compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. Gérard Le Cam.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l’article 29 de notre règlement.
Avec l’affaire Findus, nous avons assisté ce week-end à un véritable naufrage en matière de sécurité sanitaire et alimentaire. Comme pour la ministre de la santé, il ne fait absolument aucun doute pour moi que la santé du consommateur n’a jamais été menacée, à quelque moment que ce soit. Après tout, manger du cheval, pourquoi pas ? Cela étant dit, quand on connaît les contrôles minutieux et nombreux qu’exercent les services vétérinaires sur la moindre cantine rurale ou sur les abattoirs, on comprend que l’on devrait tout de même essayer de rapprocher tant soit peu les lieux de consommation de la viande de ses lieux de production ! Disant cela, je m’empresse de préciser qu’il n’est nullement dans mes intentions de revêtir la marinière d’Arnaud Montebourg ! (Sourires.)
Pour autant, le sujet n’est pas celui-là : je souhaiterais, monsieur le président, que la prochaine conférence des présidents inscrive à l’ordre du jour du Sénat un débat sur la sécurité alimentaire et, surtout, qu’une commission d’enquête soit constituée sur ce sujet. Je suis certaine non seulement que cela intéresserait beaucoup nos collègues membres de la commission des affaires européennes, de la commission des affaires économiques ainsi que du groupe d’études de l’élevage et, plus généralement, l’ensemble des sénatrices et des sénateurs, mais encore que les nombreux consommateurs non végétariens seraient eux aussi très heureux que le Sénat se penche sur cette question !
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
3
Décision du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du vendredi 8 février 2013, une décision du Conseil sur quatre questions prioritaires de constitutionnalité portant sur le paragraphe II de l’article 6 de la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 (n° 2012-293, 2012-294, 2012-295 et 2012-296 QPC).
Acte est donné de cette communication.
4
Diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports (projet n° 260, résultat des travaux de la commission n° 339, rapport no 338 et avis n° 334).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec grand plaisir que je m’adresse à vous aujourd’hui pour vous présenter ce projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports.
Ce texte, qui comporte vingt-cinq articles, n’a pas, malgré les apparences, qu’une dimension technique ; il a une vraie ambition politique. Il a en effet pour objet de renforcer la prise en compte du développement durable, la lutte contre les risques écologiques et la protection des salariés. Pour cela, il prévoit de nombreuses mesures concernant différents modes de transport, ferroviaire, routier, fluvial et maritime.
Ce projet de loi inscrit les transports dans une perspective de mobilité durable. Sa disposition majeure, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, concerne la mise en œuvre effective de l’écotaxe poids lourds.
Il s’agit non pas de la taxe en elle-même, qui a déjà été votée dans de précédentes lois de finances, mais bien du mécanisme permettant demain aux entreprises de transports routiers de majorer le prix du transport pour prendre en compte l’écotaxe et la répercuter sur leurs clients, les chargeurs.
Il est nécessaire d’en revenir aux fondements de l’écotaxe pour bien comprendre cette disposition.
Cette mesure, issue du Grenelle de l’environnement et votée en 2009 à l’unanimité par le Parlement, devait initialement être mise en œuvre en 2011. Elle concerne les poids lourds empruntant le réseau routier non payant. Il s’agit d’une fiscalité écologique, dès lors que son barème dépend de la taille et de la performance environnementale du véhicule.
Alors que nos prédécesseurs avaient posé les principes de cette écotaxe poids lourds, sa mise en œuvre pratique en incombe à l’actuel gouvernement, et j’en assume pleinement la responsabilité.
Vous le savez, l’écotaxe poids lourds a un triple objectif : d’abord, réduire les impacts environnementaux du transport routier de marchandises par l’établissement d’un véritable « signal prix » à destination des chargeurs ; ensuite, rationaliser, à terme, le transport routier sur les moyennes et courtes distances en incitant à ne pas faire rouler des camions vides ; enfin, financer les nouvelles infrastructures nécessaires à la politique de développement intermodal des transports, étant précisé que le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, sera alimenté par les recettes issues de l’écotaxe poids lourds.
