M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous dire quelques mots après l’intervention du ministre des affaires étrangères, afin de compléter son propos dans mon domaine.
Je tiens tout d’abord à remercier les différents orateurs de l’hommage qu’ils ont rendu à nos forces. En tant que ministre de la défense, il me faut vous dire combien elles sont sensibles à l’unité qui s’est manifestée au cours de cette intervention, et qui incontestablement se poursuivra dans les semaines qui viennent. Nos forces ont agi avec efficacité, vous l’avez dit, avec professionnalisme et courage, et aussi avec une lucidité technique très méritoire dans le contexte particulier du Mali. Le contrat opérationnel a été rempli, le Premier ministre a dit tout à l'heure sa fierté, je crois qu’elle est partagée par tous. En tout cas, merci de l’avoir dit !
Merci également d’avoir rappelé la mémoire des cinq soldats français morts au combat. Je voudrais y associer la mémoire des trente-six soldats tchadiens (M. Alain Gournac acquiesce.), morts au combat dans la même intervention, en solidarité d’armes avec nous-mêmes, sans oublier les soldats maliens qui sont morts dans des combats à Sévaré, à Mopti ou à Kona. Il faut le rappeler, l’armée malienne s’est battue au début de l’intervention.
Nos forces sont intervenues dans des conditions très éprouvantes. Certains de nos chefs militaires affirment que dans cette intervention, nous avons un ennemi, les groupes armés djihadistes, et deux adversaires : la distance et le climat. On ne l’a sans doute pas suffisamment rappelé, aussi, laissez-moi prendre deux exemples. Le premier concerne la distance.
Pour vous donner un ordre de grandeur des distances, larguer des parachutistes au départ du Gabon sur Tombouctou, c’est comme le faire entre Paris et Moscou.
Quant au climat, comme j’ai eu l’occasion de le dire à certains d’entre vous lors des réunions de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dans l’Adrar, au plus fort des opérations, vingt tonnes d’eau par jour étaient nécessaires pour soutenir nos forces, ce qui correspond à dix litres d’eau par homme et par jour. Cela montre l’ampleur des questions logistiques concernant cette intervention pendant la période qui s’est déroulée depuis le 11 janvier dernier, depuis que le Président de la République a donné l’ordre d’intervention.
Les objectifs que le Président de la République avait fixés pour l’opération Serval ont été remplis. En trois mois, nous avons anéanti une véritable machine militaire terroriste très structurée, nous avons infligé des pertes très significatives au sein des groupes armés djihadistes, et brisé – c’était sans doute le plus important – les principaux fondements de sa puissance militaire, en détruisant des stocks d’armes, de matériels et de munitions par centaines de tonnes, des camps et des zones de ravitaillement, ainsi que des bases d’entraînement. Bref, des destructions très significatives. Aussi, on peut dire aujourd'hui, après les dernières opérations de reconnaissance offensive menées dans l’extrême nord-ouest du pays au cours de ces derniers jours, que l’ensemble du territoire malien est libéré et que la menace est très fortement réduite.
Certes, subsiste un terrorisme résiduel, limité à des actions suicidaires asymétriques, qui peuvent se manifester ici ou là, en particulier dans les environs de Gao. Mais, globalement, nous avons franchi un jalon important dans notre stratégie de libération du Mali et d’éradication des terroristes.
Nous avons agi par nos propres moyens, mais nous ne l’avons pas fait seuls. Je réponds ainsi à quelques observations formulées par certains d’entre vous. En effet, l’aide européenne a été réelle, même si elle a été bilatérale. Dès le début, nous avons eu le soutien des Britanniques, des Belges, des Néerlandais, des Danois, des Espagnols et des Allemands, sans oublier, dans d’autres domaines, les Américains et les Canadiens. Nous avons reçu un véritable soutien européen, même s’il ne s’agit pas, au moins sur ce point, de celui de l’Europe de la défense. Le partenariat bilatéral avec des pays amis nous a permis d’assurer, par exemple, le tiers de notre logistique. C’était une nécessité en raison de l’ampleur des enjeux logistiques que j’ai évoqués il y a un instant. Cela montre que cette intervention était soutenue par nos amis européens non seulement politiquement, mais aussi techniquement.
