M. Hervé Maurey. Je ne le pense pas, sauf à considérer que la loi n’est plus l’expression de la volonté générale, mais celle d’une minorité, et à penser que la loi doit s’adapter à toutes les évolutions de la société, quelles qu’elles soient, et non la régir.
Mes chers collègues, « les orientations sexuelles, les préférences sexuelles sont libres. La discrimination à l’égard de telle ou telle orientation m’est insupportable, mais n’oublions pas que l’humanité toute entière est structurée homme-femme, elle n’est pas structurée en fonction des préférences sexuelles ».
Ce constat de bons sens est de l’un des vôtres : j’ai nommé Lionel Jospin… Pour une fois, j’ai plaisir à le citer et à partager son propos. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Je n’en dirais pas autant de son dernier rapport, notamment en ce qui concerne le cumul des mandats…
Au nom de « l’égalité des droits » entre adultes, vous allez créer une grave discrimination entre enfants, puisque vous allez permettre que des enfants n’aient plus officiellement un père et une mère, mais deux pères ou deux mères. C’est aberrant et tellement peu conforme à l’intérêt de l’enfant.
Vous évoquez un « droit à l’enfant », mais ce droit n’existe pas et la nature le rappelle parfois douloureusement aux couples.
Il y a, en revanche, un droit fondamental pour les enfants, celui d’avoir un père et une mère. (Oui ! sur plusieurs travées du groupe UMP.)
Quoi que décide le législateur, l’enfant aura toujours un père et une mère biologiques et la présence d’un deuxième papa à la maison ne remplacera jamais une maman, pas plus qu’une deuxième maman ne remplacera un papa !
C’est particulièrement vrai des enfants adoptés, comme l’ont souligné un grand nombre de personnalités auditionnées par la commission des lois.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas lieu pour le législateur de se pencher sur la situation des couples homosexuels.
Il est parfaitement normal et légitime qu’un couple stable, homosexuel ou hétérosexuel, bénéficie d’un statut qui règle la question des droits et obligations entre ses membres et assure la protection et l’assistance que le mariage confère réciproquement aux époux.
Mais dans la mesure où le mariage est, pour moi, par essence, l’union d’un homme et d’une femme pour fonder une famille, c’est une union civile offrant le même cadre juridique protecteur que le mariage, mais sans filiation, qu’il convient d’instaurer. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
C’est le sens d’un amendement proposé par un certain nombre de mes collègues du groupe UDI-UC. Il permettrait de répondre aux attentes de nombreux couples homosexuels, sans en arriver aux solutions destructrices que vous proposez.
La position que je défends répond d’ailleurs au souhait de la majorité des Français. En effet, si 53 % d’entre eux sont favorables au mariage pour les couples homosexuels, 56 % sont opposés à l’adoption.
Pour conclure, je voudrais, madame la ministre, mes chers collègues, vous demander pour une fois d’entendre les Français, d’enlever vos œillères, de tenir compte de la mobilisation qui a encore eu lieu le 24 mars.
Quand plus d’un million de personnes sont dans la rue, on ne peut pas traiter cela par le mépris !
À cet égard, permettez-moi de vous dire, monsieur le rapporteur, que vos tweets ironiques à l’égard des manifestants étaient désobligeants, malvenus et peu compatibles avec votre qualité de rapporteur de ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Hervé Maurey. Écrire qu’il s’agit de « quelques badauds participant à une balade », ou encore que « quelques serre-tête tressés et jupes plissées pensent que nous reculerons », ce n’est pas digne d’un rapporteur de la commission des lois ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Madame la ministre, nous abordons cet important débat en espérant que le Gouvernement saura nous écouter.
Oui, nous souhaitons répondre aux attentes des couples homosexuels, mais nous ne voulons pas remettre en cause l’un des piliers fondamentaux de notre société, le mariage, et par là même la famille, et porter gravement atteinte aux droits des enfants, comme vous le proposez. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, après de longs mois de discussions, de débats, de contestations ou de soutiens, notre assemblée doit à son tour examiner le projet de loi sur le mariage pour tous.
