M. Bachar El-Assad, finalement, n’est certes pas un démocrate, mais qu’il est peut-être un rempart… Un rempart contre quoi ? Il existe une alliance objective, tout le monde le voit, entre, d’un côté, l’extrémisme que représente Bachar El-Assad et de l’autre, l’extrémisme terroriste.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. C’est sûr.
M. Laurent Fabius, ministre. L’argument de M. Bachar El-Assad est de dire aux chrétiens et aux autres : « Évidemment, je suis un dictateur, mais soutenez-moi, parce que, sinon, vous aurez les terroristes. » Et les terroristes disent : « Vous n’aimez pas Bachar El-Assad, n’allez pas au secours de l’opposition modérée, c’est une opposition en peau de lapin. Vous n’êtes pas terroristes, mais soutenez-nous quand même, sinon, vous aurez Bachar. »
Un groupe terroriste a pris le contrôle de puits de pétrole en Syrie. À qui croyez-vous que le pétrole est vendu ? Au régime syrien. Alors, il ne faut pas être aveugle !
Mais évidemment, maintenant, la Syrie est devenue une sorte de kyste qui s’étend, avec les linéaments en Jordanie, au Liban, en Irak.
Mme Nathalie Goulet. Sans oublier la Turquie.
M. Laurent Fabius, ministre. On voit ce qui se dessine, et qui est redoutable. Donc, nous travaillons. Ce dimanche, je recevrai les dix autres principaux pays qui soutiennent la coalition. Nous continuons à travailler avec les Russes, nous avons des discussions avec eux. Ils disent, à raison, qu’il ne faut surtout pas le chaos. Je réponds à mon collègue Sergueï Lavrov que le chaos, ce n’est pas demain, c’est aujourd’hui et que, pour éviter que ce mouvement terroriste ne se propage et ne vienne alimenter le Caucase et autre, il faut trouver une solution raisonnable, qui ne sera pas merveilleuse mais permettra tout de même de maintenir l’unité de la Syrie. Sinon, c’est l’explosion, peut-être la partition et en tout cas la poursuite du terrorisme.
Dans l’opinion française, on entend dire : « Qu’est-ce que vous nous ennuyez, l’Afrique, c’est loin ! La Syrie, c’est loin. » Mais non, c’est tout près.
D’abord, quand on est une puissance globale comme la France, on ne peut se détourner. Ce n’est pas un cadeau d’être membre permanent du Conseil de sécurité. Il faut prendre ses responsabilités. De plus, ne serait-ce que du point de vue du terrorisme, qui est quand même un phénomène et un fléau très préoccupants, c’est à côté. Interrogez notre ami M. Valls sur ce que cela représente. La Syrie n’est pas loin. L’Afghanistan était loin, et pourtant… La Syrie, ce n’est vraiment pas loin, et l’Afrique non plus : vous passez la Libye et vous êtes en Méditerranée, puis, de l’autre côté de la Méditerranée, c’est nous ! Il faut donc avoir une vision globale, qui ne veut pas dire interventionniste, mais voilà quelle est la démarche.
L’Iran, j’en ai dit quelques mots. Nous avons été très actifs dans la négociation, qui s’est bien terminée, avec ce pays : d’un côté, les six – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus les Allemands – et, de l’autre, l’Iran. Ce fut difficile, très difficile même. Sans entrer dans les détails, nous sommes arrivés à un accord qui, pour le moment, est un accord intérimaire.
Il faut déjà commencer par appliquer cet accord intérimaire. Les réunions techniques ont eu lieu et à la fin du mois de janvier, je pense – je l’espère, en tout cas – que nous serons en situation de pouvoir appliquer ce qui a été décidé. Des décisions sont à mettre en œuvre des deux côtés : côté iranien, il y a toute une série de choses à ne pas faire, à supprimer, si je puis dire ; de l’autre côté, de notre côté, il y a notamment quelques sanctions à lever.
