Mme Michèle André. J’ajoute que cette confrontation des dispositions fiscales adoptées en 2012 est éclairante quant aux motivations et aux objectifs des uns et des autres. Les mesures que nous avons votées à l’été puis à l’hiver 2012 étaient inspirées par la volonté de réinstaurer de la progressivité et de l’équité dans le système fiscal français, fragilisé par dix ans de gestion par la droite. Ainsi, l’impôt de solidarité sur la fortune avait été détricoté, quelques mois avant que le barème de l’impôt sur le revenu ne soit gelé. Nous avons, dès la discussion de la loi de finances rectificative d’août 2012, voté l’institution d’une contribution exceptionnelle sur la fortune. La justice fiscale est une ligne directrice dont nous ne dérogerons pas ; nous y reviendrons à l’occasion du débat de ce soir.
Je ne saurais conclure cette analyse, que j’ai voulue la plus objective possible, sans parler de la dette. Aucun de nos camps ne peut se féliciter du niveau atteint par l’endettement public. Nos débats gagneraient à ce que vous fassiez, chers collègues de l’opposition, sinon l’inventaire, du moins l’analyse de dix années d’endettement qui ont conduit à doubler la charge de celui-ci. Le constat est particulièrement terrible pour nos comptes sociaux, la dette s’élevant à ce titre à 210 milliards d’euros. Je rappelle que les régimes obligatoires de base étaient en situation d’excédent entre 1999 et 2001.
M. Philippe Dallier. La belle affaire ! Vous n’avez fait aucune réforme !
Mme Michèle André. Que nos collègues de l’opposition ne se méprennent pas, il ne s’agit pas pour nous de nous accorder un satisfecit. Beaucoup reste à faire, et l’exercice 2012 a uniquement marqué le cap que nous souhaitons tenir pour la gestion des finances de notre pays.
Des sujets majeurs restent à aborder. Outre celui de la MAP, la question des opérateurs de l’État, qui représentent près de 49 milliards d’euros de dépenses, reste problématique. S’ils ont été soumis à des normes de dépenses aussi contraignantes que celles qui s’imposent à l’État, il reste difficile, voire impossible, de quantifier leur contribution à l’effort d’assainissement demandé à toutes les administrations. Un rapport sur la fiscalité affectée, notamment aux opérateurs, a été remis aujourd’hui même par le Conseil des prélèvements obligatoires ; ce sujet devra être traité dans le cadre du prochain projet de loi de finances.
Les dépenses fiscales, quant à elles, ont été stabilisées à un peu plus de 70 milliards d’euros en 2012. Il est prévu de s’attaquer en profondeur à ce sujet, qui préoccupe particulièrement la commission des finances du Sénat, dans le cadre de l’examen du prochain projet de loi de finances.
La discussion de ce projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2012 est donc tout sauf un simple exercice formel. Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, nous voterons bien entendu ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas membre de la commission des finances, mais je souhaitais profiter de ce débat pour vous faire part de quelques observations.
Eu égard à la teneur de certaines interventions – je pense notamment à celle de M. Delattre –, je commencerai par faire un état des lieux.
En dix années de gestion par la droite, la dette publique s’est accrue de 600 milliards d'euros, au rythme de 2 % par an en moyenne. Une atteinte profonde a été portée à la dimension redistributive de l’impôt, ce qui a pesé sur nos possibilités de relance par la consommation. La compétitivité à l’international de nos entreprises s’est trouvée gravement affectée : c’est en 2003 que le solde de notre balance commerciale a été positif pour la dernière fois, son déficit atteignant un montant record de 70 milliards d'euros en 2011, avec les conséquences sur l’emploi que cela implique.
M. Philippe Dallier. Vous oubliez le rôle joué par la plus belle crise que le monde ait jamais connue !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Voilà la vérité !
