M. Jean-Pierre Michel. La Suisse n’est pas un modèle !
Mme Hélène Lipietz. Si la Suisse n’est pas un modèle, la manière dont sont collectées les signatures peut l’être. En effet, le recueil se fait toujours sur papier ! (Mme Hélène Lipietz brandit deux feuilles permettant la collecte de signatures pour la tenue de référendums d’initiative populaire en Suisse.)
Cela permet aux personnes qui recueillent les signatures d’aller à la rencontre des citoyens, en faisant du porte-à-porte ou en les sollicitant dans les gares, par exemple, afin de nouer et d’entretenir un véritable lien civique. Comme quoi, le papier et les rapports humains ne constituent pas un frein à la démocratie !
C’est pourquoi j’assume totalement le prix de la démocratie : demander à un citoyen son soutien pour faire la loi relève d’un rapport de citoyen à citoyen, et non de citoyen à machine. D’ailleurs, nous savons que les machines peuvent faire l’objet de détournements. Même l’armée américaine en a été victime : souvenez-vous des drones Predator américains piratés en Irak à l’aide d’un logiciel qui coûte 30 dollars sur Internet !
La démocratie a un coût, mais ce n’est pas un luxe. À nous de savoir la faire vivre en ne la déshumanisant pas. Il faut même aller plus loin.
Nous, écologistes, sommes profondément attachés à toutes les formes de démocratie citoyenne, sans avoir peur d’aucun lobbyisme. Et nous regrettons les restrictions constitutionnelles à l’émergence de telles formes à un échelon national ou territorial.
Notre Constitution pourrait être bien plus ambitieuse que nous ne le sommes actuellement en actant un droit d’initiative citoyenne, et non plus seulement parlementaire. Voilà une belle et moderne proposition pour une future réunion du Congrès, n’est-ce pas ? Le droit d’initiative citoyenne fonctionne au niveau européen. Il est étonnant qu’il soit impossible de l’appliquer en France.
Pour mémoire, voire in memoriam, je rappelle que le droit de pétition auprès des assemblées parlementaires est consacré par l’article 4 de l’ordonnance du 17 novembre 1958.
Lors de la précédente législature, sur les trente-six pétitions reçues à l’Assemblée nationale, aucune ne fut renvoyée à un ministre ou à une commission permanente.
L’information fut plus difficile à trouver pour le Sénat, mais je peux vous dire que nous ne respectons pas l’article 88 de notre règlement, selon lequel les pétitions sont renvoyées à la commission des lois pour instruction !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Mais si ! Nous les examinons !
Mme Hélène Lipietz. Je suis ravie de l’apprendre. Figurez-vous que les pétitions ne sont même pas archivées sur le site du Sénat…
M. Jean-Pierre Michel. Heureusement !
Mme Hélène Lipietz. … alors même que nous devrions faire confiance aux machines pour récolter les signatures !
Ce que souhaitent les écologistes, ce sont de véritables initiatives citoyennes permettant d’inscrire à l’ordre du jour d’une assemblée nationale ou locale des sujets dont l’importance mobilise non pas simplement les lobbyistes, mais nos concitoyens, lesquels sont suffisamment intelligents pour décider eux-mêmes des textes qu’ils veulent voir débattus. Il ne s’agit pas seulement de soutenir une proposition de loi, comme le prévoit l’article 11 de la Constitution.
Ce que nous voulons, c’est un système qui permette d’adresser au Parlement un texte législatif réunissant les signatures d’un certain nombre de citoyens issus de l’ensemble des territoires de la République, à l’instar, encore une fois, de ce qui existe au niveau européen.
C’est également la possibilité de référendums locaux d’initiative citoyenne. L’élément déclencheur du retour aux urnes, ce ne sera ni l’interdiction du cumul des mandats ni la timide reconnaissance du vote blanc à laquelle nous invitent les auteurs d’un texte que nous examinerons tout à l’heure ; ce sera l’affirmation que la signature des citoyennes et des citoyens comptera, que leur voix sera entendue et que nous ne craignons nullement les lobbys !
Nous devons donc rendre nos concitoyens réellement acteurs de la vie politique, locale et nationale, et pas seulement lorsque nous les appelons aux urnes.
