Mme Nathalie Goulet. Excellente rapporteur !
Mme Aurélie Filippetti, ministre. … s’est investie dans ce dossier, et je sais aussi quelle attention particulière elle porte à la politique du livre. Je veux l’en remercier chaleureusement.
Le texte tel qu’il résulte des travaux de votre commission n’est pas exactement celui qui a été transmis après le vote de l’Assemblée nationale. Je rappelle que la proposition de loi amendée par le Gouvernement prévoyait que, dans le cas où le livre est expédié par le vendeur à l’acheteur, le prix de vente doit être strictement celui qui a été fixé par l’éditeur, le détaillant pouvant en revanche prévoir une décote de l’équivalent de ces 5 % sur les frais de port qu’il facture à son client.
Cette rédaction initiale, madame la rapporteur, vous avez souhaité la compléter, et l’ensemble des membres de la commission vous a suivi sur ce point. Vous proposez d’encadrer légèrement la liberté tarifaire attachée à la prestation de livraison. Comme votre rapport le souligne, si cet encadrement supplémentaire a essentiellement une portée symbolique, il est aussi très important sur le plan commercial, puisqu’il s’agit de prohiber la gratuité totale de cette prestation de livraison, tout en laissant aux détaillants qui pratiquent la vente à distance le soin de déterminer librement le tarif qu’ils veulent appliquer, à condition qu’il ne soit pas nul.
Cette mesure pourrait également avoir un effet psychologique sur l’acheteur de livres, puisqu’il ne s’agit pas ici d’encadrer uniquement les prestations de vente de livres. Il est bon que le lecteur prenne conscience du fait que la livraison à domicile a un coût, même si celui-ci est minime. J’ai expliqué l’importance pour la nation du maintien du réseau physique de vente de livres, du maintien du réseau de libraires indépendants.
Madame la rapporteur, je trouve donc votre complément au texte initial tout à fait ingénieux. Il permet d’avoir un effet concret sur les frais de port sans pour autant présenter le danger qu’il y aurait à exiger des opérateurs une facturation au coût réel de la prestation de livraison. L’obligation de facturation au coût réel est tentante, nous l’avons envisagée, mais elle aurait sans doute engendré des effets contraires à celui qui est recherché, à savoir la préservation de la diversité des canaux et des points de vente.
En effet, au-delà des difficultés de contrôle, qui requerrait d’exercer un regard approfondi dans la comptabilité des entreprises, il est à craindre qu’une telle mesure n’aboutisse à déséquilibrer encore plus la concurrence sur le marché du livre en donnant une prime à l’opérateur le plus important, qui est le plus à même de négocier des tarifs compétitifs auprès des prestataires de transport.
Je vous remercie donc, madame la rapporteur, au nom de l’ensemble du Gouvernement, des travaux réalisés par votre commission et de leur résultat.
Je souhaite conclure sur les objectifs de la présente proposition de loi et sur son lien avec l’amendement que je serai amené à vous proposer au nom du Gouvernement.
Vous le savez, la régulation du secteur du livre poursuit une grande finalité : la diversité culturelle, en l’occurrence la diversité éditoriale. Le but est qu’il y ait le plus grand nombre d’œuvres de qualité, que toutes les pensées puissent trouver leur public, le plus large possible, et s’exprimer de la manière la plus variée.
Or, avec le développement de la circulation des livres numériques, beaucoup d’auteurs regardent avec inquiétude l’avenir de la diffusion de leurs livres. Ces inquiétudes portent sur leur rémunération, comme c’est le cas dans d’autres secteurs culturels, mais aussi sur leur relation avec les éditeurs, car personne ne sait vraiment à quels bouleversements s’attendre avec les changements numériques.
Dans le même temps, des opérateurs de l’Internet, qui sont aussi ceux qui, par leurs pratiques commerciales, détruisent les équilibres de concurrence dans le secteur de la librairie et nous amènent à légiférer aujourd’hui, en viennent à modifier la répartition de la valeur dans la chaîne des produits culturels en proposant aux auteurs un système de diffusion uniquement numérique de leurs livres, sans réel travail d’éditorialisation.