M. Jean-Yves Leconte. Tant les prélèvements obligatoires que la dette publique atteignent des niveaux très élevés dans notre pays. Si l’on établit une comparaison avec nos partenaires, on observe que chez certains d’entre eux, comme la Suède, par exemple, les prélèvements obligatoires sont plus lourds, mais la dette publique moindre, tandis que chez d’’autres la dette est plus élevée, mais les prélèvements obligatoires sensiblement plus faibles. Le bilan de dix ans d’exercice du pouvoir par l’UMP, c’est que nous n’avons aucune marge de manœuvre : la France se classe aux premiers rangs de l’Union européennes en termes de lourdeur des prélèvements obligatoires et d’ampleur du déficit.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Soyez heureux, vous avez trouvé votre bouc émissaire ! Bénissez-nous !
M. Jean-Yves Leconte. Un tel bilan justifierait que vous fassiez preuve d’un minimum d’humilité !
M. Philippe Dallier. Et vous d’honnêteté intellectuelle !
M. Jean-Yves Leconte. Les Français n’ont pas oublié !
M. Francis Delattre. Souvenez-vous de Jospin : c'est son gouvernement qui a le plus privatisé !
M. Jean-Yves Leconte. Je vous parle du bilan de l’action des dix dernières années, qui nous a conduits à la situation que nous connaissons.
J’ajoute que les entreprises françaises, aujourd’hui, seraient même incapables de répondre à une éventuelle stimulation de la consommation, car elles ne sont plus en mesure de produire, faute d’avoir investi au cours de ces dix dernières années. Elles ont ainsi beaucoup perdu en compétitivité.
Tel est votre bilan,…
M. Francis Delattre. C’est un bilan bégayant…
M. Jean-Yves Leconte. … qui handicape aujourd’hui notre action, mais les Français savent à quoi s’en tenir.
On constate que, en 2012, le rendement des impôts a été globalement moindre qu’auparavant. En particulier, les recettes de TVA ont été beaucoup plus faibles que prévu, la consommation des personnes physiques s’orientant davantage vers les produits de première nécessité et les entreprises connaissant des tensions de trésorerie qui ont amené une forte hausse des demandes de remboursement anticipé de TVA.
Dans ce contexte pourtant difficile, le déficit est passé de 5,3 milliards d’euros en 2011 à 4,8 milliards d’euros en 2012, grâce au projet de loi de finances rectificative que nous avons adopté à l’été 2012.
Je voudrais maintenant soulever deux questions plus spécifiques.
Monsieur le ministre, il faut bien entendu faire des économies, mais la LOLF est-elle un outil adéquat pour orienter cet effort ? Par ailleurs, je m’interroge sur les engagements hors bilan de l’État.
En ce qui concerne la LOLF, l’un des dogmes qui la fondent est que pour réduire la dépense publique, il faut diminuer le nombre d’emplois publics. Toutefois, force est de constater que, comme en témoigne, pour le ministère des affaires étrangères, la lettre adressée par M. Migaud à M. Fabius, les baisses d’effectifs, très significatives au cours des dernières années, ont engendré de fortes dépenses de fonctionnement supplémentaires, par le biais de l’externalisation. Il faut donc bien comprendre que ce n’est pas simplement en abaissant la masse salariale de l’État que l’on parviendra à réaliser des économies.
De surcroît, la suppression de certains postes entraîne une perte de recettes. Ainsi, un fonctionnaire du service des visas rapporte jusqu’à 500 000 euros à l’État ! Pourtant, il en manque ! On supprime aussi, au nom de la LOLF, des postes qui ne coûtent rien au budget de l’État, parce que la dépense est prise en charge par la structure extérieure auprès de laquelle les personnels concernés sont détachés, et servent notre influence.
Dans la même veine, le plafonnement d’un certain nombre de taxes dédiées n’a finalement rapporté au budget de l’État que 100 millions d’euros, au lieu des 414 millions d’euros attendus.
Nous devons donc être vigilants en matière d’application de la LOLF : ce n’est pas simplement en réduisant le nombre d’emplois que l’on fait des économies. Il faut toujours essayer d’identifier les centres de profit, les actions les plus pertinentes.
Si ces observations sont prises en compte dans la modernisation de l’action publique, la MAP, qui remplace la RGPP, nous pourrons réaliser des économies beaucoup plus importantes que celles, assez ridicules, que Michèle André évoquait tout à l’heure.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ce seront donc des économies indolores ?
