M. Robert Hue. … comme le montrent un certain nombre de sondages, même si tout ne se fait pas avec les sondages. Je ne doute donc pas que, d’ici à quelques années, la même banalisation du mariage s’imposera, comme cela s’est passé dans les pays qui ont déjà légiféré dans ce sens.
Ce constat démontre à quel point le combat pour les droits des homosexuels fut aussi âpre que méritoire. Je pense, bien sûr, à la dépénalisation des relations homosexuelles voulue par le Président François Mitterrand en 1982. Je pense aussi, en ce jour, aux revendications exprimées à partir des années 1980, lorsque l’épidémie de sida produisit ses premiers ravages.
L’absence de tout statut légal pour les couples homosexuels plaçait de nombreuses personnes dans des situations matérielles difficiles après le décès de leur concubin, en plus du deuil qui les frappait. C’est aussi pour que de tels drames humains ne se reproduisent plus que ce texte constitue un progrès social.
Mes chers collègues, la famille est bien un socle de notre société. Pour autant, on ne saurait réduire la famille à une simple réalité biologique assise sur les liens du sang. Il n’est pas besoin d’un exposé exhaustif pour constater que le modèle familial, défendu par les opposants à ce texte, n’est qu’une invention récente au regard de l’histoire.
Comme tout modèle, il a ses contingences, soumises aux évolutions de la société. Le modèle familial d’hier n’a pas vocation à demeurer figé dans un moule éternel. Le sens du mariage a lui-même évolué pour exprimer avec davantage d’intensité des ressorts libéraux et égalitaires entre deux personnes qui s’aiment. Que l’on songe au statut de l’épouse avant 1965, lorsqu’elle ne pouvait même pas travailler sans l’autorisation de son mari ! Le droit doit appréhender les faits, et non l’inverse. Nous sommes donc dans notre rôle de législateur en portant cette évolution du droit, a fortiori au nom de l’égalité.
À tous ceux qui s’opposent à ce texte, faut-il dire que, non, nous n’allons pas détruire les fondements de la société ? Non, nous n’allons pas changer de paradigme anthropologique, comme je viens de l’entendre ! Non, nous n’allons pas créer des générations d’enfants psychologiquement instables !
Madame la garde des sceaux, vous l’avez dit, le mariage n’est plus le seul mécanisme de légitimation sociale des familles, même s’il en garantit le niveau de protection le plus élevé. Rappelons-nous que, jusqu’à 2001, les enfants légitimes et naturels n’étaient pas placés sur le même plan d’égalité en matière de successions. D’ailleurs, les familles homoparentales ne constituent pas un fait isolé, puisque l’INSEE estime de 20 000 à 30 000 le nombre d’enfants concernés.
En toute hypothèse, le seul critère qui importe doit être celui de l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel doit bénéficier de la protection juridique la plus élevée. Or, actuellement, ces enfants vivent dans une zone grise juridique susceptible d’amoindrir leurs droits et d’affecter les liens qu’ils entretiennent avec leur parent biologique ou social.
M. le président. Si vous voulez bien conclure, mon cher collègue.
M. Robert Hue. Pour conclure, je dirai donc que ce texte, qui s’inscrit dans la longue marche du progrès, permet aussi de mettre fin à une hypocrisie légale puisque notre droit donne déjà la possibilité à une personne seule homosexuelle d’adopter, tandis que cette possibilité est refusée à un couple homosexuel.
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour terminer (Ah ! sur les travées de l'UMP.),…
M. le président. Oui, s’il vous plaît !
M. Robert Hue. … je dirai que nous avons conscience de la solennité de ce moment où bien des yeux de nos concitoyens sont dirigés vers notre hémicycle.
L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe ne constitue pas l’octroi d’un droit. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Robert Hue. Je termine, monsieur le président.
Chers collègues de l’opposition, la société change. Si vous ne voulez pas changer avec elle, elle changera sans vous. Et c’est cela qui est l’essentiel aujourd’hui ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures dix.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Modification de l'ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 4 avril, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour :
- du jeudi 11 avril, le soir, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale ;
- du lundi 15 avril, l’après-midi et le soir, de la nouvelle lecture du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, municipaux et intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral, ainsi que des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, intercommunaux et départementaux.
Il a par ailleurs demandé le retrait de l’ordre du jour du mardi 16 avril du projet de loi relatif à la convention OSPAR pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est.
Acte est donné de cette communication.
9
Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 4 avril 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le quatrième alinéa de l’article 695-46 du code de procédure pénale (mandat d’arrêt européen) (n° 2013-314 QPC).
Acte est donné de cette communication.
10
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe
Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Dépôt d’une motion référendaire
M. le président. J’informe le Sénat que, en application de l’article 11 de la Constitution et de l’article 67 du règlement, j’ai reçu une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Bonne idée !
M. le président. En application de l’article 67, alinéa 1, du règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence est constatée par appel nominal.
Il va donc être procédé à l’appel nominal des signataires.
Huissier, veuillez procéder à l’appel nominal.
(L’appel nominal a lieu.)
M. le président. Acte est donné du dépôt de cette motion.
Ont déposé cette motion : MM. Bruno Retailleau, Jean-Claude Gaudin, Christophe-André Frassa, Antoine Lefèvre, Éric Doligé, Jean-Claude Lenoir, Mme Christiane Kammermann, M. Pierre André, Mlle Sophie Joissains, MM. Francis Delattre, Jean Bizet, Hugues Portelli, Marcel-Pierre Cléach, Mme Caroline Cayeux, MM. Gérard Longuet, Gérard Larcher, Bruno Sido, Jean-Patrick Courtois, François Pillet, Michel Magras, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Jacques Hyest, Raymond Couderc, Michel Fontaine, Mmes Catherine Deroche, Colette Giudicelli, MM. Benoît Huré, Patrice Gélard, Michel Bécot, Alain Gournac, Philippe Bas, Mme Colette Mélot, MM. Jackie Pierre, Charles Guené, Gérard César, Mme Catherine Procaccia, MM. Jean-Pierre Leleux, Alain Chatillon, Pierre Charon, Henri de Raincourt, Pierre Bordier, André Dulait, Jean-François Humbert, René Garrec, Charles Revet, Jacques Legendre, Mmes Hélène Masson-Maret, Marie-Annick Duchêne, M. François-Noël Buffet, Mme Catherine Troendle, MM. René Beaumont, Gérard Dériot, Michel Houel, Mme Esther Sittler, MM. Gérard Bailly, André Reichardt, Pierre Martin, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Paul Fournier, René-Paul Savary, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Christiane Hummel, MM. Jean-Noël Cardoux, Philippe Dominati, André Ferrand, Christophe Béchu et Dominique de Legge.
Cette motion sera envoyée à la commission des lois.
Sa discussion aura lieu conformément à l’article 67, alinéa 2, du règlement « dès la première séance publique suivant son dépôt », c’est-à-dire demain, vendredi 5 avril, à dix heures.
Conformément au droit commun défini à l’article 29 ter du règlement, la discussion générale sera organisée sur deux heures, les inscriptions de parole devant être faites à la direction de la séance avant demain, à neuf heures.
Pour l’heure et conformément à la tradition, nous allons poursuivre la discussion du projet de loi.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour un rappel au règlement.
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que notre commission des affaires sociales a été saisie pour avis du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Vous nous avez dit cet après-midi, madame Meunier, que nous vivions un moment important et que nous entrions, à notre manière, dans l’histoire de France. Quant à M. Baylet, il nous a demandé un débat de qualité. Nous en avons pris acte.
Pour autant, ce matin, à dix heures trente-neuf, les membres de la commission des affaires sociales, dont je fais partie, ont reçu un courriel les convoquant à une réunion de la commission des affaires sociales jeudi matin prochain, au lieu de mercredi matin. Comment, dans ces conditions, se dérouleront nos débats ?
Vous voulez débattre, et nous aussi. Pourquoi donc nous éloigner de l’hémicycle ? En effet, nous devions examiner ce texte jeudi matin prochain en séance publique. Mercredi matin, en revanche, non seulement nous n’en débattrons pas en séance publique, mais la commission des affaires sociales ne se réunira pas non plus.
C’est la deuxième fois qu’une telle chose se produit. J’avais en effet déjà fait un rappel au règlement devant la commission des affaires sociales, au motif que l’audition du ministre devait avoir lieu le mardi matin, durant les réunions de groupe.
Je vous demande donc, monsieur le président, de bien vouloir faire respecter le règlement intérieur pour le bon déroulement de nos travaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je souhaite informer les membres de la commission des lois que nous nous réunirons demain matin à neuf heures trente pour examiner la motion référendaire, puisque celle-ci est renvoyée à la commission des lois. (Murmures sur plusieurs travées de l'UMP.)
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Et la réponse de la commission des affaires sociales ?
Discussion générale (suite)
M. Charles Revet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues – moins nombreux à gauche qu’à droite (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) –, le doyen Patrice Gélard nous a présenté de façon très brillante (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) une analyse fondée du projet de loi qui nous est soumis. J’ai compris,…
M. David Assouline. Moi, je n'ai rien compris !
M. Charles Revet. … au silence qui régnait pour l'écouter, que, même vous, madame le garde des sceaux, étiez sensible aux arguments qu'il a avancés.
M. Charles Revet. Notre collègue a également exposé la position du groupe UMP et les raisons qui conduiront la quasi-totalité de ses membres à s’opposer à l’adoption de ce texte, si celui-ci reste en l’état.
Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, notre opposition n’est pas politique : elle est beaucoup plus fondamentalement philosophique et sociétale, et cela nous concerne tous.
M. le Président de la République, dans le contexte économique que nous connaissons et alors que notre armée est engagée sur différents fronts, en particulier au Mali, fait appel au rassemblement et à la cohésion nationale. Dans ces conditions, pourquoi nous soumet-il dans le même temps un texte dont il sait qu’il fait division à l’intérieur de notre pays, y compris pour des personnes de la même sensibilité politique que lui ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) N’est-ce pas lui qui devrait montrer l’exemple d’une volonté de cohésion nationale ?
Madame le garde des sceaux, je vous poserai deux questions : pourquoi nous soumettre un texte qui, s’il est adopté, bouleversera en profondeur les fondements de notre société ? Jusqu’où voulez-vous aller ? Déjà beaucoup s’inquiètent de voir disparaître les repères et valeurs qui ont servi de base à la construction de notre société et au développement de notre beau pays.
L’adoption des dispositions que vous proposez dans le projet de loi dit « mariage pour tous » fera table rase de fondements essentiels. Peut-être est-ce voulu... Quoi qu’il en soit, dites-nous à quoi vous voulez aboutir et quelle société vous proposez pour demain.
J’entends que vous allez nous répéter que c’est l’application d’une promesse de campagne du Président de la République. On affirme aussi que cela n’entraînera aucun changement pour la majorité de nos concitoyens et que c’est simplement un élargissement aux personnes de même sexe des dispositions prévues dans le cadre du mariage.
M. Jean-Pierre Godefroy. Eh oui !
M. Charles Revet. Pensez-vous que ce texte aurait provoqué autant de réactions de tous bords, de toutes instances, des manifestations, une mobilisation aussi importante, si c’était aussi simple et aussi peu fondamental que vous voulez le laisser croire ?
Madame le garde des sceaux, vous ne pouviez être présente lors des nombreuses auditions qui ont eu lieu les semaines passées, et je remercie le président de la commission des lois et le rapporteur de les avoir organisées. Celles et ceux qui y ont participé – j’en étais – ont noté la convergence de la plupart des interventions. Toutes les personnalités que nous avons reçues nous ont fait part de leurs interrogations et de leurs inquiétudes quant aux conséquences qui découleraient de l’adoption de ce texte. Tous ont insisté sur deux aspects.
