M. Philippe Marini. Tout va bien !
M. Alain Richard. Mieux !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. En tout cas, cela va beaucoup moins mal que précédemment, monsieur Marini.
M. Philippe Marini. Réjouissons-nous !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je voudrais quand même vous rappeler, vous qui aimez les chiffres, que vous nous avez laissé 75 milliards de déficit du commerce extérieur.
M. Philippe Marini. Celle-là, on nous l’a déjà faite !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Peut-être, mais on l’a bien ressenti, car cela fait partie des choses que nous sommes obligés de corriger. Le doublement de la dette en cinq ans et le creusement abyssal des déficits vous confèrent toute l’autorité nécessaire pour nous donner des leçons que nous recevons avec une grande humilité…
M. Philippe Marini. C’est facile !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je ne cède pas à la facilité : je rappelle tout simplement la vérité des chiffres !
M. Philippe Marini. Faites preuve d’un peu plus d’imagination !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. La rigueur des chiffres nous impose une réalité qui nous interdit toute forme d’imagination. Elle semble vous poser beaucoup de difficultés, et je le regrette. Pourtant, entre personnes honnêtes et de bonne compagnie, il devrait être possible d’examiner ces chiffres avec lucidité.
M. Philippe Marini. Tous ceux qui ne sont pas de votre avis sont malhonnêtes !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Absolument pas ! Je le répète, les chiffres sont là : vous avez doublé la dette en cinq ans, vous avez laissé un déficit budgétaire abyssal et un déficit du commerce extérieur de 75 milliards d’euros, ce qui vous autorise à donner des leçons de sérieux budgétaire et de compétitivité économique…
M. Philippe Marini. Allez-y ! Continuez comme ça !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je ne le ferai pas, car ce que j’ai dit devrait suffire à vous éclairer.
M. Philippe Marini. Vous voulez faire taire vos opposants avec une vérité officielle !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Il n’y a pas de vérité officielle, mais la vérité des chiffres fournis par des institutions françaises auxquelles vous vous êtes souvent référé lorsqu’il s’agissait de nous accabler. En revanche, lorsqu’il s’agit de regarder en face la situation que vous nous avez laissée, les institutions de la République ne donnent plus les bons chiffres ! Pour moi, cette attitude est le contraire de l’honnêteté intellectuelle, mais peut-être ai-je tort, monsieur Marini ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Marini. Seuls vos amis sont honnêtes, c’est bien connu !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je souhaite donc que ce débat soit l’occasion de faire la clarté sur tous ces sujets, et notamment sur ce que nous avons fait. Comme je suis très impatient de vous entendre m’apporter la contradiction, monsieur Marini, j’arrête là mon propos et je retourne à ma place afin de vous entendre développer vos vérités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui va se tenir les 14 et 15 mars prochain est particulièrement important. En effet, il va se prononcer sur les lignes directrices de l’Union européenne concernant les programmes de stabilité et les programmes nationaux de réforme, dont M. le ministre vient de nous détailler la teneur. Je remercie donc tout particulièrement M. le président du Sénat d’avoir veillé à ce que ce débat se tienne aujourd’hui à un horaire convenable. Je remercie aussi M. le ministre de sa disponibilité pour répondre à nos questions.
Les récentes prévisions de la Commission européenne confirment malheureusement la dégradation de la conjoncture économique qui concerne l’ensemble de l’Union européenne. Selon la Commission européenne, la croissance économique ne devrait atteindre que 0,1 % en 2013 dans l’Union et, dans la seule zone euro, l’économie devrait se contracter de 0,3 %. Cette faiblesse de l’économie devrait avoir des conséquences directes sur le chômage : le taux de chômage devrait atteindre 11,1 % dans l’Union européenne et 12,2 % dans la zone euro, avec des pics extrêmement inquiétants pour le chômage des jeunes. On ne peut imaginer que cette conjoncture économique très dégradée ne soit pas prise en compte dans la définition des lignes directrices pour les politiques nationales.