Le premier de ces objectifs est essentiel : l’écotaxe poids lourds n’est pertinente que si elle est équilibrée. Il s’agit non pas d’une taxe de plus pour renflouer le budget de l’État, mais bien d’un instrument pour inciter au rééquilibrage modal nécessaire à la rationalisation des déplacements routiers.
L’impératif de répercussion de l’écotaxe a été identifié dès le début de la réflexion, dès ma prise de fonctions. En effet, les entreprises de transports routiers de marchandises, dont les marges sont déjà extrêmement faibles, ne peuvent supporter de charges nouvelles sans garantie de pouvoir les répercuter sur leurs clients.
La difficulté dans laquelle se trouvent ces entreprises est réelle. Elles ont connu en 2012 un repli substantiel de leur activité – une baisse près de 10 % en tonnes-kilomètres sur les trois premiers trimestres de 2012 par rapport à la même période de 2011. Il était injuste socialement et dangereux économiquement de faire peser l’écotaxe sur les seuls transporteurs routiers, qui constituent un secteur important de notre économie et grâce auxquels l’ensemble de notre territoire est irrigué.
Le précédent gouvernement avait laissé un dispositif complexe et difficile à mettre en œuvre pour répercuter sur les chargeurs la taxe supportée par les transporteurs, dispositif prévu par un décret publié le 6 mai 2012, jour du second tour de l’élection présidentielle…
Ce dispositif, dans le détail duquel je n’entrerai pas, rencontrait l’hostilité unanime de la profession. Il s’agissait d’un mécanisme compliqué, coûteux pour les entreprises, lesquelles n’avaient pas besoin, en cette période difficile, de voir leur activité ainsi pénalisée.
M. Jean Bizet. Elles vont être servies !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Précisément, et j’aurai à cœur de vous le démontrer, le Gouvernement a pour préoccupation de ne pas rendre plus difficile leur situation.
J’ai alors échangé avec les professionnels du secteur sur ce sujet, et l’ensemble des organisations professionnelles sont convenues qu’il fallait revoir totalement les modalités de répercussion de cette taxe.
À la place du dispositif complexe dont j’ai parlé, le présent projet de loi prévoit la majoration du prix des prestations de transport par l’application de taux établis en fonction des régions de chargement ou de déchargement.
Ce mécanisme est plus simple et permet d’inciter au report sur des modes de transport plus durables par l’établissement d’un véritable signal prix à destination des chargeurs.
Ces taux seront fixés par arrêté et seront révisables en tant que de besoin. Ils incluent les frais de gestion supportés par les entreprises de transports routiers de marchandises. C’était une préoccupation des professionnels du secteur.
La recherche de la simplicité est un impératif pour permettre à tous, transporteurs et chargeurs, d’intégrer la taxe et son fonctionnement dans les meilleures conditions.
L’adoption rapide de ces dispositions est une nécessité pour permettre aux chargeurs et aux transporteurs de se préparer à la mise en œuvre effective de l’écotaxe poids lourds. C’est cette urgence qui justifie la procédure accélérée retenue pour l’examen de ce projet de loi. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez le profond respect que j’ai pour le travail parlementaire et l’importance que j’y attache.
J’ai engagé une concertation et ai travaillé en veillant à rechercher un équilibre, dans un secteur où les rapports de force dans les négociations commerciales ne sont pas toujours équilibrés.
Le Gouvernement tient à honorer ses engagements en matière d’environnement et de report modal, mais tient également à soutenir le secteur des transports routiers dans ces mutations.
Je compte donc sur le Sénat, sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour permettre l’adoption de cette mesure.
Par ailleurs, le projet de loi comporte d’autres dispositions importantes en faveur du développement durable.
Tout d’abord, il contient des dispositions en matière de transport fluvial destinées à réduire les risques pour l’environnement et pour la sécurité de la navigation.
