M. Jean-Marie Bockel. … pour reprendre une expression de rugby, en soutien à votre action, monsieur le ministre.
Si certaines garanties ont pu être récemment apportées par le Premier ministre et le Président de la République, le cas malien doit être à l’esprit de tous lors des arbitrages budgétaires, car les tensions capacitaires qui apparaissent au sein de nos armées pourraient bien être de nature à dicter nos engagements ou non-engagements de demain...
Je voudrais à présent revenir sur les défis qui restent à relever au Mali. Une intervention militaire, aussi efficace soit-elle, ne peut suffire. Ces défis nous invitent d’ailleurs à réfléchir sur notre propre diplomatie et sur notre engagement aux côtés de nos partenaires africains.
Le premier défi, bien sûr, est d’ordre sécuritaire. Si l’offensive terroriste a été repoussée et les villes maliennes libérées, les forces djihadistes, même réduites et affaiblies, n’ont pas pour autant abandonné le combat et semblent décidées à user de méthodes asymétriques – IED, attentats, etc. –, comme on l’a vu à Gao.
La question sécuritaire au Mali, où résident 6 000 de nos compatriotes, doit être suivie avec attention, d’autant que la vie de nos otages enlevés dans la région en dépend aussi.
Le retrait de nos troupes, tel qu’il a été précisé encore tout à l’heure par M. le Premier ministre, jusqu’au palier d’environ 1 000 soldats, doit s’effectuer de manière progressive et concertée et tenir compte de la situation sur le terrain. Bien évidemment, nous savons que tel est l’état d’esprit actuel.
Monsieur le ministre de la défense, vous nous avez fait part de nombreuses informations dans le secret de la commission, comme vous-même, monsieur le ministre des affaires étrangères, et vous aussi, monsieur le ministre chargé du développement, mais que pouvez-vous dire aujourd’hui publiquement, compte tenu bien sûr des limites de l’exercice, sur le niveau de la présence française au Mali dans les prochains mois ? Je ne parle pas du nombre de militaires, car nous disposons d’éléments sur ce point. Je souhaite savoir comment les choses vont s’organiser. La présence militaire prendra-t-elle in fine la forme d’une force de réaction rapide, capable de réagir au plus vite en cas d’urgence ? Plus globalement, cette crise a-t-elle permis de revalider la présence de forces prépositionnées dans la région, avec, là aussi, un retour d’expérience ? On s’en doute, ce ne sera pas comme aujourd'hui. Ces forces ont été remises en cause à plusieurs reprises. Mais aujourd’hui, beaucoup voient leur intérêt, avec bien sûr la souplesse et l’adaptation nécessaires. Cela étant, il serait intéressant que le principe de la présence de telles forces soit réaffirmé.
Si l’action de la France peut être décisive, toutefois elle ne peut et ne doit pas être la solution ultime. Nos troupes n’ont pas vocation à rester en nombre et durablement sur le territoire malien, et nous en sommes tous d’accord. Le Nord-Mali représente une superficie grande comme une fois et demie la France, alors que l’ensemble constitué par le Sahara et le Sahel s’étend sur le territoire de neuf pays.
C’est donc bien la coopération régionale entre ces pays – je songe notamment à la coopération avec l’Algérie – qui pourra permettre de traiter globalement ces défis sécuritaires. Je n’oublie pas non plus le problème lancinant posé par le trafic de drogue dans la région, qui a certainement précipité, et depuis longtemps, le destin malien.
Les forces africaines doivent également accélérer leur déploiement. Alors que le Tchad, dont les forces ont une nouvelle fois démontré leur valeur lors de cette opération, vient de décider un retrait progressif du Mali, quid des autres pays de la région, en particulier de la Mauritanie ? Les forces africaines seront-elles assez nombreuses, bien équipées et suffisamment formées pour prendre le relais des troupes françaises, et quel sera le rythme retenu ? Des doutes subsistent, d’autant que la reconstruction de l’armée malienne est un vaste chantier, à l’heure où seulement quelques centaines d’hommes, au demeurant présents et courageux, nous le savons, seraient réellement opérationnels en son sein.