Nous sommes donc dans une période intérimaire. C’est déjà très bien, car cela crée un climat différent. Le climat, ça compte. Cependant, je veux être lucide : le problème le plus difficile concerne la phase d’après. Une question n’a pas encore été tranchée : nos partenaires iraniens veulent-ils seulement suspendre la production qui leur permettrait de posséder l’arme nucléaire, ou acceptent-ils d’y renoncer ? Ce n’est pas la même chose, et les conséquences ne sont pas les mêmes. Bien entendu, nous souhaitons que nos partenaires iraniens adoptent la seconde position. S’ils adoptaient la première position, de nombreux États, en tout cas les membres du groupe « 5+1 », ne l’accepteraient pas. Cette discussion est devant nous. Néanmoins, il est déjà important d’avoir atteint la première phase, parce que cela crée un climat bien différent de celui qui prévalait depuis plusieurs années.
L’Iran est un grand pays, que nous respectons. J’ai fait ajouter dans le prologue de l’accord, que vous avez sans doute lu, puisqu’il a été publié, des phrases prononcées par le président Rohani ; n’y voyez aucune malice de ma part. Le prologue comporte ainsi la déclaration suivante : en aucune circonstance l’Iran ne se dotera de l’arme nucléaire ni ne la possédera. Nos partenaires iraniens ont signé ce texte ; c’est formidable. Cet ajout a été proposé par la France, puis accepté par les uns et par les autres. Nous devons maintenant nous donner les moyens de vérifier que l’accord est respecté.
L’un ou l’une d’entre vous a demandé si cela avait des incidences sur la situation en Israël et en Palestine. Oui, bien sûr. Il y a des éléments différents, mais aussi un contexte général. On comprend bien, même si les calculs sont si innombrables que l’on ne peut pas avoir de certitude absolue, que, selon qu’on accédera ou non à une solution en Syrie, selon qu’on accédera ou non à une solution en Irak, selon que l’Iran et la Russie feront ceci ou cela, les Palestiniens, les Israéliens et les Américains agiront d’une manière ou d’une autre. Tout cela est à la fois séparé et lié.
En outre, il existe un contexte politique, que l’on ne peut pas celer. Dans certains pays, la dimension électorale est, si j’ose dire, moins déterminante que dans d’autres, où la démocratie passe par les élections ; c’est évidemment ce dernier modèle que nous essayons de promouvoir. Il y a des décisions à prendre. Elles ne sont pas faciles, car elles demandent une grande élévation de pensée. Il ne suffit pas d’aller dans le sens du vent ; paraphrasant Jean Guitton, je dirai que ceux qui s’exposent au vent s’exposent aussi à un destin de feuille morte.
J’en viens à l’Europe. Nous sommes européens. Cette année sera très importante et difficile. Des élections européennes seront organisées ; nous verrons quels en seront les résultats. Le Parlement européen a de plus en plus de poids. La Commission européenne sera renouvelée. De ce fait, sa situation sera ambivalente entre mars-avril et novembre, puisque certains de ses membres seront sur le départ tandis que d’autres n’auront pas encore pris leurs fonctions. Il faudra néanmoins travailler avec cette Commission.
Plusieurs d’entre vous – Gilbert Roger, en particulier – ont abordé la question de la défense européenne. Le sommet qui s’est déroulé au mois de décembre n’a pas apporté de grande surprise ; il a acté un certain nombre de choses intéressantes en matière d’équipements, de matériels. Ce n’est certes pas le grand élan que nous souhaiterions, mais il faudra revenir sur cette question sans naïveté, notamment avec nos partenaires allemands.
Il y a une concordance des calendriers. François Hollande et Angela Merkel sont au pouvoir pour une durée identique : ils ont environ trois ans et demi devant eux. Une rencontre a déjà eu lieu. Des travaux communs sont en cours. J’accueillerai dans quelques jours mon homologue Frank-Walter Steinmeier pour un séminaire de travail. Un premier conseil des ministres franco-allemand se tiendra le 19 février. Nous sommes donc en train de réfléchir à ce que pourraient être nos grands projets communs.
