M. Jacques Berthou. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en quelques mois, plus d’une année pour être précis, c’est-à-dire entre le putsch, le 22 mars 2012, du capitaine Amadou Haya Sanogo et aujourd’hui, nous avons assisté à l’effondrement de l’État malien.
Ce fut une surprise de constater que le Mali, que nous reconnaissions pour sa démocratie, référence en Afrique, pour l’organisation de ses territoires, notamment au travers de son processus de décentralisation, et son esprit de consensus lui permettant d’être gouverné alors qu’aucun parti ne disposait de majorité absolue au Parlement, était en fait un pays complètement fragilisé par la corruption, le népotisme et des trafics en tous genres.
La France, plus particulièrement les régions françaises fortement engagées dans des coopérations décentralisées ne se doutaient absolument pas que, au-delà des régions, des villes et villages où elles intervenaient, le pouvoir central était totalement déficient, déliquescent. Le Mali était et reste le premier bénéficiaire de la coopération décentralisée. Il conviendra donc de coordonner tout cela, mais j’en parlerai plus avant.
Peu avant le putsch, le 17 janvier 2012, l’attaque de Menaka, par le Mouvement national de libération de l’Azawad, le MNLA, avait réactivé toutes les oppositions des populations touaregs du Nord-Mali.
Le 6 avril 2012, quelques semaines après le putsch, le MNLA proclamait l’indépendance de l’Azawad. Pendant ce temps-là, à Bamako, l’instabilité grandissait, des affrontements meurtriers opposaient les bérets rouges de la garde présidentielle et les bérets verts, puis les policiers entre eux, sous les yeux d’une classe politique malienne atteinte d’anémie.
Cette situation, avec un pouvoir central dans l’incapacité de gouverner et une région, le Nord-Mali, qui proclamait son indépendance, favorisa l’implantation et le développement de différents mouvements islamistes qui s’imposèrent : AQMI, Ansar Dine, mouvement touareg islamiste opposé au MNLA, et le MUJAO imposèrent un régime implacable fondé sur l’interprétation la plus extrême de la charia. Ainsi, ils commirent de terribles exactions, telles que des viols, des lapidations, des amputations, et se dirigèrent progressivement vers le fleuve Niger, occupant Gao et Tombouctou. Leur volonté de rejoindre Mopti puis Bamako s’accéléra au début du mois de janvier, alors que, dans la capitale, les troubles menaçaient un pouvoir civil chancelant. Il ne restait que quelques heures, une ou deux journées tout au plus, avant que le pays bascule et devienne un État aux mains des djihadistes.
Le 11 janvier 2013, à l’appel du président du Mali, le Président de la République française, François Hollande, déclenchait l’opération Serval. En quelques heures, nos forces intervenaient, soutenaient les forces maliennes et remportaient, sur le terrain, dans des conditions particulièrement difficiles, des succès majeurs permettant de créer les conditions d’un processus de paix et de réconciliation non seulement au Mali, mais aussi, indirectement, dans l’ensemble des pays du Sahel, en réduisant l’influence des djihadistes. Il conviendra, dans le futur, d’embrasser cette problématique d’un point de vue sous-régional, voire régional.
L’engagement de nos forces et la mort au combat de cinq de nos militaires, à qui les sénateurs du groupe socialiste et moi-même rendons un sincère hommage, doivent trouver aujourd’hui tout leur sens, la recherche d’une paix durable, mais aussi l’espérance d’un développement économique et social indispensable au maintien de conditions de vie qui, au-delà de l’aspect humanitaire, empêcheront des populations sans espérance de se jeter dans des bras fanatiques.
Or il y a urgence ! La population, majoritairement composée de jeunes, va doubler dans vingt ans, et ce alors même que le secteur de l’éducation a été laissé à l’abandon par un État fragilisé par les multiples plans d’ajustements structurels.
L’aide internationale doit très vite s’organiser, car il est des priorités pour lesquelles chaque jour va compter. En effet, actuellement, près de 300 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du Mali et 180 000 environ se sont réfugiées dans des pays limitrophes. Les activités agricoles ont été stoppées : la culture des céréales, éléments de base de l’alimentation des Maliens, devant être entreprise dans les toutes prochaines semaines, avant la saison des pluies, il faut leur fournir les semences nécessaires, sinon le Mali connaîtra, en 2014, une crise alimentaire catastrophique.