Le deuxième défi concerne la situation politique. La résolution 2085 du Conseil de sécurité exige la reprise d’une vie politique démocratique et fixe le cadre de ce processus politique. L’enjeu est de taille, car, depuis plusieurs années, la vie politique s’est dégradée. L’élection présidentielle prévue au mois de juillet prochain constitue la clef de voûte pour enclencher un processus politique, eu égard à la véritable faillite de l’État malien que nous avons vu se déliter sous nos yeux au fil des années. Ainsi pourra être conférée une grande légitimité au pouvoir malien, qui en a bien besoin. La bonne tenue de ce processus électoral est un préalable indispensable à toute solution durable.
Les revendications des Touareg, à l’origine en partie de la déstabilisation du Mali, seront également parmi les questions principales à régler. Bien que ne représentant actuellement que 4 % de la population malienne, les Touareg et leurs différentes composantes, dont le MNLA, notamment, continuent de marquer leur opposition au pouvoir central de Bamako. L’exemple de la situation à Kidal a été cité à plusieurs reprises.
Un dialogue pourrait s’établir dans le cadre de la commission « Dialogue et réconciliation », dont la création a été officialisée par le président malien au mois de mars dernier. Encore faudra-t-il que celle-ci soit acceptée par la population malienne.
Le troisième et dernier défi concerne le développement du Mali. Selon la formule consacrée, « pas de sécurité sans développement » et vice versa. L’action militaire française ne pourra finalement être justifiée que si elle permet de créer les conditions pour entamer une véritable politique de développement, prélude à l’établissement d’une sécurité globale.
Le Mali est classé parmi les dix pays les plus pauvres de la planète, comme l’ont fait remarquer les différents orateurs. Lutter contre l’insécurité implique ainsi le développement de programmes peut-être plus pertinents à destination de la population malienne.
Nous sommes quelques-uns à bien connaître le Mali et nous pouvons nous faire de nombreux reproches mutuels. Nous devons tous balayer devant notre porte, si je puis dire, et depuis longtemps. Il y aurait beaucoup à dire sur les politiques structurelles, sur la destination de l’aide. Soyons un peu positifs. D’aucuns évoquaient la coopération décentralisée. Grâce à elle, j’ai connu la situation du Mali, notamment celle du Nord-Mali, pendant vingt ans. Monsieur le ministre, vous avez d’ailleurs organisé une opportune réunion à Lyon, afin de remobiliser les troupes, si je puis dire. Certes, la coopération décentralisée n’est pas la panacée et des erreurs ont été commises. Mais par son biais, nous avons pu mener le meilleur de nos politiques de développement – je pense notamment aux domaines rural et agricole –, grâce à la coresponsabilité.
Je ne reviendrai pas sur le rendez-vous du mois de mai. Tout a été dit. Sur cet enjeu financier extrêmement important, le compte n’y est pas. Nous comptons sur vous pour maintenir la pression.
En conclusion, un retour de la paix et de la stabilité au Mali et dans la région nous semble envisageable par une action combinée dans ces trois domaines – sécuritaire, politique et développement. La France a bien évidemment un rôle important à jouer aux côtés de nos amis maliens, mais nous comptons également beaucoup sur l’Union européenne.
Je ne suis pas revenu sur l’absence de réaction commune des pays européens lors de cette crise. Ce fut une occasion ratée pour l’Union européenne. Là aussi, nous aurions pu démontrer ce qu’est une véritable Europe de la défense.
Certes, c’est à la France que les Maliens ont fait appel dans l’urgence, et pour cause ! Mais dans la perspective de sa « Stratégie pour le développement et la sécurité au Sahel » adoptée en 2011, l’Union européenne pourrait apporter toute son expertise civile dans la reconstruction de l’État malien avec un volet de développement économique et social.
Plus généralement, afin d’éviter que d’autres drames comme celui qui a eu lieu au Mali n’interviennent dans les prochaines années, l’intérêt sécuritaire et économique de l’Union européenne ne serait-il pas, à l’instar des Américains et de leur plan Marshall pour l’Europe après la Seconde Guerre mondiale, de lancer un programme analogue en direction de toute l’Afrique, terre de développement, de croissance, de convoitise aussi, mais également d’opportunités partagées ? Un véritable partenariat euro-africain en quelque sorte.