L’article 12 permet notamment de simplifier la procédure applicable au déplacement d’office des bateaux fluviaux qui stationneraient sur les voies d’eau en méconnaissance du règlement général de police de la navigation intérieure ou qui compromettraient la sécurité des usagers du domaine public fluvial. Il s’agit de vrais problèmes pour les collectivités locales qui ont des ports fluviaux, et cette mesure leur donnera les moyens et les outils pour intervenir.
Ce texte contient également des dispositions relatives à la sécurité maritime et à la lutte contre les risques écologiques.
Ainsi, ce projet de loi permet de réduire les risques pour l’environnement et la gêne à l’exploitation des ports occasionnés par la présence de navires de commerce abandonnés. L’article 15 simplifie les règles actuelles relatives à l’intervention des pouvoirs publics sur ces navires abandonnés de manière à accroître son efficacité.
Le texte améliore le cadre juridique de la procédure de déchéance des droits de propriété sur des bâtiments que leurs propriétaires jugent plus rentable d’abandonner que de réparer ou de désarmer.
L’article 16 clarifie et actualise le régime de responsabilité civile en cas de pollution marine par des hydrocarbures en le rendant totalement conforme à nos engagements internationaux.
Lors des précédentes marées noires, notamment lors de celle de l’Erika, en 1999, les tribunaux de commerce ont appliqué le régime général de responsabilité issu de la convention de l’Organisation maritime internationale de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes, dite « convention LLMC », mais je vous épargne le développement du sigle en anglais.
Mme Nathalie Goulet. Si, en anglais !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Puisque vous insistez, il s’agit de la Convention on Limitation of Liability for Maritime Claims.
M. Alain Bertrand. Bravo ! (Sourires.)
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. C’est bien la première fois qu’un parlementaire exige d’un membre du Gouvernement qu’il s’exprime en anglais ! (Sourires.) Je crois me souvenir qu’une certaine ordonnance plusieurs fois centenaire nous l’interdit… (Nouveaux sourires.)
Or, plus sérieusement, mesdames, messieurs les sénateurs, ce régime général ne prend pas en compte les dispositions spécifiques de la convention de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dite « convention CLC », qui, elles, sont plus protectrices des intérêts des victimes.
Cet article insère donc explicitement dans le code des transports le principe de la responsabilité du propriétaire du navire en cas de marée noire, dans les conditions fixées par la convention CLC de 1992.
Enfin, l’article 20 renforce le cadre juridique permettant la protection de la sécurité maritime.
Cet article prévoit que les visites et inspections à bord des navires par les agents de l’État s’exercent à toute heure. Il accroît également le montant des amendes réprimant les infractions aux règles fondamentales de la sécurité maritime, montant insuffisamment dissuasif à ce jour. Il s’agit notamment de prévenir les abordages en mer et d’assurer le respect des ordres des autorités maritimes.
Enfin, ce projet de loi se veut socialement protecteur, avec une disposition majeure qui assure des conditions de concurrence équitables entre entreprises maritimes opérant sur une même ligne ou sur un même secteur d’activité.
L’article 23 élargit ainsi le champ d’application des règles de l’État d’accueil s’appliquant aux entreprises maritimes qui pratiquent le cabotage, tel qu’il est défini dans la réglementation de l’Union européenne, ainsi qu’à celles qui assurent une prestation de service dans les eaux intérieures et territoriales.
L’objectif est d’affirmer que, si la concurrence est normale lorsque les marchés sont ouverts, et c’est précisément le cas, celle-ci ne peut se faire à n’importe quelle condition, notamment en matière sociale.
Ce texte est construit autour de quatre axes favorisant l’unicité du régime de l’État d’accueil : un champ d’application, avec la définition des activités et des navires concernés ; les dispositions qui devront être appliquées au titre de l’État d’accueil – les membres de l’équipage qui sont concernés, les droits des salariés, leur protection sociale – ; les documents obligatoires à présenter au contrôle ; les sanctions pénales dont l’armateur est passible en cas de non-respect de ces obligations.