L’effort de stabilisation des finances publiques répond à une exigence et doit être poursuivi avec détermination. La France a engagé, en 2012 et en 2013, un effort d’ajustement structurel sans précédent, mais cet effort doit aussi s’inscrire dans la durée, selon un calendrier réaliste. Dès lors que la conjoncture économique se dégrade, chacun peut comprendre que ce calendrier doive être adapté – il l’a d’ailleurs été. Le Fonds monétaire international lui-même a récemment émis une mise en garde contre l’excès d’austérité. Comme nous le disons souvent, mieux vaut éviter que le malade ne meure guéri !
Il faut aussi poursuivre les réformes structurelles et agir pour la compétitivité de nos économies. Depuis dix mois, la France est engagée dans ce sens : nous avons adopté un pacte national pour la compétitivité et l’emploi et nous allons bientôt transcrire dans la loi l’accord historique entre les partenaires sociaux qui réforme en profondeur le marché du travail.
Dans le même temps, l’Union européenne doit elle-même mettre au premier plan le soutien à la croissance. La France a contribué à ce débat au sein des instances européennes et elle a été entendue, avec l’adoption, en juin 2012, du pacte européen pour la croissance et l’emploi. Il faut poursuivre dans cette voie et aboutir rapidement à des réalisations concrètes.
L’emploi des jeunes doit être la priorité des priorités. En décembre, la Commission européenne a proposé un train de mesures dans ce domaine. Grâce à la détermination du Président de la République, la France a obtenu, lors du Conseil européen de février, la création d’un fonds de lutte contre le chômage des jeunes. Ce fonds de 6 milliards d’euros sera destiné aux régions où le taux de chômage des jeunes dépasse les 25 %. Ma région va en bénéficier, mais j’aurais évidemment préféré qu’elle ne soit pas concernée. Je mesure donc, à titre personnel, l’importance pour nos territoires d’une action européenne bien orientée.
Intensifier cette action est d’autant plus nécessaire que l’Europe sert souvent de bouc émissaire en période de difficultés nationales. Nous le constatons tous les jours, et les résultats des récentes élections italiennes viennent de nous le rappeler. Le rétablissement des finances publiques ne sera donc compris que s’il s’accompagne d’une plus grande solidarité et d’une action énergique pour la croissance et l’emploi.
Malheureusement, l’épisode de la négociation du cadre financier pluriannuel a cruellement révélé l’altération de l’esprit de solidarité. Le budget européen est, par définition, un exercice de solidarité ; il doit aussi refléter une certaine vision de l’Europe. Or, nous le savons tous, le sens même du projet européen est aujourd’hui discuté. La France doit donc continuer à œuvrer, comme elle le fait depuis dix mois, afin de redonner du sens au projet européen en le réorientant pour qu’il réponde aux attentes de nos concitoyens.
L’absence de véritables ressources propres de l’Union européenne a perverti la négociation, car les États membres se sont focalisés sur leur solde net, c’est-à-dire sur la différence entre ce qu’ils versent et ce qu’ils reçoivent du budget européen. Cette logique prévaudra tant que le budget sera financé par des contributions nationales, ce qui est la négation même de la solidarité européenne ! C’est pourquoi nous devons travailler à la création de nouvelles ressources propres, comme le Sénat l’a souligné en décembre dernier.
Dans ce contexte très difficile, la France a bien négocié. Quand on se souvient de la manière dont les discussions s’étaient engagées, nous avons réussi à éviter le pire. De plus, nous ne sommes qu’à la première étape du processus, je tiens à insister sur ce point. En effet, le Parlement européen dispose d’un réel pouvoir, puisqu’il doit maintenant donner son approbation au budget adopté par le Conseil. Je souhaite donc qu’il mette ce pouvoir à profit pour revoir à la hausse certaines enveloppes. Ce serait la preuve que l’esprit de solidarité a encore un sens en Europe !
Puisque l’on va fixer des lignes directrices sur les politiques nationales, nous devons aussi nous interroger sur leur coordination. D’un côté, certains pays ont des excédents et une compétitivité élevée ; de l’autre, se trouvent des États qui luttent pour réduire leurs déficits. Que les premiers relancent leur demande intérieure serait bénéfique pour l’ensemble de l’Union européenne. C’est aussi cela, la solidarité européenne !
Notre débat se déroule alors que se développent les réflexions sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire. Le Conseil européen de décembre a adopté une feuille de route et celui de juin prendra des décisions. Il est indispensable que ces décisions concilient la rigueur financière avec une approche dynamique en faveur de la croissance et de l’emploi – j’insiste toujours sur ces deux mots. Pour cela, il faut renforcer l’intégration à partir d’objectifs partagés.
Nous travaillons à rendre nos économies plus fortes et plus compétitives, mais nous avons aussi besoin d’une harmonisation des politiques fiscales et d’actions ambitieuses, sur le plan européen, pour développer les infrastructures et encourager la recherche. À cette fin, nous avions insisté, dans notre résolution de décembre 2012, sur l’importance du projet de mécanisme européen d’interconnexion dans ses trois volets, transports, énergie et numérique. Or la diminution, envisagée par le Conseil européen, de 50 milliards d’euros à 30 milliards d’euros des moyens consacrés à ce mécanisme d’interconnexion est particulièrement préoccupante. Nous sommes aussi inquiets des moyens qui seront alloués au programme de recherche Horizon 2020. Où est le souci de la croissance ?
Enfin, une Europe réorientée, c’est une Europe dotée d’une véritable ambition sociale. Face à la situation de l’emploi, la solidarité doit s’exercer à l’égard des territoires durement touchés par le chômage. C’est l’intérêt du fonds de lutte contre le chômage des jeunes, dont la France a obtenu la création ; c’est aussi l’enjeu du fonds d’adaptation à la mondialisation ou du fonds d’aide alimentaire, qui, à la demande du Président de la République, sera maintenu à un niveau de 2,5 milliards d’euros. Il est cependant inquiétant de voir certains pays remettre en cause ce type de mécanisme lors des débats européens.
Comme nous l’avons déjà dit, nous verrions également un avantage à lancer des emprunts communs entre États membres. Ils seraient l’expression de cette solidarité concrète que l’Europe doit traduire aujourd’hui si elle veut éviter la désaffection des peuples, défi majeur de l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission des finances.
Mme Michèle André, vice-présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, François Marc, retenu dans son département par des conditions météorologiques difficiles, aurait dû s’adresser à vous aujourd’hui. Je vais donc tenter de vous entretenir pendant quelques minutes de la question suivante : pourquoi ne nous intéressons-nous pas plus à l’Europe ? J’espère que nous trouverons le moyen d’en faire un peu plus chaque jour pour apprécier davantage cette Europe et nous en sentir toujours plus parties prenantes, plutôt que de la considérer uniquement en spectateurs critiques.
Ce débat préalable au Conseil européen des 14 et 15 mars souligne la volonté du Parlement d’occuper toute sa place dans ce qu’il convient désormais d’appeler le « semestre européen ». En effet, la prochaine réunion du Conseil européen va traiter de questions importantes relatives à la trajectoire économique et budgétaire des pays européens, dont celle de la France.
Dans ses recommandations adressées à la France en juin 2012, le Conseil européen avait rappelé l’objectif de ramener notre déficit public à 3 % du PIB en 2013. Faut-il encore le rappeler, au moment de ces recommandations, la Commission européenne estimait la croissance du PIB à 1,3 % pour l’année 2013 ?
Cet objectif, on le sait, ne sera pas atteint, en raison de la dégradation de la situation économique dans l’ensemble de la zone euro. À cet égard, certains semblent tentés de verser dans le catastrophisme, mais cela n’a pas de sens : vouloir coûte que coûte ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013, sans considérer le contexte économique, provoquerait une récession qui nuirait en retour à notre trajectoire de redressement. La Cour des comptes ne recommande d’ailleurs pas de prendre des mesures supplémentaires dès 2013 pour atteindre l’objectif des 3 %, mais insiste sur la réalisation effective de l’effort structurel programmé.
Notre crédibilité repose sur notre détermination à redresser durablement nos finances publiques. Pour la première fois, les dépenses de l’État en 2012 ont été inférieures à celles de l’année précédente ; s’agissant de l’année 2013, l’effort budgétaire est jugé « sans précédent » par la Cour des comptes elle-même ! Enfin, entre 2010 et 2013, selon la Commission européenne, la réduction de notre déficit structurel se sera établie à plus de 4 points de PIB, comme la France s’y était engagée. Cette détermination ne peut donc être mise en doute et justifie que nous obtenions de nos partenaires européens le report à 2014 de l’objectif de retour du déficit sous la barre des 3 % du PIB.
En juin 2012, il faut le rappeler, le Conseil n’avait pas fait référence au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, le TSCG, qui raisonne uniquement en termes de solde structurel, car celui-ci n’était pas encore entré en vigueur. Toutefois, les institutions communautaires devront prendre en compte cette évolution de la gouvernance de la zone euro, qui, si elle ne modifie pas le pacte de stabilité, aura nécessairement des conséquences sur la manière dont elles décideront de l’appliquer.
S’agissant des prévisions de déficit public pour 2013 et 2014, personne, pas même la Commission européenne, n’est capable de dire aujourd’hui avec certitude ce que seront la croissance du PIB et l’évolution de nos recettes en fonction de celle-ci. Ces prévisions montrent cependant quel effort supplémentaire nous pourrions avoir à produire en 2014 pour faire en sorte que notre déficit public soit sensiblement inférieur à 3 % du PIB.
Le Gouvernement a engagé cet approfondissement de l’effort ; c’est le sens des audits qu’il a demandés dans le cadre de la modernisation de l’action publique et de la réflexion menée en vue d’une nouvelle réforme des retraites. Ce sont ces réformes, plutôt que des mesures destinées à faire passer le déficit public sous la barre des 3 % du PIB dès 2013, sans que soient considérées leurs conséquences immédiates et futures, qui permettront de sécuriser durablement notre redressement et qu’attendent nos partenaires européens comme, d’ailleurs, les investisseurs.
Le Gouvernement a pris des mesures importantes pour relancer la croissance et dynamiser le marché du travail. Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi doit permettre aux entreprises d’embaucher, d’investir et de gagner des parts de marché. Dans ce cadre, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi a opéré un déplacement significatif de la fiscalité du travail vers la TVA et la fiscalité écologique, laquelle doit favoriser notre transition énergétique.
Au-delà de ce pacte, l’accord national interprofessionnel conclu en janvier dernier, dont la transcription dans la loi sera prochainement soumise à notre examen, devrait permettre de dynamiser notre marché du travail.
Ces mesures visent à renouer avec une croissance durable et à améliorer notre compétitivité ; elles ne sont certainement pas en contradiction avec les recommandations adressées à la France par le Conseil européen en juin 2012, recommandations qui, d'ailleurs, rejoignent celles que plusieurs organisations internationales et observateurs étrangers nous ont faites.
Il s’agit donc de convaincre pleinement ceux de nos partenaires européens qui auraient encore des doutes sur ce point de notre détermination à redresser nos finances publiques et à renouer avec une croissance plus forte, afin d’obtenir le report d’une année de l’objectif de retour de notre déficit public sous la barre des 3 % du PIB. Il faut aussi inviter le Conseil européen à préconiser des orientations favorisant le retour de la croissance et l’amélioration de la situation de l’emploi dans l’ensemble de l’Union européenne, car c’est dans la faible croissance que réside la cause de nos déficits, au-delà de la part structurelle que tous les pays européens s’emploient désormais à résorber. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. François Trucy applaudit également.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes au porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Le Gouvernement répondra ensuite aux commissions et aux orateurs.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans ignorer l’importance du premier point inscrit au programme du Conseil européen de cette semaine – nous en avons parlé –, je centrerai mon propos sur le second item figurant au projet d’ordre du jour, qui porte sur les relations extérieures de l’Union européenne.
En effet, le Conseil européen sera l’occasion de procéder « à un échange de vues ouvert sur les relations avec les partenaires stratégiques », étant entendu qu’il « ne devrait pas adopter de conclusions écrites sur ce sujet ». Cette formulation n’a rien d’original ; elle est même assez habituelle pour les Conseils européens.
Cependant, le contexte actuel n’est pas anodin, en particulier s’agissant des « partenaires stratégiques » de l’Europe, entendus ici principalement au sens économique.
Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec l’annonce du lancement prochain de négociations visant à instaurer un accord de libre-échange qui engloberait les deux rives de l’océan Atlantique, Union européenne et États-Unis, récemment faite par le Président Obama. Cet accord serait le plus important de ce type jamais conclu dans le monde. Il concernerait le tiers du commerce international et la moitié de la production économique globale ; autant dire que son rôle de régulation et son impact sur l’économie mondiale seraient centraux !
Certes, il est plus habituel d’évoquer ces sujets dans le cadre de discussions sur les questions commerciales qu’à l’occasion d’un point sur les affaires extérieures. Toutefois, il paraît difficile de ne pas prêter une dimension stratégique globale à ce nouveau partenariat éventuel avec les États-Unis.
Que savons-nous, à cette heure, du dialogue qui s’ouvre ?
D’abord, nous savons qu’il devrait débuter formellement cet été. En effet, c’est le Conseil européen du mois de juin qui devrait donner à la Commission européenne le mandat par lequel elle mènera les négociations, d’où l’intérêt des discussions informelles qui s’amorcent maintenant.
Ensuite, si l’on en croit les précédents, notamment la recherche d’un accord du même type avec le Canada, nous pouvons craindre que ce dialogue ne brille pas non plus tout à fait par sa transparence.
Enfin, les sujets abordés sont aujourd'hui loin d’être consensuels.
En l’occurrence, cet accord de libre-échange ne devrait pas diminuer drastiquement les droits de douane, déjà très faibles. On parle de taux moyens situés aux alentours de 3,5 % pour les importations depuis l’Europe vers les États-Unis et de 5,2 % en sens inverse. On peut toutefois remarquer – c’était le sens de l’intervention précédente – qu’une nouvelle restriction affaiblira d’autant le budget de l’Union : les droits de douane, déjà presque marginaux suite à d’autres accords similaires, représentent aujourd’hui environ 15 % de ce dernier. Il faudra quand même voir comment compenser cette diminution si nous voulons toujours donner une certaine ambition au budget européen et à sa capacité d’agir sur l’économie européenne !
Cela étant, c’est dans le domaine de la réglementation sanitaire, sociale ou environnementale que cet accord pourrait avoir le plus d’impact. Et ses conséquences pourraient bien s’avérer négatives pour les citoyens et les consommateurs européens !
Nous le savons, la conception que les États-Unis et l’Europe ont de la protection des données personnelles diffère radicalement l’une de l’autre, ce qui pose déjà des problèmes avec des géants comme Google ou Facebook, dont le modèle économique repose justement sur la commercialisation de ces données ; la presse s’en est largement fait l’écho ces derniers temps. Cette question promet d’être complexe.
Les États-Unis et l’Europe ont aussi une vision totalement différente des modes de production alimentaire et du principe de précaution. La politique agricole commune est déjà problématique sur un certain nombre de points. Mais on parle ici de la possible importation d’OGM, de volailles traitées au chlore ou de porcs soignés à fortes doses d’antibiotiques ! Les élus et le lobby agroalimentaire américains ont d’ores et déjà écrit à l’administration Obama pour réclamer que ces points précis soient compris dans les négociations. Or ce serait évidemment pour nous une évolution totalement inacceptable, dont l’éventualité même paraît absurde aujourd’hui, alors que nous nous trouvons au milieu de scandales sanitaires à l’ampleur non négligeable.
Monsieur le ministre, je tiens à dire cet après-midi que, sur ce point, vous trouverez, à l’échelle européenne, des écologistes particulièrement attentifs et mobilisés pour la défense de l’environnement et de la santé des consommateurs.
Au vu de ces enjeux, le débat se devra donc d’être transparent et d’associer les instances législatives et la société civile.
Les écologistes ne sont pas opposés a priori à l’idée d’accords commerciaux. Mais cette idée ne doit pas conduire à un nivellement par le bas de règles dont le seul but est de protéger la santé, la vie privée ou le bien-être des Européens.