On pense tout de suite à trois séries de sujets. Tout d'abord, les questions économiques et sociales sont déterminantes. Il existe des contradictions, mais peut-être la participation du SPD au Gouvernement favorisera-t-elle une convergence sur les thèmes du sérieux budgétaire et de la croissance économique. Sans croissance, il n’y a pas de sérieux budgétaire, et réciproquement. Il y a également beaucoup de choses à faire dans le champ de l’énergie et de l’environnement ; ces enjeux sont d'ailleurs liés à la problématique de la croissance. Enfin, nous devons avancer dans le domaine de la défense.
Au-delà de ces trois séries de sujets, il faut que nous nous concertions pour déterminer nos positions sur les négociations avec les États-Unis, le Japon ou d’autres partenaires. L’alliance franco-allemande n’est certes pas exclusive, mais, même si elle est ouverte, elle reste déterminante. Nous allons donc continuer à travailler ensemble sur toutes les questions que j’ai évoquées.
Je veux maintenant revenir sur quelques points qui ont été soulevés par différents intervenants. Nathalie Goulet m’a posé des questions pertinentes, et en même temps facétieuses, sur les ambassadeurs. Oui, il existe plusieurs types d’ambassadeurs. Comme vous l’avez souligné, j’en ai trouvé quelques-uns en arrivant. Tout en tenant compte des réalités humaines, j’essaie de procéder aux nominations en fonction des résultats obtenus. Le nombre de ces ambassadeurs a été réduit, dans un souci de performance, mais je ne veux pas être injuste : plusieurs d’entre eux effectuent un réel travail, le plus souvent de manière bénévole.
Des questions m’ont également été posées au sujet de l’Agence française de développement, ou AFD. Un contrat d’objectifs et de moyens sera signé dans quelques jours. Il permettra de mieux connaître les objectifs, les résultats et les indicateurs ; ce sera intéressant pour vous. Je suis ce dossier en lien avec Pascal Canfin. L’AFD évolue dans le sens que vous souhaitez, même si cela prend un peu de temps. En ce qui concerne l’Azerbaïdjan, aucune somme n’a été affectée.
Mme Nathalie Goulet. Bon !
M. Laurent Fabius, ministre. L’information dont vous avez fait état n’est donc pas exacte.
Cependant, je reconnais volontiers qu’il nous reste beaucoup de travail à accomplir dans le domaine de l’aide au développement. Je serai toujours heureux de recevoir les propositions et les suggestions des sénatrices et des sénateurs.
Je terminerai en évoquant la Russie et la Chine. Mon homologue russe Sergueï Lavrov et moi-même avons échangé des lettres de fond au moment du nouvel an. Nous nous verrons probablement en début de semaine prochaine. Nous ne sommes pas d'accord sur tout avec la Russie, mais on n’a pas besoin d’être d'accord sur tout pour avoir une relation très profonde. Nous avons une relation historique, ainsi qu’une relation géographique évidente. Il y a également un choix politique, en tout cas du côté de la France. La Russie est l’un de nos grands partenaires. Jean-Pierre Chevènement le sait mieux que quiconque, puisque je lui ai demandé d’être mon représentant spécial pour nos relations économiques avec la Russie ; je tiens à vous remercier publiquement, cher ami, du travail remarquable que vous effectuez.
Le champ de nos relations avec la Russie est très vaste : il va du nucléaire au tourisme, en passant par les investissements dans les deux sens ; les investissements français en Russie sont toutefois bien plus importants que les investissements russes en France. Au-delà de l’économie, nos échanges portent sur la stratégie, sur une certaine vision des choses. Je désire avoir une très bonne relation avec nos amis russes ; je pense que nous allons y parvenir. Nous avons des approches divergentes sur certains points – chacun les connaît –, mais cela ne nous empêche pas de travailler ensemble.