Mme Michèle André. Il n’y a pas d’économies indolores ! Croyez-en une Auvergnate ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais M. Leconte le pense !
M. Jean-Yves Leconte. Il faut également veiller à ne jamais privilégier le court terme au détriment des moyen et long termes. Ainsi, la vente de biens immobiliers ne doit pas servir à financer la location ou l’entretien d’autres jugés plus indispensables. Je pense en particulier à la Maison de France, à Berlin, élément essentiel de notre présence en Allemagne, que nous vendons l’année même du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée…
J’en viens aux engagements hors bilan, qui représentent plus de 3 000 milliards d’euros, montant à comparer aux 1 800 milliards d’euros de dettes de l’État.
En 2012, nous nous sommes engagés à hauteur de plus de 100 milliards d’euros au titre de notre contribution au mécanisme européen de stabilité, le MES. Cela était indispensable pour stabiliser l’euro et lutter contre la spéculation. Si l’euro était en danger, c’est parce que l’union monétaire n’est pas parfaite. Il a donc fallu parer au plus pressé en créant le MES pour compenser l’absence de supervision bancaire. Cependant, le fait que les normes régissant la prise en compte du hors-bilan au titre des déficits publics ne soient pas homogènes au sein de la zone euro pose un grave problème, d’autant que l’on recourt de plus en plus aux engagements hors bilan. Je tenais à tirer la sonnette d’alarme.
Monsieur le ministre, le sérieux budgétaire consiste à ne pas faire peser nos décisions sur les générations futures, à s’attaquer aux fondements de la crise plutôt qu’à créer de la monnaie et, partant, de nouvelles bulles. C’est absolument indispensable dans une économie mondialisée où nous constatons aujourd’hui que les BRICS et les pays émergents ne seront peut-être pas autant qu’anticipé les ferments de la croissance des prochaines années. La croissance viendra peut-être de chez nous, de notre capacité à rester ouverts à l’international, à innover, à remettre la production au centre de notre politique économique, à faire de l’Europe non pas un bouc émissaire, mais la solution à nos problèmes.
Parce que ces principes guident l’action du Gouvernement, parce que la fiscalité a été réorientée pour la rendre plus juste, le groupe socialiste votera ce projet de loi de règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons aujourd’hui une séquence assez étrange, car l’essentiel devrait être le débat sur l’orientation des finances publiques. Celui-ci concerne l’avenir et les grands éléments d’arbitrage pour l’année prochaine. Or nous allons le mener un jeudi soir, pauvrement, sans qu’il soit conclu, comme il le faudrait, par un vote.
Regardons ce qui se passe chez nos partenaires européens : les gouvernements soumettent souvent, au cours du premier semestre, les orientations de l’année à venir au vote des assemblées parlementaires.
Au demeurant, en 2011, dans cette période tant honnie par les puissants d’aujourd’hui, le Sénat avait été consulté et s’était exprimé par un vote.
Nous n’aurons pas de vote à émettre sur les orientations. En revanche, nous allons voter sur le passé, c’est-à-dire sur une loi de règlement et portant rapport de gestion.
À la vérité, les chiffres et les comptes étant ce qu’ils sont, dans un monde normal, tout le monde devrait voter l’arrêté des comptes,…
Mme Michèle André. Eh oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … même si, dans mon conseil municipal, l’opposition ne le fait pas !
M. Michel Berson. Elle doit avoir de bonnes raisons ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Après tout, dans un monde normal, je le répète, nous voterions sur les orientations et nous considérerions l’arrêté des comptes comme un document purement factuel, dans lequel chacun devrait en tout état de cause se reconnaître. Or ce n’est pas ce qui se passe cet après-midi !