Il s’agit d’éviter que des navires battant pavillon étranger ne viennent opérer des lignes nationales à des conditions sociales inacceptables et moyennant une concurrence déloyale.
Vous le constatez, l’objectif de ce projet de loi est de simplifier un certain nombre de dispositifs, de les rendre opposables, y compris dans le transport routier. Il s’agit d’instituer des dispositifs juridiques efficaces, susceptibles de prévenir des facteurs de risque pour la sécurité fluviale ou maritime, et de favoriser la protection de l’environnement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte répond aux définitions du développement durable d’un triple point de vue économique, écologique et social. Nous avons à cœur de rendre opposables un certain nombre de dispositions et, au moins, de rendre plus acceptables les conditions de la concurrence.
Ce projet de loi est complet. Il comporte des dispositions concrètes et efficaces. Il s’inspire de la réalité, notamment des difficultés ou des préoccupations des agents économiques dans le transport, difficultés auxquelles nous souhaitons avec ce texte législatif apporter une réponse de qualité.
En conclusion, je tiens d’ores et déjà, mais je recommencerai sans doute après le vote, à remercier le rapporteur pour la qualité de ses travaux, ainsi que l’ensemble des sénateurs qui se sont impliqués dans la préparation de ce texte.
Certes, le projet de loi peut, sous certains aspects, paraître très technique, mais il n’a pour autant d’autre objet que de simplifier les dispositions en vigueur. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons été guidés par un souci d’efficacité et mus par la volonté d’apporter davantage de sécurité juridique mais aussi davantage de sécurité économique à l’ensemble des acteurs du transport. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Roland Ries, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, il me revient de vous présenter les travaux et les conclusions de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, qui a examiné ce texte mercredi dernier.
La commission est parvenue à un résultat paradoxal qui l’a surprise elle-même : une abstention générale ! Pour une première comme rapporteur d’un texte de loi, j’avoue avoir goûté mon plaisir...
Chacun des présents s’étant abstenu, le résultat a été mécanique : la rédaction issue des travaux de la commission n’a pas été adoptée et nous débattons aujourd’hui du texte initial du Gouvernement, assorti des amendements que la commission vient d’examiner ; je rendrai compte de ses avis dans le cours de la discussion.
Pourquoi ce résultat de nos travaux est-il paradoxal ? Mais parce que, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous venions tout juste de dire, toutes tendances confondues, que nous pensions le plus grand bien de ce texte ! Nous venions d’approuver chacun de ses vingt-cinq articles, avec trente-trois amendements, dont les vingt-huit que j’avais présentés !
Si nous avions réservé un si bon accueil à ces diverses dispositions, notamment à l’écotaxe poids lourds, c’est parce que nous connaissions leur importance - elles seront utiles pour que nos transports soient plus propres et plus efficaces -, et parce que nous étions tous d’accord sur le fait que, pour avoir une chance d’atteindre les objectifs du Grenelle de l’environnement, nous devions mettre les bouchées doubles et rendre ses orientations opérationnelles au quotidien !
Ce texte ne se limite pas à proposer une réforme maritime que les gens de mer attendent depuis longtemps ; il ne s’arrête pas à des mesures de bon sens pour ce qui est des navires abandonnés ou des péniches qui gênent la circulation fluviale. Non, le principal objet de ce texte, qui peut justifier l’engagement de la procédure accélérée, c’est la majoration du prix du transport routier pour accompagner l’écotaxe poids lourds, ou plutôt, devrais-je dire, pour la rendre possible.
Si certains imaginent qu’il suffit de décréter une taxe sans tenir compte de la situation des transporteurs ou de la fragilité du secteur, s’ils pensent que l’écotaxe peut être appliquée sans que soit prise en compte l’inégalité entre camionneurs et donneurs d’ordre, je leur conseille volontiers d’aller examiner la situation d’un peu plus près et d’en profiter pour assister à une négociation dans la profession. Je peux leur garantir qu’ils ne seront pas déçus !