En conclusion, les rapprochements entre législations sont évidemment possibles. Toutefois, un accord avec les États-Unis aussi étendu ne serait pertinent que dans la mesure où il instaurerait un terrain d’entente minimale qui constituerait déjà un mieux-disant par rapport aux pratiques actuellement en vigueur dans le monde sur toutes ces questions, mais aussi, plus globalement, sur les questions relatives au climat ou à la préservation de ressources. Il serait alors bien plus aisé d’influencer ces pratiques, compte tenu du poids qu’aurait un tel marché par rapport aux autres acteurs économiques. C’est véritablement dans ce cadre que nous devons appréhender l’ouverture d’une telle négociation.
Après les annonces de l’administration Obama sur la nécessité de répondre aux défis du changement climatique, engagement confirmé par la nomination de John Kerry, avec, en perspective, la fin du cycle de négociations climatiques entamées à Durban voilà maintenant un peu plus d’un an – négociations qui s’achèveront à Paris en 2015 –, nous devons plus que jamais lier négociations commerciales et climatiques pour aboutir à un accord de régulation globale, vital pour l’avenir de nos sociétés.
L’expérience nous montre que l’échec des précédentes négociations climatiques est justement venu de notre incapacité à lier le commercial et l’environnement ; tel a tout particulièrement été le cas à Copenhague. À partir du moment où les grandes négociations s’ignorent, elles sont condamnées à l’échec.
Cette fois, le calendrier de l’administration Obama est cohérent ou tout du moins compatible avec les échéances en matière de négociations environnementales. C’est une chance que nous ne devons pas laisser passer.
Le volontarisme européen sur le climat ne doit pas être limité aux discours de façade ; il doit s’insérer dans une logique cohérente de toute la diplomatie européenne. Les négociations commerciales bilatérales en font partie, avec les États-Unis mais aussi, évidemment, avec la Chine et les grands pays émergents.
En effet – soyons lucides –, l’aggravation des crises environnementales, qui se déclineront en crises alimentaires et sociales, conduira sans nul doute au repli et à la fin du libre-échange. Ceux qui pensent que l’échange économique mondial est globalement bénéfique doivent donc intégrer urgemment dans leurs propres logiciels les enjeux environnementaux, s’ils ne veulent pas, demain, assister impuissants aux replis nationaux dans un monde en souffrance.
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, pour le groupe UMP.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me semble que jamais la distance entre l’Europe institutionnelle et nos concitoyens n’a été aussi grande qu’en ce début d’année.
Jamais la distance entre les propos officiels, techniques, technocratiques que l’on nous tient et la réalité vécue n’a été aussi considérable.
M. Roland Courteau. C’est vous qui le dites !
M. Alain Richard. Vous manquez de mémoire !
M. Philippe Marini. Cette distance est à l’image de celle qui sépare deux langages : le langage que notre pays tient à l’égard de ses partenaires dans les enceintes feutrées des réunions ministérielles ou institutionnelles, à Bruxelles ou ailleurs, et le langage du Gouvernement vis-à-vis de l’opinion publique et des représentants des divers milieux qui composent notre société.
Nous avons bien vu cette distance entre les opinions et l’Europe institutionnelle à l’occasion des élections italiennes. Tenons compte de cette réalité exprimée par le suffrage !
Sans doute avons-nous aussi affaire à des instances européennes, qui, bien souvent, font semblant, pour avancer, de laisser croire à l’existence d’un consensus ou d’une direction commune, alors que bien des points reposent sur l’à-peu-près ou le malentendu.
Ainsi en va-t-il de la coordination des politiques fiscales. Quand on lit les documents officiels, il est question de progresser en matière de fiscalité de l’énergie, de fiscalité de l’épargne ou encore vers une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés. Mais qu’en est-il en réalité ? Chacun le sait, aucune chance de faire progresser ces sujets n’existe à brève échéance, car tout dépend de l’avis d’un seul des vingt-sept membres de l’Union européenne.
Vous-même, monsieur le ministre, lorsque je vous ai interrogé sur le renflouement financier de Chypre lors d’un précédent débat, vous n’avez pas eu une seule parole sur l’impôt sur les sociétés au taux de 10 %. Bien entendu, comme tout à l'heure, vous m’avez répondu en incriminant le précédent gouvernement et le précédent Président de la République à propos des affaires irlandaises de l’époque.