Monsieur le ministre, le seul vote que nous allons émettre concernera le projet de loi de règlement. J’avoue m’être interrogé sur l’attitude à adopter à l’égard de ce texte, mais, lorsque je vous ai entendu, tout à l’heure, vous exprimer avec tant d’autosatisfaction – j’ai ensuite été renforcé dans mon opinion par l’excellente plaidoirie de Francis Delattre –, formulant les questions de l’opposition et donnant les réponses, montrant une telle assurance devant une situation tellement difficile, hélas ! avec un chômage qui augmente, des comptes qui dérapent et un endettement qui est plus que préoccupant, je me suis dit qu’il n’était pas possible de ne pas suivre mes collègues des deux groupes de l’opposition, qui, pour l’un de façon assez véhémente, mais, à mon avis, bien ciblée, et pour l’autre de manière plus modérée et technique, par la voix de Vincent Delahaye, ont conclu au rejet de ce projet de loi de règlement.
Mais où est cette transparence que vous avez prônée, monsieur le ministre, quand le Gouvernement ne veut même pas nous dire ce que sont ses prévisions de cadrage macroéconomique ? Nous avons pourtant voté une loi de finances pour 2012 fondée sur des prévisions aujourd’hui démenties. Le grand mérite d’une loi de finances rectificative serait non pas de créer des recettes supplémentaires, voire de prendre des mesures de rigueur qui feraient encore partir plusieurs ministres du Gouvernement, mais d’assumer l’évolution de la situation économique.
M. Philippe Dallier. Eh oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Or vous ne voulez pas le faire et vous prétendez que votre démarche est transparente !
Il n’y a pas si longtemps, l’alpha et l’oméga de la gestion sérieuse des finances publiques étaient d’atteindre un objectif de 3 % de déficit à la fin de l’année 2013. Vous vous êtes targué d’avoir obtenu de la Commission européenne un sursis de deux années. À mon sens, l’octroi de ce sursis est la plus mauvaise nouvelle que la France aurait pu recevoir, mais, dans vos prévisions officielles, vous annoncez toujours un objectif de déficit de 3 % à la fin de l’année 2014.
Or les estimations plutôt bien argumentées issues des travaux de la Cour des comptes et même les propos très sérieux du rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale convergent vers une prévision de déficit à 3,5 % du PIB à la fin de 2014. Monsieur le ministre, si vous êtes transparent, il faut nous dire quel est votre objectif de déficit public ! Là aussi, je relève une lacune dans votre transparence, ou plutôt des « noyaux d’opacité », si vous me permettez cette image.
Enfin, en matière de maîtrise des dépenses publiques, des efforts ont bien entendu été faits, en particulier à la fin du quinquennat précédent ; ils se poursuivent, c’est tout à fait logique, et nous devons les assumer, les uns et les autres. Mais que nous dit l’exécution de l’année 2012 ? La progression en volume des dépenses publiques a été de 1 %, pour un objectif de 0,4 %. Le fait de se situer à 1 % révèle en soi un réel effort, mais vous nous dites que vous parviendrez en 2014 à limiter cette progression à 0,5 %. Très sincèrement, je ne suis pas aussi sûr que vous que la manière dont vous devrez procéder et la répartition de cet effort soient très convaincantes ou transparentes.
Il semble clair que l’État, qui, certes, s’efforce de contenir ses dépenses, exporte une part très significative, bien plus que proportionnelle, de cet effort sur ses opérateurs, mais aussi sur les collectivités territoriales. Nous devons le constater, car ce point mérite d’être discuté.
Le dernier point au sujet duquel vous invoquez la transparence est le rendement des recettes publiques, en lien direct avec les estimations du contexte économique. Alors que la conjoncture financière est difficile et que l’état des marchés est aléatoire – malgré les efforts de la Banque centrale européenne et de son gouverneur, que nous devons remercier particulièrement –, le retour sur les marchés des pays périphériques de l’Europe est sans doute plus difficile qu’on ne le croyait il y a quelques semaines. Des interrogations très lourdes pèsent sur la situation du Portugal et de la Grèce. Dans un tel cadre, l’intérêt de notre pays ne serait-il pas d’assumer de manière plus claire l’état de ses finances publiques et, surtout, de ne pas rester dans le flou ? Ne prenons-nous pas des risques supplémentaires quant à l’appréciation des investisseurs et des agents économiques du monde sur notre monnaie et sur la solidité des titres représentatifs de notre dette publique, en biaisant un peu, par habileté, et en évitant la démarche de transparence par excellence qui consisterait à présenter et assumer, dans un contexte économique nouveau, une loi de finances rectificative ?