La situation de l’Ukraine est complexe ; elle l’est plus qu’on ne le dit parfois. On sait bien où se portent nos regards, mais l’Ukraine ne se réduit pas à un seul bloc : sa réalité est diverse. Contrairement à ce que j’ai entendu, l’Union européenne ne propose pas une adhésion, mais un accord d’association à l’Ukraine. Je pense que le président Viktor Ianoukovitch s’est un peu servi de cette perspective pour obtenir des avantages importants de la part des Russes. Cependant, la situation de l’Ukraine est si difficile que, même si ces avantages lui sont vraiment octroyés – nous verrons –, cela ne suffira pas à résoudre ses problèmes. L’Ukraine est une terre magnifique, un grand pays, mais elle est confrontée à des problèmes considérables.
Nous avons dit que notre proposition restait sur la table, et nous avons ajouté – c’est très important, tant vis-à-vis des Ukrainiens et des Russes que vis-à-vis des Européens – que l’Ukraine n’avait pas à choisir entre l’accord avec l’Union européenne et l’amitié avec la Russie ; il n’y a pas d’opposition entre les deux. Après tout, si le rapprochement entre l’Ukraine et l’Union européenne est favorable à l’Ukraine, il sera également favorable à la Russie, puisque la Russie est très présente en Ukraine. Il faut présenter les choses de manière moins manichéenne qu’on ne le fait parfois.
J’en viens à la Chine en rappelant, comme M. Jean Besson tout à l’heure, que nous entrons dans l’année franco-chinoise, ce dont je suis extrêmement heureux. Nous aurons ainsi la visite du président Xi Jinping à la fin du mois de mars.
Le Président Hollande, pour sa part, a été accueilli de façon tout à fait exceptionnelle en Chine (M. Jean Besson opine.), pays avec lequel nous avons mille choses à faire. (M. Jean Besson opine de nouveau.)
À cet égard, si l’on peut dire que nos relations politiques sont excellentes, comme vous avez pu le constater, nos relations économiques, elles, doivent se développer. Elles sont en effet encore trop faibles et déséquilibrées. (M. Jean Besson opine.) Ainsi, pour ne prendre que l’exemple du tourisme, qui est une mine d’or, j’ai été frappé de lire dans un rapport très intéressant que vos collègues de l’Assemblée nationale ont fait à propos de la Chine qu’il y avait plus de touristes français qui s’y rendaient que l’inverse. Quand on voit les différences de population, il y a de quoi s’interroger sur ce constat.
Vous allez me reprocher d’avoir une approche mercantile, mais il est permis de faire des additions, voire des multiplications, quand on fait par ailleurs tellement de divisions…
Il faut savoir que 1,2 million de touristes chinois viennent en France chaque année, chacun dépensant en moyenne 1 600 euros ; il y a 90 millions de Chinois qui voyagent et il y en aura 300 millions dans quelques années ; si au lieu d’accueillir 1,2 million de Chinois, nous en recevions 5 millions, nous réduirions de 10 % notre déficit commercial, sans parler de la création d’emplois correspondante sur notre territoire. Vous conviendrez avec moi que si notre avantage comparatif ne paraît pas décisif en matière de pétrole, il semble plus important en matière touristique et patrimoniale par rapport à d’autres pays voisins.
Loin de moi l’idée de réduire nos relations avec la Chine à ce secteur d’activité, car il y a énormément de choses à faire dans tous les domaines. Or je pense que ce pays est tout à fait ouvert à l’approfondissement du dialogue.
J’ai été marqué par l’accueil des autorités chinoises à l’égard des Français. Il y a, comme vous l’avez souligné, le point commun de grande civilisation. Les Chinois ressentent une grande estime pour l’histoire française. Nombre d’entre eux, au temps de la révolution, ont étudié en France. La Chine possède une mémoire longue.
À mon sens, je le répète, nous avons énormément de choses à faire avec cette puissance, qui va devenir à terme la première du monde, d’autant que nous avons beaucoup d’analyses communes, notamment sur l’objectif de multipolarité.
Cette année franco-chinoise va donc être très riche ; beaucoup de choses vont être organisées en France et en Chine, sur le plan culturel, bien sûr, mais aussi sur le plan technologique, sur le plan économique, et je suis sûr que les échanges parlementaires y contribueront.
Il n’y a pas à choisir entre la Chine, l’Inde, la Russie, le Japon ou que sais-je encore. Quand on est une puissance globale comme la France et un des pays qui comptent, il faut avoir des relations, un objectif – j’ai essayé de le montrer – et avancer dans ce sens-là.
Pour terminer, je dirai qu’il ne faut jamais être totalement satisfait de ce que l’on fait, et je comprends les exigences du débat. En même temps, on me permettra d’être parfois un peu surpris par le débat, lorsqu’il existe, sur la politique étrangère. Car enfin, vous lisez comme moi la presse internationale : si des critiques, souvent d’ailleurs injustes, y sont portées sur notre réalité économique, s’agissant de la politique étrangère de la France, cette même presse nous apprend que s’il existe un pays, j’ajouterai en Europe, pour être modeste, qui a une politique internationale, à laquelle beaucoup rendent hommage, c’est la France.
Un tel constat ne doit pas nécessairement conduire les sénateurs à applaudir debout la politique étrangère du Gouvernement, mais essayons de ne pas être trop paradoxaux en y voyant beaucoup plus de difficultés que les observateurs étrangers eux-mêmes. Il s’agit non pas d’un argument d’autorité, mais d’une remarque que je me permets de faire en conclusion, tout en vous remerciant de votre patience. (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique étrangère de la France.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Didier Guillaume.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Conditions de la vente à distance des livres
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres (proposition n° 35, texte de la commission n° 248, rapport n° 247).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la fin de l’année 2013 a éclairé d’une manière très contrastée les différents mouvements qui agitent aujourd’hui l’économie du livre, en France mais également dans le monde.
Du côté positif, les études montrent que le livre reste le cadeau préféré des fêtes de fin d’année pour les Français et les Européens.
De fait, le livre représente un secteur économique puissant. L’étude que j’ai commandée, avec le ministre des finances, sur l’apport de la culture à l’économie montre que le livre figure au premier rang des industries culturelles, pour un niveau d’aides publiques extrêmement faible.
Cette filière représente 15 % de l’apport de la culture à l’activité économique de notre pays, pour un volume d’aides qui n’excède pas 1 % de sa production.
L’industrie du livre constitue un véritable atout pour la France, bien sûr, mais aussi pour l’Europe dans son ensemble ; nous devons en prendre davantage conscience.
Sur les cinq plus grands éditeurs américains, quatre sont la propriété de groupes européens. Aucune autre industrie culturelle n’exerce une telle influence sur le sol des États-Unis. Je vois aussi, grâce aux contacts réguliers que je peux avoir avec les professionnels de ce secteur à l’étranger, à Francfort et Berlin, à Rome ou à Bruxelles, combien cette part essentielle de l’économie et de la culture européenne est solide, et combien la voix de la France est appréciée et écoutée lorsqu’elle évoque la régulation de cette activité.
Mais, d’un autre côté, la fin de l’année 2013 restera aussi marquée par la cessation d’activité de Virgin et par les premières opérations de démantèlement des librairies Chapitre, qui mettent ainsi un terme à l’un des premiers réseaux de vente de livres de notre pays.