Or, pour la qualité et la vivacité de notre production littéraire et pour la pérennité de notre soutien aux auteurs, qui constituent sans doute le maillon le plus fragile de la chaîne du livre, nous avons besoin de maintenir cette relation forte de confiance entre auteur et éditeur. C’est là encore une question de diversité éditoriale.
Voilà pourquoi un grand travail a été réalisé l’année dernière sous l’égide du professeur Pierre Sirinelli afin de concilier les intérêts des auteurs et des éditeurs et d’œuvrer à la rédaction d’un contrat d’édition à l’ère numérique, contrat que j’aurai tout à l’heure l’occasion de vous présenter. Après plusieurs mois de discussions ardues, un accord tout à fait satisfaisant a été trouvé entre les représentants des auteurs et des éditeurs. Nous devons maintenant traduire cet accord dans la loi.
Au nom du maintien de la diversité et de la richesse éditoriales, je vous présenterai donc cet amendement gouvernemental visant à consolider la place et le rôle des auteurs dans la nouvelle société numérique. Nous apporterons ainsi une pierre de plus à l’entreprise de consolidation de la politique du livre à l’ère du numérique. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Bariza Khiari, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, le livre, objet culturel par excellence, bénéficie traditionnellement d’une attention toute particulière de la part des pouvoirs publics. Soutenu financièrement et encadré normativement, le marché du livre maintient ses positions, dans un contexte où les industries culturelles souffrent sans exception de la révolution numérique.
En effet, la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, celle du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, mais aussi le bénéfice d’un taux réduit de TVA sur les livres imprimés et homothétiques, constituent le socle sur lequel s’est développée et modernisée toute la chaîne du livre et grâce auquel a survécu un réseau de librairies indépendantes dense et de qualité.
Signe de l’intérêt non démenti des Français, y compris des plus jeunes, pour la lecture, la fréquentation du salon du livre de Paris comme celle du salon du livre Jeunesse de Montreuil ne cessent de croître.
Ce satisfecit ne doit toutefois pas masquer les difficultés, parfois considérables, auxquelles se heurtent les libraires depuis l’arrivée, sur le marché, des plateformes de vente de livres en ligne.
À titre d’exemple, nul n’ignore la puissance financière et le dynamisme de la stratégie commerciale d’une société comme Amazon, puisqu’il faut la citer ! Implantée au Luxembourg, cette entreprise n’est assujettie qu’à la marge à l’impôt sur les sociétés. En outre, s’agissant des livres numériques, elle bénéficie d’un taux de TVA particulièrement bas.
De fait, si le livre, produit refuge extrêmement valorisé socialement, a longtemps été épargné par la crise, la situation actuelle se révèle inquiétante.
Madame la ministre, vous venez de le rappeler, depuis deux ans, nous avons assisté à la triste chute de maisons bien connues, comme Virgin et Chapitre. Je me réjouis, certes, de la reprise d’un certain nombre de magasins, que vous venez de nous annoncer, mais, dans nos villes, nous n’en assistons pas moins à la fermeture de nombreux petits détaillants.
La vente de livres en commerce physique s’effrite progressivement. Désormais, la vente en ligne représente l’unique segment dynamique de l’économie du livre. Or, confrontés à la concurrence féroce des grands opérateurs, les libraires indépendants ont de plus en plus de mal à s’installer sur ce secteur, alors que la rentabilité de leur commerce s’élève, en moyenne, à 0,6 %. Autant dire qu’ils sont aujourd’hui exsangues !
Le soutien public aux librairies doit donc franchir une étape supplémentaire, intégrant les conséquences, sur le commerce physique, de la puissance concurrentielle des plateformes de vente en ligne. Cet automne déjà, lors de la première lecture par le Sénat du projet de loi relatif à la consommation, le Gouvernement a introduit un dispositif de contrôle et de règlement amiable des contentieux de la législation applicable au prix du livre, avec la création d’un médiateur et en assermentant des agents du ministère de la culture et de la communication.