Certes, la technicité de nos finances publiques rend encore plus complexe que par le passé leur examen par le Parlement. Il convient de rappeler à l’ensemble de nos collègues que nous travaillons à présent dans un cadre dont nous nous sommes dotés nous-mêmes, à la suite de la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, et que nous avons décliné grâce à une loi organique que l’opposition, monsieur le ministre, malgré toutes les critiques très cruelles et très injustes que vous lui adressez, a votée ! Sans l’opposition, cette loi organique n’aurait pas pu être adoptée par les deux chambres du Parlement.
Cette loi organique nous conduit, comme l’a expliqué notre collègue Vincent Delahaye, à raisonner en termes d’effort structurel, de solde structurel et de solde conjoncturel. Lorsque Jean Arthuis et moi-même avons été associés aux réflexions qui ont abouti à la définition de ces méthodes, dans le cadre du groupe de travail que présidait le gouverneur honoraire de la Banque de France Michel Camdessus, nous avons cru devoir donner l’alerte sur la technicité et la complexité de ces méthodes. En effet, il nous semblait que dire qu’une économie ne consiste plus en une réduction nominale de la dépense publique, mais en une inflexion par rapport à une tendance créerait des difficultés de compréhension pour nos concitoyens et rendrait plus délicate la mobilisation des énergies, tant ces concepts sont intellectuellement complexes.
Mais telle est bien la réalité dans laquelle nous sommes. Cette réalité est nécessaire, puisqu’elle permet de comparer les décisions prises dans le cadre de l’Union économique et monétaire par les différents États qui ont l’euro en partage. Dans un souci pédagogique d’organisation du dialogue démocratique et pour que l’opinion assume les efforts, ne serait-il pas préférable de s’exprimer à la fois dans le cadre des notions techniques que je viens d’évoquer et, plus directement, en termes de solde nominal, de dépenses nominales ? En effet, il serait souhaitable de rendre accessible au raisonnement de bon sens des efforts qui sont sans doute nécessaires dans leur principe, mais qui, pour réussir, ont besoin de la compréhension et de la mobilisation de toutes et de tous.
Considérant que la transparence, malgré vos propos, monsieur le ministre, a encore beaucoup de progrès à faire, je me prononcerai donc, comme mes collègues de l’opposition, contre l’adoption de ce projet de loi de règlement, sans nier les difficultés réelles des temps que nous vivons. Ce n’est pas en biaisant avec les réalités, en contournant le fait que les déficits s’approfondissent que l’on simplifiera la situation pour demain ! Ce n’est pas en laissant filer en 2013 que l’on sera en mesure de mieux maîtriser les choses en 2014 ! Les écarts seront encore plus importants à résorber, les efforts plus importants. Comme le disait une sénatrice auvergnate, il n’est certainement pas d’économie qui soit indolore…
Mme Michèle André. Absolument !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, nous ne faisons que commencer ce type de débat. À la rentrée, nous poursuivrons cet exercice, en espérant obtenir de votre part une feuille de route plus claire et plus nette ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de la qualité de ce débat, qui a permis à toutes les sensibilités de cet hémicycle de s’exprimer. Vous avez tous apporté une contribution utile à notre réflexion.
Je souhaite que ceux d’entre vous qui ont abordé le thème de la transparence sachent que mes débuts en politique ont été inspirés par la pensée et la démarche de Pierre Mendès France. Je considère que la vérité existe et que nous devons au Parlement la transparence en matière de gestion des finances publiques, plus particulièrement dans le contexte de crise auquel nous sommes confrontés. Nous pouvons légitimement nous adresser des reproches et nous opposer sur les orientations de la politique économique, mais nous n’avons pas le droit de nous intenter des procès qui remettent en cause la sincérité de ceux qui s’expriment et leur honnêteté intellectuelle sans preuves.