Messieurs les ministres, vous l’aurez compris, au-delà de ces interrogations, à propos desquelles vous ne manquerez pas, je l’espère, d’apporter des précisions, le groupe UDI-UC votera en faveur de la prolongation de l’intervention de nos forces armées au Mali. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’intervention rapide et efficace de nos forces armées a rempli les objectifs fixés, le 10 janvier 2013, par le Président de la République. Elle a évité que la République du Mali ne disparaisse et ne soit remplacée par un sanctuaire terroriste où AQMI aurait tenu les premiers rôles. C’eût été une victoire pour le djihadisme global et une défaite non seulement pour la France, mais aussi pour l’Afrique tout entière, pour l’Europe et pour la cause de la démocratie dans le monde. En quelques semaines, nos forces armées ont infligé des pertes sévères aux groupes terroristes armés et repris le contrôle des villes du Nord et de l’intégralité du territoire malien.
Le groupe RDSE s’associe à l’hommage rendu par le Premier ministre à nos soldats. Ils ont fait preuve d’une remarquable capacité de réaction : le 11 janvier, le lendemain de l’intervention présidentielle, ils stoppaient l’avancée des groupes terroristes entre Djabali et Konna. Le 30 janvier, Kidal, au Nord, était reprise et enfin Tessalit, le 7 février. Tout cela en moins d’un mois ! L’opération Panthère, lancée le 19 février dans l’Adrar des Ifoghas, touche aujourd’hui à son terme. Cette brillante guerre de mouvement a illustré une parfaite intégration des différentes unités engagées.
Je tiens à rendre hommage à nos soldats. Ils ont bien mérité de la République ! Je m’incline devant ceux qui sont tombés. Je n’oublie pas non plus les soldats tchadiens, qui ont eux aussi montré leur valeur et dont une trentaine sont morts au combat.
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. J’aimerais aussi rendre un hommage particulier au ministre de la défense pour la manière simple et directe dont il s’est acquitté de sa tâche, sur le terrain, au contact des hommes, mais aussi au Parlement, en associant étroitement les parlementaires à l’action en cours. (M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit.) Mes remerciements vont bien évidemment aussi au ministre des affaires étrangères, dont je mesure aujourd’hui la rudesse de la tâche, ainsi qu’au Premier ministre, qui a réuni à plusieurs reprises les représentants des groupes parlementaires.
La phase proprement militaire s’achève, et le Gouvernement a pu annoncer un début de retrait de nos troupes. Nous nous en réjouissons. Ce n’est pas le sujet du débat, mais je tiens à saluer l’arbitrage rendu par le Président de la République sur le budget de la défense. Ainsi, 31,4 milliards d'euros y seront consacrés en 2014. Sinon, c’eût été le déclassement stratégique de la France, la perte d’un « avantage comparatif » inestimable, en Europe et dans le monde.
Bien sûr, nul ne pourrait prétendre que le terrorisme est aujourd’hui éradiqué ; c’est pourquoi les sénateurs du groupe RDSE autoriseront, bien entendu, la prolongation de l’intervention des forces armées françaises au Mali. Mais le danger, immense, a été écarté.
Cette intervention n’a été en aucune manière – faut-il le répéter ? – une ingérence dans les affaires intérieures d’un autre pays. Elle s’est faite à l’appel des autorités légitimes du Mali, en application de l’article 51 de la Charte des Nations unies et avec l’approbation du Conseil de sécurité. C'est pourquoi le soutien national n’a pas fait défaut, ni non plus le soutien international, en dehors de quelques propos vite retirés de quelques responsables – ou plutôt irresponsables – sans doute égarés par une conception étroite et bornée de la religion, trop souvent hélas détournée à des fins politiques.
Le plus difficile maintenant reste à faire, et cette tâche vous incombe pour l’essentiel, monsieur le ministre des affaires étrangères. Nous connaissons votre talent. Il aura à s’exercer dans les arcanes de la vie politique et de la société maliennes, mais aussi de l’ONU, de OUA, de la CEDEAO, sans parler de l’Union européenne, dont le soutien est resté pour le moins « cantonné », selon l’euphémisme du rapport que Gérard Larcher, qui coprésidait avec moi le groupe de travail sénatorial, et moi-même avons fait approuver à l’unanimité par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous l’intitulé « Mali : comment gagner la paix ? ».