Bien évidemment, personne ne reste indifférent au sort de ces 1 200 professionnels qui faisaient le succès de ce réseau. Je salue l’action des éditeurs qui, à travers l’ADELC, l’Association pour le développement de la librairie de création, participent au financement, au côté de l’État, de la plupart des reprises de magasins cédés par le groupe – nous sommes d’ailleurs encore en train d’examiner un nouveau plan, avec de nouvelles offres de reprises, dont nous espérons qu’il aboutira le mois prochain. Les services du ministère de la culture, aussi bien à Paris que dans les DRAC, sont tous extrêmement mobilisés, avec les préfets, pour trouver des solutions de reprise pour les enseignes du groupe Chapitre. Bien évidemment, le Centre national du livre accompagne aussi, par son expertise et ses financements, les cessions aux repreneurs les plus à même de transformer ces points de vente en nouvelles librairies indépendantes, viables et durables.
De ce fait, aujourd’hui, seize magasins pourront d’ores et déjà continuer leur activité, puisque des offres de reprise solides se sont manifestées.
Cette situation n’est pas le fait des libraires ou des professionnels qui travaillaient pour cette enseigne Chapitre, mais bien le fruit d’une gestion déplorable de la part du groupe Actissia et de décisions stratégiques particulièrement malheureuses.
Au-delà, cette faillite est également le révélateur des mutations profondes qui sont à l’œuvre aujourd’hui dans l’économie du livre. Elles sont notamment induites par la révolution numérique, qui affecte le livre comme l’ensemble des industries culturelles, et qui n’épargne aucun maillon de la chaîne économique du livre.
J’aurai l’occasion d’évoquer plus loin les transformations des relations entre auteurs et éditeurs dues au développement du livre numérique. Je centrerai pour l’instant mon propos sur ce dont il est question dans cette proposition de loi, à savoir la diffusion du livre et le commerce de détail.
Chacun sait que cette activité est régulée dans notre pays depuis plus de trente ans par la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre, que vous avez vous-mêmes complétée en 2011, mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’édition numérique. De l’avis de tous, ce texte a offert un cadre adapté à une croissance remarquable de la production éditoriale française, favorable autant à la création littéraire qu’aux lecteurs, lesquels ont bénéficié d’une très grande modération des prix fixés par les éditeurs. Elle garantit aussi une juste concurrence, puisqu’elle a permis qu’un équilibre soit maintenu entre les différents canaux de revente au détail, sans concentration excessive au profit des plus gros acteurs, et sans jamais constituer une barrière à l’entrée de nouveaux acteurs, français ou étrangers.
La loi Lang a donc atteint ses objectifs, notamment le maintien et l’épanouissement d’un réseau très riche de 3 000 libraires indépendants de proximité, qui sont autant de commerces de détail dans nos villes, nos métropoles, mais aussi dans des cités plus modestes, voire des zones rurales. C’est l’un des piliers du développement culturel et de la sociabilité de nos territoires.
Les librairies restent toutefois le commerce de détail le moins rentable, celui où les marges sont les plus faibles. Beaucoup de magasins sont donc dans des situations de tension réelle, la situation du groupe Chapitre en constituant l’illustration la plus extrême.
La vente en ligne est toutefois la seule partie de l’activité de vente de livres qui augmente aujourd’hui, alors que le marché dans son ensemble s’inscrit en légère diminution.
C’est donc dans cet esprit que j’ai proposé, dès mon arrivée au Gouvernement, un plan d’action en faveur de la librairie indépendante.
Son objectif principal n’était certainement pas de placer ce secteur dans une quelconque forme de dépendance vis-à-vis de l’intervention publique. Les libraires sont des commerçants indépendants, dans tous les sens du terme. J’ai rappelé précédemment que l’économie du livre était un secteur de la culture qui n’était pratiquement pas aidé en comparaison d’autres industries culturelles. Bien au contraire, notre intention est de permettre au commerce de livres d’accroître sa rentabilité pour que les librairies indépendantes restent attractives et puissent elles aussi se moderniser pour participer pleinement à la transition numérique de l’économie.