Madame la garde des sceaux, à mon sens, la démocratie telle que la concevaient voilà deux siècles Montesquieu et même Rousseau ne correspond plus à notre vision d’aujourd'hui. Montesquieu, que je me permets de critiquer très respectueusement et humblement, ignorait que les femmes faisaient partie du peuple ; c’était juste un petit oubli… (Sourires.) Pour lui, leurs « avantages naturels » étaient une « sorte de compensation qui les dissuaderait de revendiquer l’égalité avec les hommes », la nature ayant « distingué les hommes par la force et la raison. »
M. Jean-Pierre Michel. C’est la vérité ! (Mouvements divers.)
Mme Hélène Lipietz. La vérité, c’est que nous avons effectivement des avantages naturels ! (Sourires.)
J’en profite pour saluer une initiative qui, je pense, fera parler d’elle dans les mois et années à venir : le projet « Parlement et citoyens » vise à rapprocher les citoyens et les parlementaires, dans un esprit d’enrichissement mutuel et de coopération pour l’élaboration des lois de notre pays.
Je vous remercie de votre écoute, que je sais attentive. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. le rapporteur et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est un texte d’initiative partagée, dans son contenu comme dans sa procédure. À titre personnel, je m’en réjouis.
Ainsi que Mme le garde des sceaux l’a noté, notre débat intervient au cours de la semaine d’initiative parlementaire, dans le cadre de ce que l’on appelle la « niche » de l’UMP. Personnellement, je n’y vois aucun inconvénient.
Nous sommes au Sénat, et non à l’Assemblée nationale, madame le garde des sceaux.
M. Hugues Portelli. Nous n’avons pas demandé ce débat pour détourner une procédure législative en cours. Je vous rappelle d’ailleurs que l’examen du projet de loi sur le mariage pour les personnes du même sexe débutera dans le cadre de la niche du groupe socialiste, le 4 avril.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Absolument !
M. Hugues Portelli. Il s’agit donc d’un échange de bons procédés…
M. Hugues Portelli. … qui ne me dérange nullement.
J’ai parlé d’une « initiative partagée » parlementaire. En effet, nous saluons la qualité du travail effectué par notre président de commission et rapporteur, qui a examiné le texte avec beaucoup de loyauté et de rigueur intellectuelle. D’ailleurs, nous approuvons la version adoptée à la quasi-unanimité de la commission des lois. Ce travail est d’excellente qualité, et nous n’avons rien à y redire.
Mais puisque nous sommes là pour discuter, nous allons discuter ! Rassurez-vous cependant, mes chers collègues, je me contenterai de rappeler quelques éléments.
Le texte que nous examinons est une loi organique. Son objet est donc simple : il s’agit de faire appliquer la Constitution, et rien que la Constitution, une loi organique ne pouvant pas innover en la matière.
Chacun peut bien avoir son sentiment sur la modification de l’article 11 de la Constitution intervenue en 2008. Pour ma part, j’étais extrêmement réservé à l’égard d’une disposition qui n’apporte pas grand-chose à mes yeux et qui, de surcroît, est contradictoire.
Ayant été l’élève, dans une université située près d’ici, de René Capitant,…
M. Jean-Pierre Michel. Moi aussi !
M. Hugues Portelli. … j’ai suivi son enseignement sur Jean-Jacques Rousseau, qu’il vénérait.
Sachez que, avec une telle disposition, nous sommes très loin de la démocratie directe.
Cela étant, lorsque Jean-Jacques Rousseau lui-même a fait œuvre de constituant, en élaborant une loi fondamentale pour la Pologne, il a soigneusement rangé Du contrat social dans sa poche ; son projet de constitution n’avait en effet pas non plus, loin s’en faut, grand-chose à voir avec la démocratie directe.
La loi organique vise donc à faire appliquer la Constitution. Comme vous l’avez souligné à juste titre, il a fallu attendre près de cinq ans pour donner une traduction législative organique à une disposition constitutionnelle. C’est bien évidemment trop long. Il n’est pas normal que nous ayons dû attendre aussi longtemps.
Cela dit, on peut faire encore mieux : la révision constitutionnelle relative à la responsabilité du chef de l’État, adoptée en février 2007, ne s’applique toujours pas ! C’est d’autant plus scandaleux que la seule disposition en vigueur aujourd'hui concerne l’immunité du Président de la République, qui est d’applicabilité directe, quand les dispositions relatives à sa responsabilité n’ont toujours pas de traduction concrète. Je regrette pour ma part que, pendant toutes ces années, nous n’ayons jamais trouvé le temps d’examiner une loi organique sur le sujet !
Pourtant, un projet de loi organique avait été rédigé dès 2007. Il n’a été examiné à l’Assemblée nationale qu’en 2011. À ce propos, monsieur Sueur, le Sénat pourrait me semble-t-il examiner le texte voté au sein de la chambre basse et l’amender substantiellement, car la version adoptée par nos collègues députés ne me paraît pas vraiment satisfaisante.
Les lois organiques sont faites pour être examinées et votées dans des délais raisonnables après modification de la Constitution. En l’occurrence, tel n’a pas été le cas.
J’en viens au contenu du projet de loi organique. Comme nous l’avons indiqué en commission, nous souscrivons aux modifications qui ont été proposées par M. le rapporteur ; d’ailleurs, nous les avons toutes votées. Le débat porte donc sur les modalités de mise en œuvre.
D’abord, la loi référendaire sera, il est vrai, d’initiative parlementaire. Elle devra être signée par de très nombreux parlementaires. Autrement dit, les groupes réellement « minoritaires » ne pourront pas faire usage d’une telle disposition, qui sera de facto réservée aux grands partis politiques fortement représentés au Parlement. C’est dommageable.
Ensuite, le contrôle du Conseil constitutionnel est, à mon avis, doublement intéressant.
D’une part, il est important que le juge constitutionnel puisse vérifier le contenu matériel de la loi organique, et pas seulement les signatures ; à cet égard, la suppression de la commission de contrôle est une excellente initiative.
D’autre part, l’article 11 ne se limite pas aux dispositions auxquelles nous allons, je l’espère, donner une traduction législative organique aujourd'hui. D’autres alinéas de l’article s’appliquent déjà. Et, comme vous le savez, le débat sur le contenu de l’article 11 dure depuis 1962.
Concrètement, qu’est-ce que « l’organisation des pouvoirs publics » ? En 1962, lorsque le président du Sénat de l’époque, Gaston Monnerville, avait demandé aux Sages de vérifier la conformité à la Constitution du projet de loi que le général de Gaulle voulait soumettre à référendum, le Conseil constitutionnel s’était déclaré incompétent, déclarant qu’il ne pouvait se prononcer que sur « les lois votées par le Parlement ».
Désormais, s’il venait à l’idée de parlementaires de déposer une proposition de loi référendaire organique portant sur l’organisation des pouvoirs publics, le Conseil constitutionnel serait obligé de se prononcer et de préciser, cinquante ans après le référendum de 1962, ce qui relève de ce domaine et ce qui n’en relève pas.
Lors de la révision constitutionnelle de 1995, la notion de « réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation » a été bien précisée. La définition est assez claire. Mais il manque encore la pratique. Depuis 1995, on n’a pas trouvé une seule occasion de soumettre à référendum des réformes à caractère économique ou social. Pourtant, entre la durée du temps de travail et les retraites, ce ne sont pas les sujets qui manquaient !
Il est un autre sujet d’importance : les signatures. Une proposition de loi référendaire devra être soutenue par 4,5 millions de citoyennes et de citoyens. M. le rapporteur a eu raison de proposer à la commission des lois d’allonger la période de recueil des soutiens. D’ailleurs, je me demande si cela sera encore suffisant : six mois pour réunir 4,5 millions de signatures, même sous forme papier, ce n’est pas évident.
Les signatures seront évidemment un moyen de conditionner, dans une certaine mesure, les parlementaires. Si une proposition de loi obtient le soutien de 4,5 millions de signataires, les parlementaires chargés de l’examiner ne pourront pas faire comme si cela n’existait pas. Ils ne pourront pas mettre de chausse-trappes pour empêcher le référendum.
Dès lors, le risque est à mon avis qu’aucune proposition de loi référendaire ne soit déposée, les parlementaires craignant de voir l’épée de Damoclès des 4,5 millions de signatures citoyennes planer au-dessus de leur tête.
Quoi qu’il en soit, l’idée d’associer travail parlementaire et initiative citoyenne peut se révéler très intéressante.
La commission des lois a amendé le texte. J’aimerais évoquer une modification qui a été apportée et une qui ne l’a pas été…
La commission a changé l’intitulé du texte soumis à référendum, qui sera désormais une « proposition de loi référendaire ». J’ai voté en ce sens, comme tous mes collègues. Toutefois, après coup, je suis saisi d’un doute, et ce pour une raison simple.
Imaginons que des parlementaires déposent une proposition de loi référendaire, que le Conseil constitutionnel la valide et qu’elle recueille 4,5 millions de signatures. Si le texte est examiné par le Parlement et que ce dernier l’adopte – cela peut se produire –, il s’agira d’une loi ordinaire. Elle ne sera donc pas plus référendaire que les lois prévues dans le reste de l’article 11 !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Eh oui !
M. Hugues Portelli. Pourquoi accoler l’adjectif « référendaire » à un texte de même nature que les textes qui figurent à l’article 11 de la Constitution, que nous n’avons pas le droit de réviser ? Soyons donc prudents dans le libellé, car le Conseil constitutionnel n’appréciera peut-être pas cet ajout.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. On verra !
M. Hugues Portelli. Par ailleurs, nous avons eu en commission un débat sur le financement des actions relatives au recueil des soutiens par des personnes autres que des citoyens et des partis politiques. J’ai émis à ce sujet des réserves, qui sont partagées par un grand nombre de nos collègues.
Faire signer 4,5 millions de personnes, c’est déjà enclencher une campagne d’opinion non négligeable.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Hugues Portelli. Et ce n’est pas donné à n’importe qui !
Avec une telle procédure, le risque est réel que des groupes d’intérêt puissants se mettent en branle. Il vaut donc mieux limiter le danger et ne pas permettre à d’autres personnes qu’aux citoyens de faire campagne. Ne tentons pas le diable ! Voyez ce qui se passe dans les pays qui ont une tradition de démocratie directe beaucoup plus forte que la nôtre. On sait bien comment les référendums sont organisés et par qui ils peuvent éventuellement être financés.
Soyons prudents, je le répète, et ne remettons pas en cause les acquis de la loi de 1993, notamment, qui interdit aux groupes d’intérêt économique de participer à la vie politique française.
Pour conclure, je dirai que les dispositions que nous nous apprêtons à voter ont peu de chance d’entrer en vigueur un jour. Quoi qu’il en soit, comme Hélène Lipietz, j’appelle de mes vœux l’avènement d’une vraie démocratie directe dans ce pays, car je ne suis pas un thuriféraire de la démocratie représentative à la française, dont nous avons payé le prix à plusieurs reprises, notamment en 1940.
La démocratie représentative n’a pas que des vertus, non plus que la démocratie directe, d’ailleurs. Néanmoins, une expérience de démocratie directe dans le cadre imposé par la Constitution, notamment le respect des droits fondamentaux, vaudrait le coup d’être tentée. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Ronan Dantec. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je formulerai d’abord quelques observations sur le contexte dans lequel s’inscrivent ces projets de loi. Je donnerai ensuite la position de mon groupe, puis je ferai des remarques sur les textes eux-mêmes, ainsi que sur le travail de la commission des lois.
Le contexte est, il est vrai, assez particulier. Comme l’a souligné notre excellent collègue Hugues Portelli, les lois organiques sont faites pour appliquer la Constitution. Notons, néanmoins, que l’ancien gouvernement a attendu cinq ans pour présenter ces projets de loi à l’Assemblée nationale,…
M. Jean-Jacques Hyest. Pas tant, n’exagérez pas !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quatre ans ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Michel. … et qu’ils ont été votés dans une certaine précipitation, juste avant la fin de la législature. En outre, il n’a jamais voulu mettre en œuvre les dispositions de 2007 relatives à la responsabilité pénale du chef de l’État. Il aura fallu attendre une initiative de Robert Badinter, de François Patriat et des membres du groupe socialiste pour qu’une proposition de loi organique soit adoptée au Sénat. L’ancien gouvernement s’est ensuite empressé de faire voter un projet de loi organique à l’Assemblée nationale. Mais les choses sont restées en l’état.
Nous le savons, le nouveau chef de l’État veut réexaminer intégralement la question de l’irresponsabilité totale – sur le plan civil, pénal et administratif – du Président de la République lorsqu’il est en fonction. J’avoue d’ailleurs que cela pose des problèmes importants.
L’inscription des projets de loi portant application de l’article 11 de la Constitution dans le cadre de la niche de l’UMP vient après les vitupérations d’un récent député – mieux inspiré lorsqu’il était conseiller de l’ancien Président de la République –, qui a réclamé à cor et à cri, de façon quelque peu légère, l’organisation d’un référendum sur la question du mariage pour tous. Il oubliait, volontairement ou pas, je l’ignore, que les textes que nous examinons aujourd’hui ne pourraient absolument pas s’appliquer au mariage pour les couples de même sexe…
M. Gérard Bailly. Dommage !
M. Jean-Pierre Michel. … puisqu’ils ne modifient pas le champ d’application de l’article 11.
La question s’était déjà posée en 1984 – je m’étonne que mon collègue Hugues Portelli, constitutionnaliste et historien du droit, ne l’ait pas rappelé – au sujet de l’école, après les manifestations importantes que notre pays a connues. Dans une allocution télévisée du 12 juillet 1984, François Mitterrand n’avait pas considéré comme illégitime ou choquant de songer à soumettre à référendum des dispositions sur l’école. Néanmoins, relevant qu’en l’état du droit ce n’était pas possible, il avait annoncé qu’il saisirait le Parlement d’un projet de loi en ce sens.
Le garde des sceaux ayant une commande, le Conseil des ministres a adopté, le 19 juillet 1984, le projet de loi constitutionnelle portant révision de l’article 11 de la Constitution pour permettre aux Français de se prononcer par referendum sur les garanties fondamentales en matière de libertés publiques. En première lecture, le texte a été rejeté au Sénat par l’adoption d’une question préalable, le 8 août 1984, et adopté par l’Assemblée nationale, le 23 août 1984. Le Sénat a de nouveau rejeté le texte en deuxième lecture le 5 septembre 1984. Notre assemblée, certes constituée différemment, mes chers collègues, a mis fin à l’initiative du Président François Mitterrand. Le parlementaire auquel j’ai fait référence et dont je préfère oublier le nom…
M. Bruno Retailleau. Oh !
M. Jean-Pierre Michel. … aurait donc mieux fait de se taire.
Chacun le sait, les socialistes, dans leur grande majorité, n’ont pas voté la réforme de 2008, sauf quelques exceptions qui ont d’ailleurs permis son adoption. Mais, en ce qui concerne l’article 11, il faut le dire, nous sommes assez divisés.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est la vérité !
M. Jean-Pierre Michel. À l’Assemblée nationale, par voie d’amendement, Arnaud Montebourg avait proposé la solution de 1984, c'est-à-dire la création d’un référendum réellement d’initiative populaire dont le champ d’application aurait été plus large que celui actuellement prévu par la Constitution. Finalement, cette initiative a été repoussée.
Au Sénat, deux voix contradictoires se sont fait entendre : Bernard Frimat approuvait les dispositions de l’article 11 et Robert Badinter était contre, et s’en moquait.
Que Jean-Jacques Rousseau triomphe dans la Confédération helvétique, ma chère collègue Hélène Lipietz, c’est bien le moins que lui doit ce pays ! Mais il n’y a rien d’illogique à ce que la France lui préfère Montesquieu, même s’il a eu quelques mots datés sur les femmes, qui, à part être les maîtresses des rois, ne servaient pas à grand-chose d’autre à cette époque. (Exclamations sur plusieurs travées.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Et Olympe de Gouges ? Et Théroigne de Méricourt ?
M. Jean-Pierre Michel. J’approuve donc totalement ce qu’a dit notre collègue Jacques Mézard.
Cela étant, je doute que les souhaits d’Hugues Portelli soient exaucés. Au vu de ce qui se passe à l’étranger, notamment en Suisse, il me paraît aléatoire de pouvoir introduire l’expression directe des citoyens dans le cadre d’une démocratie parlementaire. Il n’y a qu’à regarder pour s’en convaincre les sujets qui font l’objet de référendums d’initiative populaire, les résultats des votes et leur non-répercussion par les gouvernements de la Confédération helvétique.
Le rapporteur Jean-Pierre Sueur l’a rappelé : nous appliquons aujourd’hui la Constitution. Le groupe socialiste a majoritairement rejeté la réforme constitutionnelle de 2008, sauf un ou deux élus qui l’ont votée ou qui se sont abstenus, ce qui leur a valu des destins glorieux par la suite… Malgré cela, nous souhaitons voter les projets de loi portant application de l’article 11 de la Constitution, afin que soient enfin promulguées toutes les lois organiques nécessaires à la mise en œuvre de la réforme de 2008. C’est la dernière pierre de l’édifice. Ce faisant, nous accomplissons un travail républicain !
Dans ces conditions, je m’étonne d’entendre les représentants des principaux partis politiques de l’opposition affirmer qu’ils ne voteront en aucun cas quelque disposition que ce soit d’une future réforme constitutionnelle. J’en reste même pantois ! Autant je peux comprendre que certains textes nécessitant une révision constitutionnelle ne fassent pas consensus, autant je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas d’accord au Sénat sur la réforme du CSM, sur la réforme du statut du parquet, sur celle de la responsabilité du chef de l’État, voire sur la réforme du Conseil constitutionnel ! Cette opposition frontale à la majorité en place est assez dérisoire…
M. Charles Revet. Vous avez largement donné l’exemple !
M. Jean-Pierre Michel. … et antirépublicaine.
J’en viens maintenant aux textes qui nous occupent.
Le rapporteur a accompli un travail remarquable puisqu’il a « redressé » le texte. Pourquoi le projet initial était-il aussi mal rédigé et aussi bâclé ? Le gouvernement de l’époque, qui avait fait voter la réforme constitutionnelle de 2008, ne croyait-il pas à celle de l’article 11 ?
Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement que la rédaction retenue à l’Assemblée nationale était mauvaise. Nous avons essayé de l’améliorer, madame la garde des sceaux, même si, j’en conviens, elle reste perfectible.
Le rapporteur Jean-Pierre Sueur, qui ne manque pas d’imagination législative – avec la formation qui est la sienne, il met au profit du droit la littérature, les arts et les lettres –, a « inventé » une nouvelle proposition de loi : la proposition de loi référendaire. Le Sénat en est fier. Il y avait des propositions parlementaires, il y aura maintenant des propositions référendaires.
Mon groupe présentera un amendement, adopté hier matin en commission, pour éviter que le dépôt d’une telle proposition de loi n’entre en concurrence avec une initiative gouvernementale ou parlementaire sur le même sujet.
Deux autres points me paraissent importants.
Tout d’abord, la commission des lois a voulu respecter, contrairement à ce qui était prévu initialement, les pouvoirs du Président de la République. Il est assez bizarre que le gouvernement de M. Fillon ait imaginé des délais contraignants, alors que ce n’est pas prévu par la Constitution. Nous avons donc fait sauter ce verrou. Le Président de la République ne doit pas être enserré dans des délais pour mettre en œuvre la procédure de l’article 11.
Ensuite, nous avons supprimé la commission de contrôle indépendante. Je dois dire que, lorsque j’entends le mot « indépendant », je dresse l’oreille, car je ne sais pas ce que cela veut dire, ou plutôt je le sais trop bien… Je ne donnerai pas ici d’exemples personnels, mais je pourrais citer les noms de personnalités « indépendantes », qui, après avoir fait partie de commissions « indépendantes », ont été largement récompensées à la sortie. Je préfère le Conseil constitutionnel, même si on peut s’interroger sur sa composition politique. Mais, en général, l’habit fait le moine.
Le rapporteur a donc proposé avec sagesse de supprimer cette commission indépendante. Comment aurait-elle été composée, par qui, de qui ? Personne n’en savait rien. C’est d'ailleurs la raison pour laquelle elle aurait été très indépendante… Cette suppression vise à redonner au Conseil constitutionnel les pouvoirs qui sont les siens de contrôle des élections. En l’occurrence, il contrôlera la façon dont seront recueillis les soutiens de nos concitoyens à la proposition de loi référendaire.
Mes chers collègues, le groupe socialiste votera évidemment sans réserve ces deux projets de loi, qui ont été utilement amendés et enrichis par notre rapporteur Jean-Pierre Sueur et par la commission des lois.
Au-delà des calculs politiciens des uns et des autres,…
M. Jean-Jacques Hyest. Il n’y en a pas ici !
M. Jean-Pierre Michel. … – je ne parle pas du débat qui nous occupe en cet instant, mais ils peuvent exister sur d’autres textes qui nous sont présentés –, il est de notre intérêt à tous de montrer, comme nous l’avons d'ailleurs fait souvent, que le Sénat a toute sa place dans l’élaboration législative…
M. Jean-Claude Peyronnet. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. … et de ne pas le condamner à rester muet en commission mixte paritaire, les sénateurs se retrouvant face aux députés sans pouvoir rien dire et donc sans pouvoir exercer la moindre influence sur la suite des événements.
Mes regards, mon cher collègue Jean-Jacques Hyest, se portent vers l’ensemble de nos travées.