Notre commission avait donc réservé le meilleur accueil à ce texte, car elle en avait compris l’importance. Cependant, elle ne l’a pas adopté, du fait de cette abstention générale dont j’ai parlé. Pourquoi en sommes-nous arrivés à cette situation inattendue ?
Le rapporteur n’a pas à expliquer la position de l’opposition sénatoriale,…
M. Jean Bizet. Cela viendra !
M. Roland Ries, rapporteur. … qui était majoritaire au sein de la commission la semaine dernière. Mais, pour ce qui concerne la majorité sénatoriale, les choses ont été très claires : lorsque l’opposition a adopté des amendements tendant à exempter d’écotaxe telle catégorie d’usagers ou telle catégorie de transporteurs, nous avons mis le holà ! Moi-même, en ma qualité de rapporteur, je me suis abstenu.
M. le ministre vient de le rappeler, l’objet de l’article 7 est de protéger les transporteurs routiers, pas de remettre en cause l’écotaxe poids lourds ! Une fois les exemptions votées, le groupe socialiste et le groupe CRC se sont abstenus, car le texte nous est alors apparu trop éloigné de ses bases : il était pour nous, en un mot, dénaturé.
Pour nous, les exemptions de l’écotaxe poids lourds menaceraient cette première grande disposition de la fiscalité écologique, souhaitée par le Grenelle de l’environnement et votée sous la précédente majorité, car il faut rendre à César ce qui est à César...
L’exemption de telle catégorie d’usagers reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore, menaçant la finalité ultime de l’écotaxe : faire que le transport routier finance davantage les infrastructures routières. Tout le monde sait que l’usager de la route doit contribuer davantage à l’entretien des infrastructures routières ; c’est nécessaire ne serait-ce que pour rétablir une concurrence plus saine et plus équilibrée avec le transport ferroviaire qui, lui, participe au financement du réseau ferré.
Voilà pour l’issue des travaux de notre commission. Vous me pardonnerez d’insister : nous n’avons pas rejeté le texte du Gouvernement, nous nous sommes contentés de nous abstenir sur la rédaction à laquelle nous étions parvenus... La nuance, en l’occurrence, est de taille !
Sur le texte lui-même, maintenant, quels ont été les travaux de la commission ? Je vous les présente sommairement, par grand thème, en réservant non pas le meilleur, mais le plus délicat pour la fin.
Tout d’abord, les dispositions ferroviaires, figurant aux articles 1er à 4, sont de nature technique et n’empiètent pas sur la grande réforme ferroviaire que vous avez annoncée pour cette année, monsieur le ministre. Votre commission y a vu des mesures d’efficacité tout à fait bienvenues et elle m’a suivi pour renforcer la transparence des comptes de la SNCF envers les régions, …
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Roland Ries, rapporteur. … pour les lignes ferroviaires régionales ; c’est l’objet d’un amendement que je vous présenterai lors de la discussion des articles. Il s’agit d’une revendication ancienne des régions qui ne souhaitent pas être de simples guichets et qui veulent savoir ce qu’elles paient et pourquoi elles le paient. Je ne peux que les approuver.
Ensuite, avec les dispositions relatives au transport maritime, nous sommes en présence d’une véritable réforme : mon rapport en fait état et M. le ministre vient de le souligner. Il s’agit de solutions pratiques destinées à régler enfin des problèmes identifiés de longue date : c’est le cas avec les navires abandonnés dans les ports maritimes. Le sujet est important et récurrent : des navires passent des mois, et même des années dans nos ports maritimes, abandonnés par leurs propriétaires – des armateurs peu scrupuleux –, souvent avec leur équipage à qui l’on doit des arriérés de salaires. Ces navires sont abandonnés, mais les autorités publiques tergiversent, chacune attendant que l’autre prenne l’initiative et débloque les fonds nécessaires à la mise en œuvre des procédures.