Les moyens d’action de ce plan passent tout d’abord par une mobilisation de nos moyens financiers en faveur de la librairie. Deux fonds ont ainsi été créés ou abondés, grâce à l’intervention du Centre national du livre, que j’ai mobilisé.
Un premier fonds de 5 millions d’euros, placé auprès de l’IFCIC, l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles – la banque des industries culturelles –, permet d’accompagner les librairies pour ce qui relève de leur trésorerie, particulièrement tendue en raison, notamment, de la prudence excessive des banques en cette période de crise.
Un second dispositif, placé auprès de l’ADELC, l’association des éditeurs français pour la librairie de qualité, viendra renforcer les moyens de cet organisme à hauteur de 4 millions d’euros pour accompagner les reprises et transmissions de librairies. Vous comprendrez qu’il était particulièrement urgent d’agir de la sorte, dans un contexte où les difficultés de réseaux structurants comme Chapitre nécessitent des mesures adaptées pour accompagner les possibilités de reprise. L’État ne se substitue pas à l’investissement privé, mais il est là pour accompagner quand il y a des projets de reprise viables et solides, et pour faciliter ces reprises, qui sont si cruciales pour nombre de nos villes – je rappelle que le réseau Chapitre regroupait cinquante-sept librairies.
Mais nos moyens d’action passent également par une adaptation du cadre de régulation que constitue la loi Lang sur le prix unique du livre.
À cet égard, j’ai proposé et obtenu l’insertion, dans le projet de loi relatif à la consommation porté par Benoît Hamon, et toujours en cours de discussion au Parlement, de la création d’un médiateur du livre, longtemps attendu par les professionnels de la librairie, qui veillera à l’application de la loi pour les relations entre éditeurs, librairies et diffuseurs en ligne. Parallèlement, les fonctionnaires du ministère de la culture seront désormais habilités à constater les infractions à la loi sur le prix unique du livre.
Aujourd’hui, nous sommes donc dans une étape supplémentaire de ce vaste plan d’ensemble en faveur de la librairie, en particulier la librairie indépendante.
Après les aides financières et le renforcement de la régulation, nous allons examiner l’encadrement de la vente de livres à distance. Il s’agit de respecter l’esprit de la loi Lang, en lui permettant de faire face aux nouveaux défis de la vente en ligne, dont le développement a en effet contribué à brouiller sensiblement les contours de la régulation fondamentale qu’est la loi sur le prix unique du livre. Et nous devons donc revenir à l’esprit de cette loi, qui fait l’objet d’un consensus au sein du Parlement.
La vente en ligne apporte un confort considérable à beaucoup de Français, qu’il s’agisse de ceux qui vivent dans les zones rurales ou de ceux dont les rythmes de vie et de travail ne permettent pas d’accéder aisément à la plupart des commerces de livres. Internet permet ainsi de nouveaux modes de consommation qui peuvent être bénéfiques pour tous et pour la pratique de la lecture.
J’ai rappelé que la loi sur le prix unique n’avait aucunement entravé la libre concurrence. Bien au contraire, elle a favorisé une juste concurrence entre les différents libraires. Ainsi, on compte aujourd’hui quelque 3 000 libraires sur notre territoire, contre 2 000 aux États-Unis et 1 000 en Grande-Bretagne.
On constate qu’à l’heure actuelle le seul canal de vente qui progresse est celui de la vente en ligne. Mais tous les acteurs du secteur, et plus particulièrement les libraires, doivent pouvoir trouver leur place au sein de ce mode de diffusion dans des conditions acceptables.
Par conséquent, il ne s’agit pas, dans l’esprit du Gouvernement, de brimer un mode de consommation nouveau, complémentaire des modes de consommation physiques, mais d’offrir aux vrais libraires, à ceux qui font aimer la lecture et les livres, et qui donc défendent l’ensemble de la chaîne du livre, la possibilité de se positionner sur ce secteur de la vente en ligne.