À ce propos, je voudrais apporter quelques précisions sur la mission de reconstruction de l’armée malienne, puisque certains d’entre vous l’ont évoquée.
Monsieur Chevènement, nous en sommes bien conscients, ce n’est pas uniquement la période de quinze mois durant laquelle une mission a été diligentée au niveau européen qui permettra de reconstruire l’armée malienne et ce n’est pas avec 2 300 hommes que l’on aura demain une armée. Aussi, il est vraisemblable – mais mettons les choses les unes après les autres – qu’il nous faudra ensuite mener au niveau européen une action complémentaire. Toutefois, commençons par agir pour mettre en œuvre l’embryon de reconstruction de l’armée malienne qu’il importe d’initier très rapidement.
Monsieur Gérard Larcher, j’en suis également bien conscient, il serait souhaitable d’élargir le champ de l’action européenne pour aller dans le sens d’une reconstruction des fondamentaux de la souveraineté de l’État malien ; je pense à la gendarmerie, à la police, à la justice et à la douane. Il serait bienvenu soit d’étendre l’opération EUCAP Sahel-Niger au Mali, soit de prendre une initiative similaire pour restaurer, autour de la reconstruction de l’armée malienne, les fondamentaux d’un État souverain qui a recouvré son territoire dans son intégralité, mais n’a pas encore retrouvé l’ensemble des instruments de souveraineté, même si la perspective des élections en sera l’un des éléments contributifs.
Je veux aussi préciser à l’intention de plusieurs orateurs que nous avons commencé à tirer les leçons positives et négatives de l’opération Serval.
Au chapitre des leçons positives, chacun reconnaît la très grande réactivité de nos forces armées. Nous avons eu une capacité d’entrée en premier, de projection de forces. Nous avons bien su articuler la manœuvre terrestre et la manœuvre aérienne. Nous avons aussi pu bénéficier du prépositionnement. Plusieurs d’entre vous, notamment le président Carrère, sont d’ailleurs intervenus sur cette nécessité. Sans le prépositionnement, il est clair que nous n’aurions pas pu intervenir aussi rapidement.
Toutefois, demeurent des interrogations et des lacunes, que M. Bockel a évoquées. Nous les connaissons déjà depuis un certain temps, car elles ne datent pas d’aujourd'hui. Nous avons des lacunes en matière de ravitaillement, de renseignements – singulièrement dans le domaine des drones –, de transports et dans le domaine des hélicoptères de manœuvre. Il importera d’y remédier dans le futur.
J’ai bien noté que M. le président Carrère et plusieurs autres intervenants se sont ralliés avec beaucoup de force à l’étendard des 31,4 milliards d’euros. (M. le président de la commission des affaires étrangères opine.) Je peux moi-même m’y rallier dans la mesure où le Président de la République l’a annoncé lui-même. Je n’éprouve donc pas du tout de difficulté à me joindre au mouvement qui a été engagé au Sénat pour figer ce chiffre magique, car il importe de maintenir un outil de défense de qualité nous permettant, en particulier, de pouvoir entrer en premier.
Pour conclure, concernant nos forces armées, nous avons trois objectifs concrets, qui vont structurer la poursuite de notre action au Mali dans la région sahélienne.
Le premier objectif est de maintenir la pression sur les groupes terroristes, afin d’éviter qu’ils ne se recomposent. En effet, si ces groupes n’ont plus la capacité de mener des offensives coordonnées, ils conservent la volonté de mener des actions asymétriques. Soyons donc vigilants et faisons en sorte que nous puissions réagir.
Le deuxième objectif est d’accompagner, puis d’appuyer la force de l’ONU, la MINUSMA, qui prendra bientôt le relais de notre action dans la mission de stabilisation du Mali.
Enfin, le troisième objectif est d’accompagner la reconstruction et l’engagement opérationnel de l’armée malienne.
Ces trois objectifs nécessiteront la présence – M. le ministre des affaires étrangères l’a indiqué il y a un instant – d’un millier d’hommes se répartissant sur ces trois objectifs à la fin du processus de retrait, qui a commencé. De 4 500 hommes environ au moment de la grande offensive sur l’Adrar et de la bataille d’Amététaï, nous sommes descendus en dessous de 4 000, pour passer sous la barre des 2 000 dans le courant de l’été, avec l’objectif du maintien d’un millier d’hommes en vue d’accomplir les missions que je viens d’indiquer.