Dans ce genre de situation, l’action publique devient elle-même une source de retard. L’article 15 accélère donc la déchéance de propriété et identifie clairement les responsabilités ainsi que la répartition des charges entre autorités publiques. Ces nouvelles règles, nécessaires, pour ne pas dire urgentes, sont très attendues dans les ports maritimes : la commission leur a donc réservé le meilleur accueil.
Autre élément de la réforme maritime : l’application des grands principes de notre droit social aux navires qui viennent travailler dans nos eaux intérieures et territoriales.
Les gens de mer subissent la concurrence déloyale de navires immatriculés sous pavillons d’États européens, mais qui emploient des marins à des conditions de pays pauvres. C’est le quotidien de nos ports maritimes : sur des navires battant pavillon d’États européens, en particulier des ferries, des marins travaillent aux conditions dites internationales, c’est-à-dire pour 520 dollars par mois, quasiment sans protection sociale ! Cette situation est possible parce que les règles européennes ne l’interdisent pas formellement.
Nos marins paient le défaut d’harmonisation européenne : faute de pavillon européen, les États définissent librement leur pavillon national, y compris les États qui n’ont aucune côte maritime, avec des règles sociales qu’ils refusent évidemment sur leur territoire terrestre.
Notre collègue Évelyne Didier nous avait saisis de cette situation l’an passé, avec une proposition de loi de son groupe qui n’était finalement pas venue en séance. Nous reprenons aujourd’hui les idées qui avaient alors été présentées.
Avec l’article 23, je crois pouvoir le dire, monsieur le ministre, le Gouvernement va aussi loin que les règles européennes l’y autorisent pour protéger l’emploi marin français face à cette concurrence déloyale.
Les « conditions de l’État d’accueil », c’est-à-dire les règles sociales et de sécurité que la France peut imposer aux navires étrangers qui viennent travailler chez nous, sont étendues à tous les navires « utilisés pour fournir dans les eaux territoriales ou intérieures françaises des prestations de service ». Cette notion très large de « service » englobe les travaux portuaires et en mer, par exemple l’installation d’éoliennes et les activités à caractère commercial. La commission considère qu’il s’agit d’un grand progrès.
Enfin, troisième mesure complémentaire, l’article 20 du projet de loi renforce le contrôle maritime, avec l’instauration d’une nouvelle enquête nautique de nature administrative, plus facile à mobiliser que l’enquête judiciaire, et d’amendes d’un montant plus élevé pour sanctionner les infractions aux règles sociales et de sécurité.
La commission a donc réservé le meilleur accueil à cette réforme maritime ; elle a même souhaité l’améliorer en présentant dix amendements, dont un du groupe CRC.
Elle a reçu pareillement les trois articles, plus ponctuels, portant sur le fluvial et l’article de précision relatif aux vols d’hélicoptères de secours au-dessus des agglomérations.
La parfaite concorde, heureux prolongement du consensus obtenu lors du Grenelle, a cependant disparu lors de l’examen du volet « transports routiers » de ce texte, à l’article 7. Nous en parlerons longuement. M. le ministre vient de nous rappeler la genèse de l’écotaxe poids lourds, son importance décisive pour rationaliser le transport routier, inciter au report modal, en un mot pour mettre enfin notre pays sur la trajectoire du Grenelle de l’environnement.
Alors que les « gros émetteurs de CO2 » que sont le secteur du BTP, l’industrie ou le logement voient leur empreinte carbone diminuer année après année, le secteur des transports en général, quant à lui, continue de produire toujours plus d’émissions polluantes. Les véhicules ont fait des progrès, les normes « Euro » et la hausse du prix de l’essence apportent leur pierre à l’édifice, mais le bilan carbone des transports se dégrade : d’une part, les déplacements continuent de s’intensifier – et la tendance va se poursuivre –, d’autre part, il n’y a pas assez de report modal, la route continuant de gagner des parts dans le transport de marchandises par rapport au ferroviaire, dont la part est passée de 15 % ou 16 % à moins de 10 % aujourd’hui, malgré la libéralisation du fret ferroviaire. On le voit, l’ouverture à la concurrence n’est pas la panacée, en matière tant de transport de marchandises que de transport de personnes.