Je me bornerai à souhaiter que l’Union européenne, faute d’avoir manifesté sa pleine solidarité sur le plan militaire, la manifeste sur le plan financier. Peut-être pourriez-vous nous éclairer sur ce que vous attendez de la conférence de Bruxelles du 15 mai : quel plan de reconstruction de l’État malien, quel plan de développement du Sahel ? Et à combien estimez-vous le montant qui sera nécessaire chaque année ? Sans développement, pas de sécurité, et réciproquement. Une politique de prévention coûtera toujours moins cher que de nouveaux conflits, aisément perceptibles à l’horizon.
Je ne développerai pas les dix principales recommandations du rapport de la commission des affaires étrangères et de la défense. Le président Larcher l’a fait avec talent, en mettant l’accent sur les aspects proprement politiques.
Comme je le relevais déjà lors du débat du 16 janvier dernier, c’est le facteur temps qu’il nous faut maîtriser. Le temps ne joue pas pour nous. Les pays du Sahel sont parmi les plus pauvres du monde. L’explosion démographique qui les caractérise, avec des taux de fécondité avoisinant sept enfants par femme, menace tous les efforts de développement que nous pourrons tenter pour enrayer les trafics de drogues et d’armes, qui engendrent souvent plus de revenus que l’agriculture pastorale.
L’ombre d’un islamisme régressif, dont les habitants de Gao et de Tombouctou ont pu avoir un avant-goût, s’étend sur toute l’Afrique de l’Ouest. Croyez-vous qu’Iyad Ag Ghali n’aurait pas trouvé à Bamako des soutiens pour proclamer sa version de la charia ? D’après les informations que Gérard Larcher et moi-même avons puisées à bonne source, une mosquée, une madrasa, serait construite chaque semaine au Mali. Il nous a été dit qu’une majorité wahhabite au Conseil des institutions islamiques de Bamako avait pu s’opposer au projet de code de la famille progressiste proposé en 2009 par le président Amadou Toumani Touré. La charia s’applique dans le droit personnel. Les islamistes rêvaient de la faire triompher en matière de droit pénal. À Dakar – le savez-vous ? – une chaîne télévisée francophone d’Al Jazeera va émettre prochainement.
Il est temps que se manifeste une vue d’ensemble sur les changements politiques qui interviennent entre Maghreb, Machrek, Moyen-Orient et Afrique subsaharienne. C’est l’une des recommandations du rapport de la commission des affaires étrangères. Il faut distinguer entre l’islam et l’islamisme politique, qui détourne la religion à des fins politiques. Force est de constater que celui-ci s’appuie souvent sur le salafisme, dont certains courants encouragent le djihadisme global et violent qui se place sur le terrain militaire et ne nous laisse guère le choix de la riposte.
Les priorités immédiates sont bien évidemment l’organisation de l’élection présidentielle et la réconciliation du sud et du nord du Mali. Ce n’est pas à la France, c’est au Mali qu’il revient de résoudre les problèmes du Mali.
L’élection seule peut fonder la légitimité. Quant à la réconciliation, elle est la condition de l’éradication durable du terrorisme. Les dirigeants de Bamako donnent quelquefois l’impression que le problème, à leurs yeux, ce n’est pas le terrorisme, ce sont les Touareg. Qu’il soit clair que l’intégrité territoriale du Mali n’est pas en cause.
Le désarmement du MNLA ne fait pas non plus question. Il doit intervenir selon des modalités à convenir dans le cours du processus de réconciliation. Il n’est guère douteux que les dirigeants du MNLA, sur lesquels pèse un mandat d’arrêt, ne désarmeront pas spontanément. Peut-être faudra-t-il, si les partenaires le demandent, la médiation de la France, dans l’intérêt du Mali tout entier. Il faut en effet dissocier durablement les populations des groupes terroristes armés. La lutte antiterroriste ne peut être menée par une armée étrangère. Il n’y a pas d’exemple d’une contre-insurrection réussie qui n’ait été menée par des forces autochtones.
Messieurs les ministres, l’armée malienne est à reconstruire. Est-on sûr d’avoir mis des moyens suffisants pour y parvenir ? Les 12,5 millions d’euros de crédits européens laisseront à la charge des principaux contributeurs, donc de la France, l’essentiel de l’effort. Aussi bien, fait-on une armée avec quatre bataillons ? Il est urgent de recalibrer l’effort : il faut à la fois l’augmenter et l’accélérer.
La MINUSMA ne se justifie que pour permettre la montée en puissance de forces armées maliennes reconstituées. Cela ne doit pas prendre cinq ans ! Le maintien d’une force de réaction rapide française, calibrée à 1 000 hommes, ne peut être indéfiniment prolongé. Le Gouvernement est sensible, j’en suis sûr, au risque de l’enlisement.
L’empreinte au sol doit être aussi limitée que possible, en s’appuyant, s’il le faut, sur les forces prépositionnées dans les pays voisins. L’objectif, c’est de contenir la menace terroriste en dessous d’un certain seuil et, le cas échéant, d’appuyer non la MINUSMA, mais les forces armées maliennes dans la lutte qu’il leur incombe de mener.
Un sénateur du groupe UMP. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. La France n’a pas vocation à rester éternellement au Mali. Il faut bâtir une architecture de sécurité à l’échelle du Sahel tout entier. Il faut y impliquer tous les États, en particulier le plus puissant d’entre eux, l’Algérie, avec son armée forte de 300 000 hommes. L’Algérie aussi a intérêt à la stabilité régionale.
M. Alain Richard. Très juste !
M. Jean-Pierre Chevènement. Elle qui a payé un si lourd tribut au terrorisme ne pourrait accepter l’instauration d’un « Sahelistan » à ses portes.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. L’Algérie a pris des décisions courageuses ; elle doit prendre, dans son intérêt même, toutes ses responsabilités dans l’organisation de la sécurité régionale, en plein accord avec la France. Le Président Hollande a souhaité, le 20 décembre 2012, à Alger, « ouvrir une nouvelle page dans les relations de l’Algérie avec la France ». C’est une occasion qui ne se représentera pas de sitôt dans notre Histoire.
Encore une fois, l’aspect politique au Mali est décisif. Aucun pays ne peut compter éternellement sur la solidarité internationale. La France a fait son devoir. J’aimerais que les autres, tous les autres, en Europe comme en Afrique, fassent le leur.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Le Mali, je le dis avec amitié, doit, comme tout autre peuple, apprendre à compter d'abord sur lui-même.
M. Gérard Longuet. C’est sûr !
M. Jean-Pierre Chevènement. J’espère de tout cœur qu’un patriotisme malien saura se manifester. (M. Gérard Longuet s’exclame.) C’est pourquoi, les yeux ouverts et selon les modalités définies par le Gouvernement lui-même, les sénateurs du RDSE voteront la prolongation de l’intervention des forces armées françaises au Mali. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.
Mme Kalliopi Ango Ela. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, en vertu de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution, le Sénat doit aujourd’hui autoriser la prolongation de l’intervention française au Mali, qui a débuté le 11 janvier 2013. En effet, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement doit soumettre sa prolongation à l’autorisation du Parlement.
Si je salue évidemment, avec les membres du groupe écologiste, le fait que le Parlement se prononce désormais par un vote sur une décision qui, avant 2008, relevait exclusivement du pouvoir exécutif, je regrette cependant que les contraintes de calendrier, et en particulier celles qui découlent de la suspension des travaux parlementaires, nous obligent à débattre avant même que l’ONU ne se soit prononcée sur la résolution autorisant la création de la MINUSMA. Je reviendrai d’ailleurs sur ce point important.
Je souhaite articuler mon intervention autour des trois phases qui me semblent essentielles dans ce débat : la phase militaire, dont j’espère qu’elle sera la plus brève possible ; la phase politique, c'est-à-dire la nécessaire reconstruction des institutions maliennes ; la phase économique et sociale, qui a trait aux importants défis de développement, enjeux d’une paix durable au Mali et pour les États du Sahel.
La question qui nous est posée aujourd’hui est celle de l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces armées françaises au Mali.
Le Gouvernement nous a fait savoir que le retrait des forces françaises du Mali, qui a déjà débuté, serait « progressif, sécurisé, et pragmatique » ; je cite les termes employés par notre ministre de la défense dans un communiqué datant d’il y a une dizaine de jours. Le Premier ministre a d'ailleurs confirmé voilà quelques instants ces objectifs, qui avaient été annoncés par le Président de la République. Sur les 4 000 militaires français environ qui seront présents au Mali à la fin du mois d’avril, il en restera 2 000 au mois de juillet et moins d’un millier à la fin de l’année. Le groupe écologiste encourage ce retrait, qui permet cependant de conserver une capacité d’action.
Notre groupe souhaite surtout que le bilatéral ne vienne pas préempter le multilatéral. En effet, la mission européenne EUTM Mali, composée de 200 formateurs, 150 soldats pour la force de protection, des personnels d’état-major, des unités médicales et du soutien logistique, a commencé début avril la formation d’unités de l’armée malienne. Cette mutualisation des savoirs et des compétences de chacun est essentielle au passage de relais.
Par ailleurs, l’intégration des forces africaines de la MISMA – en concertation avec nos partenaires maliens et l’ensemble des pays africains – à la MINUSMA, la mission intégrée de stabilisation multidimentionnelle des Nations unies au Mali, semble pouvoir bientôt aboutir. La résolution de l’ONU que j’ai évoquée devrait en effet pouvoir être adoptée autour du 25 avril ; elle instaurera un volet sécurité, développement et humanitaire. Il s’agit d’une opération consistante, avec un peu plus de 11 200 militaires et 1 440 policiers, ainsi que des experts civils. Son mandat consistera à appuyer les autorités maliennes dans la stabilisation du pays et à rétablir l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire. Elle devra également appuyer les autorités maliennes pour organiser les élections et mener à bien un dialogue national inclusif. Cela me conduit à aborder la deuxième phase, celle du temps politique.
Le rétablissement de l’État malien passe par la mise en place des conditions d’une refondation démocratique du Mali. Monsieur le ministre des affaires étrangères, lors de votre déplacement à Bamako, le 5 avril dernier, vous avez indiqué que vous aviez constaté la volonté des autorités maliennes d’engager sans tarder le processus politique et la préparation de l’élection présidentielle pour le mois de juillet, suivi d’un processus de réconciliation nationale. Les élections législatives devraient quant à elles intervenir avant la fin de l’année 2013. Je tiens à rappeler que la communauté internationale devra faire preuve de pragmatisme, et qu’il sera essentiel que les Maliens eux-mêmes adhèrent aux résultats de leurs élections. Il faudra également que soit prise en considération la question du retour des réfugiés, et qu’ils puissent participer à ce processus.
S’agissant de la réconciliation que nous appelons toutes et tous de nos vœux, il est essentiel qu’elle puisse se faire dans le respect de la diversité des populations maliennes, en intégrant toutes les ethnies et régions du pays sans se cantonner – comme ce fut trop souvent le cas – à un schéma réducteur d’opposition entre Bambaras et Touareg.
Je tiens ici à saluer, en particulier, la visite à Gao, le 11 avril dernier, du premier ministre malien de transition, M. Diango Cissoko. Ce déplacement constitue un acte symbolique extrêmement fort, participant également du processus de rétablissement de l’autorité de l’État, d’autant qu’il intervient au lendemain de la désignation des membres de la commission de dialogue et de réconciliation.
Cela témoigne bien sûr de la volonté des autorités maliennes de mener à bien un processus politique qui devra évidemment et impérativement être accompagné d’une phase de désarmement indispensable, notamment du MNLA.
La reconstruction politique de l’État malien devra aussi passer par le traitement judiciaire des atteintes aux droits humains constatées durant les conflits. Des enquêtes devront en effet être menées et toute la lumière devra être faite sur les accusations d’exactions ou de tortures qui auraient été commises, notamment par des soldats maliens. Human Rights Watch nous a en particulier alertés, via plusieurs communiqués publiés depuis le début de la guerre au Mali, sur la mort d’hommes en détention à Bamako voilà une dizaine de jours et, plus globalement, sur les atteintes aux droits de l’homme répertoriées depuis le début de l’année.