Je tiens, en premier lieu, à remercier le groupe UMP du Sénat, qui me permet d’intervenir dans le cadre de cette discussion alors même que ma position n’est pas majoritaire. Cette liberté d’expression et de pensée honore le groupe auquel j’appartiens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Permettez-moi aussi de dire que, si nous adoptons ce texte, j’en suis convaincu, nous contribuerons à accompagner et à conforter l’acceptation, la normalisation, voire même - c’est l’étape ultime ! – la banalisation du mariage entre personnes de même sexe.
Nous permettrions à ces couples d’exercer une liberté reconnue par le Conseil constitutionnel comme une liberté personnelle. Nous donnerions tout son sens à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Nous rendrions pleinement applicable, sur notre territoire national, l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme, évoquée tout à l'heure par Patrice Gélard, qui affirme : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». Cet article ne dispose pas que l’homme et la femme doivent nécessairement se marier ensemble.
En accordant ce droit, nous honorerions notre réputation ainsi que la devise nationale qui orne les frontons de nos édifices. Liberté de se marier, égalité de traitement des situations identiques, telles sont, à mes yeux, les avancées qui nous sont proposées dans ce projet de loi.
Derrière une apparente simplicité, l’intitulé de ce texte soulève de multiples questions mettant en exergue la complexité des schémas familiaux actuels. L’opposition exprimée à l’encontre du mariage entre personnes du même sexe semble parfois porter davantage sur le terme même de mariage, et sur ses effets induits, que sur l’acte lui-même.
En ce qui concerne la terminologie, il est certain que, dans l’inconscient collectif hérité de notre culture judéo-chrétienne, le vocable de « mariage » possède une connotation religieuse.
Dès lors, même si les religions ne confèrent pas toutes une dimension sacramentelle au mariage, même si, dans nos sociétés actuelles, le mariage est un acte purement civil, même si les évolutions liées à législation sur le mariage et à son alter ego, le divorce, ont affecté la dimension pérenne de l’union, il n’en demeure pas moins que subsiste une figure idéalisée du mariage, union d’un homme et d’une femme.
Le mariage suppose l’altérité, vous l’avez dit tout à l'heure, madame la ministre. Il est l’expression de la rencontre avec l’autre, dans sa différence. Dans cette optique, reconnaître le mariage homosexuel porterait atteinte à cette altérité fondée sur la différenciation indispensable à toute forme de vie.
Dès lors, parler de mariage pour un couple de même sexe reviendrait à nier cette altérité ou, pour le moins, conduirait à en redéfinir le contenu : qui est l’autre ? Semblable ou différent ? Reflet ou vis-à-vis ?
Nous nous trouvons donc face à un projet qui, par-delà les droits et obligations qu’il peut conférer, exprime une vision de l’homme, de la société, de notre démocratie.
Comme avec la loi sur l’IVG, celle sur l’abolition de la peine de mort, nous sommes face à un texte qui nous oblige à nous interroger sur nos valeurs, sur notre conception de la société et, ici plus particulièrement, sur sa cellule de base qu’est la famille.
Il nous oblige à nous interroger, mais sans pour autant apporter de réponse à notre questionnement. Il nous fait pousser une porte sans savoir si elle nous conduit vers un nouvel espace de droits et de libertés ou si, tel Pandore, nous ouvrons une jarre dont le contenu peut nous échapper, nous dépasser.
C’est bien là tout le sens des réflexions, des résistances, des oppositions qui se manifestent.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Bien sûr !
M. Alain Milon. En effet, la reconnaissance du mariage entraîne ipso facto le droit à fonder une famille. Le texte sur lequel nous sommes amenés à nous exprimer atteste de cette indissociabilité, même si le mariage n’est plus l’institution qui fonde les règles de la filiation.
Comme je l’indiquais précédemment, l’intitulé de ce texte fait uniquement référence au mariage. Or différents articles – nous en avons suffisamment parlé – sont consacrés à la filiation, notamment adoptive.
Ainsi, insensiblement, nous glissons du mariage entre deux individus vers la construction d’une famille. Si, désormais, la reconnaissance de droits et de devoirs à des couples souhaitant affirmer leur stabilité sociale tout autant que leur affection profonde est majoritairement admise, les questions liées à la filiation font davantage débat.
C’est bien sur cette question qui touche à l’enfant en tant qu’individu, mais peut-être aussi en tant qu’expression de l’avenir, en tant que prolongement de nous-mêmes, que s’expriment les réticences avec le plus de force et de vigueur. C’est aussi en ce domaine que nul aujourd’hui ne peut établir de certitude : l’amour est-il suffisant pour construire un être ? Dans quelle mesure le schéma social pèse-t-il sur la construction individuelle ? Le droit et l’amour peuvent-ils supplanter la biologie ? Et tant d’autres questions encore !
Pour autant, mes chers collègues, ces incertitudes doivent-elles nous empêcher d’avancer ? Doivent-elles nous condamner à l’immobilisme ? Doivent-elles priver de droits certains de nos concitoyens ?
La peur n’a jamais empêché le pire de se produire. Au lieu de refuser et de nier cette évolution, il convient plutôt de l’anticiper et de la préparer.
Les questions soulevées par la reconnaissance de la famille homoparentale, si elles sont plus prégnantes, n’épargnent pas pour autant les autres modes de composition familiale : famille traditionnelle, famille homoparentale, famille monoparentale, famille recomposée…
Les modes de filiation sont divers également et les méthodes de procréation, en évolution constante, suscitent des interrogations majeures en termes d’éthique. Nombreux sont ceux, dans cet hémicycle, à avoir parlé de PMA et de GPA sans forcément savoir qu’il s’agit tout simplement de techniques médicales permettant de lutter contre la stérilité.
Comment concilier volonté légitime de fonder une famille et protection de l’enfant dans sa construction psychologique ? Comment concilier « droit à » et « droits de » l’enfant ? Comment faire pour que la fiction juridique ne prime pas sur la réalité physiologique ? Reconnaître la possibilité d’adopter présente l’avantage d’offrir une stabilité à l’enfant, de lever les tabous, de renforcer la transparence, toutes choses bénéfiques pour son épanouissement.
Il n’est, en effet, rien pire que le secret, le non-dit. De ce point de vue, je souscris à la proposition faite. En revanche, il me paraît impératif et impérieux de dissocier adoption plénière et mariage, car l’adoption plénière, en conférant à l’enfant une filiation qui se substitue à la filiation d’origine, interdit de ce fait l’établissement de toute autre filiation.
M. Gérard Longuet. Voilà !
M. Alain Milon. Or il va de l’intérêt de l’enfant de ne pas lui donner une « homofiliation » – pardonnez-moi l’expression –, de ne pas faire primer la fiction juridique d’un enfant né de deux personnes de même sexe, de ne pas le faire apparaître sur les actes d’état civil comme étant issu de deux hommes ou de deux femmes.
Cela me semble être un point fondamental, qui traduit la volonté de protéger l’enfant et de ne pas en faire l’enjeu ou l’otage de promesses électorales.
Ouvrir l’adoption plénière aux couples mariés, sans aucune restriction, comme le fait le projet de loi sans le dire, c’est reconnaître qu’une personne pourra voir son identité à la fois marquée, décrochée de la filiation naturelle, et tronquée, dépourvue soit d’une ligne paternelle, soit d’une ligne maternelle.
Dans son poème Lorsque l’enfant paraît, Victor Hugo terminait par cette supplique :
« Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j’aime,
« Frères, parents, amis, et mes ennemis même
« Dans le mal triomphants,
« De jamais voir, Seigneur ! l’été sans fleurs vermeilles,
« La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
« La maison sans enfants ! »
Le texte dont nous discutons, sous réserve des limites importantes que je viens d’évoquer, constitue selon moi une avancée. Si nous l’adoptons, après l’avoir modifié, en particulier sur l’adoption, nous aurons la satisfaction d’avoir contribué à ensoleiller quelques vies en exerçant notre mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, d’aucuns ont voulu faire du mariage pour tous un débat technique mettant en jeu le sens même de notre code civil. D’autres en ont fait une tribune pour déverser, avec une brutalité parfois sidérante, une forme de haine de l’autre.
Certains, faisant preuve de plus de subtilité, tentent de nous démontrer, tout en n’ayant aucun grief contre l’homosexualité, qu’il leur semble normal de maintenir une législation spécifique pour les couples homosexuels, ce qui revient à les cantonner dans une sorte de « ghetto juridique ».
En réalité, comme tout sujet de société, ce débat est avant tout affaire de conviction. Ce dont je suis convaincu pour ma part, c’est que le plus grand nombre des opposants à ce texte mène un combat d’arrière-garde. Il me semble donc que l’hémicycle du Sénat est un bon endroit pour aborder ce sujet de façon dépassionnée et dire quelles sont nos convictions en toute sérénité.
Je me suis déjà longuement exprimé, à l’écrit comme à l’oral, sur les raisons pour lesquelles je voterai ce texte : souci d’égalité, lutte contre l’homophobie, nécessité pour la loi de prendre en compte les évolutions de la société.
Ces thèmes ont été et seront encore abordés par de nombreux collègues au cours de nos débats. Aussi, le point sur lequel je souhaite me concentrer aujourd’hui est celui de la position des populations et des élus des outre-mer.
Il semblerait que l’on ait voulu faire de nos territoires des bastions symboliques de la résistance au mariage pour tous, des citadelles imprenables de la défense des valeurs dites traditionnelles. Quelle est la vérité ?
La réalité, c’est qu’il est bien pratique d’entretenir la confusion entre importance du fait religieux outre-mer et conservatisme social. De fait, il me semble important, dans ce débat, de rappeler deux choses.
Premièrement, il n’y a pas de contradiction entre spiritualité et temporalité. Nos pratiques religieuses n’ont pas vocation à nous figer dans un « c’était mieux avant » réactionnaire ; elles doivent au contraire nous permettre de considérer les choses avec hauteur et tolérance.
Deuxièmement, ce débat constitue également l’occasion de rappeler que la France est une république laïque où l’Église et l’État sont séparés depuis plus d’un siècle. Il s’agit certes aujourd’hui d’une évidence, mais il en est qui ont parfois besoin d’être rappelées.
Cela étant dit, je veux également attirer votre attention sur le fait que nos sociétés ultramarines, dites traditionnelles, ont, par exemple, recours à l’IVG dans des proportions souvent supérieures à celles de l’Hexagone.
En outre, les manifestations contre le mariage pour tous n’ont pas mobilisé grand monde chez nous : quelques centaines de personnes dans les rues de Fort-de-France notamment. En ce qui concerne ce texte, il n’y a donc pas de fait ultramarin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
D’ailleurs, si nous devions avoir une position particulière liée à ce qu’il est convenu d’appeler nos spécificités, il me semble que nous devrions être les premiers défenseurs de ce projet de loi.
En effet, ce débat nous renvoie à la lutte qui a été historiquement la nôtre au cours du xxe siècle : la conquête de l’égalité parfaite en droit, car c’est bien de droit qu’il s’agit ! Ce pour quoi nous nous sommes battus et nous battons encore aujourd’hui, nous, descendants d’esclaves, au nom de quoi le refuserions-nous à d’autres au motif de leur orientation sexuelle ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour terminer, je voudrais dire mon souhait que la loi soit non seulement votée, mais aussi mise en application rapidement et sans sourciller. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Garde-à-vous !
M. Serge Larcher. À cet égard, j’ai regretté l’évocation de la notion de clause de conscience. Une fois adoptée, une loi ne peut être négociable. Laisser libre champ aux uns et autres dans la mise en œuvre de ce texte serait préjudiciable à son application et constituerait un précédent fâcheux quant à la force des lois en général, ouvrant la porte à d’éventuelles dérives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je veux commencer malicieusement par féliciter le Gouvernement de son habileté politique.
Sur ce débat qui devrait parler d’amour, il a réussi à diviser la France en deux catégories : d’une part, les irresponsables et, d’autre part, les ringards. Grâce à lui, des femmes et des hommes, qui n’ont pas choisi leur sexualité, sont au mieux instrumentalisés, au pire humiliés. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.) C’est une performance politique ; espérons qu’elle ne soit pas politicienne…
Je formule cette remarque avec d’autant plus de rancœur que je suis favorable au texte qui nous est soumis, ce par conviction de droite et libérale et depuis longtemps.
J’y suis favorable car j’accorde la même confiance et la même dignité aux personnes homosexuelles qu’aux autres. Elles ne constituent pas une communauté ; ce sont des individus dont l’orientation sexuelle, qui n’est pas un choix, ne porte pas atteinte à autrui et ne préjuge en rien de leur capacité à être ou non « responsables ».
Je suis favorable à ce projet de loi car je considère que moins l’État se mêle des choix individuels, quel que soit le domaine concerné, mieux la société se porte. Il n’appartient donc pas à l’État de restreindre la liberté individuelle tant que celle-ci ne porte pas atteinte à autrui. Ce point distingue clairement le mariage homosexuel de la polygamie ou d’autres pratiques qui, elles, portent atteinte à la dignité.
Je suis favorable au texte que nous examinons car, en tant que responsable politique, j’accorde la même considération à toutes les familles, qu’elles soient traditionnelles, monoparentales, recomposées ou homosexuelles. Se pose d’ailleurs une question centrale : le législateur a-t-il pour rôle de définir les contours de la famille ou de créer les conditions de son développement ?
Tout le paradoxe de ce texte est qu’il devrait être porté, en quelque sorte, par la droite. En effet, la demande de mariage est fondamentalement conservatrice.
Je suis aussi favorable à ce texte car je suis laïque. Libre aux religions de s’exprimer. Libre à chacun de sa conscience sur des questions de société qui n’appellent aucune réponse binaire. Mais je n’entends pas que les religions fassent d’une quelconque manière pression sur nous et nous dictent notre conduite à l’égard ni des femmes ni des personnes homosexuelles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Mlle Sophie Joissains applaudit également.)
Il est paradoxal d’ailleurs que la laïcité soit dans ce débat à ce point instrumentalisée qu’elle devienne un principe mou.
Je suis néanmoins triste et préoccupée par la puissance des divisions que ce débat a créées. La violence des propos est effrayante. En cet instant, je souhaite vous lire la phrase suivante, que nous avons tous déjà entendue : « il n’y a aucun doute quant au fait que les enfants dans cette situation subissent le fardeau […] d’un sentiment d’infériorité quant à leur statut ». Cette citation est extraite de la décision Brown v. board of education rendue par la Cour suprême de Louisiane en 1959 qui visait à interdire les mariages mixtes…
Je suis par ailleurs également un peu atterrée par l’immoralité de certains actes – je ne reviendrai pas sur ce qui s’est passé ce matin – qui visent juste à « faire le buzz ». C’est assez méprisable. De telles actions sont souvent contraires aux valeurs de la famille que ceux-là même qui s’en réclament devraient normalement défendre.
À ceux qui me disent « nous nous en souviendrons ! », je réponds que la menace n’est pas un argument contre la conviction. À ceux qui bafouent l’éthique politique, je rappelle que la démocratie est une valeur fragile. Le débat politique est argumentation, non éructation ou démonstration de force. Céder à la menace, c’est bafouer la démocratie.
Sans doute cette division nationale aurait-elle pu être évitée. Tel aurait probablement été le cas et, en cela, je rejoins les propos tenus par Alain Milon, si nous avions eu le courage ou l’intelligence de retirer du code civil le terme « mariage » pour le réserver à la sphère religieuse et si nous avions eu préalablement un débat éthique sur la famille et l’enfant, ce dernier se trouvant au cœur du texte dont nous discutons. L’opposition entre « droit à l’enfant » et « droit de l’enfant » est un peu caricaturale, reconnaissons-le. Depuis bien longtemps, depuis la contraception, l’IVG ou la procréation médicalement assistée, l’enfant est le fruit d’un choix et d’un projet parental.
Sans doute aurions-nous pu éviter cette division si nous avions attendu les conclusions de l’auto-saisine du Comité consultatif national d’éthique sur la PMA.
L’adoption – de ce point de vue, les débats qui vont avoir lieu lors de l’examen des amendements déposés par M. Milon seront extrêmement intéressants – ou la médicalisation de la procréation, qui lui est directement liée, soulèvent des questions essentielles, auxquelles le présent projet de loi ne répond pas.
Je ne voterai aucun amendement dont l’adoption conduirait à anticiper le débat sur la procréation médicalement assistée ou, pis, sur la gestation pour autrui.
Madame la ministre, j’en suis fière, notre groupe respecte les convictions de chacun.
M. Bruno Sido. Nous aussi !
Mme Chantal Jouanno. Fort bien, mais chacun d’entre nous intervient au nom du groupe auquel il appartient !
Je voterai en faveur du présent texte pour respecter mes valeurs de droite selon lesquelles le libéralisme ne s’arrête pas aux questions de société. Le rôle de la puissance publique est non pas de dicter des modèles, mais de vérifier qu’aucun principe républicain n’est affecté par telle ou telle mesure. C’est de cela que nous devons parler dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi.
M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui au Sénat un texte d’une importance capitale pour la nation française tout entière. Or, en cet instant, je m’interroge sur son opportunité, étant donné qu’il est fortement contesté par la quasi-majorité de nos concitoyens.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Abdourahamane Soilihi. C’est dire, madame le garde des sceaux, à quel point les nombreuses manifestations d’hostilité à ce projet de loi méritent d’être entendues car elles sont bien fondées.
M. Serge Larcher. Il y avait 100 manifestants en Martinique !
M. Abdourahamane Soilihi. Si le texte fait l’objet de vives désapprobations dans l’Hexagone, sachez, mesdames les ministres, mes chers collègues, qu’il ne rencontre guère un écho plus favorable dans les collectivités ultramarines.
Partout, sur notre territoire national, les cris se multiplient pour dénoncer, d’une part, un projet de loi inopportun eu égard au climat exacerbé et émaillé de tensions économiques et sociales fortes et, d’autre part, une promesse de campagne qui heurte profondément les valeurs fondatrices de notre modèle démocratique.
Par ailleurs, il me paraît légitime de reconnaître que les couples constitués de personnes de même sexe ont pleinement leur place dans le pacte républicain qui nous unit. Et la nation doit leur garantir respect et protection. Cela étant, leur homosexualité ne devrait être un motif de rejet d’aucune sorte par la communauté.
Cependant, la notion de mariage civil telle que préconisée par la législation suppose l’union d’un homme et d’une femme pour fonder une famille.
Cette remarque m’amène à attirer votre attention, mes chers collègues, sur le cas spécifique de Mayotte, car l’institution du mariage homosexuel ne présente pas la même dimension en métropole que dans les territoires lointains.
Pour ce qui concerne cette collectivité, fraîchement transformée en département, où le processus de droit commun n’en est qu’à ses balbutiements, l’attention à son égard doit rester intacte du fait des risques de démembrement ou de dénaturation d’un modèle uniforme de société.
Pour le deuxième anniversaire de la départementalisation, pas plus tard que le week-end dernier, ce territoire et ses habitants ont encore réaffirmé leur adhésion aux principes et aux valeurs qui fondent notre République.
Devrais-je vous dire, madame le garde des sceaux, qu’il ne s’agit nullement d’opposer les principes fondateurs de nos diversités et singularités culturelles à celui d’égalité républicaine tant sur le plan national que dans nos outre-mer respectifs ? Je sais que ce n’est pas vous qui contredirez mon affirmation selon laquelle ce sont ces inégalités qui font l’actualité dans nos collectivités ultramarines.
Quant à nos spécificités, force est de préserver avec la plus grande acuité nos références culturelles et sociétales, gages de nos identités individuelles dans une République indivisible.
Au demeurant, un débat s’est tenu le 20 février dernier, ici même, au Sénat. Une fois de plus, il a largement contribué à mettre en exergue les défis majeurs auxquels la deuxième île française de l’océan Indien est confrontée. Il y a eu unanimité pour dire que tout est à construire du point de vue économique et que culturellement Mayotte doit rester ce qu’elle est pour préserver son identité.
À cet effet, j’affirme qu’il ne faut pas mélanger le désir de changement revendiqué par une minorité de personnes qui réclame l’égalité de droit, et le danger de mettre en péril nos structures sociétales, qui sont enracinées avec constance, et ce en conformité avec nos traditions.
Permettez-moi de formuler quelques observations de forme sur Mayotte, une collectivité désormais régie par le principe de l’identité législative. Cela suppose que les lois s’y appliquent de la même manière à tout le monde et sans exception. Or, en raison des inégalités sociales qui y existent, ce territoire est devenu le théâtre de manifestations interminables auxquelles participent légalement des citoyens qui réclament leur dû aux pouvoirs publics.
Vous le constatez, madame le garde des sceaux, nos compatriotes mahorais attendent de votre gouvernement des mesures de changement concrètes en faveur de la justice sociale et non la destruction des bases sociétales, qui les caractérisent à bien des égards.
Avec force, je vous dis que le présent texte est en contradiction totale avec la société, même si vous considérez, pour votre part, qu’il constitue une évolution majeure.
Je tiens à souligner qu’un rapport de 2008 de nos collègues Christian Cointat, Jean-Jacques Hyest, Yves Détraigne et Michèle André, intitulé Départementalisation de Mayotte : sortir de l’ambiguïté, faire face aux responsabilités, tire avec éclat les enseignements de la mise en œuvre progressive et adaptée de la mutation statutaire et du fonctionnement progressif des institutions afin d’assurer l’avenir harmonieux de l’île tout en conciliant la préservation des équilibres socio-économiques et le respect des exigences républicaines.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Abdourahamane Soilihi. Madame le garde des sceaux, le changement profond de société que vous proposez amènera certainement les Mahorais à être confrontés à un paradoxe qui ne fera que remettre en cause les aspects inhérents aux traditions et cultures locales à valeur coutumière.
À juste titre, la religion musulmane, implantée à Mayotte depuis le XVe siècle, soit bien avant l’arrivée de la France, occupe une place centrale dans l’organisation sociale ; près de 95 % des Mahorais sont d’obédience musulmane et pratiquent avec modération cette religion, qui se veut paisible et courtoise.
M. le président. Mon cher collègue, votre temps de parole est écoulé.
M. Abdourahamane Soilihi. Vous l’aurez compris, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’inadéquation du projet de loi est telle par rapport aux constats que je viens d’établir qu’il ne peut exister aucune adaptation possible, compte tenu des spécificités de Mayotte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, I had a dream, j’ai fait un rêve…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Pas nous !