Nous sommes, me semble-t-il, passés d’une phase d’action strictement militaire à une phase où la politique et la diplomatie prédominent. C’est l’action militaire qui a permis au Mali de retrouver son intégrité territoriale. C’est maintenant l’action diplomatique et politique qui permettra au Mali de se réconcilier avec lui-même. Cependant, il n’y aura pas d’action politique et diplomatique aboutie si les conditions de sécurité ne sont pas en permanence réunies. C'est la raison pour laquelle nous sommes très heureux d’être relayés par la MINUSMA. Toutefois, nous considérons aussi qu’il est essentiel que nous restions présents au Mali, avec des possibilités d’intervention à partir des pays voisins, afin que ce pays se retrouve avec lui-même. (Applaudissements.)
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du développement.
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de l’heure tardive, j’irai à l’essentiel, en vous exposant la stratégie de notre politique de développement, au service d’un objectif qui nous est commun : gagner la paix.
Le premier élément de notre stratégie, c’est bien évidemment l’aide bilatérale. Certains d’entre vous l’ont mentionné, cette aide, qui avait été gelée en 2012 dans un contexte européen que chacun a en tête, a été reprise depuis la mi-février, pour assurer très concrètement le retour des services publics en matière de santé, d’éducation, d’eau, ou encore d’électricité.
Pour ne prendre qu’un exemple, le courant qui avait été tout simplement supprimé à Tombouctou, à Gao ou à Kidal est en train de revenir grâce aux travaux d’infrastructures qui sont progressivement mis en place. Aujourd'hui, il y a six heures d’électricité par jour à Tombouctou, contre zéro minute il y a plus d’un mois.
Le deuxième élément, c’est la mobilisation de la communauté internationale.
Plusieurs d’entre vous ont mentionné la conférence de Bruxelles du 15 mai prochain. Elle se fera sous coprésidence française et Union européenne. Avec Laurent Fabius, nous avons souhaité que cette conférence ait lieu à Bruxelles et non à Paris, afin de mobiliser l’Europe et, au-delà, la communauté internationale. Nous voulons en quelque sorte catalyser les énergies au service du développement du Mali.
À cet égard, je me suis rendu, la semaine dernière, à la Banque mondiale à Washington pour discuter de la capacité d’engagement de cette institution, et je me rendrai ce week-end à Bamako pour faire en sorte que la stratégie de mobilisation de la communauté internationale repose sur une stratégie de développement économique du Mali, débattue elle-même bien évidemment avec les autorités de transition, mais aussi avec les sociétés civiles, les forces vives du développement économique.
Dans le cadre d’une conférence spécifique, nous mobilisons le week-end prochain ces personnes pour alimenter le débat relatif à la stratégie de développement économique sur laquelle l’ensemble des parties prenantes, la communauté internationale, d’un côté, et les autorités de transition maliennes, de l’autre, se mettront d’accord dans quelques jours à Bruxelles.
Je tiens à préciser que cette conférence devrait réunir plusieurs dizaines de chefs d’État et de gouvernement, dont, bien évidemment, François Hollande, qui coprésidera cette journée de mobilisation pour le Mali.
Le troisième élément a trait au local. Les collectivités locales françaises constituent un canal exemplaire, puisque, comme vous le savez, plus de 160 collectivités locales françaises ont des coopérations décentralisées avec le Mali. Autrement dit, une ville malienne sur six a noué un partenariat avec une collectivité locale française.
C’est pourquoi notre aide doit passer davantage encore par ce canal, de façon à être la plus efficace possible et au plus près des territoires et des besoins des populations en matière de santé, d’éducation et d’infrastructures. À cet égard, comme certains d’entre vous l’ont rappelé, nous avons mobilisé nos collectivités locales le 19 mars dernier à Lyon.
Le quatrième élément de notre stratégie, ce sont les diasporas. En effet, il y a en France entre 120 000 et 130 000 Maliens ou Franco-Maliens. Nous avons tenu à mobiliser ces diasporas plus encore qu’elles ne le sont aujourd'hui au service du développement économique du Mali. Dans certains territoires maliens, ces flux financiers représentent plus que l’aide publique au développement. Il est donc important d’innover, de trouver de nouveaux moyens afin d’augmenter ces flux. Si nous avons mobilisé la diaspora malienne en France, nous avons aussi mobilisé les diasporas maliennes en Côte d’Ivoire, en Belgique, au Canada, et ailleurs en Europe. Ce fut l’objet de la réunion qui s’est tenue le 10 avril dernier à Montreuil.
Le dernier élément, c’est bien évidemment l’Europe. Comme je l’ai indiqué, nous organisons une conférence franco-européenne à Bruxelles, mais, au-delà, nous travaillons avec l’ensemble des partenaires européens pour que l’Union européenne mobilise en tant que telle le maximum d’aide au développement.
À cet égard, je tiens à saluer le fait que, depuis le début de la crise, l’Europe a été présente sur le front du développement, même si l’on peut discuter pour les autres dimensions de la politique. La dernière preuve en est l’accord très rapide obtenu la semaine dernière pour une aide budgétaire de 225 millions d’euros, qui complète les montants qui avaient déjà été attribués, pour avoir aujourd’hui une enveloppe, qui pourrait augmenter encore d’ici au 15 mai, d’au moins 300 millions d’euros.
Voilà pour ce qui est des aspects quantitatifs.
Il faut aussi évoquer les aspects qualitatifs. À cet égard, comme plusieurs orateurs l’ont fait observer et comme MM. Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher le signalent dans leur rapport, il convient de faire le bilan de l’action qui a été menée depuis un certain nombre de décennies.
Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : il y a eu des succès, mais aussi des échecs. C’est pourquoi, au-delà de la mobilisation quantitative, nous devons travailler, peut-être davantage que dans le passé, sur la qualité de notre action, par exemple sur la prise en compte du changement climatique, sur les questions agricoles ou sur les problèmes de gestion démographique. Tous ces sujets seront aussi au cœur de la grande conférence du 15 mai prochain ; ils sont déjà au cœur de sa phase préparatoire, qui est en cours. En effet, il ne faut pas raisonner simplement sur un chiffre, mais aussi sur un plan qualitatif.
Reste enfin la question du contrôle. De fait, comme de nombreux orateurs l’ont rappelé, le Mali n’a pas manqué d’aide publique au développement dans le passé, même s’il faut toujours faire plus. Là encore, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : on sait très bien qu’une partie de cette aide n’a pas bénéficié aux populations, comme cela aurait dû être le cas.
Il est donc impératif de mettre en place davantage de circuits pour assurer le contrôle et la traçabilité de cette aide, qu’il s’agisse de l’aide projets ou de l’aide budgétaire. Nous y travaillons et, le 15 mai prochain à Bruxelles, nous ferons des propositions innovantes pour garantir une traçabilité maximale au Mali de l’aide publique que nous allons attribuer.
C’est un devoir à l’égard des citoyens maliens, pour que l’aide leur parvienne, mais aussi une exigence envers les contribuables français, dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons tous ; nous devons être solidaires, mais aussi efficaces et exigeants.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis par la conscience d’avoir devant nous une équation simple : pas de développement sans sécurité, pas de sécurité sans développement. C’est en gagnant les deux termes de cette équation que nous pourrons, ensemble, gagner la paix au Mali ! (Applaudissements.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées au Mali.
Aucune explication de vote n’est admise.
En application de l’article 73-1, alinéa 2, du règlement, il va être procédé à un scrutin public ordinaire, dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 221 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l’adoption | 326 |
Le Sénat a autorisé la prolongation de l’intervention des forces armées au Mali. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. le président. L’Assemblée nationale ayant elle-même émis un vote favorable, je constate, en application du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, que le Parlement a autorisé la prolongation de l’intervention des forces armées au Mali.
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
4
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 23 avril 2013 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales
(Le texte des questions figure en annexe.)
À quatorze heures trente :
2. Question orale avec débat n° 4 de M. Jean-Vincent Placé à M. le ministre chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation sur la lutte contre l’obsolescence programmée et l’augmentation de la durée de vie des produits.
3. Débat sur la politique vaccinale de la France.
À vingt-deux heures :
4. Débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 23 avril 2013, à zéro heure dix.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART