M. Joël Guerriau. Ce n’est que du spectacle !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous remercie de cet hommage chaleureux, même si je n’ai pas terminé mon propos.
Je reçois votre geste avec beaucoup de gratitude. Je sais qu’il vient de sénateurs très attachés au travail mené par la Haute Assemblée sur les questions sociales.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et les sénatrices ? Il n’y a pas que des hommes sur ces travées !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela ne saute pas aux yeux en regardant vos travées, madame Des Esgaulx ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous êtes mal placée pour dire cela ! Cela suffit, la théorie du genre !
M. Jean-Pierre Caffet. Arrêtez sur ce thème, vous qui tenez à dire : « Mme le sénateur » !
M. le président. Mes chers collègues, laissez s’exprimer Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Des Esgaulx, vous me cherchez inutilement querelle, car j’utilise systématiquement la formule « mesdames, messieurs les sénateurs ».
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais cette fois, vous ne l’avez pas utilisée ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. François Rebsamen. Elle n’est pas agréable !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je voulais donc vous dire toute ma gratitude pour votre hommage. Je sais le sérieux avec lequel vous avez travaillé à la préparation de ce texte de loi. Je sais le temps et l’énergie que vous y avez consacrés.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous aussi !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je sais également combien, depuis le début de nos débats, vous brûlez d’intervenir !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous aussi ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous souhaiteriez répondre et argumenter, et je sais que vous le feriez brillamment ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Je sais le sacrifice que vous consentez en gardant le silence !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Caffet. Nous nous en privons pour vous aider, madame la garde des sceaux !
M. Jean-Claude Lenoir. On les empêche de parler, en réalité !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je tiens donc à vous exprimer toute ma gratitude, à vous qui cédez ainsi votre temps de parole à l’opposition afin de nous permettre d’avancer, afin que la Haute Assemblée et le Gouvernement puissent se consacrer rapidement à d’autres tâches. Vous avez toute ma reconnaissance personnelle.
Monsieur Retailleau, je voudrais terminer mon intervention en répondant à vos observations relatives à l’incompétence négative.
Je ne sais plus si vous avez indiqué précisément que le texte ne modifiait pas les articles 57 et 354 du code civil, mais c’est un fait. Vous avez évoqué l’incompétence négative en reprochant au législateur de ne pas épuiser le champ de sa responsabilité, en l’occurrence de ne pas aller jusqu’à l’élaboration de l’état civil. Mon résumé est-il clair ? (M. Bruno Sido rit.) Si j’ai mal compris, je vous fais confiance pour me le faire savoir en posant de nouveau la question. D’ailleurs, ce sera sans doute le cas même si j’ai bien compris !
Ces articles 57 et 364 précisent les éléments contenus dans les déclarations d’état civil. C’est à dessein que ni l’Assemblée nationale ni la commission des lois du Sénat ne les ont modifiés.
Le législateur est en effet chargé des règles qui relèvent du code civil – et celles-ci sont bien élaborées au Parlement –, non de leur format ou de leur présentation. Ces éléments de détail sont d’ailleurs régis par la dernière circulaire générale relative à l’état civil, qui date d’octobre 2011 et qui a été élaborée sous la responsabilité de la précédente majorité. Il n’y a donc aucune incompétence négative de la part du législateur en la matière. Ce dernier porte son action aussi loin qu’il le doit et n’empiète pas inutilement sur la responsabilité, plutôt que sur le pouvoir, du règlement. Il a bien raison, d'ailleurs !
Il est certes déjà arrivé que le législateur piétine le pouvoir réglementaire. En qualité de parlementaires, nous avons tous été conduits à le grignoter un peu. Je l’ai moi-même fait… (Oh ! sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Toutefois, ce fut toujours en argumentant et en expliquant quelle nécessité m’y poussait. En effet, l’exécutif met parfois de la mauvaise volonté à avancer et laisse s’installer une certaine inertie, qui contraint le législateur soucieux de l’aboutissement de son travail à outrepasser quelque peu les limites de son périmètre.
Par ailleurs, vous évoquez les ordonnances pour expliquer pourquoi et comment le législateur se placerait en situation d’incompétence négative. Or, monsieur Retailleau, les ordonnances, telles qu’elles sont prévues dans le texte qui vous est soumis, ne concernent aucunement ces règles-là !
Je vous rappelle qu’elles relèvent du choix fait par la commission des lois de remplacer la disposition interprétative qui avait été introduite par l’Assemblée nationale, trivialement appelée « article balai », par une disposition générale qui prévoit que les effets et les obligations de droits sont identiques, que les époux ou parents soient de sexe différent ou de même sexe. La commission des lois a souhaité habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance dans les six mois des dispositions qui concernent non pas les règles, mais la coordination nécessaire des textes.
Souvenez-vous, la première rédaction choisie par le Gouvernement pour ce texte consistait à procéder de façon exhaustive à toutes les coordinations nécessaires dans le code civil et dans les autres codes, lois et ordonnances.
L’Assemblée nationale a fait un autre choix, puis votre commission des lois en a fait un troisième, en privilégiant une disposition générale adossée à une habilitation gouvernementale. Nous ne sommes donc pas dans une situation d’incompétence négative !
Pour finir, je regrette vivement de ne pas avoir de citation à proposer à Mme Des Esgaulx. (Sourires sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.) Je suis vraiment navrée qu’elles vous déplaisent tant, madame la sénatrice.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais pas du tout !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est peut-être un peu égoïste, mais elles me font plaisir, comme en général à ceux qui les entendent. Je n’ai d’ailleurs aucun mérite, car elles ont été écrites par de très grands auteurs dont je suis heureuse de partager les mots avec vous.
M. Vincent Eblé. Nous, nous les adorons !
M. Jean-Pierre Raffarin. Mais vous êtes très bien quand vous êtes vous-même, madame la garde des sceaux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous en ferai cadeau lors d’une prochaine intervention ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. ― Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.)
Mise au point au sujet d’un vote
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, hier soir, lors du scrutin public n° 148 sur l’article 1er du projet de loi, et alors même que j’étais présent en séance, j’ai été comptabilisé par erreur comme votant pour.
Or, conformément à mon opposition ancienne à ce projet de loi, je souhaitais voter contre l’article 1er. Je reste donc bien solidaire de mes collègues non inscrits et j’espère que nos collègues de la majorité n’en seront pas trop affectés ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Article 1er bis (suite)
M. le président. Sur ‘article 1er bis, je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 174 rectifié ter est présenté par MM. Zocchetto et Détraigne, Mme Gourault, MM. Mercier et Pozzo di Borgo, Mme Morin-Desailly, MM. Amoudry, Arthuis, J. Boyer, Delahaye, Marseille, Bockel, Dubois et J.L. Dupont, Mme Férat, MM. Maurey, Merceron, Namy, Roche, Tandonnet et Guerriau, Mme Létard et M. de Montesquiou.
L'amendement n° 210 rectifié est présenté par MM. Milon et Pinton.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Françoise Férat pour présenter l'amendement n° 174 rectifié ter.
Mme Françoise Férat. Voici venu le moment de confirmer nos positions.
En l’état actuel du droit, le code civil permet l’adoption plénière de l’enfant du conjoint dans trois cas : lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint, lorsque l’autre parent que le conjoint s’est vu retirer totalement l’autorité parentale, enfin, lorsque l’autre parent que le conjoint est décédé et n’a pas laissé d’ascendants au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l’enfant.
L’article 1er bis du texte vise à permettre l’adoption plénière de l’enfant du conjoint dans un quatrième cas : lorsque l’enfant a déjà fait l’objet d’une adoption plénière par ce seul conjoint.
Les dispositions de l’article 1er bis sont liées à l’ouverture de l’adoption aux couples de personnes de même sexe. Cet article nous est présenté comme une simple précision pour éviter des interprétations divergentes de la loi. Or, s’il peut également s’appliquer aux couples composés d’un homme et d’une femme, il anticipe en réalité l’ouverture de l’adoption aux couples de personnes de même sexe.
Il vise à permettre l’adoption non simultanée par un couple homosexuel marié, donc à faire de l’adoption intrafamiliale le moyen privilégié pour établir un lien de filiation entre un enfant et deux adultes du même sexe.
Comme nous sommes opposés à l’ouverture de l’adoption aux couples homosexuels, nous proposons la suppression de cet article 1er bis. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour présenter l'amendement n° 210 rectifié.
M. Alain Milon. Si nous proposons également de supprimer cet article, M. Louis Pinton et moi-même ne partageons pas les motivations exprimées par Mme Férat.
Nous considérons que l’adoption plénière ne peut être prononcée au bénéfice d’un couple homosexuel dans la mesure où cela entraînerait une rupture nette dans la filiation. L’adoption plénière entraîne en effet la suppression complète des origines et de la filiation naturelle, issue d’un père et d’une mère.
Nous préférons mettre en place une adoption simple, qui n’entraîne pas de rupture de la filiation biologique et qui permettrait ainsi à l’enfant de ne pas subir la suppression complète de ses origines. Je présenterai des amendements dans ce sens par la suite.
Cela dit, je voudrais revenir rapidement sur certains des propos émis par mes collègues pour leur rappeler que, si la GPA n’existe pas en France, la PMA, elle, est pratiquée tous les jours au profit de couples stériles ou non fertiles. Mes chers collègues, je souhaite que vous ne vous disiez plus opposés à la PMA, mais, à la rigueur, et bien que ce ne soit pas mon opinion, opposés à la PMA de convenance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. ― Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Michel Le Scouarnec applaudissent également.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission est opposée à ces amendements de suppression. Dans ce projet de loi, aucun article n’évoque l’adoption plénière, car le mariage en accorde ipso facto la possibilité aux couples mariés.
Mme Françoise Férat. C’est toute l’astuce !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Que contient cet article ? Il apporte une précision, ce dont François Zocchetto était d’ailleurs convenu en commission des lois. Il vise à protéger la règle qui interdit la double adoption tout en ouvrant la possibilité d’adopter l’enfant précédemment adopté par son conjoint. Un enfant ne peut donc avoir que deux parents adoptifs, un point c’est tout ! Étant hostiles à l’adoption plénière, vous vous opposez à cette précision. Toutefois, il ne s’agit ici que de cela.
Bien sûr, nous sommes également défavorables au second amendement de suppression, même si ses motivations sont différentes, puisque M. Milon est hostile à l’adoption plénière, mais semble favorable à l’adoption simple. Nous évoquerons cette dernière à l’article suivant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, sans doute n’est-il pas utile de rappeler de nouveau la différence entre l’adoption simple et l’adoption plénière : après avoir été auditionnée moi-même, j’ai lu les comptes rendus des auditions menées par la commission, lesquelles accordent une large place à cette question. Chacun connaît ces deux dispositifs et, surtout, en mesure les conséquences respectives.
L’Assemblée nationale a introduit des modifications que la commission des lois a corrigées en vue d’éviter une pluri-parentalité. Nous considérons que le travail réalisé par la commission des lois élimine ce risque.
L’adoption plénière soulève cette question, dont je peine à exprimer les termes, car les mots qui me viennent à l’esprit me semblent tous quelque peu agressifs : en effet, elle supprime, élimine, gomme ou efface la filiation qui précédait. En revanche, l’adoption simple s’inscrit dans la filiation qui existait au préalable.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ça recommence !
M. Jean-Pierre Caffet. Et c’est reparti ! PMA, GPA, etc. !
Mme Marie-Thérèse Bruguière. En ce qui concerne l’adoption, ce projet de loi va créer des inégalités entre les enfants : certains ne seront pas adoptables, d’autres le seront par adoption simple, d’autres encore le seront par adoption plénière.
En l’état actuel du droit, le code civil permet l’adoption plénière de l’enfant du conjoint dans trois cas : premièrement, lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint ; deuxièmement, lorsque l’autre parent que le conjoint s’est vu retirer totalement l’autorité parentale ; troisièmement, et enfin, lorsque le conjoint du parent est décédé sans laisser d’ascendants au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l’enfant.
L’article 1er bis a pour objet de permettre l’adoption plénière de l’enfant du conjoint dans un quatrième cas : lorsque celui-ci a déjà fait l’objet d’une adoption plénière par ce seul conjoint.
Si cet article nous est présenté comme une simple précision destinée à éviter des interprétations divergentes de la loi, ses auteurs souhaitent en réalité rendre possibles des adoptions intrafamiliales au sein de familles homoparentales dans lesquelles la filiation des enfants n’est établie, par la voie de l’adoption, qu’à égard de l’un des deux parents.
Aussi, cette disposition anticipe l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe. Nous y sommes donc opposés, en l’état actuel du droit. Mieux vaut traiter de ces situations via une loi future sur la famille, et plus particulièrement sur l’adoption. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Tout en répondant à Mme la ministre chargée de la famille, je souhaite livrer, en tant que président du conseil général de la Marne, un témoignage sur une situation que nombre de nos collègues connaissent bien.
Vous le savez, les départements ont à gérer les difficultés des enfants. Les compétences de l’enfance et de la famille sont véritablement dévolues aux conseils généraux.
M. René-Paul Savary. Vous savez combien nous nous efforçons de mener ces missions, avec le soutien des travailleurs sociaux, naturellement, et en insistant sur la dimension humaine tout à fait nécessaire au traitement de ces difficultés.
À cet égard, on voit bien l’ensemble des difficultés qu’éprouvent les familles déstructurées que nous rencontrons et que les travailleurs sociaux dirigent vers nous.
Vous le savez, les conseils généraux ont également la responsabilité du tutorat pour les enfants qui sont retirés à leur famille. Pour ce qui concerne le département de la Marne, ce sont plus de 1 300 enfants qui sont placés sous ma responsabilité. C’est la raison pour laquelle les leçons de Mme Bertinotti sont, à mon sens, difficiles à entendre. (M. Vincent Eblé s’exclame.)
M. Jean-Jacques Mirassou. La vérité est parfois cruelle !
M. René-Paul Savary. Quoi qu’il en soit, j’en reviens au problème de l’adoption. Celle-ci fait l’objet de règles de droit et, dans ce cadre, comme tous les départements, la Marne dispose d’une commission qui accomplit un travail particulièrement important.
Je le rappelle, à ce jour l’article 346 du code civil précise que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes, si ce n’est par deux époux.
Mme Dominique Gillot. Certes !
M. René-Paul Savary. De plus, en France, la législation sur l’adoption est stricte concernant les conditions d’accueil. Elle réserve prioritairement l’adoption à des couples mariés et engagés dans la durée. Ce processus exige une solidité particulière pour celles et ceux qui ont à accueillir ces enfants, dont la souffrance est parfois inévitable.
Madame la ministre chargée de la famille, la force des projets parentaux est, bien sûr, tout à fait décisive dans les décisions qui sont prises.
L’ouverture à l’adoption pour les couples de même sexe fait croire à un droit à l’enfant et occulte parallèlement les droits de l’enfant.
Comme beaucoup et sans doute même comme l’ensemble de mes collègues ici présents, je considère l’enfant comme un don, et non comme un dû ! (M. le rapporteur manifeste sa lassitude.) L’adoption doit donc rester un droit de l’enfant, et non un droit des adultes.
Vous avez mentionné les chiffres de l’adoption à l'échelle nationale. Si vous me le permettez, je déclinerai, sur le plan local, le nombre d’agréments et le nombre d’enfants adoptés.
Pour ce qui concerne le département de la Marne, de taille médiane, 48,6 demandes d’agrément ont été formulées chaque année en moyenne entre 2008 et 2012, dont 37,2 exprimées par des couples, 4 adressées par des personnes seules vivant en couple et 7,4 émises par une personne célibataire.
Parallèlement, pour ce qui concerne la réalisation de ces projets d’adoption, à savoir le nombre d’enfants adoptés, la moyenne s’élève à 17,8 par an, dont 7 enfants pupilles de l’État, avec un minimum de 11 par an et un maximum de 24, tous enfants confondus, le nombre de pupilles se limitant parfois à 4.
Bref, en moyenne, il y a trois fois plus de demandes d’agrément que d’adoptions. De surcroît, rappelons que la procédure d’agrément nécessite un délai de cinq ans et qu’elle laisse beaucoup de parents déçus !
Dans cette affaire, il faut donc prendre en compte l’ensemble de ces préoccupations, d’autant que certains pays ont déjà prévu de réduire le nombre des adoptions conclues avec la France, parfois même de rompre les autorisations existant dans ce domaine, si ce projet de loi est voté.
On le voit bien, le problème se pose ; il faut l’appréhender à sa juste mesure. C’est la raison pour laquelle, si je puis concevoir l’adoption simple de l’enfant d’un conjoint, il me semble personnellement impossible d’aller plus loin, compte tenu de la manière dont ce projet de loi est tourné.
De fait, l’adoption plénière gomme la filiation, comme Mme la garde des sceaux l’a souligné. À mon sens, si la législation allait plus loin dans ce sens, elle conduirait à une véritable destruction de la filiation.
Voilà pourquoi je ne pourrai voter cet article.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Cet article est très différent du précédent. En effet, l’article 1er traitait de la vie en couple, c'est-à-dire d’une existence choisie par des adultes. Ici, nous parlons d’adoption, c'est-à-dire d’une vie imposée par des adultes à des enfants. Il s'agit là d’une différence fondamentale.
Madame la ministre, vous l’avez indiqué il y a quelques instants, dans notre pays, il est possible qu’un célibataire adopte un enfant. Dont acte. Effectivement, lorsque ce célibataire se met en couple avec une personne de sexe opposé, l’adoption est possible. Aujourd’hui, lorsque ce célibataire se met en couple avec une personne de même sexe, l’adoption plénière ou simple n’est pas possible.
Vous le savez, je défends l’enfance depuis de nombreuses années. À cet égard, il me semble impensable qu’un enfant puisse dire : « J’ai deux papas » ou : « J’ai deux mamans ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. Marc Daunis. C’est reparti !
Mme Françoise Laurent-Perrigot. Pitié !
Mme Isabelle Debré. Chers collègues de la majorité, je fais toujours preuve de beaucoup de respect lorsque vous vous exprimez. Laissez-moi, s’il vous plaît, m’expliquer à mon tour et poursuivre mon propos !
A contrario, il est tout à fait possible à mes yeux qu’un enfant dise : « J’ai un papa et le compagnon de mon papa » ou « J’ai une maman et la compagne de ma maman. » Je n’ai jamais mis en doute la capacité, pour un couple homosexuel, d’élever un enfant. Ces couples peuvent effectivement apporter de la sécurité, de l’affection et de l’éducation. Là n’est pas le problème.
Mme la ministre l’a souligné avec raison, il est ici question des droits de l’enfant. Dans ce cadre, il me semble également nécessaire d’évoquer les devoirs des adultes.
Aujourd’hui, lorsqu’un enfant fait l’objet d’une adoption plénière de la part d’un célibataire, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, et que celui-ci se met en couple avec une personne de même sexe, l’enfant devient de facto orphelin s’il arrive par malheur un accident à l’adoptant. Ce n’est pas acceptable ! Il faut non seulement donner des droits à de tels enfants, mais aussi des devoirs aux personnes qui les ont élevés des années durant.
Il est impensable que le conjoint ou la conjointe du parent adoptant ne puisse continuer d’exercer ses devoirs vis-à-vis de l’enfant, et que l’enfant ne puisse pas avoir des droits à l’affection et à la poursuite de son éducation.
L’adoption simple répond parfaitement à ce problème. Il est donc d’autant moins concevable de légiférer ainsi, immédiatement !
Nous pouvons parfaitement attendre, comme le propose le doyen Gélard, l’examen de la prochaine loi sur la famille ; nous pouvons supprimer le présent article ; nous pouvons privilégier l’adoption simple. Quoi qu’il en soit, l’adoption plénière n’est pas possible.
Par ailleurs, je tiens à soulever un autre problème.
Depuis le début de nos débats, Mmes les ministres et nos collègues de la majorité nous parlent d’égalité. Mais où est l’égalité ? Prenons le cas de deux enfants confiés à une famille d’accueil, le premier à une famille homosexuelle, le second à une famille hétérosexuelle.
Je le répète, je ne remets jamais en doute la possibilité que ces enfants reçoivent une excellente éducation des deux côtés. Là n’est pas la question ! Le problème, c’est celui des repères.
Aujourd’hui, on connaît des enfants parfaitement bien élevés par des couples homosexuels. Toutefois, leurs repères ne sont pas les mêmes : les enfants ont besoin de savoir qu’ils ont été conçus – jusqu’à nouvel ordre ! – par un homme et par une femme.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Qu’est-ce qui empêche de le leur dire ?
Mme Isabelle Debré. À mes yeux, il est donc inconcevable que deux personnes puissent se dire pères ou mères d’un même enfant. Voilà pourquoi je m’oppose à l’adoption plénière par les deux conjoints. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Avant tout, je souligne que je souscris pleinement à l’interprétation juridique, tout à fait cohérente, avancée par Mme la garde des sceaux il y a un instant.
De fait, si l’on entre dans le régime du mariage, il convient d’en dérouler la logique jusqu’au bout : il n’est pas possible d’instituer le mariage sans l’assortir de l’adoption. L’adoption par le conjoint est en effet l’un des éléments constitutifs de ce régime. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, étant en désaccord avec l’adoption par les couples de même sexe, je suis également en désaccord avec le mariage pour ces derniers.
Chacun d’entre nous a ses cohérences propres. Du moins pouvons-nous partager une même interprétation du droit en la matière. Celle-ci me semble, au surplus, tout à fait exacte.
Cela étant, je me distingue de Mme la garde des sceaux quant à l’appréciation qu’elle fait des chances, ou des risques – le terme varie selon l’approche que l’on adopte au sujet de cette probabilité ! – que la CEDH nous contraigne à aller plus loin en matière d’assistance médicale à la procréation si nous entrons dans le régime du mariage, et cela pour une raison très simple : avec ce système, nous inscrirons dans la loi le principe d’une équivalence absolue de la parenté au sein des couples de même sexe et des couples composés de personnes de sexe différent.
La notion même de parenté évolue. On ne limite plus le mariage au lien du sang, pour employer une expression qui figure dans le code civil. On affirme que la parenté va au-delà de ce lien. Voilà pourquoi, dans le code civil tel qu’il résulterait de l’adoption du présent texte, la définition de la parenté serait la même pour les couples homosexuels et hétérosexuels.
Néanmoins, si ces deux réalités ne sont pas différentes, pourquoi, lorsqu’il s’agit d’adopter l’enfant de son conjoint, la reconnaissance de la parenté supposerait-elle, dans un cas, un acte juridique et, dans l’autre, via l’application de la présomption de paternité, un strict automatisme ?
Il y aura des revendications, qui auront leur cohérence. La Cour européenne des droits de l’homme, prenant acte de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe dans notre pays, nous obligera à aller au bout de notre logique. Dans la mesure où, par essence, la parenté est la même dans les deux types de couples, elle nous imposera d’instituer une reconnaissance identique de cette parenté.
Sans qu’il soit besoin de se poser la question de savoir si l’on peut, ou non, recourir à l’insémination artificielle en France, de très nombreux enfants naissent au sein de couples de femmes d’une insémination pratiquée à l’étranger. Ce moyen est déjà largement utilisé. L’adoption automatique par le conjoint, avalisée par un jugement d’adoption, permettra d’établir la parenté de l’épouse de la mère à l’égard de l’enfant. C’est une évidence !
Cette disposition est portée dans le texte ; on ne peut pas la nier. On peut simplement dire si l’on est pour ou contre. Le texte, dans sa rédaction actuelle, traite juridiquement, même si c’est de manière implicite, de la question de l’assistance médicale à la procréation.
De ce point de vue, madame la garde des sceaux, dans l’intérêt même de l’interprétation qui sera donnée à votre texte, s’il est adopté, il serait tout à fait judicieux que vous proclamiez et assumiez votre position : l’assistance médicale à la procréation aura des effets de droit, dans la mesure où elle permettra un jugement d’adoption pour l’épouse de la mère. C’est simple, c’est clair et c’est inscrit dans la logique juridique de votre texte.