Annoncé en juin dernier, le plan d’aide aux librairies indépendantes offrira en outre, dès ce début d’année, de nouvelles modalités de soutien aux librairies en difficulté et favorisera la transmission des fonds de commerce.
De tout temps soucieuse de la promotion du livre et de la lecture, la commission de la culture a salué ces mesures, dont elle suivra la mise en œuvre avec attention.
Afin de compléter ces dispositifs favorables aux librairies, la présente proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres vise à renforcer l’environnement normatif du marché du livre.
L’article 1er de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre dispose que tout éditeur ou importateur doit fixer, pour chaque ouvrage, un prix de vente au public, tenu d’être respecté par les détaillants, quels qu’ils soient. Toutefois, le commerçant peut appliquer à ce prix une remise maximum de 5 %, ce taux pouvant être porté à 9 % pour des achats réalisés par les collectivités publiques, entreprises, bibliothèques ou encore établissements d’enseignement.
A contrario, en dehors des commandes d’ouvrages à l’unité non disponibles en magasin, qui doivent demeurer un service gratuit au client, les détaillants peuvent proposer un produit à un prix plus élevé que celui qui est fixé par l’éditeur ou par l’importateur, dès lors que sont facturées, à la demande de l’acheteur, des prestations supplémentaires exceptionnelles dont le coût a fait l’objet d’un accord préalable.
Les rédacteurs de cette loi ne pouvant prévoir l’essor du e-commerce sur le marché du livre, le flou entretenu par le texte sur la facturation des frais de livraison laisse libre cours à la systématisation, par certaines plateformes, du double avantage offert au client, qui bénéficie de la remise légale de 5 % et de la gratuité de la livraison.
Un tel degré de concurrence commerciale ne laisse guère d’espoir aux librairies qui souhaiteraient développer leur activité en ligne. Pis, il concourt à l’érosion du commerce physique de livres, désormais plus coûteux et d’accès moins aisé qu’un site de e-commerce expédiant, rapidement et gratuitement, toute commande au domicile de ses clients.
Soucieux de rétablir, autant que faire se peut, des conditions de concurrence plus équitables entre les divers acteurs du marché du livre, les auteurs de la présente proposition de loi envisageaient initialement de compléter l’article 1er de la loi du 10 août 1981 précitée par un alinéa disposant que la prestation de livraison à domicile ne peut être incluse dans le prix du livre tel que fixé par l’éditeur ou par l’importateur. Le seul avantage autorisé dans le cadre de la vente en ligne demeurait alors le rabais de 5 %.
Le débat en commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a mis au jour le souci commun à l’ensemble des groupes politiques de soutenir les librairies face à la concurrence des sites de vente en ligne. Pour autant, la rédaction de l’article unique de cette proposition de loi a été jugée insuffisante et le dispositif peu satisfaisant au regard des enjeux.
Au cours de la séance publique du 3 octobre dernier, le dispositif a été intégralement modifié sur l’initiative du Gouvernement, madame la ministre. La rédaction finalement retenue pour l’article unique de la proposition de loi a pour objectif, en complétant l’article 1er de la loi du 10 août 1981, d’interdire le cumul des deux avantages commerciaux que sont le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port.
Ainsi, dès lors qu’ils ne seront pas retirés dans un commerce de vente au détail de livres, les ouvrages commandés en ligne ne pourront plus bénéficier de la ristourne légale. Ce dispositif permettra aux libraires qui le peuvent et le souhaitent de proposer des livres moins chers en vente physique.
Par ailleurs, s’agissant du seul e-commerce, la concurrence entre sites ne pourra plus porter que sur les frais de livraison. Cette mesure permettra de prévenir une atrophie des marges par l’application quasi systématique de la ristourne de 5 %.
En revanche, dans cette version du texte, il n’est plus question d’interdire la gratuité des frais de port : il s’agit d’offrir aux plateformes de vente en ligne la possibilité d’appliquer, sur ces frais, dont elles fixent elles-mêmes le tarif, une réduction équivalant à 5 % du prix du livre acquis dans le cadre de la transaction.