En matière de transparence, nous n’avons d’ailleurs pas besoin de nous faire de procès : le rapport de la Cour des comptes et le rapport du Haut Conseil des finances publiques contiennent des informations extrêmement précises sur l’évolution des déficits et sur la situation de nos comptes publics, très différentes ce que vous avez dit dans votre intervention, monsieur le président Marini.
Prenons des exemples très concrets. Vous nous avez reproché de nier le fait que les déficits continuaient à augmenter et que nous mélangions, tels des joueurs de bonneteau, déficit structurel, déficit conjoncturel et déficit nominal pour dissimuler cette augmentation.
Monsieur Marini, en votre qualité de président de la commission des finances, vous recevez les rapports du Haut Conseil des finances publiques et de la Cour des comptes. Vous savez donc mieux que quiconque que, depuis 2012, les déficits diminuent.
M. Vincent Delahaye. Depuis 2011 !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vais donner à la Haute Assemblée les chiffres précis que nous pouvons trouver dans les rapports publiés par le Haut Conseil des finances publiques et la Cour des comptes et qui ont été communiqués à votre commission des finances.
En 2012, le solde structurel s’établit à 3,9 % du PIB, contre 5,1 % en 2011. En 2013, il s’établira à 2,2 % et la projection pour 2014 est de 1,2 %.
Le solde conjoncturel, qui mesure les implications de la situation économique sur l’évolution des déficits, s’établissait à 0,8 % du PIB en 2012 ; il sera de 1,4 % en 2013 et de 1,6 % en 2014. Vous avez raison, le solde conjoncturel augmente, parce que la croissance est faible et que la situation globale de l’économie n’est pas satisfaisante.
Quant au solde nominal, dont vous nous dites souvent qu’il est le seul qui vaille, il s’établissait à 5,3 % du PIB en 2011, à 4,8 % en 2012, et il serait compris entre 3,7 % et 4 % en 2013, selon le rapport de la Cour des comptes. Entre 2012 et 2013, le déficit nominal diminuerait donc de 0,8 point et, si nous continuons les efforts d’ajustement structurel et de maîtrise de la dépense, il s’établirait à 2,9 % en 2014.
Par-delà toute considération polémique, je ne crois qu’aux chiffres lorsqu’il s’agit de questions budgétaires. Ceux que je viens de citer figurent dans les rapports qui sont à votre disposition. Dans ces conditions, comment pouvez-vous dire que les déficits augmentent ? Comment pouvez-vous dire que nous nous employons, dans une sorte d’opération de prestidigitation, à masquer l’augmentation des déficits en essayant de créer la confusion entre déficit conjoncturel et déficit structurel ?
Si vous cherchez à laisser planer un doute sur notre volonté de transparence – transparence à laquelle je tiens, parce qu’elle est pour moi une question d’éthique personnelle, un dû à la représentation nationale –, comment voulez-vous que je ne réagisse pas sans quelque passion ?
Si je me suis exprimé comme je viens de le faire devant votre assemblée en présentant le projet de loi de règlement pour 2012, c’est parce que, il y a dix jours, votre homologue de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez, qui, en sa qualité de président d’une commission des finances, doit garder, comme sa fonction l’impose consubstantiellement, une distance, une capacité d’arbitrage, un refus de la polémique, a tenu une conférence de presse avec les seuls députés de l’opposition pour expliquer que nous voulions dissimuler les choses et que nous ne faisions pas preuve de transparence. Ce sont des propos que je ne peux pas accepter, tout simplement parce qu’ils ne correspondent pas à la vérité.
Vous venez à votre tour de dire des choses inexactes au sujet des déficits.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. J’ai dit que les déficits étaient plus lourds que prévu !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce n’est pas la même chose de dire que les déficits sont différents de nos projections et d’affirmer qu’ils augmentent !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. J’ai parlé de dérapage !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Vous avez dit qu’ils augmentaient. Or ils n’augmentent pas !
M. Francis Delattre. Le président de la Cour des comptes l’a dit lui-même !