Comment faire, dans ces conditions, sinon prendre des mesures suffisamment fortes pour faire changer nos comportements ? L’écotaxe poids lourds est l’une de ces mesures ; c’était même la mesure phare de la majorité d’hier en termes de fiscalité écologique. L’écotaxe est un levier pour le report modal : c’est grâce à elle que le transport routier financera davantage la route, comme le train finance le rail. Quel parcours, cependant, pour la mettre en œuvre ! Quels retards, liés aux procédures choisies, en particulier le partenariat public-privé ! Et c’est précisément quand il faut mettre en œuvre des politiques que l’on mesure la détermination de ceux qui les ont décidées.
En l’occurrence, et je le dis sans esprit polémique, la méthode de mise en œuvre imaginée par le gouvernement précédent, qui figure dans le décret du 4 mai 2012, n’était pas viable, pour une raison très simple : elle visait, certes, à ce que la taxe payée par le transporteur pour un trajet soit répercutée sur le chargeur, mais c’était sans compter avec la réalité même du transport routier, avec le fait que le transporteur n’aurait pas su calculer, pour chaque client, la part de taxe payée dont celui-ci eût été redevable. Cette analyse a été partagée par tous au sein de la commission.
Mes chers collègues, je voudrais, comme l’a fait M. le ministre, en revenir aux fondamentaux : en choisissant l’écotaxe poids lourds, le Grenelle a aussi décidé que la charge de cette taxe ne devrait pas peser sur les transporteurs routiers, sauf à les tuer, du moins les plus fragiles d’entre eux. Nous ne voulons pas revenir sur le principe de la taxe : ce serait renoncer aux objectifs du Grenelle ! Ce que nous voulons, c’est protéger les transporteurs routiers au moment où la collectivité décide que le transport routier devra contribuer davantage à la transition écologique. Tel est bien l’objet de l’article 7 du projet de loi ; c’est même son seul objet : ne pas augmenter les charges des transporteurs, tout faire pour que l’écotaxe ne rogne pas leurs marges, qui sont déjà très faibles, puisqu’elles ne dépassent pas 1 % ou 2 % dans la plupart des cas.
Puisque la répercussion au réel, camion par camion, client par client, trajet par trajet, n’est pas possible, alors même que chaque transporteur paiera la taxe au réel pour les trajets qu’il effectuera sur le réseau taxable, comment assurer que cette taxe n’alourdira pas les charges des transporteurs ?
L’article 7 présente une solution, qui comporte des avantages et des inconvénients ; nous allons en débattre. Son principe est le suivant : le lien entre la taxe payée effectivement et les charges des transporteurs est établi à l’échelle de la région et annualisé ; il détermine un forfait que le transporteur applique à ses clients, pour majorer sa prestation de transport quel que soit l’itinéraire qu’il emprunte, sur le réseau taxable ou sur le réseau libre. Comment, concrètement, est calculé le taux de majoration forfaitaire ? Il procède de l’usage même du réseau taxable : dans les régions où le réseau est dense et beaucoup utilisé, comme, hélas ou peut-être heureusement, c’est le cas en Alsace, il sera élevé ; dans une région comme la Corse, où il n’y a pas de réseau taxable, aucune majoration ne sera appliquée.
Il faut surtout bien comprendre que la répercussion au réel n’est pas viable pour le transporteur : avec un tel système, dont je n’évoque même pas les difficultés techniques, celui-ci serait laissé seul dans sa relation inégale avec son donneur d’ordres, le chargeur.
J’insiste sur ce point, parce que cette majoration forfaitaire du prix du transport, obligatoire, inscrite dans la loi, est une condition pour que l’écotaxe poids lourds soit acceptée, pour qu’elle devienne effective. L’instauration d’une taxe n’est jamais une bonne nouvelle pour ceux qui doivent l’acquitter : l’usage des routes est gratuit, il devient payant pour les poids lourds sur la partie la plus dense du réseau ; on comprend que tous ceux qui recourent à des poids lourds s’inquiètent ! Mais c’est un choix de société, objet de consensus politique, et, aujourd’hui, nous tentons d’aménager les modalités les plus justes, les plus acceptables pour que les professionnels de la route, les transporteurs routiers ne subissent pas cette taxe. Voilà pourquoi je crois que, quand la répercussion au réel est impossible, quand la seule régulation par le marché ferait que, dans les faits, le transporteur devrait assumer la taxe, la majoration obligatoire et légale est la meilleure des solutions ou, si vous préférez, la moins mauvaise d’entre elles !
Ensuite, dès lors que le calcul est matériellement impossible à établir trajet par trajet pour garantir le lien entre la taxe et les charges du transporteur, la majoration forfaitaire, calculée à l’échelon régional ou national, est la moins mauvaise des solutions.
Mes chers collègues, le ministère des transports, en lien avec celui des finances, travaille sur le sujet depuis cinq ans. Les alternatives ont été examinées, les éléments, ô combien techniques, ont été transmis aux ministres successifs. Il nous revient de faire des choix, et notre choix d’aujourd’hui porte sur la façon dont nous pouvons protéger les transporteurs routiers d’une taxe que nous jugeons nécessaire de faire porter sur l’usage de la route.
C’est, me semble-t-il, ce qui n’a pas été bien perçu en commission, la semaine dernière. Nous avons été tous d’accord pour améliorer ce mécanisme de majoration forfaitaire ; nous avons souhaité en particulier, sur ma proposition, que le ministère en évalue très précisément le fonctionnement et que le ministre revienne devant le Parlement dans un an pour en débattre. Nous avons souhaité préciser les choses pour les contrats de location de véhicules avec chauffeur.
En revanche, nous nous sommes opposés lorsqu’une partie de la commission, qui était majoritaire, a voulu revenir sur la taxe elle-même, pour en exonérer telle ou telle activité de transport. Mes chers collègues, nous prendrions un gros risque en ouvrant une telle boîte de Pandore ! Ces exonérations, outre qu’elles sont très importantes, seraient immanquablement suivies d’autres demandes d’exonérations, alors que l’intégralité des recettes de l’écotaxe prévues est nécessaire à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF. Ensuite, n’oublions pas que nous agissons dans le cadre d’une directive européenne, la directive Eurovignette, qui proscrit les distinctions entre les domaines d’activités du transport : le tarif est kilométrique et les réductions ne sont possibles que dans des cas énumérés par la directive, par exemple selon le caractère périphérique des territoires ou, bien sûr, le niveau écologique des véhicules.
Mes chers collègues, j’ai voulu, dès le début de notre discussion, rapporter les grands arguments échangés au sein de notre commission. Je sais que nous allons largement débattre. Hors cet article 7 qui nous a divisés, nous avons réservé un bon accueil aux six autres articles du texte relatifs aux transports routiers, en exprimant cependant un bémol et de fortes demandes de précision sur l’article 5, traitant de la nouvelle procédure de déclassement et reclassement d’office de routes nationales dans la voirie départementale et communale. Monsieur le ministre, vous serez interrogé sur ce point.
Vous l’aurez compris, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis très favorable à ce texte que la commission n’a pas rejeté, mais qu’elle a laissé intact pour son examen en séance. Je n’en demeure pas moins attaché aux améliorations que j’ai suggérées. C’est pourquoi je vous proposerai d’adopter les vingt-huit amendements que j’avais déposés mercredi dernier en commission, que mon groupe a repris et qui ont recueilli tout à l’heure l’approbation de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Alain Bertrand applaudit également.)