En outre, cette reconstruction politique et démocratique du pays devra nécessairement s’accompagner d’un renforcement de l’intégration régionale des États du Sahel, de façon à éviter la reconstitution d’une internationale du crime – trafics de drogues, d’armes, d’êtres humains… – et du terrorisme.
Ce mouvement a d’ailleurs été amorcé par le président du Tchad Idriss Déby quand il a relancé la CEN-SAD, communauté des États sahélo-sahariens, en février 2013.
Enfin, la phase du développement du Mali est évidemment essentielle pour gagner la paix. La reconstruction sociale et économique du pays passe tout d’abord par l’aide au développement, qui sera l’enjeu de la conférence du 15 mai prochain. Comme l’ont rappelé nos collègues Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher, dans un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense, et des forces armées du Sénat, plus particulièrement à la sixième recommandation dudit rapport, quatre défis sont posés : la nécessité d’une approche globale ; la coordination des bailleurs ; la capacité d’« absorption » de l’aide des Maliens ; l’équilibre politique entre développement du nord et du sud du Mali.
J’ajouterai que les enjeux de développement nécessitent aussi une mobilisation de tous les acteurs : l’État malien, bien sûr, mais également les élus locaux, les autorités et les chefs traditionnels, qu’on oublie souvent, la société civile, les ONG, la diaspora malienne et les Français établis au Mali, qui ont depuis le début apporté leur soutien au peuple malien.
S’agissant des chefs traditionnels, nous avons encore récemment pu noter le rôle important qui est le leur, notamment à l’occasion de la libération des otages français enlevés au Cameroun et détenus au Nigeria. Aux côtés des autorités camerounaises et nigérianes, ainsi que de notre gouvernement, ils ont su œuvrer pour trouver cette issue favorable. Je suis extrêmement heureuse d’évoquer aujourd’hui, comme M. le Premier ministre l’a fait au début de son intervention, le dénouement heureux de ce drame.
Aujourd’hui, la France est donc pleinement engagée avec l’Union européenne pour le développement du Mali, comme l’a rappelé à plusieurs reprises M. le ministre chargé du développement. Au-delà, c’est l’ensemble de la communauté internationale qui devra se mobiliser en faveur d’un réel développement du Mali. Nos objectifs de développement devront bien sûr concerner non seulement l’ensemble du territoire malien, mais aussi l’ensemble de la région sahélienne.
Le groupe écologiste sera extrêmement attentif à cette étape essentielle en faveur d’une paix durable au Mali, qui devra tenir compte des priorités en termes d’accès, notamment, à l’eau, à l’alimentation, aux soins, à la santé et à la scolarisation des enfants.
Mon collègue Joël Labbé, président délégué du groupe France-Afrique de l’Ouest pour le Mali, tenait à ce que je puisse ici évoquer l’importante question du développement agricole, nécessaire remède à la pauvreté rurale et à la faim, qui restent malheureusement des réalités au Mali.
Il m’a, en particulier, chargé de rappeler que des villages entiers sont rachetés par des entreprises et que des violences sont commises contre les paysans qui refusent d’abandonner leurs terres.
Le ROPPA, réseau des organisations paysannes et de producteurs d’Afrique de l’Ouest, est une association qui tire, depuis plusieurs années déjà, la sonnette d’alarme. Elle a d’ailleurs déposé plainte en 2012 auprès des autorités maliennes, et auprès de la cour de justice de la CEDEAO, à la suite de l’accaparement des terres d’un village entier, nommé Samandougou. Le gouvernement s’est défendu en indiquant que la terre appartenait à l’État malien et qu’il pouvait donc en disposer.
L’accaparement des terres agricoles constitue une pratique inique contre laquelle il faut lutter activement.
Comme vous l’aurez compris, les membres du groupe écologiste souhaitant qu’une paix durable puisse s’instaurer au Mali, ils voteront pour la prolongation de l’intervention française en espérant que la phase militaire laissera rapidement place à une phase de reconstruction politique et de développement économique et social durable. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et sur quelques travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou.