M. François Fortassin, rapporteur. Je sais que cette mesure est soutenue par nombre de mes collègues et qu’elle est évidemment combattue par les opérateurs. Ce n'est pourtant pas une raison pour ne pas continuer à aller dans ce sens.
Il nous appartient de définir la politique du développement numérique et de nous en donner les moyens. L’ambition de couvrir l’ensemble du territoire, en en faisant assumer le coût par tous, est aussi dans l’intérêt des acteurs de l’économie numérique, puisque cette couverture intégrale permettra d’augmenter le nombre d’abonnés et d’offrir des services plus développés.
J’en reviens à l’aspect fiscal de ce problème. On le voit, le calendrier de cette feuille de route s’inscrit dans un temps plus long que celui de l’examen de la présente proposition de loi. Pour autant, nous n’en sommes pas réduits à l’inaction : j’en veux pour preuve les travaux que je viens de vous énumérer.
C’est pourquoi le renvoi à la commission de la proposition de loi présentée par Philippe Marini nous a semblé la meilleure procédure pour ne pas être appelés à voter contre un texte qui, même s’il soulève de fortes réserves, a très utilement porté la question d’abord sur la scène parlementaire, ensuite dans le débat public. Ainsi, tout en respectant le dispositif présenté, le renvoi à la commission permet de préserver le temps nécessaire au Parlement, mais aussi au pouvoir exécutif, pour étudier des solutions complémentaires ou alternatives, notamment la taxation de la collecte ou de l’exploitation des données.
Cette motion de renvoi à la commission est présentée dans un esprit d’ouverture : elle permet à la proposition de loi de continuer à vivre et d’être, le moment venu et à l’issue du calendrier de travail annoncé par le Gouvernement, réinscrite à l’ordre du jour du Sénat ou associée à l’examen d’un éventuel projet de loi. Incidemment, je rappelle, au nom de mon collègue Yvon Collin, que de telles mesures fiscales ont idéalement vocation à être examinées dans le cadre d’un projet de loi de finances plutôt que dans celui d’une proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. –M. François Trucy applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, contre la motion.
M. Philippe Marini. Je veux tout d’abord remercier notre excellent collègue, François Fortassin, ainsi que Mme la ministre, Fleur Pellerin, du grand soin avec lequel ils ont motivé cette motion de renvoi en commission, qui vise, si j’ose dire, à ensevelir sous un tapis de fleurs une modeste proposition de loi. (Sourires.)
Voilà deux mois, j’étais également d’avis de voter le renvoi en commission.
À présent, pour les raisons que j’ai exposées lors de la discussion générale, il me semble que cette motion est en décalage par rapport à l’évolution du problème et qu’il convient de la rejeter.
Certes, l’examen et l’adoption de cette proposition de loi ne constitueraient qu’un signal, une petite piqûre d’épingle, somme toute mineure, qui ne serait vraisemblablement pas de nature à entamer la carapace particulièrement épaisse des quelques groupes qui exercent, à mon sens, une position dominante sur le marché des services numériques. Mais le simple fait d’engager une navette sur ce texte serait perçu comme une avancée. En termes de communication, ce ne serait pas neutre !
Au demeurant, pour faciliter une éventuelle adoption de la proposition de loi, je serais prêt à la modifier et à la simplifier, en particulier en supprimant l’article qui vise à instaurer une taxation sur les services commerciaux en ligne. Il s’agit en réalité d’un autre débat, que j’avais initialement souhaité joindre à celui-ci, mais qui soulève une multitude d’autres questions.
Il me semblerait donc opportun d’en revenir à une modeste taxation des régies de publicité en ligne, la publicité constituant bien le cœur du modèle économique des groupes de l’internet.
Au demeurant, les spécialistes de l’économie de l’audiovisuel savent que l’un des grands problèmes aujourd’hui est la baisse tendancielle du marché publicitaire, qui pose à la fois des problèmes de financement et de concurrence pour l’ensemble des chaînes de télévision, les anciennes comme les nouvelles.
Les causes de cette hémorragie du marché publicitaire sont, dans une très large mesure, à chercher dans le développement des vecteurs numériques, qui peut par ailleurs s’avérer excellent sur le plan économique.
Il me semble que cette taxation des régies de publicité est susceptible de faire son chemin. Au demeurant, l’adoption d’un modeste texte au Sénat ne serait absolument pas de nature à compromettre toute étude que le Gouvernement souhaiterait engager par ailleurs. Il ne ferait qu’initier le processus de navette, la date d’inscription du texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale restant pour l’instant indéterminée.
Je crois que ce serait surtout une façon de poursuivre le dialogue engagé avec la Commission européenne sur le respect des principes de proportionnalité et de lien direct évoqués dans la récente lettre des commissaires que j’ai citée.
Madame la ministre, je regrette que, au début de votre intervention, vous ayez pu dire que le terrain que nous traitions avait été abandonné par les gouvernements précédents. Ceux-ci n’ont certes pas été parfaits, mais celui-ci ne l’est pas non plus !
Mes chers collègues, pour me connaître un peu, vous savez que, lorsque mes amis politiques étaient au gouvernement, mon soutien ne me dispensait pas d’exercer, au jour le jour, une sorte de devoir d’inventaire, ce qui m’évite de devoir le faire à présent qu’ils ont cédé la place… Il me semble d’ailleurs qu’il est préférable de procéder ainsi, de ne pas jouer aux béni-oui-oui à l’égard de ses amis lorsqu’ils sont au pouvoir, mais d’être transparents et directs à leur endroit, ne fût-ce que pour tâcher de leur rendre service.
En l’occurrence, il me semble que, sur ce sujet, des idées et des principes avaient été évoqués du temps de Nicolas Sarkozy : en particulier, la mission conduite par M. Zelnik avait été, à l’époque, la première à évoquer ce problème du déséquilibre des marchés de l’internet et à plaider pour des éléments de fiscalité spécifique.
Ensuite, je ne referai pas la chronique : il est vrai qu’un fort lobbying s’est exercé en la matière. Dans ce pays comme dans les autres États amis d’Europe, les intérêts économiques sont en effet extrêmement puissants et n’hésitent pas à se faire entendre. Nous ne pouvons l’ignorer, mes chers collègues.
D’ailleurs, Mme la ministre a eu raison, en évoquant la situation de la presse en Allemagne, de dire qu’il existait des groupes d’intérêt de force variable, et que certains avaient pesé plus que d’autres. C’est la réalité des choses. Ne soyons pas naïfs : il est clair qu’il existe sur ce marché des services de l’information des positions puissantes. Il appartient aux États de frayer leur chemin au milieu d’un paysage pour le moins complexe.
Mes chers collègues, le groupe auquel j’appartiens a bien voulu, hier, s’associer à ma demande de rejet de cette motion tendant au renvoi du texte en commission. J’espère que le Sénat votera majoritairement contre celle-ci.
S’il ne le faisait pas, la commission des finances continuerait son travail et profiterait en quelque sorte de ce renvoi pour approfondir ses propres études. Il s’agit pour nous d’un sujet structurant, sur lequel, quoi qu’il en soit, nous reviendrons, madame la ministre, et sur lequel nous nous efforcerons d’être exigeants, en dépassant les clivages politiques qui, s’ils sont naturels dans notre assemblée, devraient à mon sens davantage s’effacer sur un thème de cette nature. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Le Gouvernement est favorable à la motion tendant au renvoi du texte à la commission.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est favorable à la motion.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 125 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 174 |
Pour l’adoption | 209 |
Contre | 137 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le renvoi à la commission de la proposition de loi est ordonné.
4
Protection pénale des forces de sécurité et usage des armes à feu
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l’usage des armes à feu, présentée par MM. Louis Nègre, Pierre Charon et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 767, résultat des travaux de la commission n° 454, rapport n° 453).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Louis Nègre, auteur de la proposition de loi.
M. Louis Nègre, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi cette proposition de loi ? Tout simplement parce que le rôle, le devoir et l’honneur du politique est de traiter les problèmes qui préoccupent la société.
S’il est un problème sensible aujourd’hui, c’est bien celui de la protection pénale des forces de sécurité et de l’usage des armes à feu. Tel est l’objet de notre proposition de loi, qui procède d’un double constat : il existe, d’une part, un malaise au sein des forces de l’ordre et, d’autre part, un ressenti de même nature parmi la population.
Dans son rapport, monsieur le ministre, la mission Guyomar revient par deux fois sur le « contexte actuel caractérisé par un certain malaise ». Elle ajoute que « des améliorations sont souhaitables et d’autres plus que nécessaires ». Dans le compte rendu des auditions sont également évoquées les questions récurrentes touchant à l’usage des armes et à la légitime défense, qui traduisent, selon la mission, l’existence d’un besoin de protection élargie et plus efficace.
De même, dans son rapport, notre collègue Virginie Klès souligne qu’il existe légitimement une forte attente des forces de l’ordre. Je me plais à relever, monsieur le ministre, qu’elle-même appelle à améliorer significativement et dans les délais les plus brefs la sécurité juridique des membres des forces de l’ordre.
L’actualité est telle que l’Assemblée nationale a elle aussi examiné, dès le mois de décembre 2012, une proposition de loi ayant le même objet, déposée par nos collègues députés du groupe UMP Guillaume Larrivé, Éric Ciotti et Philippe Goujon.
Le malaise, je l’ai dit, est également ressenti par la population, qui, devant la recrudescence des attaques contre les forces de l’ordre, réagit à son tour et réclame une protection renforcée pour ces dernières ainsi que des sanctions aggravées contre les auteurs des actes violents.
À ce double constat se greffe un autre élément préoccupant. Il s’agit de ce que j’ai appelé un « effet de ciseaux », c’est-à-dire d’un certain divorce entre, d’une part, l’interprétation jurisprudentielle des textes faite par la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour de Cassation et, d’autre part, le sentiment populaire, c'est-à-dire le sentiment du peuple, que nous représentons, sur le principe de la légitime défense.
Cette fracture ne peut qu’interpeller le politique. Ce dernier aspect de la question constitue un problème quasi philosophique, qui resitue le débat dans un contexte plus large.
Ce sont ces trois raisons qui nous ont conduits, mon collègue Pierre Charon et moi-même, à nous mobiliser sur ce sujet qui apparaît comme un vrai problème de société.
Si nous pouvons comprendre, madame le rapporteur, les observations que vous faites en matière de techniques juridiques et en discuter, notre vision – notre philosophie, dirais-je même – est totalement différente de la vôtre.
J’en veux pour preuve votre argumentaire selon lequel on ne répond pas à la violence par la violence. À travers cette expression, que je trouve particulièrement malheureuse, vous stigmatisez ce que vous appelez « la violence » des forces de l’ordre. Ce faisant, vous parlez comme les juges de la Cour européenne des droits de l’homme, qui évoquent « la force meurtrière » des forces de l’ordre.
Nous, tout simplement, nous parlons de légitime défense ; nous, tout simplement, nous voulons d’abord protéger les policiers et les gendarmes, qui ne sont, je le rappelle, ni des machines ni des ordinateurs, mais des hommes et des femmes qui risquent leur vie pour nous et pour la défense de la société.
Qui est prêt, aujourd’hui, comme eux, à mettre en péril sa vie pour les autres ?
Sauf à confondre le bien et le mal, sauf à faire fi, monsieur le ministre, de toutes les valeurs qui fondent la cité, on ne peut mettre sur un même plan la violence illégale, aveugle et barbare, d’individus qui n’hésiteront pas un instant, eux, à ouvrir le feu sur des innocents et l’usage des armes fait par les forces de l’ordre dans un cadre légal, contraignant et ne permettant, comme nous le proposons, d’ouvrir le feu que dans un nombre de cas très limité.
Nous ne sommes pas au Far-West ni même aux États-Unis, et nous n’avons pas besoin de cow-boys en France. Toutefois, cette philosophie rousseauiste, démentie par la brutalité de la violence de malfaiteurs sans foi ni loi, ne nous paraît pas admissible !
Jour après jour, les Français sont les témoins impuissants de cette profonde dérive « du vivre ensemble » et des valeurs. L’uniforme ne protège plus ; au contraire, il devient une cible. À mes yeux, mes chers collègues, notre pays marche sur la tête.
Nous devons donc prendre toutes les mesures pour nous adapter à cette nouvelle situation. Le contrat social vole en éclats à cause d’une infime minorité. Nous sommes indignés par la situation actuelle. Avec mon collègue Pierre Charon et les sénateurs du groupe UMP, nous avons donc décidé de réagir et de déposer cette proposition de loi.
Nous souhaitons, monsieur le ministre, que notre indignation soit partagée sur toutes les travées et que l’appel que nous lançons puisse faire bouger les lignes en faveur des forces de l’ordre, qui n’ont pas à payer un si lourd tribut aux voyous.
Ce malaise parmi les policiers et les gendarmes et que ressent aussi la population est confirmé au quotidien par l’aggravation de la violence meurtrière contre les forces de l’ordre. Tout le monde le reconnaît, y compris notre collègue rapporteur, qui évoque elle-même le « constat, incontestable, de l’augmentation dans notre société de la violence et de l’usage des armes ».
Mieux qu’un long discours, quelques exemples récents illustrent la gravité de la situation que nous entendons combattre.
En juin 2012, deux femmes gendarmes ont été abattues à Collobrières. Le meurtrier a assommé l’une des deux militaires pour lui prendre son arme, avant de l’abattre dans l’appartement qu’il cambriolait. Il a ensuite poursuivi la seconde et l’a tuée en pleine rue, sur la placette du village. Elles étaient armées, et ce sont elles qui sont mortes !
Le 16 août 2012, à Cagnes-sur-Mer, ma ville, un malfaiteur multirécidiviste a lui aussi tenté de s’emparer de l’arme d’une policière nationale qui le tenait en joue alors qu’il venait d’être pris en flagrant délit de cambriolage. Le pire fut évité, de justesse, mais pourra-t-il toujours l’être ?
En octobre 2012, le capitaine Brière a été tué par le chauffeur d’un véhicule qui a foncé sur lui alors qu’il portait son brassard et qu’il était sur le côté de la chaussée. Il avait sorti son arme mais il n’a pas tiré… Nous avons tous deux assisté, monsieur le ministre, aux obsèques de cet homme courageux et vous avez vous-même qualifié sa mort « d’intolérable, d’insupportable, d’inqualifiable ». Vous aviez cent fois raison ; mais il est mort !
La semaine dernière, dans une commune littorale des Alpes-Maritimes, à la suite d’un vol à main armée, les gendarmes se sont retrouvés braqués par les malfaiteurs. Ils n’ont pas tiré, mais que ce serait-il passé si les malfaiteurs avaient ouvert le feu ? Les gendarmes me l’ont dit eux-mêmes au téléphone : si ceux-ci avaient tiré, eux-mêmes ne seraient plus là aujourd’hui !
Voilà la situation. Si nous continuons ainsi, nous aurons sans doute à déplorer de nouvelles victimes.
D’autres affaires, à Chambéry, en Corse, dans le Cher, confirment la violence des malfaiteurs face à des forces de l’ordre qui se retrouvent dans une situation impossible.
Pourquoi impossible ? Parce que le cadre légal actuel est interprété par la jurisprudence de telle façon que les forces de l’ordre, les hommes de terrain qui, même s’ils ne la maîtrisent pas totalement, connaissent l’interprétation jurisprudentielle, n’osent pas utiliser leurs armes, y compris dans une situation de légitime défense où leur vie est pourtant en jeu. C’est un comble, et tout cela en raison des conséquences judiciaires, administratives, voire financières, de l’emploi de leur arme par les policiers et les gendarmes !
Du fait du cadre juridique actuel, les forces de l’ordre de terrain préfèrent, comme plusieurs me l’ont déclaré, ne pas utiliser leur arme. Elles ont le sentiment, comme la population, de ne pas avoir plus, si ce n’est pas moins, de droits que les malfaiteurs qui les agressent. Il s’agit là d’un vrai problème, non pas juridique, non pas judiciaire, non pas administratif, mais moral. Nous nous trouvons dans une situation amorale, où le bon peuple constate que les policiers se font tirer dessus et meurent alors que les malfaiteurs arrivent à s’échapper et restent, eux, en vie.
Cette situation, complètement anormale et, je l’ai dit, amorale, heurte le bon sens. Aussi, avec Pierre Charon, proposons-nous une modification de la législation sur la légitime défense et l’usage des armes afin de mieux protéger les forces de l’ordre.
Il est en effet nécessaire de donner aux policiers et aux gendarmes un cadre légal plus protecteur, ainsi que les moyens d’agir appropriés pour tenir compte de la violence des délinquants d’aujourd’hui, laquelle ne ressemble pas à la violence des délinquants d’hier. Comme nous venons de le voir, l’actualité confirme la dangerosité des malfaiteurs, dont certains n’hésitent plus à ouvrir le feu et donc à tuer. En tant que législateurs nous nous devons, me semble-t-il, de réagir pour protéger ces hommes et ces femmes qui risquent leur vie tous les jours.
Cette crainte conduit à des situations paradoxales : d’un côté, le risque de voir se multiplier le nombre des blessés et des morts dans les rangs des forces de l’ordre ; de l’autre, la diffusion de directives à l’image de celle qui a été adressée par un haut responsable départemental à ses hommes à propos de l’engagement des personnels face aux raids nocturnes contre les magasins de téléphonie et dans laquelle il demande à ceux-ci, premièrement, de s’abstenir de toute poursuite du ou des véhicules utilisés, deuxièmement, d’aborder la scène du crime seulement après s’être assuré du départ effectif des malfaiteurs, troisièmement, de s’abstenir de toute intervention en se tenant sur un point d’observation sans engager d’action !
Une telle attitude peut surprendre, mais elle est en fait conforme à l’état actuel du droit et à la jurisprudence. Ce chef voulait tout simplement protéger ses hommes et sauver leurs vies. Voilà où nous en sommes réduits et voilà pourquoi il est nécessaire, selon nous, de faire évoluer le cadre légal vers un dispositif plus protecteur. Tel est l’objet de notre proposition de loi.
Je le répète, la présente proposition de loi a pour objet, d’une part, de renforcer le régime juridique des policiers pour le rapprocher de celui des gendarmes en instituant au bénéfice des policiers une disposition semblable à la mesure figurant à l’article L. 2338-3 du code de la défense et, d’autre part, de créer deux nouvelles présomptions de légitime défense en faveur des policiers et des gendarmes intervenant dans le cadre du dispositif que nous proposons.
Je ne terminerai pas mon intervention sans évoquer une difficulté particulière de ce dossier que j’ai soulevée précédemment. En effet, l’interprétation du droit, que ce soit par la Cour européenne des droits de l’homme ou, désormais, par la chambre criminelle de la Cour de cassation, pose, me semble-t-il, un vrai problème. Ainsi, l’arrêt Ülüfer c. Turquie rendu au mois de juin 2012 par la première de ces instances puis suivi par la chambre criminelle de la Cour de cassation définit désormais un cadre particulièrement restrictif de l’usage des armes pour nos forces de l’ordre, quelles qu’elles soient, police ou gendarmerie.
La mission Guyomar confirme : « Au-delà des textes, la particularité du domaine de l’usage de la force armée est d’avoir été considérablement modelé, dans un sens restrictif par la jurisprudence. » Ce n’est pas le législateur, ce n’est pas nous, parlementaires, qui avons demandé une telle restriction. Nous, nous avons des comptes à rendre au peuple. Nous, nous sommes élus par le peuple.
Le rapport de la mission précitée poursuit : « Le résultat original en est désormais que les critères jurisprudentiels […] priment finalement sur la question du respect des cas légaux d’ouverture du feu. »
C’est la Cour européenne des droits de l’homme qui pose la condition d’« absolue nécessité », qu’elle apprécie de plus en plus sévèrement.
En bref, quelles que soient les différences du cadre légal national, les agents de la police nationale comme de la gendarmerie se retrouvent jugés de la même manière à l’aune du critère fondamental « de la prééminence du respect de la vie humaine », principe devant lequel nous ne pouvons que nous incliner. La France est un pays de grande culture, mais devons-nous pour autant accepter de voir nos policiers et nos gendarmes sacrifiés ?
Dans le sillage de la Cour européenne, la chambre criminelle de la Cour de cassation exige, à son tour, que le recours à la force meurtrière soit « absolument nécessaire ». Même dans les cas d’usage légal de l’arme, la Cour vérifie que les critères d’existence d’un danger actuel, d’absolue nécessité et de proportionnalité de la riposte sont véritablement remplis. De même, elle fait une appréciation tout autant restrictive des dispositions de l’article L. 2338-3 du code de la défense.
Bref, la jurisprudence a démantelé le cadre légal national existant qui, selon la mission Guyomar, « est désormais largement dépourvu d’efficacité juridique ». La messe est dite !
Ce faisant, cette jurisprudence n’équivaut-elle pas, en pratique, à une présomption de culpabilité à l’encontre du policier ou du gendarme et ne heurte-t-elle pas la présomption d’innocence qui, à ma connaissance, a valeur constitutionnelle ?
Face à ces incertitudes, mes collègues, dont Pierre Charon, et moi-même pensons que le statu quo n’est plus admissible. Le malaise est réel. Voilà bientôt près d’un an, la mission Guyomar a fait vingt-sept propositions, toujours non mises en œuvre à notre connaissance.
Monsieur le ministre, les Français ne comprennent pas cette situation, qui paraît inéquitable et déséquilibrée. Aussi, en attendant que le gouvernement auquel vous appartenez se manifeste, nous, nous avons décidé d’agir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Virginie Klès, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de rectifier quelques confusions qui ont pu ressortir de mes propos, lesquels ont été interprétés à l’instant par notre collègue Louis Nègre. Je souhaite, notamment, éclaircir les appels que je lance, dans mon rapport, à une meilleure protection des policiers comme des gendarmes.
À l’instar des préconisations de la mission Guyomar, que vous avez abondamment citée, mon cher collègue, la protection demandée est non pas pénale mais fonctionnelle. À cet égard, à la suite des propositions de cette mission, je le sais, les services du ministère travaillent actuellement en liaison étroite avec les organisations syndicales et tous les intervenants de la chaîne policière et de la chaîne judiciaire afin d’améliorer effectivement cette protection fonctionnelle des policiers. Je n’ai jamais appelé à une amélioration de la protection pénale, qui, aux yeux de la commission et de moi-même, semble suffisante aujourd’hui.
Pour ce qui concerne d’autres propos que vous me prêtez relatifs à la réponse à la violence, vous n’êtes pas non plus allé jusqu’au bout de ma démarche. Il me semble important de le relever dans cette enceinte. J’ai dit que, en réponse à la violence et pour le retour de l’autorité, que nous prêchons tous dans cet hémicycle, il faut des réponses qui peuvent être fermes, dures, intransigeantes, mais qui sont non violentes car réfléchies. Il ne s’agit pas de délivrer une escalade de réponses non réfléchies, instinctives à l’imitation des délinquants.
Par ailleurs, certains propos qui figurent notamment dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi soulèvent un problème. Ils ont fait bondir plusieurs membres de la commission, y compris certains collègues appartenant à votre groupe politique, monsieur Nègre, autrement dit de l’opposition actuelle. Aujourd’hui, on ne peut pas affirmer publiquement, me semble-t-il, que les délinquants et les forces de l’ordre sont traités sur un même pied d’égalité par la justice sans mettre les forces de sécurité en danger.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Il est urgent et important d’affirmer que c’est bel et bien le contraire. Si vous lisiez jusqu’au bout les textes au lieu de faire, comme vous avez affirmé le faire, de la politique uniquement pour gagner des élections et non pas pour faire passer des convictions et pour vous mettre au service de votre pays,…
M. Louis Nègre. Ne vivez pas dans votre bulle !
Mme Virginie Klès, rapporteur. … vous auriez pu constater que dans les textes en vigueur, en particulier dans le code pénal, une rébellion contre l’autorité des forces de l’ordre ne peut jamais constituer un cas de légitime défense. En aucun cas, et même si l’arrestation se passe dans des conditions un peu à la limite de la légalité, des délinquants, ou des non-délinquants d’ailleurs, bref des citoyens qui se rebellent contre les forces de l’ordre ne peuvent être considérés comme étant en état de légitime défense. Par conséquent, ne mettons ni les policiers ni les gendarmes en difficulté de ce point de vue.
Mon cher collègue, on ne peut pas affirmer que, en France, les juges, la justice sont du côté de la délinquance. C’est dangereux de le faire vis-à-vis tant des délinquants que de nos policiers.
M. Louis Nègre. Ce qui est dangereux, ce sont les morts !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Parlons-en ! Moi aussi, dans ma commune, j’ai été confrontée à la mort de trois gendarmes il y a quelques années. Je suis d’ailleurs parfois encore en contact avec certains de leurs collègues. Je peux vous dire que ce ne sont pas les dispositions du droit pénal, une quelconque hésitation, ou encore un enjeu de protection pénale qui ont entraîné ce drame malheureux.
Je déteste que l’on invoque l’honneur des policiers et des gendarmes, que l’on se réfère à des drames, qui sont aussi familiaux, pour faire passer de fausses idées, circuler de fausses rumeurs et faire de la politique pour gagner des élections.
M. Louis Nègre. C’est vous qui voulez gagner les élections ! Ce n’est pas moi !
M. Philippe Marini. Nous sommes tous là pour gagner des élections !
M. Gérard Longuet. Ce n’est pas déshonorant !
M. Philippe Marini. Nous ne sommes pas là pour nous faire battre !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Les gendarmes que je viens de citer sont morts car ils n’ont pas pris les précautions nécessaires. Intervenant auprès d’une famille qu’ils connaissaient, ils ont sous-estimé la dangerosité de la situation et ne se sont pas suffisamment protégés eux-mêmes.
M. Louis Nègre. Bref, c’est leur faute !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Gérard Longuet. Un petit peu !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Monsieur Nègre, il me semble que l’autorité et la confiance se reconstruisent dans un pays d’abord avec le respect des uns envers les autres, y compris des paroles des sénateurs même quand celles-ci sont prononcées par des femmes qui se mêlent de sécurité…
M. Philippe Marini. Nul n’a le monopole du respect !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Je n’ai pas interrompu votre intervention. Je ne me suis pas permis d’interpréter vos propos avant que vous les ayez terminés. Je vous demanderai de respecter la parole des autres, du rapporteur qui est porte-parole de la commission et non de ses seules opinions. Je vous remercie !
M. Louis Nègre. Pff !