Le texte issu de l’amendement gouvernemental a été adopté par nos collègues députés à l’unanimité, fait aussi rare que remarquable et signe du souci partagé de donner aux libraires les moyens de vivre de leur métier, de leur passion pour les livres, et de transmettre cette dernière.
Toutefois, madame la ministre, le dispositif ainsi révisé nous semblait incomplet concernant les frais de port, dont la facturation n’était plus mentionnée. De fait, les opérateurs de la vente de livres en ligne dont l’assise financière le permet pourront ainsi continuer à proposer un service de livraison gratuit, asphyxiant une concurrence qui ne pourrait appliquer de tels avantages.
Certes, vous l’avez rappelé, le principe de la liberté du commerce et l’impossibilité d’instituer un contrôle efficace interdisent toute fixation unilatérale et autoritaire d’un tarif plancher pour les frais de port, ainsi que l’établissement de ces frais à leur coût de revient, pour des raisons que vous avez indiquées.
Cependant, nous estimons que l’interdiction de la gratuité de la livraison aura un effet psychologique sur le consommateur, dont il ne faut pas méconnaître les conséquences positives – si modiques soient-elles – sur le rééquilibrage de l’environnement concurrentiel du marché du livre en ligne.
En conséquence, au cours de sa réunion du 18 décembre dernier, notre commission a complété, à l’unanimité, le texte de la proposition de loi afin d’indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit, dès lors que la commande n’est pas remise en magasin.
Il n’en demeure pas moins qu’en réalité – il convient d’en avoir conscience – les plateformes les plus puissantes continueront à afficher des frais de livraison inférieurs à ceux que proposera une petite librairie en ligne. En effet, en commandant de grandes quantités d’ouvrages, les sites de e-commerce sont en mesure de négocier avec les logisticiens des prix singulièrement inférieurs à ceux qui sont consentis aux libraires indépendants. Les frais de port ainsi facturés seront donc probablement de l’ordre du symbolique.
Cette évidence étant admise, il n’en demeure pas moins que le dispositif introduit via la proposition de loi ainsi modifiée par notre commission, complété du plan d’aide aux librairies indépendantes et d’un contrôle renforcé du respect de la législation sur le prix du livre – notamment du livre d’occasion, sur lequel j’attire l’attention de la Haute Assemblée – constituent indéniablement des signaux positifs en faveur les librairies.
Ces mesures ne seront réellement efficaces que si les libraires mettent à profit ce répit pour poursuivre leurs efforts de modernisation, notamment quant aux délais d’acheminement, de livraison à domicile et de maîtrise des coûts. Il s’agit, pour ces établissements, de se donner les moyens de satisfaire des consommateurs de plus en plus exigeants.
Enfin, madame la ministre, soyons ensemble réalistes : les efforts de régulation du marché par les pouvoirs publics et de modernisation par les libraires n’auront de véritable utilité que lorsque les conditions d’une concurrence saine et équitable seront établies, c’est-à-dire lorsqu’une entreprise comme Amazon se verra appliquer les mêmes modalités d’imposition fiscale que les autres acteurs de la chaîne du livre.
Sur ce point, vous savez combien les membres de notre commission, quelle que soit leur sensibilité politique, et ceux de la commission des finances, qui travaillent depuis longtemps à la recherche des solutions fiscales idoines, attendent les propositions que vous pourrez formuler à l’occasion de prochains rendez-vous législatifs.
Je le dis souvent, il n’est pas admissible que la vente d’un livre édité en France, distribué en France, acheminé via des infrastructures routières financées par l’État ou les collectivités, acheté en ligne grâce à l’aménagement numérique du territoire financé par les mêmes acteurs publics, ne profite pas, notamment en termes d’impôt sur les sociétés, à l’économie nationale. Les GAFA, comme on les appelle, agissent à mon sens comme des passagers clandestins ! (Mme la ministre acquiesce.)