D’une part, les différents intervenants ont rappelé que le terme « mariage » était un terme signifiant – cela a d'ailleurs fait l’objet d'une discussion –, c’est-à-dire un terme dont la définition a été constante au fil des siècles : il s’agit de l’union d’un homme et d’une femme qui, dans leur complémentarité, peuvent donner la vie.
D’autre part, et de manière plus importante encore, les intervenants ont mis en évidence les conséquences en matière de filiation. J’ai à l’esprit ces propos de Mme la présidente de chambre au tribunal de grande instance de Paris, responsable du service des affaires familiales : « Il faut bien constater que l’accès des couples de même sexe à l’institution du mariage a pour conséquence mécanique de bouleverser tout le droit de la famille, lequel a été conçu et structuré autour de l’idée qu’une famille, c’est un père, une mère et des enfants. À cet égard, l’entrée du "mariage pour tous" dans notre ordre juridique produit un "effet domino", un domino venant renverser tous les autres. »
Plus tard, Mme Bérard met en garde : « Quand vous parlez de mariage, vous parlez de filiation ; quand vous parlez de filiation, vous parlez de famille ; et quand vous parlez de famille, vous ouvrez un tas de boîtes. »
Je pourrais citer d’autres interventions qui ont souligné les enjeux et les conséquences qui découleront de l’adoption de ce texte. Madame le garde des sceaux, ne pensez-vous pas, au regard de tout cela, et sauf s’il s’agit pour le Gouvernement d’une volonté idéologique de changer en profondeur les fondements de notre société, qu’il faut faire preuve de prudence dans les dispositions que nous pouvons engager ?
Je n’oublie pas la demande des personnes de même sexe souhaitant vivre ensemble. Il est possible de traiter cette question sans pour autant engager des bouleversements. D’ailleurs, lorsque ces personnes ont, à plusieurs reprises, manifesté leurs revendications, ne voulaient-elles pas être reconnues dans leur différence ?
L’égalité à laquelle vous faites référence pour justifier le texte qui nous est soumis revient-elle à mettre tout le monde dans le même moule, alors que, par nature, un homme, une femme sont différents, alors que deux hommes ou deux femmes ensemble ne pourront jamais procréer ? L’égalité, me semble-t-il, c’est que, à situation équivalente, hommes et femmes soient traités de la même manière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Que celles et ceux de même sexe qui ont choisi de vivre en couple demandent à pouvoir bénéficier des dispositions liées à cette notion de couple me paraît légitime et c’est à nous de le prendre en compte.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Charles Revet. Pour ce faire, nous devons revoir certaines dispositions, législatives ou réglementaires, mais il ne s’agit pas de fondre dans le même ensemble des situations qui sont voulues et reconnues comme différentes. Ce peut être simple à mettre en place, à condition de le vouloir : tel sera le sens des propositions qui seront faites lors de l’examen des articles.
Madame le garde des sceaux, ne croyez-vous pas que notre pays a un urgent besoin d’apaisement ? Le Président de la République a promis de traiter la situation de personnes de même sexe vivant en couple.
M. le président. Mon cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole.
M. Charles Revet. Faisons-le en des termes correspondant à leur situation : c’est, je crois, ce qu’ils attendent ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, de grandes figures ont été évoquées dans ce débat, d’autres, moins connues, mais tout aussi belles et généreuses, qui ont marqué l’histoire par leurs combats pour la liberté et l’égalité.
Victor Schœlcher, qui a siégé dans cet hémicycle, est de celles-là. En 1848, il écrivait ces mots solennels : « La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine ; elle n’exclut personne de son immortelle devise : liberté, égalité, fraternité. »
M. René Beaumont. Rien ne nous sera épargné !
M. Yves Daudigny. Ce projet de loi, mes chers collègues, est fils de la République. C’est un projet de liberté, d’égalité et de fraternité.
Un projet de liberté, parce qu’il n’oblige pas, ne contraint personne, mais tout au contraire autorise.
M. Gérard Longuet. Il ne contraint personne à devenir homosexuel : voilà une bonne nouvelle !
M. Yves Daudigny. Un projet d’égalité, parce qu’il reconnaît à tous les couples, sans distinguer selon leur orientation sexuelle, l’accès aux mêmes droits et devoirs lorsqu’ils souhaitent formaliser et sécuriser leur union et choisissent de se marier.
Un projet de fraternité, enfin, parce qu’il contribue à enrichir notre « capital social », à renforcer le ciment qui permet à chacune et chacun, dans le respect de son altérité, de faire communauté et de faire sens.
Le mariage a longtemps été l’institution des propriétés, des legs, des héritages, des notaires et des prêtres, une institution d’autorité, celle du chef de famille sur le patrimoine incluant l’épouse et les enfants, une institution d’exclusion contre les juifs, les protestants, les comédiens…
En détachant la loi des sacrements pour l’inscrire dans l’ordre républicain, le constituant de 1791 a permis qu’il soit mis fin à ces exclusions. Dans la continuité de cette conquête permanente de liberté, d’égalité et de responsabilité, les lois de 1970 et de 1975 ont reconnu aux femmes des droits dont elles étaient privées, et celle de 1972 a mis fin à l’exclusion dont les enfants adultérins et naturels étaient victimes.
Ce projet s’inscrit clairement dans cette évolution de l’état civil des personnes et participe à la longue lutte contre les exclusions. Il est la suite logique de l’émancipation progressive du législateur de l’empreinte religieuse, patriarcale et discriminatoire et nous propose de mettre fin à l’exclusion des personnes homosexuelles du mariage et de l’adoption, exclusion que condamne la Cour européenne des droits de l’homme, et qu’aucun principe fondamental de notre ordre républicain ne légitime.
Les conséquences de cette exclusion sont en effet souvent dramatiques pour nos concitoyens. Le PACS, à cet égard, s’est révélé tout à fait insuffisant, malgré les améliorations apportées en 2006 avec le maintien du domicile commun au profit du partenaire survivant durant une année après le décès, en 2007 avec l’exonération de sa part successorale, et en 2009 avec l’adoption d’une règle de conflit de lois permettant la reconnaissance des PACS enregistrés à l’étranger.
Comment accepter que, pour la seule raison de leur orientation sexuelle, des personnes que le mode de vie ne distingue pas de toutes les autres continuent à être privées du droit à pension de réversion, bien qu’elles en remplissent toutes les conditions de fond,…
Mme Nathalie Goulet. La pension de réversion, c’est un vrai sujet !
M. Yves Daudigny. … qu’elles soient, pour la même raison, privées des droits à majoration d’assurance versée à raison de l’incidence sur leur carrière de la naissance et/ou de l’éducation de leurs enfants, qu’elles soient encore privées du droit à indemnisation du congé d’adoption et que des orphelins soient privés de la rente due aux enfants de victimes d’accidents mortels du travail ?
Pourquoi certains enfants sont-ils privés…
M. Alain Gournac. D’un papa et d’une maman !
M. Yves Daudigny. … du bénéfice de l’exercice de l’autorité parentale des personnes qui les aiment, assument leur charge et les élèvent sans en avoir le droit ?
N’ont-ils pas eux aussi un intérêt légitime à être juridiquement protégés ?
Responsable de l’aide sociale départementale à l’enfance, je peux témoigner, comme beaucoup d’entre nous ici, combien ce sont en réalité la misère matérielle, l’ignorance, le sectarisme et l’intolérance qui détruisent les familles et les enfants.
Telle est la réalité. Et quand elle s’accorde aux principes fondamentaux, quand les lois satisfont ce besoin de liberté et d’égalité des uns sans contredire les besoins des autres, alors, nous sommes sûrs d’être dans le juste.
C’est pourquoi nous défendons et approuvons ce projet de loi, qui affronte avec courage et lucidité la réalité sociale et apporte effectivement à nos concitoyens plus de justice et de sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord excuser mon collègue Yves Détraigne, qui devait intervenir aujourd’hui et qui est retenu dans la Marne à la suite d’événements dramatiques qui se sont produits dans sa commune.
Mes chers collègues, au nom du principe d’égalité, le Gouvernement nous propose aujourd’hui de considérer qu’un homme doit pouvoir épouser un homme et qu’une femme doit pouvoir épouser une femme.
Et, dans la même logique, il nous propose également, ce qui est plus préoccupant à mon sens, que ces couples puissent également adopter des enfants, en attendant de pouvoir recourir sous peu à l’aide médicale à la procréation pour les couples de femmes et à la gestation pour autrui pour les couples d’hommes.
Je le dis à celles et ceux qui, de bonne foi ou non, affirment l’inverse : dès lors que l’on aura accepté le mariage entre deux hommes et entre deux femmes et l’adoption, la procréation médicale assistée et la gestation pour autrui viendront inévitablement, d’autant, nous le savons, qu’il n’y aura pas assez d’enfants…
M. Bruno Sido. Et même aucun !
M. Hervé Maurey. … à adopter pour répondre aux attentes des couples homosexuels.
M. Jean Bizet. C’est la vérité !
M. Hervé Maurey. Le principe d’égalité, aujourd’hui invoqué pour justifier le mariage et l’adoption, sera de la même manière mis en avant demain pour justifier le recours à ces techniques de procréation.
Pourquoi, en effet, refuserait-on la GPA aux couples d’hommes dès lors que les couples de femmes pourront accéder à l’étranger, si ce n’est en France, à la PMA pour avoir des enfants ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est déjà le cas !
M. Hervé Maurey. Pourquoi instaurerait-on une inégalité entre couples d’hommes et couples de femmes alors qu’on prétend aujourd’hui que les couples homosexuels doivent avoir le même accès au mariage et le même droit à l’adoption que les couples hétérosexuels ?
Le mariage, je vous le rappelle, mes chers collègues, a pour objet depuis la nuit des temps d’unir l’homme et la femme en vue de créer une famille et d’offrir un cadre à la naissance, l’accueil et l’éducation des enfants.
Mme Éliane Assassi. Votre référence, c’est la Bible ?
M. Hervé Maurey. En dehors même de la revendication d’égalité, ce motif conduira à exiger le droit à la procréation médicale assistée et à la gestation pour autrui, et fera ainsi exploser la notion même de famille.
Je voudrais souligner que le principe d’égalité, qui est constamment évoqué depuis le début de nos travaux par un certain nombre de mes collègues, me semble être mis en avant par les partisans de ce texte de manière inappropriée, pour ne pas dire abusive.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Très bien !
M. Hervé Maurey. Chacun sait en effet que, en droit, l’égalité ne s’applique qu’à des situations équivalentes.
Or, et contrairement à ce que nombre d’orateurs ont essayé de nous faire croire, il est évident qu’au regard de la famille, un couple d’hommes ou un couple de femmes n’est pas structurellement équivalent à un couple formé d’un homme et d’une femme.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Ils ne veulent pas le voir !
M. Hervé Maurey. C’est la loi de la nature universelle, ou la loi biologique si vous préférez : un couple d’hommes ou un couple de femmes ne peut pas engendrer un enfant et ne peut donc pas créer une famille au sens traditionnel du terme.
Certes, la famille n’a plus le même sens aujourd’hui qu’il y a un siècle ou même un demi-siècle. La majorité des enfants naissent hors mariage et il n’est plus nécessaire de passer devant le maire pour fonder une famille. Mais faut-il pour autant modifier le droit pour satisfaire la demande d’une minorité ?
M. Jean Bizet. Bien sûr que non !