Aujourd’hui déjà, cette situation est alarmante dans les trois régions du Nord. La nourriture manque sévèrement à Tombouctou, Gao et Kidal, tandis que les districts de Tessalit et Abeibera ont atteint un niveau de vulnérabilité extrême. Il est bon de rappeler que, pendant la période d’occupation des régions du Nord, les mouvements djihadistes avaient permis un approvisionnement en biens et services de première nécessité : produits alimentaires, énergie, eau, santé et écoles. Depuis leur départ, les services de l’État malien et les ONG n’ont pas pris le relais. C’est dire l’importance et l’urgence des aides qui seront fournies, aides vitales bien sûr, qui feront comprendre à toutes les populations du Nord-Mali qu’elles n’auront plus à dépendre des djihadistes pour leur survie.
La restauration de l’activité agricole et des approvisionnements est donc une priorité absolue. À moyen terme, la stabilisation du Mali implique la mise en œuvre d’un développement significatif dans un contexte marqué par l’effondrement de l’économie rurale. On peut d’ores et déjà affirmer qu’il n’y aura pas de paix ni de sécurité sans un développement susceptible, à terme, de mettre fin à une économie parallèle constituée de multiples trafics.
Dans bien des domaines, il s’agit d’entreprendre une véritable œuvre de construction. En effet, la situation en matière d’infrastructures est dramatique et les services de santé, d’approvisionnement en eau ou en énergie demeurent défaillants, voire inexistants. Il en est de même pour l’éducation : 800 000 enfants sont ainsi déscolarisés.
Outre la remise en état de l’existant, la reconstruction, quand ce n’est pas la construction, des services publics élémentaires est à envisager. En effet, le Nord a besoin d’infrastructures pour se développer : retour de l’eau, construction de centrales micro-hydrauliques, restauration des sols, goudronnage des pistes et réactivation de l’économie locale, plus particulièrement le pastoralisme. Dans le Sud, c’est la relance de la culture des céréales et du coton qu’il faudra soutenir.
Les spécialistes du développement estiment les besoins à une somme comprise entre 1,5 milliard et 2 milliards d’euros sur cinq ans, hors sécurité. L’Union européenne a d’ores et déjà indiqué son intention de mobiliser 250 millions d’euros. L’Agence française de développement financera les projets gelés ou suspendus à hauteur de 150 millions d’euros. La conférence des donateurs du 15 mai 2013, à Bruxelles, sous la présidence de l’Union européenne, à laquelle participera le Président de la République, François Hollande, sera donc cruciale. Le suivi des fonds supposera la mise en place d’un comité de pilotage avec une présence affirmée de la France, afin de gagner en cohérence.
Il convient de noter qu’une première conférence sur le développement du Mali s’est tenue à Lyon, le 19 mars 2013, afin de préparer l’après-crise. Elle était organisée par le ministère des affaires étrangères, la région et Citées Unies France, et vous-même, monsieur le ministre des affaires étrangères, et vous aussi, monsieur le ministre chargé du développement, y avez participé. Pour l’ensemble des collectivités territoriales qui mènent des actions de coopération au Mali, cette rencontre a été l’occasion de retrouver leurs partenaires maliens pour faire le point sur les conditions de reprise de l’aide civile. Les collectivités locales ont pris l’engagement de réactiver les projets en suspens.
La France a une grande connaissance du Mali et a consacré beaucoup de moyens à l’aide qu’elle lui accordait. En constatant l’effondrement de ce pays, nous devons cependant réfléchir aux actions qui seront menées pour que les aides bilatérales ou multilatérales soient bien affectées aux actions et investissements pour lesquels elles sont mobilisées.
Il est donc impératif de coordonner toutes les interventions et d’éviter leur dispersion. En cela, la France dispose d’organismes qui ont fait leur preuve dans l’aide au développement et à l’expertise internationale : je pense à l’Agence française de développement, l’AFD, à France expertise internationale, FEI, à CIVI.POL Conseil, à ADETEF et à d’autres experts qui devront, eux aussi, mutualiser leurs savoirs et leurs compétences au service d’un équilibre efficace pour que le Mali réunisse toutes les conditions qui favoriseront son redressement et son développement.
La route sera longue, il ne faut pas en douter, mais la réussite ne sera au rendez-vous que dans la mesure où la sécurité et la paix seront assurées. La présence de nos militaires en appui de la future opération de maintien de la paix des Nations unies, et dont les missions seront définies au sein de la MINUSMA, est indispensable.
C’est pourquoi, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voterai, au nom du groupe socialiste, l’autorisation de prolonger l’intervention des forces françaises au Mali, pour garantir le retour à la paix et le redressement de ce pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur quelques travées de l'UDI-UC. – MM. René Beaumont et Alain Gournac applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, le Premier ministre s’est exprimé au début de cette séance ; après mon intervention, mes collègues et amis Jean-Yves Le Drian et Pascal Canfin s’exprimeront également devant vous : je pourrai donc me permettre d’être relativement bref.
Comme l’a fait chacun des intervenants, je tiens à saisir l’occasion que m’offre cette intervention à la tribune de votre assemblée pour rendre de nouveau hommage à l’action accomplie par nos soldats. Je tiens aussi à associer à cet hommage, et je sais que cette préoccupation est présente à votre esprit, l’ensemble des troupes, quelle que soit leur nationalité, qui interviennent au Mali pour défendre ce pays et les principes du droit international.
Je remercie également chacun des groupes politiques qui se sont exprimés. En effet, chaque fois que nous avons abordé ce sujet, en séance plénière ou en commission, nous l’avons fait avec gravité, sérieux, esprit de responsabilité, toutes qualités qui transparaissaient dans l’exposé, apprécié par tous, du président Carrère.
Même si c’est évident pour vous, mesdames, messieurs les sénateurs, mais nos propos dépassent les limites de cette enceinte, je commencerai par rappeler la situation qui prévalait au Mali au début du mois de janvier 2013 – il y a moins de quatre mois. En ce milieu du mois de janvier, il s’en est fallu de peu que la Mali n’existe plus, ou plutôt, le Mali était sur le point de devenir le premier État au monde à être contrôlé et dirigé par des groupes se réclamant du terrorisme. C’est la raison pour laquelle, en quelques heures, le Président de la République a dû, à la demande du président malien, donner l’ordre à nos forces d’intervenir, ce qu’elles ont fait.
Aujourd’hui, moins de quatre mois plus tard, nous pouvons constater que les terroristes ont été bloqués, les villes ont été reconquises, la sécurité, à quelques exceptions près, est assurée et le Mali a recouvré son intégrité.
La comparaison, qu’il faut toujours avoir à l’esprit, entre la situation de janvier et celle d’avril montre assez l’étendue du travail réalisé, même si je suis entièrement d’accord avec le jugement lucide, et donc prudent, émis en votre nom par MM. Chevènement et Larcher. Leur rapport souligne à la fois tout ce qui a été fait et l’étendue des défis qui sont devant nous.
Mme Ango Ela a évoqué trois phases, qui ne sont pas successives, mais simultanées, et son expression traduisait bien notre pensée à tous. En effet, lorsque l’on aborde la question du Mali, lorsque l’on recense tout ce qui reste à accomplir pour mener à bien la tâche nécessaire, on retrouve ces trois aspects : sécurité, démocratie et développement. Mes collègues Jean-Yves Le Drian et Pascal Canfin reviendront plus en détail sur les aspects de sécurité et de développement. Je voudrais cependant en dire quelques mots et insister davantage sur l’aspect démocratique.
Partons de la sécurité, car rien n’est possible sans elle. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez posé, à juste titre, des questions sur l’opération de maintien de la paix qui devrait être décidée mercredi ou jeudi prochain : les négociations sont donc très avancées. Nous pouvons espérer que l’unanimité du Conseil de sécurité des Nations unies se prononcera en faveur de la résolution que nous présenterons dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, mais aucun vote n’est jamais acquis à l’avance.
Cette résolution relative au maintien de la paix et à la stabilisation du Mali définit les conditions dans lesquelles la MISMA se transformera en MINUSMA, et les conditions dans lesquelles les troupes sous mandat des Nations unies devront intervenir pour stabiliser la situation, faciliter les opérations électorales et, d’une manière générale, assurer la sécurité au Mali. L’opération prévue est impressionnante, puisqu’elle devrait engager jusqu’à 12 000 hommes.
Mme Demessine a très légitimement demandé quelle serait la place des Français dans cette opération. Selon nos prévisions, cette présence prendra plusieurs formes.
Tout d’abord, un certain nombre de nos militaires seront présents dans le commandement de la MINUSMA pour assurer les liaisons nécessaires.
Ensuite, des soldats français participeront, en tant qu’instructeurs, à l’opération européenne de formation des troupes maliennes.
Enfin, nous maintiendrons une force d’appui sous commandement français, dans le cadre de conventions passées entre les Nations unies et la France, d’une part, et entre la France et l’État malien, d’autre part. Cette force pourra jouer un rôle utile, en particulier pour empêcher tout retour de groupes terroristes.
Cette organisation nous a paru la plus conforme à l’efficacité nécessaire, au bon déroulement du processus de stabilisation et à l’indépendance de la France ; elle a également paru souhaitable aux Nations unies pour s’assurer du respect de la dimension internationale de l’opération, tout en ayant la certitude que les terroristes ne pourraient pas revenir.
J’ai tenu à apporter ces précisions parce que Mme Demessine, dont j’apprécie la modération coutumière, avait posé cette question. Sans vouloir paraître facétieux, puisque j’ai compris que son groupe allait s’abstenir, je tiens à lui dire, en toute amitié, que, si l’ensemble des groupes politiques qui composent le Sénat, de même que ceux qui composent l’Assemblée nationale, avaient décidé de s’abstenir, il y aurait fort à craindre que l’opération de maintien de la paix ne puisse être décidée et nous nous trouverions face à un vide. Mme Demessine, quand elle se prononce comme elle l’a fait, sait que les autres groupes n’adopteront pas la même position…
M. Jean-Claude Lenoir. C’est plus confortable !
M. Laurent Fabius, ministre. … et que cette hypothèse ne se réalisera donc pas. J’estime cependant que chacun doit avoir conscience des conséquences de son propre vote.
Cette opération de maintien de la paix doit être décidée probablement cette semaine, ou la semaine prochaine s’il y a un peu de retard, et son mandat commencera le 1er juillet 2013, car un délai est nécessaire entre l’adoption de la résolution, fût-ce à l’unanimité, et son application effective sur le terrain. Par ailleurs, plutôt que de soumettre l’application de la résolution à un nouveau vote du Conseil de sécurité, il est prévu que la résolution s’appliquera, sauf si les circonstances empêchent sa mise en œuvre.
C’est là que la question des élections est absolument décisive, car l’immense majorité des Maliens et des autorités maliennes souhaite que les choses se passent bien et, donc, que la sécurité soit assurée et que le processus démocratique soit mis en œuvre. Commençant à me familiariser avec la situation du Mali, je pense cependant qu’il n’est pas impossible que certains – que l’on mette ou non un « s » à la fin de ce mot – aient à l’esprit qu’il ne serait pas contraire à leurs propres intérêts – qui n’ont rien à voir avec l’intérêt général – que le processus électoral n’ait pas lieu et que le retour à la sécurité ne soit pas totalement assuré ; mais tel n’est pas l’intérêt du Mali, ni celui de la France !
C’est la raison pour laquelle nous devons être très précis et très fermes dans la formulation de nos demandes, de nos souhaits, de nos propositions et, compte tenu de ce qu’a été l’action de la France, de nos exigences en ce qui concerne le respect du droit international et des processus électoraux.
Sur la sécurité, je n’irai pas plus loin, sinon pour répondre à deux questions en soulignant qu’il faut rendre hommage à l’attitude de beaucoup de pays. Tous, sauf la Syrie et l’Iran – mais être en une telle compagnie n’est tout de même pas un brevet de bon choix ! (M. Alain Gournac sourit.) –, ont soutenu l’action de la France. C’est assez rare pour être relevé.
Puisque l’on me pose la question, je voudrais insister en particulier sur l’action très positive de l’Algérie, qui, au moins depuis le mois de janvier – je ne remonterai pas plus avant –, a, d’une façon extrêmement déterminée, agi en toute indépendance pour faire en sorte que deux principes, avec lesquels nous sommes en parfait accord, soient respectés : premièrement, l’intégrité du Mali n’est pas discutable ; deuxièmement, dans un État démocratique, il ne peut y avoir deux armées, il y a une armée, malgré les difficultés et le temps nécessaire pour que tout rentre progressivement dans l’ordre. (M. Gérard Larcher opine.) L’Algérie, qui elle-même a été très éprouvée dans le passé par le terrorisme, passé lointain ou passé récent – souvenons-nous d’In Amenas –, a fait ce qu’elle devait faire, en toute indépendance.
Une question m’a été posée sur la Mauritanie. Je m’y suis rendu il y a quelques jours, afin de discuter avec les autorités du pays. Elles ont déjà fermé leur frontière, et elles envisagent, sous certaines conditions, – nous verrons si cela a lieu – de fournir – le chiffre a été évoqué, il est considérable – jusqu’à 1 800 hommes…
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. … pour contribuer à la MINUSMA. En regardant la carte, on constate que tous les pays concernés, le Niger et les autres, et je ne parle même pas du Tchad auquel il faut rendre hommage au regard des sacrifices qu’il a consentis, agissent comme ils le doivent.
Je voudrais dire quelques mots sur l’aspect démocratique, qui est fondamental : « dialogue et réconciliation », puisque c’est l’intitulé de la commission instaurée, et élections.
La commission a été constituée. Elle compte trente-trois membres : un président – un homme tout à fait respectable, ancien ministre, ancien ambassadeur du Mali en France –, deux vice-présidents, dont une femme, et trente membres répartis géographiquement. La mise en place a été sans doute un peu lente, mais nous avons déjà souligné, les uns et les autres, l’importance de cette structure. Elle doit maintenant se mettre à l’œuvre. Elle n’achèvera pas sa tâche en un mois, ni même en trois. Il s’agit d’un travail qui va durer longtemps, mais qui doit commencer dès à présent.
L’une d’entre vous a rendu hommage à la visite du Premier ministre Sissoko à Gao. Mais il faut aussi se rendre à Kidal, et dans les différents territoires, paisiblement, pacifiquement, avec l’intention de discuter et de négocier et dans un souci d’inclusion, comme on le dit maintenant à partir d’un anglicisme.
Quant aux élections, pour en avoir le cœur net, nous nous sommes rendus sur place, avec la présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Je sais que plusieurs d’entre vous ont également une bonne connaissance du terrain et de ce sujet.
L’Assemblée nationale malienne a voté à l’unanimité un calendrier – une feuille de route – selon lequel les élections, à tout le moins l’élection présidentielle, doivent avoir lieu en juillet. J’ai rencontré les présidents des grands partis qui m’ont affirmé qu’il était parfaitement possible de l’organiser à cette date. Nous l’avons vérifié techniquement, en envoyant des représentants du ministère de l’intérieur français. Enfin, – aujourd’hui, demain ou après-demain ; en tout cas ce n’est plus qu’une affaire d’heures – l’entreprise chargée de procéder à l'édition des cartes est choisie. Donc, techniquement, les choses sont possibles.
On s’interrogera sans doute sur la possibilité d’organiser cette élection présidentielle dans un pays qui n’est pas complètement paisible. Attention ! Si, pour une raison ou pour une autre, les élections étaient retardées, le climat n’y serait pour rien. En effet, ces dernières années, beaucoup d’élections ont eu lieu au mois de septembre. Ces arguments ressemblent donc à des arguties !
Que se passerait-il si l’élection était retardée ? Nous le savons déjà : la légitimité de la présidence de la république serait mise en cause (M. Gérard Larcher opine.), et cela ferait l’affaire d’un certain nombre, au singulier ou au pluriel, de personnes (M. Gérard Larcher opine de nouveau.) qui ne souhaitent pas que le processus se déroule de manière démocratique.
Mme Nathalie Goulet. Bien sûr !
M. Laurent Fabius, ministre. Pour les élections législatives, la situation est un peu plus difficile, puisque, par définition, il s’agit d’un scrutin par circonscriptions, et qu’il peut y avoir telle ou telle difficulté dans le Nord. C’est une raison de plus d’avancer dans le dialogue.
Que se passera-t-il pour les populations qui se trouvent à l’étranger ? Le droit électoral malien actuel autorise des négociations entre le Mali et les pays voisins, pour permettre aux Maliens de l’étranger de participer à l’élection présidentielle. En revanche, le droit malien ne prévoit pas, pour le moment, que les Maliens de l’étranger votent aux élections législatives.
Par ailleurs, les Maliens déplacés ne posent pas de problème insoluble pour l’organisation de l’élection présidentielle.
Tout le monde doit donc faire le maximum afin que cette élection ait lieu au mois de juillet. J’ai constaté avec plaisir que les candidats ont commencé à se déclarer et que la campagne démarre. C’est la meilleure façon de rétablir une légitimité et une égalité normales dans ce pays, que nous voulons tous sortir de la difficulté.
Tout cela soulève évidemment des questions, deux ont été posées. L’une concernait un commandant qui a fait parler de lui dans le passé,…
M. Alain Gournac. Il n’est pas capitaine ?
M. Laurent Fabius, ministre. … l’autre, le MNLA et Kidal.
S’agissant de tel ou tel militaire, je dirai, sans faire de cas particulier, qu’il y a une règle : dans toute démocratie, le pouvoir militaire obéit au pouvoir civil. Et il faut s’en tenir à cette règle.
Concernant Kidal et le MNLA, la situation n’est pas facile, mais elle a existé dans beaucoup de conflits de ce type. Lorsqu’un organisme qui a conservé des armes doit rentrer dans un processus démocratique, il faut faire en sorte qu’un dialogue ait lieu, au cours duquel l’organisme en question puisse mettre bas les armes et, s’il le souhaite, devienne un mouvement politique.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Eh oui ! Il doit accepter de désarmer !
M. Laurent Fabius, ministre. Il ne faut pas brusquer les choses de telle façon que le conflit ait lieu, ce qui rendrait très difficile les élections, et je reviens à ma démonstration précédente. Mais il ne faut pas non plus accepter l’idée qu’il peut y avoir deux armées en permanence au sein du même État.
En abordant les sujets ainsi, avec détermination et bonne volonté, je pense que l’on peut les mener à bien.
Sur le développement, M. Canfin, avec la compétence que chacun lui reconnaît, dira ce qu’il en est. Une grande conférence aura lieu le 15 mai à Bruxelles, ce qui répond à la demande légitime de M. Bockel.
Tout cela devra être fait en ayant à l’esprit plus largement la question du Sahel, ce qui a été fort bien abordé par MM. Larcher et Berthou. Le problème se pose évidemment pour le Mali, mais il est beaucoup plus vaste.
Je conclus ce propos par deux notations. D’abord, s’il y a un tel accord dans la communauté internationale, et en particulier dans le monde africain, pour soutenir l’intervention de la France et les propositions qui sont maintenant collectivement les nôtres, c’est tout simplement parce que chacun de ces pays a parfaitement compris que le terrorisme et le narco-terrorisme menacent la totalité des États africains et que personne n’est à l’abri. (M. Gérard Larcher opine.)
Jean-Yves Le Drian vous dirait mieux que moi que nos militaires ont découvert dans les grottes des Ifoghas des traces incontestables montrant qu’une partie des terroristes de Boko Haram – que j’ai eu l’occasion de connaître indirectement dans un autre épisode récent – étaient formés au Mali, avec une espèce d’école internationale du terrorisme, si l’on peut dire.
Les présidents du Sénégal, de la Côte d’Ivoire ou du Niger affirment tous que, si l’épisode malien avait connu une issue funeste, cela aurait probablement signifié la fin de leur propre autonomie.
Il s’agit donc d’un grand combat non pas contre le terrorisme en général, parce que cette expression peut faire référence à telle autre expression qui a été utilisée à tort dans le passé, mais contre des groupes terroristes et des groupes narco-terroristes, de la façon la plus claire. L’Afrique, qui est un magnifique continent d’avenir, pour lui-même, mais aussi pour nous parce que ce sera une des zones de croissance les plus fortes à proximité de l’Europe dans le futur, ne pourra tenir ses promesses que si nous savons, tous ensemble, venir à bout de ces groupes terroristes.
Ensuite, je voudrais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, et c’est ma seconde notation, que j’ai eu l’occasion de mesurer, comme vous sans doute, à quel point cette intervention, la façon dont elle a été menée, à condition que la suite soit conforme à nos souhaits, a contribué à augmenter l’influence de la France.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Oh oui !
M. Laurent Fabius, ministre. Ce n’était pas du tout son objectif, car nous sommes intervenus pour les raisons que nous avons déjà développées, mais j’ai aimé cette expression qui a été utilisée à l’écrit par l’un d’entre vous : le nombre de pays capables de faire ce qu’a fait la France se compte non sur les doigts d’une main, mais sur les doigts d’une main coupée en deux ! Je pense que chacun l’a bien mesuré.
Ce qui est porté au crédit de la France, ce n’est pas simplement le fait d’être intervenu comme nous l’avons fait, c’est aussi le fait que vous toutes et vous tous, mesdames, messieurs, souteniez cette intervention. Vous le faites, c’est ainsi que je l’ai compris, par un vote à la fois positif, vigilant et lucide – comme nous le sommes nous-mêmes ; nous mesurons à quel point tout cela est difficile –, mais d’une façon unie, et cette unité, qui n’est pas si fréquente en France, est une contribution importante pour nous permettre, demain, de gagner la paix ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Michelle Demessine applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.