Il s’agit donc de rétablir les conditions d’une concurrence équitable entre les différents acteurs de la vente en ligne de livres, d’une part, et entre les réseaux physiques et le commerce en ligne, d’autre part.
En effet, aujourd’hui, la gratuité des frais de port, qui a été systématiquement associée au rabais de 5 % sur le prix du livre permis par la loi Lang, a constitué le principal moyen pour les nouveaux acteurs de la vente en ligne de prendre position sur le marché du livre, puisque la concurrence par les prix des livres eux-mêmes était impossible dans notre pays.
Cette stratégie, pratiquée dès l’origine par les grandes plateformes américaines, a entraîné une course à l’échalote de la part des librairies physiques nationales qui souhaitaient développer leur activité numérique et qui, donc, se sont retrouvées entraînées dans une course-poursuite aux rabais sur les frais de port.
De fait, nous savons que la gratuité intégrale des frais d’expédition ne permet pas d’équilibrer l’activité des librairies qui la pratiquent. Elle ne constitue donc qu’un argument commercial valable seulement pendant une durée déterminée, c'est-à-dire en vue de conquérir un marché, ou bien doit être compensée par d’autres activités que la vente de livres. C’est pourquoi cette gratuité des frais de port n’est l’apanage que d’un nombre très réduit d’acteurs.
Si les grands marchands numériques peuvent assumer une telle politique, c’est aux revenus tirés des pratiques d’optimisation fiscale qu’ils le doivent et à leur établissement hors de nos frontières. Des firmes comme Amazon acquittent très peu d’impôts en France – ainsi que dans d’autres pays qui nourrissent les mêmes préoccupations que la France à l’égard de cette entreprise –, ce qui leur permet, tout en maintenant leurs comptes en équilibre, de proposer des prix plus bas que les opérateurs nationaux.
Nous sommes donc sur une pente très dangereuse. Comme ces grands acteurs proposent les prix les plus bas dans la plupart des secteurs, ils gagnent rapidement des parts de marché et éliminent une concurrence qui ne parvient pas à s’aligner. Dans le même temps, à mesure que le volume des transactions qui passent sous leur contrôle augmente, les recettes fiscales des États diminuent.
Du reste, ces stratégies ne sont pas particulièrement altruistes envers les consommateurs : il s’agit bien de stratégies de conquête de parts de marché. Je rappelle qu’Amazon, par exemple, n’offre pas le port gratuit sur tous les biens qu’il commercialise, qu’il ne livre pas gratuitement les livres dans tous les pays, et que la concentration du marché à son profit dans certains pays lui permet d’ores et déjà d’augmenter ses tarifs aux consommateurs : ainsi, aux États-Unis, depuis octobre 2013, le minimum d’achat pour bénéficier de la gratuité de livraison est passé de 25 dollars à 35 dollars. Au Royaume-Uni, depuis le 7 janvier 2014, la gratuité vient également d’être limitée aux paniers dont le montant est supérieur à 10 livres. Ces deux pays sont ceux où la position d’Amazon dans le commerce de livres est la plus importante.
C’est pourquoi, dès le mois de juin dernier, je me suis exprimée lors des rencontres nationales de la librairie de Bordeaux en faveur d’une action déterminée pour interdire le cumul des deux avantages que sont le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port. C’est aussi pourquoi le Gouvernement a accueilli favorablement l’initiative des députés MM. Christian Kert, Hervé Gaymard et Christian Jacob, lorsqu’ils ont porté à l’Assemblée nationale la proposition de loi dont est issu le texte que nous examinons ce soir.
Ce texte, amendé à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, a été adopté, je le rappelle, à l’unanimité des députés. La discussion qui s’engage aujourd’hui est donc placée sous le signe d’une forte cohésion de la représentation nationale, comme c’est souvent le cas pour les sujets liés à la politique du livre, spécificité française dont nous nous réjouissons. Je sais combien Mme la rapporteur Bariza Khiari…