Au titre de la dernière loi de finances, les députés socialistes ont présenté et voté plusieurs amendements qui auraient pu permettre de mieux lutter contre les pratiques agressives d’optimisation fiscale développées par les « intaxables », mais aussi par d’autres sociétés qui s’inspirent de ce type de montages. Nous connaissons le sort réservé, hélas, à ces dispositions !
Mes chers collègues, une initiative collective permettrait d’agir efficacement. L’OCDE travaille et avance. Les États-Unis appellent également de leurs vœux une modification des règles fiscales internationales pour lutter contre cette érosion des bases fiscales des États.
Notre action doit donc s’inscrire dans plusieurs temporalités. L’une, qui sera longue, doit aboutir à la définition de règles fiscales internationales permettant une reterritorialisation des activités commerciales, notamment via la définition d’un établissement virtuel stable. L’autre consiste en une action immédiate et indispensable pour rééquilibrer le commerce du livre en France. Tel est l’objet de cette proposition de loi visant à encadrer la vente à distance dans le secteur du livre.
En conclusion, le présent texte, qu’il convient d’estimer sereinement à sa juste mesure, apporte sa pierre, utile, à l’édifice que le Gouvernement, comme certains de ses prédécesseurs, bâtit en faveur du livre et de la lecture ainsi que de la protection des librairies.
Sous réserve des améliorations apportées par les amendements que nous allons examiner, la commission vous invite, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi dans un même élan d’enthousiasme. Je le sais, nous sommes tous conscients de l’importance qu’il convient d’accorder au livre, pour que vive notre exception culturelle ! (Applaudissements.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, le marché du livre a engendré, en 2011, un chiffre d’affaires global de 5,6 milliards d’euros dans notre pays, où il représente plus de 70 000 emplois directs. En outre, on peut considérer que ce secteur s’adapte mieux que d’autres aux bouleversements qu’il a subis au cours des dernières années. La lecture demeure l’une des pratiques culturelles préférées des Français, malgré les mutations technologiques, culturelles et sociales.
En dépit de ce constat encourageant, les librairies indépendantes se trouvent aujourd’hui, comme chacun sait, dans une situation d’extrême fragilité. Elles ont incontestablement besoin d’un soutien renforcé.
Madame la ministre, lors du Salon du livre de mars dernier, vous avez présenté un plan en faveur de la librairie indépendante. Certaines mesures, comme la création d’un médiateur du livre, ont été intégrées dans le projet de loi relatif à la consommation, qui reviendra, au cours du mois de janvier, en deuxième lecture devant la Haute Assemblée.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Exact !
M. Yvon Collin. La proposition de loi que nous examinons ce soir tend à encadrer les conditions de la vente à distances des livres – c’est là l’objectif qu’elle se donne dès son intitulé. Elle tente d’apporter des réponses aux difficultés posées par les pratiques commerciales particulièrement agressives et même déloyales de certains acteurs de la vente en ligne, et plus particulièrement de l’un d’entre eux, bien identifié et bien connu : Amazon.
Nous connaissons tous la relation privilégiée qui se noue entre un lecteur et un libraire qui le conseille, l’oriente et lui fait partager ses coups de cœur. Cette relation humaine est unique et irremplaçable ; elle n’a évidemment rien à voir avec la froideur d’un simple « clic » sur un écran.
Les sénateurs du RDSE sont extrêmement attachés à la préservation des librairies, qui représente au demeurant un enjeu en termes d’égalité des territoires. Nous soutenons donc toutes les mesures permettant de préserver cette spécificité de notre pays qu’est l’exceptionnel maillage des points de vente de livres. La France en compte près de 25 000, dont 3 000 librairies.
C’est pourquoi nous apporterons notre soutien au présent texte, qui permet de rééquilibrer le rapport de force entre les librairies traditionnelles et les acteurs de la vente de livres en ligne, et plus spécifiquement le leader sur ce marché, qu’il contrôle déjà à hauteur de 70 %.
Pour autant, madame la ministre, il nous semble que la solution proposée par ce texte, qui consiste à interdire le double avantage pratiqué systématiquement par Amazon – l’application de la remise légale de 5 % sur le prix unique du livre et la gratuité des frais de port – ne peut être qu’insuffisante, voire insatisfaisante,…
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Yvon Collin. … pour résoudre les difficultés qui se posent aujourd’hui aux librairies traditionnelles.
Face à une demande de plus en plus variée et exigeante, avec des attentes très élevées quant à la disponibilité des ouvrages, par exemple, comment les librairies peuvent-elles s’adapter ? Leurs moyens financiers et les contraintes spatiales qui sont les leurs ne leur permettent évidemment pas de concurrencer des plateformes de vente en ligne comme Amazon, qui peut proposer des millions de références, immédiatement disponibles.
En outre, l’une des questions importantes, à l’heure actuelle, pour de nombreuses librairies indépendantes, notamment celles qui sont situées en centre-ville, reste l’insoutenable montée des charges locatives. Or ni cette proposition de loi ni le plan d’aide aux librairies indépendantes que vous avez présenté, madame la ministre, n’apportent de réponse sur ce point, pourtant crucial pour la survie de certains établissements.
Enfin, il est vrai que les géants du numérique – souvent regroupés sous l’acronyme « GAFA » pour Google, Apple, Facebook, Amazon – dérangent… Mais quel est le véritable problème que posent ces grands groupes exclusivement américains ? Leurs pratiques commerciales, certes, mais surtout leurs pratiques fiscales !
Mme Nathalie Goulet. Et sociales !
M. Yvon Collin. Si nous avons raison de nous indigner de l’optimisation fiscale pratiquée par ces groupes, nous devons aussi nous interroger sur les ressorts d’une telle optimisation. Pourquoi est-elle possible et, surtout, pourquoi ne parvenons-nous pas à la combattre et ainsi à rendre la fiscalité véritablement équitable, à l’heure du numérique ?
Je vois deux raisons essentielles à cela.
Tout d’abord, l’absence d’harmonisation fiscale à l’échelle de l’Union européenne constitue un véritable tremplin pour le dumping fiscal de certaines grandes entreprises, qui n’appartiennent pas exclusivement au secteur du numérique.
Ensuite, notre système fiscal est profondément inadapté à l’économie numérique. Le président de notre commission des finances, Philippe Marini, est l’auteur d’une proposition de loi sur le sujet, que j’ai eu l’honneur de rapporter ; nous l’évoquions, madame la ministre, hier après-midi en commission. Selon notre collègue, « une fiscalité moderne ne peut plus ignorer les formes sans cesse innovantes de création de valeur et de richesse apportées par la croissance de l’économie numérique ».
Le Sénat avait enterré cette proposition de loi sous les fleurs – j’avais justement évoqué le sujet avec Fleur Pellerin… (Sourires.) Le Gouvernement s’était engagé fortement à prendre une initiative en ce sens. J’avais fait valoir des arguments ; il fallait gagner du temps.
Cependant, c’est bien l’adaptation de la fiscalité à l’économie numérique qui constitue la question cruciale aujourd’hui, une question à laquelle il faudra répondre si l’on veut vraiment rééquilibrer le rapport de force entre les géants du numérique et les acteurs traditionnels, dans le domaine culturel, comme dans d’autres.
Il s’agit, bien sûr, d’une démarche complexe et délicate – si la solution était simple, cela se saurait –, qui implique de trouver des solutions à l’échelle européenne, et même internationale, mais elle est absolument indispensable.
Dans l’attente de ces évolutions majeures concernant la réponse fiscale à apporter à la révolution numérique – vous nous communiquerez sans doute, madame la ministre, l’état d’avancement des travaux du Gouvernement dans ce domaine –, l’ensemble des membres du groupe RDSE voteront avec enthousiasme cette proposition de loi relative à la vente en ligne de livres, qui permettra d’offrir une petite bouffée d’oxygène aux librairies indépendantes, asphyxiées par les pratiques déloyales de certains acteurs de la vente en ligne. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi est un petit texte sur un grand sujet. Elle tend à rétablir une plus juste concurrence entre les acteurs du marché du livre.
Les plateformes de vente en ligne et les librairies de vente physique ne sont pas soumises aux mêmes conditions, pour autant, il est important de faire respecter la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre.
Nous tenons particulièrement à rappeler notre attachement à ce dispositif et à ce précieux maillon de la chaîne de diffusion de la culture que sont les libraires et les librairies.
Il ne faut pas oublier, selon nous, le rôle de la librairie dans la chaîne du livre. Sans les librairies, il n’y a pas d’auteurs, en tout cas pas de nouveaux auteurs émergents, qui ont besoin de temps pour trouver un public. C’est dans cette optique que la loi du 10 août 1981 avait instauré le système du prix unique du livre en France, qui a permis de préserver la création littéraire et de protéger les petites librairies indépendantes contre la menace des grandes surfaces offrant une moins grande diversité d’ouvrages.
Mais, depuis 1981, et avec, en 2011, le vote de la loi relative au prix du livre numérique, des évolutions technologiques et comportementales ont modifié la façon dont les livres sont vendus. Peut-être parlera-t-on plus tard d’un changement de paradigme.
Les grandes surfaces alimentaires ou généralistes captent environ 20 % du total des ventes, qui se réduisent souvent aux best-sellers. Les grandes surfaces consacrées à la culture représentent 23 % des ventes, 15 % sont réalisées par le commerce en ligne, 12 % par la vente par correspondance et les clubs de lecture et 8 % par les kiosques et autres commerces de presse.
Les librairies indépendantes réalisent, quant à elles, 24 % du total des ventes de livres physiques. Ce dernier résultat ne doit pas pour autant faire oublier les fermetures régulières et regrettables de librairies, comme à Beauvais, ni le dépôt de bilan des cinquante-sept librairies Chapitre, qui constituent autant de signaux inquiétants et autant d’emplois détruits.
Plus important encore, par un mouvement croisé, les ventes de livres chutent de 3,8 % dans les petites libraires, alors qu’elles progressent de 9,7 % dans la vente à distance.
La vente en ligne constitue ainsi une nouvelle forme de concurrence redoutable, pour laquelle le livre est devenu un produit d’appel permettant à des officines de constituer des fichiers de clients qui seront utilisés demain à d’autres fins.
Le problème tient au fait que les sites de vente en ligne offrent des frais de port gratuits. C’est ce qui a motivé le dépôt de cette proposition de loi, car il s’agit d’un moyen de contourner la loi de 1981. Cela n’est pas acceptable, ainsi qu’il a été dit dans la présentation de la proposition de loi, acté à l’Assemblée nationale et revu en commission.
Ainsi, pour tenter de soutenir les librairies, la proposition de loi que nous examinons a pour objectif l’interdiction du cumul du rabais de 5 % et de la gratuité des frais de port.
Nous saluons le travail de la rapporteur, Bariza Khiari, qui a complété le dispositif proposé, afin d’indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit, dès lors que la commande n’est pas remise en magasin.
Mes chers collègues, cette proposition de loi ne suffira vraisemblablement pas à sauver le modèle traditionnel des librairies de proximité, mais, sans ce texte, ces établissements ne disposeraient pas du temps utile pour s’adapter aux évolutions nécessaires. En ce sens, cette proposition de loi constitue une bouée, et c’est certainement positif.
Au-delà, le débat de ce soir pose aussi la question du modèle culturel que nous souhaitons pour le livre et l’édition et, par extension, le modèle de société que nous voulons. Pour soutenir le livre, il faut non seulement des auteurs qui écrivent des ouvrages de qualité, mais aussi des lecteurs qui achètent ou empruntent ces livres, dans un écosystème très délicat.
La véritable cause du présent débat tient au manque de fair-play d’une entreprise qui a eu une idée de génie et qui, simplement, en contournant les règles du droit du travail et du droit fiscal, parvient à instaurer un avantage compétitif absolument déloyal par rapport aux petites librairies.